III. DES POINTS DE VIGILANCE QUI IMPLIQUENT UN SOUTIEN BUDGÉTAIRE RENFORCÉ

A. PRÉSERVER L'ATTRACTIVITÉ DE L'IRSN : FAIRE FACE AUX DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT DE PERSONNELS

1. Des difficultés de recrutement croissantes accentuées par le différentiel de rémunération avec le secteur privé

Les problématiques de recrutement des salariés sont assez récentes pour l'IRSN. Sur la période 2013-2021, le niveau d'exécution global varie entre 98 % et 100 %, avec un dépassement du plafond d'emplois en 2020.

Il n'en va pas de même en 2022, où les tensions sur le marché de l'emploi dans un contexte de relance du secteur ont conduit à un taux global d'exécution de 95 % des emplois, soit 85 ETPT de moins par rapport aux autorisations budgétaires, ce qui représente de l'ordre de 5 % des effectifs. Le taux de réalisation des emplois hors plafonds chute même en 2022 à 76 %.

Consommation des crédits de personnel

(en ETPT et en %)

Source : commission des finances d'après l'IRSN

La Cour des comptes notait en 2021 que le taux de rotation des effectifs salariés s'élevait à 10 % du fait d'un fort accroissement du nombre de démissions. Ces dernières ont triplé entre 2017 et 2019. L'augmentation du taux de rotation est brutale : il était de seulement 4 % au cours des années précédentes et 6,5 % en 2020.

La principale explication de la baisse d'attractivité de l'Institut est sa faiblesse par rapport à la concurrence du secteur privé, en particulier s'agissant des rémunérations. La relance du nucléaire annoncée au cours des dernières années se traduira par un besoin de recrutement de personnels très important, estimé entre 10 000 et 15 000 personnes par an à l'échelle de la filière, alors que le vivier a considérablement diminué36(*). La direction du groupe EDF a par exemple augmenté en 2022 de 10 %, soit 700 personnes, les effectifs de sa direction Ingénierie et projets nouveau nucléaire (DIPN). L'ASN, dont le personnel est beaucoup moins nombreux que l'IRSN, devrait obtenir près d'une vingtaine d'ETP supplémentaires entre 2022 et 2024.

Concernant uniquement l'IRSN, celui-ci devrait voir ses effectifs croître de 34 ETPT entre 2023 et 2027. Toutefois, le besoin exprimé en 2022 par l'Institut est bien supérieur, et s'élevait à 65 ETPT supplémentaires d'ici à 2024.

Effectifs supplémentaires demandés par l'IRSN

(en ETPT et en millions d'euros)

Source : mission flash interinspection 2022

Si les difficultés de recrutement sont généralisées au sein de la filière nucléaire, et concernent également les entreprises, celles-ci disposent de davantage de moyens pour attirer leurs salariés, et ont en outre l'avantage d'être très peu nombreuses dans le secteur de la sûreté nucléaire. Une étude commanditée par l'IRSN au cabinet Deloitte a mis en évidence un différentiel de salaire de l'ordre de 30 % entre les salaires proposés par l'IRSN et ceux d'EDF ou Orano. Pour la seule année 2022, l'augmentation de la rémunération moyenne des salariés d'EDF s'élevait au double de celle offerte par l'IRSN, pour qui cela a représenté, comme indiqué plus haut, un effort financier non négligeable. La DGPR l'a ainsi indiqué directement au rapporteur spécial : « le combat du moment n'est donc pas les autorisations d'emplois, mais de réussir à les recruter »37(*)

Ces difficultés de recrutement se répercutent notamment sur les mises à disposition de l'ASN de salariés de l'IRSN, qui connaissent une très forte contraction (division par deux du nombre d'agents mis à disposition et baisse de 19 % des montants remboursés par l'ASN à l'IRSN en dix ans). En conséquence, l'ASN, bien que moins concernée que l'IRSN par les difficultés de recrutement38(*), deux-tiers de son personnel étant des ingénieurs des mines, s'inquiète des postes non pourvus à l'Institut. Les personnels entendus par le rapporteur spécial relient également la sous-réalisation des mises à disposition à l'insuffisance de l'accompagnement des personnels à leur retour à l'Institut, qui constitue une piste d'amélioration.

Évolution des personnels mis à disposition de l'ASN par l'IRSN

(en ETPT)

Source : commission des finances d'après l'ASN

Le rapporteur spécial partage la crainte d'un appel d'air des exploitants, qui capteraient au cours des prochaines années les ressources humaines les plus qualifiées au détriment du secteur public en général et de l'IRSN en particulier. Il s'agit d'un sujet crucial de puissance publique qui doit attirer l'attention, sous peine que le contrôleur public ne soit à terme démuni face aux entreprises contrôlées davantage armées.

2. Une réponse qui ne peut passer par un changement de statut des personnels

Comme indiqué plus haut, les salariés de l'IRSN sont pour l'essentiel employés sous CDI de droit privé. Lors de l'annonce de la potentielle fusion, le Gouvernement avait envisagé le transfert des contrats de travail de l'IRSN vers l'ASN avec un droit d'option offert aux salariés de l'IRSN pour passer à un contrat de droit public, ce qui était présenté comme un facteur d'attractivité. Pourtant, à l'inverse, l'ASN mettait en avant l'intérêt limité du statut de contractuel de droit public pour recruter des ingénieurs sur un marché de l'emploi tendu, et revendiquait la possibilité de recruter sous statut de droit privé39(*). En tout état de cause, il aurait été indispensable de maintenir la coexistence des deux statuts, des contractuels de droit public ne pouvant effectuer des missions commerciales à destination des exploitants nucléaires.

Le cabinet de la ministre de la transition énergétique avait indiqué lors de son audition par le rapporteur spécial qu'il aurait été souhaitable dans la nouvelle structure d'accorder aux salariés de l'ex-IRSN qui le souhaitaient le statut de fonctionnaires.

La Cour des comptes indiquait dans son rapport de 2021 que l'IRSN pouvait opposer aux entreprises privées « la sécurité de l'emploi dans un établissement public de l'État ». Le rapporteur spécial tend à largement relativiser cet avantage. Les salariés de l'IRSN entendus par le rapporteur spécial soulignent le peu d'importance que représente la question du statut de fonctionnaire dans les difficultés de recrutement de l'Institut. Bien au contraire, le statut de fonctionnaire est perçu comme réduisant potentiellement les passerelles possibles avec l'industrie, et susceptible en tant que tel d'être désincitatif pour les nouveaux entrants sur le marché du travail.

3. Les premiers efforts engagés de revalorisation du métier doivent être poursuivis
a) Un enjeu d'attractivité qui doit être intégré dès le stade de la formation

À moyen et long termes, l'enjeu pour l'IRSN comme pour les autres acteurs de la sûreté nucléaire est la constitution d'un vivier de personnels permettant de répondre aux besoins de la filière au cours de la prochaine décennie. Des travaux sont déjà en cours et un premier rapport, remis en 2023 détaille les capacités et besoins de la filière nucléaire. Le Gouvernement espère la remise dès mai 2023 d'un plan d'actions détaillé sur les compétences concernant les métiers du nucléaire, ce qui semble selon le rapporteur spécial aller dans le bon sens. L'objectif est la production d'une feuille de route pluriannuelle identifiant les actions à mener pour assurer l'adéquation entre offre de formation et besoins de la filière.

À court terme et en ciblant spécifiquement l'IRSN, il semble nécessaire d'agir directement dans les établissements d'enseignement supérieur afin de mieux faire connaître l'Institut auprès des étudiants. En 2021, 985 heures d'enseignement ont été dispensées à l'extérieur par des personnels de l'IRSN40(*), mais cette proportion est en baisse au cours de la dernière décennie.

La mise en place de partenariats académiques joue à ce titre un rôle fondamental. Ceux-ci gagneraient à être développés sur l'ensemble du territoire, et non uniquement autour des sites d'implantation de l'IRSN. La logique de partenariat avec les établissements d'enseignement permettrait de garantir davantage de visibilité à l'Institut et à se positionner comme un acteur de la formation. En outre, la possibilité d'enseigner peut être un atout à valoriser auprès des personnels en termes d'attractivité.

Recommandation n° 5 (IRSN - ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche) : encourager les activités d'enseignement du personnel de l'IRSN dans les établissements d'enseignement supérieur dans le cadre d'une densification du réseau des partenariats académiques de l'Institut.

b) Une hausse possible des rémunérations

À l'heure actuelle, la grille salariale des personnels de l'IRSN est corrélée aux évolutions de la rémunération moyenne des personnels en place (RMPP), ce qui ne permet pas d'augmentations individuelles hors quelques cas de dérogation à la grille salariale lors de l'embauche des nouveaux personnels.

La Cour des comptes notait en 2021 « il n'est pas exclu, si la tendance observée s'amplifie, qu'il [l'IRSN] doive réviser les salaires et le déroulement des carrières ». Le rapporteur spécial considère, au vu des enjeux de recrutement, que cela sera inévitable, même si cela implique de dégager des ressources budgétaires supplémentaires.

Il semble nécessaire que la direction de l'IRSN engage un véritable travail sur les carrières. Deux points d'attention en particulier peuvent être soulignés : d'une part, les efforts financiers consentis pour les nouveaux salariés ne doivent pas conduire à « aplatir » outre mesure la courbe des rémunérations, afin de ne pas peser sur les salariés les plus avancés dans leur carrière, qui pourraient être ainsi doublement incités à une mobilité vers le secteur privé. D'autre part, la mobilité des personnels de l'IRSN dans le cadre de parcours professionnels, vers les exploitants mais aussi vers d'autres organismes de recherche (CEA, CNRS notamment) doit être construite, encouragée et encadrée.

Recommandation n° 6 (IRSN) : encourager les mobilités des salariés de l'IRSN dans le cadre de parcours professionnels en maintenant un cadre déontologique rigoureux.


* 36 À titre d'exemple, en 10 ans, le nombre d'étudiants inscrits en faculté de sciences a diminué de 18 000 étudiants selon le ministère de l'enseignement supérieur.

* 37 Audition de la DGPR, 16 mars 2023.

* 38 L'ASN enregistre environ 7 candidatures en moyenne pour un poste et le temps de publication de ses offres d'emploi est d'environ un mois.

* 39 Possibilité qu'elle a obtenue lors du vote de la loi relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires en mai 2023.

* 40 Rapport annuel 2021 de l'IRSN.

Les thèmes associés à ce dossier