B. UNE CRISE QUI EXACERBE DES DIFFICULTÉS BIEN CONNUES EN MATIÈRE DE PRISE EN CHARGE DE LA SANTÉ MENTALE

1. Des enjeux tardivement pris en considération par les pouvoirs publics
a) Des aspects mal appréhendés dans le calibrage des mesures de lutte contre la pandémie

La prise en compte de la santé mentale dans la gestion de la pandémie et des mesures de lutte contre la propagation du virus de la covid-19 a pu paraître très limitée.

Ainsi, à titre d'exemple, le confinement très strict imposé durant la première vague de la pandémie, avec une limitation des sorties possibles et des messages dissuasifs même sur les plages de sorties autorisées ou encore la fermeture des parcs, a pu être considéré comme sous-estimant l'impact éventuel sur la santé mentale de la population, particulièrement en zone urbaine.

S'il ne s'agit pas ici de discuter des choix faits dans l'urgence de la première vague et au regard de nombreuses incertitudes que comportait la situation de mars 2020, on ne peut que constater que le premier confinement a sans doute trop peu ménagé l'équilibre psychologique des Français , dans une période pourtant particulièrement anxiogène.

À ce titre, il convient de noter que les confinements successifs, tirant sans doute les conséquences de l'impact de l'isolement en matière de santé mentale, ont progressivement étendu les possibilités de sorties, avec au début de l'année 2021 un « confinement extérieur » préconisé.

b) Une implication des services du ministère dès le début de la crise

Interrogé sur la prise en compte de la santé mentale dans la gestion de la crise sanitaire, le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie a précisé le rôle des services du ministère de la santé.

La délégation ainsi participé à une cellule de crise dédiée « covid santé mentale » mise en place par la direction générale de l'offre de soins et réunie toutes les deux semaines. Cette cellule a été mise en place très tôt, dès le 16 mars 2020 , soit au début du premier confinement. En outre, la délégation a engagé un dialogue hebdomadaire avec les référents santé mentale des agences régionales de santé.

Parallèlement, différentes fiches de consignes ou recommandations ont été éditées par le ministère , sur le covid-19 et la psychiatrie, sur le secteur en situation de reprise épidémique, sur la prise en charge de patients détenus nécessitant des soins psychiatriques, sur la prise en charge en ambulatoire dans les services de psychiatrie et établissements de santé mentale et, enfin, sur le respect de la liberté d'aller et venir des patients dans les services de psychiatrie en période de déconfinement.

Si les rapporteurs soulignent la création de structures dédiées à la santé mentale et les publications faites, ils s'interrogent sur la bonne connaissance des informations diffusées, sur l'articulation avec les organes de gestion de crise et, surtout, la capacité à peser dans le calibrage des mesures prises par le Gouvernement .

Enfin, aux côtés de l'action du ministère, les rapporteurs rappellent les avis formulés par le Conseil scientifique qui, s'il ne comprend pas de psychiatre, a interpellé le Gouvernement dès son avis du 23 mars 2020 en attirant « l'attention sur l'importance de la santé psychique de la population, dans cette situation inédite de confinement de longue durée ».

c) Une action relativement tardive en termes de prévention

En matière de prévention, la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19 est un exemple parmi d'autres des lacunes persistantes en France dans le domaine de la santé mentale.

Les rapporteurs estiment que lors des premiers confinements, l'information et les conseils « grand public » se sont concentrés quasi exclusivement sur les gestes barrières et la propagation du virus, et ont été en définitive extrêmement peu orientés sur la santé mentale .

Peu de messages publics visaient à diffuser des recommandations sur la manière de préserver autant que possible son état psychologique, dans une période de crise et compte tenu des mesures particulièrement fortes qu'il n'est pas nécessaire de rappeler encore une fois.

Ainsi, la communication la plus « visible » était cette fiche disponible sur le site de Santé publique France , mise en ligne en avril 2020, soit plusieurs semaines après le début du confinement .

La situation actuelle est difficile et on peut facilement se sentir stressé, anxieux ou déprimé. Il existe des conseils pour prendre soin de soi :

Restez en lien et parlez avec votre entourage

Aidez ceux qui en ont besoin

N'écoutez pas les informations toute la journée

Si vous êtes confiné, organisez vos journées

Limitez la consommation d'alcool et de tabac

Prenez soin de votre santé

Malgré tout, il est possible que ce soit trop difficile. Si vous ressentez le besoin des professionnels peuvent vous aider au 0800 130 000 24 heures/24 - appel gratuit. Plus de conseils sur « Comment gérer sa santé mentale pendant l'épidémie de covid-19 » via les sites de références et lignes d'aide à distance listés ci-dessous.

Fiche d'information de Santé publique France mise en ligne en avril 2020

Si l'on ne peut ignorer que de nombreux articles ou programmes ont pu traiter de la question dans les médias, force est de constater une lacune des autorités sanitaires sur ce sujet.

Il faut ainsi attendre l'hiver 2021 - soit un moment où les conséquences de la crise sont déjà établies sur la santé mentale - et les nouvelles vagues de l'épidémie pour qu'une campagne conjointe du Gouvernement et de l'Assurance maladie soient très largement diffusée. Autour du slogan « en parler, c'est déjà se soigner », les messages relayés appelaient ainsi les Français à oser solliciter une aide psychologique face aux difficultés qu'ils peuvent éprouver dans cette période.

2. Durant la crise sanitaire, une mobilisation supplémentaire des services
a) Une adaptation rapide des services

Comme l'a souligné le Pr Pelissolo, les contaminations au sein des services psychiatriques ont a priori été très limitées. Des unités spécialisées pour la covid-19 ont été constituées dans les services psychiatriques de différents établissements. D'autres adaptations ont été nécessaires, avec une réduction des capacités d'accueil en raison d'une configuration en chambre individuelle et des sorties accélérées de patients.

Dans son bilan adressé aux rapporteurs, le délégué ministériel a indiqué que près de 90 unités covid ont été créées, pour une capacité totale de plus de 1 100 lits , afin de palier la fermeture des structures « hors les murs » liée au confinement, avec en priorité les activités groupales - hôpitaux de jour (HDJ) et centres d'activité thérapeutique à temps partiel (CATTP) - et dans une moindre mesure, les centres médico psychologiques (CMP).

Lors de la visite de l'hôpital Sainte-Anne, le Pr Gorwood a présenté les adaptations mises en oeuvre rapidement avec une unité covid montée dans le service hospitalo-universitaire et un redéploiement des effectifs entre les pôles pour rendre la prise en charge possible.

Cependant, le professeur a insisté sur l'impact de cette réorganisation avec des arrêts de soins durant la période : aucune hospitalisation de crise suicidaire, aucun patient en sevrage alcoolique, aucun sevrage boulimique durant six mois.

b) Un recours inégal aux structures existantes

Durant la première phase de la pandémie, le recours aux structures existantes a pu être réduit . Ainsi, les Prs Leboyer et Pelissolo ont souligné la diminution considérable observée, de l'ordre de 50 % des passages aux urgences dans les SAU Psychiatrie d'Île-de-France au cours du premier confinement 13 ( * ) puis un rebond en juin-juillet et un retour ensuite aux chiffres habituels. Cependant, selon eux, les délais de prise en charge sur les CMP n'ont globalement pas été affectés par la crise grâce au déploiement de téléconsultations.

Cette baisse subtantielle de la fréquentation a également été constatée au Centre psychiatrique d'orientation et d'accueil (CPOA) au sein de l'hôpital Sainte-Anne à Paris.

Le Centre psychiatrique d'orientation et d'accueil (CPOA)

Implanté au sein de l'hôpital Sainte-Anne, rattaché au GHU de Paris psychiatrie et neurosciences, le CPOA a une vocation régionale.

Au-delà des missions d'orientation et d'accueil, le CPOA est également un lieu de soins.

Le CPOA assure des urgences psychiatriques en continu et des consultations non programmées, environ 10 000 par an. Il assume enfin un rôle arbitral et de répartiteur de l'activité sectorisée pour les patients non sectorisés.

Fréquentation du CPOA sur le premier semestre

Source : GHU Paris Psychiatrie et neurosciences

Cette sous fréquentation des services durant la première vague et, dans une moindre mesure, encore dans les mois qui ont suivi, n'est pas totalement expliquée. Ainsi, le Pr Gourevitch, lors du déplacement organisé à l'hôpital Sainte-Anne, a suggéré plusieurs pistes qui demeurent pour l'heure des hypothèses, au rang desquelles :

- la peur pour les patients potentiels de contracter le virus en venant à l'hôpital , ce point ayant été également suggéré par le Pr Pelissolo, particulièrement dans le cas des personnes âgées ;

- une auto-censure de la consultation par le patient, avec une peur de « déranger » les soignants mobilisés par la crise sanitaire ;

- la crainte d'une verbalisation lors de la sortie , d'une transgression du confinement - même si les sorties pour raisons médicales étaient bien autorisées ;

- une moindre fréquentation des adresseurs habituels , du fait de la crise, que ce soient les services d'urgences, les médecins générales ou les associations ;

- une baisse des adressages par les forces de l'ordre ou les services de secours du fait du nombre plus faible de troubles à l'ordre public ;

- enfin, éventuellement, une baisse des besoins du fait de capacités de résilience 14 ( * ) .

c) Des inquiétudes sur le respect des droits des patients durant la crise sanitaire

Plusieurs échanges avec les acteurs hospitaliers ont mis en avant des lacunes dans les garanties apportées aux droits des patients hospitalisés , particulièrement durant le premier confinement de 2020. Cela concerne tant les droits de visite, de circulation dans les lieux d'hospitalisation mais aussi les procédures de contrôle des juges dans le cas des soins contraints.

Si les rapporteurs comprennent naturellement les difficultés opérationnelles auxquelles faisaient face les soignants , notamment lors de la première vague de la pandémie, ils se montrent préoccupés par les atteintes aux droits des patients qui peuvent être constatées .

Ils ont ainsi été interpelés sur des cas de limitation des circulations des patients dans certains établissements , certains étant isolés en chambre non du fait de leur état de santé mais en vue de limiter la propagation de l'épidémie, soit des mesures particulièrement délicates.

En outre, des difficultés ont été signalées au GHU Paris-Neurosciences dans le cas des patients en régime contraint, sous autorisation administrativ e. Ainsi, alors qu'une rencontre avec un juge est prévue après l'avis des médecins, des refus d'utilisation de moyens numériques pour réaliser ces procédures ont été constatés, conduisant à une absence d'exercice des droits par le patient. Si les conditions exceptionnelles peuvent là encore parfois aider à comprendre ces situations, les rapporteurs insistent sur le caractère particulièrement sensible des soins sans consentement : il apparaît nécessaire de prévoir des conditions d'exercice des droits fondamentaux, y compris et peut-être surtout en cas de crise.

Le sommet mondial de la santé mentale, qui était organisé en octobre dernier à Paris avec pour titre « Mind your rights », a consacré une partie de ses travaux à cette question du respect des droits.

3. Des besoins nouveaux qui font peser une pression accrue sur un système déjà en forte tension

La crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 a fait porter des demandes nouvelles sur des acteurs ou structures institutionnelles ayant des difficultés de fonctionnement préexistantes .

Alors que les besoins en santé mentale apparaissent fortement majorés du fait de la crise sanitaire , les rapporteurs rappellent les travaux nombreux et réguliers sur les carences importantes de l'offre de soins en santé mentale dans notre pays.

Une fois encore, ont été rappelés les délais trop importants de prise en charge en ville et cellules médico-psychologiques, les carences patentes en pédopsychiatrie ou encore la saturation des services de santé universitaires. À ces problèmes s'ajoutent des inégalités territoriales avec localement des difficultés d'accès aux soins en santé mentale qui peuvent être majorées, comme cela a été rappelé dans le cas de la Guadeloupe par exemple, avec une faible démographie médicale et un contexte multi-insulaire.

Lors des différents entretiens et auditions menés, les rapporteurs ont constaté les attentes fortes des psychiatres, d'une vaste réforme adossée à des financements .

Les rapporteurs renouvellent les diverses recommandations déjà formulées par le Sénat ou la Cour des comptes notamment, concernant un renforcement des moyens et des capacités d'accueil en psychiatrie , mais aussi à l'amélioration des parcours de soins et de la formation en psychiatrie et en santé mentale.

Proposition n° 4 : Renforcer l'offre de soins en santé mentale et les capacités d'accueil en psychiatrie et particulièrement en pédopsychiatrie


* 13 Étude Pignon et al , 2021.

* 14 Sur ce point, le Pr Gourevitch a fait référence aux travaux du Pr Pfefferbaum dans une étude de 2020.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page