ANNEXE
II
CONTRIBUTION DU GROUPE ÉCOLOGISTE, SOLIDARITÉ
ET
TERRITOIRES
À la suite du dramatique accident dont a été victime Morgan Keane en 2020, l'association Un jour un chasseur a usé du droit de pétition mis en place par le Sénat. Avec plus de 120 000 signatures récoltées en quelques semaines, le Sénat a mis en place une mission commune d'information relative à la sécurisation de la chasse.
Le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires, tient en premier lieu à remercier Mme la Présidente et M. le Rapporteur qui ont mené les travaux de cette mission dans une atmosphère sereine, alors que le débat pouvait s'annoncer passionné sur ce sujet particulièrement sensible, qui divise l'opinion publique et qui attendait des réponses concrètes.
Si nous pouvons trouver dans ce rapport un certain nombre de préconisations intéressantes, l'ensemble reste malheureusement en deçà des attentes exprimées par les pétitionnaires et par une majorité de nos concitoyen.n.e.s. Nous aurions en effet souhaité que ce rapport porte des ambitions plus fortes, ne se limite pas au seul volet « sécurisation de la chasse » au sens strict et qu'il porte les sujets essentiels du partage des milieux naturels et de la lutte contre la prolifération du grand gibier.
La chasse au XXIème siècle ne peut être acceptée que si elle a un sens partagé et est régie par un ensemble de règles garantissant la sécurité des usagers de la nature.
Nous souhaitons par cette contribution, préciser les mesures que nous aurions souhaité voir apparaitre dans ce rapport et que nous continuerons à porter dans les débats qui ne manqueront pas de se tenir dans les semaines à venir.
En ne retenant pas la possibilité d'instaurer nationalement des jours sans chasse, la mission passe hélas, et de manière incompréhensible, à côté d'une disposition fortement attendue, qui aurait pu représenter une mesure d'ouverture et de compromis à même de mieux faire accepter la pratique de la chasse.
Dans le domaine de la sécurité routière, la séparation des flux permet d'éviter de nombreux accidents et contribue à l'apaisement sur le domaine public (piétons sur les trottoirs, cyclistes sur les pistes cyclables et automobilistes sur la chaussée). Dans le cadre de la chasse cette séparation spatiale est difficilement applicable. En effet, ni les balles, ni les nuisances sonores qu'elles impliquent ne s'arrêtent strictement à des frontières. Aussi, pour limiter les risques d'accident et contribuer à un partage, il faut s'appuyer sur une séparation temporelle et non spatiale. C'est ce constat qui induit la création de jours sans chasse. Ces jours sans chasse doivent être en premier lieu des jours identiques décidés au niveau national, dans le but d'une vraie lisibilité pour nos concitoyen.n.e.s. Aussi, la proposition n° 28 d'une simple mise en place d'un « cadre de dialogue qui permettra des adaptations locales concertées entre les acteurs du territoire et de la nature » est très clairement insatisfaisante. Quid des zones frontalières entre départements ? Un cadre contraignant et national est indispensable, cette base commune pourra alors être élargie selon les contingences locales.
Sur le volet formation, nous saluons les propositions du rapporteur, néanmoins certaines auraient mérité d'aller plus loin. Si le permis actuel peut être vu comme étant rigoureux, aucune « police indépendante » n'existe actuellement pour vérifier la bonne application des gestes et consignes de sécurité. Si nous considérons que cela n'entre pas dans les compétences de la police municipale, nous saluons en revanche les propositions visant à donner aux agents de l'OFB des pouvoirs accrus en matière de police de la chasse. Cependant, il aurait été intéressant d'y ajouter les agents de l'ONF. En revanche, cette proposition ne pourra être mise en oeuvre si le gouvernement persiste à réduire les moyens humains et financiers de ces organismes publics, alors qu'il y a une nécessité impérieuse à les augmenter pour garantir le bon exercice de leurs missions.
La proposition de mettre en place une formation pratique décennale est indispensable, mais un pas de temps de 5 ans nous semblait plus pertinent. Nous aurions également souhaité proposer une limitation de la puissance des carabines, l'instauration d'un permis gradué selon le type d'arme et conditionner l'autorisation de l'usage de la carabine à un examen spécifique ne pouvant être passé que deux ans minimum après l'obtention du permis.
Enfin, la proposition n° 5 visant à généraliser le tutorat des jeunes permis lors de la première année de chasse et des chasseurs mineurs jusqu'à leur majorité confirme la possibilité pour un mineur de 16 ans de pouvoir chasser. Compte-tenu des récents événements, nous considérons, au même titre que pour le tabac, l'alcool, les jeux d'argent ou le permis de conduire, que la chasse devrait être strictement interdite aux mineurs.
Revenons sur la prolifération du grand gibier. Depuis près de cinquante ans, les plans cynégétiques mis en place par les fédérations de chasse ont eu pour objectif de favoriser l'accroissement de ces populations. Malheureusement, la gestion en bon père de famille de ce que l'on peut qualifier de « cheptel-gibier » pose aujourd'hui clairement problème. Comme le souligne l'anthropologue Charles Stepanoff dans son ouvrage77 ( * ), « Économiquement, les dédommagements automatiques reviennent à instaurer une sorte d'élevage en plein air des grands ongulés sauvages où les agriculteurs les nourrissent passivement de leur maïs pour le compte des chasseurs. [...] Avec l'élevage de la perdrix et du faisan, avec le nourrissage rémunéré des sangliers, avec l'utopie du gibier-produit, on voit que la politique de modernisation tente de faire entrer la chasse dans le paradigme de l'exploitation productive de la nature ».
Les données déclaratives des tableaux de chasse font état d'une augmentation forte et continue du nombre de sangliers, cerfs, et chevreuils. Les chasseurs étant investis d'une mission de régulation ainsi que de « la mise en valeur du patrimoine cynégétique départemental, à la protection et à la gestion de la faune sauvage ainsi que de ses habitats », il conviendrait d'évaluer si ces missions sont accomplies. Nous proposons donc la mise en place d'une commission d'enquête qui évaluerait les causes de cette prolifération galopante du grand gibier, au regard notamment de la mise en place des plans de chasse pour les cervidés, des chasses commerciales, de la préservation des femelles, ou encore de l'agrainage et de l'affouragement (dont l'objet qui est la protection des cultures est dévoyé).
Par ailleurs, les lâchers d'animaux sortis d'élevage, notamment les oiseaux, que l'on estime entre 15 et 20 millions par an, amènent indéniablement des tirs supplémentaires et accroissent donc l'insécurité et les risques d'accidents. Ces pratiques doivent être interdites.
La proposition n° 20 ne nous semble pas aller dans une volonté de consensus ou d'apaisement. Nous avons bien noté que la mission avait fait le choix de l'impasse sur toutes les chasses cruelles (chasse à courre, déterrage...), mais malgré cela, le rapport propose d'intégrer dans le code pénal un délit d'entrave. Alors que l'introduction du rapport précise que l'objectif de la mission « [n'était pas] d'entrer dans un débat pour ou contre la chasse », cette disposition qui vise clairement les associations dites anti-chasse dévoie l'objectif fixé initialement, et porte atteinte aux libertés.
De plus, nous tenons à insister sur les risques que posent certaines chasses en matière de sécurité. Ainsi, lors de la pratique de la chasse à courre, les animaux sont traqués par des chiens sur de longues distances, augmentant le risque d'accidents de la circulation routière en cas de traversée inopinée de routes. Les battues répétées ont également pour conséquence de provoquer des déplacements importants de gibier et donc des traversées de route sur une temporalité qui mériterait d'être étudiée. La sécurité liée à ces pratiques n'est pas abordée dans le rapport.
La technique plus généralisée de la traque-affût (proposition n° 18), limiterait ces mouvements. Elle présente également de nombreux avantages de par son côté moins invasif et sa plus grande efficacité. Elle doit être intégrée dans la formation et supplanter les chasses en battue chaque fois que cela est possible.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que faire part de notre déception à la lecture des propositions de ce rapport. Comme nous l'avons déjà indiqué, la décision de ne pas imposer nationalement de jours ou de demi-journées sans chasse laisse un goût d'inachevé à ce travail, tant cette disposition aurait permis une avancée majeure pour la société et un potentiel changement de regard sur l'activité de chasse et sur celles et ceux qui la pratiquent.
Parce que la sécurité et l'apaisement des tensions nécessitent des gestes forts, le groupe Ecologiste, Solidarité et Territoires, a voté contre ce rapport.
* 77 Charles Stépanoff, « L'animal et la mort. Chasses, modernité et crise du sauvage ». Ed. La Découverte (2021)