N° 208
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1)
sur le compte d'affectation spéciale «
Participations
financières
de l'
État
»
du projet de loi de finances pour 2022,
Par Mme Martine BERTHET,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie Evrard, Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .
L'ESSENTIEL
Il ressort de l'étude de ce compte d'affectation spéciale qu'il s'est progressivement éloigné de sa mission initiale, qui est de retracer les interventions de l'État actionnaire, pour n'être plus qu'une simple courroie de transmission de crédits budgétaires, soit pour aider des sociétés fragilisées par la crise, soit pour mettre en oeuvre diverses politiques hétérogènes (politique industrielle, d'innovation, de recherche et développement, d'aide au développement, etc.).
Sur le fond, les considérations liées à la souveraineté du pays, qui devraient être au coeur des préoccupations de l'État stratège, ont cédé la place ces dernières années à des opérations plus court-termistes, financières et non économiques. Au surplus, la gestion par l'État de son portefeuille coté est préoccupante, compte tenu de son moindre rendement par rapport à celui du CAC 40 et de sa concentration croissante autour de quelques valeurs (énergie, défense).
Sur la forme, enfin, le Parlement reste insuffisamment informé des choix de l'État actionnaire, quand il n'est pas purement et simplement contourné ainsi qu'en atteste le maintien du Fonds pour l'innovation et l'industrie (FII).
I. UN COMPTE ÉLOIGNÉ DE SES OBJECTIFS INITIAUX, DEVENU SIMPLE INSTRUMENT BUDGÉTAIRE ET COMPTABLE ET NON PLUS OUTIL AU SERVICE DE L'ÉTAT STRATÈGE
A. UN COMPTE TRÈS SOLLICITÉ DEPUIS LE DÉCLENCHEMENT DE LA CRISE, DONT LA BUDGÉTISATION A ÉTÉ REVUE PLUSIEURS FOIS DURANT L'ANNÉE POUR PARER À L'URGENCE
1. Une valorisation totale qui se relève progressivement grâce à l'action EDF, après avoir fortement chuté du fait de la crise sanitaire
La valorisation du portefeuille côté de l'État actionnaire s'établit à 70,3 milliards d'euros au 30 juin 2021, soit une augmentation de 34 % par rapport au 30 juin 2020 (la valorisation était alors de 52,6 milliards d'euros), lorsque les marchés financiers étaient particulièrement impactés par la crise sanitaire. Elle est par ailleurs restée stable sur les six premiers mois de l'année 2021, l'essentiel de la hausse ayant eu lieu durant le second semestre 2020, puisque la valorisation atteignait 70,6 milliards d'euros au 31 décembre 2020.
La hausse massive de la valorisation du portefeuille entre juin 2020 et septembre 2021 cache toutefois plusieurs disparités. D'une part, la valeur totale continue d'être inférieure de 5 % à celle qu'elle atteignait au 31 décembre 2019, c'est-à-dire avant la crise sanitaire 1 ( * ) (70,3 contre 74,3 milliards d'euros). D'autre part, cette baisse de 5 % aurait en réalité été bien plus forte sans la croissance du titre EDF : sur onze entreprises cotées, sept sont en effet toujours en baisse mi-2021 par rapport à 2019, pour un total de 9,8 milliards d'euros. La valorisation des titres de l'État dans EDF, qui a augmenté de 18 % (+ 4,7 milliards d'euros) a donc permis d'atténuer la chute de la valorisation totale, qui aurait sinon été de 12 % par rapport à fin décembre 2019.
Évolution de la valorisation du portefeuille
côté de l'État actionnaire
entre le
31 décembre 2019 et le
30 juin 2021
-
en millions
Source : commission des affaires économiques, à partir des données transmises par l'APE.
Encore faut-il prendre en compte, dans le cas d'Air France, le fait que l'État soit monté au capital en avril 2021, de 14,3 % à 28,6 %, en convertissant 3 milliards d'euros de prêts directs en quasi-fonds propres, ce qui induit mécaniquement une augmentation de la valorisation de sa participation. Sans cet achat d'actions, cette valorisation serait moitié plus faible, et atteindrait 374 milliards d'euros mi-2021, soit une baisse de 38 % par rapport à fin 2019 ; la valorisation totale du portefeuille, quant à elle, serait en baisse de 6 % par rapport au 31 décembre 2019, soit une perte de 4,3 milliards d'euros.
Autrement dit, entre fin 2019 et mi-2021, seule la participation de l'État dans EDF, Eramet et la FDJ a évolué à la hausse. Cela s'explique en partie, bien entendu, par le ralentissement du trafic aérien (entraînant par exemple une baisse des revenus d'activité d'Air France et d'Airbus, mais une hausse de leurs coûts) et des ventes automobiles en baisse (encore accentuées par les difficultés de Renault pour s'approvisionner en semi-conducteurs).
Les difficultés rencontrées par Renault en raison de la crise des semi-conducteurs
La crise sanitaire puis économique a conduit à une pénurie de semi-conducteurs, matériaux nécessaires à la construction des véhicules automobiles car utilisés dans les circuits intégrés et les puces électroniques. Alors que les constructeurs ont revu à la baisse leurs commandes en 2020 en raison de l'épidémie de covid-19, la demande pour les semi-conducteurs a augmenté pour d'autres usages (soins de santé à distance, travail à domicile, etc.). Par conséquent, depuis que les constructeurs automobiles ont à nouveau procédé à d'importantes commandes pour répondre à la reprise d'activité, l'offre est insuffisante ce qui se traduit à la fois par une pénurie de ces matériaux et par une hausse de leur prix.
Lors de la présentation de son chiffre d'affaires du troisième trimestre 2021, le 22 octobre, Renault a ainsi annoncé que cette situation entraînerait, in fine, une perte de production de 500 000 véhicules en 2021 (contre 220 000 initialement anticipés). Entre le 1 er juillet et le 30 septembre, les ventes ont en effet diminué de 22 %, pour atteindre moins de 600 000 véhicules contre 860 000 durant l'été 2019.
2. Le compte d'affectation spéciale a permis d'apporter une aide importante à certaines entreprises fragilisées par la crise, ce qui a nécessité de réviser plusieurs fois sa budgétisation
Au 31 août 2021, le montant des opérations en lien avec la crise sanitaire financées à partir du compte s'établissait à 8,7 milliards d'euros. Les principales interventions sont les suivantes :
• une souscription de l'État à l'augmentation de capital de la SNCF à hauteur de 4,1 milliards d'euros, le 15 décembre 2020. La rapporteure note toutefois que l'intégration de cette opération parmi celles liées à la crise est sujette à caution, car ne relevant pas entièrement de l'urgence liée à la crise sanitaire ;
• le versement de deux appels de fonds d'un montant global de 3 milliards d'euros au titre de l'avance en compte courant d'actionnaire consentie à Air France KLM , le 6 mai 2020 ;
• la participation, à plusieurs reprises en 2020 et 2021, par Bpifrance, au nom et pour le compte de l'État, au Fonds Ace Aéro Partenaires (fonds d'investissement aéronautique destiné à soutenir les PME et ETI de la filière, géré par une filiale de la société Tikehau) ;
• la souscription de l'État au fonds d'investissement professionnel spécialisé Fonds d'Avenir Automobile 2 , à hauteur de 105 millions d'euros 2 ( * ) .
Le compte a donc indéniablement permis d'amortir les effets de la crise pour les entreprises concernées. Pour ce faire, il a toutefois subi une forme d'instabilité budgétaire, ainsi qu'en témoigne le schéma ci-dessous. La rapporteure note ainsi que tant en 2020 qu'en 2021, les autorisations de crédits accordées par le Parlement sont devenues caduques peu de temps après leur adoption.
Évolution des crédits
budgétaires du compte, entre 2020 et 2021
en
millions d'euros
Source : commission des affaires économiques du Sénat.
Pour 2022, ce sont 7 milliards d'euros qui sont demandés pour des opérations en capital intéressant les participations financières de l'État (augmentation de capital, achat de titres, etc.), et 1,9 milliard d'euros pour participer au désendettement de l'État, soit un total de 8,9 milliards d'euros d'autorisations d'engagement.
Si une part de ces mouvements est liée aux incertitudes inhérentes à toute crise, leur ampleur et leur fréquence interrogent sur les tâtonnements de l'État quant à son intervention en tant que stratège. Pour ne prendre qu'un exemple, l'enveloppe de 20 milliards d'euros ouverte en loi de finances rectificative pour 2020 afin de soutenir les entreprises stratégiques fragilisées n'a été utilisée, un an plus tard, qu'à hauteur de 9 milliards d'euros, entraînant un report de crédits pour 2021 de 11 milliards d'euros, puis un décret d'annulation de 7,2 milliards d'euros pour dégager des fonds dans le but d'abonder le Fonds de solidarité et l'activité partielle.
La rapporteure déplore ces multiples évolutions et modifications de crédits, qui compliquent fortement la lisibilité d'un compte qui semble, par ailleurs, ne plus correspondre à sa mission initiale.
* 1 Y compris en retirant du calcul la valorisation de la part détenue par l'État dans CNP Assurances, estimée à 136 millions d'euros au 31 décembre 2019, cédée depuis.
* 2 Le 5 février 2021, il a été procédé au versement d'un premier appel de fonds à hauteur de 31,5 millions d'euros.