Réponse de Catherine Champrenault

Merci, Madame la Présidente.

Je sors quelques notes, car je suis personnellement très touchée et honorée de me voir remettre ce prix. Surtout, cette oeuvre, ce rapport, est un travail collectif. Nous l'avons mené pendant dix mois avec une équipe permanente de seize magistrats, fonctionnaires de la police judiciaire ou des ministères de la santé et des affaires sociales, des travailleurs sociaux, des médecins, et bien sûr, le monde associatif.

Ce prix, je le partage avec l'équipe que nous avons formée en 2020 et 2021. Nous voulions explorer toutes les facettes du drame qu'est la prostitution des mineurs. Nous avons pu entendre 150 personnes issues de milieux et de mondes différents, ayant des responsabilités différentes.

Notre rapport a été remis au ministre de l'Enfance, Adrien Taquet, fin juin 2021. Il résulte d'une réflexion collective entre les partenaires institutionnels que sont la Justice, la Police, la Gendarmerie, la Santé et l'Éducation, des travailleurs sociaux, mais aussi et surtout le monde associatif. Ces associations spécialisées dans le contact des jeunes prostitués ont pu nous décrypter les problématiques, leur psychologie, les réticences de ces jeunes prostituées par rapport à l'autorité. Elles n'ont pas le réflexe de porter plainte. Elles n'ont, pour la plupart, pas le sentiment d'être victimes de ce qui est pourtant une exploitation sexuelle ayant pour unique but de faire gagner à leurs organisateurs, des proxénètes, des profits substantiels.

Nous avions fait au parquet général de Paris, avec le procureur de la République, de la lutte contre ce fléau une priorité. Pourquoi ? Les procureurs de la République de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, de Créteil ou de l'Essonne, notamment, nous ont signalé que les affaires de proxénétisme qu'on dit « de cité » augmentaient de façon très inquiétante. Pourtant, les enquêteurs rencontraient d'énormes difficultés pour percer ces réseaux - souvent de mini-réseaux. La plupart du temps, les victimes ne participent pas aux enquêtes. Par ailleurs, tout se passe sur les réseaux sociaux, de façon tout à fait dissimulée. Ces professionnels, au contact des réalités de terrain et des enquêtes, nous ont alertés sur ce phénomène qu'il fallait envisager de combattre avec beaucoup d'énergie.

Ensuite, dans le groupe de travail, ce sont les travailleurs sociaux et les associations spécialisées qui nous ont décrit les problématiques de ces jeunes filles - 90 % des prostituées sont des jeunes femmes. Nous le savons, malheureusement, la majorité d'entre elles sont tombées dans la prostitution car elles ont subi tant de violences, au sein de leur famille, dans le milieu scolaire ou ailleurs, qu'elles ont pu considérer que celle-ci était un mode de vie.

Je salue particulièrement Arthur Melon, de l'Association contre la prostitution des enfants (ACPE), qui nous a été précieux pour nous éclairer sur ce phénomène.

Ces acteurs nous ont également fait part de la sidération des acteurs sociaux devant le discours provocateur des adolescents, qui sont souvent très peu conscients d'être exploités par leurs proxénètes et leurs clients.

Aussi, la prévention tertiaire, celle que nous devons aux jeunes déjà tombés en prostitution, passe par exemple par le soin. Il sera souvent le vecteur le plus pertinent pour créer un lien avec le jeune, avant le droit, avant la loi, et, évidemment, bien avant la morale. Nous avons notamment compris, avec les partenaires du corps médical, qu'il valait mieux parler à un jeune de ce qui est bon pour lui, plutôt que ce qui est bien pour lui. Nous avons essayé de promouvoir ce levier dans nos travaux et nos préconisations.

Enfin, la centaine de nos préconisations vise toutes les étapes du développement de l'enfant, et l'ensemble de ses interlocuteurs. D'abord, les parents, qui doivent être mieux accueillis qu'ils ne le sont encore dans les commissariats et gendarmeries. Ensuite, l'ensemble du corps enseignant et de la communauté éducative qui doivent mettre en place des actions préventives adaptées à chaque âge, avec le soutien des partenaires extérieurs à la famille ou à l'école. En effet, il ne faut pas dire que nous ne devons pas parler de prostitution aux enfants. Ils connaissent déjà ce fléau, par les réseaux sociaux. Il peut être une tentation, tant les profits apparaissent énormes et sans commune mesure avec le budget des familles. Ainsi, des actions de formation sont nécessaires, en amont et à tous les âges du développement de l'enfant.

Nous avons également envisagé l'indispensable formation des professionnels, avec le concours d'interlocuteurs pluridisciplinaires. Si je devais résumer le vecteur et le viatique de nos travaux, je parlerais en effet de la pluridisciplinarité pour mieux comprendre, mieux protéger, mieux informer, et mieux prendre en charge.

Je suis ravie que ce prix me soit remis, mais j'avais déjà reçu une récompense : le grand bonheur de présider ce groupe de travail. Vous avez parlé d'engagement. J'ai rencontré bon nombre de personnes engagées, qui avaient pour véritable volonté de se mobiliser contre ce fléau. Au sein du groupe de travail composé de seize personnes ainsi qu'avec les 150 personnes interrogées, les consensus ont été trouvés extrêmement rapidement.

À une époque où les femmes, à raison, ne veulent plus subir en silence les violences et agressions sexuelles, la prostitution des mineurs, qui est une violence sexuelle, peut apparaître paradoxale. Notre travail a visé à appeler tous les adultes, membres de la communauté éducative, responsables d'Internet - je salue à ce sujet le travail remarquable initié par le Sénat sur l'industrie de la pornographie - et professionnels de l'enfance à la mobilisation, chacun à son niveau. Ils doivent aussi connaître les autres acteurs de la prévention, riches, qui peuvent les aider à vaincre la solitude de ce fléau. Ce dernier est en effet assez atypique et déconcertant.

Nous avons cherché à ce que celles que l'on appelait au XXe siècle les « filles perdues » puissent être retrouvées et protégées, mais aussi à ce qu'elles se retrouvent en tant que femmes et jeunes femmes libres. Pour cette ambition collective, je suis très honorée de ce prix, que je partage avec mes collègues. Il nous encourage à rester vigilants et actifs dans ce combat.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci beaucoup. Il était important de vous entendre. Vos mots vont faire le lien avec le dernier prix que nous remettons aujourd'hui. Nous vous avons entendus, au sein de la délégation, et nous sommes rendu compte que vous aviez réalisé un travail très important sur la prostitution des mineurs. Laurence Cohen et Laurence Rossignol nous ont alors persuadées de travailler sur le thème de la pornographie. Les constats tirés sur ce sujet ont dépassé tout ce que nous pouvions attendre de cette industrie effroyable. Au travers de nos travaux, nous avons réalisé que les notions de prostitution, de pornographie et de proxénétisme présentaient une porosité certaine.

J'invite désormais Céline Piques de l'association Osez le Féminisme !, Claire Quidet du Mouvement du Nid et Claire Charlès des Effronté.es, à me rejoindre. Je propose par ailleurs à Laurence Rossignol et Laurence Cohen de se joindre à nous, puisque nous avons mené ce travail ensemble, avec Alexandra Borchio Fontimp, qui n'a malheureusement pas pu être parmi nous ce soir.

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