B. UNE NOUVELLE APPROCHE PROFESSIONNELLE DAVANTAGE TOURNÉE VERS LA CRIMINOLOGIE
Au-delà de l'évolution des effectifs et des changements statutaires, les personnes entendues par les rapporteurs ont souligné qu'une mutation s'était opérée, depuis une vingtaine d'années, dans les pratiques professionnelles des SPIP, afin de mieux prendre en compte les apports de la recherche en criminologie .
1. La volonté de tirer parti des apports de la recherche
Comme l'a expliqué aux rapporteurs le sociologue Christian Mouhanna, les SPIP, au moment de leur création, comptaient principalement dans leurs effectifs des assistantes sociales et des éducateurs de prison, dont l'activité relevait du champ du travail social. La situation a considérablement évolué sous l'influence de la recherche en criminologie, d'abord développée en Amérique du Nord puis acclimatée en France dans les années 2010.
Dès la fin des années 1970 est apparu au Canada le courant du « What works ? » qui cherche à évaluer l'efficacité des programmes de réhabilitation en s'appuyant sur des données scientifiques. Dans les années 1990, les chercheurs s'inscrivant dans ce courant ont élaboré un modèle de prise en charge des auteurs d'infraction, dénommé « Risques Besoins Réceptivité » (RBR), qui cherche à diminuer le risque de récidive. Ce modèle propose de commencer par évaluer le risque de récidive pour adapter en conséquence l'intensité du suivi ; il invite le service de probation à agir sur les paramètres qui peuvent favoriser la récidive chez la personne condamnée (valeurs et représentations, fréquentations, addiction, formation, insertion professionnelle...) ; enfin, il souligne la nécessité d'adapter la prise en charge à chaque condamné, en tenant compte de sa personnalité, de sa capacité et de sa motivation.
À partir de la fin des années 1990, les recherches sur la désistance, qui désigne le processus de sortie de la délinquance, ont complété les travaux du courant « What works ? » en s'intéressant aux facteurs de l'arrêt des carrières délinquantes. L'agent de probation est invité à renforcer les points forts, les ressources et la motivation de l'auteur d'infraction, la qualité de la relation établie avec le probationnaire étant un solide point d'appui pour le désengagement de la délinquance.
Dans le prolongement des deux courants précédents, des chercheurs ont développé la notion de « Core Correctional Practices » qui insiste sur l'importance de la « manière de faire » de l'agent de probation, dont le discours et le comportement doivent encourager les comportements « pro-sociaux ». L'agent de probation doit aider l'auteur d'infraction à résoudre ses problèmes, en lui expliquant comment faire et en mobilisant des partenaires.
2. La diffusion de nouvelles pratiques professionnelles
La diffusion en France de ces avancées de la recherche en criminologie, et des pratiques professionnelles qui en découlent, s'est opérée progressivement.
La circulaire de la DAP n° 113/PMJ1 du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d'intervention des SPIP a marqué une étape importante en inscrivant pour la première fois la prévention de la récidive comme finalité de l'action des SPIP . Elle préconise de procéder d'abord à un diagnostic de la situation de la PPSMJ avant d'élaborer un programme de prévention de la récidive (volet criminologique) et un programme d'insertion (volet social).
La conférence de consensus sur la prévention de la récidive, organisée par le ministère de la justice au début de l'année 2013, a également contribué à mettre cet objectif au centre de l'attention des pouvoirs publics et a mis en évidence le rôle positif de la probation. Les conclusions de la conférence de consensus invitaient à un « renforcement conséquent des moyens dédiés aux services, dont les effectifs devront se rapprocher des normes européennes en la matière ».
C'est cependant le premier Répertoire des pratiques opérationnelles (RPO 1), déployé dans les SPIP à partir de 2018, qui a détaillé avec le plus de précision les pratiques et les savoirs mis en oeuvre par les professionnels, en faisant le lien entre les connaissances théoriques et les méthodes de travail. Contenant trame d'entretien, guide d'évaluation et modèle de rapport, le RPO 1 a favorisé une homogénéisation et une normalisation des pratiques professionnelles .
Si certains observateurs, comme Christian Mouhanna, ont pu regretter l'apparition d'un suivi trop standardisé, la plupart des interlocuteurs entendus ont estimé que ces évolutions avaient contribué à structurer le travail des SPIP et à harmoniser les pratiques. Les professionnels perçoivent le gain qu'ils peuvent retirer de la mise en oeuvre de solutions fondées sur les acquis de la recherche en termes d'efficacité. L'ancrage dans la criminologie permet aussi d'affirmer l'originalité du métier de la probation, qui ne constitue pas une simple déclinaison du travail social auprès d'un public particulier.
3. Une acculturation progressive
L'accent nouveau mis sur la criminologie a toutefois rencontré des résistances chez les professionnels les plus anciens, attachés à leur identité de travailleur social.
Ancienne directrice de l'administration pénitentiaire, Isabelle Gorce a souligné auprès des rapporteurs à quel point la rédaction du RPO 1 avait représenté un tournant, voire une « révolution intellectuelle » pour des CPIP désormais invités à s'intéresser aux ressorts personnels du délinquant. Dans sa contribution écrite adressée aux rapporteurs, l'Observatoire international des prisons (OIP) souligne des « différences de pratiques professionnelles et de philosophie entre les CPIP de différentes générations : les nouvelles se perçoivent davantage comme des psychologues-criminologues, les anciennes se qualifient plus volontiers de « travailleurs sociaux » et regrettent que la réalisation de rapports toujours plus nombreux empiète sur le temps d'entretien ».
Le recrutement des CPIP a évolué en cohérence avec ces nouvelles orientations, donnant plus de place aux juristes , parfois sensibilisés à la criminologie au cours de leurs études, au détriment des profils d'assistant de service social ou d'éducateur. Il en résulte la coexistence de différentes cultures professionnelles qui donne l'image d' un corps des CPIP encore en transition .
L'École nationale de l'administration pénitentiaire (Enap), qui forme l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire, a adapté ses enseignements pour donner plus de place à la criminologie ainsi qu'à la psychologie. Dès leur première année de scolarité, les futurs CPIP sont formés à la conduite des entretiens, à la rédaction de rapports et aux techniques d'évaluation. La criminologie leur donne des outils pour faire évoluer la personne, repérer ses points forts et ses blocages, tandis que la psychologie les aide à mieux comprendre les mécanismes de construction de la personnalité, les pathologies présentes en milieu carcéral ou encore les méthodes de prise en charge.
Plusieurs interlocuteurs, par exemple Isabelle Gorce et l'universitaire Martine Herzog-Evans, ont proposé de prolonger la transformation du métier de CPIP en les déchargeant des tâches d'animation socioculturelle réalisées en prison, ce qui leur permettrait de se concentrer encore davantage sur la prévention de la récidive.
Les activités socioculturelles, souvent organisées en partenariat avec des associations, revêtent des formes variées : séances de cinéma, ou ateliers d'écriture, jeux de sociétés, pratiques artistiques... Elles sont conduites dans un but de resocialisation de la personne incarcérée. Lors de leur déplacement à l'établissement pénitentiaire des Baumettes, les rapporteurs ont notamment observé le partenariat mis en place entre le SPIP et l'association Lieux fictifs, qui réalise des courts-métrages donnant l'occasion à la personne détenue de réfléchir à son parcours et favorisant l'acquisition de compétences techniques. La présence d'un coordinateur culturel dans certains SPIP constitue un véritable atout pour développer ces actions et faire le lien entre les intervenants, l'administration pénitentiaire et les détenus.
Dans l'absolu, la réalisation des activités socioculturelles pourrait être confiée aux directeurs des services pénitentiaires, qui continueraient à les faire vivre avec des partenaires extérieurs, tout en donnant plus de place pour leur organisation aux surveillants et à des personnels dédiés.
Toutefois, il peut y avoir une certaine cohérence à conserver ces activités au sein des SPIP, qui ont besoin d'une palette d'outils variés pour atteindre leurs objectifs : en favorisant les liens avec l'extérieur, en ouvrant les condamnés à de nouveaux horizons, les activités socioculturelles contribuent à la lutte contre la récidive et les exclure du champ de compétences des SPIP priverait peut-être ces services d'un levier d'action utile.