Rapport d'information n° 194 (2021-2022) de Mme Cécile CUKIERMAN , fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 novembre 2021
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L'ESSENTIEL
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I. DES EFFORTS BUDGÉTAIRES INSUFFISANTS POUR
RENFORCER LA PRÉSENCE DE L'ÉTAT DANS LES TERRITOIRES
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I. II. LE DÉPLOIEMENT DE LA NOUVELLE CARTE
NATIONALE D'IDENTITÉ : UN TITRE MODERNE, SUPPORT D'UNE FUTURE
IDENTITÉ NUMÉRIQUE
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III. DES CRÉDITS CONSACRÉS À
L'ORGANISATION DES ÉLECTIONS EN FORTE HAUSSE POUR RELEVER LES MULTIPLES
DÉFIS LOGISTIQUES QUI PÈSENT SUR LES ÉLECTIONS EN
2022
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I. DES EFFORTS BUDGÉTAIRES INSUFFISANTS POUR
RENFORCER LA PRÉSENCE DE L'ÉTAT DANS LES TERRITOIRES
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 194
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur l' administration générale et territoriale de l' État ,
Par Mme Cécile CUKIERMAN,
Sénatrice
L'ESSENTIEL
Réunie le 24 novembre 2021 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a examiné, sur le rapport d'information de Cécile Cukierman , les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » inscrits au projet de loi de finances pour 2022.
Cette mission, pilotée par le ministère de l'intérieur , poursuit trois objectifs : garantir aux citoyens l'exercice de leurs droits dans le domaine des libertés publiques, assurer la continuité de l'État sur l'ensemble du territoire et mettre en oeuvre les politiques publiques au niveau local.
Les crédits de la mission prévus par la loi de finances pour 2022 s'élèvent à 4,4 milliards d'euros , en hausse par rapport à l'année précédente [ + 5,4 % en autorisations d'engagement (AE) et + 4,5 % en crédits de paiement (CP)] :
- le programme 354 « Administration territoriale de l'État » , qui supporte la majorité des crédits de la mission et comprend notamment les moyens des préfectures, des sous-préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI), voit ses crédits augmenter légèrement (+ 4,3 % en AE, + 2,2 % en CP) ;
- le programme 232 « Vie politique » , dont les crédits financent l'exercice des droits des citoyens dans le domaine des élections, enregistre une hausse importante d'environ 12 % de ses crédits (+ 12,9 % en AE, + 12,6 % en CP) pour financer les élections présidentielle, législatives et territoriales en 2022, alors même que la gestion des cultes, qui relevaient jusque-là du programme 232, a été transférée au programme 216 ;
- le budget du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » , auquel sont rattachés les moyens du pilotage des fonctions support, de la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère et des cultes, continue de croître (+ 5 % en AE, + 6 % en CP) pour permettre la poursuite des réformes engagées en 2020.
Dans ce cadre, la rapporteure, Cécile Cukierman, s'est intéressée en particulier à la question du déploiement de la nouvelle carte nationale d'identité , support physique d'une future identité numérique en cours de développement. Elle a souhaité aborder également les défis logistiques que pose l'organisation des élections prévues en 2022 et dresser un premier bilan de la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État .
S'il convient de saluer les efforts budgétaires consentis pour renforcer les moyens dévolus à l'administration territoriale de l'État , la commission des lois a constaté que les réformes administratives menées à marche forcée ne permettent pas de compenser les effets de plusieurs années de coupes budgétaires qui ont durablement fragilisé la présence de l'État dans les territoires.
I. DES EFFORTS BUDGÉTAIRES INSUFFISANTS POUR RENFORCER LA PRÉSENCE DE L'ÉTAT DANS LES TERRITOIRES
A. POUR LA DEUXIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, DES CRÉDITS EN LÉGÈRE AUGMENTATION ET DES EFFECTIFS STABILISÉS
Pour la deuxième année consécutive, le projet de loi de finances intègre une cible de schéma d'emplois nulle pour le programme 354 , offrant une respiration salutaire à l'administration territoriale de l'État qui a perdu 25 % de ses effectifs entre 2008 et 2020, soit une suppression de plus de 5 000 postes.
La crise sanitaire, qui a généré une hausse d'activité importante pour les agents de l'État et révélé la nécessité d'une meilleure coordination avec les collectivités territoriales, a entraîné une prise de conscience de la part du Gouvernement de la nécessité de « réarmer nos territoires 1 ( * ) » .
Le Premier ministre a réaffirmé cette volonté de renforcer l'administration territoriale à l'occasion du sixième comité interministériel de transformation de l'action publique du 23 juillet 2021 .
Les engagements du Premier ministre en faveur de l'administration territoriale de l'État (23 juillet 2021)
1) Il est mis fin à la baisse systématique des effectifs des services départementaux de l'administration territoriale de l'État.
2) La priorité sera donnée à la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État , en accélérant la convergence des systèmes d'information et des pratiques RH.
3) La moitié du ré-abondement de 80 M€ prévu en PLF 2022 du Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) sera consacrée au renforcement de l'efficacité de l'État de proximité.
4) Les préfets pourront redéployer en 2022 jusqu'à 3 % des effectifs en fonction des priorités locales .
5) L'évaluation sur la base des résultats sera généralisée. Une partie de la rémunération des préfets sera déterminée en s'appuyant sur l'évaluation interministérielle des feuilles de route. Les directeurs régionaux verront leur rémunération variable proposée par les préfets de région.
6) Une administration plus proactive sera encouragée grâce au numérique et au partage des informations entre services publics.
7) Le programme « Services Publics + » sera pleinement déployé d'ici la fin de l'année pour améliorer l'efficacité des services publics en continu.
Source : site de la direction interministérielle de la transformation publique.
B. UNE RÉFORME RÉALISÉE À MARCHE FORCÉE QUI NE PERMET PAS DE RENFORCER LA PRÉSENCE DE L'ÉTAT DANS LES TERRITOIRES
1. Un budget qui ne permet toujours pas de renforcer l'administration territoriale de l'État
Les engagements du Gouvernement en faveur de l'administration territoriale de l'État ne trouvent pas entièrement leur traduction budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2022 . À titre d'exemple, le plafond d'emplois du programme 354 est fixé à 29 752 équivalents temps plein travaillés (ETPT), soit une hausse de 2,3 % par rapport à la loi de finances pour 2021. Cette légère augmentation s'explique cependant par le report mécanique de l'abaissement du plafond d'emplois de l'année précédente, les transferts entrants au titre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE) et la mise en oeuvre du plan « 10 000 jeunes » qui se traduit par le recrutement de 400 apprentis. Le rehaussement du plafond d'emplois n'a donc pas pour vocation de renforcer de façon pérenne les ressources humaines au sein de l'administration territoriale de l'État.
2. Une réforme de l'organisation territoriale de l'État réalisée à marche forcée
La préservation des ressources humaines et la légère augmentation des crédits affectés au programme 354 ont pour vocation d'accompagner la réforme de l'organisation territoriale de l'État dont les deux premières étapes se sont concrétisées en 2021 par la création des secrétariats généraux communs départementaux (SGC-D) au 1 er janvier et des directions de l'emploi, du travail et des solidarités (DETS) au 1 er avril.
La mise en place des secrétariats généraux communs aux préfectures et aux directions départementales interministérielles a permis la mutualisation des fonctions support au sein de services déconcentrés à vocation interministérielle . Toutefois, cette réforme s'est heurtée à de nombreux irritants : absence de système d'information unique de gestion des ressources humaines, difficulté à créer une culture de travail commune alors que les agents ne sont pas regroupés sur un site unique, retard dans la délivrance de la carte d'agent ministériel qui permet d'accéder aux applications, etc . Le ministère de l'intérieur a publié le 13 octobre 2021 un « plan d'actions et de soutien pour les secrétariats généraux communs départementaux » visant à apporter des solutions aux dix problèmes identifiés . S'il convient de saluer la réactivité du ministère de l'intérieur dans ce domaine, force est de constater que, une fois encore, la réforme de l'administration territoriale de l'État s'opère à marche forcée , sans anticiper les difficultés concrètes rencontrées par les agents dans l'exercice de leurs missions.
Cette nouvelle étape de la réforme de l'OTE a été lancée avant même que les objectifs fixés par le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) soient atteints en matière de renforcement des effectifs affectés aux missions prioritaires . Alors qu' un effort de 231 ETP reste encore à fournir pour atteindre ces objectifs au sein des quatre missions prioritaires, l'année 2021 a été marquée par une légère baisse des effectifs dédiés au contrôle de légalité , de l'ordre de 2 % . La prévision de taux de contrôle des actes prioritaires reçus en préfecture (90 %) ne sera pas revue à la hausse avant 2023, ce qui confirme l'absence de volonté de renforcer les moyens consacrés au contrôle de légalité .
Par ailleurs, les ambitions du Gouvernement concernant le réseau France services se heurtent au manque de moyens humains dans les sous-préfectures. Comme l'a rappelé Olivier Jacob, directeur de la modernisation et de l'administration territoriale du ministère de l'intérieur lors de son audition, « l'obligation de consacrer 2 ETP à chaque maison France services constitue le frein principal à la labellisation des petites sous-préfectures ». Alors que l'objectif initial était de labelliser 100 sous-préfectures avant la fin de l'année 2022, celui-ci a été diminué de 60 %. À ce jour, seules 21 sous-préfectures ont été labellisées .
I. II. LE DÉPLOIEMENT DE LA NOUVELLE CARTE NATIONALE D'IDENTITÉ : UN TITRE MODERNE, SUPPORT D'UNE FUTURE IDENTITÉ NUMÉRIQUE
A. UNE MISE EN oeUVRE RÉUSSIE MALGRÉ DES DIFFICULTÉS PONCTUELLES
1. Un nouveau titre d'identité déployé pour répondre aux exigences européennes
La délivrance d'une nouvelle carte nationale d'identité (CNI) aux citoyens français répond aux exigences fixées par le règlement (UE) 2019/1157 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 qui oblige les États membres à produire une carte d'identité intégrant « un support de stockage hautement sécurisé [contenant] une image faciale du titulaire de la carte et deux empreintes digitales dans des formats numériques interopérables ».
L'article 16 de ce règlement prévoyait la mise en circulation de ce titre avant le 2 août 2021. À compter de mars 2021, trois départements pilotes (l'Oise, la Seine-Maritime et La Réunion) ont commencé à délivrer la nouvelle carte nationale d'identité. Quatre vagues successives de déploiement ont suivi jusqu'à la généralisation du titre à partir d'août 2021 . Les anciennes CNI ne sont désormais plus délivrées.
Dès la fin de l'année 2020, des dispositifs d'accompagnement ont été mis en oeuvre pour anticiper le déploiement de la nouvelle CNI. Trois groupes de travail réunissant l'État 2 ( * ) , l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et neuf mairies ont été créés pour évaluer l'impact de la nouvelle CNI sur le parcours des usagers en mairie et anticiper les éventuelles difficultés . Des sessions de formation ont également été organisées à destination des agents des mairies, des préfectures et des centres d'expertise et de ressources titres (CERT).
Ces démarches ont garanti le bon déroulement du processus et ont été unanimement saluées par les personnes entendues même si l'AMF regrette que la communication nationale sur le sujet ait été très tardive , considérant que « ce n'était pas aux agents chargés des titres dans les communes sièges de dispositifs de recueil d'assurer l'information des citoyens sur un nouveau titre d'identité, sans communication nationale 3 ( * ) ». Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté, ne s'est en effet exprimée publiquement sur ce sujet que le 15 mars 2021, date du début de la délivrance de la nouvelle CNI dans l'Oise, à l'occasion de la visite du site de fabrication d'IN Groupe à Douai.
2. Une hausse des demandes et des difficultés ponctuelles qui entraînent un rallongement des délais de délivrance
Si le choix de la solution technologique retenue fait l'objet de critiques, la commission constate que le déploiement de la nouvelle CNI s'est donc déroulé sans dysfonctionnement majeur, conformément au calendrier prévu . Pour les mairies, la délivrance de ce titre n'a pas engendré de difficultés particulières puisque les modalités d'instruction sont identiques à celles des passeports. L'AMF a toutefois identifié quelques problèmes techniques (obsolescence de certains dispositifs de recueil, bande MRZ défectueuse qui ralentit la remise des titres, ligne téléphonique dédiée mise en place par l'ANTS difficilement joignable, etc. ) qui feront l'objet d'une prochaine réunion entre l'ANTS, l'AMF et des représentants des communes.
Outre ces difficultés ponctuelles se pose la question du rallongement du délai de délivrance de la carte nationale d'identité observé depuis le mois d'août 2021 . Ce phénomène s'explique par une hausse de 11 % de la demande de CNI entre juillet et octobre 2021. Au-delà du pic saisonnier habituellement observé à cette période de l'année, le maintien d'un niveau élevé de demandes s'explique par l'effet combiné du rattrapage des demandes non effectuées en 2020 du fait de la crise sanitaire et de l'engouement pour ce nouveau titre.
Le rallongement du délai de délivrance résulte d'une aggravation du stock de CNI à instruire au sein des CERT qui est passé de 88 000 à 230 000 titres entre le 25 juin et le 21 septembre 2021, mais également d'une augmentation du délai d'obtention de rendez-vous en mairie qui s'établit désormais à 22 jours en moyenne . Dans son rapport sur les passeports biométriques dans les communes, l'Inspection générale de l'administration (IGA) précise que si les flux de demandes « semblent gérables pour les seuls passeports, avec le déploiement éventuel de la carte d'identité sécurisée, ces flux pourraient créer des problèmes majeurs de saturation du dispositif » 4 ( * ) .
Pour remédier à ces difficultés, 144 mois vacataires ont été alloués aux CERT à partir de juin 2021 et un plan de renfort spécifique est en cours d'élaboration pour doter les structures responsables de l'instruction des CNI et des passeports de moyens supplémentaires. Des réformes pourraient également être entreprises pour rationaliser le processus de prise de rendez-vous en mairie . Suivant les recommandations de l'IGA, l'ANTS préconise d'encourager le recours à la pré-demande en ligne, de réduire les créneaux de rendez-vous à 15 minutes et de pratiquer la surréservation pour pallier l'effet des annulations de dernière minute. L'AMF s'oppose cependant à la mise en oeuvre de telles mesures jugées inutiles car « compte tenu de ces multiples irritants, qui sont le fait de l'équipement et de la procédure mise en oeuvre par l'État, il serait particulièrement maladroit de contraindre les communes dans la prise de rendez-vous 5 ( * ) ».
Interrogé sur la capacité d'IN Groupe à produire suffisamment de titres pour faire face à l'augmentation de la demande, Michael Zafrany, vice-président exécutif en charge des activités industrielles, a confirmé que l'outil de production avait été adapté pour produire jusqu'à 10 millions de cartes par an alors que le niveau de production actuel, extrapolé sur une année, est de l'ordre de 6 millions d'unités . IN Groupe s'est également engagé, par le biais d'une convention signée avec l'ANTS en mars 2020, à produire la CNI dans un délai de quatre jours après réception des données. Un stock de sécurité de titres prêts à l'emploi équivalant à six mois de production est conservé pour pouvoir honorer cet engagement en cas de pics de demandes.
Le contexte mondial de tension sur les chaînes d'approvisionnement en semi-conducteur , composant essentiel des puces électroniques, a également conduit IN Groupe à mettre en oeuvre des mesures supplémentaires pour limiter l'impact d'une éventuelle pénurie (stocks stratégiques de composants, plan de commandes à long terme auprès des fournisseurs pour sécuriser l'approvisionnement, etc. ).
B. LA NOUVELLE CARTE NATIONALE D'IDENTITÉ, SUPPORT PHYSIQUE D'UNE FUTURE IDENTITÉ NUMÉRIQUE
1. Un déploiement progressif pour des usages limités à court terme
La hausse des demandes de CNI s'explique en partie par les nombreux avantages qu'offre ce nouveau titre en polycarbonate, plus résistant . Son format, plus compact , correspond aux standards internationaux (mentions traduites en anglais, nouvelle piste de lecture automatique dite « MRZ », etc. ), ce qui facilite son utilisation au passage des frontières . De nouvelles fonctionnalités ont également été ajoutées pour lutter contre la fraude telle que la personnalisation du numéro de titre dans le bord transparent .
L'innovation technologique principale de ce titre réside dans l'intégration d' une puce avec deux compartiments : le premier est lu par les autorités compétentes pour permettre le passage de frontières, le second a vocation à permettre une identification numérique par le biais d'un code personnel dont l'activation autorise la lecture des données contenues sur la puce à partir de son smartphone. La nouvelle CNI a ainsi été pensée comme le support physique d'une future identité numérique régalienne . Elle constitue donc la première étape d'un projet au long cours.
L'accord cadre portant sur la réalisation et le maintien en condition opérationnelle et de sécurité du service de garantie de l'identité numérique (SGIN) a été notifié en mai 2021. Il a pour objet le développement de l'application permettant d'exploiter les capacités de ce titre d'identité à des fins d'identification électronique pour un montant de 20 millions d'euros sur trois ans . À ces dépenses s'ajoute le coût de production de la CNI compris entre 26,2 et 45,3 millions d'euros environ par an en fonction du volume de titres produit 6 ( * ) .
Une première version de cette application sera testée au premier trimestre 2022 sous le contrôle complet de l'usager, qui peut choisir d'utiliser son code personnel pour s'identifier, et pour des usages limités comme la génération d'une attestation d'identité ou l'affichage d'une preuve d'âge. Ces attestations, signées par l'État, permettront aux citoyens qui le souhaitent de présenter un document plus sécurisé qu'un scan de leur pièce d'identité et de sélectionner les données qu'ils souhaitent partager.
2. Un nouveau titre d'identité qui ouvre de nombreuses perspectives à moyen terme
La délivrance physique de la carte nationale d'identité offre de solides garanties de sécurisation de l'identité numérique qui y sera associée. Toutefois, les concepteurs de l'application doivent développer un système suffisamment simple et accessible du point de vue du parcours utilisateur tout en garantissant un niveau élevé de sécurité au sens du droit européen, ce qui n'est pas encore le cas .
Identité numérique : les trois
niveaux de sécurité au sens du droit
de l'Union
européenne
Conformément au règlement européen « eIDAS » n° 910/2014 du 23 juillet 2014 7 ( * ) , il convient de distinguer trois niveaux de sécurité :
- faible : le système d'identification vise à réduire le risque d'utilisation abusive ;
- substantiel : le système réduit substantiellement le risque d'utilisation abusive. À titre d'exemple, les données de connexion peuvent être transmises via deux canaux distincts (courrier, courriel, SMS, etc .) ;
- élevé : le système empêche le risque d'utilisation abusive ou l'altération de l'identité. Pour s'assurer de son identité, des efforts particuliers sont fournis lors de l'enregistrement (« enrôlement ») du demandeur. Cette exigence peut notamment être remplie par une rencontre « physique » entre le demandeur et un tiers de confiance (qui atteste de l'identité de la personne) ou par le recours à des techniques biométriques.
Le programme interministériel « France identité numérique » prévoit ainsi que l'application développée sera en mesure de garantir une identification de niveau faible au sens du règlement « eIDAS » sur la plateforme « FranceConnect » au deuxième trimestre 2022 et espère obtenir une qualification au niveau susbtantiel voire élevé par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) à l'été 2022 . La quatrième étape du déploiement de l'identité numérique consistera , à la fin de l'année 2022 , à étendre le champ des documents sources aux passeports et aux titres de séjour , également équipés d'une puce électronique.
Le déploiement de l'identité numérique dépend par ailleurs du rythme de diffusion de la nouvelle CNI. Le règlement européen imposant un renouvellement total du stock de CNI avant août 2031, une proportion importante des citoyens n'aura donc pas accès à l'identité numérique à court ou moyen terme, faute de support physique adapté.
À terme, la qualification au niveau élevé de cette identité numérique devrait permettre aux usagers de substituer un code unique aux multiples identifiants et mots de passe nécessaires pour s'identifier sur Internet. L'identité numérique s'intègre dans le projet de futur portefeuille européen dont le déploiement est prévu dès 2023 et qui permettra d'importer et de stocker sur son mobile des attributs liés à l'identité du porteur (diplômes, droits à conduire, etc.).
Les usages de l'identité numérique sont donc multiples et s'étendront non seulement aux services publics (impôts, sécurité sociale, etc.) mais aussi aux sites privés (banques, notaires, etc. ) et ouvriront sans doute des débats sur la possibilité de dématérialiser l'établissement des procurations de vote , voire, à plus long terme, de mettre en oeuvre le vote par Internet pour des élections politiques.
Or, la fracture numérique demeure importante puisque « 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et que près d'un Français sur deux est mal à l'aise avec cet outil 8 ( * ) . » Dans ce contexte, le développement de l'identité numérique risque d'accélérer la dématérialisation des services publics mise en oeuvre depuis plusieurs années. S'il convient d'encourager les avancées technologiques qui permettront de simplifier et de sécuriser les démarches administratives, la rapporteure rappelle que de tels développements ne doivent pas se faire au détriment d'une partie de nos concitoyens qui se sentent de plus en plus marginalisés.
III. DES CRÉDITS CONSACRÉS À L'ORGANISATION DES ÉLECTIONS EN FORTE HAUSSE POUR RELEVER LES MULTIPLES DÉFIS LOGISTIQUES QUI PÈSENT SUR LES ÉLECTIONS EN 2022
A. UNE HAUSSE CONJONCTURELLE DES CRÉDITS ALLOUÉS À LA VIE POLITIQUE EN RÉPONSE AUX ÉCHÉANCES ÉLECTORALES MAJEURES DE 2022
Les crédits du programme 232 « Vie politique » augmentent plus fortement que ceux des autres programmes de la mission (+ 12,9 % en AE, + 12,6 % en CP) du fait d' une activité électorale importante en 2022 9 ( * ) . Les prochaines élections présidentielle et législatives devraient coûter respectivement 4,72 euros et 3,97 euros par électeur inscrit sur les listes électorales en moyenne. À titre de comparaison, le coût moyen par électeur s'est élevé à 3,67 euros pour les élections régionales et 3,52 euros pour les élections départementales de juin 2021. Cette différence tient à la fois à la nature des élections concernées (nombre de candidats, montant du remboursement forfaitaire des dépenses électorales des candidats, etc. ) mais aussi aux adaptations réglementaires mises en oeuvre pour sécuriser l'organisation des élections .
B. DE MULTIPLES DÉFIS LOGISTIQUES À RELEVER DANS UN CONTEXTE SANITAIRE ENCORE INCERTAIN
L'organisation des prochaines élections se heurte à des défis logistiques considérables aggravés par les incertitudes qui continuent de peser sur le contexte sanitaire . De nombreux dysfonctionnements ont été constatés dans la confection, la mise sous pli et la distribution de la propagande électorale à l'occasion des élections régionales et départementales de juin 2021. Au second tour, 26,6 % des électeurs n'ont ainsi reçu aucune propagande pour les élections départementales et 40,3 % pour les élections régionales 10 ( * ) .
La mission d'information créée par la commission des lois du Sénat pour faire la lumière sur ces dysfonctionnements a formulé de nombreuses recommandations pour s'assurer que ces problèmes soient résolus en vue des prochains scrutins d'avril et de juin 2022 telles que la résiliation de l'accord-cadre portant sur la distribution de la propagande électorale jusqu'en 2024 et la révision des critères de sélection des candidats au marché de distribution des plis électoraux.
Le Gouvernement a pris en compte certaines de ces propositions puisque, dès le 13 août 2021, le ministère de l'intérieur a résilié le contrat qui le liait à Adrexo , titulaire de sept des quinze lots de l'accord-cadre. Dans un courrier du 4 novembre 2021 adressé au Président du Sénat, le ministre de l'intérieur a précisé que « ce nouveau marché accorder[ait] dans ses critères d'attribution un poids plus important aux capacités opérationnelles du prestataire » et imposerait une clause obligeant « celui-ci à indiquer le nombre d'agents qu'il a prévu de mobiliser, la part des intérimaires notamment ainsi que le contenu et la durée de la formation qui leur sera dispensée », conformément aux recommandations de la mission d'information. Lors de son audition par la commission des lois, Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté, a annoncé qu'un nouvel appel d'offre avait été lancé le 6 novembre 2021 pour assurer la distribution de la propagande électorale pour les sept lots concernés jusqu'en 2024 . Ce nouvel appel d'offre a été adapté pour prendre en compte plusieurs recommandations formulées par la commission des lois du Sénat.
Recommandations de la commission des lois du
Sénat
11
(
*
)
prises
en compte dans le nouvel appel d'offre portant sur la distribution
de
la propagande électorale
Recommandations |
Dispositions du nouvel appel d'offre |
Recommandation n° 3 : Revoir les critères de sélection des candidats au marché de la distribution des plis électoraux, pour donner la prépondérance aux moyens opérationnels. |
Le critère financier représente 40 % de la note globale et le critère technique 60 %. La répartition a été inversée par rapport à l'appel d'offre précédent. |
Recommandation n° 6 : Afin de limiter le nombre de plis non distribués, mieux tirer parti des bases d'adresses des opérateurs postaux pour corriger le fichier des électeurs. |
Le titulaire du marché doit informer l'administration des corrections entreprises par commune pour redresser les adresses. |
Recommandation n° 7 : Préciser et uniformiser les consignes de distribution à donner aux agents. |
Le nouvel appel d'offre ne précise pas davantage les consignes de distribution mais mentionne l'obligation de résultat du titulaire du marché. |
Recommandation n° 8 : Préciser, dans les clauses du marché public, les exigences minimales de formation des agents chargés de la distribution. |
Lors de la réunion de lancement, le titulaire indique le nombre de personnes affectées à la distribution des enveloppes en détaillant notamment la part de agents en contrat à durée indéterminée et des contractuels et intérimaires ainsi que les modalités de formation des personnels non titulaires. |
Recommandation n° 9 : Améliorer les systèmes de reporting imposés aux opérateurs, afin de mettre fin aux discordances entre chiffres déclarés et constatés. |
Le titulaire du marché est responsable du marquage des contenants. Un tiers dûment désigné par l'administration pourra effectuer des vérifications sur les prestations réalisées. |
En réponse aux difficultés rencontrées dans la mise sous pli de la propagande électorale, le ministère de l'intérieur a par ailleurs décidé d'internaliser cette tâche qui sera désormais réalisée par les préfectures en régie ou par les communes via des conventions liant préfectures et mairies. Le surcoût de cette ré-internalisation est estimé à 5 millions d'euros en titre II, hors comptes d'affectation spéciale.
Cette décision a suscité de nombreuses interrogations au sein des préfectures dont certaines ne disposent pas des moyens humains et matériels nécessaires pour relever un tel défi logistique, en particulier dans les départements les plus peuplés . À titre d'exemple, la préfecture du Val-de-Marne devrait mobiliser entre 1 200 et 1 300 personnes sur une journée pour assurer la mise sous pli de la propagande électorale 12 ( * ) . Afin d'éviter de mettre certaines préfectures en difficulté, le ministère de l'intérieur a fixé , par une circulaire du 4 novembre 2021 13 ( * ) , les trois conditions cumulatives qui permettront aux préfectures de continuer à externaliser ces prestations :
• le lieu de routage doit se situer à moins d'une heure et trente minutes de route du chef-lieu de la préfecture ;
• les opérations sont intégralement mécanisées ;
• le routeur détenteur du marché de mise sous pli n'a rencontré aucune difficulté lors du double scrutin de juin 2021. Les préfectures qui comptent plus de 500 000 électeurs sont exemptées de remplir ce dernier critère.
Le ministère de l'intérieur espère ainsi renforcer le contrôle des préfectures sur l'ensemble des opérations tout en prévoyant des exceptions nécessaires et strictement encadrées au principe de l'internalisation de la mise sous pli .
EXAMEN EN COMMISSION
__________
M. François-Noël Buffet , président. - Nous examinons le rapport de Cécile Cukierman les crédits de la mission « Administration générale et territoriale » du projet de loi de finances pour 2022.
Mme Cécile Cukierman , rapporteure . - Cette mission, pilotée par le ministère de l'intérieur, poursuit trois objectifs : garantir aux citoyens l'exercice de leurs droits dans le domaine des libertés publiques ; assurer la continuité de l'État sur l'ensemble du territoire ; mettre en oeuvre au niveau local les politiques publiques nationales.
Les crédits de la mission prévus par la loi de finances pour 2021 s'élèvent à 4,4 milliards d'euros, en légère hausse par rapport à l'année précédente : + 5,4 % en autorisations d'engagement (AE) et + 4,5 % en crédits de paiement (CP). Les trois programmes de la mission voient leurs crédits augmenter, mais dans des proportions différentes.
Le budget du programme 216, « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », auquel sont rattachés les moyens du pilotage des fonctions support, de la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère et des cultes, continue de croître - + 5 % en AE, + 6 % en CP - pour permettre la poursuite des réformes engagées en 2020 telles que le réseau Radio du futur ou le projet « Administration numérique pour les étrangers en France » et intégrer la gestion des cultes, qui relevait jusque-là du programme 232.
Les crédits du programme 232, « Vie politique », augmentent significativement - + 12,9 % en AE, + 12,6 % en CP - pour financer les élections présidentielle, législatives et territoriales en 2022. L'organisation de ces élections se heurte à de nombreux obstacles logistiques révélés par les dysfonctionnements constatés dans la confection, la mise sous pli et la distribution de la propagande électorale lors des dernières élections départementales et régionales de juin 2021. La commission des lois a formulé sur le sujet de nombreuses recommandations dans son rapport d'information publié le 21 juillet 2021. Le ministère de l'intérieur a pris en compte certaines de ces propositions puisque, dès le 13 août, il a résilié le contrat qui le liait à Adrexo, titulaire de 7 des 15 lots de l'accord-cadre portant sur la distribution de la propagande électorale. Un nouvel appel d'offres, couvrant les 7 lots concernés, a été publié le 6 novembre dernier et reprend de nombreuses propositions formulées par la commission des lois : prépondérance du critère technique sur le critère financier, renforcement des obligations du prestataire concernant la gestion des plis non distribués, obligation de préciser les modalités de formation des personnels non titulaires, amélioration du système de reporting , etc. Le marché, qui couvre la période 2022-2024, n'a pas encore été attribué, mais il nous semble que les mesures correctives prises par le ministère de l'intérieur vont dans le bon sens pour garantir la sécurisation des prochains scrutins majeurs que sont les élections présidentielle et législatives. Notons que le ministère de l'intérieur a également demandé aux préfectures de ré-internaliser la mise sous pli de la propagande électorale ou, à défaut, lorsque cela représente un défi humain et logistique trop important, notamment pour les préfectures des départements les plus peuplés, de renforcer le contrôle par les préfectures de l'ensemble des tâches réalisées par les routeurs.
Enfin, le programme 354, « Administration territoriale de l'État », qui couvre notamment les moyens des sous-préfectures, des préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI) enregistre l'augmentation la plus faible de ses crédits, de l'ordre de 4,3 % en AE et 2,2 % en CP pour financer la réforme de l'organisation territoriale de l'État. Ce programme représente pourtant 51 % des crédits budgétaires de la mission et garantit la présence de l'État dans les territoires. Je déplore chaque année le manque de moyens attribués à cette mission essentielle tant pour les citoyens que les élus locaux. Cette année ne fait pas exception puisque, loin de « réarmer nos territoires », comme l'avait promis le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 16 juillet 2020, le Gouvernement ne fait que stabiliser les effectifs de l'administration territoriale de l'État, pour la deuxième année consécutive. Certes, cette stabilisation offre une respiration salutaire à des services qui ont perdu le quart de leurs effectifs entre 2008 et 2020, mais elle ne permet pas de compenser l'effet délétère des multiples réformes administratives qui ont affaibli la présence de l'État dans les territoires.
Pire encore, le ministère de l'intérieur a mis en oeuvre la première étape de la réforme de l'organisation territoriale de l'État à marche forcée, avant même que les objectifs fixés par le plan Préfectures nouvelle génération (PPNG) ne soient atteints. Le contrôle de légalité voit ainsi ses effectifs diminuer de 2 % en 2021, alors que le PPNG l'avait identifié comme une mission prioritaire.
Le déploiement des secrétariats généraux communs aux préfectures et aux DDI a permis la mutualisation des fonctions support au sein des services déconcentrés à vocation interministérielle. Mais, une fois encore, les agents payent le prix de cette réforme précipitée qui se heurte à de nombreux problèmes mal anticipés : absence de culture de travail commune, systèmes d'information de gestion des ressources humaines incompatibles entre ministères, retards dans la délivrance des cartes d'agent ministériel qui permettent d'accéder aux applications, etc.
Au-delà de ces aspects budgétaires, j'ai fait le choix de m'intéresser, cette année, au déploiement de la nouvelle carte nationale d'identité (CNI), la délivrance des titres sécurisés relevant également du programme 354. Répondant aux exigences européennes, la généralisation de ce titre à partir d'août 2021, après une période d'expérimentation de cinq mois, s'est déroulée sans dysfonctionnements majeurs malgré quelques difficultés techniques identifiées par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité. Toutefois, les délais de prise de rendez-vous en mairie - 22 jours - et le stock de CNI à instruire au sein des centres d'expertise et de ressources des titres (CERT), qui est passé de 88 000 titres à 230 000 titres en trois mois, ne cessent de s'accroître. Des interrogations pèsent donc sur la capacité des mairies équipées de dispositifs de recueil et des CERT à répondre à la demande croissante pour ce nouveau titre victime de son succès.
L'engouement pour la nouvelle CNI s'explique à la fois par son format plus pratique et plus résistant, mais aussi par les nombreux usages qu'offre ce titre étroitement lié à l'identité numérique. La puce électronique intégrée à la nouvelle CNI permettra, une fois l'identité numérique régalienne développée, de s'authentifier sur des plateformes comme France Connect et de réaliser de nombreuses démarches en ligne. Au premier semestre 2022, l'identité numérique ne servira, pour les citoyens qui le souhaitent, qu'à fournir des preuves d'âge ou des attestations d'identité. À terme, toutefois, les usages seront beaucoup plus nombreux : faire des démarches administratives, s'identifier sur des sites privés ou encore établir sa procuration de vote. L'identité numérique ouvrira peut-être même le débat sur le vote par internet.
Or, la fracture numérique demeure importante puisque 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et près d'un Français sur deux est mal à l'aise avec cet outil. Dans ce contexte, je tiens à rappeler que le développement de l'identité numérique ne doit pas se faire au détriment d'une partie de nos concitoyens déjà marginalisés par la dématérialisation croissante des services publics.
Nous n'avons plus à formuler d'avis, puisque le Sénat a rejeté la première partie du projet de loi de finances pour 2022, mais si j'avais eu à me prononcer, j'aurais donné un avis défavorable à ces crédits, parce qu'ils sont encore loin, malgré quelques progrès, de « réarmer les préfectures » et de sécuriser l'action des élus locaux au quotidien.
Mme Nathalie Goulet . - Notre commission a fait un travail important après les dysfonctionnements constatés dans l'organisation des dernières élections départementales et régionales. Le ministère de l'intérieur nous a entendus puisque la mise sous pli de la propagande électorale a été internalisée, après avoir été externalisée avec les conséquences que nous connaissons. Nous ignorons le coût de ce changement et il faudra en contrôler le déroulement. À la veille des échéances électorales nationales, nous avons intérêt à porter un regard continu sur cette réforme, car les promesses n'engagent que ceux qui les entendent...
M. François-Noël Buffet , président . - Effectivement, d'autant que le Gouvernement s'étant largement inspiré de nos propositions, nous sommes tout à fait fondés à contrôler leur mise en oeuvre.
M. Éric Kerrouche . - Sur cette mission, la continuité n'est pas nécessairement une bonne chose, notamment pour la dématérialisation des services publics. Avec Agnès Canayer, nous avons consacré à ce sujet un rapport d'information, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dans lequel nous soulignons la difficile prise en compte de l'illectronisme qui touche surtout les usagers qui ont le plus recours aux services publics. La Cour des comptes pointe des dérives en montrant que des offres privées et payantes se substituent aux services publics. Cette mission reconduit les moyens d'investissement numérique pour les fonctionnaires, alors que nous avons constaté que bien des logiciels ne sont pas adaptés aux missions qu'ils exercent. Les représentants syndicaux nous ont signalé des dysfonctionnements dans le travail quotidien et nous ont alertés sur des problèmes de continuité de service. Un exemple : une mesure de sécurité oblige les secrétaires administratifs des préfectures et des sous-préfectures à prévisualiser leurs documents numérisés sur l'imprimante plutôt que de les consulter directement à l'écran, ce qui entraîne des va-et-vient insensés parce que le logiciel n'est pas adapté.
Sur la réforme des services de l'État, le Premier ministre a annoncé de « réarmement des territoires » : le périmètre de la mission a changé, mais on s'interroge encore sur la doctrine territoriale de l'État. En réalité, et je m'appuie sur une recherche universitaire pour le dire, la volonté de rationaliser les dépenses publiques est une antienne qui date du XX e siècle. En moyenne, une réforme de l'État est menée tous les cinq ans depuis 1969, sans cohérence ni tenir compte des réalisations précédentes. Ce mouvement s'est accéléré depuis 1990.
Nous déplorons les tensions sur les CERT, mais aussi sur le développement des maisons France Services qui se substituent à tous les services publics mais sont cofinancées par les collectivités territoriales.
Concernant l'organisation des élections, les crédits augmentent mais le ministère de l'intérieur conserve une part d'opacité, en particulier pour la mise sous pli : elle serait désormais faite en régie par les préfectures ou les communes. Le ministre de l'intérieur nous a pourtant adressé un courrier contredisant les informations contenues dans le projet annuel de performance. L'organisation des élections sera donc à géométrie variable. Le flou demeure aussi sur l'acheminement de la propagande électorale. Un nouveau marché public sera passé pour couvrir les lots précédemment attribués à Adrexo. Dans les faits, nous ignorons comment se déroule cette procédure. Nos travaux en commission ont permis d'alerter et d'avertir le ministère de l'intérieur. La balle est dans son camp et il ne faudrait pas que nous ayons à constater de nouveaux dysfonctionnements sous peine d'affaiblir encore davantage notre système démocratique. Bien entendu, le ministère de l'intérieur ne propose pas de moderniser les modalités de vote. J'espère que nous pourrons le faire en vue des prochaines élections législatives.
Enfin, je m'étonne de la baisse des crédits de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques, alors que deux élections majeures se dérouleront l'an prochain.
Pour toutes ces raisons, j'aurais suivi l'avis défavorable de notre rapporteure.
Mme Cécile Cukierman , rapporteure pour avis . - Je partage cette analyse sur les dysfonctionnements liés au numérique qui traduisent les difficultés de l'administration à rendre le service public. Le défi de notre temps est d'entrer dans la modernité tout en conservant l'humanité d'une administration publique présente dans les territoires. L'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame : « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration », mais cela suppose la présence d'agents publics... Et il est vrai que de plus en plus de secrétaires de mairie nous parlent d'usagers qui les sollicitent pour effectuer leurs démarches afin de maintenir ce lien humain.
Le coût de l'internalisation de la mise sous pli est chiffré à 5 millions d'euros ; nous aurions effectivement intérêt à suivre le processus jusqu'aux élections, et à l'évaluer à l'issue des scrutins.
La commission donne acte de sa communication à la rapporteure et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Secrétariat général du ministère de l'intérieur
M. Olivier Jacob, préfet, secrétaire général adjoint, directeur de la modernisation et de l'administration territoriale
Direction du numérique du ministère de l'intérieur
M. Jérôme Letier , directeur, secrétaire général adjoint
Mme Carole Puig-Chevrier , chef du service pilotage et gouvernance
Agence nationale des titres sécurisés
Mme Anne-Gaëlle Baudoin , directrice
Programme France Identité Numérique
Mme Valérie Peneau , directrice
IN Groupe
M. Yann Haguet, vice-président exécutif Identité
M. Michael Zafrany, vice-président exécutif en charge des activités industrielles
M. Romain Galesne-Fontaine, vice-président exécutif Relations institutionnelles
Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (contribution écrite)
* 1 Déclaration de politique générale de Jean Castex, Premier ministre, au Sénat le 16 juillet 2020.
* 2 La direction des libertés publiques et des affaires juridiques et la direction de la modernisation et de l'administration territoriale du ministère de l'intérieur, le programme interministériel France identité numérique et l'Inspection générale de l'administration.
* 3 Contribution écrite de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité du 4 novembre 2021.
* 4 « Les passeports biométriques dans les communes : fonctionnement du dispositif et indemnisation », rapport de l'Inspection générale de l'administration, février 2010.
* 5 Contribution écrite de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité du 4 novembre 2021.
* 6 Lors de son audition, Yann Haguet, vice-président exécutif Identité d'IN Groupe, a indiqué que le prix moyen d'une CNI était compris « entre 5,23 euros toutes taxes comprises (TTC) pour une réalisation annuelle de 5 millions de cartes et 4,77 euros TTC pour une réalisation annuelle de 9,5 millions de cartes ».
* 7 Règlement du Parlement européen et du Conseil sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE.
* 8 « L'illectronisme ne disparaîtra pas d'un coup de tablette magique ! », rapport d'information n° 711 (2019-2020) fait par Raymond Vall au nom de la mission d'information sénatoriale sur l'illectronisme et l'inclusion numérique.
* 9 Élections présidentielle, législatives et territoriales à Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
* 10 « Dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 », rapport d'information n° 785 (2020-2021) fait par François-Noël Buffet au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.
* 11 « Dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 », rapport d'information n° 785 (2020-2021) fait par François-Noël Buffet au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.
* 12 Source : audition d'Olivier Jacob, directeur de la modernisation et de l'administration territoriale.
* 13 Circulaire de Jean-Benoît Albertini, préfet, secrétaire général du ministère de l'intérieur, du 4 novembre 2021 relative à la mise sous pli et au colisage de la propagande électorale pour les élections présidentielle et législatives 2022.