C. LE DEUXIÈME VERSANT DES COMPÉTENCES DE L'OFFICE : LA MISE EN oeUVRE DE LA POLITIQUE DE MÉMOIRE
1. Un Office responsable de l'entretien et de la valorisation du patrimoine mémoriel combattant
L'ONACVG est chargé d'entretenir et de valoriser les Hauts lieux de la mémoire nationale, les nécropoles et les carrés militaires . Il réalise cet entretien directement ou peut, pour les carrés militaires, le déléguer à des communes ou à un partenaire particulier : l'association le Souvenir Français.
a) Une politique directement dépendante des crédits votés au budget
La politique de la pierre a deux versants principaux : l'entretien du patrimoine mémoriel combattant : sépultures, nécropoles et hauts lieux de la mémoire nationale, et leur valorisation. Elle est directement liée au niveau de son financement, qui est la condition sine qua none de l'engagement et de la réalisation de travaux.
Aussi, si l'office à un rôle essentiel s'agissant de la mise en oeuvre de cette politique, l'ampleur de cette dernière est directement facteur du volontarisme politique exprimé en loi de finances . À titre d'exemple, la baisse significative des moyens consacrés aux actions de mémoire en 2019 et 2020 a été perçue et regrettée par les associations d'anciens combattants qui ont constaté un quasi-immobilisme lors de ces deux années s'agissant des actions mémorielles de l'ONACVG.
Actuellement, la politique de la pierre fait l'objet d'un financement volontariste du fait des soixante ans de la guerre d'Algérie et l'ONACVG doit lancer un programme de valorisation des Hauts lieux de la mémoire nationale de 8 millions d'euros sur 4 ans.
La politique de la pierre étant en large partie des travaux immobiliers, cette dernière est directement touchée par l'inflation actuelle . La direction de la culture, de la mémoire et des archives (DCMA) estime à 20 % le renchérissement du prix des travaux. Eu égard à la dépendance de l'ambition de cette politique à son financement, un renforcement de ce financement apparaît donc nécessaire pour le maintien de l'ambition portée par la programmation budgétaire initiale.
b) Des modalités d'entretien des sépultures militaires parfois complexes
L'entretien des sépultures militaire est réalisé à l'aide de partenaires : l'Office peut déléguer par convention l'entretien des sépultures militaires aux communes ou à un partenaire particulier : l'association « Le Souvenir Français » . Deux conventions ont été signées respectivement entre L'ONACVG et le Souvenir Français et entre l'État 21 ( * ) , l'ONACVG et le Souvenir Français.
En application des conventions signées avec le Souvenir Français, les rôles dans l'entretien des sépultures de militaires se répartissent comme suit :
- L'ONACVG réalise les travaux de restauration nécessaires sur les sépultures perpétuelles des carrés militaires . Il peut confier ces travaux par convention aux communes ou au Souvenir Français.
- Le Souvenir Français entretient les sépultures de militaires restituées à leur famille 22 ( * ) . Il conduit une veille mémorielle sur l'ensemble des sépultures perpétuelles situées dans les cimetières communaux , y compris ceux situés en Belgique. La veille mémorielle consiste en une visite régulière des sites, un recensement des défauts d'entretien et une valorisation des sites. Le Souvenir Français ne peut pas intervenir pour l'entretien courant ou la restauration des sépultures perpétuelles sauf dans le cadre d'une concertation avec l'ONACVG. Le Souvenir Français adresse chaque année au ministère des armées un bilan de son action de veille mémorielle. Ce document doit notamment « faire apparaître les manquements remarqués dans l'entretien des carrés. À cette fin, sont précisés les dégradations constatées, la vétusté des stèles, le manque d'entretien, etc. »
La distinction entre sépulture perpétuelle et sépulture de restitué est prévue par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Son article L. 522-1 prévoit que « Les militaires français et alliés morts pour la France en activité de service au cours d'opérations de guerre sont inhumés à titre perpétuel dans les nécropoles ou les carrés spéciaux des cimetières communaux. » . Cependant, les familles des militaires morts pour la France ont la possibilité de demander la restitution du corps et son inhumation dans le cimetière de leur choix. Dans ce cas, l'État est libéré de son obligation de fournir une sépulture perpétuelle et l'entretien de la sépulture relève du droit commun.
La distinction peut être rendue complexe dans le cas des carrés qualifiés de mixtes dans lesquels des sépultures perpétuelles et des sépultures de restitués coexistent 23 ( * ) . Dans le cadre d'un carré mixte, l'ONACVG est en charge de l'entretien des sépultures perpétuelles sans intervenir sur les sépultures des restitués. A contrario , le Souvenir Français interviendra sur les sépultures des restitués et devra réaliser une veille mémorielle pour les sépultures perpétuelles.
L'équilibre actuel apparaît satisfaisant du point de vue de l'Office et de l'administration. Cependant le Souvenir Français a deux griefs : Il ne comprend pas de ne plus pouvoir à intervenir sur des sépultures perpétuelles hors convention et se plaint de la quantité de rapports qu'il doit rendre.
Si le rapporteur spécial estime que la répartition actuelle des rôles est légitime, il souhaite aussi souligner que le Souvenir Français n'est pas une administration composée de fonctionnaires mais bien une association composée de bénévoles, et qu'à ce titre il ne lui paraît pas opportun de le soumettre à de telles obligations administratives.
Le rapporteur spécial appelle donc à une simplification des obligations déclaratives du Souvenir Français dans son rôle de suivi mémoriel.
Recommandation n° 1 : Simplifier les obligations déclaratives du Souvenir Français.
2. Un Office garant de la politique commémorative au niveau local
a) Une participation à la détermination de la politique mémorielle
La détermination de la politique mémorielle est une prérogative du Gouvernement. Cependant, le Président de la République joue en pratique un rôle direct et fort dans l'établissement de la politique mémorielle.
Le rapporteur spécial se saisit de cette remarque liminaire pour regretter que le Parlement ne se saisisse pas plus de ses compétences pour peser sur la détermination de la politique mémorielle de la France , estimant que cette dernière devrait s'établir dans le cadre d'un débat auquel la représentation nationale doit participer plus que de manière unilatérale les administrations.
Il appelle la représentation nationale à se saisir du sujet et à participer à la définition de la politique mémorielle en organisant des débats et en adoptant des résolutions en séance publique.
Pour en revenir à l'Office, ce dernier joue un rôle d'expert et de conseiller auprès du membre du Gouvernement en charge de la mémoire et des anciens combattants, notamment au travers de l'action du département de la mémoire et de la citoyenneté. Il exerce ce même rôle de conseil auprès des préfets ou des collectivités territoriales s'agissant de l'organisation des commémorations locales.
L'Office est ainsi à l'origine des différentes actions mémorielles entourant les politiques concernant les harkis et rapatriés d'Afrique du nord et notamment des expositions et interventions « histoire et mémoires de la guerre d'Algérie ».
b) Un acteur central et unificateur pour la mise en oeuvre locale de la politique mémorielle
Les cérémonies nationales sont organisées par la direction de la mémoire, de la culture et des archives et par le bureau du monde combattant et des commémorations du ministère des armées .
À ce titre, les associations mémorielles et les associations d'anciens combattants auditionnées par le rapporteur spécial regrettent la multiplication des journées commémoratives nationales, rappelant qu'il n'y avait que 6 journées commémoratives nationales jusqu'en 1993 et que 11 ont été rajoutées depuis cette date. La critique ne porte pas sur la pertinence ou l'opportunité de la commémoration mais sur une crainte de l'éparpillement des efforts et de l'attention liés aux commémorations, avec la crainte que « trop de commémoration ne tue la commémoration ».
Le rapporteur spécial estime que ces différentes cérémonies ont chacune leur raison d'être, et il lui paraît difficile d'en réduire le nombre sans offusquer ceux dont la mémoire est célébrée . Par ailleurs, il estime que les élus locaux et les préfets sont les plus à même de déterminer quelles cérémonies doivent être célébrées ou non à l'échelle de leur territoire .
L'ONACVG met en oeuvre la politique mémorielle déterminée par le Gouvernement dans les territoires . Ce dernier va notamment appuyer les préfets, maires et associations dans l'organisation de multiples cérémonies.
Il assiste ainsi à l'organisation d'un peu plus d'un millier d'actions mémorielle par an dont la plupart ont un versant commémoratif . De plus, dans ses actions en direction d'un public scolaire, l'Office réalise un travail en amont et en aval de la commémoration afin que cette dernière ne se limite pas à un simple « rituel laïque ».
Enfin, l'Office joue un rôle de lien et de coordinateur des différentes commémorations locales afin d'éviter une archipélisation des mémoires.
c) Un financement insuffisant de la politique commémorative locale
La grande majorité des crédits de l'opération stratégique « mémoire » 24 ( * ) du budget général de l'État est captée par les commémorations nationales. Ainsi, sur les 4,5 millions d'euros prévus par le budget 2022, 4,15 millions d'euros sont utilisés au niveau national et seuls 350 000 euros sont confiés à l'ONACVG pour animer la vie commémorative locale .
Sur ces 350 000 euros, 150 000 euros sont dédiés aux « subventions locales », 75 000 euros dédiés au concours national de la déportation et de la résistance, 10 000 euros reviennent au siège de l'Office et 115 000 euros sont transférés aux services départementaux. Ce budget est abondé à hauteur d'environ 300 000 euros par an par la collecte du Bleuet de France . Cette ressource dépend cependant directement des montants perçus par la collecte, qui peuvent varier d'une année sur l'autre.
S'agissant des subventions locales et des moyens mis à disposition des services départementaux, ces enveloppes ont vocation à être ventilées sur la totalité du territoire national. Les montants ainsi effectivement reçus par les bénéficiaires sont donc très faibles : à peine plus de 1 100 euros s'agissant des sommes perçues par les services départementaux .
Avec ces crédits, l'Office peut financer soit des actions en lien avec la mémoire (par exemple des travaux de rénovation d'un monument aux morts) ou des associations mémorielles ou citoyennes.
Les faibles moyens de l'Office ne se limitent pas seulement aux montants des subventions. Ses moyens humains sont également particulièrement restreints : le département de la mémoire et de la citoyenneté ne dispose que de 7 agents en central (directeur compris) et de 17 référents régionaux mémoire, qui ont la charge d'établir les budgets régionaux et de coordonner la politique mémorielle locale . Du fait de leur nombre réduit, certaines grandes régions, comme l'Occitanie et l'Auvergne-Rhône-Alpe ne disposent que d'un seul référent.
Le rapporteur spécial regrette les montants particulièrement faibles consentis par l'État à la politique commémorative locale et rappelle que le seul défilé du 14 juillet représente 7 fois plus de crédits que ce qui est consenti à l'ensemble du territoire pour une année entière. Le fait que l'un des 7 agents du département de la mémoire et de la citoyenneté soit spécialisé dans la recherche de subventions extérieures (auprès de personnes privées ou de collectivités territoriales) est à ce titre particulièrement révélateur.
Il souligne que les associations d'anciens combattants, mémorielles ou citoyennes peuvent également bénéficier de subvention de droit commun auprès du fonds de développement de la vie associative (FDVA). Au regard des fonds dont l'Office bénéficie pour subventionner ces associations, les aides de droit commun représentent un supplément bienvenu. Il appelle à une meilleure communication autour de ces subventions, trop méconnues des associations mémorielles ou d'anciens combattants.
Recommandation n° 2 : Réaffecter une partie des économies constatées sur les dépenses d'intervention de l'Office à la politique mémorielle locale. Organiser l'information par l'ONACVG des associations auxquelles il accorde des subventions des autres aides publiques auxquelles ces associations peuvent prétendre.
3. Une modernisation et une numérisation récente de la politique mémorielle
L'ONACVG déploie un versant numérique à sa politique mémorielle, à travers des expositions numériques 25 ( * ) ou une chaîne youtube 26 ( * ) . Cette modernisation prend également la forme d'apposition de QR code sur des lieux de mémoire, par exemple un monument aux morts, permettant d'accéder à des ressources historiques et pédagogiques liées au lieu en le scannant.
Cette modernisation passe également par un recours renforcé au numérique dans les hauts lieux de la mémoire nationale.
Le but recherché de ce plus grand recours au numérique est d'intéresser les jeunes.
Le rapporteur spécial salue ces initiatives. Il souligne cependant que l'impact de la présence physique sur un lieu de mémoire reste pour lui essentiel.
* 21 Représenté par le contrôleur général des armées Sylvain Mattiucci, alors directeur des patrimoines, de la mémoire et des archives du ministère des armées
* 22 Cette compétence n'est pas précisée par les conventions, il s'agit d'une mission que s'est attribué le Souvenir Français et l'État n'est pas tenu de l'entretien des sépultures des restitués.
* 23 A titre d'exemple : « Ce carré militaire recueille, sur une superficie de 814 m², les corps de 407 militaires pour la plupart morts de leurs blessures durant la Première Guerre mondiale : 396 Français, 1 Russe, 1 Bulgare (réparties sur les carrés n°30 et 35), et, 9 soldats du Commonwealth (anglais et australiens) tués dans le Morbihan lors de la Seconde Guerre mondiale (carré n°1). On dénombre 272 sépultures perpétuelles au sein de ce carré. Parmi les sépultures françaises, figure également une tombe collective (carré 30 rang 1, tombe 12) où reposent huit soldats du 35 e Régiment d'Artillerie morts le 28 avril 1901 dans l'incendie de leur cantonnement. » https://www.mairie-vannes.fr/histoire-des-cimetieres // Sources : ONACVG Office National des Anciens Combattants - Ministère des armées
* 24 De l'action 09 « politique de mémoire » du programme 169 « reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la nation ».
* 25 Par exemple : https://www.onac-vg.fr/une-exposition-numerique-sur-les-memoires-de-la-guerre-algerie.
* 26 https://www.youtube.com/channel/UCmQ3HwrZls62T0v4dguXQOg.