B. LES RÉPONSES TERRITORIALES À L'ÉGALITÉ DES CHANCES : DES PARTENAIRES À MIEUX MOBILISER ET FÉDÉRER
L'égalité des chances est un objectif fort des politiques en direction des enfants, adolescents et jeunes adultes. Il ne peut trouver sa traduction que dans des actions conduites au plus près des situations individuelles et des réalités des territoires , extrêmement différentes selon que l'on se trouve dans un quartier de banlieue, un territoire rural ou des zones péri-urbaines. À ce titre, les administrations et les collectivités locales ont leur part de responsabilité et un rôle à jouer, en lien avec de nombreuses structures associatives.
Face à une répartition des compétences très morcelée, et un degré d'engagement inégal, c'est par la voie de partenariats, à l'échelle de territoires bien définis, que doivent être engagés les moyens de réduire la reproduction des inégalités.
1. Des compétences éclatées et un degré d'engagement inégal
Tout comme les services de l'État, chaque échelon de collectivité dispose, à son niveau, de leviers d'action sur les facteurs d'inégalités entre jeunes.
C'est le cas des régions , autour de leur compétence relative aux lycées (moyens de fonctionnement des établissements, bourses, soutien à des projets éducatifs, dotation en équipements numériques), mais également au titre du service public régional de l'orientation et de la politique des transports. Selon une récente étude de l'Injep 48 ( * ) , plusieurs conseils régionaux ont adopté des documents d'orientation stratégique visant à articuler les actions qu'ils mettent en oeuvre en direction des jeunes, y compris au-delà de leurs compétences obligatoires. Onze d'entre eux ont en outre développé des offres de service dédiées aux jeunes, en particulier des prestations pour l'achat de manuels scolaires ou d'équipements pédagogiques ou l'accès à des activités culturelles et sportives.
S'agissant des départements , leurs interventions s'appuient sur leurs compétences liées aux collèges et en matière sociale (protection maternelle et infantile, protection de l'enfance, solidarités). Selon les indications fournies à la mission d'information par l'Association des départements de France, la grande majorité des départements mettent en oeuvre une politique s'adressant en priorité à la tranche d'âge des collégiens (aides matérielles ou financières, lutte contre le décrochage scolaire, équipements numériques, aides au transport, accès aux activités culturelles et sportives), complétée par une pluralité de dispositifs à destination des jeunes plus âgés, particulièrement en milieu rural avec des dispositifs visant la mobilité et l'autonomie (permis de conduire, services civiques, coup de pouce premier emploi...), et un soutien aux associations actives auprès de ce public. Un tiers des départements, pour leur part, consacreraient des efforts supplémentaires en direction de tranches d'âge plus élevées, jusqu'à 25 ans. Au-delà du fonds d'aide aux jeunes, dispositif légal qui vise à attribuer des soutiens ponctuels aux jeunes rencontrant des difficultés d'insertion sociale ou professionnelle, selon des critères d'éligibilité fixés par chaque conseil départemental, certains départements, comme la Gironde ou la Loire-Atlantique, ont ainsi mis en place des contrats de soutien ou d'accompagnement personnalisés.
Les communes et intercommunalités sont quant à elles confrontées aux inégalités d'origine sociale ou territoriale à travers un grand nombre de leurs interventions dans les domaines de la petite enfance, des activités périscolaires et extra-scolaires, de l'animation socio-culturelle, de la prévention, de l'insertion sociale et professionnelle, en lien avec les missions locales. Les modalités et l'intensité de ces actions sont extrêmement variables, en fonction des caractéristiques des territoires, des priorités des communes et intercommunalités et de leurs moyens. Il n'existe en la matière aucune compétence obligatoire. Co-auteur d'un rapport sur la place des jeunes dans les territoires ruraux au nom du Conseil économique, social et environnemental 49 ( * ) , Bertrand Coly a rappelé devant la mission d'information que celui-ci avait préconisé de rendre obligatoire pour les communautés de communes une compétence « jeunesse », couvrant les jeunes de 16 à 29 ans, distincte des politiques relatives à l'enfance ou aux loisirs et aux sports.
Il paraît en réalité assez difficile de définir l'échelle pertinente et un modèle unique pour la mise en oeuvre de politiques territoriales tournées vers l'égalité des chances, l'échelle et les modalités d'intervention devant s'adapter aux territoires et à la nature des politiques conduites.
Depuis 2017, la région est chargée d'organiser, en qualité de chef de file , les modalités de l'action commune des collectivités territoriales pour l'exercice des compétences relatives à la politique de la jeunesse 50 ( * ) . Est également prévu un processus annuel de « dialogue structuré » entre les pouvoirs publics, les représentants de la société civile et les jeunes, sur « l'établissement d'orientations stratégiques et sur l'articulation et la coordination de ces stratégies entre différents niveaux de collectivités et l'État » 51 ( * ) .
Auprès de la mission d'information, les associations représentant les départements et les communes ont considéré que ces dispositions trouvaient peu de traduction concrète à ce stade.
Elles paraissent en effet donner lieu à une application très variable selon les régions . En Bretagne, la région a lancé aux côtés des services de l'État une démarche de dialogue structuré avec des conférences jeunesse, impliquant de nombreux acteurs dont les différents niveaux de collectivités territoriales. Cette démarche a abouti à la formalisation par le conseil régional du plan de mobilisation pour les jeunesses bretonnes. Une co-élaboration d'orientations stratégiques a également été engagée dans les Hauts-de-France ou en Nouvelle-Aquitaine. La région Grand Est a quant à elle organisé des rencontres régionales après avoir défini sa propre stratégie transversale en direction des jeunes. L'impact de ces initiatives, qui n'ont pas d'équivalent dans toutes les régions, est difficile à mesurer. Selon l'étude précitée de l'Injep 52 ( * ) , la capacité des conseils régionaux « à organiser une articulation plus cohérente des interventions entre les différents niveaux de collectivité, les services de l'État et les partenaires associatifs apparaît en effet relativement faible à ce jour ».
Principalement fondées sur le volontarisme, dans le cadre de leurs compétences facultatives, les actions des collectivités sont génératrices d'un foisonnement d'initiatives en direction des jeunes, mais inévitablement aussi de disparités selon les territoires.
Au-delà de coordinations à l'échelle régionale, qui demeurent aujourd'hui incertaines, les approches partenariales entre acteurs au niveau local méritent d'être renforcées.
2. Des partenariats à amplifier
À l'échelon local, les actions en direction des enfants, des jeunes et de leurs familles qui concourent à réduire les inégalités et à soutenir l'autonomie ont donné lieu à plusieurs politiques partenariales ou contractualisées , avec une coordination et une mise en réseau des acteurs concernés.
La politique de la ville en a fourni la première illustration avec les programmes de réussite éducative , au nombre de plus de 500, co-financés par les collectivités locales, principalement les communes, avec un objectif de soutien personnalisé, associant les familles, aux jeunes scolarisés dans les zones d'éducation prioritaires. Dans le même esprit, les cités éducatives associent, dans une optique plus large, l'ensemble des acteurs publics, associatifs et privés contribuant à l'éducation des enfants et des jeunes. L'objectif est de passer de 80 cités en 2020 à 200 en 2022.
Dans le domaine de l'insertion professionnelle, les cités de l'emploi ont pour objet d'identifier les besoins non couverts dans les quartiers et de renforcer la coopération entre les structures existantes. Elles ne s'adressent pas spécifiquement aux jeunes mais peuvent s'articuler, en Île-de-France avec le plan régional d'insertion pour la jeunesse (PRIJ) mis en place par la préfecture de région. Ces différents dispositifs, qu'il est souhaitable d'amplifier, seront évoqués dans les parties du rapport relatives aux parcours scolaires et à l'accompagnement vers l'emploi.
Deux autres types d'instruments, ayant vocation à couvrir l'ensemble du territoire, ont été déployés pour constituer ou structurer des partenariats locaux.
Il s'agit tout d'abord des projets éducatifs territoriaux (PEdT) mis en place dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires en 2013. Au-delà de l'organisation matérielle de l'accueil des enfants découlant de cette réforme, ils ont ouvert l'opportunité de définir un projet éducatif couvrant le champ scolaire, les activités périscolaires et extrascolaires, en associant l'éducation nationale, les collectivités locales et les acteurs associatifs. Le retour à la semaine de 4 jours dans près des neuf-dixièmes des communes s'est traduit par un essoufflement de ces projets , comme l'a constaté le conseil d'orientation des politiques de jeunesse 53 ( * ) . Ce changement de contexte ne doit pas conduire à une démobilisation des collectivités et à l'abandon d'un outil capable de définir, sur les territoires, les moyens de contribuer à l'ouverture culturelle et sociale des enfants les moins favorisés par leur milieu familial. La relance des PEdT doit donc être encouragée.
Un autre type de partenariat se construit avec les caisses d'allocations familiales , intervenant très important auprès des enfants, des jeunes et de leurs familles par le biais de leurs fonds d'action sociale.
C'est le cas des schémas départementaux des services aux familles , lancés en 2013. Élaborés par les caisses d'allocations familiales, les services de l'État et les départements, même si d'autres acteurs peuvent y être associés, ils sont essentiellement centrés sur l'accueil de la petite enfance et le soutien à la parentalité, avec l'objectif de réduire les inégalités d'accès sociales et territoriales à ces services et de mieux coordonner l'action des différents intervenants en la matière. Une évaluation des premiers schémas mis en place dans les départements 54 ( * ) en a mentionné les potentialités, par exemple en y impliquant l'éducation nationale sur la scolarisation des moins de trois ans et une plus grande ouverture de l'école aux parents, ou encore en élargissant leur champ aux plus de six ans. Elle en a également montré les limites et les difficultés de mise en oeuvre : interrogations sur la portée de ces schémas, leurs finalités et leur pilotage, définition du périmètre et des priorités, articulation avec les communes et intercommunalités. Ces schémas existent aujourd'hui dans tous les départements, ceux-ci étant également dotés de comités départementaux des services aux familles réunissant l'ensemble des acteurs locaux concernés 55 ( * ) . Il s'agit désormais d'utiliser ces instruments et de faire vivre ces instances autour des enjeux d'inégalités sociales et territoriales.
Les conventions territoriales globales (CTG) sont quant à elles conclues, dans un même esprit, entre les caisses d'allocations familiales et les communes et intercommunalités, avec l'objectif de mise en oeuvre d'un projet de territoire , sur un périmètre de thématiques plus large que celui des contrats enfance jeunesse, qu'elles ont vocation à remplacer, et qui couvre l'enfance, la jeunesse, le soutien à la parentalité, l'animation de la vie sociale locale, le logement, l'amélioration du cadre de vie et l'accès aux droits. Ici encore, les évaluations montrent qu'il ne faut pas nourrir d'attentes excessivement ambitieuses à l'égard de ces conventions 56 ( * ) . Elles n'englobent pas tous les dispositifs soutenus par les caisses d'allocations familiales, ni a fortiori toutes les problématiques de jeunesse à l'échelle du territoire. Elles doivent néanmoins améliorer l'efficience, sur chaque territoire, des actions conduites dans les domaines qu'elles couvrent. Selon les éléments transmis par la Caisse nationale d'allocations familiales, à la veille du renouvellement municipal de 2020, 500 conventions territoriales globales, couvrant environ 30 % de la population , avaient été signées (dont la moitié avec des communes, la moitié avec des intercommunalités). La mise en oeuvre des CTG se situe donc très en deçà des objectifs fixés par la convention d'objectifs et de gestion avec l'État, qui visait une couverture de toutes les intercommunalités fin 2022. La généralisation des conventions territoriales globales suppose donc une forte impulsion.
Au final, les partenariats locaux sont parfois perçus comme sources de complexité et de lourdeurs sans pour autant satisfaire toutes les attentes de ceux qui y participent, notamment en termes de financements. Ils demeurent néanmoins des instruments incontournables pour renforcer la pertinence de l'action publique en direction des jeunes à l'échelle de chaque territoire.
Recommandation : encourager sur tous les territoires la mise en place d'instruments favorisant une approche partenariale et coordonnée des politiques répondant aux besoins des jeunes (schémas départementaux des services aux familles, conventions territoriales globales, projets éducatifs territoriaux).
* 48 Injep analyses et synthèses, Les politiques de jeunesse des conseils régionaux, Maëlle Moalic, Jordan Parisse, août 2020.
* 49 La place des jeunes dans les territoires ruraux, Danielle Even et Bertrand Coly, Conseil économique, social et environnemental, janvier 2017.
* 50 Article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de l'article 54 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et la citoyenneté.
* 51 Article 54 de la même loi.
* 52 Injep analyses et synthèses, Les politiques de jeunesse des conseils régionaux , Maëlle Moalic, Jordan Parisse, août 2020.
* 53 Relancer et généraliser les projets éducatifs territoriaux , avis du conseil d'orientation des politiques de jeunesse, 28 septembre 2020.
* 54 Évaluation de la préfiguration des schémas départementaux des services aux familles , Caisse nationale des allocations familiales, Dossier d'étude n° 202, 2019.
* 55 Institués par l'article 2 de l'ordonnance n° 2021-611 du 19 mai 2021 relative aux services aux familles, ils remplacent, avec un champ plus large, les commissions départementales de l'accueil du jeune enfant
* 56 Voir l'étude Impacts des conventions territoriales globales - CAF sur les politiques enfance jeunesse intercommunales, Kamel Rarrbo, Banque des territoires, septembre 2020.