II. LA RECHERCHE POLAIRE : UNE RECHERCHE DONT LES ENJEUX DÉPASSENT TRÈS LARGEMENT LE CADRE POLAIRE

Que ce soit dans le domaine des sciences de la terre, des sciences de la vie ou des sciences humaines et sociales, les enjeux de la recherche en milieu polaire dépassent largement le seul cadre polaire.

A. LA RECHERCHE POLAIRE JOUE UN RÔLE CLÉ POUR COMPRENDRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

• La recherche sur les calottes glaciaires

Catherine Ritz a insisté sur l'importance des études menées sur les calottes glaciaires pour comprendre le changement climatique.

Les calottes glaciaires sont les mémoires du climat passé. La neige s'accumule et se transforme progressivement en glace. Lors de ce processus, elle emprisonne définitivement quelques bulles d'air environnant et des poussières. Ainsi, des informations précieuses sur le climat et sur l'atmosphère se trouvent scellées sous forme de couches successives, que les carottages glaciaires permettent de reconstituer. Des carottages sur de la glace vieille de plus de 800 000 ans ont ainsi démontré l'alternance de périodes chaudes et froides corrélées à des alternances de valeurs hautes et de valeurs basses de méthane et de CO 2 . Mais ces enregistrements montrent clairement que les valeurs actuelles de ces gaz à effet de serre sortent de la gamme observée dans le passé : les quantités de CO 2 et de méthane dans les glaces les plus récentes représentent respectivement le double et le triple des quantités du passé.

Variations des températures et des quantités de CO 2 et de méthane
sur 800 000 ans

Source : Tableau modifié par Catherine Ritz d'après une figure du Centre for Ice and Climate

Les calottes glaciaires sont également des éléments actifs du système climatique, notamment à travers leur rôle dans l'élévation du niveau des mers. Catherine Ritz a rappelé que les glaces de l'Antarctique et du Groenland constituent d'énormes réserves d'eau douce représentant respectivement 60 mètres et 6 mètres de niveau des mers. Les modèles montrent qu'à l'échelle des siècles à venir et dans le cadre du changement climatique, les calottes vont perdre une fraction de cette glace, ce qui va entraîner une montée du niveau des mers (jusqu'à plusieurs mètres à l'horizon 2300). Les observations confirment que ce phénomène a déjà débuté et les sociétés humaines vont forcément être impactées. Jérôme Chappellaz a rappelé que les deux-tiers de l'humanité vivent à moins de 100 km des côtes.

En Antarctique, deux processus opposés sont observés : les précipitations augmentent avec la température, entrainant un épaississement de la couche de glace sur les plateaux ; l'instabilité des calottes marines intensifie l'évacuation de la glace vers l'océan et provoque l'affaissement des zones côtières. De manière globale, la perte de masse serait toutefois prédominante et, selon le rapport du GIEC sur la cryosphère et l'océan, l'Antarctique devrait contribuer à l'élévation de la mer de 12 cm d'ici la fin du siècle. Catherine Ritz a souligné les incertitudes qui entouraient ces prévisions et insisté sur la nécessité de poursuivre les recherches en se basant sur les observations satellitaires, les modélisations et les observations du terrain.

• La recherche sur les océans polaires

Marie-Noëlle Houssais a expliqué le rôle majeur des océans, et en particulier de l'océan Austral, dans le système climatique en se focalisant sur trois phénomènes :

- l'absorption de l'énergie solaire : entre 1971 et 2018, les océans ont absorbé 90 % de l'excédent d'énergie de l'atmosphère, avec une contribution majeure de l'océan Austral ;

- l'absorption des émissions de CO 2 d'origine anthropique : 20 à 30 % de ces émissions seraient absorbés par les océans, en grande partie par l'océan Austral en marge du continent antarctique ;

- le rôle moteur des pôles dans la circulation océanographique globale (« tapis roulant » de la circulation océanique) qui tend à transformer des eaux de surface chaudes en une circulation profonde beaucoup plus lente et froide : cette circulation est activée aux pôles, qui sont le siège de la transformation de masses d'eau chaude en masses d'eau froide. Les modélisations montrent une amplification du ralentissement de cette circulation dans un scénario qui prend en compte la fonte du Groenland. La fonte des glaces polaires a donc un impact très fort sur les mécanismes de transformation qui entretiennent la circulation océanographique globale.

Le suivi de l'augmentation de la température de l'océan et des autres facteurs susceptibles d'éroder les glaciers constitue donc une priorité afin de caractériser les états de base mal connus 12 ( * ) , d'évaluer les changements et les vulnérabilités en attachant une importance particulière aux interactions entre la côte et le large, les glaciers et les océans, etc.


* 12 De nombreuses régions des océans polaires restent inexplorées et les observations systématiques sont récentes.

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