II. REPLACER LA LUTTE CONTRE LA CONSOMMATION D'ESPACE DANS UN PROJET GLOBAL DE TERRITOIRE

A. AGIR SUR LES CAUSES ET NON LES SYMPTÔMES DE L'ARTIFICIALISATION

Les mutations de l'espace urbain et des territoires français doivent s'interpréter à la lumière des évolutions qui ont parcouru la société française au cours des dernières décennies . Ainsi, l'artificialisation ne doit pas être vue comme un phénomène « hors sol », dont les aménageurs ou les décideurs locaux porteraient la responsabilité, mais bien comme l'expression de tendances de société plus larges. En particulier, elle est directement liée :

• au phénomène de périurbanisation , lui-même le résultat de la croissance et du pouvoir d'attraction des métropoles . Concentrant de manière croissante la population, l'activité et les services, les métropoles se sont fortement densifiées , au prix de nouvelles constructions et de l'intensification de l'usage des sols. L'attractivité de ces pôles urbains, conjuguée avec la hausse des prix du foncier dans les villes centres, a conduit à une urbanisation forte des « couronnes », d'abord en périphérie directe, puis dans les couronnes plus éloignées. Ce sont aujourd'hui ces communes de taille moyenne, peu denses, dont le rythme d'artificialisation est le plus élevé ;

• à une tension croissante sur l'offre et le prix du foncier . La hausse des prix du foncier, dans la plupart des zones urbaines et dynamiques, et sa rareté croissante, ont conduit les ménages à se diriger de façon croissante vers les périphéries , moins onéreuses. Dans ces zones auparavant peu urbaines, la construction nouvelle s'est souvent réalisée sur des terrains non artificialisés et selon des modes pavillonnaires. Par ailleurs, dans les zones déjà artificialisées, la dégradation de l'état du bâti ou l'état de pollution de certaines friches tendent également à renchérir le prix de l'existant vis-à-vis des terrains agricoles et naturels vierges. Enfin, cette cherté renforce certains phénomènes spéculatifs , fondés sur l'augmentation des prix des terrains rendus constructibles ;

• aux besoins croissants en termes de mobilité, en lien avec l'accroissement des distances et la périurbanisation. La croissance du réseau routier et aérien au cours des dernières décennies a augmenté l'emprise au sol des infrastructures de transport, qui représentent 28 % des terres artificialisées en France ;

• à la relative déprise agricole , liée aux mutations de l'économie française. Le secteur agricole a vu son poids dans le PIB diminuer de moitié entre 1988 et 2013, tout comme l'emploi agricole et le nombre d'exploitations agricoles. Le prix du foncier agricole en France est parmi le plus faible des pays européens, accentuant d'autant l'attractivité des parcelles ;

• à des changements sociétaux et démographiques . Le vieillissement relatif de la population , ou encore le desserrement des ménages, peut impliquer une sous-occupation des logements en termes de densité. De nombreuses personnes âgées, propriétaires de leur pavillon, continuent à l'occuper bien après que leurs enfants aient quitté le foyer. Après une séparation, un couple qui occupait un seul logement en occupera désormais deux. Cette sous-occupation accroît la demande de logement, et donc le besoin de construction nouvelle ;

• aux préférences des Français en termes de logement . Bien que la construction d'habitat collectif ait augmenté au cours des dernières décennies, le modèle du logement individuel, en particulier pavillonnaire reste attractif pour une majorité de Français . Il présente l'avantage d'être plus facilement compatible tant avec une vie familiale privée, qu'avec l'utilisation de l'automobile en zone périphérique, ou avec la jouissance d'espaces de jardin ou de cour. De même, des centaines de milliers de Français souhaiteraient un jour faire l'acquisition de résidences secondaires. La demande même, en termes de logement et de construction, est donc structurante pour l'offre ;

• à une recherche de proximité à la nature . Dans un pays qui reste majoritairement rural (52 % de la surface de la France est constituée de terres agricoles, et 39 % de sols naturels), les Français continuent de chercher la proximité à la nature et à la campagne . Comme on l'a particulièrement constaté durant la pandémie de Covid-19, les villes de taille moyenne, proches de zones non urbanisées, depuis lesquelles il est facile d'accéder à des zones agricoles ou naturelles, connaissent un regain d'attractivité, et souhaitent donc pouvoir loger et répondre aux besoins de cette nouvelle population.

Pour limiter l'artificialisation, il ne suffira donc pas de fixer des cibles numériques ou de contraindre la construction nouvelle : celle-ci n'est que le symptôme de ces évolutions plus profondes. Il faut également agir sur les causes, en mobilisant, autant que nécessaire, l'ensemble des leviers de politique publique.

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