C. DES AMÉLIORATIONS À RECHERCHER DANS L'ORGANISATION DES SERVICES
Les auditions menées par les rapporteurs ont montré que le monde de l'insertion et de la probation était également traversé par un débat relatif à son organisation institutionnelle.
1. Des propositions de réforme institutionnelle en débat
Comme cela été indiqué, les SPIP dépendent actuellement d'une sous-direction de l'insertion et de la probation, qui fait partie intégrante de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP).
Cette organisation administrative n'est pas toujours jugée optimale : certains estiment qu'elle ne permet pas de donner au travail d'insertion et de probation toute la place qu'il mérite, en raison de la prédominance, au sein de l'administration pénitentiaire, des préoccupations tenant à la sécurité et au fonctionnement des établissements.
Lors des États généraux de la justice, le groupe thématique « justice pénitentiaire et de réinsertion », présidé par Isabelle Gorce, a ainsi plaidé en faveur de la création d'une agence de la prévention de la récidive et de la probation, rattachée à la DAP. L'agence jouirait d'une plus grande souplesse dans son organisation et dans son recrutement, d'un positionnement interministériel plus affirmé, d'un « décentrage » par rapport au poids de la gestion carcérale, enfin d'un accès à des fonds européens pour mener des expérimentations. Elle pourrait absorber l'actuelle agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle (Atigip). Dans les territoires, l'agence serait dotée de délégations régionales, qui seraient les interlocuteurs des directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP).
L'agence serait dirigée par un conseil d'administration, au sein duquel pourraient siéger les partenaires des SPIP, ce qui ne manquerait pas de renforcer leur implication dans cette politique partagée. Lui serait adjoint un conseil scientifique, ce qui favoriserait un resserrement des liens avec le monde de la recherche.
Toutefois, la proposition de créer une agence n'a pas été retenue dans le rapport définitif des États généraux de la justice, probablement en raison des interrogations qu'elle soulève : la création d'une agence, même si elle est liée à la DAP par une convention d'objectifs et de gestion, ne risque-t-elle pas de faire naître de nouveaux problèmes de coordination ? Des inquiétudes se sont également fait jour concernant le risque d'une moindre continuité de la prise en charge entre milieu fermé et milieu ouvert si une agence extérieure aux établissements pénitentiaire prenait en charge l'activité d'insertion et de probation.
Plus globalement, on peut s'interroger sur les effets de cette « agencisation » de l'État qui fait échapper toujours plus de services à l'autorité hiérarchique du ministre, ce qui pose question en termes de responsabilité et peut compliquer la conduite de politiques publiques cohérentes.
Une proposition alternative de réforme organisationnelle est défendue notamment par l'universitaire Martine Herzog-Evans : la création d'une direction de la probation à part entière, qui fusionnerait avec la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ).
Il est vrai que l'organisation de la prise en charge des mineurs délinquants diffère aujourd'hui de celle des majeurs. Une direction distincte de l'administration pénitentiaire, la DPJJ, est responsable de la prise en charge des mineurs en milieu ouvert et de leur accompagnement éducatif dans les établissements pénitentiaires, les éducateurs de la PJJ travaillant en collaboration avec le personnel pénitentiaire.
La création d'une nouvelle direction donnerait plus de visibilité, au sein du ministère de la justice, à l'activité éducative et de réinsertion. Les membres du personnel pourraient travailler auprès de mineurs comme de majeurs, ce qui favoriserait la continuité dans les parcours de prise en charge et offrirait plus de diversité dans les parcours de carrière.
Si ces réflexions sont stimulantes, les rapporteurs ont toutefois observé qu'elles étaient peu présentes, voire absentes, des échanges qu'elles ont eues avec les organisations représentatives des CPIP, des DPIP ou des magistrats. Sans doute perfectible, l'organisation institutionnelle actuelle ne semble pas préoccuper les professionnels de terrain ni être perçue comme un frein à leur action.
Il convient cependant d'affirmer plus nettement la dimension interministérielle de la politique de réinsertion des PPSMJ. En mars 2022, le garde des sceaux, la ministre du travail et la ministre déléguée à l'insertion ont signé une feuille de route visant à accompagner la réinsertion professionnelle des personnes placées sous main de justice, ce qui est une bonne initiative. Cette feuille de route vise à développer les compétences des PPSMJ, mineures comme majeures, par la formation, le travail et l'accompagnement à la réinsertion. Cette action conjointe entre ministères mérite d'être encouragée et déclinée à l'échelon territorial. Le travail entre ministères ne doit pas dépendre des bonnes volontés rencontrées localement mais être systématisé.
2. Une structuration à poursuivre
Comme cela a été indiqué, la diffusion du RPO 1 dans les services a contribué à harmoniser les pratiques. Cet effort de structuration de l'action des SPIP mérite d'être poursuivi, en veillant à ne pas tomber dans l'écueil de la bureaucratisation ou d'un contrôle trop tatillon qui stériliserait les capacités d'initiative et l'innovation.
Dans le courant de l'année 2022, la DAP a diffusé auprès de ses services déconcentrés le RPO 2, consacré à la formation et aux compétences des personnels intervenant en SPIP. Elle a en parallèle poursuivi la rédaction du RPO 3, relatif au fonctionnement et à l'organisation des services, en lien avec l'élaboration des organigrammes de référence. Elle a enfin engagé les travaux pour l'élaboration du RPO 4 consacré au pilotage et à l'évaluation de l'activité des SPIP.
Les SPIP seront ainsi très prochainement dotés de référentiels complets sur lesquels assoir leurs pratiques professionnelles et leur organisation partout sur le territoire.
Un autre vecteur de modernisation réside, dans l'administration pénitentiaire comme dans les services judiciaires, dans l' amélioration des outils informatiques . Sur ce point, il convient d'être attentif au déploiement annoncé pour le courant de l'année 2023 de la nouvelle application Prisme (Probation Insertion Suivi Mesure Évaluation), développée depuis 2019 et qui a vocation à remplacer l'application APPI (Application des peines, probation et insertion) que les SPIP utilisaient depuis une vingtaine d'années.
Cette nouvelle application poursuit plusieurs objectifs : améliorer l'évaluation de la situation des PPSMJ, fluidifier et accélérer le partage d'informations, augmenter la fiabilité des données, permettre davantage d'extractions de données pour produire des statistiques locales et nationales. L'application permettra de centraliser les informations fournies par les partenaires des SPIP.
Le calendrier des travaux des rapporteurs ne leur a pas permis de s'intéresser au déploiement de Prisme et à ses retombées sur le travail des personnels mais il s'agit d'un point qui pourra faire l'objet d'évaluations ultérieures, par exemple à l'occasion de l'examen des crédits de la mission « Justice » dans le projet de loi de finances.
Un autre axe de transformation auquel les rapporteurs sont sensibles et celui du renforcement des liens entre les SPIP et le monde de la recherche . Le fait que les travaux universitaires qui ont influencé les pratiques professionnelles depuis une vingtaine d'année proviennent, pour l'essentiel, des pays anglo-saxons témoigne du retard qu'accuse la recherche française dans ce domaine.
Martine Herzog-Evans a témoigné faire partie d'un groupe de 250chercheurs qui travaillent au Royaume-Uni avec le ministère de la justice et elle a souligné l'absence en France d'une organisation équivalente. Il en résulte un manque d'études à la méthodologie rigoureuse permettant d'évaluer les effets de telle peine ou de telle mesure d'aménagement sur la récidive. De surcroît, l'administration pénitentiaire publie peu de statistiques sur lesquelles les chercheurs pourraient baser leurs travaux.
Ce retard s'explique aussi historiquement par le manque d'intérêt de l'université française pour la criminologie. C'est donc un chantier de longue haleine qu'il faut engager entre la DAP et des universités partenaires pour développer ce domaine de recherche, dont les conclusions constitueraient un précieux outil de pilotage pour l'administration pénitentiaire.
Proposition n° 4 : Développer les partenariats entre l'administration pénitentiaire et l'université afin de mener des travaux de recherche tendant à mieux évaluer l'efficacité des sanctions pénales et de la probation.
3. Une performance à replacer dans le contexte plus général de la politique pénale
Si les rapporteurs n'ont pas étudié la politique pénale en tant que telle, il leur paraît indispensable de souligner que l'investissement consenti par la Nation dans les SPIP ne pourra porter complètement ses fruits que s'il s'adosse à une politique pénale cohérente.
À cet égard, l'inflation du nombre de détenus, qui se rapproche des plus hauts historiques, constitue un motif de préoccupation : même mieux dotés, les SPIP se trouvent en difficulté pour assurer un suivi de qualité dans des établissements surpeuplés. Dans certains établissements, comme à Bordeaux-Gradignan, le taux d'occupation est supérieur à 200 % ; or les effectifs des services pénitentiaires sont établis sur la base de la capacité théorique des prisons, non sur le nombre de détenus réellement accueillis.
Les personnes entendues ont en particulier attiré l'attention des rapporteurs sur le problème posé par les personnes détenues pour de courtes peines : il est très difficile pour le SPIP, surtout dans une maison d'arrêt surpeuplée, d'entamer pendant la durée d'une courte peine un travail efficace de prévention de la récidive.
Il conviendra donc de mener rapidement une réflexion sur les effets du « bloc peine », expression qui fait référence aux articles de la loi du 23 mars 2019 qui ont réformé le régime des peines. Alors que le « bloc peine » avait pour objectif de réduire le recours aux courtes peines d'emprisonnement, pour privilégier les alternatives à l'incarcération, le bilan que l'on peut ébaucher après quatre années d'application paraît décevant. À ce sujet, le rapport du comité des États généraux de la justice, dit rapport « Sauvé », indique que « si, depuis la loi du 23 mars 2019 et son dispositif de « bloc peine », le recours à la peine d'un mois d'emprisonnement ferme est proscrit et le prononcé de peines comprises entre un mois et six mois moins fréquent, la part des peines d'emprisonnement ferme comprises entre six mois et un an a en parallèle augmenté, faisant ainsi apparaître un allongement de la durée moyenne des courtes peines prononcées par les tribunaux correctionnels ». Les courtes peines d'emprisonnement contribuent ainsi toujours de manière importante à la surpopulation carcérale.
Le rapport Sauvé n'appelle pas à une réforme immédiate du « bloc peine », considérant qu'il est encore trop tôt pour en dresser le bilan définitif, mais la question reviendra sans nul doute bientôt en débat.