EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie jeudi 19 novembre 2020 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean Bizet, André Gattolin et Jean Yves Leconte, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean-François Rapin , président . - Je vous remercie pour ce rapport qui nous interpelle et nous inquiète. Le propos de Jean Bizet laisse une impression de relation sur le mode « je t'aime, moi non plus ». Celui de Jean-Yves Leconte montre un État dur. Et celui d'André Gattolin laisse voir une crise sanitaire utilisée comme prétexte pour renforcer des mesures très autoritaires.

Concernant la pandémie, notons qu'il est difficile de récupérer des informations fiables de certains pays comme la Hongrie.

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - La Pologne est passée au travers de la première vague et n'a donc pas pris de mesures suffisantes. Au cours des dernières semaines, la situation s'est aggravée, les hôpitaux sont surchargés, les gens meurent dans les ambulances...

M. Claude Kern . - Je tiens à m'associer à mes collègues rapporteurs, car en tant que président du groupe d'amitié France-Hongrie, je ne peux que confirmer leurs constats. L'un de mes amis hongrois vient d'être réélu maire de sa ville. Il a dû batailler pour sa réélection car il n'est pas membre du Fidesz et le gouverneur de sa province avait lancé une attaque judiciaire contre lui en montant de fausses preuves pour le déstabiliser. Il a gagné de justesse, mais en est sorti meurtri. Les Hongrois ont une autre vision que nous de la démocratie ; l'État de droit n'y est pas respecté, et nous ne pouvons pas accepter cela au sein de l'Union.

M. Jean - François Rapin , président . - Dans ces circonstances, on se demande comment le Pacte sur la migration et l'asile pourra aboutir, notamment dans son troisième volet, celui de la solidarité.

M. Claude Kern . - Le seul contact que j'ai réussi à maintenir avec la Hongrie est avec l'Ambassadeur de Hongrie en France, M. Georges Károlyi. Mon homologue hongroise ne répond plus au téléphone et, la dernière fois que j'ai pu lui parler, elle m'a recommandé de passer par l'Ambassadeur...

M. Pierre Laurent . - Je tiens à féliciter mes collègues pour ce rapport très documenté, et ajouter quelques remarques.

La situation est grave, parce que l'État de droit n'est pas respecté et que ces pays utilisent leur veto contre le CFP. Cela nous met dans une situation de risque d'un compromis dangereux pour parvenir à adopter le CFP. Nous avons déjà connu cette situation au moment des vagues de migration quand nous poursuivions une issue solidaire de l'Union européenne, à laquelle nous ne sommes finalement pas parvenus.

Le rapport souligne que le Parlement européen a adopté, le 12 septembre 2018, une résolution invitant le Conseil à constater l'existence d'un risque de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l'Union est fondée, ce qu'il n'a pas fait.

Le travail politique doit être fait en direction de la Hongrie, mais aussi de l'ensemble des pays européens si nous ne voulons pas déboucher sur un compromis inquiétant sur le CFP.

Je tiens néanmoins à exprimer une divergence d'opinion sur un point de votre rapport. La situation de la Hongrie est bien entendu très particulière, mais elle est le signe exacerbé d'une crise politique qu'on observe dans toute l'Union européenne et qu'on ne peut donc pas se contenter d'analyser comme une spécificité hongroise. Des poussées nationales populistes du même type s'observent dans d'autres pays européens. Ces forces ne sont pas au pouvoir partout, mais elles influencent les politiques menées. Cette situation préoccupante devrait conduire à s'interroger sur la manière dont nous sommes en arrivés là. L'Union européenne a été construite comme un marché très concurrentiel qui se trouve aujourd'hui en crise profonde. À leur entrée dans l'Union, les pays de l'Est se sont vus imposer un traitement de choc qui a engendré un phénomène d'appauvrissement et des départs massifs de population. Cela se paie aujourd'hui par un retour de nationalismes violents. Les poussées nationales populistes sont principalement de droite et d'extrême-droite. Rappelons que Viktor Orban a siégé de très nombreuses années au sein du groupe du Parti populaire européen (PPE) au Parlement européen. La réflexion sur les raisons de cette situation politique devrait être plus profonde. J'entends ce qu'indique le rapport sur l'histoire de la Hongrie et le rapport de la Hongrie à l'Europe. Mais je réfute l'idée qu'il y aurait un problème hongrois avec l'Europe. Il y a un problème des dirigeants actuels de la Hongrie avec l'Europe. Quand la Hongrie est entrée dans l'Union, elle était gouvernée par des dirigeants qui n'étaient absolument pas anti-européens.

Comme vous l'indiquez dans votre rapport, mes chers collègues, il faut encourager les relations avec les collectivités territoriales qui peuvent être un moyen de continuer d'entretenir un dialogue avec les forces démocratiques et progressistes hongroises qui résistent à cet état de fait dans des conditions extrêmement difficiles.

Qu'appelle-t-on réellement « respect de l'État de droit » dans les conditions exigées par le plan de relance ? Comment ce mécanisme pourrait-il fonctionner ? Quelle serait l'effectivité de cette condition que rejette la Hongrie actuellement ? De quelle façon pourrait-on ne pas distribuer les aides européennes à un pays sur ce critère ?

M. Pascal Allizard . - Je tiens à remercier et féliciter nos collègues pour la qualité de leur travail. C'est avec plaisir que j'adopterai ce rapport qui fait part d'une situation qui se dégrade.

Chacun doit faire sa partie du chemin. La potion ultra-libérale ordonnée à certains pays pour les faire sortir du communisme a certainement été imposée de façon un peu trop raide et rapide, mais les fonds versés par l'Union européenne n'ont peut-être pas été bien utilisés.

Par ailleurs, l'Union européenne, ses dirigeants politiques et ses hauts fonctionnaires doivent s'interroger sur leurs pratiques. Il y a quelques années, lors d'une réunion sur les problèmes migratoires à Bruxelles, où se posait la question du positionnement des hotspots - les conserver sur la rive nord de la Méditerranée ou les implanter sur la rive sud -, je me suis vu répondre par un haut fonctionnaire européen : « M. le Sénateur, je ne répondrai pas à votre question car elle n'entre pas dans mes convictions ». Ce type de propos et donc de pratique est particulièrement inquiétant. Ceux qui prétendent défendre le projet européen, en se comportant de la sorte, le pénalisent grandement.

Enfin, Pierre Laurent a parlé de l'appartenance de Viktor Orban au PPE. Il y a un peu moins de deux ans, j'appartenais à une délégation restreinte qui comprenait des membres des Républicains et des représentants du PPE. J'y ai constaté, dans nos discussions, la lente, mais certaine dérive de Viktor Orban vers le populisme et les positions que nous lui connaissons aujourd'hui. Trois grands types de positions, géographiquement marquées, apparaissaient : mes collègues du nord de l'Europe plaidaient pour une exclusion immédiate, les pays de l'Europe intermédiaire - France, Allemagne, Italie - étaient pour une médiation, les pays situés plus au sud ou à l'est défendaient quant à eux un statu quo . Après des heures de discussions, c'est la médiation qui a été retenue et on sait qu'elle n'a pas apporté grand-chose. Mais Manfred Weber, le président du groupe PPE au Parlement européen, s'est prononcé il y a deux jours pour que le parti de Viktor Orban soit expulsé de ce groupe.

M. André Reichardt . - Je souhaite féliciter les auteurs de ce rapport dont les constatations ne m'étonnent malheureusement pas, notamment sur les manquements à l'État de droit.

Ce comportement de la Hongrie aura des conséquences sur le devenir de l'Union européenne, notamment pour le Pacte sur la migration et l'asile. Le 5 novembre dernier, nous avons auditionné Mme Ylva Johansson, Commissaire européenne chargée des affaires intérieures. Je lui ai demandé si elle croyait elle-même à ce pacte, notamment dans son volet relatif à la solidarité, ce à quoi elle m'a répondu que les échecs ne doivent pas empêcher d'espérer pour l'avenir. Mais la question de l'opposition forte d'une minorité à toute espèce de solidarité en matière migratoire est majeure. Je crains que le Pacte sur la migration et l'asile se heurte aux mêmes difficultés que celles que nous avons rencontrées par le passé. Comment avancer face à de tels comportements ? En viendra-t-on à prendre acte de l'absence d'évolution du dossier ou peut-on envisager une amélioration de la situation dans l'avenir, incluant naturellement la Hongrie ? Indépendamment du fait que le comportement de ce pays est inacceptable au sein de l'Union européenne, la répercussion immédiate est la démolition de tout espoir d'obtenir des résultats sur certaines politiques fortes, comme le Pacte migratoire. C'est toute l'Union qui en pâtit et pas seulement la Hongrie.

M. Jean-François Rapin , président . - Que l'on soit fédéraliste ou non, nous avons besoin de plus d'Europe sur trois sujets essentiels : le Parquet européen, le CFP avec le plan de relance, et la gestion des frontières extérieures. La Hongrie bloque sur chacun d'eux.

M. André Gattolin , rapporteur . - J'ai eu la chance d'aller souvent en Hongrie en 1987 et 1988. J'ai observé l'évolution du Fidesz, ce mouvement européen de jeunes - l'âge limite d'adhésion était à 35 ans - qui recueillait pourtant le plus de votes chez les plus de 65 ans. Le parti, qui devait incarner le renouveau européen de la Hongrie, est devenu la coqueluche des nostalgiques de l'ancienne Hongrie !

Quand nous étions à Budapest, il y avait une exposition sur le traité de Trianon que nous n'avons pas eu le temps de visiter, mais les affiches étaient frappantes. Les régimes successifs ont fait une réécriture de l'histoire. Levente Magyar, jeune vice-ministre des affaires étrangères, secrétaire d'État chargé de la diplomatie économique et commissaire ministériel aux affaires francophones, nous a présenté une histoire totalement révisionniste de l'Autriche-Hongrie !

Pourquoi Viktor Orban, même s'il s'arrange avec le système électoral, est aussi populaire ? Parce qu'il a donné la citoyenneté à tous les Hongrois établis hors de Hongrie, soit 2 millions de personnes. Il a ainsi réparé le sentiment d'humiliation nationale infligé par le traité de Trianon à la Hongrie en réduisant sa population et son territoire. La popularité de Viktor Orban s'explique aussi par sa politique industrielle extrêmement dynamique. Grâce au dumping économique qu'elle offre, la Hongrie, qui n'était pas un pays très industrialisé, est devenue l'un des principaux points de sous-traitance de l'automobile et des machines-outils allemandes et autrichiennes.

Concernant les fonds européens, on ne peut pas dire que Viktor Orban ou ses ministres se sont enrichis. En revanche, ce sont quelques consortiums de leur entourage qui remportent généralement les appels d'offre européens, des bureaux d'étude qui sous-traitent ensuite l'exécution des projets à des sociétés souvent allemandes et autrichiennes et qui prennent au passage une commission de 25 %. On voit là la limite de nos procédures de contrôle.

Pierre Laurent, vous posiez la question des conditions exigées par l'Union européenne en matière d'État de droit ? La condition initiale est l'indépendance de la justice, c'est-à-dire, la garantie que la justice s'exerce de façon impartiale lorsque des recours de l'Union ou de citoyens sont déposés par rapport à l'usage des fonds européens ou d'autres détournements économiques.

Au cours de notre mission, nous avons rencontré un député du parti d'extrême-droite Jobbik qui expliquait que les antisémites avaient été exclus de leur parti, et qu'il était favorable au Parquet européen. Cela peut surprendre, venant d'un parti nationaliste, mais le Parquet européen est pour eux la seule manière de se débarrasser du régime actuel en ce qu'il institue un contrôle extérieur. La situation est donc étonnante : l'extrême-droite s'associe aux sociaux-démocrates et aux libéraux pour présenter des candidatures uniques face au régime, un peu selon la méthode Alexeï Navalny en Russie, qui consiste à faire front contre le régime en place, dans la diversité.

M. Jean Bizet , rapporteur . - Comme mon collègue André Gattolin, j'insiste sur le fait que, pour comprendre la Hongrie aujourd'hui, il faut comprendre le poids de l'histoire, notamment les conséquences du traité de Trianon de 1920. Le nationalisme hongrois exacerbé a pour pendant un grand attachement à l'Union européenne. Viktor Orban a bien organisé un système assez huilé. Il est difficile de voir comment la corruption a pu s'installer.

Pierre Laurent, il faut effectivement que l'Europe se donne les moyens de faire respecter l'État de droit car, par son essence même, l'Union européenne n'est pas qu'un « tiroir-caisse », ce sont des valeurs. Il faut donc exiger que la Hongrie rejoigne le Parquet européen et qu'il y ait dans ce pays une véritable liberté de la presse.

Les Allemands, qui ont davantage investi que les Français, tant sur certains aéroports que dans la filière automobile, constatent à leurs dépens une réelle « magyarisation » de l'économie.

Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, a commencé à dire qu'il faudrait pouvoir avancer sans la Hongrie, la Pologne et la Slovénie qui bloquent actuellement l'ensemble des États membres. Nous allons devoir inventer un moyen pour ne pas être tirés par le bas, notamment sur le plan de relance.

M. Jean-François Rapin , président . - Il y a bien le système des douzièmes permettant d'attendre l'accord mais la vraie question est celle qui passe par les parlements, celle des ressources propres pour financer l'emprunt, et sur cela, il faudra un accord unanime.

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Je suis gêné par les propos de Pierre Laurent sur la pression mise sur les pays de l'Est. Pour avoir habité dans des pays de l'Est depuis 1990, je n'ai pas le sentiment qu'on leur ait imposé quoi que ce soit. Au contraire, pendant les années 1990, j'ai plutôt eu l'impression que ces pays nous reprochaient de ne pas leur permettre une intégration suffisamment rapide dans l'Union, par rapport à ce que cela symbolisait en matière de liberté, de démocratie et d'État de droit. Nous n'avons pas répondu à temps lorsqu'ils voulaient nous rejoindre pour ces raisons car nous voulions traiter d'abord les questions économiques. Aujourd'hui, la popularité de Viktor Orban s'explique entre autre par une politique sociale que le parti social-démocrate n'a jamais menée. Il en est de même en Pologne.

L'opposition considère que Viktor Orban fait peu pour l'économie hongroise et répond largement aux intérêts de l'économie bavaroise, notamment dans le secteur de l'automobile. La liaison CSU / Fidesz n'est pas insignifiante.

Les mécanismes de conditionnalité, le Parquet européen et l'État de droit sont des sujets liés en Hongrie. Ce qui compte est de défendre le système, le régime, les amis du régime, et les moyens de s'enrichir. Tout le système a été mis en place pour cela. Si le Parquet européen existait, le système pourrait tomber rapidement car il y aurait de véritables enquêtes. C'est la raison pour laquelle les gouvernants hongrois n'en veulent pas. Y-aura-t-il un accord ? Les Hongrois ont besoin de cet argent, ne serait-ce que pour le détourner... Orban a déclaré qu'il exige des critères objectifs et des voies de recours. Il construit donc son argumentation sur la base même de l'État de droit car il sait parfaitement jusqu'où il peut aller. Nous parviendrons sans doute à un accord, mais il faudra être vigilant en permanence.

L'absence de drapeaux européens, partout où nous nous sommes rendus lors de notre mission en Hongrie, y compris à la commission des affaires européennes, doit nous inquiéter. Les Hongrois savent ce qu'ils doivent à l'Europe et ce que l'Europe représente. On ne tient pas impunément le discours hongrois pendant 30 ans sans que la population devienne anti-européenne. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, mais cela pourrait arriver.

Sur la question du Pacte sur la migration et l'asile, le cynisme de la Commission européenne est sans nom : puisque la Hongrie refuse d'être solidaire dans l'accueil, ne pourrait-elle pas l'être pour les retours et faire procéder par ses policiers hongrois aux renvois hors d'Europe ?

À l'issue du débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

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