Rapport n° 587 (2021-2022) de Mme Catherine DEROCHE , fait au nom de la CE Hôpital, déposé le 29 mars 2022
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L'ESSENTIEL
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I. MALAISE DES SOIGNANTS : RECONNAÎTRE
L'ENGAGEMENT, GARANTIR L'ATTRACTIVITÉ
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II. L'HÔPITAL À BOUT DE SOUFFLE :
REDONNER LES MOYENS DE LA CONFIANCE
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III. ENGORGEMENT DE L'HÔPITAL :
FLUIDIFIER LE SYSTÈME DE SOINS ET ASSURER UN JUSTE RECOURS À
L'HÔPITAL
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I. MALAISE DES SOIGNANTS : RECONNAÎTRE
L'ENGAGEMENT, GARANTIR L'ATTRACTIVITÉ
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LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
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AVANT-PROPOS
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PREMIÈRE PARTIE
L'HÔPITAL EN CRISE : DES FACTEURS HUMAINS ET FINANCIERS
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I. DES PROFESSIONNELS HOSPITALIERS SOUS TENSION
CROISSANTE
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A. UNE USURE QUI FRAGILISE LES RESSOURCES HUMAINES
DE L'HÔPITAL
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1. Une pression intense sur les services
hospitaliers
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2. Une dégradation des conditions de
travail antérieure à la crise sanitaire et qui s'accentue
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3. Une perte de sens dans leur travail ressentie
par nombre de personnels
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4. Des revalorisations salariales significatives
qui n'ont pas fondamentalement redressé le moral des personnels
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1. Une pression intense sur les services
hospitaliers
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B. UN DÉFAUT DE MESURE ET DE SUIVI DES
RÉDUCTIONS CAPACITAIRES ET DES PÉNURIES EN PERSONNELS
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A. UNE USURE QUI FRAGILISE LES RESSOURCES HUMAINES
DE L'HÔPITAL
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II. UN NIVEAU DE FINANCEMENT PUBLIC ET DES
CAPACITÉS POURTANT AU-DESSUS DE LA MOYENNE EUROPÉENNE
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A. DES DÉPENSES HOPISTALIÈRES PARMI
LES PLUS ÉLEVÉES DES PAYS EUROPÉENS
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B. UN MAILLAGE TERRITORIAL DENSE
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C. UN NOMBRE DE LITS EN DIMINUTION MAIS PLUS
ÉLEVÉ QUE LA PLUPART DES PAYS EUROPÉENS
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D. DES EFFECTIFS HOSPITALIERS DONT L'AUGMENTATION
S'EST STABILISÉE
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E. UNE PRISE EN CHARGE PAR LES FINANCEMENTS
PUBLICS PLUS ÉLEVÉE QUE POUR LES AUTRES DÉPENSES DE
SANTÉ
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A. DES DÉPENSES HOPISTALIÈRES PARMI
LES PLUS ÉLEVÉES DES PAYS EUROPÉENS
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III. UNE POLITIQUE TARIFAIRE ET UN MODE DE
RÉGULATION DES DÉPENSES HOSPITALIÈRES QUI ONT MIS LES
ÉTABLISSEMENTS EN DIFFICULTÉ
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IV. UNE SITUATION FINANCIÈRE
CONTRASTÉE SELON LES TYPES D'ÉTABLISSEMENT, MAIS UN NOMBRE
ÉLEVÉ D'HÔPITAUX PUBLICS EN DÉFICIT
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A. MALGRÉ UNE STABILISATION DE LA DETTE,
UNE SITUATION FINANCIÈRE DES HÔPITAUX PUBLICS QUI RESTE FRAGILE EN
RAISON DE LA CONCENTRATION DES DÉFICITS
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B. UN SOLDE DES ESPIC EXCÉDENTAIRE, MAIS AU
PRIX D'UNE CONTRACTION DE L'EFFORT D'INVESTISSEMENT
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C. UNE SITUATION FINANCIÈRE DES CLINIQUES
PRIVÉES POSITIVE, BIEN QU'HÉTÉROGÈNE
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A. MALGRÉ UNE STABILISATION DE LA DETTE,
UNE SITUATION FINANCIÈRE DES HÔPITAUX PUBLICS QUI RESTE FRAGILE EN
RAISON DE LA CONCENTRATION DES DÉFICITS
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I. DES PROFESSIONNELS HOSPITALIERS SOUS TENSION
CROISSANTE
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DEUXIÈME PARTIE
FAIRE ET REDONNER CONFIANCE AUX ACTEURS HOSPITALIERS
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I. REDONNER DE LA LIBERTÉ ET DE L'AUTONOMIE
AUX ÉQUIPES SOIGNANTES ET AUX ÉTABLISSEMENTS
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II. REDONNER DE L'ATTRACTIVITÉ ET DU SENS
AUX MÉTIERS DU SOIN
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A. FIDÉLISER ET ATTIRER MÉDECINS ET
SOIGNANTS DANS LES CARRIÈRES HOSPITALIÈRES
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1. Des taux de vacance et de rotation qui
s'aggravent
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2. Un effort globalement important sur les
rémunérations...
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3. ... qui mérite encore des
ajustements
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a) Une meilleure reconnaissance du travail de nuit
et de week-end
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b) Un meilleur décompte et une meilleure
reconnaissance des heures supplémentaires
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c) L'outre-mer : des problématiques
d'attractivité spécifiques à prendre en compte
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d) Agir sur les écarts de
rémunération entre les praticiens du secteur public et du secteur
privé lucratif dans les spécialités où ils sont les
plus élevés
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a) Une meilleure reconnaissance du travail de nuit
et de week-end
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4. Renforcer la qualité de vie au
travail
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5. Améliorer la formation initiale des
personnels soignants et renforcer leur accès à la formation
continue
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1. Des taux de vacance et de rotation qui
s'aggravent
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B. RENFORCER LA PRÉSENCE MÉDICALE ET
SOIGNANTE AUPRÈS DES PATIENTS
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A. FIDÉLISER ET ATTIRER MÉDECINS ET
SOIGNANTS DANS LES CARRIÈRES HOSPITALIÈRES
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III. ASSURER UN FINANCEMENT DURABLE DE
L'HÔPITAL ET UN ONDAM HOSPITALIER COHÉRENT AVEC LES BESOINS DE
SANTÉ
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A. RECONNECTER L'ONDAM HOSPITALIER ET LES BESOINS
DE SANTÉ
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B. SIMPLIFIER LE MODE DE FINANCEMENT DES
ÉTABLISSEMENTS
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C. PRÉVOIR UN FINANCEMENT DURABLE ET
CONTINU DES INVESTISSEMENTS HOSPITALIERS
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A. RECONNECTER L'ONDAM HOSPITALIER ET LES BESOINS
DE SANTÉ
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I. REDONNER DE LA LIBERTÉ ET DE L'AUTONOMIE
AUX ÉQUIPES SOIGNANTES ET AUX ÉTABLISSEMENTS
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TROISIÈME PARTIE
ASSURER LE JUSTE RECOURS À L'HÔPITAL DANS UNE ORGANISATION DES SOINS MIEUX COORDONNÉE
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I. AMÉLIORER LE PARCOURS DES PATIENTS EN
DÉCONGESTIONNANT L'HÔPITAL ET EN LE DÉCLOISONNANT DE LA
MÉDECINE DE VILLE
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A. STOPPER LA DÉGRADATION DE L'ACCÈS
AUX SOINS PRIMAIRES
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B. RENFORCER LA PRISE EN CHARGE DES SOINS NON
PROGRAMMÉS PAR LA MÉDECINE DE VILLE POUR PRÉVENIR LA
SATURATION DES SERVICES D'URGENCE
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1. Une prise en charge des soins programmés
en journée qui peut être encore renforcée
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2. La revalorisation nécessaire de la
visite à domicile
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3. Le service d'accès aux soins : un
outil prometteur, mais qui doit faire l'objet d'évaluations
précises avant d'envisager sa généralisation
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4. Une couverture territoriale de la permanence
des soins ambulatoires qui peut être renforcée
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5. Une articulation du SAS et de la PDSA qui doit
être différenciée selon les territoires
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6. Une activité multi-sites des urgentistes
qui doit être favorisée pour une meilleure prise en charge des
soins urgents
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1. Une prise en charge des soins programmés
en journée qui peut être encore renforcée
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C. FLUIDIFIER LE PARCOURS DU PATIENT À
L'HÔPITAL ET POURSUIVRE LE DÉVELOPPEMENT DES ALTERNATIVES À
L'HOSPITALISATION COMPLÈTE
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D. DÉCLOISONNER L'HÔPITAL ET LES
AUTRES ACTEURS DU PARCOURS DU PATIENT
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A. STOPPER LA DÉGRADATION DE L'ACCÈS
AUX SOINS PRIMAIRES
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II. ASSURER LES PRISES EN CHARGE
HOSPITALIÈRES AU PLUS PRÈS DES BESOINS DES PATIENTS
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III. FÉDÉRER LES ACTEURS LOCAUX DE
SANTÉ POUR MIEUX RÉPONDRE AUX BESOINS SUR LES TERRITOIRES
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I. AMÉLIORER LE PARCOURS DES PATIENTS EN
DÉCONGESTIONNANT L'HÔPITAL ET EN LE DÉCLOISONNANT DE LA
MÉDECINE DE VILLE
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CONCLUSION
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA RAPPORTEURE
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LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
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LISTE DES DÉPLACEMENTS
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CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES
N° 587
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Rapport remis à M. le Président du Sénat le 29 mars 2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mars 2022
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission d'enquête (1) sur la
situation
de
l'
hôpital
et le
système
de
santé
en
France
,
Président
M. Bernard JOMIER,
Rapporteure
Mme Catherine DEROCHE,
Sénateur et Sénatrice
Tome I - Rapport
(1) Cette commission est composée de : M. Bernard Jomier , président ; Mme Catherine Deroche, rapporteure ; Mme Marie Mercier, MM. Jean Sol, Jean-Marc Todeschini , Mmes Jocelyne Guidez, Sonia de La Provôté, M. Dominique Théophile, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Pierre Médevielle, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Florence Lassarade, M. Alain Milon, Mmes Annick Petrus, Nadia Sollogoub, M. Laurent Somon.
L'ESSENTIEL
À la demande du groupe Les Républicains, le Sénat a constitué une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France.
À l'issue de près de quatre mois de travaux, la commission d'enquête appelle à redonner du souffle à l'hôpital en lui laissant davantage de liberté et d'autonomie dans son organisation , en lui attribuant des moyens proportionnés aux défis de santé actuels et en redessinant sa place au sein du système de soins .
I. MALAISE DES SOIGNANTS : RECONNAÎTRE L'ENGAGEMENT, GARANTIR L'ATTRACTIVITÉ
A. RÉMUNÉRATIONS ET COMPENSATION DES CONTRAINTES : UN SIGNAL NÉCESSAIRE MAIS NON SUFFISANT
1. Le Ségur : un palliatif conséquent et tardif qui aura généré déceptions et frustrations
Lancées au lendemain de la première vague de covid-19 qui avait singulièrement mis à l'épreuve les hôpitaux et leur personnel soignant, les concertations du « Ségur de la santé » ont conduit à des revalorisations salariales dont chacun s'accorde à reconnaître l'ampleur sans précédent. Déjà prévues, pour certaines, en réaction au mouvement social de la fin 2019, elles sont pourtant apparues comme trop tardives au regard de l'ancienneté de la crise de l'hôpital. Elles ont cependant engagé un rattrapage par rapport aux pays comparables à la France, notamment pour les infirmiers dont la rémunération se situe en « queue de peloton ».
Le saupoudrage de ces mesures au fil des années 2020 à 2022 et leur extension sans réflexion d'ensemble et par à-coups aux « oubliés du Ségur » auront généré une amertume qui ne tarit pas . Des insatisfactions demeurent sur le champ des bénéficiaires et certains personnels - les praticiens en poste avant 2020 par exemple - se sentent peu pris en compte dans les priorités retenues.
Autre point d'insatisfaction légitime : le Ségur aura laissé de côté la compensation financière des sujétions inhérentes aux métiers hospitaliers .
2. Des contraintes mal reconnues : un dévouement qui ne peut être à toute épreuve
Indemnité compensatrice du travail de nuit des personnels non médicaux de la FPH 1 ( * ) depuis 2001 |
Le fonctionnement de l'hôpital repose encore trop souvent sur la bonne volonté des personnels et sur une morale du dévouement , voire du sacrifice, qui peut induire un contournement des obligations légales et réglementaires en matière de travail.
De ce point de vue, les heures supplémentaires et le temps de travail additionnel, d'usage très courant à l'hôpital, doivent être mieux pris en compte et encadrés, la permanence des soins hospitaliers revalorisée et les conditions d'indemnisation du travail de nuit et le week-end , fixées pour certaines il y a une vingtaine d'années, rehaussées et revues plus fréquemment pour tenir compte de l'évolution du coût de la vie.
B. AMÉLIORER LES CONDITIONS DE TRAVAIL ET REPENSER L'ORGANISATION DES CARRIÈRES
1. Renforcer la qualité de vie au travail des soignants et leur permettre de se concentrer sur le soin
Plus que les rémunérations insuffisantes ou les écarts de salaire entre secteurs public et privé, ce sont avant tout les conditions de travail dégradées qui génèrent une désaffection préoccupante à l'égard de l'hôpital et risquent de l'entraîner dans une spirale négative.
Face au sentiment de perte de sens, largement exprimé par les personnels, il est nécessaire de remettre le soin au coeur des métiers hospitaliers qui s'en sont trop éloignés faute de disponibilité suffisante pour s'y consacrer.
Vétusté des équipements, charge de travail excessive, mais surtout manque de temps médical et soignant auprès des patients sont autant de facteurs à l'origine d'un profond sentiment de perte de sens qui provoque des départs de personnels en cours de carrière .
S'agissant des territoires ultramarins, où le risque d'effritement de la ressource médicale hospitalière est encore plus prégnant, aucune suite n'a été donnée à l'annonce d'un « Ségur des outre-mer » par Olivier Véran en juillet 2020.
Cette situation doit être inversée, dans l'immédiat, par une redynamisation de la politique de qualité de vie au travail , avec la prise en compte des contraintes de logement et de garde d'enfants des personnels hospitaliers. Le développement d' outils numériques plus performants , le recours à des applications intelligentes et la délégation de tâches (prise de comptes rendus, codage des actes médicaux...) à des secrétaires médicales et des techniciens doivent libérer médecins et soignants de tâches chronophages et leur permettre de se concentrer sur le soin.
Les effectifs d'infirmiers et d'aides-soignants doivent être significativement renforcés afin d'améliorer les ratios « patients par soignant » . Des seuils critiques ajustés sur les activités des établissements devraient être définis et un mécanisme d'alerte mis en place lorsqu'ils sont atteints.
2. Repenser les carrières hospitalières au service du soin et des soignants
Si le nombre de postes vacants et le taux de rotation des personnels augmentent, c'est aussi en raison du manque de perspectives de carrière dans les hôpitaux .
Favoriser l'accès des personnels à la formation continue , développer les passerelles entre les professions sur la base d'une évaluation rigoureuse des compétences acquises, offrir des possibilités de reconversion aux personnels : autant de mesures nécessaires afin de donner aux professionnels expérimentés l'envie de rester à l'hôpital pour encadrer et former les jeunes générations de soignants dans le cadre d'un tutorat ou d'un compagnonnage qu'il convient de développer.
Une évaluation doit rapidement être menée sur la formation des personnels paramédicaux , notamment infirmiers . La sélection par Parcoursup est inadaptée et aboutit à trop d' abandons en cours d'études . Les maquettes de formation doivent être revues et adaptées aux exigences du métier pour remédier aux lacunes constatées chez certains diplômés.
Principales recommandations
Garantir une reconnaissance financière équitable et adaptée aux contraintes et sujétions spécifiques auxquelles sont soumis médecins et soignants hospitaliers
Redynamiser la politique de qualité de vie au travail , notamment en prenant en compte les contraintes de logement et de garde des enfants des personnels hospitaliers
Alléger la charge administrative des soignants en développant des outils numériques plus performants et interopérables et en optimisant la délégation de tâches aux secrétaires médicales et aux techniciens
Renforcer significativement le nombre d'infirmiers et d'aides-soignants et mettre en place un mécanisme d'alerte lorsque le ratio « patients par soignant » dépasse un seuil critique
Revoir la sélection et les maquettes de formation des élèves infirmiers et renforcer la formation continue , y compris par le tutorat, en l'inscrivant dans des perspectives de carrière plus motivantes (passerelles entre métiers, etc . )
II. L'HÔPITAL À BOUT DE SOUFFLE : REDONNER LES MOYENS DE LA CONFIANCE
A. DONNER DE LA LIBERTÉ ET DE L'AUTONOMIE AUX ACTEURS HOSPITALIERS
1. Une place mieux reconnue de la communauté médicale dans une gouvernance rééquilibrée
Loin d'une opposition stérile et caricaturale entre administrateurs et médecins, la bonne marche de l'hôpital repose sur un pilotage « médico-administratif » équilibré . L'expérience de la crise sanitaire a démontré la capacité des acteurs de terrain à prendre des initiatives conjointes et mener des actions rapides et efficaces.
Les récentes évolutions législatives vont dans ce sens, à travers un renforcement des compétences de la commission médicale d'établissement (CME) et de son président . Il faut désormais infléchir les pratiques en revivifiant le rôle des représentants des praticiens et personnels paramédicaux dans les instances de gouvernance et en dotant les présidents de CME des moyens matériels et humains pour exercer leurs prérogatives.
Il est indispensable de renforcer l' interaction entre les instances décisionnelles dans lesquelles siègent des acteurs médicaux - directoire et CME - et les services de soins et de donner un rôle accru à la commission des soins infirmiers.
Médicaliser la gouvernance et réconcilier les acteurs hospitaliers est une priorité pour donner un cap et des projets viables à l'hôpital.
Diversifier les profils de directeurs, intégrer des praticiens hospitaliers au sein de la direction des établissements les plus importants, comme à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, peut renforcer la communauté d'approches et mêler les expériences et compétences dans le pilotage des hôpitaux.
2. De la souplesse et une plus grande proximité dans la gestion
Les hôpitaux publics doivent désormais pleinement tirer parti de la liberté d'organisation ouverte par la loi d'avril 2021. La constitution des pôles n'étant plus systématique, elle doit répondre à une réelle pertinence et ne pas faire écran aux relations entre services et instances dirigeantes.
• La réhabilitation du rôle du service est un facteur déterminant de mobilisation collective.
Elle doit surtout s'accompagner d'un pouvoir renforcé des équipes de soins sur les choix qui les concernent , en assurant une meilleure prise en compte de leurs projets et en accordant à celles qui le souhaitent une réelle marge d'autonomie. Le rôle du cadre de santé doit être renforcé ainsi que le binôme qu'il forme avec le chef de service .
L'expérience du centre hospitalier de Valenciennes démontre les bénéfices d'un fonctionnement plus ascendant , d'une forte implication des équipes médicales et soignantes et de circuits de décision plus courts et plus réactifs. Alors que les personnels ressentent un manque de proximité dans la gestion des établissements, les délégations de gestion méritent d'être fortement encouragées pour l'achat d'équipements courants, les petits travaux ou certains aspects de la gestion des ressources humaines.
Il est également nécessaire de débureaucratiser les relations entre les établissements et leurs tutelles , en allégeant et automatisant les processus de remontée d'information et en repositionnant les ARS sur un rôle d'accompagnement, et de simplifier les procédures de certification et d'accréditation .
B. APPORTER À L'HÔPITAL UN FINANCEMENT SAIN ET PÉRENNE
1. Un modèle de financement usé à rénover
La bascule vers la tarification à l'activité (T2A) était une réforme nécessaire au début des années 2000, mais le modèle de financement actuel n'est plus adapté à la situation de l'hôpital ou aux défis de prises en charge plus complexes .
Les tarifs n'ont pas suivi l'évolution réelle des coûts pour les établissements et se sont réduits à un mécanisme de « point flottant » destiné à une régulation prix-volume . La T2A s'est écartée de la juste rémunération des charges de soins.
Évolution des tarifs MCO sur la décennie écoulée
Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres transmis par le ministère des solidarités et de la santé
• La commission d'enquête estime nécessaire de tourner rapidement la page du « tout T2A » et d'accélérer l'expérimentation d'un nouveau modèle de financement des activités hospitalières du champ « médecine, chirurgie, obstétrique » (MCO) .
Si un lien entre financement et activité réelle de l'établissement doit demeurer pour ne pas revenir aux travers de l'ancienne dotation globale, il apparaît opportun d'assortir cet étage de financement de deux autres : l'un, qui doit rapidement monter en puissance, prenant la forme d'une « dotation populationnelle » liée aux besoins de santé identifiés pour le territoire et sa population ; l'autre, renforçant le financement à la qualité encore marginal.
2. Une norme de dépenses qui ne permet pas de pilotage des moyens de l'hôpital
L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été respecté depuis 2010 au prix d'une rigoureuse gestion de l'Ondam « établissements de santé » marquée, à de rares exceptions près, par une sous-exécution sensible , quand l'Ondam « soins de ville » demeure très régulièrement dépassé, parfois de manière très importante.
Évolution de l'Ondam et du sous-objectif « établissements de santé »
(en milliards d'euros)
Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres des PLFSS
Sans entrer dans une vaine concurrence entre Ondam de ville et Ondam hospitalier, la commission d'enquête souligne que c'est bien la construction de l'Ondam comme son découpage qui sont dysfonctionnels.
La construction de l'Ondam comme norme de dépenses avec la maîtrise de la dépense publique comme finalité doit être revue. Alors que le vote de l'Ondam est un élément structurant de l'examen annuel du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il est déterminant de pouvoir mieux analyser les tendanciels d'évolution des besoins et dépenses et les économies demandées au système de santé .
• En particulier, le sous-objectif « établissements de santé » doit être plus finement appréhendé : l'Ondam hospitalier doit pouvoir être arbitré, notamment sur les volets de dotations, et les mesures de régulation attendues mieux éclairées .
3. Un financement heurté de l'investissement structurant à stabiliser
L'hôpital a été modernisé par à-coups au rythme des plans « Hôpital 2007 » ou « Hôpital 2012 ». L'investissement hospitalier a été divisé par deux en dix ans tout en restant confronté à un problème structurel de financement se soldant souvent par de l'endettement .
Le Ségur de la santé a prévu un soutien à l'investissement correspondant à l'équivalent de la reprise d'un tiers de la dette hospitalière, soit 13 milliards d'euros , auxquels s'ajoutent 6 milliards d'euros au titre du plan de relance . La complexité de la programmation, des échéancier et circuits de versement appellera un suivi extrêmement attentif du respect de ces engagements.
Alors que la commission d'enquête estime que le financement des investissements structurants ne peut ressortir des tarifs hospitaliers , au regard des situations hétérogènes et des besoins inégaux des établissements, il n'est pas viable d'attendre un plan spécifique par décennie pour impulser les investissements lourds comme un rattrapage toujours tardif. Sortir l'hôpital des tensions continues, c'est aussi lui donner un outil pérenne de financement de ses investissements structurants, par une ressource budgétaire dédiée.
Principales recommandations
Garantir un pilotage « médico-administratif » équilibré en revivifiant le rôle des représentants des praticiens et personnels paramédicaux dans les instances de gouvernance , en renforçant l'interaction entre celles-ci et les services de soins et en donnant un rôle accru à la commission des soins infirmiers
Décentraliser les décisions en développant les délégations de gestion au niveau des pôles et services et réaffirmer la place de référence du service dans l'organisation de l'hôpital
Débureaucratiser les relations avec les tutelles et simplifier les procédures de certification et d'accréditation
Faire évoluer de manière rapide le modèle de financement sur un triptyque activité-population-qualité et garantir une dynamique des tarifs hospitaliers cohérente avec l'évolution des coûts constatés. Dans l'attente, suspendre les baisses de tarifs et les mises en réserve
Redéfinir le découpage de l'Ondam et assurer sa construction sur la base des besoins de santé régulièrement documentés et de tendanciels et économies justifiés
Prévoir un outil pérenne de financement des investissements hospitaliers structurants
III. ENGORGEMENT DE L'HÔPITAL : FLUIDIFIER LE SYSTÈME DE SOINS ET ASSURER UN JUSTE RECOURS À L'HÔPITAL
A. DONNER PLUS DE COHÉRENCE AU PARCOURS DES PATIENTS
1. Revaloriser la médecine générale et la prise en charge des soins non programmés
La saturation des services des urgences tient en partie aux difficultés de la médecine de ville à faire face à l'augmentation des besoins de santé de la population . Au cours de ces dernières années, l'accès aux soins primaires s'est dégradé : de 2015 à 2018, la part de la population vivant dans des zones sous-dotées en médecins généralistes est passée de 3,8 à 5,7 %. Quant aux effets de la suppression du numerus clausus , ils ne se feront sentir au mieux qu'à partir du début de la décennie 2030 , sans garantie de répartition équitable sur le territoire.
• Dans ce contexte, il est nécessaire de diversifier les efforts pour renforcer l'offre de soins primaires dans les zones sous-dotées , notamment par la mise en place d'une quatrième année d'internat qui s'y déroulerait en priorité et de libérer du temps médical en ville . À cette fin, les modalités d'exercice infirmier en pratique avancée doivent être repensées et le recours aux assistants médicaux facilité, notamment par l'allègement des exigences de formation.
La prise en charge des soins non programmés par la médecine de ville doit être renforcée . Intéressant dans son principe mais devant encore être évalué, le service d'accès aux soins ne saurait constituer une réponse unique aux difficultés des soins non programmés. Il est ainsi prioritaire de revaloriser les tarifs de la permanence des soins ambulatoires de manière ciblée, ainsi que les tarifs de la visite à domicile .
2. Raffermir le lien entre les services d'urgences et la médecine de ville
S'il est indispensable de mieux répondre aux besoins de santé en amont de l'hôpital, tout indique que la pression sur celui-ci va demeurer forte : le nombre de passages aux urgences est passé de 10,1 millions en 1992 à 21,2 millions en 2019.
• Le développement des maisons médicales de garde à proximité des services d'urgence et l 'expérimentation de consultations par un cabinet médical au sein même de ces services, en lien avec les CPTS, sont autant d'outils pour contribuer au désengorgement des urgences hospitalières.
L'aval des urgences doit également être pris en compte : il est fréquent que le besoin de lits en aval ne soit pas anticipé , allongeant le temps d'attente avant hospitalisation : les cellules de gestion des lits apparaissent une solution efficace.
Les cellules de coordination ville-hôpital ont aussi un rôle important à jouer, en organisant des filières d'admission directe des patients sans passage par les urgences et en préparant leur sortie d'hospitalisation en lien avec le médecin traitant : la commission d'enquête recommande ainsi leur mise en place systématique .
Enfin, les alternatives à l'hospitalisation doivent encore être développées : le recours à l'hospitalisation à domicile doit être amplifié.
B. REPENSER L'ORGANISATION DU SYSTÈME DE SANTÉ SUR LE TERRITOIRE
1. Répondre au besoin d'une santé de proximité de la population
Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) n'ont pas encore produit de résultats probants en termes d'amélioration de l'organisation territoriale des soins hospitaliers . Leur bilan est contrasté : ceux qui sont parvenus à une vraie cohérence sont souvent ceux qui ont été le plus loin dans leur rapprochement .
• Si la commission d'enquête estime qu'il faut être plus incitatif dans la démarche intégratrice des GHT, celle-ci doit être fondée sur un principe de subsidiarité .
Alors que le GHT a permis de structurer l'offre publique, il peine encore à pleinement associer les établissements privés : l'intégration facilitée d'Espic pourrait être justifiée au titre de la cohérence du service public hospitalier.
Enfin, véritable opportunité de lien entre la ville et l'hôpital et de structuration du maillage local de l'offre hospitalière, les hôpitaux de proximité et leurs plateaux techniques doivent être confortés comme structures hospitalières de premier recours .
2. Donner plus d'autonomie aux acteurs de santé pour se coordonner
L' organisation territoriale de la santé est aujourd'hui à la fois complexe et conçue selon un mode trop uniforme . Le sentiment général des professionnels de santé est celui d'une certaine fatigue face à l'accumulation des normes législatives , si bien qu'il devient difficile de se repérer dans ce qui ressemble à un « maquis » institutionnel et administratif .
• Sans chercher à créer de nouvelles structures qui désorienteraient davantage les acteurs, une grande latitude doit être laissée à ceux-ci pour s'organiser, dans une logique d'une responsabilité populationnelle qui devra davantage impliquer les collectivités et les usagers .
L'enjeu est avant tout de favoriser la coordination des professionnels et des établissements de santé à partir de projets qui répondent à des besoins de santé mieux évalués et obéissant à une logique de terrain.
Principales recommandations
Rééquilibrer la répartition de la prise en charge entre ville et hôpital , en dégageant du temps médical en médecine de ville (développement du rôle des infirmiers de pratique avancée, recrutement d'assistants médicaux), en revalorisant la visite à domicile et en veillant à rendre attractive la participation de la médecine de ville au service d'accès aux soins
Soulager les services d'urgence par une meilleure collaboration avec les professionnels de ville, par le biais de structures conjointes et par un adressage facilité aux services compétents via les cellules de coordination ville-hôpital
Actualiser le cadre des groupements hospitaliers de territoires : revoir leur périmètre , approfondir leur gouvernance tout en respectant un principe de subsidiarité et permettre l' intégration d'établissements privés participant au service public hospitalier
Améliorer la structuration de l'offre de proximité , en s'appuyant sur un maillage d' hôpitaux de proximité et en facilitant la coordination des professionnels et des établissements de santé sur la base d'initiatives de terrain
Réunie le 29 mars 2022 sous la
présidence de Bernard Jomier
,
la commission d'enquête
a adopté le rapport
et les recommandations
présentées par Catherine Deroche, rapporteure, et en
a autorisé la publication sous la forme d'un rapport
d'information
.
LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
Dans son rapport, la commission d'enquête a formulé près de 80 recommandations. Figurent ci-dessous ses principales propositions.
Malaise des soignants : reconnaître l'engagement, garantir l'attractivité
• Garantir une reconnaissance financière équitable et adaptée aux contraintes et sujétions spécifiques auxquelles sont soumis médecins et soignants hospitaliers
• Redynamiser la politique de qualité de vie au travail , notamment en prenant en compte les contraintes de logement et de garde des enfants des personnels hospitaliers
• Alléger la charge administrative des soignants en développant des outils numériques plus performants et interopérables et en optimisant la délégation de tâches aux secrétaires médicales et aux techniciens
• Renforcer significativement le nombre d'infirmiers et d'aides-soignants et mettre en place un mécanisme d'alerte lorsque le ratio « patients par soignant » dépasse un seuil critique
• Revoir la sélection et les maquettes de formation des élèves infirmiers et renforcer la formation continue , y compris par le tutorat, en l'inscrivant dans des perspectives de carrière plus motivantes (passerelles entre métiers, etc .)
L'hôpital à bout de souffle : redonner les moyens de la confiance
• Garantir un pilotage « médico-administratif » équilibré en revivifiant le rôle des représentants des praticiens et personnels paramédicaux dans les instances de gouvernance , en renforçant l'interaction entre celles-ci et les services de soins et en donnant un rôle accru à la commission des soins infirmiers
• Décentraliser les décisions en développant les délégations de gestion au niveau des pôles et services et réaffirmer la place de référence du service dans l'organisation de l'hôpital
• Débureaucratiser les relations avec les tutelles et simplifier les procédures de certification et d'accréditation
• Faire évoluer de manière rapide le modèle de financement sur un triptyque activité-population-qualité et garantir une dynamique des tarifs hospitaliers cohérente avec l'évolution des coûts constatés. Dans l'attente, suspendre les baisses de tarifs et les mises en réserve
• Redéfinir le découpage de l'Ondam et assurer sa construction sur la base des besoins de santé régulièrement documentés et de tendanciels et économies justifiés
• Prévoir un outil pérenne de financement des investissements hospitaliers structurants
Engorgement de l'hôpital : fluidifier le système de soins et assurer un juste recours à l'hôpital
• Rééquilibrer la répartition de la prise en charge entre ville et hôpital , en dégageant du temps médical en médecine de ville (développement du rôle des infirmiers de pratique avancée, recrutement d'assistants médicaux), en revalorisant la visite à domicile et en veillant à rendre attractive la participation de la médecine de ville au service d'accès aux soins
• Soulager les services d'urgence par une meilleure collaboration avec les professionnels de ville, par le biais de structures conjointes et par un adressage facilité aux services compétents via les cellules de coordination ville-hôpital
• Actualiser le cadre des groupements hospitaliers de territoires : revoir leur périmètre , approfondir leur gouvernance tout en respectant un principe de subsidiarité et permettre l'intégration d'établissements privés participant au service public hospitalier
• Améliorer la structuration de l'offre de proximité , en s'appuyant sur un maillage d' hôpitaux de proximité et en facilitant la coordination des professionnels et des établissements de santé sur la base d'initiatives de terrain
AVANT-PROPOS
À l'automne 2021, alors que le regain de l'épidémie de covid-19 entraîne la montée rapide d'une nouvelle vague d'hospitalisation pesant sur les hôpitaux, des chefs de service, des praticiens et soignants, des responsables hospitaliers alertent sur les tensions profondes dans de nombreux services et les réductions de capacités d'accueil par manque de personnel.
Celles-ci ne tiennent pas à des décisions administratives de diminution d'effectifs ou de fermeture de lits, mais à l'impossibilité de pourvoir des postes vacants en nombre croissant, en particulier d'infirmiers et de personnels paramédicaux. Les départs en cours de carrière s'accentuent, pour changer de mode d'exercice ou parfois même de métier, et les recrutements deviennent plus difficiles.
Il y a certainement là un effet de contrecoup et d'épuisement, alors que se prolonge depuis près de deux ans une crise sanitaire exceptionnelle au cours de laquelle les personnels hospitaliers ont énormément donné. Mais les facteurs du malaise et de la démotivation ressentis par beaucoup d'entre eux étaient bien antérieurs à cette crise. Ils s'étaient manifestés dès la fin de l'année 2019, justifiant l'élaboration d'un plan d'urgence pour l'hôpital.
Cette situation critique aux ressorts anciens a justifié la création par le Sénat, à l'initiative du groupe Les Républicains, d'une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé.
Recours indispensable pour les soins les plus aigus ou les plus urgents, creuset de la formation et de la recherche médicales, l'hôpital constitue une richesse et un atout qu'il est nécessaire de préserver.
Il était donc essentiel, à travers cette commission d'enquête, de recueillir auprès de l'ensemble des acteurs concernés - responsables médicaux et administratifs d'établissements, médecins et soignants hospitaliers, professionnels des soins de ville, organismes publics et élus locaux - leurs constats et leurs propositions sur les difficultés actuelles du système hospitalier.
Celles-ci appellent des réponses fortes sur l'organisation et le fonctionnement des établissements de santé, mais également une réflexion plus globale sur la place de l'hôpital dans l'organisation du système de soins. Car si l'hôpital concentre un certain nombre de difficultés, c'est aussi en raison de défaillances ou de faiblesses plus générales dans l'accès aux soins et dans la coordination des moyens, hospitaliers ou non, pour assurer la bonne prise en charge des patients.
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La commission d'enquête s'est constituée le 2 décembre 2021. En trois mois, elle a entendu en réunion plénière près d'une cinquantaine de personnalités ou d'organisations. Une quarantaine de personnalités ou d'organisations ont également été entendues lors d'auditions organisées par la rapporteure. Enfin, une délégation de la commission d'enquête s'est rendue dans trois établissements de types différents.
Dans le temps qui lui était imparti, la commission d'enquête n'a pu aborder l'ensemble des questions, extrêmement vastes, influant de manière directe ou indirecte sur la situation de l'hôpital.
Ainsi, alors que la psychiatrie connaît actuellement de grandes difficultés, la commission d'enquête ne pouvait mener de manière approfondie l'analyse qu'appelle ce pan important de l'activité hospitalière. Elle s'est essentiellement concentrée sur l'hospitalisation « générale » - médecine, chirurgie, obstétrique - bien que le secteur hospitalier ne se réduise pas à ces activités. Son travail a porté en priorité sur l'hôpital public, qui représente la majorité de l'activité et des personnels et assure le maillage territorial le plus dense, même si elle a abordé des problèmes communs à tous les établissements.
La commission a entendu des acteurs des soins de ville, sous l'angle de leurs relations et de l'articulation de leur rôle avec l'hôpital, mais l'organisation des soins primaires, elle aussi en difficulté, qu'il s'agisse des médecins ou des personnels paramédicaux, dépassait le champ assigné à la commission d'enquête.
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Les travaux de la commission d'enquête lui ont tout d'abord permis, à travers le recueil d'un ensemble très riche de témoignages d'acteurs hospitaliers, de mesurer les tensions croissantes et l' usure qui fragilisent aujourd'hui les ressources humaines de l'hôpital , et cela même alors que notre pays lui consacre des moyens plutôt supérieurs à la moyenne européenne. Les modalités mises en oeuvre au cours de la décennie 2010 pour répartir entre les hôpitaux les ressources qui leur étaient assignées ont mis les établissements en difficulté et dégradé leurs capacités d'investissement , avec des conséquences sur la modernisation des équipements et de l'environnement de travail.
La commission d'enquête a jugé primordial, pour enrayer la spirale négative dans laquelle les établissements sont entraînés, de faire confiance et de redonner confiance aux acteurs hospitaliers : redonner de la liberté et de l' autonomie aux équipes soignantes et aux établissements ; redonner de l' attractivité et du sens aux métiers du soin ; assurer un financement durable et cohérent avec les besoins de santé .
Enfin, il est nécessaire de rééquilibrer notre système de santé en assurant le juste recours à l'hôpital dans une organisation des soins mieux coordonnée . Il s'agit d'améliorer le parcours du patient en décongestionnant l'hôpital et en le décloisonnant de la médecine de ville, d'assurer les prises en charge hospitalières au plus près des besoins des patients et de fédérer les acteurs locaux de santé pour mieux répondre aux besoins sur les territoires.
PREMIÈRE
PARTIE
L'HÔPITAL EN CRISE : DES FACTEURS HUMAINS ET
FINANCIERS
L'ensemble des témoignages recueillis par la commission d'enquête confirment une tension fortement ressentie par les personnels hospitaliers, en premier lieu médicaux et paramédicaux . Ils confirment également que la crise sanitaire n'a fait qu'accentuer un malaise déjà très présent depuis plusieurs années . Effectué dans des conditions qui ne cessent de se dégrader, le travail hospitalier perd son sens aux yeux d'un nombre croissant de personnels , surtout paramédicaux, entraînant départs anticipés et insuffisance du recrutement. Bien que d'ampleur inédite, l' effort de revalorisation des rémunérations issu du Ségur de la santé n'inverse pas la tendance , et alimente au contraire l'insatisfaction de ceux qui considèrent que les moyens n'ont pas été équitablement répartis.
Les postes vacants et les fermetures de lits qu'ils provoquent sont une réalité. Lorsque des chiffres, il est vrai sans doute aussi approximatifs qu'excessifs, ont été versés dans le débat public, le Gouvernement les a immédiatement démentis. Il est pourtant lui-même dans l'incapacité d'établir un tableau de la situation et n'a fourni que des indications très parcellaires sur la base d'une enquête effectuée en urgence . En dépit des multiples informations que les établissements sont tenus de renseigner dans leurs systèmes d'information, il n'est pas possible aujourd'hui d'obtenir des données actualisées sur des sujets aussi importants et nécessaires au pilotage de la politique publique de santé que les ressources humaines et les capacités hospitalières.
La situation critique constatée par la commission d'enquête pourrait présenter un caractère paradoxal, puisque beaucoup d'indicateurs de comparaison internationale montrent que notre système hospitalier, comme notre système de santé en général, sont parmi les mieux équipés et les mieux financés en Europe. L'allocation de ces moyens n'est sans doute pas optimale, mais les hôpitaux subissent également le contrecoup d'une pression budgétaire qui s'est fortement accentuée au milieu des années 2010 , dans un contexte d'augmentation continue de leur activité. Les difficultés financières se sont aggravées, entraînant une détérioration des conditions de travail et une diminution très préoccupante du niveau d'investissement , divisé par deux au cours de la dernière décennie.
I. DES PROFESSIONNELS HOSPITALIERS SOUS TENSION CROISSANTE
« La crise de l'hôpital est ancienne. Mais elle connaît depuis plusieurs mois une de ses phases les plus aiguës. Les personnels de santé n'en peuvent plus. » C'est par ces mots que le Premier ministre, Édouard Philippe, débutait le 20 novembre 2019 la présentation du plan d'urgence pour l'hôpital arrêté par le Gouvernement. La crise sanitaire démarrait quelques semaines plus tard.
Depuis deux ans, l'hôpital a certes démontré sa résilience, mais les cinq vagues épidémiques successives intervenues sur une situation déjà dégradée et tendue ont entraîné des conséquences profondes et certainement durables.
Défi majeur auquel est aujourd'hui confronté le système hospitalier, la fragilisation de ses ressources humaines se manifeste par des difficultés à recruter des personnels ou à les conserver qui, sans être massives ni uniformes selon les régions, les établissements ou les spécialités, ont un impact manifeste sur les conditions de travail des équipes et de fonctionnement des services.
Traduction de cette situation, les pénuries en personnels soignants et les réductions de capacités qu'elles entraînent atteignent un niveau très préoccupant sur lequel ont fortement alerté de nombreux responsables médicaux ou administratifs.
Cette tension était déjà très sensible avant même le déclenchement de la crise sanitaire. Elle s'est accentuée depuis lors et menace de fragiliser durablement le fonctionnement du système hospitalier, mais aucun moyen de mesure précise et de suivi des postes vacants, des flux de départ, des résultats du recrutement ou des fermetures de lits liées à un déficit en personnel n'a pour autant été mis en place par le ministère de la santé qui s'est borné à des enquêtes partielles et ponctuelles.
A. UNE USURE QUI FRAGILISE LES RESSOURCES HUMAINES DE L'HÔPITAL
La parole des nombreux acteurs hospitaliers, soignants ou non soignants, recueillie au cours des travaux de la commission d'enquête témoigne à la fois de leur engagement constant au service de leur mission comme de la fierté qui en découle légitimement, et d'un niveau inégalé de tensions accumulées qui a très rudement mis à l'épreuve leur résilience.
Depuis deux ans, « l'hôpital a tenu ». Il s'est adapté à une situation sanitaire sans précédent, grâce à la compétence de ses personnels, à leur mobilisation exceptionnelle et aux efforts considérables qu'ils ont consentis. Cela doit être à nouveau souligné et salué.
Mais au cours des auditions, les mots « lassitude », « épuisement », « fatigue collective », « malaise », « souffrance » sont constamment revenus, que ce soit de la part de praticiens, de soignants, de cadres de direction ou d'autres acteurs de la communauté hospitalière. Si la motivation demeure néanmoins, tous ont alerté sur son érosion certaine et les risques qui en résultent pour le devenir de notre système hospitalier.
Ces deux années éprouvantes ont accentué des facteurs préexistants où se mêlent des réalités très tangibles, tenant aux conditions d'exercice des métiers hospitaliers et à leurs répercussions sur la vie personnelle et familiale des intéressés, et des aspects plus psychologiques non moins importants, liés au sens et à l'accomplissement attendus dans le travail quotidien.
1. Une pression intense sur les services hospitaliers
S'il est des activités qui illustrent de manière particulièrement évidente les tensions affectant les établissements hospitaliers, ce sont bien celles sur lesquelles pèsent le plus fortement l'intensification de la charge de travail, les sujétions de la permanence des soins et les postes non pourvus.
C'est bien entendu le cas des services des urgences . Leur activité a doublé en vingt ans. Ils constituent dans bien des territoires « la seule lumière allumée » vers laquelle s'orienter. Symbole de la crise hospitalière à l'automne 2019, leur situation s'est encore détériorée depuis lors.
En raison d'un manque de médecins, de nombreuses fermetures, ponctuelles ou plus prolongées, sont intervenues au cours des derniers mois dans plusieurs services des urgences de petits ou moyens établissements 2 ( * ) .
Lors de leur audition le 16 décembre dernier, les chefs de services des urgences représentant toute la gamme des établissements, qu'ils soient publics ou privés, situés aussi bien dans des métropoles que dans des villes moyennes ou des territoires ruraux, ont témoigné d'un même constat que le professeur Louis Soulat, chef du service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes, a résumé en ces termes : « inadéquation entre les moyens et l'évolution de notre activité, épuisement des équipes, insatisfaction, sentiment de travail inachevé » conduisant « à des départs et à des réorientations ». Manifestant son inquiétude pour les fêtes de fin d'année, il concluait : « Un tiers des services sont en énorme difficulté, avec l'impossibilité de tenir toutes les lignes de garde, et un tiers sont saturés faute de lits d'aval disponibles, et pas seulement en raison des hospitalisations liées au covid, plutôt inférieures à ce que nous avons pu connaître. Notre problématique concerne donc l'attractivité. Comment donner envie aux urgentistes de travailler à l'hôpital pendant des années ? ».
Une situation tout aussi tendue affecte les 300 services de réanimation dont le fonctionnement implique la présence continue auprès des patients, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, de personnels médicaux et paramédicaux qualifiés.
Ces services connaissent depuis plusieurs années une augmentation régulière du nombre de séjours en raison du vieillissement de la population, avec de fortes variations saisonnières ou régionales et une saturation récurrente en période hivernale. L'enchaînement de cinq épisodes épidémiques entre mars 2020 et l'hiver 2022, avec des niveaux d'admission très élevés sur la durée, a pesé de manière inédite sur leur fonctionnement.
Le récent rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les soins critiques 3 ( * ) souligne un « déficit de médecins » qui « accentue la pénibilité de l'exercice de la réanimation » . Est notamment citée une enquête du collège des enseignants en médecine intensive selon laquelle, dans les services de réanimation polyvalente et médicale déclarant des postes vacants, avant la crise sanitaire, « le nombre d'ETP vacants médians représente 22 % de l'effectif cible du tableau des emplois », ce qui est considérable. Le rapport ajoute que « la réanimation est une discipline par nature contraignante, en raison de son exercice quasi exclusivement hospitalier, de l'obligation de permanence des soins et de la charge psychologique associée à la prise en charge de patients lourds avec des taux de mortalité élevés. Cette pénibilité se traduit notamment par une forte prévalence des syndromes d'épuisement professionnel parmi les réanimateurs » et elle « est amplifiée par les tensions sur les effectifs, qui se traduisent en particulier par un nombre élevé de gardes à réaliser par médecin ». S'agissant des personnels paramédicaux, l'IGAS relève « des difficultés majeures de fidélisation entraînant un turn-over élevé » des infirmiers de réanimation qui s'accentue avec la crise sanitaire.
L'enquête effectuée par la Cour des comptes à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat 4 ( * ) appelait à résorber cette « crise des ressources humaines » des services de soins critiques.
Dans une tribune adressée en pleine montée de la cinquième vague au ministre des solidarités et de la santé 5 ( * ) , plus d'une centaine de médecins réanimateurs estimaient ainsi qu'au regard de la première vague de 2020, « à cause de l'épuisement physique et psychologique des professionnels de santé et des nombreux départs, les services de réanimation pourraient bien se noyer avec moins de patients ».
Mais au-delà des urgences et de la réanimation, on constate une situation tendue dans tous les types de services.
Lors des auditions, trois facteurs principaux ont été soulevés.
Premièrement, sous l'effet d'une tendance de fond, la part de patients plus complexes , souvent âgés et arrivés par les urgences dans des services « d'aval », et atteints de polypathologies s'accroît de manière continue. Ils demeurent parfois hospitalisés au-delà de la durée nécessaire faute de pouvoir revenir à domicile ou de solutions disponibles en soins de suite ou en structure médico-sociale, et requièrent des soins plus lourds .
Deuxièmement, l' impact de la crise sanitaire s'est ressenti sur l'ensemble des services de manière très supérieure à la part qu'ont représentée les patients atteints du covid dans l'ensemble des hospitalisations 6 ( * ) . En effet, ces prises en charge ont impliqué d' importants redéploiements de moyens humains , pour armer les capacités supplémentaires en soins critiques, qui requièrent une présence en personnel beaucoup plus importante, et pour permettre de transformer en lits covid des lits affectés aux activités courantes. Surtout, la crise a connu cinq vagues successives sur une durée de deux ans. Le plan blanc a été déclenché deux fois en 2020, dans certaines régions à l'été 2021 puis de nouveau dans l'ensemble d'entre elles en décembre 2021. Ce dispositif plutôt conçu en réponse immédiate à une crise de durée limitée emporte, en termes d'organisation de l'hôpital et de condition d'exercice des équipes hospitalières, des conséquences beaucoup plus lourdes, perturbant le mode de fonctionnement habituel des services , lorsqu'il est mis en oeuvre de manière répétée et dans la durée. Le nécessaire rattrapage d'activités déprogrammées, avec parfois une aggravation de l'état des patients, entraîne en outre une pression supplémentaire sur les services.
Enfin, les difficultés de recrutement et les pénuries de personnels sur plusieurs métiers en tension provoquent « des dérèglements internes majeurs », comme l'a souligné le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) 7 ( * ) . Il citait particulièrement les infirmières de bloc opératoire (Ibode) et les manipulateurs d'électro-radiologie, mais il en est de même pour les infirmières anesthésistes (IADE) et pour l'ensemble des infirmiers en soins généraux (IDE), un sous-effectif parfois limité en nombre provoquant la fermeture de blocs opératoires ou le ralentissement de certaines activités. Pour les personnels en poste, l'effet ressenti est plus que proportionnel à l'ampleur de ces déficits, l'accentuation de la pénibilité du travail s'ajoutant à l'usure provoquée par deux années de crise sanitaire.
2. Une dégradation des conditions de travail antérieure à la crise sanitaire et qui s'accentue
L'exigence de permanence et de continuité des soins se matérialise, pour une très grande partie des personnels, par un niveau élevé de contraintes, notamment en matière de présence et de conciliation entre vies familiale et professionnelle. La fréquence des plages horaires de travail tôt le matin ou tard le soir ou du travail de nuit et de week-end y est beaucoup plus élevée que dans d'autres secteurs d'activité. C'est aussi le cas des dépassements d'horaires. S'y ajoutent des contraintes physiques supérieures à la moyenne (station debout prolongée, postures ou mouvements fatigants, déplacements fréquents). Mais les valeurs fortes attachées à la finalité du travail, à l'engagement collectif et aux métiers sont l'une des caractéristiques essentielle de l'hôpital.
Fin 2019, la dégradation des conditions de travail constituait largement l'un des ressorts ayant conduit à l'annonce du plan d'urgence pour l'hôpital. La dernière enquête « conditions de travail - risques psychosociaux » 8 ( * ) , confirme la détérioration des différents indicateurs entre 2013 et 2019 et en détaille les principaux facteurs : progression du sentiment de devoir effectuer une quantité de travail excessive, notamment pour les aides-soignants et les infirmiers, et de celui d'un décalage entre charge de travail, exigences associées au travail et moyens disponibles pour le réaliser ; recul du sentiment de disposer de temps suffisant pour effectuer son travail correctement et de collègues en nombre suffisant, particulièrement pour les médecins, mais également pour les infirmiers et les aides-soignants.
La crise sanitaire a de toute évidence accentué ces évolutions défavorables.
L'Ordre national des infirmiers a communiqué à la commission d'enquête les résultats d'une consultation menée en décembre dernier indiquant que 85 % des infirmiers salariés (89 % dans le secteur public) estimaient que leurs conditions de travail s'étaient détériorées depuis le début de la crise sanitaire, cette proportion ayant augmenté de 21 points par rapport à la consultation opérée un an auparavant, en octobre 2020. Les infirmiers exerçant en établissement sont 71 % (74 % dans le secteur public) à déclarer qu'ils ne disposent pas du temps nécessaire pour prendre en charge leurs patients (+ 7 points par rapport à octobre 2020). 42 % des infirmiers indiquaient ressentir un syndrome d'épuisement professionnel de type burn-out .
L'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes a également communiqué les résultats d'une consultation menée en 2021 indiquant que 43 % des kinésithérapeutes salariés ou en exercice mixte considéraient leurs conditions de travail comme moyennes et 24 % comme mauvaises ou très mauvaises. Une enquête nationale sur les risques psychosociaux chez les kinésithérapeutes salariés montre par ailleurs que ces derniers étaient particulièrement exposés au burn-out et à l'épuisement émotionnel.
Les résultats de ces consultations sont cohérents avec le ressenti exprimé par médecins et soignants devant la commission d'enquête et lors des auditions organisées par la rapporteure ou des déplacements effectués dans les établissements hospitaliers.
Les personnels infirmiers signalent notamment une accentuation des modifications de planning, parfois à la dernière minute, des déplacements d'un service à un autre, des rappels sur des jours de repos ou de congé pour remplacer des collègues absents, du recours aux heures supplémentaires et du travail de week-end, au-delà de deux fois par mois. Ils décrivent une spirale délétère, l'absentéisme ou les départs aggravant plus encore les conditions d'exercice pour les présents.
Dans des services requérant des capacités techniques spécifiques, comme les blocs opératoires, le recours accru à l'intérim infirmier suscite des tensions : faute d'expérience suffisante, les intérimaires ne peuvent accomplir toutes les tâches de ceux qu'ils remplacent et à leur propre charge de travail s'ajoute pour les infirmiers permanents celle de devoir former des intervenants temporaires mieux rémunérés qu'eux.
Les représentants des praticiens ont quant à eux témoigné de l'alourdissement de la charge horaire et des contraintes liées à la permanence des soins, mais aussi des conditions d'exercice plus difficiles qu'entraîne le déficit en soignants dans leurs services. Le recours à l'intérim constitue là aussi un facteur de tension, les praticiens qui s'investissent durablement dans le service public hospitalier se sentant dévalorisés vis-à-vis de médecins de passage aux rémunérations sans commune mesure avec les leurs.
Les conditions de travail des internes , médecins en formation représentant près d'un quart du personnel médical des établissements hospitaliers publics, constituent de longue date un motif de préoccupation qui a d'ailleurs justifié une enquête du ministère des solidarités et de la santé l'automne dernier.
À cette occasion, les internes ont confirmé largement dépasser les cadres fixés en matière de durée du travail (70 % des internes répondant déclarent travailler au-delà de 48 heures par semaine et plus de 90 % déclarent effectuer plus des huit demi-journées d'activité en stage qui leur incombent), même si les établissements en ont pour leur part minimisé l'ampleur.
Devant la commission d'enquête, les représentants des internes ont évoqué un temps de travail hebdomadaire de 57 heures en moyenne et, dans le même temps, dans les centres hospitaliers les plus touchés par le déficit en personnel médical, une moindre disponibilité des praticiens séniors pour l'encadrement des stages, ce qui pénalise les conditions de formation et joue négativement sur l'attractivité de l'exercice hospitalier pour les jeunes médecins.
Ils ont surtout fait part d'un mal-être qui n'est pas seulement lié à la charge de travail, mais également à un environnement de stage marqué par « les violences, les humiliations, les agressions », la dernière enquête réalisée sur la santé mentale des étudiants et des internes ayant révélé qu'« un étudiant en médecine sur quatre déclare avoir subi une forme de harcèlement » 9 ( * ) .
L'accentuation des contraintes professionnelles et la dégradation des conditions d'exercice touchent des personnels médicaux et soignants dont le rapport au travail évolue . Un grand nombre d'interlocuteurs de la commission d'enquête, et en premier lieu les responsables administratifs ou médicaux d'établissements, ont insisté sur un profond changement générationnel, qui n'est d'ailleurs pas propre aux professions de santé, touchant aux attentes en matière d'équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle.
Comme l'a indiqué Marie-Noëlle Gérain-Breuzard, présidente de la conférence des directeurs de CHU, « les aspirations au temps libre, le rapport à la hiérarchie, l'expression plus assumée de la souffrance au travail, le besoin renforcé d'équité, la course à la meilleure rémunération, le zapping professionnel sont autant d'évolutions qui, sans les généraliser, interpellent les managers actuels, pour la plupart d'une autre génération, formés sur un modèle plus contraignant pour l'individu, qu'ils soient médecins, cadres ou directeurs. Ces aspirations sont a fortiori fortement ébranlées pour les jeunes hospitalo-universitaires, dont la construction de carrière est un parcours du combattant ». L'impact sur l'hôpital n'est pas négligeable, puisque « le changement des mentalités se traduit par des difficultés réelles de recrutement et de fidélisation » 10 ( * ) .
3. Une perte de sens dans leur travail ressentie par nombre de personnels
« Perte de sens », « injonctions contradictoires », « crise de valeurs » : ces mots ont été prononcés à de nombreuses reprises devant la commission d'enquête, tant par des praticiens, des soignants que des cadres de direction, même si l'on constate tout autant, dans les mêmes catégories, un profond attachement à la vocation et aux missions de l'hôpital comme aux métiers indispensables à son fonctionnement.
Ce constat n'est pas nouveau. En février 2019, l'Académie nationale de médecine s'inquiétait d'une « perte de sens qui démobilise les professionnels de santé et altère leur confiance dans le système hospitalier », estimant que « le qualitatif (soins) a cédé la place au quantitatif (volumes) sans chercher la pertinence et le résultat pour le malade » 11 ( * ) . Plusieurs chefs de service entendus, sans nier la nécessaire dimension médico-économique du fonctionnement hospitalier, ont par exemple témoigné de leur malaise à voir leur activité résumée à une batterie d'indicateurs économiques et financiers, courbes et histogrammes et exclusivement traduite en recettes, parts de marché et écarts au référentiel...
Ce sentiment a été fortement exprimé par les infirmiers entendus lors des auditions ou déplacements qui déplorent le temps insuffisant qu'ils peuvent consacrer aux patients, une concentration sur les soins techniques, au détriment de la dimension d'accompagnement, qui les réduit au rôle de simples exécutants ou d'« ouvriers spécialisés du soin », l'instabilité accrue des équipes qui érode le sens du collectif, ainsi que la réduction des temps de transmission de consignes entre deux équipes. Lorsque « chacun se succède autour du patient pour alimenter les strates d'un dossier médical et soignant informatisé », il en résulte un « sens perdu du collectif » 12 ( * ) .
Les cadres de santé indiquent quant à eux consacrer une part croissante de leur temps aux réaménagements de planning et aux rappels de personnels en repos ou congé pour remplacer les absents et devoir constamment gérer des injonctions contradictoires, entre les exigences de qualité des soins et les contraintes liées au sous-effectif en soignants. Une tension du même ordre est ressentie par beaucoup de cadres de direction.
Sans qu'il soit généralisé, ce sentiment joue dans la décision de certains personnels paramédicaux de mettre fin à leur carrière hospitalière . Lors des entretiens de départ, « un certain nombre d'agents évoquent le fait de n'être plus en phase avec leurs valeurs, décrivant des situations de travail et d'exercice professionnel où le temps manque et où la satisfaction du soin prodigué aux patients est parfois aléatoire » 13 ( * ) .
Sans doute est-il actuellement beaucoup demandé à l'hôpital, peut-être même au-delà de ce qu'il est en mesure de réaliser, ce qui peut alimenter le sentiment de ne pas pleinement satisfaire aux attentes.
De ce point de vue, la première vague épidémique a constitué, pour la communauté hospitalière, une mobilisation exceptionnelle. Lors de celle-ci, chacun a pu retrouver le sens de son métier, dans un contexte certes très difficile, mais ayant permis de lever bien des contraintes rencontrées dans le fonctionnement habituel de l'hôpital. Après cette période au cours de laquelle l'autonomie et l'initiative des acteurs hospitaliers auront été déterminantes, beaucoup d'acteurs ont évoqué devant la commission d'enquête un effet de « dépression » post-crise , provoquée par le retour aux pratiques antérieures.
4. Des revalorisations salariales significatives qui n'ont pas fondamentalement redressé le moral des personnels
Les revalorisations salariales issues du Ségur de la santé ont représenté sur l'année 2021, d'après les informations communiquées à la commission d'enquête par le ministère des solidarités et de la santé, une dépense de 5,8 milliards d'euros dans le champ des établissements sanitaires publics et privés, soit une majoration d'environ 9 % de leurs charges de masse salariale .
L'ampleur inédite de cet effort a été à juste titre soulignée. Pour autant, tous les témoignages recueillis par la commission d'enquête montrent que telle n'a pas véritablement été la perception d'un grand nombre de personnels, et que le Ségur a même paradoxalement suscité de la déception, voire de l'amertume, au regard des attentes qui s'étaient formées.
Si la plupart des mesures sont progressivement entrées en vigueur au cours de l'année 2021, d'autres, comme la création d'échelons en fin de carrière, ne bénéficieront qu'à terme à la plupart des personnels et présentent parfois un caractère théorique pour ceux qui n'envisagent pas de poursuivre une activité hospitalière jusqu'à la fin de leur vie professionnelle.
Par ailleurs, beaucoup d'insatisfactions ont été exprimées, soit que certaines catégories se considèrent exclues de mesures dont d'autres ont bénéficié, soit que les arbitrages rendus n'aient pas retenu les avancées qui étaient espérées.
La nouvelle grille indiciaire des praticiens hospitaliers, destinée à augmenter la rémunération en début de carrière, est ainsi ressentie comme inéquitable par des praticiens récemment nommés avec moins de 6 ans d'ancienneté, reclassés au premier échelon de la nouvelle grille, alors que ceux nommés après le 1 er octobre 2020 accèderont au deuxième échelon après deux ans seulement. De même, des praticiens déjà en poste avant cette date considèrent que la non-reprise d'ancienneté des trois anciens premiers échelons revient à leur faire perdre quatre ans dans la carrière au regard des nouveaux entrants.
Une prime a récemment été accordée aux infirmiers travaillant dans des services de soins critiques 14 ( * ) , mais les aides-soignants et auxiliaires de puériculture des mêmes services admettent difficilement de ne pas en bénéficier. Il semblerait également que certains infirmiers spécialisés, notamment les puéricultrices intervenant dans des services comportant des lits de soins critiques, n'aient pas pleinement bénéficié de la mesure.
Les ambulanciers hospitaliers, notamment ceux des SMUR qui disposent de compétences les amenant à participer à la prise en charge des patients, déplorent n'avoir obtenu aucune évolution de leur statut alors que les aides-soignants sont passés en catégorie B.
Enfin, l'un des manques les plus fortement ressentis porte sur l'absence de revalorisation du travail de nuit ou du week-end dont la compensation n'est notoirement pas à la hauteur des contraintes, notamment pour les praticiens et soignants des services sur lesquels la permanence des soins pèse le plus lourdement.
B. UN DÉFAUT DE MESURE ET DE SUIVI DES RÉDUCTIONS CAPACITAIRES ET DES PÉNURIES EN PERSONNELS
« Le ministère de la santé ne dispose pas d'informations fiables sur les effectifs et la répartition des personnels hospitaliers . L'opacité qui en résulte, conjuguée à la méconnaissance du temps de travail médical, ne permet pas une connaissance de l'offre de soins suffisamment précise pour orienter les décisions . [...] Les lacunes des systèmes d'information et les imprécisions conceptuelles ne facilitent pas l'appréciation de l'adéquation de la répartition des effectifs à l'activité et aux besoins de santé de la population alors qu'il s'agit bien évidemment d'un sujet majeur. » La situation semble n'avoir que peu évolué depuis ce sévère constat dressé en 2006 par la Cour des comptes 15 ( * ) .
En effet, alors que pratiquement tous les chefs d'établissement ou responsables médicaux rencontrés par la commission d'enquête ont fait état de fermetures de lits résultant de sous-effectifs temporaires ou de difficultés persistantes de recrutement, il n'existe aucune vision consolidée de la situation des établissements ni des évolutions des effectifs qui la sous-tendent .
Ces lacunes sont d'autant plus surprenantes que depuis maintenant plusieurs années les ressources humaines et leurs perspectives d'évolution sont l'un des enjeux les plus déterminants pour les établissements de santé.
1. Les fermetures de lits : un indicateur qui n'est pas suivi par le ministère de la santé et dont il relativise la pertinence
La proportion de lits fermés est largement mise en exergue dans le débat public comme indicateur du manque de personnel et plus largement symbole de la crise de l'hôpital.
La grande diversité des chiffres avancés cet automne , après que le conseil scientifique covid-19 a mentionné un pourcentage d'environ 20 % résultant de données recueillies auprès de grandes structures hospitalières 16 ( * ) , montre la difficulté à quantifier le phénomène. En effet, au même moment, les responsables des CHU évoquaient des « réalités contrastées d'un établissement à un autre, d'une région à une autre » et des fermetures de 14 % à 18 % des lits dans les établissements hospitalo-universitaires d'Île-de-France, de 1 % à 12 % dans les autres régions 17 ( * ) . Pour l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), son directeur général évaluait à 13 % la part de lits fermés au mois de novembre 18 ( * ) . Sur la base de réponses adressées par 330 établissements de différentes catégories, la Fédération hospitalière de France relevait quant à elle 6 % de lits fermés en septembre-octobre avec une situation plus dégradée en Île-de-France et dans les CHU que dans les centres hospitaliers hors Île-de-France. Ces fermetures étaient majoritairement liées à un manque de personnel (infirmiers, aides-soignants et, dans une moindre mesure, médecins), mais en partie également à l'obligation de n'admettre qu'un seul patient en chambre double en raison de la situation épidémique.
L'administration centrale ne disposant pas elle-même d'une vision globale de la situation, le ministre des solidarités et de la santé a diligenté en fin d'année dernière une enquête qui n'a guère contribué à mesurer plus finement l'impact des tensions en ressources humaines sur les capacités d'hospitalisation.
Il apparaît en effet qu'en dehors d'une statistique annuelle publiée avec un décalage dans le temps de plusieurs mois, le ministère de la santé n'est pas en mesure de suivre l'évolution de la capacité hospitalière. Par ailleurs, la notion même de lit fermé lui paraît discutable au motif qu'en dehors de certaines spécialités, aucun objectif capacitaire ne serait réellement assigné aux établissements hospitaliers.
Sur le premier point, le ministère a indiqué à la commission d'enquête qu'en dehors des soins critiques, il n'y avait pas de suivi régulier au niveau national de la capacité en lits installés, disponibles ou fermés au sein des établissements . Les données dont ceux-ci disposent, sur des systèmes d'information qui leur sont propres, ne pourraient être remontées de manière automatique. Faute d'interface appropriée, leur collecte au niveau régional ou national exigerait qu'elles soient retraitées de manière homogène, pour une charge jugée disproportionnée, le ministère invoquant en outre la variabilité des notions de lits ouverts ou fermés et les fluctuations importantes des capacités dans le temps. L'évolution des capacités n'est véritablement appréciée qu'une fois par an sur la base des réponses à l'enquête obligatoire destinée à la statistique annuelle des établissements de santé, dont les premiers résultats sont consolidés au cours de l'année suivante 19 ( * ) .
Une mesure actualisée des réductions capacitaires qui sont attestées depuis plusieurs mois par l'ensemble des acteurs hospitaliers impliquerait donc de soumettre les établissements à des sollicitations régulières qu'il n'est pas envisagé d'opérer en raison même du contexte actuel de fortes tensions.
Dès lors, les agences régionales de santé et le ministère de la santé n'ont qu'une visibilité très réduite de l'état réel, à un instant donné, des lits disponibles au sein des établissements .
Sur le second point, le ministère a justifié que l'enquête conduite en fin d'année n'ait pas établi la proportion de lits fermés par le fait qu'il n'existait pas de capacité « cible » définie en termes de nombre de lits, excepté en réanimation , et que chaque établissement avait sa propre appréciation de sa capacité théorique. C'est pourquoi ont été communiqués des résultats portant uniquement sur l'évolution du nombre de lits ouverts par rapport à ceux déclarés les années précédentes en fin d'année dans le cadre de la statistique annuelle des établissements de santé.
Cette présentation ne permet pas de faire la part entre des évolutions résultant d'une restructuration volontaire de l'activité hospitalière, de l'hospitalisation complète vers l'hospitalisation de jour ou à domicile, et celles qui sont imputables à un déficit en personnel. Par ailleurs, si du point de vue de l'administration centrale aucun nombre de lits n'est assigné aux établissements, il a bien été constaté au cours des travaux de la commission d'enquête que tous les chefs d'établissement et responsables médicaux raisonnent bien en ces termes et mesurent en fermetures de lits les conséquences du sous-effectif.
Ce fatalisme à l'égard de la possibilité d'évaluer l'état des capacités hospitalière autrement qu'en interrogeant un à un les établissements est d'autant plus étonnant qu'existe depuis plusieurs années le répertoire opérationnel des ressources (ROR) destiné à permettre aux professionnels d'identifier les disponibilités en lits. Comme son nom l'indique, cet outil a une vocation opérationnelle et n'a pas été conçu dans un objectif de renseignement statistique. Il est peut-être par ailleurs alimenté de manière inégale par les établissements. Le ministère des solidarités et de la santé le présente néanmoins sur son site internet comme « un référentiel recensant l'ensemble de l'offre sanitaire et du médico-social, comprenant un volet sur la disponibilité des lits hospitaliers », « proposant une description exhaustive, homogène et opérationnelle de l'offre de santé sur tout le territoire » et permettant de « bénéficier d'informations exhaustives, fiables et comparables ». Dans le cadre de la gestion de la crise covid, le ROR a fourni « une vision actualisée des disponibilités en lits et des capacités de réanimation dans toutes les régions », mais on doit constater qu'il n'a pas été adapté pour fournir à l'heure actuelle d'éléments d'appréciation sur des services certes moins « critiques », mais confrontés depuis maintenant plusieurs mois à des réductions capacitaires.
La disparité et la discordance des chiffres avancés ne doivent en rien conduire à minimiser la récurrence des situations de saturation de services dans nombre d'établissements.
Les fermetures, ponctuelles ou plus prolongées intervenues au cours des derniers mois dans les services des urgences, liées à un manque de personnel médical dans de petits ou moyens établissements, en sont l'exemple le plus médiatisé.
Le professeur Rémi Salomon président de la commission médicale d'établissement de l'AP-HP a également cité le cas particulièrement préoccupant de la chirurgie neurovasculaire, affectée par de fortes réductions de capacité en région parisienne à la suite d'un manque d'infirmiers, alors que ces services sont essentiels pour la prise en charge rapide des accidents vasculaires cérébraux.
Bien d'autres illustrations, variables selon les établissements et évolutives dans le temps mais touchant tous types de services ont été rapportées par des responsables hospitaliers lors des auditions de la commission d'enquête ou dans les contributions qu'elle a reçues.
L'enquête ministérielle de l'automne 2021 : des éléments peu éclairants sur les fermetures de lits
Les données communiquées mi-décembre 2021 par le ministère des solidarités et de la santé ont été établies à partir des réponses de 1 100 établissements, sur 2 300 interrogés, de tous secteurs (public, privé lucratif ou non lucratif) et sur des champs d'activité beaucoup plus larges que les seules médecine-chirurgie-obstétrique, s'étendant aux soins de suite et de réadaptation, à la psychiatrie, à l'hospitalisation à domicile et aux soins de longue durée.
Elles retracent l'évolution, sur cet échantillon, du nombre de lits et places de fin 2019 à octobre 2021 sans chiffrer la proportion de lits fermés, considérant qu'il n'existe pas, hormis les soins critiques, de capacité de référence en la matière.
L'enquête conclut, pour l'ensemble des champs d'activité, à une diminution globale de 2 % des capacités d'hospitalisation complète entre fin 2019 et octobre 2021 , plus prononcée en chirurgie (- 7 %) et en obstétrique (- 4 %) qu'en médecine (- 2 %), en soins de suite (- 2 %) et en psychiatrie (- 2 %). Dans le même temps, des places d'hospitalisation partielle ont été ouvertes , dans des proportions proches de la diminution du nombre de lits pour les soins de suite et la médecine, mais, s'agissant de la chirurgie, très en deçà du nombre de lits fermés. Les places d'hospitalisation partielle ont en revanche diminué de 2 % en psychiatrie. L' hospitalisation à domicile connaît un fort développement (+ 26 % de places de fin 2019 à octobre 2021) même si sa part dans l'ensemble demeure modeste.
Le champ extrêmement large retenu par cette enquête, en termes de types d'établissements et d'activités, ainsi que la base de référence utilisée, à savoir la fin 2019, période déjà caractérisée par de très fortes tensions ayant justifié un plan d'urgence pour les hôpitaux, conduisent à des constats en apparence très différents de ceux rapportés par les acteurs de terrain qui alertent, il est vrai, sur les difficultés les plus aiguës et les situations les plus problématiques.
Elle se fonde par ailleurs sur des données antérieures à la cinquième vague épidémique, dont les effets sur l'hôpital ont été de plus en plus rudes jusqu'aux derniers jours de janvier 2022.
Ainsi, entre le moment où l'étude a été réalisée et la mi-janvier, le plan blanc a progressivement été étendu et près de 1 000 lits supplémentaires ont été installés en réanimation pour faire face à l'afflux de patients, ces ouvertures entraînant d'importants redéploiements pour satisfaire les normes en personnels de ces services. Un lit de réanimation représente en effet de l'ordre de quatre à cinq lits conventionnels et la mobilisation des personnels pour les réanimations covid réduit la possibilité d'utilisation des blocs opératoires pour les services de chirurgie.
Le caractère ponctuel de cette enquête, à laquelle moins de la moitié des établissements interrogés ont répondu, comme ses limites méthodologiques rendent ses résultats peu éclairants. Ils illustrent en revanche la faiblesse des outils de suivi des capacités hospitalières, en dehors d'une statistique annuelle dont les résultats sont mis à disposition avec un délai très décalé dans le temps.
2. Le nombre de postes vacants et les flux de départ et de recrutement demeurent peu évalués
En matière d'évolution des effectifs des établissements de santé, les sources statistiques sont diverses et ne concordent pas toujours entre elles 20 ( * ) . Elles font également l'objet d'une mise à disposition annuelle.
Le suivi centralisé n'existe que pour les personnels de direction (directeurs d'établissement, directeurs de soins) et les praticiens hospitaliers titulaires. Il est effectué par le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG). Les effectifs de tous les autres personnels, dont les praticiens non titulaires, ne sont connus que des établissements qui les déclarent dans des enquêtes annuelles.
Le CNG dispose de données récentes indiquant que le nombre de praticiens hospitaliers titulaires à temps plein a progressé de l'ordre de 1,7 % en deux ans, du 1 er janvier 2020 au 1 er janvier 2022, mais pas en proportion du nombre de postes ouverts, qui a quant à lui augmenté de plus de 5 %. Ainsi, le « taux de vacance statutaire » a sensiblement progressé en deux ans , passant, pour l'ensemble des praticiens hospitaliers à temps plein, de 30,3 % à 32,6 % 21 ( * ) . Ce taux ne donne cependant pas en lui-même d'indications sur les vacances réelles, les postes vacants pouvant être occupés par des praticiens contractuels ou des intérimaires. Les disciplines connaissant des taux de vacance statutaire supérieurs à la moyenne sont la radiologie et l'imagerie médicale (43,1 % au 1 er janvier 2022), l'anesthésie-réanimation (41,3 %) et la psychiatrie (38,2 %).
Comme pour les capacités en lits, l'enquête du ministère des solidarités et de la santé n'a pas évalué un taux de postes vacants pour les différentes catégories de personnels, cet indicateur étant pourtant systématiquement cité par les responsables administratifs ou médicaux hospitaliers lorsqu'ils évoquent la situation de leur établissement.
En matière d'effectifs, elle a recensé les recrutements et les départs des personnels médicaux et soignants sur une période de quelques semaines (octobre-novembre 2021). Au cours de cette période, pour les 1 100 établissements répondants, les départs ont été supérieurs aux entrées (3 910 contre 3 494), avec une situation contrastée selon les catégories : un solde positif pour les aides-soignants et, dans une moindre mesure, les médecins, un solde nettement négatif pour les sages-femmes et les infirmiers , les recrutements ne comblant que deux-tiers des départs pour cette catégorie.
Pour l'ensemble des personnels médicaux et soignants, les départs sont majoritairement le fait de démissions (54 %) et de mise en disponibilité ou congé longue durée (38 %).
L'enquête fournit également, par catégorie, des ordres de grandeur sur l' absentéisme , de 1 % à 5 % pour les médecins, de 5 % à 10 % pour les sages-femmes, autour de 10 % pour les infirmiers et de 10 % à 15 % pour les aides-soignants, soit des niveaux globalement supérieurs d'environ un point, en octobre 2021, à celui de fin 2019 . Le taux d'absentéisme dans la fonction publique hospitalière se situait en moyenne entre 8,5 % et 9 % jusqu'en 2019.
Ici encore, la nature extrêmement parcellaire des éléments recueillis, portant sur le seul mois d'octobre 2021, prive l'enquête d'une grande partie de son intérêt puisqu'elle ne permet pas de mesurer l'évolution des effectifs dans la durée , sur plusieurs mois, et donc d'évaluer l'impact des variations sur les équipes soignantes au cours de la période récente.
Il est ainsi difficile d'évaluer, à partir de cette enquête, dans quelle mesure le flux de départs anticipés a pu s'accélérer, et plus encore d'en analyser les raisons.
Elle confirme toutefois que c'est en grande partie sur le personnel infirmier que se concentrent les postes vacants , qu'il s'agisse des infirmiers en soins généraux ou des infirmiers spécialisés de bloc opératoire ou en anesthésie.
Ce déficit est particulièrement sensible en région Île-de-France , ce qui a conduit l'agence régionale de santé à annoncer mi-janvier un dispositif inédit permettant l'attribution d'une prime aux candidats infirmiers s'engageant avant le 28 février auprès d'un établissement public ou privé, y compris les Ehpad, pour une durée de six mois (prime de 4 000 euros) ou de neuf mois (prime de 9 000 euros).
Cette initiative qui interroge au regard de la situation des personnels en poste et des distorsions susceptibles d'apparaître dans les politiques de recrutement sur le territoire national témoigne en tous cas de l'acuité des difficultés dans la région, l'ARS ayant indiqué que selon une enquête non exhaustive menée en novembre 2021, 154 établissements ont signalé un total de 2 820 postes d'infirmiers vacants. L' AP-HP compte pour sa part en ce début d'année 2022 près de 1 400 postes d'infirmiers vacants, soit 7,5 % de l'effectif théorique . Le déficit s'y est fortement aggravé depuis l'automne 2019, lorsque son directeur général évoquait 400 postes d'infirmiers vacants 22 ( * ) .
Parmi les causes de ce déficit, ont été signalées à la commission d'enquête des démissions d'infirmiers hospitaliers préférant exercer comme intérimaires. Mais des responsables d'établissements indiquent également des tensions sur la disponibilité d'infirmiers venant de l'intérim, en raison en particulier des besoins importants intervenus depuis début 2021 pour le fonctionnement des centres de vaccination covid.
Les déficits touchent également d'autres catégories de personnel qui n'ont pas été mentionnées dans l'enquête ministérielle.
L'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes a communiqué à la commission d'enquête les résultats d'une étude évaluant à 3 090 équivalents temps plein les effectifs manquants au sein des établissements de santé, soit plus de 15 % des postes prévus. Il estime que compte tenu de la démographie de la profession, le déficit de kinésithérapeutes à l'hôpital pourrait doubler en 5 ans.
L'IGAS avait quant à elle signalé, s'agissant des manipulateurs d'électro-radiologie , des « situations de pénurie aiguë, avec des postes durablement vacants et des effets sur l'offre de soins, en particulier dans les établissements publics d'Île-de-France » 23 ( * ) .
De nombreux interlocuteurs de la commission d'enquête ont souligné qu'une partie des difficultés de recrutement des personnels paramédicaux étaient également liées à des sorties de formation très inférieures aux effectifs initialement entrés en école .
Le taux d' abandon en cours d'études semble atteindre un niveau préoccupant, mais ne fait véritablement l'objet d'aucune évaluation précise.
S'agissant des infirmiers , le ministre des solidarités et de la santé a mentionné un déficit de 1 300 élèves pour ceux qui sont entrés en formation en 2018 (un peu plus de 30 000) et ont été diplômés en 2021, chiffre qui paraît sous-évalué à la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières. Une moindre pertinence du processus d'orientation depuis l'inclusion des IFSI dans la procédure Parcoursup et des conditions de réalisation des stages hospitaliers non optimales en raison des tensions affectant les conditions de travail des équipes soignantes pourraient expliquer cette attrition en cours de formation qui pèse sur le recrutement. De même, alors qu'une expérience professionnelle préalable d'une durée de deux ans en exercice salarié encadré est exigée avant de pouvoir s'inscrire comme infirmier libéral, certains diplômés diffèreraient cette entrée dans le métier qui s'exerce souvent en milieu hospitalier.
Les organisations représentatives de sages-femmes ont confirmé auprès de la commission d'enquête l'importance des abandons de formation en cours d'études. Ainsi, sur 991 étudiants entrés dans les études de sages-femmes en 2018, 846 seulement poursuivaient leur 5 ème année en 2022.
Le rapport précité de l'IGAS relatif aux manipulateurs d'électro-radiologie souligne quant à lui « une proportion croissante d'étudiants qui ne terminent pas leurs études » et cite une forte baisse du taux d'étudiants diplômés dans les instituts de formation qui est passé de 93 % des inscrits en 1 ère année pour la promotion 2008-2011 à moins de 80 % ces dernières années (73 % pour la promotion 2015-2018 et 78 % pour la promotion 2016-2019).
Un suivi plus centralisé de ces indicateurs est nécessaire afin de mieux mesurer les abandons en cours d'études paramédicales , d'en tenir compte pour la fixation des quotas d'admission, d'en analyser les déterminants et de prendre les mesures correctrices nécessaires.
Recommandation : faire évoluer les bases de données nationales et les systèmes d'information des établissements pour disposer d'indications actualisées sur l'évolution des capacités des établissements publics de santé et de leurs effectifs et mettre en place des indicateurs de suivi des effectifs dans les formations paramédicales.
II. UN NIVEAU DE FINANCEMENT PUBLIC ET DES CAPACITÉS POURTANT AU-DESSUS DE LA MOYENNE EUROPÉENNE
Les tensions qui affectent le système hospitalier s'accentuent alors même que les comparaisons internationales placent plutôt la France parmi les pays qui consacrent le plus de moyens à leurs hôpitaux en proportion de leur PIB, et dont les capacités hospitalières par habitant sont les plus élevées. On a pu qualifier de « paradoxe hospitalier français » 24 ( * ) cette contradiction entre indicateurs statistiques et réalités des situations vécues, qui rend d'autant plus complexe l'analyse des faiblesses du système hospitalier de notre pays, au sens où elles peuvent moins provenir du niveau global de ressources que de difficultés de structure et d'organisation.
A. DES DÉPENSES HOPISTALIÈRES PARMI LES PLUS ÉLEVÉES DES PAYS EUROPÉENS
Selon l'OCDE, les dépenses des hôpitaux financées par des régimes publics ou obligatoires d'assurance représentent en France 4 % du PIB . Ce taux est similaire à des pays européens comme le Danemark ou la Norvège. Il est nettement inférieur pour d'autres pays comme l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, où il s'élève à 3,1/3,2 % du PIB.
Part des dépenses des hôpitaux financées par des régimes publics ou obligatoires d'assurance par rapport au PIB en 2019 dans plusieurs pays européens
(en % du PIB)
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
Des biais existent dans ces comparaisons, mais ils ne remettent pas en cause le constat selon lequel la France dépense davantage pour les hôpitaux en proportion de son PIB que la majorité des autres pays européens , et au contraire, certains viennent renforcer cette tendance. L'encadré suivant récapitule les principales limites relatives aux comparaisons internationales des agrégats sur les hôpitaux.
Les limites et difficultés des comparaisons internationales sur les hôpitaux
La première difficulté tient dans la définition même de ce qu'est un « hôpital ». La frontière est parfois en effet flottante entre les hôpitaux et les centres de santé multidisciplinaires qui sont répandus dans certains pays comme le Japon, la Suède, la Finlande ou le Royaume-Uni.
Pour pallier cette difficulté, les organismes internationaux ont cherché à harmoniser le plus possible la définition des hôpitaux. Ceux-ci sont présentés comme des « établissements dont l'activité principale est de fournir des diagnostics et des traitements, des soins médicaux et infirmiers et autres soins à des patients hospitalisés (c'est-à-dire passant au moins une nuit à l'hôpital), ainsi que des services spécialisés liés à l'hébergement de ces patients » 25 ( * ) . Cette définition est notamment adoptée par l'OCDE. Les statistiques de l'OCDE incluent les hôpitaux généraux et les hôpitaux spécialisés, dont les hôpitaux psychiatriques. Elles excluent en revanche les établissements pour personnes âgées dépendantes et les établissements pour personnes handicapées, ainsi que les autres établissements de soins de longue durée.
Des biais subsistent toutefois dans la comptabilisation des hôpitaux : par exemple l'Espagne et les Pays-Bas comptent des entités légales plutôt que physiques. Ces biais concernent cependant un champ et un nombre de pays trop limités pour rendre les comparaisons non pertinentes.
Les biais les plus importants se trouvent donc moins dans les structures qui sont comptées ou non comme des hôpitaux, que dans le champ des soins qui y sont dispensés. La question se pose particulièrement concernant l'exercice des soins spécialisés en ambulatoire.
Dans une partie des pays européens, comme le Royaume-Uni, l'Espagne et les pays nordiques, elle est dispensée par les hôpitaux. Dans d'autres, comme la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, elle est pratiquée par des médecins libéraux. Valérie Paris, dans un article de 2020 26 ( * ) , propose ce tableau des pratiques des soins spécialisés en ambulatoires des européens membres de l'OCDE :
Source : Valérie Paris, article cité
Les pays où les soins hospitaliers en ambulatoire sont exercés par les hôpitaux tendent donc à voir leurs dépenses hospitalières augmenter. Ce biais tend ainsi à renforcer le poids des dépenses hospitalières en France relativement aux pays nordiques. Il ne vient donc pas relativiser la part du PIB consacrée en France aux dépenses hospitalières, mais au contraire la renforcer.
Une autre difficulté tient dans la part des dépenses de médicaments incluses dans les dépenses hospitalières. Le Danemark, le Portugal, la République tchèque et la Grèce en incluent une grande part dans les dépenses hospitalières (supérieure à 25 %), ce qui gonfle les dépenses hospitalières. Toutefois, dans les autres pays européens, dont la France et l'Allemagne, ces dépenses sont bien incluses dans la catégorie « détaillants ». Ce biais n'explique donc pas non plus la part élevée du PIB en France consacrée aux dépenses hospitalières.
L'examen de l'évolution des dépenses hospitalières depuis 2012 dans les mêmes pays montre que même si les dynamiques sont variables (la part des dépenses hospitalières est par exemple croissante en Norvège, tandis qu'elle est stable en Allemagne et en diminution pour le Danemark), la part de financement dans le PIB est restée relativement stable dans la majorité des pays européens de taille comparable à la France. Il est de ce fait possible de distinguer trois « clubs » de pays : ceux dont le niveau de dépenses hospitalières se situent aux alentours de 4 % du PIB, ceux dont ce niveau est aux alentours de 3,1 % du PIB, et enfin ceux qui se trouvent entre les deux, vers 3,6 % du PIB.
Évolution des dépenses hospitalières, exprimées en pourcentage du PIB entre 2012 et 2019 dans plusieurs pays européens
(en % du PIB)
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
Évolution 2012-2019 |
|
France |
4,0 |
4,0 |
4,1 |
4,1 |
4,2 |
4,1 |
4,0 |
4,0 |
0 |
Allemagne |
3,0 |
3,1 |
3,1 |
3,1 |
3,1 |
3,1 |
3,1 |
3,1 |
+ 0,1 |
Royaume-Uni |
- |
3,7 |
3,8 |
3,8 |
3,8 |
3,8 |
3,8 |
3,8 |
+ 0,1 |
Norvège |
3,3 |
3,4 |
3,6 |
4,0 |
4,1 |
3,9 |
3,8 |
4,0 |
+ 0,7 |
Pays-Bas |
3,2 |
3,2 |
3,1 |
3,2 |
3,2 |
3,1 |
3,1 |
3,1 |
- 0,1 |
Finlande |
3,1 |
3,2 |
3,1 |
3,2 |
3,1 |
3,2 |
3,2 |
3,2 |
+ 0,1 |
Espagne |
3,6 |
3,5 |
3,5 |
3,7 |
3,6 |
3,5 |
3,5 |
3,6 |
0 |
Italie |
3,8 |
3,8 |
3,8 |
3,8 |
3,7 |
3,7 |
3,6 |
3,6 |
- 0,2 |
Danemark |
4,3 |
4,3 |
4,3 |
4,3 |
4,2 |
4,2 |
4,2 |
4,1 |
- 0,2 |
République tchèque |
2,9 |
3,0 |
3,1 |
2,9 |
2,8 |
2,8 |
3,1 |
3,2 |
+ 0,3 |
Portugal |
3,2 |
3,2 |
3,1 |
3,1 |
3,1 |
3,1 |
3,2 |
3,2 |
0 |
Suède |
4,0 |
4,1 |
4,2 |
4,1 |
4,1 |
4,1 |
4,2 |
4,2 |
+ 0,2 |
Belgique |
3,0 |
3,0 |
3,0 |
3,1 |
3,0 |
3,1 |
3,0 |
3,2 |
+ 0,2 |
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
Dans le cas de la France, après une remontée jusqu'en 2016, la part des dépenses hospitalières dans le PIB a diminué jusqu'en 2019, si bien qu'elle est revenue au niveau qu'elle avait en 2012. La part des dépenses hospitalières au sein de l'ensemble des dépenses de santé est également restée relativement stable : elle est passée de 35,1 % en 2012 à 36,1 % en 2019. Il s'agit donc d'une caractéristique structurelle de notre système de santé
La part élevée des dépenses hospitalières dans le PIB se traduit bien pour la France par des capacités hospitalières importantes en comparaison des autres pays européens . La France fait en effet partie des pays de l'OCDE qui possède par habitant le plus grand nombre d'hôpitaux, de lits, ainsi que de personnes travaillant dans les hôpitaux.
B. UN MAILLAGE TERRITORIAL DENSE
La Drees décompte un peu plus de 3 000 établissements de santé en France en 2020 : 1 354 sont des établissements publics (45 %), 671 des établissements privés à but non lucratif (22,3 %) et 983 des établissements privés lucratifs (32,7 %).
La France comprend le plus grand nombre d'hôpitaux par million d'habitants (44,7) parmi les pays européens de taille comparable dont les données sont disponibles. Ce nombre est notamment supérieur à celui de l'Allemagne (36,4), de l'Espagne (16,5) et de l'Italie (17,7).
Nombre d'hôpitaux par million d'habitants en 2019 dans plusieurs pays européens
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
Ce nombre peut en partie s'expliquer par la densité de population de la France, qui est plus de deux fois plus faible que celle de l'Allemagne et du Royaume-Uni 27 ( * ) . En dehors de certaines zones très peuplées, comme l'Île-de-France, la densité est assez faible sur la majorité du territoire, sans néanmoins atteindre des niveaux quasiment nuls, comme c'est le cas dans certaines régions des pays scandinaves. Ces caractéristiques favorisent la présence de nombreux hôpitaux de petite et de moyenne taille sur le territoire en comparaison des autres pays européens.
La densité de la population ne suffit cependant pas à expliquer à elle seule les différences de nombre d'hôpitaux. L'Espagne connaît une densité de population inférieure à la France, mais possède aussi un nombre d'hôpitaux bien plus faible. L'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie ont une densité de population relativement proche, mais leur nombre d'hôpitaux par million d'habitants est très différent.
En France, le nombre d'hôpitaux a diminué de 3,7 % entre 2013 et 2019, à la suite de réorganisations et de restructurations. Le nombre d'hôpitaux publics a diminué de façon plus importante, de 4,6 % sur la même période. En revanche, le nombre d'établissements privés non lucratifs a reculé de seulement 2,0 %.
C. UN NOMBRE DE LITS EN DIMINUTION MAIS PLUS ÉLEVÉ QUE LA PLUPART DES PAYS EUROPÉENS
L'OCDE compte les « lits » qui sont entretenus et disponibles, ce qui signifie qu'ils disposent du personnel nécessaire pour les faire fonctionner. Les lits sont comptés qu'ils soient occupés ou non, et les lits en hospitalisation partielle ne sont pas inclus.
Nombre de lits par million d'habitants et dépenses hospitalières, exprimées en pourcentage du PIB en 2019 dans plusieurs pays européens
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
En 2019, la France possède 5,84 lits par millier d'habitants . Ce chiffre est proche de celui de la Belgique (5,57) et inférieur à celui de l'Allemagne (7,91) , mais il est en revanche nettement plus élevé que celui de la majorité des pays européens, inférieur à 4 lits par millier d'habitants .
Ce chiffre est cohérent avec les dépenses que la France consacre aux hôpitaux, mais il faut relever qu'il n'y a pas de corrélation entre la part des dépenses hospitalières dans le PIB et le nombre de lits par millier d'habitants au niveau européen, comme l'illustre le graphique précédent. Les dépenses hospitalières de la Suède représentent l'équivalent de 4,2% de son PIB, mais elle n'a que 2,01 lits par millier d'habitants. Inversement, les dépenses à destination des hôpitaux comptent pour 3,1 % du PIB en Allemagne, alors qu'elle possède 7,91 lits par millier d'habitants. Les Pays-Bas, qui dépensent également l'équivalent de 3,1 % de leur PIB, ont de même un nombre de lits par millier d'habitants (3,08) supérieur à la majorité des pays comparés.
La question de la
baisse du nombre de lits
revient souvent dans le débat public. Celle-ci est réelle, avec
une diminution du nombre de lits de
5,4 % entre 2012
et 2019.
Évolution du nombre de lits d'hôpital en France entre 2012 et 2019
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
La diminution du nombre de lits en France est plus forte lorsqu'elle est rapportée à la démographie : le nombre de lits par millier d'habitants est passé de 6,34 à 5,84 entre 2012 et 2019, ce qui représente une baisse de 7,9 %.
Il s'agit toutefois d'une tendance générale parmi les pays européens , qui connaît peu d'exceptions. Sur la même période, l'Allemagne a ainsi perdu 5,2 % de son nombre de lits pour 1 000 habitants, la Belgique 7,0 % et le Royaume-Uni 22,2 %.
Les pays nordiques sont ceux qui connaissent les diminutions les plus importantes , avec notamment une diminution de 22,2 % du nombre de lits par millier d'habitants pour la Suède et jusqu'à 36,8 % pour la Finlande, alors même qu'ils n'étaient pas nécessairement ceux où le nombre de lits était le plus élevé. Le nombre de lits par millier d'habitant en 2012 en Finlande était de 5,3, ce qui est inférieur à celui de la France en 2019. Ceux de la Suède et de la Norvège étaient en 2012 respectivement de 2,66 et 3,97 par millier d'habitants.
Les pays du sud de l'Europe, en revanche, ont connu une diminution plus faible , de 1,3 % en Espagne et 3,6 % en Italie. Il faut relever que le nombre de lits par millier d'habitants en 2012 dans ces deux pays était relativement faible, aux alentours de 3. Le Portugal a quant à lui connu une progression de 2,9 % sur la même période.
Évolution du nombre de lits d'hôpitaux pour 1 000 habitants entre 2012 et 2019 dans plusieurs pays européens
2012 |
2019 |
Évolution 2012-2019 |
|
Allemagne |
8,34 |
7,91 |
- 5,2 % |
Belgique |
5,99 |
5,57 |
- 7,0 % |
Espagne |
2,99 |
2,95 |
- 1,3 % |
Finlande |
5,3 |
3,35 |
- 36,8 % |
France |
6,34 |
5,84 |
- 7,9 % |
Italie |
3,07 |
2,96 |
- 3,6 % |
Pays-Bas |
3,78 |
3,08 |
- 18,5 % |
Suède |
2,66 |
2,07 |
- 22,2 % |
Royaume-Uni |
2,81 |
2,45 |
- 12,8 % |
République tchèque |
6,93 |
6,58 |
- 5,1 % |
Portugal |
3,41 |
3,51 |
+ 2,9 % |
Irlande |
4,73 |
4,89 |
+ 3,4 % |
Norvège |
3,97 |
3,47 |
- 12,6 % |
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
Lorsque l'on observe les courbes de l'évolution du nombre de lits, on se rend compte que les différences entres les évolutions sont relativement peu marquées, si ce n'est quelques exceptions comme la Finlande ou le Portugal. Il est relativement rare que les courbes se croisent, et lorsque c'est le cas, il s'agit de pays dont le nombre de lits par habitants étaient proches dès 2012.
Évolution du nombre de lits pour 1 000 habitants depuis 2012 dans plusieurs pays européens
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
Cette tendance générale à la baisse dans les pays européens s'explique principalement par la diminution de la durée moyenne des séjours dans les hôpitaux, qui est consécutive à la mise en place d'une tarification à l'activité et au développement de la chirurgie ambulatoire dans la plupart des pays européens. La France a ainsi connu une diminution de 12,9 % de la durée moyenne des séjours en hospitalisation entre 2012 et 2019 . Cette diminution est supérieure à celle du Royaume-Uni et de l'Allemagne, qui ont été respectivement de 4,2 % et 3,2 %, et elle est comparable à celle de la Belgique (- 11,4 %). Les pays qui ont connu une augmentation de la durée de séjour, comme le Portugal ou la Norvège, sont l'exception.
Évolution de la durée moyenne des séjours avec hospitalisation entre 2012 et 2019 dans plusieurs pays européens
(en nombre de jours)
2012 |
2019 |
Évolution 2012-2019 |
|
Allemagne |
9,2 |
8,9 28 ( * ) |
- 3,2 % 29 ( * ) |
Belgique |
7,9 |
7,0 |
- 11,4 % |
Espagne |
7,6 |
7,2 |
- 5,3 % |
Finlande |
11,2 |
7,4 |
- 34,0 % |
France |
10,1 |
8,8 |
- 12,9 % |
Italie |
7,7 |
8,0 |
+ 3,9 % |
Suède |
5,8 |
5,6 |
- 3,4 % |
Royaume-Uni |
7,2 |
6,9 |
- 4,2 % |
République tchèque |
9,5 |
9,5 |
0 % |
Portugal |
9,0 |
9,4 |
+ 4,4 % |
Irlande |
6,2 |
6,2 |
0 % |
Norvège |
6,2 |
6,4 |
+ 3,2 % |
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
En outre, la France est l'un des pays où la durée moyenne d'hospitalisation est la plus courte en ce qui concerne les soins aigus : elle est de 5,4 jours. Elle est équivalente à la Suède et est inférieure à l'Allemagne (7,5 jours).
En parallèle, le nombre de places consacrées à l'hospitalisation partielle (c'est-à-dire les hospitalisations où le patient n'a pas passé de nuit à l'hôpital) a augmenté. Le nombre de séjours en hospitalisation partielle est ainsi passé de 15,3 millions en 2014 à 17,9 millions en 2019, ce qui représente une augmentation de 15 %. Sur la même période, le nombre de place en hospitalisation partielle dans les hôpitaux publics est passé d'environ 41 600 à 43 210, soit une hausse de 3,7 %.
Il en va de même pour l'hospitalisation à domicile, qui connaît une croissance continue. Entre 2014 et 2019, le nombre de patients pouvant être pris en charge en même temps par les structures proposant de l'hospitalisation à domicile a augmenté de 12,9 %, passant de 4 048 à 4 569.
La diminution du nombre de lits en France n'apparaît ainsi pas anormale au regard de la diminution de la durée moyenne d'hospitalisation. Elle ne change pas non plus la position de la France comme l'un des pays qui possède le plus grand nombre de lits par habitant.
Le ratio des emplois hospitaliers par lits s'établit à 3,4 en France en 2019 et est dans la moyenne des autres pays européens .
En revanche, le ratio des emplois infirmiers par lit est moins favorable à la France : il était de 1 en 2019, contre 1,3 en Belgique, 1,4 en Italie, 1,2 en Espagne et 3,1 au Royaume-Uni. En Allemagne, le ratio est légèrement inférieur à celui de la France, avec 0,9 emploi infirmier par lit d'hôpital.
Ces données doivent être mises en relation avec le taux d'occupation des lits. Avec un taux de d'occupation de 78,9 % des lits en 2019, la France se trouve dans la moyenne des pays européens. Le taux d'occupation en Allemagne est de 79,9 %, en Italie de 78,1 % et en Espagne de 75,9 % notamment. Le nombre plus faible d'emplois infirmiers en France que dans d'autres pays européens ne dépend ainsi pas du taux d'occupation des lits, mais davantage du nombre de lits au total.
D. DES EFFECTIFS HOSPITALIERS DONT L'AUGMENTATION S'EST STABILISÉE
1. Des effectifs hospitaliers plus élevés que la moyenne européenne
S'agissant du volume de personnel, la France se trouve parmi les pays européens où il est le plus élevé.
Dépenses hospitalières exprimées en pourcentage du PIB et nombre de personnes travaillant dans les hôpitaux par millier d'habitants en 2019 dans plusieurs pays européens
(en pourcentage du PIB)
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
Le nombre de personnes travaillant dans les hôpitaux par millier d'habitants est de 19,66 en France en 2019. Ce nombre est supérieur pour la Norvège (21,82) et le Royaume-Uni (23,11), mais il est inférieur pour la majorité des autres pays européens, dont l'Allemagne. Le niveau de l'emploi hospitalier est davantage corrélé à la dépense hospitalière, exprimée en pourcentage du PIB, que le nombre de lits, même si cette corrélation reste faible.
Le nombre de personnes travaillant dans les hôpitaux en France a augmenté depuis 2000 .
En 2019, les effectifs hospitaliers sont supérieurs de 20,4 % à ce qu'ils étaient en 2000 . La progression s'est toutefois ralentie dans les années 2010. Le nombre de personnels hospitaliers en 2019 n'est supérieur que de 1,7 % à ce qu'il était en 2012.
En Allemagne, l'évolution du personnel a connu un mouvement inverse. Entre 2000 et 2012, il n'a progressé que de 4 %, tandis qu'entre 2012 et 2019, il a augmenté de 16,7 %.
Évolution du nombre de personnes travaillant dans les hôpitaux en France et en Allemagne depuis 2000
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
2. Une évolution des effectifs moins dynamique que celle de l'activité
L'activité hospitalière a augmenté de 9,2 % entre 2013 et 2019, soit une augmentation d'environ 1,3 % par an. Cette progression est nettement supérieure à celle du personnel, qui a augmenté de 1,8 % sur la même période.
Évolution du nombre de séjours dans les hôpitaux en France entre 2012 et 2019
(en millions)
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
Les situations sont différentes selon les catégories de personnel.
Les effectifs d'aides-soignants salariés de l'hôpital public n'ont augmenté que de 0,7 % entre 2013 et 2019, ce qui est inférieur à la progression de l'activité sur une seule année.
Les infirmiers de l'hôpital public ont augmenté de 2 % entre 2013 et 2019, ce qui reste un rythme très inférieur à celui de l'activité.
L'augmentation du personnel médical salarié , de 7,6 % de 2013 à 2019, est en revanche plus proche de celle de l'activité.
Ce différentiel pour les infirmiers et les aides-soignants révèle des gains de productivité, mais, comme l'a souligné le docteur Roland Cash devant la commission d'enquête, il est possible que les gains de productivité ne soient pas suffisants pour combler un tel écart, et que la faible progression des effectifs au regard de l'activité puisse dès lors conduire à accentuer les situations de surcharge de travail.
Toutefois, l'évolution du rapport entre effectifs hospitaliers et progression de l'activité peut occulter de très fortes disparités entre établissements .
Dans l'enquête qu'elle avait réalisée à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat 30 ( * ) , la Cour des comptes relève ainsi « des différences de productivité médicale considérables entre CHU » et « des écarts de productivité constatés de la même façon pour les effectifs non médicaux ».
La Cour signalait par exemple que le CHU de Toulouse avait enregistré en médecine-chirurgie-obstétrique davantage de séjours que l'AP-HM avec des effectifs médicaux inférieurs de 22 % à ce dernier. De même, le nombre de séjours réalisés rapporté à l'effectif non médical présente de fortes disparités entre CHU, variant de 11 à 18 séjours par ETP non médical. La Cour des comptes concluait que « des différences considérables sont ainsi retrouvées entre établissements de santé sans que ces différences ne trouvent d'explications liées à la taille des CHU, ou au volume d'activité de recours ». Les différences de productivité, pour les CHU, tiennent davantage de l'efficacité des modes d'organisation.
3. Un débat sur la part de personnel non soignant à relativiser
Il est régulièrement souligné dans le débat public qu'au regard des autres pays européens, les hôpitaux français compteraient un nombre particulièrement élevé de personnels non soignants , et en particulier du personnel administratif.
Cette hypothèse semble à première vue confirmée par les données de l'OCDE. Selon l'OCDE, la part du personnel non soignant dans les hôpitaux français, s'élèverait en effet à 33,6 % des effectifs, soit la proportion la plus haute parmi les pays européens, à l'exception de la Belgique, où elle est de 35,7 %.
L'une des explications pourrait provenir du nombre plus élevé d'hôpitaux en France, avec beaucoup d'hôpitaux de petite taille dans lesquelles les fonctions support pèsent proportionnellement davantage que celles liées à l'activité de soins et les économies d'échelle sont moins réalisables en ce qui concerne le personnel technique.
Part du personnel non soignant travaillant dans les hôpitaux parmi l'ensemble du personnel des hôpitaux en 2019 (ou année la plus proche) dans plusieurs pays européens
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
Il faut toutefois considérer ces données avec prudence . La difficulté tient à ce que la catégorie utilisée par l'OCDE pour les comparaisons internationales ne permet pas de distinguer entre le personnel administratif et le personnel technique. Il est en outre possible que la forte proportion du personnel non soignant en France révèle une plus forte internalisation des services de support dans les hôpitaux, alors que d'autres pays font davantage appel à la sous-traitance.
Le panorama des établissements de santé de 2021 de la Drees fournit un éclairage plus précis de la répartition du personnel salarié dans les hôpitaux, jusqu'en 2019 pour le secteur public et jusqu'en 2018 pour le secteur privé. La proportion du personnel non soignant, environ 25 % pour l'ensemble des secteurs public et privé , est moins élevée que celle résultant des données de l'OCDE.
La proportion élevée de personnel non soignant ne s'explique pas majoritairement par le personnel administratif. En effet, le personnel administratif salarié ne représente que 10 % des effectifs de l'hôpital public , catégorie qui inclut pour une part importante les secrétaires médicales et les assistants médico-administratifs, dont les tâches viennent en support de l'activité de soins. Il faut relever que la part du personnel administratif est plus faible dans le secteur public que dans le secteur privé, où elle atteint 15 %.
Les autres personnels non soignants représentent 16 % des effectifs à l'hôpital public et environ 10 % dans les établissements privés. Cette catégorie recouvre des métiers très divers intervenant sur des fonctions support (personnel technique et ouvrier salarié, y compris les ingénieurs et les conducteurs ambulanciers), mais aussi le personnel médico-technique étroitement lié à l'activité de soins (manipulateurs en électro-radiologie médicale, physiciens médicaux, techniciens de laboratoire, préparateurs en pharmacie, bio-informaticiens, ingénieurs en biologie médicale), ainsi que le personnel éducatif et social.
La part plus élevée de personnel médical salarié dans le secteur public (13,2 % contre 9 % dans le secteur privé) vient du fait qu'une majorité de médecins intervenant dans les cliniques privées exercent sous statut libéral et non en tant que salariés de l'établissement.
Répartition du personnel salarié de l'hôpital public en 2019 et de l'hôpital privé en 2018
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
Au niveau des dynamiques, la part du personnel médical a nettement progressé dans le secteur public entre 2013 et 2019 (+ 0,9 %), ainsi que celle des infirmiers (+ 0,4 %), tandis que celle du personnel administratif a légèrement diminué (- 0,1 %). L'ensemble de la part du personnel non soignant est restée quasiment stable entre 2013 et 2019, comme l'indique le tableau ci-dessous.
Évolution de la part des différentes catégories de personnel parmi l'ensemble du personnel salarié des hôpitaux publics en France entre 2013 et 2019
2013 |
2019 |
Évolution 2013-2019 |
|
Personnel médical |
12,3 % |
13,2 % |
+ 0,9 % |
Médecins et assimilés |
8,5 % |
8,8 % |
+ 0,3 % |
Internes |
2,6 % |
3,2 % |
+ 0,6 % |
Sages-femmes |
1,2 % |
1,3 % |
+ 0,1 % |
Personnel non médical soignant |
61,6 % |
60,8 % |
- 0,8 % |
Infirmiers |
24,6 % |
25,0 % |
+ 0,4 % |
Aides-soignants |
21,5 % |
21,6 % |
+ 0,1 % |
Autres personnels soignants |
15,4 % |
14,1 % |
- 1,3 % |
Personnel non soignant |
26,1 % |
26 % |
- 0,1 % |
Personnel administratif |
10,1 % |
10 % |
- 0,1 % |
Autres personnels non soignants |
16 % |
16 % |
0 % |
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
La baisse la plus importante correspond à la catégorie que la Drees nomme « autres personnels soignants ». Elle rassemble « le personnel salarié d'encadrement des services de soins, les salariés psychologues, psychanalystes et psychothérapeutes (non médecins), les agents de service hospitalier (ASH) et le personnel salarié de rééducation » 31 ( * ) .
E. UNE PRISE EN CHARGE PAR LES FINANCEMENTS PUBLICS PLUS ÉLEVÉE QUE POUR LES AUTRES DÉPENSES DE SANTÉ
Dans la majorité des pays de l'OCDE, les dépenses de soins à l'hôpital sont financées à environ 80 % par un financement public, c'est-à-dire soit par l'État pour les pays qui possèdent un système national de santé, soit par une assurance maladie obligatoire dont le financement est contributif. En France, en 2020, les soins hospitaliers étaient pris en charge à 92,8 % par l'assurance maladie, contre 79,8 % en moyenne pour l'ensemble des soins (73,6 % pour les médicaments, 69,2 % pour les soins de ville) 32 ( * ) . Cette caractéristique est liée à la nature même des soins hospitaliers, qui correspondent aux risques de santé les plus lourds pour lesquels les mécanismes de solidarité sont les plus justifiés.
Ainsi, les ressources des hôpitaux reposent très majoritairement sur de financements publics.
En France , le financement des hôpitaux publics (budget principal) provient pour 78 % de l'assurance maladie (titre 1) en 2019. Le financement par les patients et les assurances complémentaires s'établit à 7,6 % (titre 2), et les autres recettes 33 ( * ) (titre 3) comptent pour 14,4 % du financement.
Répartition du financement des hôpitaux en France en 2019
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
La part de la participation des patients et des assurances complémentaires dans les ressources des établissements publics de santé a diminué depuis 2018, alors que celle de l'assurance maladie s'est renforcée.
Les financements de l'assurance maladie proviennent eux-mêmes, en ce qui concerne le régime général, de cotisations des employeurs et travailleurs indépendants (38,5 %), de la contribution sociale généralisée (24,6 %), de transferts de TVA (22,2 %), de taxes sur les tabacs (7,1 %) et de diverses contributions et taxes.
Évolution de la structure du financement des hôpitaux publics entre 2015 et 2019 en France
(en pourcentage)
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
Le financement des établissements de santé privé d'intérêt collectif (Espic) est également assuré à majorité par l'assurance maladie. En 2019, elle compte pour 80,8 % du financement de leur budget principal. Les recettes provenant des patients et des assurances complémentaires comptent pour 6,7 % des recettes du budget principal, et les recettes du titre 3 pour 12,5 % des recettes.
Le financement par les paiements directs des ménages est faible dans la majorité des pays européens. En 2019, il constitue 1,9 % du financement des hôpitaux en France, 1,4 % en Allemagne et 1,5 % au Royaume-Uni. La Grèce et la Belgique font exception, avec un pourcentage du financement des dépenses hospitalières qui relève des ménages de respectivement 25 % et 15 %.
Ces chiffres sont nettement inférieurs à la part du reste à charge dans le financement des dépenses de santé en général, qui est d'un cinquième pour l'ensemble des pays de l'OCDE, et de 9 % en France.
Cette faible part du reste à charge des ménages se traduit dans les chiffres de la consommation des ménages : les dépenses hospitalières représentent en France 0,11 % de la consommation finale des ménages.
Dépenses de soins hospitaliers à la charge des ménages en pourcentage de la consommation finale des ménages en 2019 (ou année la plus proche) dans plusieurs pays européens
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de l'OCDE
III. UNE POLITIQUE TARIFAIRE ET UN MODE DE RÉGULATION DES DÉPENSES HOSPITALIÈRES QUI ONT MIS LES ÉTABLISSEMENTS EN DIFFICULTÉ
Le niveau plutôt favorable, comparé à d'autres pays, des indicateurs globaux de capacités et de moyens des hôpitaux français masque une situation de pression financière qui s'est accentuée au milieu des années 2010 . Celle-ci s'est répercutée sur leur principal poste de dépenses - la masse salariale - avec des effets très sensibles sur les conditions de travail des équipes de soins, dans un contexte d'augmentation continue de l'activité.
Cette pression n'est pas tant due, comme on l'entend souvent, à l'introduction de la tarification à l'activité comme mode principal de financement des établissements, qu'à la façon dont celle-ci a été réduite à une simple clef de répartition d'une enveloppe prédéfinie, arrêtée trop indépendamment des tendances lourdes des besoins en soins hospitaliers .
La tarification à l'activité présente l'avantage d'attribuer aux hôpitaux des ressources en rapport avec leur activité, pour peu que le tarif corresponde autant que possible à une juste estimation du coût de chaque activité considérée. Or certaines activités hospitalières se prêtent peu ou ne se prêtent pas à cette approche par coût moyen et, surtout, les tarifs ont constamment baissé entre 2013 et 2018 , non en raison d'une diminution des coûts, mais pour s'ajuster à une compression de l'enveloppe allouée aux hôpitaux - l'Ondam hospitalier - dont la progression a atteint son point historiquement le plus bas en 2016 .
A. LES LIMITES DE LA TARIFICATION À L'ACTIVITÉ
1. Une réforme du financement nécessaire au début des années 2000
Décidée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 et mise en oeuvre dans le cadre du plan « Hôpital 2007 », la tarification à l'activité (T2A) , procédait d'une bonne idée. Aspirant à lier l'évolution des ressources des établissements de santé non lucratifs à leur dynamique d'activité, la T2A ambitionnait de casser les rentes de situation générées par un pilotage déficient de la dotation globale , mais aussi à faire converger les modes de financement des établissements de santé , alors que les établissements à but lucratif recevaient déjà des financements sur la base de l'activité, suivant des tarifs régionaux.
La T2A constitue désormais le mode quasi unique de financement pour les activités de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (MCOO) des établissements de santé aussi bien publics que privés.
Le prix de chaque activité en MCOO est fixé chaque année par le ministre chargé de la santé via le mécanisme des groupes homogènes de séjour et groupes homogènes de malades : GHS/GHM .
La mesure de l'activité d'un établissement est faite à partir du recueil systématique d'un certain nombre d'informations administratives et médicales auprès des patients hospitalisés en soins de courte durée (en MCOO uniquement, pour l'instant). Cette collecte d'informations se fait au travers du programme médicalisé des systèmes d'information (PMSI) . À partir de ces informations sont déterminés des groupes homogènes de malades (GHM) associés à un (ou plusieurs) groupe(s) homogène(s) de séjour (GHS) au(x)quel(s) est appliqué un tarif fixé chaque année par le ministre en charge de la santé.
Comme le précisait le rapporteur général de la commission des affaires sociales lors de la mise en place de la T2A, « l'esprit de la réforme, dictée par le pragmatisme , est bien d'établir un financement mixte qui distingue, d'un côté les missions de soins qui ont vocation à être financées directement à l'activité et, de l'autre, les missions d'intérêt général , ou missions de service public, qui recouvrent, d'une manière générale, toutes les missions et activités couvertes par le PMSI et qui seront financées par dotation ; il en sera ainsi pour les dépenses liées à la recherche ou à l'enseignement » 34 ( * ) .
Une dotation globale très inadaptée
De l'après-guerre jusqu'au début des années 1980, l'hôpital était financé par un système de prix de journée, à la nature particulièrement inflationniste.
Le financement par la dotation globale est intervenu à partir de 1983 35 ( * ) pour mettre fin à cette dynamique.
Les établissements de santé sous ce régime (DG) recevaient ainsi une dotation annuelle, sans lien direct avec l'activité ou le coût de celle-ci. Cette dotation fixée initialement au regard des crédits de l'année antérieure, suivait une augmentation annuelle par un taux directeur fixé au niveau national.
Si la dynamique de dépense a pu être contenue, ce système comportait des lacunes substantielles. En figeant les dotations initiales, la dotation globale a maintenu les écarts entre établissements, et ce sans prendre en compte les évolutions que ceux-ci pouvaient connaître dans leur bassin de vie, dans leur activité et sans valoriser aucunement les transformations éventuellement menées. Ainsi, certains établissements faisaient face à des dotations insuffisantes au regard de la dynamique d'activité quand d'autres jouissaient de rentes de situation. De même, ce financement ne permettait pas d'inciter à la modernisation des établissements.
Durant cette période, les établissements privés demeuraient sur un financement de prix de journée.
Certaines activités des établissements demeurent cependant hors champ de la T2A, avec particulièrement le financement des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac), qui englobent les missions d'enseignement, de recherche , de référence et d'innovation (Merri) et d'autres missions, parmi lesquelles : les missions de vigilance et de veille épidémiologique ; la veille sanitaire ; la prévention et la gestion des risques ; la coordination pour certaines pathologies spécifiques ; la participation aux dépenses correspondant aux activités de soins dispensés à des populations spécifiques.
La liste exhaustive des missions d'intérêt général est fixée annuellement par arrêté. Les crédits finançant les missions d'intérêt général représentent, en 2021, un montant de 5,4 milliards d'euros, auxquels s'ajoute 1,3 milliard d'euros transféré au sein du Fonds d'intervention régional (FIR) depuis 2012.
Par ailleurs, à titre dérogatoire, certains médicaments onéreux ou innovants et dispositifs médicaux sont pris en charge en sus des tarifs de prestations. Ils figurent sur la « liste en sus », arrêtée par le ministre en charge de la santé.
En outre, un système de financement particulier a été introduit pour valoriser la qualité des soins.
Les récentes réformes du financement des établissements de santé ont engagé la prise en compte d'une part de tarification à l'activité désormais également pour les soins de suite et de réadaptation (SSR) et la psychiatrie.
Des changements de structure de financement se sont opérés depuis la mise en place de la tarification à l'activité afin de s'adapter et de corriger certains biais identifiés. Les changements majeurs déjà opérés concernent notamment la mise en place :
- du modèle transitoire du SSR en 2017 combinant les anciennes et de nouvelles modalités de financement dont la principale est la DMA (part à l'activité de la dotation modulée à l'activité) ;
- du financement à la qualité (IFAQ) visant à introduire une part de financement à la qualité dans les modèles de financement des établissements de santé. Cette réforme a été profondément remaniée dans le cadre du plan Ma Santé 2022 ;
- de la réforme des hôpitaux de proximité visant à proposer une nouvelle structuration de l'offre de soins de proximité ;
- de la réforme des urgences en 2021 via la création d'une dotation populationnelle et d'une dotation qualité qui ont pour objectifs d'intégrer aux financements une dimension territoriale basée sur les besoins en santé afin de réduire les inégalités en santé et de renforcer le financement à la qualité.
Source : Réponses du ministère
2. Une part aujourd'hui prépondérante du financement, pourtant inadaptée
L'un des reproches fait à la T2A aujourd'hui est la part qu'elle occupe dans le financement des établissements de santé. Celle-ci occupe depuis une dizaine d'années autour de 70 % des ressources des établissements.
Si cette part reflue sensiblement en 2021, à 67,3 %, elle demeure toujours supérieure au niveau de 2012.
Répartition des deux principaux financements par l'assurance maladie
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les données du ministère des solidarités et de la santé
L'analyse de la place occupée par la T2A doit cependant se faire suivant les catégories d'établissements.
Ainsi, le graphique suivant s'intéresse à la part représentée par la tarification à l'activité dans les produits de titre 1 versés par l'assurance maladie, et ce par catégorie d'établissements.
Structures des produits versés par l'assurance maladie
(en milliards d'euros)
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les données du ministère des solidarités et de la santé
Il est aisé de constater que les centres hospitaliers sont bien ceux pour lesquels la T2A occupe proportionnellement une place prépondérante et les dotations la part la plus faible, quand les centres hospitaliers universitaires conservent en proportion un financement relativement moins assis sur la T2A et avec une part minoritaire mais importante de dotations.
Au-delà de la part occupée dans les ressources, les différents acteurs hospitaliers entendus par la commission d'enquête ont pour la plupart décrit un outil particulièrement inadapté à de nombreux profils de patients ou à des pans de l'activité des établissements de santé.
Ainsi, le Dr Véronique Hentgen, représentante du collectif Inter-hôpitaux 36 ( * ) considérait par exemple que « cette tarification n'est pas adaptée pour prendre en charge les patients atteints de maladies chroniques ou de polypathologies . Ainsi, la prise en charge des patients vieillissants est délaissée par le secteur privé lucratif. De même, la quasi-totalité de la pédiatrie hospitalière est assurée par le secteur public, parce qu'elle n'est pas rémunératrice. »
Le constat d'une inadéquation majeure à certains secteurs est aussi fait. Le Dr François Escat 37 ( * ) expliquait par exemple que « concernant la tarification, la nomenclature CCAM avait totalement oublié la médecine d'urgence. C'était une cote mal taillée, mais nous nous y étions habitués, avec quelques aberrations : l'extraction d'un corps étranger dans l'oeil était mieux rémunérée qu'un infarctus du myocarde... ». En outre, dans une note de janvier 2022 38 ( * ) , plusieurs médecins et responsables du centre hospitalier de Valenciennes (CHV) ont analysé les marges de tous les séjours des patients en réanimation sur l'année 2019, constatant un déficit structurel . Ils mettent ainsi en avant une discordance entre les tarifs et les coûts . Parmi les problèmes identifiés, certains soins ne peuvent selon eux pas être intégrés dans des forfaits et devraient être facturés au coût réel. La question de la répartition des recettes dans les séjours multi-unités est également soulevée, soulignant des problèmes dans la construction des règles du PMSI . Concernant les soins critiques, Denis Morin 39 ( * ) soulignait que la Cour des comptes avait, dans son rapport produit à la demande de la commission des affaires sociales, constaté une « baisse de tarifs régulière inexplicable ».
Si l'impact est important d'un point de vue financier, les médecins du CHV alertaient : selon eux, « le déficit chronique induit des comportements qui pourraient aboutir à des pertes de chance pour les patients ».
3. Une mise en oeuvre en tant qu'outil de répartition et non comme mode de juste financement des établissements
Système réputé vertueux et proche des réalités des établissements, inspiré de nouveaux modes de financement pratiqués à l'étranger, force est de constater que la T2A a été en réalité utilisée non pas comme une modalité de juste financement mais comme clé de répartition d'une dotation nationale définie .
• Comme le précise le ministère des solidarités et de la santé, « la construction tarifaire N est réalisée en tenant compte, notamment, de l'exécution de l'année N-1 et de la croissance attendue de l'activité hospitalière pour l'année N. L'évolution des tarifs des établissements de santé est par conséquent fortement liée à celle de l'activité tout en ayant pour objectif de permettre le respect du sous-objectif établissement de santé. »
Ainsi, « outre le taux d'évolution de l'Ondam ES [établissements de santé] déterminé dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, les données du suivi d'activité et leur régulation sont l'un des paramètres les plus structurants pour fixer l'évolution des tarifs. Les simulations tarifaires qui s'appliquent à compter du 1 er mars font ainsi l'objet de modifications potentiellement importantes entre fin août (premières prévisions d'atterrissage) et fin février (dernières prévisions d'atterrissage). »
Si ces tarifs sont bien déterminés par l'État de manière unilatérale, une concertation avec les fédérations hospitalières est menée et, depuis plusieurs années, des efforts sont engagés dans le sens d' engagements pluriannuels . Pour la période 2020-2022, un protocole d'accord a ainsi été signé à cette fin, l'État s'étant engagé sur un taux d'augmentation minimal des financements aux établissements pour les activités MCO notamment, mais aussi pour la psychiatrie et les SSR.
• Aux termes du protocole 2020-2022 , l'évolution des financements, par la tarification et le financement à la qualité, devait suivre un taux annuel minimal de 0,2 %. L'État s'est en outre notamment engagé sur des modalités de reversement en cas de sous-exécution.
De manière empirique, on constate une baisse régulière des tarifs depuis une dizaine d'années, quasi systématique . Une maigre stabilisation a été amorcée en 2019 et la crise sanitaire a conduit à une augmentation sensible en 2021. Pour 2022, le ministre des solidarités et de la santé a annoncé en mars une augmentation de 0,7 % des tarifs hospitaliers en MCO.
Cependant, il apparaît délicat de justifier cette baisse continue, particulièrement entre 2013 et 2018 . On ne peut présumer d'un sensible et déterminant progrès dans les protocoles de soins qui aurait généré des économies pour les établissements dans la prise en charge des patients. Aucune évaluation réelle des coûts pour les établissements ne permet davantage d'étayer cette baisse, qui se trouve ainsi révélatrice d'une contrainte particulièrement forte sur les crédits hospitaliers.
Évolution des tarifs, après mouvements de périmètres
(en pourcentage)
Source : Commission d'enquête, d'après les données transmises par le ministère des solidarités et de la santé
Pour l'exercice 2012, les évolutions intègrent l'effet lié à la convergence tarifaire.
De 2013 à 2017, les taux d'évolution des tarifs MCO ex OQN et OQN (PSY/SSR) intègrent l'effet lié aux reprises des exonérations de charge au titre du CICE et du pacte de responsabilité. À compter de 2018, un coefficient ad hoc permettant de gérer ces reprises indépendamment des tarifs publiés, le taux d'évolution n'intègre plus cet effet.
En 2021, les tarifs portent une part des revalorisations actée dans le cadre du Ségur de la santé.
Évolution des prix de journées, après mouvements de périmètres
(en pourcentage)
Source : Commission d'enquête, d'après les données transmises par le ministère des solidarités et de la santé
Sur l'OQN, le taux intègre également la minoration liée à la mise en oeuvre de la dotation prudentielle OQN (mécanisme de mise en réserve sur l'OQN introduit par la LFSS pour 2015).
Sans réussir à être un mode de rémunération neutre et proportionné aux charges des établissements réalisant les soins, les tarifs n'ont ainsi pas suivi l'évolution réelle des coûts pour les établissements. Ils se sont ainsi limités à être l'instrument d'une régulation prix-volume , se réduisant quand l'activité dépassait la prévision.
La T2A s'est, dans les faits, révélée une enveloppe fermée allouée avec un mécanisme de « point flottant » selon l'expression de l'économiste Brigitte Dormont 40 ( * ) .
De là, plusieurs effets pervers sont régulièrement mis en avant. En effet, « tels qu'ils sont actuellement fixés, les tarifs peuvent être inférieurs aux coûts, même aux coûts de production efficace », indiquait Brigitte Dormont. Surtout, selon l'économiste, « dans ce système les hôpitaux peuvent avoir intérêt à accroître le nombre et l'intensité des séjours plutôt qu'à réduire leurs coûts ».
La T2A a ainsi parfois concrètement mené à un jeu dangereux pour les hôpitaux : une course à l'activité visant à maintenir leur niveau de recettes dans un contexte de baisse des tarifs. Augmentation qui, appréciée globalement, conduisait le Gouvernement à baisser les tarifs l'année suivante. De fait, les hôpitaux subissent une externalité négative sur leurs ressources du fait d'une dynamique d'activité dans les autres établissements .
Pire, certaines années, la baisse des tarifs assise sur une anticipation de l'augmentation de l'activité a parfois coïncidé avec une baisse de l'activité et donc une baisse des crédits : une logique « perdant-perdant » symptomatique d'un outil mal employé .
Concernant le phénomène de course à l'activité, si le Pr Stéphane Velut, neurochirurgien au centre hospitalier universitaire de Tours 41 ( * ) considère que « l'on s'est aperçu progressivement que la T2A entraînait l'augmentation des actes des séjours, et ce sans aucune évaluation de la pertinence des soins », ce constat n'est pas unanimement partagé. Denis Morin, président de chambre à la Cour des comptes 42 ( * ) , estime lui que si la T2A « comporte sans doute des effets pervers », « il n'est tout de même pas documenté ... qu'elle ait entraîné inflation des actes ».
En définitive, c'est moins le procès de la T2A elle-même qui doit être fait que celui de son utilisation, comme l'expliquait Jean-Yves Grall, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé 43 ( * ) : « C'est moins le principe de la tarification à l'activité que ses modalités de régulation dans le temps qui ont pu déstabiliser. »
Ainsi, Marie-Noëlle Gerain-Breuzard, présidente de la conférence des directeurs de CHU 44 ( * ) , soulignait que les CHU n'étaient « pas nostalgiques du budget global » et que « la tarification à l'activité, qui ne finance que 50 % du budget d'un CHU, était considérée comme une opportunité quand elle constituait un outil de développement des moyens par le développement de l'activité et donc des recettes ». De même, Jacques Léglise, président de la conférence des directeurs d'établissements privés non lucratifs 45 ( * ) , estimait ne pas faire « partie de ceux qui prétendront que la faute en revient à la tarification à l'activité, car au contraire, après des décennies de pression portée par le budget global, l'arrivée de la tarification à l'activité a été vécue dans un premier temps comme une libération ». S'il ne dénonce pas l'outil, Jacques Léglise décrit cependant le problème qui a résulté de son emploi : « les pouvoirs publics ont rapidement imposé des évolutions de tarifs qui ne couvraient pas les évolutions de charges . Dans un premier temps, pendant quelques années, nous avons réussi, de concert avec les équipes médicales et avec les cadres des services, à résister à l'érosion des moyens que ces décisions auraient dû susciter, en compensant les baisses de tarifs par des augmentations de volumes acceptables ».
« Opportunité », « libération », la tarification à l'activité avait pu ainsi susciter des espoirs mais a trouvé une réalisation bien hasardeuse. Les conséquences se résument souvent suivant des termes comparables à ceux du Dr Thierry Godeau, président de la conférence des CME des centres hospitaliers 46 ( * ) : « La tarification à l'activité (T2A) a été un peu pervertie par le “travaillez plus pour gagner moins”. Des fermetures de lits ont été imposées, le personnel étant la principale dépense de l'hôpital, et donc la variable d'ajustement. »
À la racine de cet échec de la T2A en pratique, Brigitte Dormont identifie un mal originel : ce mode de financement poursuit des objectifs incompatibles , visant à intégrer dans la définition des ressources, par un même vecteur, des préoccupations relatives à l'efficience des soins, aux priorités de santé et, in fine peut-être surtout, le respect d'une contrainte budgétaire.
B. UN ONDAM HOSPITALIER COMME ENVELOPPE DE RÉGULATION DES DÉPENSES D'ASSURANCE MALADIE
1. Une déconnexion de l'Ondam hospitalier de la dynamique de progression de l'Ondam
Principale raison du mésusage décrit de la tarification à l'activité, la contrainte de la maîtrise des finances publiques et des finances sociales en particulier s'est concentrée sur l'enveloppe la plus pilotable, à savoir celle des hôpitaux. Aussi, si l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), créé en 1996, a pu être respecté depuis près d'une dizaine d'années, c'est bien en partie grâce à la régulation des dépenses hospitalières, comme le constate Pierre-Louis Bras 47 ( * ) : « les dépenses en valeur des hôpitaux publics n'ont pu être contenues à 24,3 % que parce que l'évolution du prix des soins a été très faible sur la période (4,7 %) ».
Ainsi la pratique des baisses tarifaires n'est-elle que le corollaire d'un Ondam des établissements de santé à l'évolution et, surtout, à l'exécution scrupuleusement surveillées.
• Depuis 2005, le sous-objectif dédié aux établissements de santé a quasi systématiquement connu un taux d'évolution sensiblement inférieur à celui de l'Ondam, tous deux presque toujours sous la barre des 2,5 % . Cette forte modération sous ce taux symbolique est particulièrement nette sur la période 2012-2017, avec une progression ramenée à 1,6 % en 2017 .
Si la comparaison de l'évolution depuis 2005 n'est pas aisée du fait des redécoupages entre sous-objectifs et des transferts de crédits hospitaliers au fonds d'intervention régional (FIR) en 2014, les rythmes d'évolution dissociés et la particulière modération des crédits hospitaliers conduisent à un décrochage. Quand l'Ondam a, entre 2014 et 2020, progressé de 15 %, les crédits des établissements de santé n'ont progressé que de 12 % sur la même période. Si ce différentiel n'est pas négligeable en valeur relative, il est d'autant plus révélateur en soulignant qu'il s'agit ici pour l'Ondam et l'Ondam établissements de santé d'agrégats respectifs de près de 200 milliards d'euros et 90 milliards d'euros en 2020.
Ondam et Ondam établissements de santé depuis 2005
Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres des projets de loi de financement de la sécurité sociale
Évolution annuelle de l'Ondam et de l'Ondam ES
Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres des projets de loi de financement de la sécurité sociale
Note : l'année 2014 marque une baisse en taux non significative, du fait de la dissociation d'une partie des crédits au sein du nouveau sous-objectif dédié au FIR.
2. Des outils de régulation de l'Ondam propres aux dépenses des établissements de santé
Si l'Ondam ne relève pas d'une enveloppe plafonnée, certaines de ses composantes sont bien assimilables à des crédits budgétaires . C'est le cas du sous-objectif relatif au FIR mais aussi du sous-objectif relatif aux établissements de santé.
Alors que l'enveloppe relative aux soins de ville voit ses économies attendues essentiellement sur des évolutions de pratiques de soins et ne fait pas l'objet en cours d'exécution de mécanismes de régulation de la dépense, les crédits dédiés aux établissements de santé se voient appliquer une sorte de « mise en réserve » à travers un coefficient prudentiel minorant les tarifs hospitaliers en vue de garantir le respect de l'Ondam global fixé pour l'année.
Un coefficient prudentiel appliqué aux tarifs hospitaliers
L'article L. 162-22-9-1 du code la sécurité sociale prévoit que les tarifs nationaux des prestations « peuvent être minorés par l'application d'un coefficient, de manière à concourir au respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie » ; la valeur de ce coefficient peut être différenciée par catégorie d'établissement. Il en est de même pour la dotation complémentaire relative aux soins critiques.
Un « dégel » est cependant possible « au regard notamment de l'avis » du comité d'alerte de l'Ondam, l'État peut décider de verser aux établissements de santé tout ou partie du montant correspondant à la différence entre les montants issus de la valorisation de l'activité suivant les tarifs minorés ou initiaux.
Depuis 2010, ces mises en réserves sont appliquées à hauteur de 0,3 % des dotations. Elles ont été étendues en 2013 à l'ensemble des crédits hospitaliers, quand elles concernaient auparavant les seules Migac.
Donnée non négligeable, ce coefficient était en 2018 et 2019, avant la crise sanitaire, de 0,7 % pour les seuls établissements de santé .
Cependant, comme le soulignait en 2019 la commission des affaires sociales du Sénat 48 ( * ) , « ce mécanisme s'est révélé, pendant plusieurs années, comme un dispositif “perdant-perdant” pour l'hôpital :
- certaines années, comme entre 2011 et 2014, la sous-exécution globale de l'Ondam hospitalier ou le dépassement de certaines de ses composantes (avant mobilisation des mises en réserve) se sont accompagnés de la non-délégation, en fin d'exercice, de tout ou partie des crédits mis en réserve, ce qui a conduit dans tous les cas à une sous-exécution au regard du sous-objectif voté et de l'Ondam total ;
- d'autres années, comme en 2015 et 2016, le dépassement de l'enveloppe des soins de ville a conduit à des annulations de dotations aux établissements de santé ou médico-sociaux initialement mises en réserve afin de garantir le respect de l'Ondam total ».
Mises en réserves et dégels
(en millions d'euros)
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
|
Mises en réserves |
|||||
Part tarifs MCO ex DG |
219 |
237 |
239 |
243 |
259 |
Part tarifs MCO ex OQN |
60 |
65 |
65 |
66 |
72 |
OQN PSY/SSR/DMA |
20 |
21 |
22 |
23 |
23 |
DAF/DMA/MIGAC |
96 |
92 |
88 |
93 |
126 |
Total |
395 |
415 |
415 |
426 |
479 |
Dégels |
|||||
Part tarifs MCO ex DG |
83 |
237 |
239 |
243 |
259 |
Part tarifs MCO ex OQN |
23 |
65 |
65 |
66 |
72 |
OQN PSY/SSR/DMA |
7 |
21 |
22 |
23 |
23 |
DAF/DMA/MIGAC |
37 |
92 |
88 |
93 |
126 |
Total |
150 |
415 |
415 |
426 |
479 |
Source : Ministère des solidarités et de la santé, en réponse au questionnaire de la rapporteure
Comme le montrent les chiffres transmis par le Gouvernement, les mises en réserves pratiquées sur les cinq dernières années ont été intégralement dégelées, à l'exception notable de l'année 2017 . Cette situation rompt avec la pratique constatée sur les cinq années précédentes d'une mobilisation régulière et parfois intégrale des mises en réserve .
3. Une maîtrise des dépenses par l'enveloppe hospitalière
L'analyse de l'évolution mais aussi de l'exécution des dépenses d'assurance maladie est particulièrement éclairante.
L'Ondam, norme de dépenses, n'est respecté - « sous-exécuté » - que depuis 2010. Comme cela est visible sur le graphique, l'exécution constatée est très proche de l'objectif voté en loi de financement de la sécurité sociale de l'année.
Évolution dans le champ de l'Ondam depuis 2004
Source : Annexe 7 du PLFSS 2022
Cependant, cet apparent respect de la prévision cache des dynamiques sensiblement différentes entre sous-objectifs et particulièrement entre les deux plus importants que sont celui dédié aux soins de ville et celui consacré aux établissements de santé. Denis Morin remarquait à ce titre que « la Cour a mis en avant dès 2018 que le respect des enveloppes votées chaque année en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) est systématiquement passé par des gels budgétaires des dotations versées aux hôpitaux, et non par une régulation des dépenses de soins de ville » 49 ( * ) .
Ainsi, l'Ondam « soins de ville » demeure très régulièrement dépassé, parfois de manière très importante, quand l'Ondam « établissements de santé » montre, sauf à de rares exceptions, une sous-exécution sensible.
Évolution des dépenses relatives aux établissements de santé depuis 2004
Source : Commission des comptes de la sécurité sociale, juin 2020
Évolution des dépenses des soins de ville depuis 2004
Source : Commission des comptes de la sécurité sociale, juin 2020
Note de lecture : les bulles sont d'autant plus grandes que l'écart à l'objectif initial est important, d'autant plus hautes que le taux d'évolution des dépenses est élevé et d'autant plus à droite que le montant de l'Ondam réalisé est élevé. Les boules rouges représentent un dépassement de l'objectif initial tandis que les boules vertes représentent un niveau inférieur à cet objectif.
Ainsi l'enveloppe relative aux établissements de santé s'est-elle progressivement installée comme la variable de régulation de l'Ondam et se trouve de fait dénoncée comme régulièrement vouée à éponger les dépassements du sous-objectif « soins de ville » . La maîtrise des dépenses d'assurance maladie et la quête du respect de l'Ondam passent pour beaucoup par une stricte régulation des dépenses des établissements de santé, faute de capacités de pilotage développées sur les soins de ville.
Comme le soulignait le rapport de 2019 sur l'Ondam, « pour la première fois dans le cadre du PLFSS pour 2019, le Gouvernement a indiqué appliquer, de manière symétrique, une réserve prudentielle sur l'enveloppe “soins de ville”, à hauteur de 120 millions d'euros. Cette décision répond à des intentions louables en termes de répartition de l'effort. Cependant, elle a de quoi laisser vos rapporteurs sceptiques, en l'absence d'outils de régulation opérationnels aux mains de l'assurance maladie . »
Il convient ainsi de souligner que les établissements de santé participent pour une part non négligeable aux économies attendues dans les constructions des Ondam successifs. Ainsi, de 2019 à 2021, c'est en moyenne un quart des économies qui sont portées, dans les « mesures de régulation » par l'Ondam établissements de santé. Si une part ressort des économies sur le médicament par la liste en sus, le montant et la proportion des économies hors liste en sus a progressé sur les trois dernières années , hors dépenses de crise et dépenses Ségur.
Mesures de régulation dans la construction de l'Ondam en PLFSS
(en milliards d'euros)
Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres du ministère des solidarités et de la santé
Note : pour 2021, les montants sont hors crise - hors Ségur.
Si l'hôpital doit contribuer comme l'ensemble du système de santé aux économies permettant la maîtrise des dépenses publiques, la question du juste financement de celui-ci, sans obérer le niveau des soins, se pose cependant cruellement . La sans doute trop stricte régulation des dépenses des établissements de santé apparaît aujourd'hui comme responsable de retards dans la modernisation et la transformation de ceux-ci et de décrochages multiples dans leurs capacités de soins.
Ainsi, il apparaît nécessaire de considérer les efforts que l'hôpital doit consentir uniquement au regard de ses propres objectifs, sans que les établissements de santé n'aient à compenser les dynamiques des dépenses de soins de ville.
Recommandation : appréhender les efforts de maîtrise des dépenses hospitalières de manière séparée des autres dépenses d'assurance maladie et indépendamment de la dynamique des soins de ville.
Ce constat malheureux semble même partagé y compris par le Gouvernement qui se vantait dans la présentation 50 ( * ) du PLFSS 20222 qu'« exceptionnellement cette année aucune économie n'est demandée aux établissements de santé », estimant qu'« après une crise qui a mis à rude épreuve nos établissements de santé, l'année 2022 sera celle d'une respiration ». Une revendication en forme d'aveu d'échec.
La rapporteure estime qu'après la crise sanitaire et alors que de nouveaux modèles de financement sont en phase d'amorce ou doivent encore être engagés, ce n'est pas une « année de respiration » dont l'hôpital a besoin, mais bien d'une phase de transition longue. Aussi, durant les prochaines années, il convient de formuler un engagement clair sur l'absence de mise en réserve de crédits.
Recommandation : durant les cinq prochaines années, suspendre les mises en réserve des crédits hospitaliers.
IV. UNE SITUATION FINANCIÈRE CONTRASTÉE SELON LES TYPES D'ÉTABLISSEMENT, MAIS UN NOMBRE ÉLEVÉ D'HÔPITAUX PUBLICS EN DÉFICIT
La majorité des données les plus récentes portent sur l'année 2019, qui est également la plus significative sur la trajectoire financière des établissements de santé, l'exercice 2020 ayant été marqué par différentes particularités liées à la crise covid dont l'incidence ne peut encore être établie avec précision.
En 2019, plus de la moitié des hôpitaux publics étaient en déficit. Leur dette s'est stabilisée, mais au détriment de l' effort d'investissement , qui s'est réduit de moitié en dix ans , avec pour corollaire, une augmentation continue du taux de vétusté des équipements .
Les établissements privés, à but lucratif ou non lucratif, sont comparativement meilleure, même si les situations sont contrastées et que leur effort d'investissement demeure contraint.
A. MALGRÉ UNE STABILISATION DE LA DETTE, UNE SITUATION FINANCIÈRE DES HÔPITAUX PUBLICS QUI RESTE FRAGILE EN RAISON DE LA CONCENTRATION DES DÉFICITS
1. Une aggravation de la concentration des déficits des hôpitaux publics
Les recettes des hôpitaux publics ont progressé de 2,2 % en 2019 pour atteindre 81,9 milliards d'euros, rythme semblable à celui de 2018. Les dépenses ont été de 82,9 milliards d'euros en 2019, et ont progressé à un rythme identique à celui des recettes, soit 2,2 %. Le déficit du budget global est par conséquent resté relativement stable entre 2018 et 2019.
La légère progression de l'effort d'investissement, qui passe de 4,7 % des recettes en 2019 contre 4,6 % en 2018, n'est pas suffisante pour relativiser le déficit des hôpitaux publics.
Évolution du solde des hôpitaux publics entre 2012 et 2019
(en pourcentage des recettes)
Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres de la Drees
Le déficit des hôpitaux publics en 2019 était de 566 millions d'euros . Après une forte augmentation entre 2016 et 2017, il est en diminution depuis. Cependant, cette diminution ne doit pas masquer des différences notables entre les comptes de résultat des hôpitaux.
Le résultat net est en effet composé de trois éléments : le résultat d'exploitation, qui concerne les activités courantes, le résultat financier, qui est issu des placements et des dettes, et le résultat exceptionnel.
Le résultat exceptionnel tire le résultat net des hôpitaux vers le haut : il est excédentaire depuis 2013, et il a atteint 570 millions d'euros en 2019. Le résultat financier est en déficit de 861 millions d'euros en 2019, ce qui représente une légère amélioration par rapport à 2018, où le déficit était de 911 millions d'euros. En revanche, le déficit du résultat d'exploitation s'est nettement aggravé entre 2018 et 2019, passant de 48 millions d'euros à 278 millions d'euros.
La composition du résultat net des hôpitaux en 2018 et 2019
(en millions d'euros)
Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres de la Drees
Note : l'écart avec résultat net retenu, 566 millions d'euros, provient de ce que l'annexe 7 du PLFSS utilise des chiffres plus récents que le panorama d'établissements de santé de la Drees de 2021, d'où sont tirés les comptes de résultat.
Comme le montre le graphique précédent, l'amélioration du déficit des hôpitaux en 2019 est due à une amélioration du résultat exceptionnel. Or le produit exceptionnel connaît une forte variation selon les années, tandis que l'évolution du résultat d'exploitation est plus déterminante dans l'évolution du déficit des hôpitaux à moyen terme.
En outre, les situations sont hétérogènes selon les différentes catégories d'établissement de santé, comme le montre le tableau suivant.
Évolution du résultat net des
budgets
des établissements publics de santé entre 2015 et
2019
(en millions d'euros)
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
|
CHU |
- 249 |
- 99 |
- 23 |
51 |
112 |
AP-HP |
40 |
55 |
- 175 |
- 122 |
- 162 |
Très grands CH |
- 44 |
- 33 |
- 59 |
- 14 |
- 49 |
Grands CH |
- 53 |
- 62 |
- 181 |
- 210 |
- 224 |
CH moyens |
- 101 |
- 137 |
- 260 |
- 224 |
- 172 |
Petits CH |
16 |
16 |
- 41 |
- 61 |
- 71 |
Total |
- 392 |
- 260 |
- 740 |
- 580 |
- 566 |
Source : Annexe 7 du PLFSS pour 2022
Excédent ou déficit des hôpitaux publics entre 2012 et 2019
(en pourcentage des recettes)
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
|
AP-HP |
- 0,3 |
- 0,1 |
- 0,1 |
0,6 |
0,7 |
- 2,4 |
- 1,7 |
- 2,2 |
Autres CHR |
0,2 |
- 0,3 |
- 0,6 |
- 1,1 |
- 0,5 |
- 0,1 |
0,2 |
0,5 |
Très grands et grands CH |
0,2 |
- 0,1 |
- 0,2 |
- 0,6 |
- 0,5 |
- 1,4 |
- 1,1 |
- 1,1 |
CH moyens |
- 0,2 |
- 0,5 |
- 0,8 |
- 0,7 |
- 1,2 |
- 2,2 |
- 2,4 |
- 2,2 |
Petits CH |
0,5 |
0,6 |
0,1 |
- 0,2 |
0,3 |
- 0,6 |
- 0,4 |
- 1,1 |
Total |
0,1 |
- 0,1 |
- 0,3 |
- 0,5 |
- 0,3 |
- 0,9 |
- 0,7 |
- 0,7 |
Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres de la Drees
L'augmentation des déficits en 2017 s'explique par la combinaison de la stagnation des recettes issues des séjours ainsi que des mesures statutaires de 2016 et 2017, qui ont conduit à une augmentation des charges de personnel. Il faut relever que, à contre-courant des autres catégories d'établissements de santé, le résultat net des CHU s'est amélioré entre 2016 et 2017.
Les centres hospitaliers ont pour leur majorité connu une dégradation de leur résultat entre 2017 et 2019 . Les très grands centres hospitaliers ont connu une légère amélioration, même si leur résultat net reste négatif (- 49 millions d'euros). Pour les CHU, l'amélioration est notable : ils passent d'un résultat net négatif en 2017 (- 23 millions d'euros) à un résultat positif (112 millions d'euros).
Il est utile de mettre en relation ces données avec le nombre et la proportion d'établissements de santé en déficit, pour évaluer notamment la concentration des déficits sur certains établissements en difficulté.
Nombre d'établissements publics de santé en déficit (budget principal)
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
|
CHU |
18 |
16 |
14 |
17 |
10 |
Très grands CH |
17 |
23 |
18 |
21 |
19 |
Grands CH |
63 |
81 |
79 |
80 |
56 |
CH moyens |
145 |
161 |
149 |
134 |
114 |
Petits CH |
161 |
202 |
200 |
204 |
145 |
Total général |
404 |
483 |
460 |
456 |
344 |
Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres du ministère des solidarités et de la santé
Proportion des établissements de santé en déficit
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
|
CHU |
73 % |
68 % |
68 % |
56 % |
50 % |
44 % |
53 % |
31 % |
Très grands CH |
52 % |
45 % |
59 % |
53 % |
70 % |
53 % |
62 % |
54 % |
Grands CH |
61 % |
64 % |
58 % |
55 % |
70 % |
69 % |
68 % |
48 % |
CH moyens |
60 % |
65 % |
59 % |
65 % |
72 % |
66 % |
59 % |
50 % |
Petits CH |
38 % |
41 % |
49 % |
39 % |
49 % |
48 % |
49 % |
36 % |
Total général |
47 % |
50 % |
52 % |
49 % |
58 % |
55 % |
55 % |
42 % |
Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres du ministère des solidarités et de la santé
Les chiffres de 2020 doivent être considérés avec précaution. Ils comptabilisent en effet les biens remis à titre gratuit lors de la crise sanitaire à leur valeur vénale dans les stocks des établissements, conformément à la norme comptable M21, ce qui génère un produit supplémentaire, et conduit à une amélioration du résultat comptable des établissements. D'après les indications fournies à la commission d'enquête par le ministère de la santé et des solidarités, l'amélioration des résultats en 2020 s'explique principalement par la comptabilisation de ces biens.
Hors effet stock, le nombre d'établissements publics de santé déficitaires en 2020 est en réalité de 425, et la moyenne totale des établissements en déficit n'est pas de 42 % mais de 52 %, ce qui constitue une légère diminution par rapport à 2020. Des chiffres plus précis concernant les différentes catégories d'établissements pour l'exercice 2020 n'ont pas pu être fournis à la commission d'enquête, sauf pour les CHU, où il est indiqué que le nombre d'établissements en déficit est similaire à 2019.
Il faut souligner toutefois qu'entre 2017 et 2019, seul le nombre de centres hospitaliers de taille moyenne en déficit a diminué. Pour les autres catégories d'établissements de santé, ce nombre est resté globalement stable.
Les déficits des hôpitaux publics sont de plus en plus concentrés : selon la Drees, la moitié du déficit cumulé des hôpitaux publics en 2019 se concentre sur 43 établissements, contre 50 en 2018. En outre, les déficits cumulés sont estimés à 1 048 millions d'euros en 2019, en aggravation par rapport à 2018, où ils étaient de 963 millions d'euros.
Lorsque l'on met en relation les données sur la
proportion des établissements endettés, et celles sur le
déficit global, on se rend compte que le déficit des centres
hospitaliers de moyenne taille est resté
identique
(- 2,2 %) entre 2017 et 2019, tandis que le
nombre d'établissements en déficit a diminué sur la
même période, ce qui signifie les déficits des
établissements concernés se sont en moyenne aggravés.
De la même façon, le résultat net des CHU s'est nettement amélioré entre 2017 et 2019, tandis que le nombre d'établissements en déficit est resté globalement stable, ce qui révèle une aggravation du déficit des établissements qui étaient déjà en situation de déficit.
La concentration des établissements excédentaires s'accentue également. La moitié des excédents sont imputables à 16 établissements en 2019, contre 22 en 2018, et l'excédent cumulé est de 480 millions d'euros en 2019, alors qu'il était de 394 millions en 2018.
La concentration tant des déficits que des excédents est un sujet important, au sens où elle peut conduire à un hôpital public à « deux vitesses », c'est-à-dire une césure entre des établissements qui connaissent une stabilité financière, et d'autres pour lesquels les difficultés financières créent un cercle vicieux.
2. Une dette stabilisée, mais une chute de l'effort d'investissement et un taux de vétusté des établissements qui s'aggrave
L' encours de la dette des hôpitaux publics s'établit à 29,3 milliards d'euros en 2019 , ce qui représente 35,7 % de ses recettes cette année . Il est en diminution de 0,68 % par rapport à 2018 (29,5 milliards d'euros), et pour la première fois depuis 2015, la dette des hôpitaux publics est en baisse. De même, le taux d'endettement (défini comme la part des dettes au sein des ressources constituées des capitaux propres et des dettes financières) diminue légèrement en 2019, pour atteindre 51,4 % . Pour autant, les hôpitaux publics restent dans une situation financière fragile.
L'endettement des hôpitaux publics a diminué de 1,3 % entre 2013 et 2019, alors qu'il avait augmenté de 80 % entre 2008 et 2013. Le taux d'endettement est également en légère diminution depuis 2016, alors qu'il était en croissance quasiment continue entre 2009 et 2016. Enfin, le rapport de l'encours sur les recettes des hôpitaux publics a connu un maximum en 2013 à 39,9 % , pour diminuer jusqu'en 2019.
Évolution de l'endettement des hôpitaux publics de 2008 à 2019
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
Cette stabilisation a toutefois été accomplie au détriment de l'effort d'investissement. À l'exception de la légère hausse de 0,1 % entre 2018 et 2019, l'effort d'investissement est en baisse depuis 2009 . Il a été réduit de plus de moitié, passant de 10 % des recettes en 2009 à moins de 5 % en 2019.
La diminution de l'effort d'investissement a été rapide entre 2009 et 2016, avec une baisse d'en moyenne 0,7 % par an. Depuis 2016, cette diminution est plus lente (- 0,17 % en moyenne par an), mais la tendance à la baisse de l'investissement n'est pas encore inversée.
Évolution du taux d'endettement et de l'effort d'investissement des hôpitaux publics entre 2009 et 2019
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
La diminution de l'effort d'investissement se traduit dans l' augmentation du taux de vétusté des équipements et des constructions des hôpitaux publics , indicateurs révélateurs du besoin en investissement des hôpitaux 51 ( * ) . Le taux de vétusté des équipements est ainsi passé de 75 % à 80 % entre 2010 et 2018 , et celui des constructions est passé de 46 % à 50,5 % sur la même période.
Évolution du taux de vétusté des équipements des hôpitaux publics entre 2010 et 2018
(en pourcentage)
Source : Rapport de l'IGAS, Évaluation de la dette des établissements publics de santé et des modalités de sa reprise , avril 2020
B. UN SOLDE DES ESPIC EXCÉDENTAIRE, MAIS AU PRIX D'UNE CONTRACTION DE L'EFFORT D'INVESTISSEMENT
Le résultat net des Espic en 2019 est de 45 millions d'euros. Il est excédentaire pour la troisième année consécutive. Les recettes des Espic sont estimées à 12,405 milliards d'euros en 2019, tandis que les dépenses s'établissent à 12,306 milliards d'euros. L'excédent des Espic est ainsi de 0,4 % en 2019, en augmentation par rapport à 2018, où il était de 0,2 %.
Évolution du solde des Espic entre 2012 et 2019
(en pourcentage des recettes)
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
Tout comme pour les hôpitaux publics, le résultat net des Espic se décompose en un résultat d'exploitation, un résultat financier et un résultat exceptionnel. Dans le cas des Espic, le résultat exceptionnel est relativement stable entre 2018 et 2019, passant de 45 millions d'euros à 43 millions. En revanche, le résultat d'exploitation progresse jusqu'à 58 millions d'euros en 2019, contre 40 millions en 2018.
La composition du résultat net des Espic en 2018 et 2019
(en millions d'euros)
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
L'encours de la dette des Espic représente 26 % des produits bruts d'exploitation en 2019, et est stable par rapport à 2018. Le taux d'endettement de ces établissements a diminué de façon continue depuis 2012, jusqu'à atteindre 41,9 % en 2019.
La proportion des Espic en situation de déficit est de 35 % en 2019. Elle diminue légèrement par rapport à 2018, où elle est de 36 %.
Si ces résultats témoignent de la stabilité financière des Espic, il faut souligner qu'ils reposent sur une modération de l'investissement, qui peut être préjudiciable pour la situation financière des Espic sur le long terme. L'effort d'investissement a ainsi reculé de façon importante en 2019 : il a atteint 3,9 % des produits bruts d'exploitation, contre 5,6 % en 2018. D'une manière générale, la contraction de l'effort d'investissement des Espic est constante depuis 2013, ce qui nuance leurs bons résultats financiers.
Par ailleurs, les résultats des Espic sont assez contrastés selon le type d'activité. Les activités de médecine, chirurgie, obstétrique et ondotologie (MCO) sont devenues globalement déficitaires, comme le montre le tableau suivant.
Excédent ou déficit des Espic entre 2012 et 2019
(en pourcentage des recettes)
² |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
Centre de lutte contre le cancer |
- 0,6 |
- 1,0 |
- 0,6 |
0,4 |
0,4 |
0,6 |
0,9 |
1,2 |
Médecine, chirurgie, obstétrique et ondotologie |
- 0,3 |
- 0,3 |
- 1,3 |
- 0,7 |
0,1 |
- 0,4 |
0,0 |
- 0,2 |
Psychiatrie |
- 0,3 |
0,7 |
0,0 |
0,0 |
- 0,1 |
0,8 |
0,4 |
1,0 |
Soins de suite et de réadaptation |
0,1 |
0,0 |
- 0,2 |
- 0,1 |
- 0,6 |
1,3 |
- 0,1 |
0,4 |
Total |
- 0,3 |
- 0,2 |
- 0,7 |
- 0,3 |
0,0 |
0,4 |
0,2 |
0,4 |
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
Les établissements de MCO sont les seuls parmi les Espic à connaître un déficit en 2019. En outre, la proportion d'établissements de MCO déficitaires est de 48 %, contre 43 % en 2018 et 40 % en 2017. Pour les autres catégories d'établissements, le nombre d'établissements déficitaires diminuent.
En outre, les investissements des établissements de MCO ont également diminué : ils représentent 4,3 % des produits bruts d'exploitation en 2019, contre 5,0 % en 2018.
C. UNE SITUATION FINANCIÈRE DES CLINIQUES PRIVÉES POSITIVE, BIEN QU'HÉTÉROGÈNE
Le chiffre d'affaires des cliniques privées est estimé à 16 milliards d'euros en 2019, ce qui représente une augmentation de 3,7 % du chiffre d'affaires par rapport à 2018. Leur résultat net est de 392 millions d'euros. La rentabilité nette des cliniques est de 2,4 % en 2019, contre 2,2 % en 2018. Ce niveau de rentabilité est toutefois inférieur à la période 2014-2017, où il était supérieur à 3 %.
Cette hausse de la rentabilité est due à la progression du résultat d'exploitation, qui passe de 3,5 % du chiffre d'affaires en 2018 à 4,3 % en 2019. Elle a permis de compenser l'augmentation de l'impôt sur les bénéfices, qui est de 1,3 % en 2019, contre 0,7 % en 2018, ce qui est un niveau qui n'avait plus été atteint depuis 2012.
L'endettement total (qui désigne le rapport des dettes financières sur les capitaux permanents) des cliniques privées diminue de manière continue depuis 2010, pour atteindre 33,5 %.
Évolution du résultat d'exploitation des cliniques privées entre 2012 et 2019
(en pourcentage du chiffre d'affaires)
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
Évolution de la rentabilité des cliniques privées entre 2012 et 2019
(en pourcentage du chiffre d'affaires)
Source : Commission d'enquête sur l'hôpital, d'après les chiffres de la Drees
La progression de la rentabilité ne s'est pas faite au détriment de l'investissement : celui a progressé de 0,3 % en 2019 pour s'élever à 4,7 % du chiffre d'affaires. 12 % des établissements présentent un effort d'investissement supérieur à 10 % de leur chiffre d'affaires.
Une part toutefois des cliniques privées se trouvent en difficultés financières. Il est estimé qu'un quart des cliniques étaient en déficit en 2019. En outre une clinique sur cinq possède un taux d'endettement supérieur à 50 % de ses capitaux permanents.
Les cliniques de soins de suite et de réadaptation (SSR) sont celles qui connaissent l'évolution la plus défavorable : 28 % d'entre elles sont déficitaires, en augmentation de 5 points par rapport à 2018. En outre, le taux d'endettement des cliniques de SRR progresse de 16,5 % en 2018 à 20,1 % en 2019. En revanche, l'effort d'investissement des cliniques de SRR progresse nettement (+ 1,1 point en 2019).
DEUXIÈME PARTIE
FAIRE ET REDONNER CONFIANCE AUX ACTEURS
HOSPITALIERS
Le système hospitalier a joué un rôle majeur dans la diffusion du progrès médical et l'amélioration des prises en charge qui se traduisent en particulier par l'allongement de la durée de vie. Mais celle-ci génère aussi des besoins de santé croissants qui exercent une pression forte sur l'ensemble des acteurs de santé, hospitaliers comme libéraux.
Dans ce contexte, le malaise des personnels hospitaliers, les départs et les difficultés de recrutement qu'il provoque, menacent d'entraîner l'hôpital dans une spirale négative.
Face à ce risque d'affaissement, il est indispensable de faire confiance et de redonner confiance aux acteurs hospitaliers dans leur ensemble, qu'ils soient soignants, gestionnaires ou chargés de fonctions de soutien.
Il s'agit tout d'abord de leur permettre de reprendre prise sur la marche de l'hôpital et l'organisation de leur travail , alors qu'ils ont aujourd'hui trop souvent le sentiment de subir les conséquences de décisions arrêtées et imposées sans considération des réalités quotidiennes. Une gouvernance plus équilibrée, de plus larges responsabilités confiées aux équipes soignantes et un allègement des contraintes administratives extérieures doivent permettre de redonner des marges d'autonomie et de mieux mobiliser la communauté hospitalière autour d'un projet commun.
Le Ségur de la santé s'est traduit par un effort inédit sur les rémunérations qui mériterait cependant d'être ajusté pour mieux compenser certaines contraintes propres à l'exercice hospitalier. Mais au-delà des rémunérations, l'attractivité des carrières hospitalières repose aussi sur une amélioration de la formation et des conditions de travail . Il est surtout nécessaire de permettre aux acteurs du soin à l'hôpital de retrouver du sens dans leur travail, en les libérant de tâches chronophages qui réduisent leur présence auprès des patients et en renforçant significativement les effectifs infirmiers et soignants dans les équipes de soins .
Enfin, la confiance passe également par des modalités de financement plus lisibles, plus stables, plus en accord avec les besoins de soins hospitaliers et les nécessités de modernisation des équipements.
I. REDONNER DE LA LIBERTÉ ET DE L'AUTONOMIE AUX ÉQUIPES SOIGNANTES ET AUX ÉTABLISSEMENTS
Parmi les sources de démotivation ou de découragement mises en avant au sein des communautés médicales et soignantes figure la perception d'une césure entre la logique d'organisation et de fonctionnement de l'hôpital , telle qu'elle conditionne au quotidien le travail des équipes, et le sens même de ce travail tourné vers la prise en charge des patients .
Sans tomber dans une vision schématique, tant les pratiques sont diverses selon les établissements, un réel déséquilibre s'est créé, laissant se développer le sentiment que les responsables des activités de soins perdaient toute prise sur les décisions qui se prennent à l'hôpital.
Cette préoccupation a été prise en compte par un certain nombre de dispositions législatives et réglementaires intervenues au cours de l'année 2021. Toutefois, toutes les difficultés ne viennent pas des textes, comme en témoigne l'exemple du centre hospitalier de Valenciennes, où s'est rendue une délégation de la commission d'enquête. Dans le cadre de la loi HPST de 2009, souvent critiquée, il a su trouver un mode de fonctionnement reposant largement sur l'implication des équipes médicales et soignantes.
Ce sont donc surtout les pratiques qu'il faut infléchir, non seulement au niveau des diverses instances de gouvernance , dans lesquelles le rôle des représentants des praticiens et des personnels paramédicaux doit être revivifié, mais aussi en renforçant les responsabilités et les capacités d'initiative des équipes de soins .
En parallèle, les établissements doivent être libérés des pesanteurs que provoquent sur l'ensemble de la communauté hospitalière, des directions jusqu'aux services de soins, des relations excessivement bureaucratiques avec les tutelles et des procédures de certification, d'accréditation et d'évaluation qui méritent d'être rationalisées .
Le statut uniforme des établissements publics de santé fait-il obstacle aux marges de liberté et d'autonomie qui leur permettraient de mieux s'adapter aux spécificités de leur activité et de leur territoire ? Pas nécessairement, mais des possibilités de différenciation en matière d'organisation et de gestion des ressources humaines pourraient leur être accordées, à l'image de celles dont disposent les établissements de santé privés d'intérêt collectif.
A. UN RÉÉQUILIBRAGE DE LA GOUVERNANCE À CONSOLIDER
Dans l'expression du malaise ressenti par les personnels hospitaliers, de cette « perte de sens » qui rendrait le métier moins attractif et les contraintes qu'il suppose de moins en moins supportables, revient régulièrement la mise en cause d'une logique de fonctionnement qui se serait éloignée de la vocation même de l'hôpital et n'obéirait plus qu'à des considérations économiques et étroitement gestionnaires.
L'évolution de la gouvernance, avec un pouvoir de décision concentré entre les mains du directeur d'établissement , lui-même fortement subordonné aux autorités de tutelle, est souvent présentée comme le facteur majeur d'un effacement des objectifs de soins dans les décisions prises à l'hôpital.
Cette vision a certes été démentie au cours de la crise sanitaire qui a démontré la capacité de l'hôpital à mettre en oeuvre une gouvernance agile, tout comme celle des différentes catégories de personnels - direction, médecins, soignants - à travailler en pleine cohésion autour d'objectifs partagés, au service du soin et des patients. Faut-il cependant n'y voir, comme certains l'expriment, qu'une simple parenthèse, dans un contexte exceptionnel qui justifiait de lever nombre de contraintes administratives, financières et procédurales ?
Au cours des auditions et rencontres de la commission d'enquête, les acteurs hospitaliers, dans leur grande majorité, sont convenus qu'il n'y avait pas lieu d'opposer de manière artificielle et caricaturale les équipes administratives et de direction, dont l'optique serait purement gestionnaire, et les équipes de soins, seules animées du souci des patients. Il a été admis que dans une grande majorité de cas, directeurs et présidents de commission médicale d'établissement (CME) travaillent en bonne intelligence au service de l'institution , même si cela peut tenir en grande partie à la qualité de leur relation et que les équipes de soins et leurs responsables ne se sentent bien souvent pas suffisamment impliqués dans le processus de décision.
La notion de pilotage « médico-administratif » des établissements fait l'objet d'un large accord. Le rôle du directeur, représentant légal de l'établissement avec toutes les responsabilités que cela implique, tout comme celui des équipes administratives, indispensables au fonctionnement de l'établissement, ne sont pas fondamentalement contestés par les représentants de la communauté médicale et soignante. Les représentants des directeurs reconnaissent pour leur part la légitimité des attentes des acteurs médicaux et soignants et la nécessité d'une concertation étroite avec eux pour définir et mener à bien des projets co-construits.
L'an passé, les textes régissant les instances de gouvernance ont été ajustés pour mieux garantir ce nécessaire équilibre. Il importe désormais de donner plein effet à ces dispositions et, de manière plus générale, de rapprocher les cultures administrative et médicale, aujourd'hui trop cloisonnées.
1. Donner leur plein effet aux ajustements apportés en matière de gouvernance afin de mieux mobiliser la communauté hospitalière autour d'un projet commun
Dans l'évolution des dispositions régissant les instances de gouvernance des établissements publics de santé, la loi « hôpital, patients, santé, territoires » du 21 juillet 2009 (HPST) marque une rupture en transférant au directeur d'établissement de nombreuses compétences de gestion relevant précédemment du conseil d'administration (signature du CPOM avec l'ARS, fixation du budget, organisation interne de l'établissement en pôles, politique sociale). Par ailleurs, la nomination des chefs de pôle et des chefs de service, ainsi que la signature du contrat de pôle, relèvent du directeur, et non plus d'une décision conjointe avec le président de CME. Le directeur est assisté d'un directoire à majorité médicale, mais il en désigne les membres et le directoire ne dispose juridiquement d'aucune fonction décisionnelle. La CME est quant à elle principalement orientée sur la qualité des soins et les relations avec les usagers, avec une compétence consultative dans les autres domaines de la vie de l'établissement.
La mission confiée au professeur Olivier Claris avait relevé des pratiques plus souples que l'application littérale de ces dispositions (fréquence des codécisions de fait entre directeurs et présidents de CME et des décisions par consensus au sein du directoire) et jugé nécessaire de les généraliser tout et revalorisant le rôle de la CME, souvent perçue comme une simple chambre d'enregistrement.
Ces préconisations ont été reprises dans une série de modifications législatives et réglementaires intervenues au cours du premier semestre 2021 visant à la « médicalisation » des décisions à l'hôpital 52 ( * ) .
Elles se traduisent par les évolutions suivantes :
- les compétences de la CME sont étendues (élaboration du projet médical qui est proposé au directoire, consultation sur le budget, les investissements) ;
- le président de la CME retrouve un pouvoir de décision conjointe avec le directeur pour l'organisation interne des activités médicales et médico-techniques, pour la nomination des chefs de pôle, chefs de service ou d'unités fonctionnelle et pour la signature des contrats de pôle ;
- il est chargé de coordonner avec le directeur l'élaboration du projet médical en associant les équipes médicales.
Principales évolutions relatives aux instances
de gouvernance
|
Loi n° 70--1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière Le conseil d'administration délibère sur le budget, les comptes, les emprunts, la création ou la suppression des services. Institution d'une commission médicale consultative, obligatoirement consultée sur le budget, les comptes et sur l'organisation et le fonctionnement des services médicaux. Le directeur, nommé par le ministre après avis du président du conseil d'administration, ordonne les dépenses et recrute le personnel. Il dispose d'une compétence générale de gestion |
Loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière Outre ses compétences antérieures, le conseil d'administration définit la politique générale de l'établissement et délibère sur un projet d'établissement, comportant notamment un projet médical. Institution d'un schéma régional d'organisation sanitaire (SROS), non opposable, et de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) conclus entre l'établissement, l'État et l'assurance maladie et soumis à la délibération du conseil d'administration. La commission médicale consultative devient la commission médicale d'établissement (CME), composée des représentants des personnels médicaux, odontologiques et pharmaceutiques. Elle élit son président. Elle prépare avec le directeur le projet médical de l'établissement et les mesures d'organisation des activités médicales, odontologiques et pharmaceutiques. Une commission des services de soins infirmiers est instituée. |
Ordonnance n° 96-346 du 24 avril
1996 portant réforme
Institution des agences régionales de l'hospitalisation (ARH). Le SROS devient opposable et les CPOM obligatoires. Le président de la CME est associé à la préparation du CPOM conclu par l'hôpital avec l'ARH. La CME prépare avec le directeur la politique d'amélioration de la qualité. |
Ordonnance n° 2005-406 du 2 mai 2005
simplifiant le régime juridique
Institution d'un conseil exécutif, présidé par le directeur et composé à parité de représentants des médecins désignés par la CME et de représentants des équipes de direction, le directeur ayant voix prépondérante. Il prépare les mesures nécessaires à l'élaboration et à la mise en oeuvre du projet d'établissement et du CPOM. |
Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 « hôpital, patients, santé, territoires » HPST Le conseil d'administration devient conseil de surveillance. Il délibère sur le projet d'établissement et le compte financier. Il est simplement informé sur le budget (EPRD). La signature des CPOM avec l'agence régionale de santé (ARS), qui succède à l'ARH, la fixation du budget (état prévisionnel des recettes et des dépenses - EPRD), la détermination des investissements, l'organisation interne de l'établissement en pôles, la politique sociale, relèvent du directeur. Le directeur nomme les chefs de pôle, de service et d'unité fonctionnelle. Il signe avec les chefs de pôle un contrat de pôle. Le conseil exécutif devient le directoire. Il est composé en majorité de membres du personnel médical nommés par le directeur. Le directeur préside le directoire, le président de la CME est vice-président. Le directoire appuie et conseille le directeur dans la gestion et la conduite de l'établissement ; il est concerté en amont des prises de décision relevant du directeur. Le président de la CME élabore le projet médical avec le directeur et le directoire approuve le projet médical. |
Ordonnance n° 2021-291 du 17 mars 2021 relative aux GHT et à la médicalisation des décisions à l'hôpital - loi n° 2021-502 - du 26 avril 2021 « confiance et simplification » Le président de la CME, conjointement avec le directeur, arrête l'organisation interne de l'établissement pour les activités cliniques et médico-techniques, nomme les chefs de pôle, de service et d'unité fonctionnelle signe les contrats de pôle. Sur proposition conjointe de leur président, le directeur peut regrouper la CME et la commission des soins infirmiers en une commission médico-soignante. Un projet de gouvernance et de management est intégré au projet d'établissement. |
Il s'agit finalement d'une évolution mesurée de la gouvernance hospitalière , dans le sens d'un rééquilibrage nécessaire, mais sans bouleversement.
Le renforcement des pouvoirs du président de CME n'est pas allé jusqu'à en faire un directeur médical, responsable de l'ensemble des questions médicales, comme il en existe dans beaucoup d'autres pays. Élu par ses pairs, il demeure le représentant de la communauté médicale tout en voyant ses responsabilités dans la conduite de l'hôpital clairement affirmées.
Par ailleurs, cette réforme est restée centrée sur les rapports entre composantes directoriale et administrative et n'a pas touché au rôle du conseil de surveillance, où siègent notamment les représentants des collectivités territoriales et des usagers.
Toutefois beaucoup d'interlocuteurs de la commission d'enquête ont considéré que dans le contexte difficile que traverse l'hôpital public, la priorité n'était pas de s'engager dans de vastes réformes institutionnelles.
Sur la base des ajustements entrés en vigueur en janvier 2022, plusieurs axes d'effort paraissent devoir être privilégiés.
Tout d'abord, s'il était nécessaire de renforcer les compétences de la CME et de son président sur toutes les questions d'ordre médical, il faut également que cette « médicalisation » des décisions se ressente jusqu'au niveau des services de soins et de leurs équipes. Or, comme l'avait souligné le rapport Claris, praticiens et soignants se considèrent à la fois insuffisamment informés et insuffisamment pris en compte dans la chaîne décisionnelle, qu'il s'agisse d'ailleurs des travaux de la CME ou du rôle, plus opérationnel, du directoire.
Il est donc indispensable d' assurer une articulation effective et une plus forte interaction entre les instances décisionnelles dans lesquelles siègent des acteurs médicaux - directoire et CME - et les services de soins . Les échanges préalables avec les services, la possibilité pour ceux-ci de faire remonter leurs préoccupations au directoire, voire, ponctuellement, d'y être représentés lorsqu'une réunion porte sur un sujet qui les concerne particulièrement, peut y contribuer.
Recommandation : assurer une meilleure articulation et une plus forte interaction entre la CME et le directoire d'une part et les services de soins d'autre part en développant les échanges préalables et la possibilité pour les services d'être ponctuellement associés aux travaux du directoire.
Ensuite, le renforcement du rôle du président de CME , non seulement dans le binôme qu'il constitue avec le directeur mais également dans les responsabilités qui lui incombent vis-à-vis de l'ensemble de la communauté médicale et soignante, doit s'accompagner de réels moyens pour exercer ses missions . Des dispositions réglementaires avaient été prises en ce sens (intégration aux obligations de service du temps consacré à ces fonctions, mise à disposition de moyens matériel, financiers et humains, formation à la prise de fonction) dès les décrets d'application de la loi HPST 53 ( * ) , il y a plus de dix ans, mais de l'avis de la plupart des présidents de CME entendus par la commission d'enquête, elles n'étaient le plus souvent pas appliquées.
Il est prévu que ce point soit traité dans la charte de gouvernance instituée entre le directeur et le président de CME, qui doit notamment assurer à celui-ci la mise à disposition d'au moins un collaborateur 54 ( * ) . Il importe que ces dispositions réglementaires soient désormais réellement et pleinement appliquées.
Recommandation : veiller à la mise en oeuvre effective des dispositions réglementaires prévoyant la mise à disposition des présidents de CME de moyens matériels, financiers et humains, jusqu'ici peu appliquées.
Enfin, la prise en compte des personnels paramédicaux dans le rééquilibrage de la gouvernance constitue un troisième enjeu que les dernières évolutions législatives ont peu abordé.
La loi du 26 avril 2021 a prévu la nomination d'un membre du personnel non médical au sein du directoire 55 ( * ) , au sein duquel le directeur des soins siège déjà comme membre de droit. Par ailleurs, elle ouvre l'option d'une fusion de la CME et de la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT) sur proposition des présidents des deux instances et avis conforme de celles-ci, pour former une commission médico-soignante élisant son président parmi le personnel médical et dont le directeur des soins infirmiers serait le vice-président 56 ( * ) .
Si une telle solution peut présenter des avantages, en décloisonnant les approches médicales et soignantes, elle peut aussi comporter le risque de diluer les questions proprement paramédicales. La restauration des deux commissions consultatives est néanmoins possible à la demande d'une majorité de la composante médicale ou de la composante soignante et médico-technique.
En tout état de cause, lorsque les deux commissions sont maintenues, il serait très utile de prévoir des échanges ou même des réunions conjointes entre la CME et la CSIRMT autour de sujets d'intérêt commun.
Recommandation : lorsqu'elles n'ont pas fusionné, organiser des échanges et des réunions conjointes entre la CME et la commission des soins infirmiers autour de sujets d'intérêt commun.
Le rôle de la commission des soins infirmiers doit être réétudié et valorisé , au même titre que l'a été celui de la CME, afin de permettre aux personnels paramédicaux de se sentir beaucoup plus associés à la gouvernance. Cette instance constitue en outre un lieu privilégié d'échange sur les initiatives soignantes et les pratiques innovantes.
Recommandation : revaloriser le rôle de la commission des soins infirmiers afin de mieux associer les personnels paramédicaux à la gouvernance.
2. Développer la communauté d'approche entre corps médical et équipes de direction
Si l'organisation juridique de la gouvernance doit permettre l'exercice d'un pilotage médico-administratif équilibré , celui-ci repose aussi sur la capacité des acteurs à travailler au service d'un objectif commun . Pour le docteur Jean-Yves Grall, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé, il faut une « compréhension mutuelle et réciproque des difficultés des uns et des autres, pour avoir une résultante qui est l'intérêt de l'établissement et de la population qu'il dessert. Ceci suppose que l'ensemble des médecins puissent être acculturés à ce qu'est l'autre partie de l'hôpital - dont la gestion -, et à l'inverse, que les équipes de direction puissent de temps en temps avoir une idée précise de ce qu'est le travail des médecins et notamment des conséquences liées à la pratique. Le dialogue doit être régulier et encouragé. » 57 ( * )
De nombreux intervenants l'ont souligné devant la commission d'enquête : la réalité est loin de refléter une opposition par trop schématique entre corps médical et équipes de direction . Pour autant ni leur formation ni leur pratique professionnelle ne prédisposent à une articulation facile entre leurs fonctions dans un environnement professionnel dont l'organisation demeure compartimentée.
S'agissant des équipes de direction , le recrutement repose quasi-exclusivement sur l'École des hautes études en santé publique (EHESP), même si la loi HPST a prévu la possibilité de nommer des non-fonctionnaires comme chefs d'établissement, dans la limite d'un plafond de 10 %. La formation, d'une durée de deux ans, s'effectue pour moitié sous forme de stage en milieu professionnel. Contrairement à ce qui est parfois affirmé, le profil des directeurs n'est pas absolument homogène . La promotion 2021-2022 compte 50 élèves issus du concours externe, dont environ la moitié venant des instituts d'études politiques, et 35 élèves issus du concours interne, principalement des attachés d'administration hospitalière, mais également 6 soignants. Toutefois, compte tenu de la variété des tâches auxquelles sont appelés les personnels de direction, il y aurait tout intérêt à favoriser une plus grande variété de profils , en s'ouvrant davantage aux soignants, aux ingénieurs, aux formations en sciences humaines et sociales et aux médecins. Il faut noter que ce n'est pas l'école elle-même qui organise le concours de recrutement, mais le centre national de gestion (CNG) qui gère la carrière des personnels de direction comme celle des praticiens hospitaliers. Confier à l'école la responsabilité du concours pourrait assurer une meilleure adéquation avec l'évolution du contenu de la formation.
Recommandation : accentuer la diversification des profils des futurs directeurs formés à l'EHESP et confier à celle-ci l'organisation du concours de recrutement.
S'agissant des médecins , leur formation initiale les immerge dans l'exercice hospitalier, mais ne comporte aucune formation de base sur les enjeux d'organisation et de gestion d'une structure aussi complexe que l'hôpital, alors même qu'ils peuvent assez rapidement se trouver en situation d'être sollicités en la matière. Un module adapté, consacré à la gestion et au management hospitalier, devrait être intégré à la formation de ceux qui se destinent aux carrières hospitalières.
Dans cette optique, des formations communes aux élèves directeurs et aux futurs praticiens , au sein des facultés de médecine et de l'EHESP, pourraient également être développées.
Recommandation : prévoir un module consacré à la gestion et au management hospitalier dans la formation des médecins qui se destinent aux carrières hospitalières et développer des formations communes aux élèves directeurs et aux futurs praticiens.
Enfin, si les textes permettent aujourd'hui à un praticien hospitalier d'être nommé à un poste de directeur d'établissement, après une formation d'adaptation à l'emploi organisée par l'EHESP, cette possibilité reste inappliquée. Les centres de lutte contre le cancer, établissements privés à but non lucratif, sont souvent cités pour illustrer la capacité de médecins à gérer des établissements importants, comme cela peut être le cas dans d'autres pays, même si ces établissements n'ont pas la même gamme d'activité qu'un CHU ou même qu'un gros centre hospitalier. Il s'agit alors d'un véritable changement de métier, par rapport à l'exercice clinique. L' intégration de praticiens dans les équipes de direction , comme à l'AP-HP où la fonction de directrice générale-adjointe a été confiée à une directrice de département hospitalo-universitaire constitue une solution intermédiaire intéressante qui, dans certains établissements, pourrait utilement contribuer à un enrichissement mutuel des visions et des approches au sein des équipes de direction. Devant la commission d'enquête, le directeur général de l'AP-HM, François Crémieux, s'est prononcé en ce sens afin d'éviter chez les directeurs d'hôpitaux un « entre-soi professionnel ». Il a estimé que « les équipes de direction, notamment des gros établissements, ... pourraient associer des profils plus variés que ce n'est le cas aujourd'hui » et nécessaire qu'elles « s'ouvrent à d'autres compétences » 58 ( * ) .
Recommandation : développer l'intégration de praticiens au sein des équipes de direction dans les établissements les plus importants.
B. RENFORCER LES RESPONSABILITÉS ET LES CAPACITÉS D'INITIATIVE DES ÉQUIPES DE SOINS
La gestion de la première vague épidémique de covid , en 2020, a fait une large part à l'initiative des acteurs de terrain . Ils ont montré une grande capacité d'adaptation et d'innovation ainsi qu'une aptitude à mettre en oeuvre des solutions efficaces en termes d'organisation, de coordination ou d'utilisation des ressources. Beaucoup de rigidités et de cloisonnements ont été dépassés.
Cette expérience a révélé la nécessité, au-delà du contexte exceptionnel de crise qui a permis de bousculer les procédures et de lever certaines contraintes, de redonner de la souplesse de fonctionnement et de renforcer la gestion de proximité.
De ce point de vue, la réhabilitation du rôle du service est un facteur important. Mais il est surtout nécessaire de donner aux équipes de soins une prise tangible sur les choix qui les concernent , en assurant une meilleure prise en compte de leurs projets et en accordant à celles qui le souhaitent une réelle marge d'autonomie.
1. La réhabilitation du service : un facteur essentiel pour la dynamique collective
Engagée en 2005 et confirmée par la loi HPST en 2009, l' organisation des établissements publics de santé en pôles a suscité de nombreuses critiques sans doute moins liées au principe même du regroupement de services qu'à la façon dont cette réorganisation a été mise en oeuvre.
D'une part, les pôles ont souvent été perçus par les acteurs hospitaliers comme une strate supplémentaire ne possédant pas toujours une véritable cohérence fonctionnelle, complexifiant et opacifiant l'organisation interne et faisant obstacle à des relations directes entre les équipes de soins et la direction.
D'autre part, l'effacement des services et leur dilution dans un ensemble plus vaste ont fragilisé le sentiment d'identité professionnelle qui était fortement associé à une discipline médicale, avec des conséquences sur la motivation et la cohésion des équipes, tout en s'accompagnant d'une perte d'autonomie dans l'exercice de leurs missions.
La loi du 26 avril 2021 a permis une réelle inflexion en réhabilitant le service désormais défini comme « l'échelon de référence en matière d'organisation, de pertinence, de qualité et de sécurité des soins, d'encadrement de proximité des équipes médicales et paramédicales, d'encadrement des internes et des étudiants en santé ainsi qu'en matière de qualité de vie au travail ».
Par ailleurs, si la constitution de pôles demeure l'organisation de droit commun, la loi permet d'y déroger, le directeur et le président de la CME pouvant décider d'organiser librement le fonctionnement médical et la dispensation des soins, après avis conforme de la CME et de la CSIRMT.
Principales évolutions relatives à l'organisation des établissements publics de santé |
Loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière L'établissement est organisé en services dont la création, la transformation et la suppression relèvent d'une décision du conseil d'administration. |
Loi n° 84-5 du 3 janvier 1984 portant diverses
mesures relatives
L'établissement est organisé en départements groupant les personnels qui concourent à l'accomplissement d'une tâche commune caractérisée par la nature des affections prises en charge ou des techniques de traitement et de diagnostic mises en oeuvre. Le chef de département est élu par les praticiens. |
Loi n° 87-575 du 24 juillet 1987 relative
aux établissements d'hospitalisation
Les services sont rétablis comme unité de base de l'organisation de l'activité de soins. Ils peuvent comporter des pôles d'activité. Avec l'accord des chefs de service intéressés, les services peuvent être regroupés, en tout ou en partie. Le chef de service est nommé par le ministre de la santé. Lorsqu'un département est créé, il est placé sous l'autorité d'un coordonnateur nommé selon des modalités prévues par le règlement intérieur. |
Loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière L'établissement est organisé en services ou départements. Avec l'accord des chefs de service ou de département intéressés, des services, des départements ou unités fonctionnelles peuvent être regroupés en fédérations en vue soit du rapprochement d'activités médicales complémentaires, soit d'une gestion commune de lits ou d'équipements, soit d'un regroupement des moyens en personnel ou pour la réalisation de plusieurs de ces objectifs. |
Ordonnance n° 2005-406 du 2 mai 2005
simplifiant le régime juridique
L'établissement doit s'organiser en pôles d'activité, créés par le conseil d'administration, regroupant de services ayant des activités communes ou complémentaires. Ils sont dirigés par un responsable de pôle nommés par décision conjointe du directeur et du président de CME. Au sein des pôles d'activité peuvent être constituées par le conseil d'administration des structures internes, notamment des services et unités fonctionnelles. |
Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 « hôpital, patients, santé, territoires » Les responsables de pôle deviennent des chefs de pôle. Ils sont nommés par le directeur d'établissement qui signe avec eux le contrat de pôle. Les pôles peuvent comporter des structures internes (services, unités), mais sont désormais le seul mode d'organisation obligatoirement prévu par la loi. |
Ordonnance n° 2021-291 du 17 mars 2021
relative aux GHT et à la médicalisation de l'hôpital
Par dérogation, le directeur et le président de la CME peuvent décider d'organiser librement le fonctionnement médical et la dispensation des soins, sur avis conforme de la CME et de la CSIRMT. Ils nomment conjointement les responsables des structures médicales et médico-techniques ainsi créées. Les services constituent l'échelon de référence en matière d'organisation, de pertinence, de qualité et de sécurité des soins, d'encadrement de proximité des équipes médicales et paramédicales, d'encadrement des internes et des étudiants en santé ainsi qu'en matière de qualité de vie au travail. Le chef de service est nommé par décision conjointe du directeur d'établissement et du président de la CME. |
Lors des travaux de la commission d'enquête, il a pu être constaté que les évolutions législatives intervenues en 2021 donnaient globalement satisfaction.
En effet, c'est moins l'organisation en pôles qui a été contestée que son caractère systématique , obligatoire et parfois éloigné des logiques fonctionnelles. Il apparaît donc souhaitable que les pôles puissent être maintenus lorsqu'ils présentent une réelle pertinence , notamment lorsqu'ils ont une vocation transversale (imagerie, biologie, pharmacie), et que les établissements bénéficient de toute la souplesse d'appréciation nécessaire pour adopter un autre mode d'organisation lorsque cela apparaît plus judicieux.
La réhabilitation du service , défini par une discipline ou une spécialité, comme base de l'organisation hospitalière, qu'il soit ou non inclus dans un pôle, apparaît potentiellement comme un important facteur de mobilisation collective .
À ce titre, de nombreux interlocuteurs de la commission d'enquête ont souligné le rôle majeur du cadre de santé aux côtés du chef de service.
Ce rôle doit être renforcé alors qu'il est aujourd'hui entravé par leur absorption par des tâches de gestion des absences ou de recherche de lits d'aval, qui réduit leur temps de présence auprès des équipes , d'autant qu'il leur est fréquemment confié l'encadrement de plusieurs équipes. D'autre part, alors qu'ils ont démontré, lors de la crise sanitaire, leur aptitude à mener rapidement des réorganisations adaptées, les cadres de santé se sentent trop souvent privés d' autonomie et assignés à un rôle de courroie de transmission d'instructions venues de la direction sans voir en retour de réelle prise en compte de leurs propositions en matière d'organisation du travail.
Enfin, on constate une tendance de plus en plus marquée à confier des responsabilités d'encadrement à des « faisant-fonction » exerçant pendant deux ou trois ans avant de bénéficier d'une formation adaptée aux attributions qui leur sont confiées.
Recommandation : renforcer le rôle du cadre de santé en limitant le nombre d'équipes placées sous sa responsabilité et en facilitant son accès à des formations adaptées à ses attributions.
Une interaction plus étroite est nécessaire entre le chef de service et le cadre de santé , notamment autour de l'articulation entre temps médical et temps paramédical pour l'organisation du travail et des soins au sein du service. La synchronisation du temps médical et du temps soignant est effet considérée comme un facteur d'amélioration de la prise en charge des patients et de la fluidité du travail des équipes soignantes.
L'importance du binôme chef de service - cadre de santé justifierait que le chef de service puisse sinon choisir, du moins être clairement impliqué dans la désignation du cadre de santé, qui est nommé par le directeur des soins.
Recommandation : impliquer le chef de service dans le choix du cadre de santé.
2. Déléguer davantage et mieux prendre en compte les besoins et les projets des équipes de soins
Les équipes médicales et soignantes reprochent souvent aux processus décisionnels à l'hôpital leur lourdeur, leur lenteur et leur éloignement des réalités du terrain. Elles souhaitent davantage de réactivité et une véritable prise en compte de leurs besoins et de leur expertise.
Les situations sont toutefois variées au sein des établissements et plusieurs ont intégré ces attentes, à des degrés divers, dans leur mode de fonctionnement.
Une délégation de la commission d'enquête s'est rendue au centre hospitalier de Valenciennes qui se singularise en ayant poussé le plus loin le transfert de compétences relevant habituellement du directeur de l'établissement à des responsables médicaux.
Le centre hospitalier de Valenciennes : des délégations de gestion étendues, une communauté médicale et soignante impliquée
Le centre hospitalier de Valenciennes emploie 5 200 personnes pour environ 2 000 lits et un budget de près de 450 millions d'euros. Il est organisé en 14 pôles d'activité, dont 12 pôles médicaux, un pôle logistique et un pôle administratif.
Depuis une dizaine d'années, il fonctionne sur le principe de larges délégations de gestion accordées aux chefs de pôle .
En matière de gestion des ressources humaines , la décision de recrutement appartient au pôle , la direction des ressources humaines n'intervenant qu'en appui. Lorsqu'il s'agit de couvrir un besoin permanent (création de poste), le pôle doit en garantir le financement, en cohérence avec son propre budget (EPRD), cette validation par la direction étant préalable au recrutement.
S'agissant des achats de biens et services , le pôle passe directement la commande et règle la facture lorsque le fournisseur est référencé. Dans le cas contraire, il s'adresse au service achats de l'établissement.
En matière de gestion financière , le pôle dispose d'une autonomie de décision sur les projets de moins de 75 000 euros .
Le pilotage des pôles est structuré autour du chef de pôle, parfois assisté d'un vice-chef de pôle, d'un cadre administratif de pôle et d'un cadre supérieur de santé.
Le centre hospitalier de Valenciennes a mis en place plusieurs instances spécifiques :
- la commission stratégie et projets : composée de 12 médecins désignés par le président de CME, elle examine tous les projets émanant des pôles supérieurs à 75 000 euros. Les projets ne sont pas nécessairement présentés par les chefs de pôle ; ils peuvent l'être par un chef de service, des praticiens, des soignants, des personnels médico-techniques. Cette commission, entièrement médicalisée, évalue le projet au regard de sa qualité, de la stratégie de l'établissement, de sa dimension médico-économique. Elle émet un avis, la décision revenant au directoire qui suit généralement l'avis de la commission. Celle-ci assure le suivi et l'évaluation des projets qui ont été acceptés ;
- la commission des systèmes d'information , elle aussi entièrement composée de médecins, qui pilote la stratégie « systèmes d'information » de l'établissement ;
- la cellule médico-économique . Elle est composée de médecins, ainsi que d'un représentant des services administratifs et des services logistiques. Elle analyse les coûts de fonctionnement des pôles et leur évolution, elle propose les règles d'intéressement des pôles aux résultats, elle peut proposer un plan de retour à l'équilibre d'un pôle, le directoire ayant seul compétence pour l'imposer. Un des rôles importants de cette commission est de discuter et fixer la valeur des prestations effectuées par les services support (anesthésie, réanimation, biologie, radiologie, pharmacie, services logistiques et administratifs) au profit des services utilisateurs (médecine, chirurgie), dans le cadre d'une facturation interne. La valeur de ces « unités d'oeuvre » servant à refacturer les différentes étapes de la chaîne de soins est comparée à des référentiels extérieurs et fait l'objet de réajustements réguliers à la hausse ou à la baisse ;
- le comité qualité , chargé de piloter, expertiser et former sur tous les sujets qui concernent la qualité ;
- la conférence des chefs de pôle . C'est une instance non décisionnelle, un lieu de partage d'information et d'échanges entre chefs de pôles.
Le « modèle valenciennois » se caractérise par un rôle très important dévolu aux pôles, dotés de compétences étendues déléguées par la direction, mais également par une logique « ascendante » qui ouvre aux services et à leurs équipes de larges possibilités de faire valoir leurs besoins et leurs projets.
En effet, le rôle prééminent des pôles ne réduit pas pour autant celui des services. Ces derniers constituent l'élément moteur pour élaborer des projets et améliorer l'organisation des soins au service des patients. Leur pôle de rattachement est un cadre au sein duquel ils expriment leurs attentes. Les pôles constituent pour leur part des centres de décision proches des services et, lorsque la décision ne relève pas d'eux, ils jouent un rôle de facilitateur avec les autres structures ou instances de l'établissement.
La CME quant à elle conserve ses attributions sur les orientations stratégiques et intervient sur les questions transversales ou communes à plusieurs pôles. Mais incontestablement, le directeur et le président de CME renoncent à une partie substantielle de leur pilotage médico-administratif, ou du moins acceptent de le partager, compte tenu des larges délégations attribuées aux chefs de pôle.
Ce mode de fonctionnement favorise l' implication des équipes médicales et soignantes et permet des circuits de décision plus courts et plus réactifs , dans lequel des fonctions d'évaluation et d'arbitrage sont exercées par des instances composées de praticiens . En contrepartie, il nécessite un très fort investissement des médecins dans les fonctions managériales, ce qui suppose l'acquisition d'une solide formation à cet effet, une évolution de leur métier, l'endossement d'importantes responsabilités médico-économiques et l'acceptation d'une évaluation régulière de leur gestion.
Cela ne va pas de soi et on peut comprendre que certains praticiens puissent aspirer à d'autres formes d'évolution de carrière ou d'exercice du métier.
Même si d'autres facteurs liés à son positionnement dans l'offre de soins du territoire ont pu jouer, la mise en place de cette organisation s'est inscrite dans une dynamique positive pour l'établissement qui a développé son activité, augmenté ses effectifs 59 ( * ) dégagé des excédents, mené une politique active d'investissement médical et su attirer puis fidéliser du personnel médical et soignant, avec une quasi-absence de recours à l'intérim et un taux d'absentéisme en dessous de la moyenne.
On doit pour autant constater qu' en dépit de ce bilan positif, l'expérience du centre hospitalier de Valenciennes ne s'est pas dupliquée et qu'elle demeure aujourd'hui une exception dans le mode de fonctionnement des établissements publics de santé.
Elle induit en effet pour les praticiens accédant à des fonctions de responsabilité une profonde inflexion de leur exercice professionnel, de fonctions soignantes vers des attributions gestionnaires exigeantes, et pour les équipes de direction, l'acceptation d'une distribution des responsabilités très différente de celle qu'elles connaissent dans tous les autres établissements.
Il n'en demeure pas moins que des enseignements très utiles peuvent être retirés de cette expérience.
Tout d'abord, la délégation de gestion est de nature à redonner prise aux équipes de soins sur beaucoup de décisions qui influent sur leur travail quotidien en réalisant au plus près du terrain tout ce qui peut l'être.
Indépendamment du cas particulier du centre hospitalier de Valenciennes, la délégation de gestion est pratiquée dans un certain nombre d'établissements publics de santé, mais à un degré souvent assez limité. Plusieurs responsables hospitaliers, médicaux ou administratifs, entendus lors des auditions de la commission d'enquête ont indiqué que les chefs de pôle ou de service n'étaient pas nécessairement désireux de gérer des problématiques financières ou de ressources humaines et craignaient de perdre le contact avec la pratique médicale.
La délégation de véritables responsabilités aux pôles et aux services est pourtant une réponse concrète aux aspirations fortement exprimées par ailleurs en faveur d'une médicalisation de la gouvernance. L'investissement des praticiens dans les problématiques médico-économiques est sans doute le meilleur moyen de d'assurer l'optimisation des organisations tout en garantissant la qualité des prises en charge des patients.
Lors de l'examen du projet de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, le Sénat avait souhaité que le principe même d'une délégation de signature accordée au chef de pôle pour la gestion des ressources humaines du pôle ainsi que l'engagement de dépenses de fonctionnement et d'investissement courant figurent dans le contrat de pôle signé avec le directeur et le président de CME. Tel n'est finalement pas le cas, la question de la délégation de gestion ayant finalement été renvoyée à une simple circulaire 60 ( * ) et la loi se bornant à évoquer la possibilité d'une délégation de signature du chef de pôle au chef de service.
Sur la base du principe de subsidiarité, les délégations de gestion méritent d'être fortement encouragées en matière de gestion des ressources humaines - par exemple pour les recrutements destinés à remplacer des absences, les renouvellements de contrats ou les actions de formation -, d'achat d'équipements courants ou de petits travaux.
Sans chercher à les rendre systématiques ou à les imposer, il est nécessaire d'inciter activement à les mettre en oeuvre, sur un périmètre laissé à l'appréciation des établissements, en sensibilisant responsables administratifs et médicaux sur les modalités et l'intérêt de ce mode d'organisation. Cela suppose de bien informer les responsables médicaux pour lever certaines réticences, mais aussi faire mesurer toutes les implications des délégations de gestion.
La délégation de la commission d'enquête qui s'est rendue au centre hospitalier de Valenciennes a pu constater que l'instauration de délégations de gestion peut constituer un processus long et complexe. Même pour des délégations de portée plus modeste, les établissements doivent pouvoir bénéficier d'un soutien dans la préparation de leur mise en oeuvre. Celle-ci doit notamment prévoir la mise à disposition des moyens administratifs et techniques nécessaires à l'exercice des responsabilités de gestion par les chefs de pôle ou de service.
Recommandation : inciter activement les délégations de gestion aux pôles et aux services sur un périmètre laissé à l'appréciation des établissements.
Plusieurs interlocuteurs de la commission d'enquête ont signalé une motivation très inégale des praticiens pour l'exercice de responsabilités de chefs de pôles ou de chefs de service. La perspective de marges d'autonomie accrues peut relancer l'intérêt pour ces fonctions. Une véritable préparation et formation en matière de gestion et de management est également indispensable, ainsi qu'un repérage des praticiens aspirant à ce type de responsabilités.
Recommandation : assurer une formation en matière de gestion et de management pour les chefs de pôle, chefs de service et praticiens se destinant à ces fonctions.
Une réflexion particulière mérite également d'être conduite sur l' exercice des responsabilités gestionnaires par des praticiens dans les centres hospitalo-universitaires . Dans l'organisation actuelle, un rôle plus affirmé de management et de gestion incomberait à des chefs de service ou des chefs de pôle déjà investis de missions de soins, d'enseignement et de recherches, ce qui paraît difficilement praticable. Le déroulement de la carrière hospitalo-universitaire conduit en outre en pratique à reporter à une échéance tardive l'accès à la responsabilité de chef de service ou de chefs de pôle. Des modalités spécifiques ouvrant la voie des responsabilités managériales à des praticiens plus jeunes et moins absorbés par leurs tâches d'enseignement et de recherche doivent être étudiées.
Enfin, les équipes de soins doivent être en mesure de mieux faire valoir leurs besoins et leurs projets alors qu'elles ont aujourd'hui trop souvent le sentiment que leurs demandes se perdent dans des circuits bureaucratiques lourds et complexes et que leur capacité d'initiative en matière d'organisation des soins n'est pas suffisamment reconnue.
Plusieurs établissements ont adapté leur fonctionnement pour répondre à cette attente. Parmi les illustrations données au cours des travaux de la commission d'enquête, deux méritent d'être particulièrement soulignées.
Il paraît très utile, comme l'a par exemple fait le CHU de Nancy, de désigner pour chaque pôle un directeur référent qui, tout en exerçant ses propres responsabilités, constitue le correspondant du pôle et facilite ses relations avec le reste de l'établissement. Cet appui est de nature à améliorer la réactivité dans l'instruction des demandes, renforcer la coordination entre les différents services concernés et raccourcir le temps de décision.
D'autre part, le centre hospitalier de Valenciennes a mis en place un dispositif assurant une bonne prise en compte des projets émanant des équipes de terrain . Qu'ils émanent d'un chef de service, de praticiens ou de personnels non médicaux, ces projets sont discutés au niveau du pôle, et si leur montant dépasse celui fixé pour la délégation de gestion, ils sont examinés par une commission « stratégie et projets » composée de médecins dont l'avis est dans la quasi-totalité des cas suivi par le directoire. Cette commission assure également le suivi et l'évaluation des projets.
Sur ce modèle, il est nécessaire de généraliser la mise en place d'une instance dédiée à l'examen et au suivi des projets émanant des équipes de terrain .
Recommandation : généraliser la mise en place d'une instance dédiée à l'examen et au suivi des projets émanant des équipes de terrain.
C. RECENTRER ET SIMPLIFIER LES PROCÉDURES DE CONTRÔLE
Les représentants des personnels médicaux et soignants comme ceux des directeurs d'établissement décrivent unanimement un fonctionnement quotidien marqué par la sur-administration, la multiplication des instructions et des contrôles, les demandes croissantes de remontées d'information , sans que la finalité de ces procédures ne soit bien expliquée et comprise ni leurs bénéfices clairement démontrés.
Il en résulte à la fois une mobilisation excessive de ressources humaines administratives, médicales et soignantes, une pesanteur sur l'exercice professionnel et un sentiment de défaut de confiance et d'absence d'autonomie.
Une partie de ces contraintes peut être liée à l'organisation interne des établissements, et levée par une plus grande délégation de responsabilités aux équipes de terrain et des relations plus fluides entre les différentes entités de l'hôpital.
Elles résultent cependant largement du mode de relation entre les établissements et leur tutelle ou les organismes d'inspection et de contrôle. Dans ce domaine, un recentrage et une simplification sont nécessaires pour supprimer les procédures dont la pertinence n'est pas avérée et alléger la charge administrative pesant sur les établissements.