C. ASSURER L'ANCRAGE DURABLE D'UNE PRODUCTION EUROPÉENNE DE MÉDICAMENTS ESSENTIELS

La recherche d'une plus grande rentabilité s'est faite au détriment de la sécurité de l'approvisionnement des systèmes de santé européens. La localisation, en Europe, de la production, doit redevenir une priorité de souveraineté : elle offre une meilleure visibilité sur les chaînes de valeur et une capacité à réagir plus rapidement en cas de tensions.

1. Favoriser les productions européennes respectueuses des normes sociales et environnementales

L'Europe doit faire de sa législation sociale et environnementale une force. L'innovation dans le secteur du médicament s'appuiera en grande partie sur des technologies plus propres, comme les biomédicaments : la France et l'Europe disposent d'atouts conséquents pour se positionner sur ce créneau et devenir une terre attractive de production durable de médicaments.

Il faut donc améliorer l'intégration de ces enjeux dans le droit et dans la pratique :

- en développant des labellisations d'excellence pour les producteurs ;

- en élaborant des standards internationaux et des référentiels communs ;

- en incluant la performance environnementale et sociale des producteurs parmi les critères de fixation des prix du médicament ;

- et en renforçant la valorisation de ces critères dans les appels d'offres des marchés publics.

Un Critical Medicines Act pourrait porter cette réflexion au niveau européen, au travers de la législation sur les aides d'État et la concurrence.

Les évolutions récentes de la doctrine du CEPS, permettant de sécuriser l'approvisionnement au moment de fixer les prix de remboursement des médicaments, doivent être confortées et appliquées sans hésitation, pour offrir une incitation à la production locale.

2. Relocaliser grâce à des aides ciblées

La crise sanitaire a enfin levé les scrupules du Gouvernement à instaurer des aides à la « relocalisation » pharmaceutique, pourtant recommandées par le Sénat dès 2018. Une politique de réindustrialisation ciblée sera essentielle pour inverser la tendance délétère aux délocalisations.

Toutefois, les dispositifs d'aides mis en place depuis 2020 sont décevants, voire inadaptés. Ils relèvent d'un soutien à la compétitivité et à l'innovation des entreprises davantage qu'à la création de nouvelles capacités productives stratégiques.

Une véritable stratégie de relocalisation doit être conçue en trois étapes :

1. Élaborer une liste des médicaments critiques et de leurs composants vulnérables ;

2. Évaluer la faisabilité de la « relocalisation » et la pertinence des échelons français et européens ;

3. Examiner la pérennité de la production envisagée et les conditions indispensables à son succès (prix, volume de demande, approvisionnement...).

Carelide, dernier producteur français

de poches à perfusion de paracétamol à destination des hôpitaux

2020 : reçoit 5,1 millions d'euros d'aides publiques à l'investissement dans le cadre de l'AAP Résilience du Plan de relance

2022 : placement en redressement judiciaire faute de commandes et notamment d'achats hospitaliers

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Sur 106 projets financés par le Plan de relance et France 2030, seuls 18 ont concerné une réelle « relocalisation », et seuls 5 portaient sur un médicament stratégique.

3. Conditionner les aides

Le secteur pharmaceutique est l'un des principaux bénéficiaires d'incitations fiscales et d'aides publiques en France, et notamment le second bénéficiaire du crédit d'impôt recherche (10 % du montant total, soit 710 millions d'euros), ce qui constitue de l'aveu des principaux intéressés une source d'attractivité très importante.

Le CIR représentait en 2015 environ 19 % de l'impôt dû par les entreprises pharmaceutiques. En 2021, il représente 34 % de l'impôt dû (IS, TFPB, CVAE, CFE).

Pourtant, l'effort colossal que représente le CIR pour les finances publiques n'a pas empêché les délocalisations, et n'a pas non plus réussi à ancrer la production en France de médicaments innovants développés grâce au crédit d'impôt. L'enquête menée par la commission auprès de la direction générale des finances publiques a révélé des pratiques d'optimisation du CIR hautement contestables.

Alors que la recherche publique contribue pour près de moitié à l'effort de recherche et développement pharmaceutique, les profits tirés des médicaments innovants sont intégralement captés par les entreprises.

Le « service rendu » des aides publiques et incitations fiscales n'est donc pas, aujourd'hui, avéré. La commission d'enquête recommande donc :

· de réorienter les aides publiques vers la production en France de médicaments essentiels plutôt que vers la seule innovation ;

· de systématiser le recours aux conditionnalités (pérennité de la présence industrielle, localisation de la propriété intellectuelle, approvisionnement du marché français) ;

· et d'améliorer la transparence sur leur utilisation.

Un exemple d'OPTIMISATION du CIR

Création d'une société française visant à développer un traitement
contre un cancer de l'intestin

Rachat d'une start-up américaine de R&D travaillant à développer la technologie,
mais facturation des coûts de R&D à la société française

Perception du CIR pour ces frais de R&D

Création d'une filiale étrangère

Transfert gratuit des droits exclusifs d'exploitation à la filiale étrangère

Aucune production en France

2022 : placement en redressement judiciaire faute de commandes
et notamment d'achats

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