PRÉSENTATION DU RAPPORT EN RÉUNION DE DÉLÉGATION LE 23 AVRIL 2020
Réunie le 23 avril 2020 en visioconférence, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a entendu la communication de M. Jean-Marie Bockel sur les conclusions de la table ronde du 19 décembre 2019 « Alimentation saine et durable : quels moyens d'action pour les collectivités ? ».
M. Jean-Marie Bockel, président . - J'en viens maintenant aux conclusions de la table ronde que nous avions organisée le 19 décembre dernier sur la thématique « Alimentation saine et durable : quels moyens d'action pour les collectivités ? ». Cette question des circuits courts en plein confinement a pris une importance que nous n'imaginions pas, à l'aune des initiatives prises par les producteurs, les commerçants et les collectivités. Ce n'était néanmoins pas le seul aspect de la table ronde que nous avions eue à l'époque.
Nous avions organisé nos débats en deux séquences avec une première discussion sur les arrêtés anti-pesticides pris par MM. Daniel Cueff, maire de Langouët et Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers. Sans revenir sur le débat, il était très intéressant d'observer la complémentarité entre un maire rural et un maire urbain sur la question de l'interdiction ou non des glyphosates, sujet transpolitique, puisque les villes de Sceaux ou d'Antony ont pris les mêmes dispositions.
La seconde séquence était consacrée aux bonnes pratiques locales en matière d'alimentation saine avec la ville de Mouans-Sartoux, cheffe de file dans le programme européen « Biocanteens » pour diffuser de bonnes pratiques, représentée par M. Gilles Pérole, maire-adjoint et président de l'association « Un plus bio ». Était également représentée, pour un milieu plus urbain, Dijon Métropole, pour le projet « Alimentation durable 2030 », sélectionné par le Gouvernement dans le cadre du programme d'investissements d'avenir « Territoires d'innovation », avec la présence de M. Benoît Bordat, conseiller métropolitain délégué à l'agriculture périurbaine.
Nous avions également invité deux collègues sénateurs au titre de leurs travaux et de leur intérêt pour ces questions : Joël Labbé, jadis membre actif de notre délégation et auteur de la proposition de loi qui fut à l'origine de la loi du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national - qui constitue un premier pas -, et Françoise Cartron, co-rapporteure avec Jean-Luc Fichet au sein de la délégation à la prospective, sur le thème de l'alimentation à l'horizon 2050.
Nous avions fait le constat que les élus locaux sont naturellement en première ligne sur les questions de santé et d'alimentation saine des populations, et nous attendions de nos invités qu'ils nous présentent leurs expériences concrètes.
Je rappelle les bonnes pratiques et les préconisations qu'ils nous ont présentées :
- étendre progressivement la pratique de non-utilisation de produits phytosanitaires aux cimetières et terrains de sports. La loi du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national ne l'interdit pas mais ne l'impose pas davantage ;
- encourager le développement des projets alimentaires territoriaux créés par la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, d'une part, par l'élaboration d'un référentiel commun, en prenant exemple sur les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et, d'autre part, en respectant la diversité des stratégies des parties prenantes et des territoires concernés (création de régie agricole municipale, formation des chefs de projets en alimentation durable, etc.) ;
- nouer des alliances de territoires et de collectivités pour favoriser les interactions entre territoires urbains et ruraux. Je crois beaucoup à ce sujet, qui avait d'ailleurs été abordé lors d'un déplacement dans le Gers dans le cadre d'un travail précédent de notre délégation sur les ruralités. Je pense que nous pouvons aller plus loin dans ce domaine, par exemple en identifiant ou en faisant l'acquisition de friches ou terres agricoles reconvertibles en circuits courts ou agriculture biologique. On présente très souvent les grandes agglomérations comme minées par le mitage territorial. Il faut donc une solution alternative pour pallier cette tentation qu'ont souvent les agriculteurs de vendre. Dans cette perspective d'alliance territoriale, il pourrait également être intéressant de regrouper les marchés publics des collectivités et établissements publics pour une meilleure efficacité dans ce domaine. L'alliance des territoires est un sujet que je viens d'aborder de manière générale et pourrait faire l'objet d'un travail approfondi.
Il nous avait été ensuite présenté les idées de réserver le classement des terres agricoles périurbaines dans les plans locaux d'urbanisme et les projets de territoires et de promouvoir le changement des pratiques de consommation et la lutte contre le gaspillage alimentaire pour contenir les coûts d'approvisionnement locaux.
Ces bonnes pratiques ne nécessitent pas de modification du cadre réglementaire et législatif existant. Elles méritent cependant d'être plus largement partagées. Cela correspond à la philosophie de notre délégation que de promouvoir ce « droit souple », adaptable à chaque situation locale, plutôt que l'adoption de règles rigides et parfois inadaptées où l'on croit régler un problème tout en en créant un autre.
Enfin, et ce sont là les dernières propositions que nous pourrions formuler, il pourrait être pertinent :
- d'autoriser les communes à exercer un pouvoir réglementaire d'adaptation locale dans le cadre de la protection de la santé des administrés et en cas de danger grave ou imminent impliquant des produits phytosanitaires. Ce sujet est controversé du fait des abus ou des situations pouvant fausser la concurrence ;
- de reconnaître explicitement une compétence agricole aux collectivités territoriales, notamment pour les métropoles au titre de la différenciation. Certaines s'en saisissent d'ailleurs déjà dans le cadre de la compétence économique ;
- de rendre possible l'octroi de gré à gré aux petits producteurs locaux d'une fraction des allotissements de marchés publics : il s'agirait de proposer une exception alimentaire dans la réglementation européenne des marchés publics. J'ai eu personnellement beaucoup de mal à faire évoluer mes cantines dans le cadre juridique qui m'était proposé.
La préconisation la plus polémique et la plus politique concerne le pouvoir des maires au sujet de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques (pesticides, glyphosates). Cette question fait l'objet de discussions en notre sein. Nous n'allons donc pas faire une recommandation sur ce point mais nous pourrions au moins nous accorder sur l'intérêt de l'évoquer au titre des préconisations des élus locaux, afin qu'elle puisse ultérieurement être abordée dans le cadre du débat parlementaire, ne serait-ce que pour clarifier la jurisprudence administrative sur le conflit de compétence entre l'État et la commune. Un cadre général est nécessaire mais il faut également une souplesse liée aux différentes situations des territoires.
J'en ai désormais terminé et j'ouvre la discussion sur la présentation de ce rapport issu de cette table ronde.
Mme Sonia de la Provôté . - Ce rapport est intéressant et traite de sujets devenus d'actualité. Il convient probablement de faire évoluer les pratiques, notamment cette forme de refus permanent, sur le plan administratif, de prendre en considération la dimension locale dans les appels d'offres, ce qui devrait pourtant être une évidence. Nous avons besoin de faire appel à nos producteurs locaux, ne serait-ce que pour encourager la filière, rendre viable sur le plan économique le fonctionnement de leurs entreprises, ainsi que pour des raisons sanitaires. La production locale est de bonne qualité sans nécessairement être bio.
Dans mon département, nous avons ouvert des marchés pour favoriser les produits locaux. Sur la question des circuits courts, nous avons un sujet car la grande majorité des maraîchages viennent de la Manche, donc du département voisin. Peut-être vaut-il mieux qualifier cette notion de circuits courts et y mettre un cadre ? Le critère de la distance en kilomètres ne nous permet pas de favoriser efficacement les produits locaux.
Je voudrais également indiquer que plusieurs SCoT ont mis en place des programmes alimentaires territoriaux avec les chambres régionales ou départementales d'agriculture et les élus. Ce type de programme, soutenu par des fonds régionaux et européens, est un outil extrêmement intéressant pour traiter l'ensemble des sujets qui viennent d'être évoqués, qu'il s'agisse des circuits courts, des appels d'offres ou de l'agriculture périurbaine. Je pense donc qu'il faudrait favoriser leur développement.
M. Daniel Chasseing . - Sur la non-artificialisation des terres en zone périurbaine, j'estime qu'il faudrait modérer cela en milieu rural. Cela entraîne des retombées néfastes car les permis de construire, déjà peu nombreux, s'en trouvent restreints. Concernant l'exception alimentaire des marchés publics, la chambre d'agriculture du département de la Corrèze crée des plateformes pour permettre aux agriculteurs d'exploiter les circuits courts. Mais nous connaissons beaucoup de difficultés liées à l'indemnisation du « prix de journée ». Les conseils départementaux en difficulté restreignent au maximum ces prix, ce qui rend le développement des circuits courts très difficile, notamment en ce qui concerne le coût de la viande.
M. François Calvet . - Je souhaite intervenir sur le problème plus global de l'accès aux marchés pour les petits producteurs. Ils ne peuvent fournir la quantité nécessaire aux cantines centrales, dont les produits ne sont jamais issus du terroir et ne font pas travailler notre agriculture, pourtant capable de fournir de très bons produits. Au lieu de cela, il faudrait multiplier les cantines locales. Si une clause de territorialisation des marchés ne peut être mise en place, nous aurons toujours beaucoup de difficultés à faire travailler les entrepreneurs locaux. Il faut veiller à laisser un peu de marge de manoeuvre aux élus locaux. Auparavant, le représentant de la direction de la consommation venait dans nos marchés. Ce n'est plus le cas. Si l'État veut envoyer un représentant, très bien, mais qu'il fasse confiance aux élus locaux pour renforcer l'économie locale.
M. Hervé Gillé . - J'ai également présidé un SCoT avec un partenariat sur un programme alimentaire territorial. Je pense qu'il s'agit effectivement d'une voie de coopération territoriale très intéressante. Je suis favorable à ce que les SCoT soient intégrateurs pour le développement de politiques plus globales à l'échelle d'un territoire. On constate de grandes difficultés pour organiser les circuits logistiques au sein d'un territoire. Ce sujet est essentiel pour configurer la chaîne de distribution, notamment celle menant des légumeries à la restauration scolaire.
Enfin, sur la gestion foncière, je pense que nous manquons encore d'objectivité aujourd'hui sur le droit à construire. Il serait intéressant d'obtenir une évaluation afin de cerner si, en milieu rural, les contraintes sont si importantes que cela et empêchent le développement du droit à construire.
M. Jean-Marie Bockel, président . - Nous allons veiller à ce que les sujets que vous venez tous d'évoquer viennent enrichir les propositions issues de la table ronde, notamment sur la question de la logistique. Les bonnes pratiques que je vous ai présentées pourront ainsi être complétées. Ce rapport est un point de départ sur un sujet qui montera nécessairement en puissance avec l'expérience du confinement.
Sur la question des pesticides, le fait que nous traversions une période où la pollution s'estompe risque de faire monter le niveau d'exigence chez nos concitoyens en la matière. Logiquement, sur les enjeux climatiques et environnementaux, le monde ne pourra plus être comme avant.
La publication du rapport est autorisée au cours de la réunion du 13 mai 2020.