C. TROISIÈME PARTIE : EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet , président . - Comme chaque année à cette période, nous nous penchons sur les principales caractéristiques de l'application des lois que nous avons examinées au fond au cours de l'année parlementaire 2020-2021.
Cet exercice traditionnel vise à opérer une vérification approfondie de l'adéquation entre les mesures législatives et les mesures d'application que le Gouvernement a l'obligation de prendre. C'est aussi l'occasion de prendre un peu de recul sur les conditions souvent difficiles dans lesquelles le Parlement, et particulièrement notre commission, examine les textes. Cet exercice s'achèvera au début du mois de juillet par le débat sur l'application des lois, en présence du ministre chargé des relations avec le Parlement.
Au cours de l'année parlementaire 2020-2021, 24 des 51 lois promulguées ont été examinées au fond par la commission des lois, soit 47 % de l'ensemble des lois promulguées, hors traités et conventions internationales : c'est, cette année encore, le niveau le plus élevé de l'ensemble des commissions permanentes.
Ces 24 lois se répartissent en 17 projets de loi et 7 propositions de loi, dont seulement deux d'origine sénatoriale : la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention et la loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels.
Parmi elles, 22 ont été adoptées après engagement de la procédure accélérée, soit 91,7 % des textes. C'est la plus forte proportion de ces dix dernières années. Ces 22 projets et propositions de loi ont été examinés en 119 jours en moyenne, soit moins de quatre mois. Parmi eux, 7 textes ont été examinés en moins de trente jours, dont deux relatifs à la situation sanitaire, en six et huit jours.
Ce recours à la procédure accélérée, pourtant prévu dans la Constitution comme une exception au principe de la double lecture, nous impose des délais d'examen contraints et une lecture unique dans chaque chambre qui ne favorisent pas le travail approfondi. L'exception devient la règle.
Pour l'année parlementaire 2020-2021, on dénombre également pour la commission des lois trois lois conférant au Gouvernement dix habilitations à légiférer par voie d'ordonnances. Six habilitations ont été utilisées et ont donné lieu à la publication de vingt-sept ordonnances. C'est moins qu'en 2019-2020, année marquée, dans un contexte de crise sanitaire, par un recours massif aux ordonnances.
Mais, conformément à sa position traditionnelle, la commission des lois s'efforce soit de substituer aux habilitations demandées par le Gouvernement des modifications directes des dispositions législatives soit, à tout le moins, de les encadrer le plus strictement.
Au 31 mars 2022, sur ces 24 lois promulguées en 2020-2021, 17 étaient entièrement applicables - 8 d'application directe et 9 devenues pleinement applicables ; 7 lois appellent donc encore des mesures d'application.
Ce sont 46 des 136 mesures d'application prévues par ces 24 lois qui n'avaient pas été prises au 31 mars 2022, soit 34 %, alors même que, pour 22 de ces lois, le Gouvernement avait estimé nécessaire d'engager la procédure accélérée.
Outre ce taux de mise en application des lois de 66 % pour 2020-2021, nous pouvons retenir que l'inflation législative perdure, avec un taux multiplicateur de 2,2 puisque les 24 lois promulguées comportaient 445 articles, contre 202 articles au stade de leur dépôt.
Les demandes de rapport au Parlement restent peu suivies d'effet par le Gouvernement puisque seuls 9 des 18 rapports demandés ont été publiés dans les délais.
L'activité législative de notre commission s'est intensifiée : pour cette même période de référence, nous avons examiné 23 autres projets et propositions de loi qui, pour la plupart, ont été soit adoptés définitivement après le 30 septembre 2021 soit rejetés en séance publique, ou bien encore sont en instance d'examen à l'Assemblée nationale.
Conséquence de cette activité très soutenue, notre commission n'a pas été en mesure de se consacrer autant que pendant les périodes précédentes à ses travaux de contrôle. Seuls 6 rapports d'information ont été publiés par la commission des lois au cours de l'année parlementaire 2020-2021, contre 11 en 2019-2020.
Je terminerai par quelques mots sur la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique. Notre collègue Muriel Jourda était l'un des quatre rapporteurs de ce projet de loi, qui a été examiné par une commission spéciale. Plusieurs dispositions de cette loi relèvent de la compétence de notre commission et portent notamment sur l'élargissement de l'assistance médicale à la procréation, le don d'organes ou l'accès à ses origines d'une personne conçue dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation par recours à un tiers donneur. On retiendra que de nombreux dispositifs votés dans cette loi ne sont pas applicables au 31 mars 2022.
Je vous propose que Françoise Gatel et Philippe Bonnecarrère fassent un point plus détaillé de l'application de deux projets de loi dont ils étaient rapporteurs.
Mme Françoise Gatel , rapporteure de la loi ratifiant les ordonnances des 20 et 27 janvier 2021 portant réforme de la formation des élus locaux . - La loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, dite « Engagement et proximité », comportait une habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnances visant à renforcer le droit à la formation des élus locaux, que je sais cher au coeur de Jean-Pierre Sueur et de Jacqueline Gourault. Pour mémoire, chers collègues, le système de formation des élus locaux s'articule autour de deux dispositifs : l'obligation faite à toutes les collectivités de faire figurer à leur budget une dépense de formation d'un montant de 2 à 20 % des indemnités des élus ; le droit individuel à la formation des élus (DIFE), droit ouvert aux 510 000 élus locaux, financé par une cotisation obligatoire prélevée sur les indemnités elles-mêmes - que la grande majorité d'entre eux ne perçoivent pas.
L'examen du projet de loi de ratification de ces ordonnances par le Sénat a permis d'enrichir considérablement le dispositif, que l'Assemblée nationale a voté conforme. S'il est en grande partie applicable, trois mesures d'application restent à prendre. En premier lieu, le décret en Conseil d'État fixant les modalités d'adoption des mesures prises par le ministre chargé des collectivités territoriales nécessaires au rétablissement de l'équilibre financier du fonds DIFE, prévu à l'article 8 de la loi, n'a toujours pas été pris. Ce point avait constitué un point d'attention particulier pour notre commission et notre assemblée, qui souhaitaient, par l'association du conseil national de la formation des élus locaux (CNFEL) à cette procédure, s'assurer qu'en cas de déséquilibre du fonds DIFE, le retour à l'équilibre financier ne s'opèrerait pas au détriment des droits des élus locaux. Le déficit a en effet atteint 12 millions d'euros en 2019, avant de s'élever à 25 millions d'euros en 2020, mais le Gouvernement a annoncé un retour à l'équilibre en 2025.
Autre mesure manquante, le décret relatif à l'information annuelle des élus locaux sur l'existence de leur compte DIFE, prévu à l'article 9 de la loi. Plus précisément, une disposition réglementaire a certes été prévue, mais elle ne consiste qu'à renvoyer les modalités concrètes de cette information à la convention triennale d'objectifs et de performance entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations, laquelle gère le DIFE. Or le marché de la formation peut s'avérer prédateur et il importe que les élus locaux bénéficient dans ce cadre de la meilleure information possible.
En dernier lieu, je note que le décret définissant le contenu et les modalités d'inscription à des modules de formations élémentaires, proposées aux élus en début de mandat et particulièrement nécessaires à l'exercice de celui-ci, n'a pas été publié. Je le déplore, ce point ayant également constitué l'un des sujets que j'avais particulièrement portés. Sur 510 000 élus locaux éligibles, seuls 8 000 en 2019 et 13 000 en 2020, soit moins de 3 % avaient suivi des formations mais les tarifs peuvent être très élevés, certaines formations ayant affiché par le passé un prix de journée dépassant le millier d'euros. Nous sommes en 2022 : les « nouveaux » élus ne le sont plus et ont dû se débrouiller sans ce kit de survie... Mais il ne faudrait pas pour autant attendre 2026 pour le publier.
Enfin, dans un monde de la formation manquant de transparence, nous avions voulu être particulièrement vigilants sur la question de la sous-traitance. Nous avions donc prêté une attention particulière aux dispositions en la matière, afin d'éviter un contournement par la sous-traitance des nouvelles obligations imposées aux organismes de formation, caractéristique du cadre législatif et réglementaire antérieur, qui permettait à de grosses structures dites « porte-avions » de sous-traiter parfois en deuxième ou troisième rang des prestations à des acteurs dont les qualifications n'avaient pas été vérifiées. Cela méritait un encadrement plus serré. Nous avions donc interdit la sous-traitance de second rang et plafonné le recours à la sous-traitance pour une prestation à un montant de 20 % des frais pédagogiques associés à cette formation.
Toutefois, un nouvel arrêté pris le 24 février 2022 rehausse ce plafond à 45 % des frais pédagogiques. C'est que les associations départementales de maires, habilitées en tant qu'organismes de formation, ont régulièrement besoin de recourir à d'autres organismes de formation. Si cette évolution est donc compréhensible, nous souhaitons attirer votre attention sur ce pourcentage important, qui doit être surveillé : un rehaussement excessif de ce plafond dévitaliserait le dispositif et pourrait s'avérer contraire à l'intention du législateur. Nous avons donc besoin d'une évaluation régulière - tant quantitative que qualitative - des effets de cette loi si importante pour les droits des élus, dans l'ensemble de ces aspects, par le Gouvernement.
M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur de la loi relative au Parquet européen . - Monsieur le président, vous m'avez demandé de dresser le bilan de l'application de la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, dont j'avais été le rapporteur.
Ce texte comportait trois parties : la principale consistait en la mise en oeuvre du Parquet européen à l'intérieur de notre système judiciaire ; une autre partie était en quelque sorte la réponse de Mme Belloubet à la volonté du Président de la République, après la catastrophe de Lubrizol, de renforcer le droit de l'environnement en créant des pôles spécialisés en cette matière ; enfin, il comportait des mesures diverses.
Le Parquet européen fonctionne depuis le 20 novembre 2021 pour 22 États membres sur 27, avec à sa tête Mme Laura Codru?a Kövesi, et en son sein un parquetier français, M. Frédéric Baab.
Cinq magistrats et quatre greffiers ont été recrutés. On peut parler d'un démarrage très doux, serein, puisque, à la fin de 2021, cinq dossiers seulement avaient été repris par le pôle parisien du Parquet européen. On est loin des 60 à 100 dossiers évoqués dans l'étude d'impact du projet de loi !
Sur cette partie, les dispositions d'application procédurale ont été prises et la loi est bien appliquée.
S'agissant des pôles environnementaux - dont la création était justifiée par le soupçon que les juridictions, qui traitent très peu de dossiers en cette matière, ne les appréhendaient pas avec toute l'attention attendue par la société -, les dispositions d'application sont intervenues pour désigner les juridictions compétentes. Il manque en revanche les deux décrets en Conseil d'État prévus, l'un sur la commission devant apprécier quels sont les inspecteurs de l'Office français de la biodiversité (OFB) qui pourraient se voir confier la qualité d'officier de police judiciaire, et l'autre précisant à quelles conditions ces inspecteurs pourraient être habilités à exercer des missions de police judiciaire.
C'est un sujet à suivre dans les mois qui viennent. Les décret doivent être rédigés conjointement par les ministères de la justice et de l'environnement - avec les joies bien connues des relations entre ministères... Ce n'est pas un hasard si les textes tardent à venir : les inspecteurs qui seront habilités officiers de police judiciaire et qui pourront mener, par exemple, des perquisitions sont des fonctionnaires très éloignés de l'univers des enquêtes judiciaires. Notre commission ne manquera pas d'être attentive à ce dossier.
S'agissant des dispositions diverses, il manque un ou deux textes d'application, mais ils devraient être rédigés rapidement.
Monsieur le président, votre groupe était très opposé à une disposition de la loi Macron qui confiait la gestion de la caisse de compensation par laquelle les grandes études notariales urbaines aident les petites études rurales non plus à la profession, mais à une société de financement mixte, en vertu de règles fixées par l'Autorité de la concurrence. La loi de 2020 a complètement détricoté ces dispositions, et la profession a repris le contrôle de cette caisse.
Il ne reste qu'une disposition manquante concernant les commissaires de justice, dont nous savons que la mise en place est un peu laborieuse.
Mme Catherine Di Folco . - Monsieur le président, vous nous avez indiqué que le Gouvernement avait pris 27 ordonnances ; combien d'entre elles ont-elles été ratifiées ? Il serait utile de le savoir avant la séance avec le ministre...
M. François-Noël Buffet , président . - Nous regarderons ce point d'ici là.