N° 790

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le bilan du financement
de la loi
orientation et réussite des étudiants (ORE),

Par Mme Vanina PAOLI-GAGIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Le Plan Étudiants en 2017, et la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE) en 2018, qui en est la traduction législative, devaient permettre d'accueillir un nombre croissant d'étudiants en licence tout en répondant à l'échec massif constaté dans le premier cycle à l'université. Alors que d'importants financements ont été mobilisés sur la période 2018-2022, Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », a présenté le 28 juin 2023 un bilan de la mise en oeuvre de la loi.

I. LA LOI ORIENTATION ET RÉUSSITE DES ÉTUDIANTS : À LA RECHERCHE DES FINANCEMENTS PERDUS

A. UNE AMBITION DE DÉPART À SALUER : ACCOMPAGNER LE PLUS GRAND NOMBRE VERS LA RÉUSSITE

La loi ORE du 8 mars 20181(*) procède à une importante refonte des modalités d'accès à l'université, notamment en autorisant la sélection à l'entrée à l'université au travers de la mise en place de Parcoursup, dans un contexte de hausse continue du nombre d'étudiants en licence ayant entraîné dans certaines filières et universités le recours au tirage au sort pour sélectionner les étudiants : entre 2010 et 2020, le nombre d'étudiants scolarisés dans l'enseignement supérieur a cru de 20,4 % en France métropolitaine. La loi ORE devait également répondre à la problématique de l'échec massif des étudiants en licence : seuls 27 % des étudiants de licence avaient obtenu un diplôme de licence trois ans après leur première inscription en première année de licence (L1) en 2011-2012.

Taux de passage des néo-bacheliers entrant en licence

(en %)

Année d'entrée en L1

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Taux de passage en L2

40,3

39,7

39,5

40,8

41,6

41,0

43,5

45,5

53,5

47,8

Source : SIES

Si la création de Parcoursup est l'aspect de la loi ORE le plus facilement identifié par le grand public, celle-ci se traduit par un grand nombre de mesures d'ampleur et d'ambition variables. La loi devait permettre de favoriser la réussite des étudiants en procédant à un double changement de paradigme : mettre l'accent sur le premier cycle et la construction d'un « continuum bac - 3 / bac + 3 » d'une part, et procéder à un « déplacement du centre de gravité vers l'étudiant »2(*). Le rapporteur spécial souligne l'intérêt que représentait à ce titre ce nouveau cadre intellectuel, qui se traduisait par l'émergence de la notion de parcours personnalisé, contractualisé entre l'étudiant et l'établissement d'enseignement.

B. QUELLES MODALITÉS DE RÉPARTITION DES FINANCEMENTS LIÉS À LA LOI ORE ?

1. Des montants conséquents en jeu

La mise en place du plan Étudiants puis de la loi ORE est allée de pair avec un renforcement des moyens accordés aux universités, étalé sur la période 2018-2022. Ces crédits supplémentaires devaient essentiellement permettre d'ouvrir des places et de créer des postes dans les filières en tension, de financer l'indemnisation des personnels impliqués dans la mise en oeuvre de la loi, les dispositifs d'aide à la réussite et plus largement l'ensemble des investissements liés aux objectifs fixés par la loi ORE.

L'analyse des financements liés à la loi ORE se révèle toutefois d'une grande complexité. Au sens le plus strict, 582 millions d'euros ont été accordés aux universités dans le cadre du plan Étudiants.

Ventilation des crédits liés au plan Étudiants

(en millions d'euros)

 

2018

2019

2020

2021

2022

2018-2022

Création de places

19,3

46,3

76,5

94

105,6

341,7

Étude des dossiers, directeurs des études, accompagnement pédagogique

5,8

11,1

11,1

11,1

11,1

50,2

Rémunération indemnitaire des personnels

5,1

2,0

2,0

2

2

13,1

Dispositifs et parcours d'accompagnement « oui si »

7,8

25,9

31,9

36,2

38,2

140

Investissement - fonctionnement

7

12,8

7,6

4

4,6

36

Total alloué aux établissements

45

98,1

129,1

147,9

161,5

581,6

Source : commission des finances d'après les tableaux transmis par la DGESIP

S'il n'existe plus à proprement parler de crédits ORE ouverts depuis 2023, la mise en place de la loi a engagé directement les finances publiques sur le long terme. L'ensemble des financements ORE a été pérennisé dans la subvention pour charges de service public accordée (et soclée) aux établissements d'enseignement et devrait donc continuer à être versé au cours des prochaines années.

2. Une articulation malaisée avec les crédits extrabudgétaires

En outre, au-delà des crédits budgétaires ORE proprement dits, les montants accordés ont été presque doublés par les financements des programmes d'investissements d'avenir (PIA) ou du plan de relance, qui s'élèvent à 450 millions d'euros. Le rapporteur spécial souligne la faible pertinence du financement des universités par le biais de crédits extrabudgétaires, en particulier s'agissant de dispositifs financés sur 10 ans ou de créations de places, par définition non limitées à un ou deux ans. Pour preuve, la décision a été prise de maintenir après 2022 une partie des financements relance en les budgétisant à l'intérieur de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

3. Des modalités d'attribution des financements complexes

Le cadre initial de gestion des financements ORE était peu formalisé, voire « empirique » selon France universités. Cependant, à partir de 2019, la quasi-totalité des crédits du plan Étudiants a été allouée dans le cadre du dialogue stratégique de gestion (DSG), c'est-à-dire dans le cadre d'une négociation entre les recteurs et les établissements d'enseignement. Les montants accordés au titre de la loi ORE représentent plus de 70 % des montants totaux accordés aux établissements dans le cadre des dialogues de gestion 2019-2022.

II. UN DISPOSITIF DE PILOTAGE ET D'ÉVALUATION DE LA LOI LACUNAIRE

A. FAUTE DE SYSTÈME D'INFORMATION ET D'INDICATEURS FINALISÉS, QUEL PILOTAGE PAR LA DONNÉE ?

Pour certains sujets, le ministère ne dispose que d'une vision très limitée des dispositifs mis en place par les universités, essentiellement sur la base d'enquêtes, faute de systèmes d'information interopérables entre les rectorats, l'administration centrale et les établissements. Il est certain que les difficultés de remontée des données sont en partie le résultat d'une absence de vision consolidée des données au niveau des établissements eux-mêmes. À titre d'exemple, le ministère ne semble pas être en capacité de fournir un suivi des emplois créés en lien avec la loi ORE.

Dès 2019, le comité de suivi de la loi ORE indiquait que les systèmes d'information actuels « ne sont pas adaptés à ces nouveaux usages et vont rapidement constituer un obstacle à la mise en oeuvre à grande échelle des transformations appelées par la loi ORE ». Ce grand chantier informatique, toujours repoussé et qui sera de grande ampleur, tant financière que par sa durée et les changements que cela impliquera pour l'ensemble des établissements, devient néanmoins incontournable.

B. UN ENJEU CENTRAL : RETRACER LES CRÉATIONS DE PLACES EN LICENCE

1. Des modalités de calcul variables rendant extrêmement complexe la consolidation des données

En 2018, le coût du financement d'une place supplémentaire n'a pas été fixé par le ministère et a été déterminé par les rectorats au cas par cas. Ce système ne pouvait apparaître comme un mode de financement satisfaisant. Dans un second temps et à partir de 2019, le ministère a fait le choix de basculer vers une logique forfaitaire : les places en L1 et L2 ont été financées à hauteur de 1 600 euros par place et celles en L3 et en M1 à hauteur de 800 euros.

Le forfait de 1 600 euros ayant été jugé trop faible pour inciter les établissements à ouvrir des places supplémentaires, le ministère a donc décidé de doubler le montant accordé aux places en licence par le biais de crédits du Plan de relance. Ce choix de gestion a eu pour principale conséquence de rendre l'origine des financements des places quasiment intraçable pour les années 2021 et 2022 du fait d'une architecture budgétaire très complexe, retracée dans le tableau ci-dessous.

Évolution des modalités de financement par l'État
des places supplémentaires à l'université

(en euros par place)

 

2018

2019

2020

2021: choix des établissements entre trois options

Financements Plan de relance - non pérennes

Financements composites : relance + crédits du programme 150

Financements pérennes -crédits du programme 150

L1

Variable selon les établissements

1 600

1 600

3 200

2 000 (relance) + 1 200 (P. 150)

*

L2

1 600

1 600

3 200

2 000 (relance) + 1 200 (P. 150)

*

L3

800

800

3 200

*

1 600

M1

800

800

*

2 000 (relance) + 1 200 (P. 150)

*

* combinaison impossible.

Source : commission des finances

2. Un financement déconnecté des enjeux de définition du coût d'une place en licence

Le choix qui a été fait a été de laisser les établissements libres de choisir les formations où ces places étaient créées, suivant une logique d'enveloppe. En conséquence, le ministère ne valide pas en amont les formations concernées. Le nombre de places supplémentaires financées est un volume théorique qui ne correspond pas au volume des places supplémentaires créées, c'est-à-dire effectivement ouvertes pour des nouveaux étudiants, sans réelle incitation à des recrutements de personnels supplémentaires, et sans tenir compte des contraintes d'accueil des étudiants dans un bâti aux capacités limitées.

133 millions d'euros ont été ouverts dans le cadre du plan de relance pour financer de nouvelles places à l'université. Seule une partie des crédits ayant été consommée, le montant total financé par le plan de relance s'élève à 86 millions d'euros. Au total, les sommes accordées aux établissements pour l'ouverture de nouvelles places s'élèvent à 408 millions d'euros. Sur les deux premières années de déploiement de la loi ORE, l'État aura financé la création de 37 695 places à l'université pour un montant total de 120,6 millions d'euros.

Évolution des financements des créations de places
dans l'enseignement supérieur

(en millions d'euros et en nombre de places)

Source : commission des finances. NB : données non encore connues pour 2022 et n'intégrant pas le nombre de places financées par le plan de relance, ce qui explique le nombre de places négatif pour 2021

3. Une dissociation avec les besoins réels

Les formations où les taux de pression ou de remplissage étaient très élevés ne sont pas toujours celles ayant reçu le plus de financements au titre des créations de places. Le ministère n'est pas en mesure de vérifier d'une part que les places financées ont bien été créées et d'autre part qu'elles l'ont été dans des filières en tension. En particulier, le rapporteur spécial s'interroge sur le fait d'avoir opté pour un financement sur la base d'une montée de cohorte automatique de places : dès lors que la première année un établissement a bénéficié d'un certain montant au titre de créations de places en L1, ce montant sera étendu à la L2 l'année suivante. Or, près de la moitié des étudiants de L1 ne passent pas en L2 l'année suivante, toutes filières confondues.

C. ÉVALUER L'IMPACT DES DISPOSITIFS D'ACCOMPAGNEMENT

La loi ORE a généralisé la mise en place de modulations spécifiques de la 1ère année de licence (licence aménagée ou « oui si »). Celles-ci se traduisent sous deux formes : soit un accompagnement pédagogique particulier (mentorat, renforcement disciplinaire) soit un allongement de la durée de la licence, le plus souvent en 4 ans. Si les dispositifs « Oui si » sont en hausse, ils ne représentent qu'une part très minoritaire des étudiants, soit moins de 30 000.

Aménagement Loi ORE en L1 en 2021

Source : commission des finances d'après le SIES

Les universités comme l'administration considèrent les résultats en terme de taux de présence et de réussite aux examens comme globalement encourageants. Mais une volonté d'analyse plus approfondie se heurte d'une part à la difficulté d'isoler l'effet « oui si » dans les variations des résultats au cours des dernières années, et d'autre part à l'absence de remontées consolidées publiées sur le sujet.

III. LES LEÇONS DE LA LOI ORE, RECENTRER ET CONSOLIDER LE MODÈLE DE FINANCEMENT AUTOUR DU PARCOURS DES ÉTUDIANTS

1. Renforcer le cadre national de pilotage pour davantage de suivi et de transparence des données

Le ministère doit considérer le renforcement de l'efficience des crédits alloués, et donc de leur suivi, comme un axe prioritaire d'amélioration de sa gestion. Les moyens ont été très largement concentrés sur les créations de places, de sorte que l'amélioration qualitative voulue par la loi ORE est restée pour l'essentiel secondaire par rapport à la vision quantitative. Il est donc indispensable de faire évoluer le suivi statistique vers un suivi de cohorte, qui permette d'avoir une vision fine du devenir de l'étudiant tout au long de son parcours dans l'enseignement supérieur. Le rapporteur spécial plaide pour le développement des systèmes d'information afin d'être en mesure de suivre le parcours d'un étudiant au cours de ses études depuis le secondaire, y compris en cas de changement d'établissement.

2. Pour la construction de véritables indicateurs de réussite : le « péché originel » de la loi ORE

Dans la mesure où l'objectif premier de la loi ORE est d'améliorer la réussite étudiante, il importait en premier lieu de définir le concept de réussite. Or, la mise en oeuvre de la loi n'est pas allée de pair avec une définition claire de ce qui constitue, pour un étudiant, la réussite de son année. La construction d'un réseau d'indicateurs robustes, à la fois suffisamment précis pour tenir compte de la diversité des parcours étudiants et suffisamment partagés pour inclure le plus grand nombre de situations et d'établissements, doit constituer un sous-objectif inséparable de l'amélioration de la gestion des enveloppes aux établissements du ministère.


* 1 Loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants.

* 2 Rapport du comité de suivi de la loi ORE, octobre 2019.

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