CONTRIBUTION DES GROUPES POLITIQUES
Contribution de Mme la Sénatrice Nadège
HAVET
(groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et
indépendants - RDPI)
Le cyberharcèlement : une nécessaire prise de conscience collective !
Le procès de l'« affaire Mila » en est le dernier symbole en date. L'histoire de cette jeune fille, victime d'un raid numérique sur les réseaux sociaux, sujette à des menaces de mort, à des appels au viol, à des insultes, par milliers, a remis en lumière les effets dramatiques du cyberharcèlement et ses conséquences bien réelles sur le quotidien des personnes ciblées. Le jugement a été rendu : 11 des 17 prévenus ont été condamnés en juillet dernier par le Tribunal de Paris à des peines allant de 4 à 6 mois de prison avec sursis et à verser à la jeune femme des dommages et intérêts en raison des souffrances endurées. Rappelons que Mila est actuellement, encore, sous protection policière.
Le sociologue des croyances, Gérald Bronner, le rappelait en début d'année sur le plateau de Public Sénat, dans le cadre de la présentation de son dernier livre « Apocalypse cognitive » : « Ce qui attire le plus notre attention sur le marché des idées, c'est la conflictualité », rappelant pourtant qu'« à ses débuts, Internet était une utopie qui considérait que la diversité intellectuelle, d'idées, de points de vue provoquerait une forme de sagesse collective, une meilleure connaissance des différences et donc un recul des stéréotypes. » Nous serons toutes et tous d'accord pour constater qu'aujourd'hui nous sommes encore très loin de cet idéal : à savoir un espace d'échanges apaisés et de débats constructifs où tout le monde, sans être évidemment d'accord, serait capable de s'écouter sans s'invectiver. En effet, chacune et chacun le voit tous les jours, et les élus locaux et nationaux que nous sommes sont également les témoins de cette forme de banalisation de la violence sur les réseaux numériques. Les effets ne sont jamais virtuels : certaines victimes, faut-il le rappeler, mettent fin à leurs jours. Elle peut aussi se traduire par des agressions physiques. Jusqu'à l'irréparable, jusqu'à la barbarie ! Le lynchage public, sur les réseaux sociaux, de l'enseignant Samuel Paty, avait précédé son assassinat. En cette rentrée, et dans cette contribution, notre groupe pense évidemment à lui, à ses proches, à ses élèves. L'esprit critique se forme, la liberté d'expression s'enseigne. Elle n'est jamais une liberté de harceler, de calomnier.
Le cyberharcèlement : renforcer l'information et l'accompagnement des plus jeunes et de leurs encadrants
Le harcèlement est bien un fléau qui se retrouve à tout âge et dans tous les champs de la vie sociale : à l'école, dans une cour de récréation, dans une classe ou dans un vestiaire, au travail, dans la sphère familiale et dans les espaces publics, en ligne ou dans la rue. Face à cet état de fait, les jeunes doivent être particulièrement accompagnés. Selon des études de l'UNICEF menées conjointement avec le ministère de l'éducation nationale, plus de 700 000 jeunes subissent le harcèlement scolaire chaque année.
Dans le rapport 212 ( * ) du Député Erwan Balanant, présenté en 2020, il est rappelé que ce sont en moyenne « 2 à 3 enfants par classe qui sont stigmatisés, malmenés, moqués et violentés », dans les établissements publics et privés. Avec des conséquences sur le long terme, entrainant des traumatismes profonds et des fragilités durables.
Aussi de nombreuses actions sont-elles menées : la loi de 2019 pour une école de la confiance consacre, en son article 5, le droit à une scolarité sans harcèlement et reconnaît ainsi la gravité de cette forme de violence scolaire. Par ailleurs, l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements denseignement scolaire poursuivait aussi cet - 30 20 - de même que contre le cyberharcèlement- 0800 200 000.
La campagne 2020 - 2021 rappelait ceci : « Ce n'est pas parce qu'on est petit qu'on a des petits problèmes. » en mettant à disposition de toutes et tous, là encore, enfants et adultes, des ressources pédagogiques. Plusieurs élèves ambassadeurs, en collège et en lycée, peuvent être nommés, des référents ont été mis en place. Le travail avec les associations se poursuit et se renforce. Mais le phénomène a pu connaitre un rebond durant la période de confinement. C'est ce que rappelait le ministre de l'Éducation nationale il y a quelques mois. Sur le suivi de cette violence qui prend de multiples formes, nous partageons la nécessité d'un baromètre annuel du harcèlement qui est l'une des 120 propositions faites par Erwan Balanant.
Il est absolument nécessaire d'intervenir à trois niveaux.
En amont, par une éducation aux médias renforcée tout au long de la scolarité et une prévention dans le milieu scolaire : notamment par la sensibilisation des plus jeunes aux conséquences du cyberharcèlement, qui est primordiale, et une information sur les accompagnements existants.
Par une prise en charge rapide des victimes de (cyber)harcèlement, dès les premiers « signaux faibles », ce qui implique de savoir les détecter rapidement, avec le partage de dispositifs simples, d'outils identifiés par les enfants, par les familles et tous les équipes éducatives. Il est indispensable que des personnes ressources, de proximité et de confiance, soient connues des enfants pour plus de réactivité dans l'accompagnement. Le cyberharcelé, rappelons-le, vit un enfer qui ne connaît pas de trêve après l'école. Le cyberharcèlement est un hyperharcèlement.
Enfin, en aval, par un accompagnement des cyberharceleurs, et un renforcement de l'efficacité de la réponse pénale à l'égard des auteurs de contenus haineux en ligne. La sanction doit, de toutes les façons, s'accompagner d'une prise de conscience de l'agresseur.
Le cyberharcèlement : responsabiliser les plateformes et oeuvrer à l'échelle supranationale
Les plateformes ont évidemment un rôle de coopération primordial à jouer, en lien avec les pouvoirs publics. Leur responsabilité est engagée. Les signalements doivent pouvoir se faire rapidement, puis être traités avec la même célérité.
Il s'agit bien entendu d'un sujet global puisque si le cyberharcèlement franchit les murs des établissements, les politiques de régulation appellent aussi à dépasser les frontières d'un Etat.
En fin d'année dernière, l'Unesco et le ministère français de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports avaient d'ailleurs organisé une Conférence internationale sur la lutte contre le harcèlement entre élèves. Unissons nos réponses.
Cette problématique pourra être abordée lors de la présidence française de l'Union européenne.
Partageons également à cette occasion les pratiques nationales. Jean-Michel Blanquer a récemment annoncé la généralisation, sur tout le territoire, du programme de lutte contre le harcèlement « pHARe », sur la base de l'expérimentation menée, depuis 2 ans, dans 6 académies. En cette rentrée, un projet de loi visant à mieux protéger les victimes, en soignant aussi les harceleurs, va être discuté au Danemark. C'était l'approche préconisée par la méthode de « préoccupation partagée », développée dès le début des années 1980 en Suède par Anatol Pikas, qui est aujourd'hui utilisée avec succès en Finlande, en Australie et au Canada. De la même manière, pour lutter contre le harcèlement scolaire, les Finlandais ont inventé une méthode appelé Kiva.
Échangeons donc sur nos dispositifs de lutte !
* 212 Rapport de mission gouvernementale remis le 13 octobre 2020 : « Comprendre et combattre le harcèlement scolaire, 120 propositions » : http://www.erwanbalanant.com/wp-content/uploads/2020/10/Rapport-Harcèlement-scolaire-Erwan-Balanant.pdf