EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 juin 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial, sur le bilan du financement de la loi orientation et réussite des étudiants (ORE).

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons maintenant une communication de Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » pour les crédits de l'enseignement supérieur, sur le bilan du financement de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE).

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - La loi ORE est la loi emblématique du dernier quinquennat concernant l'enseignement supérieur. Nous en avons tous ici entendu parler, tout comme le grand public, car c'est cette loi qui a heureusement mis fin au tirage au sort à l'entrée de l'université par la création de Parcoursup et qui a introduit une sélection sur dossier à l'entrée à l'université.

Mais la loi ORE va au-delà de Parcoursup, au travers d'une vingtaine de mesures différentes et surtout d'un accompagnement financier de plus de 500 millions d'euros accordé aux établissements d'enseignement supérieur.

Ces financements étaient étalés sur la période 2018-2022. À l'issue de cette période, il me paraissait donc pertinent d'établir un bilan de l'utilisation de ces crédits. La dernière évaluation menée par la Cour des comptes datant de 2020, j'ai choisi de lancer une mission de contrôle budgétaire sur ce thème.

Je ne m'attendais cependant pas aux difficultés auxquelles nous avons été confrontés. Loin d'être un simple exercice de contrôle, l'analyse des financements liés à la loi ORE se révèle d'une grande complexité.

La première difficulté - et non la moindre - consiste à déterminer précisément le montant total des crédits accordés. Au sens le plus strict, les crédits ORE sont les crédits mis en avant lors des annonces du plan Étudiants de 2017, soit 582 millions d'euros sur cinq ans.

Le ministère intègre également parfois comme faisant partie des crédits ORE l'ensemble des moyens accordés aux établissements par la négociation avec le rectorat, dans le cadre de ce que l'on a appelé le dialogue stratégique de gestion. Cela représente 235 millions d'euros supplémentaires. En outre, les montants accordés dans le cadre de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ont été presque doublés par des crédits du plan de relance et des programmes d'investissement d'avenir. Comme cette commission l'a déjà relevé pour de nombreux dispositifs, on peut d'ailleurs légitimement s'interroger sur le financement de dispositifs pérennes ou de créations de places d'université par le biais de crédits « relance ».

Enfin se pose la question de l'exécution de ces financements. La direction du budget a reconnu que les données étaient « très parcellaires » et qu'elle-même ne disposait pas d'une répartition territorialisée et ventilée par année de la consommation de ces crédits. Par conséquent, il est impossible de déterminer s'il y a eu ou non une sous-exécution des crédits.

La deuxième difficulté d'analyse est celle de la destination des crédits budgétaires. La loi ORE portait une vision très ambitieuse de l'université, en recentrant les efforts sur la licence et en mettant l'étudiant au centre de son parcours universitaire.

Il semble que la loi ait été d'une certaine manière empêchée ab initio par son double objectif, qui constitue presque un oxymoron : favoriser la réussite d'un nombre toujours croissant d'étudiants. Il fallait en effet répondre à l'afflux de nouveaux étudiants : en dix ans, le nombre de jeunes scolarisés dans l'enseignement supérieur a crû de 20 %, engendrant des tensions et un nombre toujours plus élevé de refus dans certaines filières.

D'autre part, la licence, accueillant des étudiants aux profils très hétérogènes, connaît des taux d'échec alarmants : plus de la moitié des étudiants de première année de licence, toutes filières confondues, ne passent pas en deuxième année.

En conséquence, près des deux tiers des financements liés à la loi ORE ont été versés aux établissements universitaires pour qu'ils ouvrent des places supplémentaires dans les filières en tension. Un quart a financé des dispositifs d'accompagnement spécifiquement destinés à améliorer la réussite des étudiants. Ainsi, l'amélioration qualitative voulue par la loi ORE est restée pour l'essentiel secondaire par rapport à la vision quantitative, mais a permis d'absorber la bosse démographique de 2018-2022.

Vous aurez compris à ce stade de ma présentation, mes chers collègues, que le pilotage des crédits ORE comportait quelques lacunes.

Celles-ci sont dues à deux facteurs principaux : d'une part, les universités sont autonomes, ce qui me semble être une bonne chose, et le ministère a fait le choix de les laisser libres sur de nombreux sujets ; d'autre part, le ministère souffre d'un manque cruel de systèmes d'information aptes à consolider les données budgétaires pour mener des évaluations pertinentes au niveau national. Si des données sont parfois produites à l'échelon des établissements ou des rectorats, elles ne sont pas nécessairement ensuite centralisées et réutilisées par l'administration. Cette opacité, préjudiciable à la gestion, constitue un axe prioritaire d'amélioration.

Par ailleurs, la mise en place de la loi a souffert d'une logique insuffisante de performance et d'un suivi fluctuant des indicateurs. Dans la mesure où l'objectif de la loi ORE est d'améliorer la réussite étudiante, il importait en premier lieu de définir le concept de réussite, qui ne peut selon moi être réduite au passage à l'année supérieure. La construction d'un réseau d'indicateurs robustes, à la fois suffisamment précis pour tenir compte de la diversité des parcours étudiants et suffisamment partagés pour inclure le plus grand nombre de situations et d'établissements constitue un enjeu central.

Je souhaite m'arrêter un instant sur les créations de places, symptôme des difficultés de pilotage du ministère. À partir de 2018, le ministère a donné de nouveaux moyens aux universités pour ouvrir des places dans des filières en tension. Ces montants découlaient initialement d'une négociation directe entre l'établissement et le rectorat, avant que le ministère ne fasse finalement en 2019 le choix d'un forfait national, identique pour toutes les places. Ce montant, destiné à financer le coût marginal d'une place en licence, était de 1 600 euros par place. À partir de 2020, le ministère a fait le choix de financer ces places en mobilisant des crédits « relance », au travers d'un système de cofinancement très complexe pour aboutir à un montant moyen de 3 200 euros par place. Ce choix de gestion a eu pour principale conséquence de rendre l'origine des financements des places quasiment impossible à tracer pour les années 2021 et 2022. Il est même difficile de savoir combien de places ont véritablement été ouvertes.

En outre, le ministère n'a pas réellement conditionné les financements aux créations de places : les établissements ont été laissés libres d'en ouvrir dans les formations qu'ils souhaitaient, ce qui a entraîné une déconnexion entre les taux de pression des formations de licence et les places ouvertes. Si les rectorats ont normalement effectué un contrôle a posteriori, il s'agit essentiellement d'un « contrôle de l'erreur manifeste », qui, de plus, a cessé à partir de 2021.

Enfin, le ministère ne finance que des ouvertures de places « théoriques », qui ne sont pas forcément allées de pair avec des recrutements ou des aménagements du bâti. Le ministère n'est d'ailleurs pas en capacité d'indiquer combien de personnels ont été recrutés dans le cadre de la loi ORE.

En conséquence, et c'est l'une de mes recommandations, je pense qu'il faut désormais renoncer à cette logique de financement « à la place », qui ne sert pas une approche qualitative de la réussite étudiante.

Au-delà du bilan des mesures liées à la loi ORE, il me semble surtout nécessaire de mobiliser les leçons à tirer de ces limites dans une vision prospective.

Le premier aspect, qui me paraît crucial, est que le ministère de l'enseignement supérieur puisse disposer de systèmes d'information interopérables, à tout le moins sur un nombre limité de critères, mais qui soient pertinents, afin de mettre en place un véritable suivi budgétaire. Le ministère a conscience de cet enjeu, mais le chantier est vaste et ne doit plus être repoussé.

En outre, il me semble important de mettre en place un suivi statistique plus adapté des étudiants : il est indispensable de le faire évoluer vers un suivi de cohorte, qui permette d'avoir une vision fine du destin de l'étudiant tout au long de son parcours dans l'enseignement supérieur, en partant même de l'enseignement secondaire.

Je formule donc neuf recommandations qui vont dans le sens de plus de transparence et de lisibilité budgétaire, indispensables à la mise en oeuvre d'une vraie politique d'évaluation au niveau des universités.

Seules des évolutions majeures du mode de pilotage du ministère peuvent réellement permettre de concrétiser le « R » d'ORE, c'est-à-dire permettre de mieux accompagner individuellement chaque étudiant.

M. Jean-François Rapin. - Corapporteur spécial, avec Vanina Paoli-Gagin, de la mission « Recherche et enseignement supérieur », je souhaite aborder un sujet qui, sans être budgétaire, n'en est pas moins essentiel, à savoir Parcoursup.

À la publication des premiers résultats disponibles sur la plateforme, des parents et des étudiants nous alertent : certains, ne recevant aucune proposition, en conçoivent un profond sentiment d'échec, bien qu'ils soient sur liste d'attente et puissent donc être admis par la suite, ce qui peut conduire à des situations dramatiques lorsqu'il s'agit d'enfants fragiles, qui ont déjà eu à endurer la crise sanitaire !

Les étudiants ont besoin d'une information préalable très précise leur expliquant comment fonctionne la plateforme : ce n'est pas parce qu'ils ne reçoivent aucune proposition le premier soir qu'ils n'en recevront pas plus tard au fil de la procédure.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce rapport m'inquiète. Il semble que la loi ORE, qui aurait dû améliorer l'organisation des effectifs d'étudiants et des choix de filière - il s'agissait d'éviter les embouteillages - a finalement rendu les choses encore plus complexes, notamment pour ce qui est de l'entrée en médecine.

Les termes « boîte noire », qui donnent au rapport son titre, ont été utilisés dans un autre contexte par Christine Lavarde, qui déplorait l'incompréhension dans laquelle les règles de la fiscalité locale plongent les collectivités. Dans les deux cas, « ouvrir la boîte noire des financements » devrait nous donner les solutions à toutes nos questions ; c'est du moins à cela que sert une boîte noire en cas d'accident aérien. Or, pour ce qui est de la loi ORE, c'est tout le contraire que l'on observe : un grand désordre !

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - Je partage les propos de Jean-François Rapin : l'information doit être améliorée. Il faut bien expliquer aux candidats que le système fonctionne sur la base d'une décantation. Par définition, le jour de la publication des premiers résultats d'admission, la décantation ne s'est pas faite : les places se libèrent au gré des choix des uns et des autres. Il est donc nécessaire de rassurer les candidats.

Aujourd'hui même, la commission de la culture examine un rapport d'information portant spécifiquement sur l'évaluation du dispositif Parcoursup ; l'information y figure, au premier rang des recommandations.

J'aurais aimé, en « ouvrant la boîte noire », pouvoir y lire ce qui se passe exactement. Cela n'a pas été le cas. Ce qui me choque dans le cas présent mais comme sur nombre de sujets, c'est l'évolution structurelle vers davantage de complexité et d'illisibilité.

En l'espèce, si l'autonomie des universités est une bonne chose, elle n'est pas allée de pair avec un pilotage « macro » à l'échelon du ministère : chacun a pu se doter de ses propres outils, sui generis. Or, pour filer la métaphore, la tutelle doit être capable, depuis le cockpit, de disposer d'une vision globale, c'est-à-dire de connaître les grands agrégats et les grandes tendances. À défaut, c'est la double peine : dans les universités, on passe son temps à remplir des tableaux, les acteurs que j'ai entendus nous l'ont signalé ; au ministère, il y a des trous dans la raquette et les données manquent.

Il est donc indispensable de réorganiser le système en rappelant l'adage : qui trop embrasse mal étreint. Il faut fixer douze ou quinze critères de suivi et de performance, et non cent, et s'en donner une vision consolidée, macroscopique, via des remontées interopérables de toutes les universités de France.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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