B. DÉTERMINER LE RÔLE DE L'OFFICE À LONG TERME

1. Deux tendances de court et moyen termes contradictoires pour le financement
a) Une tendance à court terme de réduction des moyens de l'Office justifiée par la baisse du nombre de ses ressortissants

Le rapporteur spécial souhaite souligner l'importance de la sanctuarisation des crédits des missions que doit mettre en oeuvre l'Office pour la durée du COP.

Ces derniers sont appelés à rester stables ou à augmenter.

S'agissant de la politique en faveur des rapatriés, les choix réalisés par la loi de février 2022 entraînent une augmentation des dépenses d'intervention ainsi qu'un surplus d'activité pour l'Office du fait de son rôle d'instructeur pour l'indemnité au titre de l'accueil indigne sur le territoire national des harkis et apparentés dans des camps ou hameaux de forestage, indemnité représentant pour l'Office 40 000 dossiers à traiter dont 20 000 déjà reçus.

La politique mémorielle, sur son aspect immobilier (Hauts lieux de la Mémoire Nationale, nécropoles et carrés militaires), est frappée de plein fouet par la très forte inflation touchant l'activité du bâtiment.

Enfin, les dépenses d'intervention liées à la mission de solidarité de l'Office ne devraient pas diminuer non plus malgré la baisse du nombre de ressortissants.

En effet, si la baisse du nombre d'anciens combattants est importante, tous les ressortissants ne demandent pas d'aides sociales. Sur environ 2 millions de ressortissants, l'Office aide financièrement environ 20 000 ressortissants par an. Or, il n'est pas certain que le nombre de ressortissants aidés baisse à due proportion du nombre de ressortissants.

Avec l'augmentation de l'âge des ressortissants restants, de plus en plus d'entre eux se trouvent dans des situations de grande dépendance, qui peuvent justifier des aides. La même remarque vaut pour les veuves de ressortissants, dont la proportion augmente et qui représentent une part importante de l'aide sociale de l'Office.

De plus, le nombre de pupilles a augmenté ces dernières années, pour atteindre 1 000 pupilles en 2022, qui représentent plus de 15 % du budget de solidarité de l'Office. Leur nombre va encore être amené à augmenter suite à l'introduction du statut de « pupille de la République », qui pourrait concerner 300 personnes.

Les nouveaux ressortissants, issus des OPEX, sont également beaucoup plus demandeurs des dispositifs de reconversion professionnelle, ce qui augmente les dépenses liées à ces dispositifs.

Ainsi, les effets de recomposition de la démographie des ressortissants compensent actuellement les effets de la baisse globale de leur nombre pour les montants nécessaires à l'action sociale de l'Office.

Aussi le rapporteur spécial salue la sanctuarisation du budget de solidarité de l'Office pour la période du COP et appelle à ce que les montants qui seront attribués après 2025 ne le soient pas qu'au seul regard du nombre global de ressortissants mais bien selon les besoins effectifs de ces derniers.

b) Une tendance à moyen terme d'augmentation des besoins matériels et humains de l'Office du fait de la monté en puissance de ses compétences mémorielles et de lien Armées-jeunesse

Deux tendances se dégagent : en premier lieu une baisse des charges liées au rôle historique de l'ONACVG de maison d'accueil des anciens combattants, s'expliquant par la démographie déclinante de ces derniers ; en second lieu le rôle de l'Office en tant que vecteur de mémoire et de la politique de liens avec la Nation se renforce considérablement, ainsi que le lien que l'Office entretient avec les Armées.

Dans le même temps, les besoins liés à la politique de la pierre restent stables.

La trajectoire du financement de l'Office est actuellement liée à son rôle historique et est ainsi en baisse.

Cependant, le développement du rôle de l'Office en matière de mémoire et de lien avec la Nation a été permis par ses atouts : une expertise unique pour la mémoire combattante de la France et un maillage territorial dense.

Ainsi, à moyen terme devra se poser la question du croisement des courbes : quand les besoins liés au rôle historique de l'ONACVG baisseront sous ce qui est nécessaire pour la bonne mise en oeuvre des politiques mémorielles, la trajectoire budgétaire de l'Office sera-t-elle indexée sur son rôle de maison d'accueil des anciens combattants ou sur son rôle de vecteur privilégié de la politique de mémoire ?

2. Un office à l'avenir plus concentré sur la mémoire et la transmission

Face à la disparition des anciens combattants eux-mêmes, l'Office semble devoir à terme se tourner vers un rôle de conservateur et de relais de la mémoire combattante. Ce changement de rôle entraînerait plusieurs conséquences.

a) Les évolutions possibles de l'Office : une fonctionnarisation ou un renforcement du rôle mémoriel conservant le modèle paritaire actuel

La disparition progressive des anciens combattants va laisser un vide tant dans la gouvernance de l'Office que dans sa raison d'être, qui est historiquement d'apporter un soutien à ces derniers. Bien que l'Office devra encore apporter assistance à près de 500 000 ressortissants jusqu'en 2100 au moins, ce nombre est à comparer aux 2 000 000 de ressortissants actuels, nombre suffisamment bas pour restreindre les services de l'Office au strict minimum en termes de personnels.

De plus, le système de contrôle paritaire du conseil d'administration de l'ONACVG repose largement sur la très forte représentation des associations d'anciens combattants : 15 des 31 membres du conseil d'administration sont ainsi actuellement des représentants des associations d'anciens combattants, auxquels s'ajoutent 6 représentants d'associations mémorielles et citoyennes.

Deux évolutions paraissent plausibles.

Dans le premier cas, l'Office reste organiquement lié aux anciens combattants et sa taille continue de diminuer avec leur nombre. À terme, son réseau territorial sera remis en cause. Si le service aux anciens d'OPEX est considéré comme la finalité de l'Office, alors ce redimensionnement pourrait avoir lieu dès 2035-2040 selon les estimations actuelles de la direction.

De plus, la moindre implication des anciens d'OPEX dans des associations d'anciens combattants à représentativité nationale entraînerait une baisse significative du poids de ces associations et, par voie de conséquence, une augmentation du poids de l'administration dans la gouvernance de l'ONACVG. Ainsi, il y aurait une « fonctionnarisation » de la mission de reconnaissance et réparation en faveur des anciens combattants.

La réduction des moyens et du réseau de l'Office entraînerait de fait une limitation des missions mémorielles territorialisées que l'Office peut avoir comme mission de mettre en oeuvre. En particulier, son rôle de relais territorial pour la direction du service national et de la jeunesse serait directement remis en cause, de même que son rôle de « référent commémoration et mémoire » auprès des autorités déconcentrées et décentralisées.

Ce scénario à l'avantage de dégager des économies sur les prochaines décennies.

Il a cependant pour conséquence l'abandon de l'acteur principal de la mise en oeuvre territoriale de la politique mémorielle. La mission de proximité de l'Office à l'égard d'anciens combattants souffrant potentiellement de blessures physiques ou psychiques risquerait également d'être remise en cause. La fermeture d'antennes de l'ONACVG renforcerait également la désertification militaire du territoire : dans les départements n'accueillant plus de régiment, l'Office est la seule présence militaire avec le délégué militaire départemental. Enfin, le rôle de l'Office d'assurance envers les militaires qu'une entité publique existe pour leur témoigner la reconnaissance de la Nation et leur venir en aide en cas de nécessité après leur engagement serait durablement remis en cause.

Dans le second cas, l'ONACVG effectuerait une transition entre un Office principalement intéressé par la réparation vers un Office principalement intéressé par la mémoire et continuant d'exercer la mission de réparation. Cette transition se justifierait par la place de plus en plus importante que prend déjà au sein de l'ONACVG la mission de mémoire, illustrée par la création d'un département de la mémoire et de la citoyenneté au sein de l'Office il y a 20 ans. Plusieurs éléments justifieraient une telle évolution : l'Office dispose de l'expertise et du réseau pour mettre en oeuvre une politique dont elle a au final déjà la charge mais qui pourrait être amenée à évoluer et qui connaît ces dernières années une impulsion nouvelle, comme l'illustre par exemple la Journée Défense et Mémoire que doit inclure le Service national universel.

b) Une évolution du monde combattant plaidant pour un ONACVG se concentrant plus sur la mémoire et la transmission

En l'état actuel, les témoins directs de la Première Guerre mondiale ont disparu, les derniers témoins directs de la Seconde Guerre mondiale sont en train de disparaître et les témoins directs des conflits d'Indochine et d'Algérie seront amenés à disparaître au cours des prochaines décennies.

Jusqu'à présent, la transmission mémorielle se réalisait spontanément, du fait de l'action des associations d'anciens combattants. Cependant, du fait de la disparition des anciens combattants et du tarissement des actions de leurs associations, cette transmission spontanée de la mémoire combattante est vouée à disparaître à moyen terme. Aussi, sauf à assumer la disparition de la mémoire combattante, une intervention de la personne publique sera nécessaire pour continuer de conserver et transmettre la mémoire combattante.

La problématique se pose dans des termes différents pour la génération OPEX, qui n'est pas vouée à disparaître à moyen terme. Cependant, il y a dans ce cas non pas une mémoire des OPEX mais des mémoires des OPEX, portées par des amicales régimentaires et un tissu associatif morcelé. Aussi, dans ce cas également, une transmission large est rendue difficile voire impossible sans une intervention publique.

L'ONACVG apparaît dans ce cadre comme l'opérateur par défaut pour tenir ce rôle : l'Office l'exerce déjà à travers la valorisation des Hauts lieux de la mémoire nationale, il dispose d'un lien historique et privilégié avec la mémoire combattante, les associations d'anciens combattants et les associations mémorielles et il dispose d'un réseau territorial dense permettant une montée en puissance de cette fonction. Il faudrait cependant dans ce cas accompagner la montée en puissance de moyens, humains comme matériels, supplémentaires, l'Office étant actuellement clairement sous-dimensionné pour mettre en oeuvre par lui-même une politique mémorielle dense sur l'intégralité du territoire national.

c) Les conséquences d'une telle évolution

Plusieurs conséquences pourraient découler d'une telle évolution :

- une évolution des équilibres internes de l'Office : 3 des 4 départements métiers actuels portent sur la réparation et un unique département sur la mémoire.

- une évolution de la composition du conseil d'administration de l'Office, avec une plus forte représentation des associations mémorielles et une représentation envisageable de l'Université. Une représentation des corps de gendarmerie et de sapeur-pompiers susceptibles de devenir ressortissant pourrait également être envisagée.

- le réseau départemental devrait de fait être conservé ;

- les moyens, actuellement très faibles, attribués aux actions de mémoire dites « pédagogiques » ou à destination des jeunes devraient être significativement renforcés. Cependant cette augmentation serait largement compensée par la baisse de dépenses réalisées en faveur des anciens combattants, dont la disparition justifie une plus forte action publique.

Le rapporteur spécial estime que l'hypothèse d'un Office reconverti vers sa mission mémorielle est l'option préférable. Dans tous les cas, les négociations du COP représenteront un rendez-vous essentiel pour la détermination de l'avenir de l'Office et partant de là, des politiques mises en oeuvre par l'ONACVG. Le rapporteur spécial souhaite que la représentation nationale et le monde associatif combattant et mémoriel soient associés à ce débat, sur le modèle du groupe de travail tripartite sur l'évolution du point d'indice PMI.

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