B. LA RECHERCHE POLAIRE EST À L'ORIGINE D'INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES ET BIOMÉDICALES MAJEURES
• La multiplication des innovations technologiques
Les régions polaires sont des régions hostiles, soumises à des conditions climatiques extrêmes et difficiles d'accès. Comme l'a indiqué Marie-Noëlle Houssais, leur exploration exige la levée de verrous technologiques liés à la disponibilité en énergie, à l'automatisation, à l'autonomie des capteurs ou encore aux technologies de communication . La question de la maîtrise des coûts constitue également un défi à relever afin de pouvoir déployer ces technologies en grand nombre. La recherche polaire est donc un terrain privilégié pour les avancées technologiques et les bénéfices de ces avancées s'étendent bien au-delà des régions polaires.
Par ailleurs, le Protocole de Madrid interdit toute dégradation de l'environnement antarctique et soumet toute activité - dont l'activité scientifique - à une étude d'impact environnemental préalable. Afin de respecter cette contrainte, le développement de technologies est indispensable, que ce soit pour réduire l'empreinte écologique des infrastructures scientifiques (installations de panneaux solaires et d'éoliennes, gestion des eaux usées dans les stations, etc.) et pour limiter les effets nocifs des expérimentations menées dans le cadre de l'observation des animaux. À cet égard, Yan Ropert-Coudert a montré que les enjeux sont doubles : ne pas faire souffrir les animaux et éviter de mesurer des paramètres qui seraient faussés par la démarche scientifique.
Yvon Le Maho a rappelé que les chercheurs français ont été pionniers dans l'utilisation de puces RFID pour la radio-identification des animaux dans leur milieu naturel. Pesant moins d'un gramme, car ne contenant pas de batterie, ces étiquettes électroniques peuvent être implantées sous la peau des manchots, et, contrairement au baguage à l'aileron utilisé jusque-là, n'entraînent pas de gêne hydrodynamique. C'est ainsi qu'ont pu être mis en évidence les effets désastreux de la gêne hydrodynamique provoquée par le baguage sur la reproduction et la survie des adultes et des poussins. Des antennes ont été installées dans le sol afin de pouvoir lire les informations contenues dans les puces sans perturber les animaux.
Yan Ropert-Coudert a présenté la révolution technologique que représente le bio-logging , à la fois pour le suivi des animaux mais également pour d'autres secteurs scientifiques et régaliens.
L'équipement des animaux avec des appareils enregistreurs miniatures ( bio-logging ) permet de les suivre dans leurs déplacements, de reconstituer leur activité et d'obtenir des informations sur divers paramètres. Étendu à plusieurs espèces clés, le bio-logging fournit des informations sur leur localisation et les zones dans lesquelles ils se nourrissent, ce qui permet d'identifier les zones écologiquement riches en proies variées et donc importantes à protéger. Il constitue un outil indispensable pour la définition des aires marines protégées.
Le bio-logging permet d'utiliser certains prédateurs (tels que les éléphants de mer) comme plateformes océanographiques. En effet, compte tenu des immenses distances parcourues par ces animaux et de leur capacité à plonger jusqu'à 2 000 mètres, ils permettent le recueil d'informations sur la température, la salinité de l'eau, la concentration en chlorophylle ou l'état des ressources trophiques intermédiaires (poissons, krill). D'après Yan Ropert-Coudert, 80 % des profils océanographiques au sud des 60° sont échantillonnés par les phoques austraux.
Il a également évoqué l'équipement d'oiseaux et de mammifères avec des appareils capables de lire et transmettre via satellite les informations des balises AIS 13 ( * ) des bateaux, ce qui permet de connaître l'identité et la position des navires et ainsi de détecter les activités de pêche illégales dans l'océan Austral.
Enfin, Yvon Le Maho a cité les grandes innovations technologiques qui, depuis 40 ans, ont permis de suivre les animaux sans les perturber, en commençant par le suivi Argos démarré dans les Terres australes et antarctiques françaises en 1990 jusqu'à l'utilisation récente de la robotique 14 ( * ) et de l'intelligence artificielle pour collecter et traiter les informations stockées par l'animal dans les bio-loggers 15 ( * ) , en passant par la pesée automatique des animaux.
• Les innovations biomédicales : l'exemple de la sphéniscine
Yvon Le Maho a insisté sur le rôle de la recherche polaire dans le développement d'innovations biomédicales et a cité comme exemple la sphéniscine. Les manchots royaux mâles assurent généralement la dernière phase de l'incubation. À l'éclosion, ils se sont avérés capables de nourrir leur progéniture avec de la nourriture stockée dans leur estomac lorsque la femelle, partie chercher de la nourriture à l'arrivée du mâle après lui avoir transmis l'oeuf, n'est pas revenue à temps. La nourriture régurgitée par le mâle n'a pas été digérée et est restée intacte en dépit d'une température interne de 38°C. Sa conservation s'explique au moins en partie par la présence d'un peptide dans l'estomac du manchot qui, après analyse, s'est avéré efficace contre les agents de certaines maladies nosocomiales telles que l'aspergillose et le staphylocoque doré. La sphéniscine pourrait se substituer aux antibiotiques, face à une antibiorésistance croissante des agents des maladies nosocomiales et à la mauvaise efficacité des antibiotiques en milieu salin (c'est le cas notamment pour les infections oculaires et la mucoviscidose). La sphéniscine pourrait être également utilisée pour la conservation des aliments.
Yvon Le Maho a précisé que les milieux polaires constituaient un domaine de recherche privilégié pour le biomimétisme.
* 13 Système d'identification automatique.
* 14 Les robots peuvent se déplacer au milieu des manchots royaux sans être perçus comme une menace ni une gêne. Affublés d'une peluche représentant un poussin, les robots peuvent se glisser parmi les manchots empereurs serrés les uns contre les autres et s'introduire dans une crèche de vrais poussins.
* 15 Enregistreur de données, qui les stocke et peut même, depuis peu, les transmettre.