III. LE DÉFI DE L'ACCOMPAGNEMENT DES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES, À L'HEURE DE LA MOBILITÉ ET DE L'ALLONGEMENT DES CARRIÈRES
A. LES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES, L'ANGLE MORT DE LA RÉFORME DE LA LOI « AVENIR PROFESSIONNEL » EN 2018
Selon une étude du Centre européen de Formation, en janvier 2023, 44 % des actifs français souhaitent entamer une reconversion, dont 22 % en changeant de secteur d'activité et 25 % en changeant de métier.184(*) Déjà, près d'un Français sur dix avait exercé plus de 5 métiers au cours de sa vie professionnelle passée en 2018.
Souhaits de reconversion (en %)
Source : Institut Montaigne, « Les Français au travail, dépasser les idées reçues », février 2023
NOMBRE DE MÉTIERS EXERCÉS À DATE (2018)
Source : Enquête IFOP « Les Français et la mobilité professionnelle », mars 2018185(*)
Comme évoqué dans la première partie de ce rapport, ces chiffres traduisent une plus grande aspiration à la mobilité professionnelle au cours de la vie et une certaine normalisation des parcours professionnels diversifiés chez les Français. Chez les moins de 35 ans, la proportion de personnes envisageant une reconversion atteint plus de 70 % de la tranche d'âge. Dans un marché du travail plus favorable, les salariés sont plus enclins à chercher des opportunités d'évolution professionnelle en dehors de leur entreprise, voire en dehors de leur secteur d'activité.
L'allongement des carrières que l'on peut anticiper, avec la réforme des retraites adoptée par la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, est susceptible d'augmenter la diversité des métiers exercés au cours de la vie, et pose la question de l'adaptation des emplois aux aspirations et aux compétences des seniors. Déjà, le taux d'emploi des seniors est passé de 30 à 56 % entre 2000 et 2021, conduisant à de nombreuses reconversions professionnelles186(*).
Les grandes transitions qui s'annoncent - et les mutations qui touchent déjà l'économie française - conduiront en outre à une recomposition de l'emploi et à une évolution des compétences attendues. La reconversion professionnelle, au-delà des opportunités personnelles qu'elle offre, est aussi un enjeu de société, puisqu'il faudra à la fois accompagner la décroissance de certains secteurs et de certains métiers et préparer l'essor des filières d'avenir.
Pourtant, les transitions professionnelles ont été l'angle mort de la réforme portée par la loi « Avenir professionnel » en 2018. Selon le rapport de l'Institut Montaigne consacré aux Français au travail, « les freins à la reconversion professionnelle apparaissent considérables, et ce problème n'a pas reçu l'attention qu'il méritait lors de la réforme de la formation professionnelle de 2018 ».
Les recommandations du rapport de l'Institut
Montaigne
pour améliorer l'accompagnement des transitions
professionnelles
L'Institut Montaigne formule plusieurs critiques à l'égard de la réforme de la formation professionnelle opérée en 2018, estimant notamment qu'elle a « trop fait porter l'effort sur les formations initiales (notamment l'apprentissage) » et qu'elle a « restreint les possibilités de financement des parcours professionnels longs en formation continue ». Le conseil en évolution professionnel est vu comme « n'ayant pas encore trouvé son régime de croisière, notamment en raison d'un niveau d'information parfois considéré comme trop généraliste ». Enfin, le CPF, « dans son économie actuelle, n'est pas taillé pour financer des parcours de reconversion ».
Le rapport formule quatre pistes d'amélioration de l'accompagnement des reconversions, et plus généralement des transitions professionnelles :
« (1) mieux conseiller les individus dans la construction de leur parcours ;
(2) mieux assurer la sécurisation des parcours (rémunération et coût de la formation) ;
(3) adosser davantage les parcours de formation à l'activité de travail dans une entreprise d'accueil qui sera aussi l'entreprise qui embauchera à la sortie 50 ;
(4) adapter notre système de certification professionnelle (notamment de nombreux diplômes professionnels de l'Éducation nationale) et les modalités pédagogiques de formation trop souvent conçus pour des jeunes en formation professionnelle initiale plutôt que pour des adultes en reconversion ».
Celle-ci ne l'avait abordé qu'indirectement sous l'angle du CPF - outil de financement de la formation continue des salariés - et du conseil en évolution professionnelle (CEP). Or, les dispositifs institutionnels publics de conseil et d'accompagnement aux transitions professionnelles, et notamment le CEP, jugés trop généralistes, sont cités en dernière position parmi les salariés aspirant à une évolution professionnelle. Seuls 36 % des personnes en cours de reconversion professionnelle ont bénéficié d'un accompagnement public.187(*) L'action de Pôle emploi ne s'étend pas aux salariés en reconversion, ou à ceux dont les métiers sont menacés. En outre, l'accès à la reconversion réussie est inégal selon les catégories socio-professionnelles et le niveau de qualification : un salarié peu qualifié sur cinq réussira sa reconversion, contre un ouvrier ou employé qualifié sur quatre et un cadre ou profession intermédiaire sur trois188(*). Selon le CEREQ, « les constats concernant les inégalités d'accès à la formation en entreprise et à une potentielle reconversion professionnelle demeurent donc accablants et jusqu'à présent peu modifiés par la loi Avenir professionnel »189(*).
* 184 Centre Européen de Formation, enquête IFOP « Désir de mobilité et formation à distance chez les actifs », 2023.
* 185 Sondage IFOP pour Hopscotch « Les Français et la mobilité professionnelle, vague 2 », mars 2018.
* 186 Réponses du CNI au questionnaire de la délégation.
* 187 Note d'études de France compétences, « L'offre publique d'accompagnement à l'épreuve des reconversions professionnelles », février 2022.
* 188 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.
* 189 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.