M. AUDITION DE M. PHILIPPE DARMAYAN, PRÉSIDENT DE L'UNION DES INDUSTRIES ET MÉTIERS DE LA MÉTALLURGIE (UIMM) (5 JUIN 2019)

M. Franck Menonville , président . - Monsieur Darmayan, nous avions au moins deux raisons de vous entendre dans le cadre de notre mission d'information : en tant que président des activités françaises d'ArcelorMittal, premier groupe sidérurgique français, européen et mondial, depuis 2015, et en tant que président de l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), l'une des plus anciennes confédérations patronales de France, pilier du Mouvement des entreprises de France (Medef), et l'une des plus influentes par la définition de sa doctrine sociale et par sa participation à la construction de la législation.

Je vous remercie tout d'abord d'avoir permis à notre mission d'information de se rendre le 14 mars sur votre site emblématique de Dunkerque, puis le 5 avril dans votre centre lorrain de Maizières-les-Metz, fleuron de la recherche sidérurgique.

Vous êtes un exemple de la méritocratie à la française. Diplômé d'HEC, vous avez eu une riche expérience industrielle : Péchiney, Framatome puis Arcelor. Vous avez mis ce parcours au profit de l'Alliance France Industrie, dont vous êtes le vice-président, qui a pour objectif d'adapter notre industrie à la révolution numérique du 4.0.

Hier, le délégué aux territoires d'industrie résumait la confrontation entre ces changements technologiques et la complexité croissante de notre régulation publique par une formule frappante : le temps de l'économie a été divisé par quatre - les mutations, la nécessité de réagir s'accélèrent -, or le temps administratif a été multiplié par quatre. Il y a là une perte d'efficacité et une réponse des politiques publiques complètement inadaptée aux attentes des industriels.

Dans l'émission « On n'arrête pas l'éco » sur France Inter, le 16 mars 2016, vous estimiez la sidérurgie européenne en danger. Le contexte a évolué mais on ne peut pas dire qu'il se soit amélioré. Les États-Unis et la Chine pratiquent le dumping et posent des problèmes de surcapacité. Nous devons faire preuve d'une extrême sensibilité vis-à-vis de la filière sidérurgique, qui est absolument stratégique. C'est pourquoi le Sénat est mobilisé.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - S'agissant du pilotage de la politique industrielle française, quel regard portez-vous sur la stratégie de filière mise en oeuvre par le Conseil national de l'industrie et le Comité stratégique de filière « mines et métallurgie » ? Estimez-vous que le dialogue entre l'État et les industriels soit de qualité ? Comment l'améliorer pour mieux définir une politique industrielle française et européenne ? Quel dialogue entretenez-vous avec les régions ?

Les filières consommatrices d'acier connaissent actuellement de profondes évolutions, l'exemple le plus parlant étant celui du diesel, qui est en perte de vitesse. En tant que vice-président de France Industrie et dans ce contexte, comment envisagez-vous l'avenir de la filière sidérurgique ? Comment aborder les transitions, dans le domaine du bâtiment, des énergies vertes, de la mobilité ?

Vous avez placé l'emploi, et en particulier l'apprentissage, au centre des priorités de votre mandat à l'UIMM. Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur des emplois qui ne sont pas pourvus dans le secteur sidérurgique ? Comment renforcer l'attractivité des emplois industriels, en particulier pour la filière sidérurgique ? Quel rôle joue l'apprentissage dans cette filière ?

La filière sidérurgique fait face à un enjeu extrêmement important, celui de la transition énergétique. Dans le cadre du système d'échange de quotas d'émissions européen, des quotas gratuits sont alloués aux entreprises de la filière, afin d'éviter le phénomène de fuite de carbone, et le seront encore jusqu'en 2030, mais leur volume diminuera.

Sans diminution des émissions, les entreprises du secteur devront donc acheter les quotas supplémentaires sur le marché. Dans ce contexte d'augmentation des prix du carbone et de diminution des quotas gratuits alloués, l'industrie sidérurgique pourrait avoir dans les années à venir un coût réel important pour ses émissions de gaz à effet de serre. La taxe carbone aux frontières vous semble-t-elle être l'outil adéquat pour protéger la compétitivité de l'industrie européenne tout en augmentant le prix du carbone en Europe ?

Enfin, le coût de l'énergie revêt une importance centrale pour les entreprises du secteur, qui sont très souvent électro-intensives. Quelle appréciation portez-vous sur les dispositifs de soutien aux électro-intensifs, comme l'abattement de tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe), l'interruptibilité ou encore la compensation carbone ?

Estimez-vous disposer d'une visibilité suffisante sur les coûts d'approvisionnement en électricité ?

M. Philippe Darmayan, président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie et d'ArcelorMittal France . - Depuis la création avec Emmanuel Macron, alors ministre, en 2015, du travail sur l'industrie du futur, nous militons pour l'industrialisation de la France en poussant les mutations actuelles, notamment technologiques, avec la perspective claire et unanimement partagée d'une économie décarbonée. La donne a tellement changé que nous pensons que c'est une chance pour la France, si celle-ci s'en saisit maintenant, que de réindustrialiser notre territoire. L'un des enseignements de la crise des gilets jaunes est que l'industrie est un facteur de stabilité du territoire. Une usine dans chaque village est un rêve, mais c'est aussi l'assurance de peupler le territoire en offrant des emplois stables mieux rémunérés que les autres. C'est un projet valable pour la France. J'ai créé, avec M. Philippe Varin, France Industrie, qui regroupe l'ensemble des fédérations industrielles et les grandes entreprises pour travailler à ce projet. Ce n'est pas du lobbying mais un projet mené avec l'État.

L'État a un rôle essentiel pour fixer les règles de la compétitivité. Le taux de charges est encore, en France, deux fois supérieur à celui de l'Allemagne. La fiscalité sur les coûts de production est nettement supérieure en France à ce qui est pratiqué dans les autres États européens. Il y a un consensus entre nous, Bercy et le Premier ministre sur ce vrai problème, même si l'on nous répond ensuite qu'il n'y a pas d'argent. Nous comprenons que la situation ne peut pas se régler immédiatement, mais ce constat, partagé, nous permet d'avancer.

Les industriels se sont engagés à se prendre en main, dans chaque entreprise, pour imaginer quels seront les marchés, les chaînes de valeur, l'emploi stable de demain. Nous travaillons sur une vingtaine de filières, de l'aéronautique à la construction en passant par l'agroalimentaire, avec le but que les industriels définissent eux-mêmes les grands enjeux de demain. Ensuite les projets seront menés ensemble, y compris avec l'aide budgétaire de l'État sur l'innovation.

Nous pouvons dresser un parallèle entre cette version optimiste et les événements actuels, qu'il s'agisse d'Ascoval, de General Electric ou de Ford. La presse demande si cette politique faillit, puisqu'il y a tous ces problèmes. La réponse est non. La sidérurgie est une industrie vieille créée sur les minerais de fer et de charbon autrefois abondants dans le Massif central ou la Lorraine mais qui n'existent plus. Tout cela entraîne des changements. ArcelorMittal est réparti sur une quarantaine de sites quand les Chinois n'en ont qu'un seul. Nous soutenons nos sites parce qu'ils sont riches en compétences et en expériences, mais il peut arriver qu'une difficulté se pose sur un produit en particulier. La presse parle de l'acier comme s'il était fongible ; or c'est totalement faux. Nous avons un amas de marchés segmentés de produits et d'alliages. Les billettes pour tubes ne peuvent pas servir à faire du fil ; les produits longs nécessitent de gros laminoirs. L'acier est d'une extrême diversité. Chaque site est outillé en compétences et matériels pour s'adresser à un segment particulier du marché. Il n'est pas toujours évident de transformer une installation pour qu'elle aille vers un autre produit.

Nous sommes une industrie ancienne et cyclique qui traverse actuellement une crise due à la plongée du marché dans une dérégulation profonde. Dans ce marché mondial, la France produit 15 millions de tonnes, en exporte 50 % et importe 50 % de sa consommation, soit un flux de 15 millions de tonnes également. Nous sommes dans un marché européen et l'Europe joue dans un marché mondial.

La dérégulation actuelle explique nombre des problèmes auxquels nous sommes confrontés actuellement.

Nous faisons face à des enjeux importants de compétences, de dérégulation du marché mondial et de transition vers une économie décarbonée. Du succès de ces trois grands enjeux dépend l'avenir de notre métier.

Le premier enjeu est celui des compétences. La sidérurgie, vieille industrie, évolue vers les automatismes et le numérique. Nous devons par conséquent rééquilibrer nos compétences et notre pyramide des âges. Des embauches sont nécessaires. Quelque 33 % des salariés ont plus de 50 ans et 25 % moins de 30 ans. Il faudrait que les personnes âgées de moins de 50 ans représentent plus des deux tiers des salariés.

Quelque 60 % des effectifs sont répartis sur trois bassins d'emploi : Dunkerque, Fos-sur-Mer et la Lorraine. Les 40 % restants sont partout ailleurs. Nous investirons dans les trois premiers bassins, quoi qu'il arrive, dans les prochaines années. Il faut donc préparer les compétences en ce sens. Quant aux sites plus isolés, excellents mais peu reliés les uns aux autres, nous devons mener un gros travail sur les compétences sur place. Effectivement l'apprentissage est l'une des solutions.

Les métiers de la sidérurgie évoluent et se rapprochent des autres métiers de l'industrie. Les métiers en tension sont notamment dans la maintenance, comme dans la chimie, dans la conduite de machines complexes ou de lignes de produits, comme dans toutes les industries mécaniques, ou dans la supply chain , qui est un métier très transversal. Aussi, l'IUMM travaille sur la définition de certificats de formation avec des unités de valeur afin de savoir quelles compétences supplémentaires apporter à tous nos salariés et de les former efficacement sur ce dont les filières industrielles ont le plus besoin. J'ai pour objectif d'augmenter de 10 % le nombre d'alternants dans la métallurgie, notamment dans la sidérurgie. Nous devons travailler avec les PME pour qu'elles trouvent toutes les compétences dont elles ont besoin. Nous menons une démarche industrielle et la sidérurgie trouve bien sûr sa place dans une problématique de correction de l'histoire.

Le deuxième enjeu est celui de la dérégulation. Après l'épisode de 2015, nous faisons face à un nouvel épisode d'aujourd'hui. En 2015, les Chinois ont pratiqué le dumping . Dans ce marché mondial, ils ne respectent pas les règles du jeu. Nous avons obtenu une taxe à l'encontre des pays faisant du dumping . Cela nous a offert un répit. Il faut continuer à être vigilant et, petit à petit, amener la Chine à réduire ses capacités. En effet, la surcapacité est la cause profonde de la situation actuelle. La production mondiale actuelle d'acier est de 1,6 milliard de tonnes pour une capacité de 2,3 milliards. Quelque 30 % de surcapacité, c'est énorme pour un marché. Or cette surcapacité se situe en Chine, ce qui signifie que ce sont les Chinois qui font le prix du marché. Tous les prix mondiaux évoluent en fonction d'eux. Quand les Chinois font du dumping , l'ensemble du marché mondial connaît une valorisation très inférieure.

Que Donald Trump décide de fermer les frontières américaines n'a pas gêné les exportations européennes vers les États-Unis. Nous savons depuis longtemps qu'ils sont protectionnistes et avons pris nos dispositions, mais le marché européen étant le seul marché ouvert, les importations qui ne se font plus vers les États-Unis sont allées vers l'Europe. Entre janvier 2017 et janvier 2018, les importations européennes, comme américaines, sont restées au même niveau. Mais entre janvier 2018 et janvier 2019, trois millions de tonnes supplémentaires ont été importées par l'Union européenne alors que les importations américaines ont baissé de trois millions de tonnes. Le problème ne provient pas tant de la Chine que de la Russie et de la Turquie. Nous sommes coincés à l'Est et au Sud par des importations massives. Les exportations turques vers l'Union européenne ont crû de 126 % en l'espace de quelques mois.

Très vite, nous avons été épaulés par l'Union européenne grâce à un système de quotas. Toute importation qui dépasse le volume fixé sur la base des importations des trois années précédentes est taxée. Mais le système n'est pas satisfaisant car c'est un système global qui a plutôt poussé à l'accélération des importations avant d'atteindre la limite de volume.

Le deuxième problème, urgent, est que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) impose que, tous les six mois, les quotas soient relâchés afin d'autoriser une augmentation des importations. Cela a été le cas en mars. Si l'on recommence bientôt, le système européen deviendra complètement inefficace. L'Union européenne doit durcir son système et imposer des quotas pays par pays, sans extension des volumes autorisés. C'est fondamental.

ArcelorMittal vient de réduire sa production de façon massive en Pologne en raison des importations russes, en Espagne et en Italie en raison des importations turques, et vient de décider de faire de même pour nos sites de Dunkerque et d'Eisenhüttenstadt en Allemagne. Nous sommes dans un marché de commodités, très sensible aux volumes. Si ces derniers augmentent, les prix tombent, dans un marché où le prix pour le consommateur reste toujours assez élevé. Nous sommes pris dans un squeeze qui affecte la marge des aciéristes. Celle-ci est actuellement extrêmement réduite, notamment sur les produits plats. Il est urgent que l'Union européenne réagisse. Il est important de revenir à un marché mondial régulé. Nous avons par ailleurs un marché de spécialité pour l'automobile extrêmement puissant mais qui ne représente que 20 % de nos volumes. Nous sommes, fondamentalement, des producteurs de commodités.

M. Franck Menonville , président . - Quelle pourrait être la réaction de l'Union européenne ?

M. Philippe Darmayan . - Nous recevons un soutien très positif de la France et de l'Allemagne. Nous attendons des États qu'ils fassent part à l'Union européenne de l'urgence de la situation afin qu'elle prenne des mesures de réduction ou de stabilisation des quotas.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Sans desserrement !

M. Philippe Darmayan . - Effectivement. Nous voulons aussi que les quotas soient établis pour chaque pays, y compris pour les produits laminés à chaud. Nous avons le soutien des gouvernements français, allemand, espagnol, belge et luxembourgeois. J'espère que le dossier avancera vite.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'enjeu est-il déterminant à très court terme ?

M. Philippe Darmayan . - Oui. ArcelorMittal n'aurait pas décidé de baisser sa production s'il n'y avait pas d'urgence.

Le troisième enjeu est la transition vers l'économie décarbonée. La production d'acier représente 7,6 % des émissions de CO 2 dans le monde. Nous produisons du CO 2 en ajoutant du coke pour désoxyder le minerai de fer. C'est chimique. Comment faire pour parvenir à une économie décarbonée en 2050, y compris dans nos métiers ? Nous travaillons sur les process . Par exemple, nous injectons de la ferraille pour réguler le taux de CO 2 par tonne d'acier. Nous améliorons nos hauts fourneaux en réutilisant la chaleur, comme vous l'avez vu dans notre projet Igar à Dunkerque. Nous substituons le coke par du bois comme au Brésil, avec du charbon de bois. Nous travaillons sur de nouveaux process jour après jour.

Nous voulons transformer aussi par innovation de rupture nos process de réduction du minerai de fer pour dégager non pas du dioxyde de carbone mais de l'eau. En ajoutant de l'hydrogène à l'oxygène de l'oxyde de fer, on obtient de l'eau. On peut aussi réaliser une électrolyse du minerai de fer comme pour l'alumine. Nous avons mis en place, à Maizières-lès-Metz, un process sur l'électrolyse, et lancé à Hambourg un projet pour fabriquer une solution à base de réduction par l'hydrogène.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - À quel horizon ces process pourraient-ils être mis en application ?

M. Philippe Darmayan. - Igar est mis en place. Le projet d'Hambourg en est au stade pilote ; il reste à vérifier la compétitivité du process. Celui relatif à l'électrolyse est encore à l'étude dans notre laboratoire. C'est tout le processus du haut fourneau que nous faisons évoluer.

Les aciéries électriques sont opérationnelles - la totalité de l'inox européen en est issue. Mais les investissements se font progressivement, en fonction de la quantité de ferraille disponible. Par définition, les marchés naissants n'en disposent pas, contrairement à l'Europe. Actuellement, la ferraille est recyclée à 90 %. Lorsque les prix baissent, le moment est favorable pour investir.

Une autre solution, dans la perspective d'une économie décarbonée, est l'utilisation du CO 2 comme matière première. Nous avons ainsi lancé une opération pilote pour produire de l'éthanol à partir du CO 2 , et un projet 3D à Dunkerque, subventionné par l'État, visant à concentrer le CO 2 , afin de le stocker dans les puits de Total en mer du Nord.

Tous ces projets sont risqués, car c'est un changement majeur de compétences mais ils sont passionnants pour nos ingénieurs, qui réinventent ainsi la fabrication de l'acier.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'usine ArcelorMittal Dunkerque, qui emploie près de 4 000 salariés, serait concernée par une mesure temporaire de réduction de la production. Quelles sont les modalités de cette réduction de la production ? Où se situent les opportunités de développement pour ArcelorMittal France ?

Le sujet de la taxe carbone est-il important pour vous ?

Pouvez-vous nous présenter le projet de démonstrateur de captage de CO 2 mis en place sur le site de l'usine de Dunkerque ? Quel est le montant du soutien public, français et européen, alloué au projet ?

M. Philippe Darmayan. - L'usine de Dunkerque est l'une des plus compétitives du groupe, et il n'y a pas de risque sur l'emploi. Nous procéderons, via des opérations de maintenance, à une réduction progressive de la production et nous espérons que cette phase sera de courte durée. Sur les trois hauts fourneaux, seul le troisième sera un peu ralenti. Le personnel est tenu parfaitement au courant.

Pour ce qui concerne la taxe carbone, l'Union européenne n'a pas pris en compte l'objectif de compétitivité équitable. C'est en Europe que la législation relative aux émissions de CO 2 est la plus dure, ce qui nous rend moins compétitifs que nos concurrents. Le carbone, qui était à 5 dollars, est monté à 15 dollars, ce qui pose problème. Nous militons - avec un certain succès si j'en crois les récents propos du Président de la République - pour que le système d'échange de quotas d'émission (ETS) soit complété par un dispositif d'ajustement aux frontières.

M. Marc Laménie . - Quels sont les secteurs d'application de la sidérurgie en France et en Europe ? Quelle est la place de l'industrie ferroviaire à cet égard ?

De quels moyens humains la sidérurgie dispose-t-elle ? Quelle est la pyramide des âges des salariés ? Ces métiers n'attirent pas forcément les jeunes ; quelles sont vos perspectives pour les faire connaître ?

Mme Martine Filleul . - Selon vous, la mutation actuelle de la sidérurgie peut représenter une opportunité pour la France ; encore faut-il pouvoir développer la recherche et l'innovation. Êtes-vous suffisamment aidés dans ce domaine par la puissance publique ?

Mme Angèle Préville . - Le processus d'électrolyse du minerai de fer ne semble pas encore au point. Savez-vous si, en Suède, le projet de fabrication d'acier à partir de l'hydrogène a abouti ?

M. Philippe Darmayan. - Pourquoi faire de l'acier dans notre pays ? Parce que cette production concerne l'ensemble des filières industrielles. Autrefois, un site lorrain était spécialisé dans les rails. Aujourd'hui, nous sommes à la pointe des alliages pour l'automobile grâce à notre centre de recherche, très réputé, de Montataire.

Les débouchés pour l'acier sont la construction à hauteur de 30 %, l'automobile pour 20 %, le métal et la mécanique pour environ 30 %. Le fait de produire dans un pays développé nous permet d'avoir un mix de produits comportant davantage de spécialités que d'autres aciéristes.

Les métiers de la sidérurgie sont enthousiasmants. Un laminoir à chaud, c'est une énorme machine qui tourne sur un kilomètre, grâce au savoir-faire et à la passion des ingénieurs et des exploitants. Pour informer les jeunes sur la réalité des emplois industriels - nous y consacrons d'ores et déjà des moyens -, il faut travailler sur l'apprentissage et l'orientation dès la classe de quatrième, en expliquant que ces métiers sont en train d'évoluer avec le numérique ; nous ne l'avons pas fait suffisamment par le passé.

Pour ce qui concerne le financement de la recherche, nous sollicitons l'État et l'Union européenne uniquement pour les innovations de rupture ; nous rejoignons alors des consortiums. Pour les autres projets, puisque personne ne sait faire notre métier mieux que nous - par exemple, fabriquer de l'acier avec des caractéristiques mécaniques permettant d'alléger les automobiles -, nous considérons que c'est à nous de financer la recherche.

Nous travaillons avec les universités pour la recherche fondamentale.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Et l'hydrogène ?

M. Philippe Darmayan. - Nous n'avons pas été les premiers à aborder le sujet. De manière générale, la Suède a su traiter avant nous les différentes questions relatives à l'économie décarbonée et, aujourd'hui, elle est bien positionnée. Pour notre part, nous essayons de rattraper notre retard.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - Que pensez-vous des dispositifs de soutien aux électro-intensifs ? Estimez-vous disposer d'une visibilité suffisante pour ce qui concerne les coûts d'approvisionnement en électricité ?

M. Philippe Darmayan. - Avant tout, il faut bien avoir à l'esprit que toutes les mesures mises en oeuvre pour produire de l'acier décarboné conduisent à une augmentation de la consommation électrique. Dès lors, plus le temps passe, plus nous aurons besoin d'une puissante industrie électrique de base, que l'énergie soit produite par le nucléaire ou par les ENR. De notre côté, nous ne pouvons pas développer nos process sans disposer d'une électricité dont les coûts ne seraient pas compétitifs. Dans le cas contraire, tous nos efforts de recherche seront réduits à néant.

En outre, en matière d'électricité, l'Allemagne a suivi au cours des dernières années une stratégie de pricing en faveur de l'industrie : grosso modo , dans ce système, le prix de l'électricité payé par les consommateurs permet de consentir des abattements en faveur de l'industrie. Nous avons obtenu un dispositif similaire de la part du gouvernement français, avec un abattement au titre des transports et une compensation CO 2 indirecte. Mais, aujourd'hui, l'avenir de ce dispositif nous préoccupe, étant donné l'augmentation du prix du carbone : si celui-ci est triplé, le volume des abattements triplera mécaniquement. Or nous sommes conscients des contraintes budgétaires qui s'exercent en France.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - C'est bien un sujet qui intéresse le prochain projet de loi de finances.

M. Philippe Darmayan. - Nous espérons bien que ce dispositif sera confirmé...

M. Franck Menonville , président . - En tout cas, le rendez-vous est pour 2020.

Mme Valérie Létard , rapporteure . - L'enjeu du prochain budget sera la sécurisation du dispositif.

M. Philippe Darmayan. - Exactement. Je précise que, pour la fabrication de l'acier, le prix de l'électricité varie entre 15 et 30 euros la tonne. Or, pour l'aciérie électrique, l'Ebitda à la tonne varie entre les mêmes montants : la question est donc extrêmement sensible. Les industries du ciment ou de l'aluminium sont d'ailleurs dans la même situation.

M. Franck Menonville , président . - À l'avenir, la consommation d'électricité augmentera nécessairement, du fait de l'essor des mobilités et des besoins industriels. À vos yeux, ces besoins croissants sont-ils bien pris en compte dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ?

M. Philippe Darmayan. - Selon nous, le chemin de la PPE doit être modifié, de manière réaliste et sans tabou. Il faut prendre en compte les économies d'énergie et les forts investissements qu'elles impliquent. Il ne faut pas sous-estimer les enjeux de croissance ; il ne faut pas non plus se focaliser sur un réacteur nucléaire en particulier - ce n'est pas le sujet. La véritable question est : comment produire une énergie à la fois délocalisée pour les particuliers et produite en quantité suffisante, pour garantir une véritable puissance industrielle ?

Prenons garde, ne nourrissons pas trop de rêves au sujet des ENR : aujourd'hui, on n'est pas en mesure d'anticiper les évolutions en la matière. Je n'ai rien contre ces énergies, qui sont une véritable solution pour les consommateurs - je pense notamment au solaire. Mais il faut avancer avec prudence, en évitant autant que possible les polémiques.

La PPE doit prendre en compte les impératifs des industries énergétivores, en particulier pour la production d'acier. Voilà pourquoi M. Philippe Varin et moi-même sommes en train de travailler, au sein de France Industrie, pour aider l'État à avancer de la manière la plus rationnelle possible. Nous allons essayer de réunir une équipe à cette fin.

M. Franck Menonville , président . - Merci de cet éclairage.

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