B. UNE RÉVOLUTION NUMÉRIQUE QUI IMPACTE TOUTES LES ENTREPRISES QUELLE QUE SOIT LEUR TAILLE
L'économie numérique pourrait être un nouveau paradis pour les entreprises, à condition que toutes les entreprises, y compris les PME, puissent y participer.
1. Une opportunité pour moderniser notre économie
La transformation numérique de l'économie est une chance que la France doit saisir, relevait dès 2014 le rapport Lemoine 53 ( * ) . Elle devait permettre à la France de combler son retard économique .
« Nouvelle grammaire du succès », elle impose de nouvelles lois économiques : les innovations technologiques ne sont plus tirées par des entreprises ou les grandes organisations mais par les consommateurs : « le salon mondial de l'innovation IT n'est plus un salon d'entreprise : c'est le Consumer Electronic Show de Las Vegas. Le terme même « numérique », tout comme son équivalent anglais digital , provient de l'électronique grand public ».
Mieux, le numérique aurait dû être « l'occasion de combattre cette faiblesse traditionnelle de l'économie française, celle de son tissu de petites et moyennes entreprises ». Le noyau dynamique de start-ups technologiques aurait dû être « un accélérateur ». Un nombre croissant d'entrepreneurs dans des secteurs d'économie traditionnelle allaient « inventer des formes nouvelles de commerce ou de service qui incorporent le numérique comme facteur d'innovation ou de différenciation », avec de nouvelle formules de services interentreprises 54 ( * ) , afin « d'aider de toutes petites entreprises de tous les secteurs à surmonter les fragilités des premières années et à entrer dans une logique de croissance ».
La France dispose d'atouts pour utiliser ces opportunité : des Français plus « numérisés » que la moyenne européenne et davantage que les entreprises françaises, une vague entrepreneuriale puissante de start-up qui monte en puissance et à qui le label French Tech 55 ( * ) donne de la visibilité.
La numérisation pouvait « incarner une promesse de relocalisation de l'industrie et de cohésion retrouvée » d'après le rapport Lemoine précité.
Dans la tradition des grands rapports à la française, ce rapport présentait 180 propositions, 9 projets sectoriels, 53 mesures transverses à lancer à court terme, 118 recommandations ayant vocation à alimenter un agenda triennal numérique pour la France. Celui-ci se compose de 85 propositions sectorielles et 33 projets transverses à mettre en oeuvre pour « inscrire durablement le numérique comme un levier de transformation de l'économie française ».
Cette approche intégrée contraignait les pouvoirs publics à s'affranchir des silos et des strates traditionnelles pour définir une vision et une stratégie à l'échelle de l'ensemble du gouvernement.
Élaboré au même moment, le rapport du cabinet Roland Berger de septembre 2014 56 ( * ) considérait également « l'aventure numérique » comme une chance pour la France : en accélérant leur transition numérique, les entreprises françaises auraient la capacité de doubler leur taux de croissance .
La pression concurrentielle due aux nouveaux entrants et à la comparaison des offres en ligne érode de 10 à 36 % l'EBIT 57 ( * ) tandis que la numérisation de l'entreprise permet d'améliorer cet indice jusqu'à 50 %.
Si elles accentuaient leur numérisation, les PME françaises pourraient, selon une étude Deloitte 58 ( * ) de 2016, réalisée pour le compte de Facebook, bénéficier d'une croissance du volume de leurs ventes sur le marché national et à l'export :
1) Sur le marché national :
Les ventes en ligne ont contribué à 40 % de la croissance totale des ventes en France ces dernières années. Les ventes réalisées par le biais du e-commerce ont crû près de 20 fois plus rapidement que les ventes globales.
Elles ont connu une croissance d'environ 70 milliards d'euros entre 2010 et 2014.
2) À l'export :
Au sein de l'Union européenne, les ventes en ligne ont augmenté de près de 300 millions d'euros entre 2011 et 2014, contribuant à 25 % de la croissance totale des ventes. Le renforcement de l'adoption des technologies numériques favoriserait un meilleur accès des PME au marché intérieur de l'Union européenne. En 2015, près de 60 millions de consommateurs européens ont réalisé des transactions transnationales, générant ainsi plus de 70 milliards d'euros de dépenses.
Actuellement, seuls 8 % des entreprises françaises vendent en ligne à des consommateurs dans d'autres pays européens, contre 10 % des entreprises allemandes.
La transformation numérique donne aux PME françaises un nouvel accès aux consommateurs étrangers. Celles qui l'ont initié ou réalisé sont trois fois et demi plus susceptibles d'exporter que la moyenne des PME françaises.
2. De nouveaux marchés pour les entreprises
Une numérisation totale de l'économie française , en la supposant réalisable, apporterait un surcroît de richesses sans précédent .
Dans un rapport de septembre 2014, le cabinet McKinsey estimait que si les technologies numériques étaient pleinement déployées, elles pourraient engendrer un gigantesque afflux de valeur économique, estimée à près de 1 000 milliards d'euros 59 ( * ) en France d'ici 2025. Cette valeur proviendrait à la fois de la valeur ajoutée générée par les entreprises et du surplus capté par les consommateurs.
Pour les entreprises, la numérisation est un impératif pour être compétitives. Cependant, être numérisées n'est pas une condition suffisante pour le rester.
Dans l'économie numérique, la concurrence est à la portée d'un clic et les entreprises accroissent leur dépendance aux consommateurs désormais capables de mettre en concurrence en permanence les offres disponibles. Les entreprises numériques doivent donc innover davantage que les entreprises traditionnelles afin d'améliorer sans cesse « l'expérience utilisateur », alors que la pression des nouveaux entrants est constante.
Comme l'ont indiqué à votre rapporteur les représentants du cabinet d'audit McKinsey lors de leur audition 60 ( * ) , « la transformation numérique des PME est urgente pour préserver leurs avantages compétitifs dans un environnement international digitalisé » car « les entreprises européennes championnes du digital sont trois fois plus rentables que leurs homologues moins digitalisées et croissent 4,5 fois plus vite ».
3. De nouveaux modes de consommation
La révolution du numérique a profondément changé le profil du commerce en quelques années. Depuis 2010, le chiffre d'affaires du commerce de détail a augmenté de + 18 %, contre + 160 % pour le commerce électronique.
En cinq ans, de 2012 à 2018, le commerce en ligne a doublé, passant de 307 à 602 milliards d'euros au sein de l'Union européenne.
Il reste marginal dans le volume total du commerce mais ce doublement souligne son fort dynamisme compte-tenu de la faible croissance annuelle du commerce traditionnel ; en France, sa part est passée de 4,2 % en 2013 à 6,2 % en 2018 pour atteindre 92,6 milliards, en hausse de 13,4 % par rapport à 2017.
Les 100 milliards d'euros devraient être dépassés en 2019.
Le montant moyen des transactions en 2018 avoisine 60 euros, soit 5 euros de moins sur un an. La baisse amorcée depuis 2012 se poursuit. Elle reflète une évolution des comportements d'achat sur internet qui concernent de plus en plus des produits du quotidien. Elle continue par ailleurs d'être compensée par l'augmentation de la fréquence d'achat. Cela entraîne un bond du nombre de transactions avec plus de 1,5 milliard de commandes enregistrées, soit une hausse de 20,7 % par rapport à 2017.
Mesurés en termes de visiteurs uniques par mois, les principaux sites du e-commerce sont au 1 er trimestre 2019, les suivants :
Amazon |
29 701 000 |
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Cdiscount |
20 157 000 |
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Fnac |
14 470 000 |
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Veepee |
13 380 000 |
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Booking |
12 210 000 |
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Oui SNCF |
11 833 000 |
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E.Leclerc |
11 554 000 |
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eBay |
11 295 000 |
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Carrefour |
11 041 000 |
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Wish |
10 849 000 |
Source : Baromètre Fevad / Médiamétrie de l'audience des sites e-commerce français
Débit 2019, 38,8 millions d'internautes avaient déjà effectué des achats en ligne, soit 87,5 % d'entre eux. Cela représentait 1,3 million de cyberacheteurs de plus en un an.
Globalement, les particuliers sont davantage `numérisés' 61 ( * ) que les entreprises françaises (15 ème rang sur 28 en Europe) : deux tiers des consommateurs français achètent en ligne mais 15 % seulement des PME françaises vendent en ligne selon le classement DESI, qui suit les progrès réalisés par les États membres concernant leur mutation numérique, contre 44 % des grandes entreprises .
Pour un dirigeant de PME ou d'ETI interrogé à l'occasion de l'étude conduite par Bpifrance en septembre 2017 62 ( * ) : « les clients roulent en Ferrari sur smartphone en 4G alors que le stock est encore géré au code barre en charrette à bras ».
Ce retard est d'autant plus préoccupant que la consommation électronique se déplace déjà de l'ordinateur vers le mobile.
Pour la toute première fois, fin 2018, 80 % des sites e-commerce du top 15 ont vu la part de leur trafic mobile dépasser celle de l'ordinateur. Cette évolution est plus qu'un simple changement d'écran. Elle entraine de véritables modifications de comportements auxquelles tous les sites marchands vont devoir s'adapter très rapidement pour répondre aux nouvelles attentes que cela fait naître chez les consommateurs.
Pour l'étude Deloitte précitée, les consommateurs français sont davantage susceptibles d'utiliser les solutions numériques mises à leur disposition que les entreprises françaises. Sept consommateurs sur dix achètent et paient en ligne en France. En comparaison, seule une grande entreprise sur deux et une PME sur huit font usage de solutions de vente en ligne .
Pourtant, les Français devancent leurs pairs européens en ce qui concerne la réalisation d'achats en ligne. 65 % des Français réalisent de tels achats contre 53 % des citoyens de l'Union européenne et une moyenne de 60 % des citoyens des cinq économies principales de l'Union européenne.
Les consommateurs français ont plus fréquemment recours à l'import dans le cadre de leurs achats en ligne que les autres européens. Tandis qu'ils ont un recours similaire aux importations pour leurs besoins de consommation habituels, les français sont six fois plus susceptibles que les allemands d'avoir exclusivement recours à l'import dans le cadre de leurs achats en ligne. Deloitte estime que « les PME françaises pourraient gagner jusqu'à 1,5 million de consommateurs domestiques 63 ( * ) en comblant leur retard par rapport aux PME allemandes ».
Pour le cabinet d'audit, six éléments sont nécessaires pour qu'une PME devienne une entreprise « numériquement performante » :
1) stratégie et innovation : se concentrer sur la valeur future alimentée par l'expérimentation ;
2) compréhension approfondie de la manière dont les clients prennent des décisions pour favoriser l'engagement, l'acquisition, la valeur et la fidélité ;
3) processus et parcours clients réinventés grâce aux processus automatisés et agiles ;
4) processus agiles, flexibles et collaboratifs d'organisation ;
5) architecture technologique prenant en charge les fonctions principales et le développement rapide ;
6) analyses clients utilisables et pertinentes liées aux objectifs et aux stratégies.
Ces six paramètres doivent être traités de manière intégrée.
* 53 « La nouvelle grammaire du succès. La transformation numérique de l'économie française », Philippe Lemoine, septembre 2014.
* 54 Désigne l'ensemble des activités d'une entreprise visant une clientèle d'entreprises, ou l'ensemble d'architectures techniques et logicielles informatiques permettant de mettre en relation des entreprises.
* 55 Après le « mouvement des pigeons » en 2013, l'État créée l'initiative French Tech, mission rattachée à l'Agence du numérique du ministère de l'Économie et des Finances, instance de dialogue entre la puissance publique et les entreprises françaises de croissance innovantes. La French Tech se constitue à partir des start-up, ne demande aucune aide publique mais la création d'un environnement favorable au développement de cet « écosystème ».
* 56 « Du rattrapage à la transformation, l'aventure numérique : une chance pour la France ».
* 57 L'EBIT, abréviation anglaise pour « earnings before interest and taxes », correspond en français à l'acronyme BAII pour bénéfice avant intérêts et impôts. Indice de la comptabilité des entreprises, l'EBIT équivaut au chiffre d'affaires net, après déduction des différentes charges d'exploitation qui incombent à une entreprise (charges salariales, cotisations sociales, achats de matières premières, consommations énergétiques, etc.). L'EBIT est différent de l' EBITDA . Il est le résultat de la soustraction de l'EBITDA avec les dotations en amortissements et provisions. Dans la norme comptable française, l'EBIT correspond donc au résultat d'exploitation d'une entreprise, et se différencie du bénéfice net par le fait que les impôts sur le bénéfice et les charges et produits financiers ne sont pas pris en compte. Cet indicateur est scruté par les analystes financiers car il donne une idée de la ressource dégagée par l'activité commerciale durant un exercice donné. Une entreprise peut afficher un EBIT positif mais un compte de résultat déficitaire, ce qui signifie que son activité est rentable malgré des charges financières très lourdes ou à cause d'un événement exceptionnel.
* 58 « Économie numérique : le digital, une opportunité pour les PME françaises », décembre 2016. Deloitte est un des quatre plus importants cabinets d'audit et de conseil mondiaux et, depuis 2009, le premier cabinet d'audit en France.
* 59 Estimations établies à partir des quantifications mondiales de création de valeur réalisées par le McKinsey Global Institute, Disruptive technologies : « Advances that will transform life, business, and the global economy », mai 2013. Ce rapport a passé au crible une centaine d'innovations technologiques et retenu les douze dont l'impact d'ici 2025 devrait être le plus substantiel sur l'emploi, la consommation et la croissance.
* 60 Audition du 19 mars 2019.
* 61 Exemples : achats de tablettes, usage d'internet au cours des 12 derniers mois, utilisation d'internet pour commander des biens ou ligne ou pour vendre des biens et services...
* 62 « Histoire d'incompréhension : les dirigeants de PME et ETI face au digital ».
* 63 Il y a plus de 30 millions de consommateurs en ligne en France. Si les entreprises françaises captaient 97 % de ces consommateurs domestiques, comme les entreprises allemandes le font, elles gagneraient 4,3 millions d'e-consommateurs additionnels. Pour les PME françaises, cela représenterait près d'1,5 million de consommateurs additionnels, sur la base de la supposition que la part de consommateurs captés par les PME françaises est identique à leur part du marché total du e-commerce, soit 35 %.