II. LES THÉMATIQUES DE TRAVAIL DE LA DÉLÉGATION : TRAVAUX MENÉS ET SUITES DONNÉES

Le programme de travail de la délégation s'est appuyé, entre 2020-2023, sur quelque 75 auditions2(*) au sein desquelles le format « table ronde » s'est progressivement imposé (38 tables rondes organisées en 2020-2023 contre 16 au cours du triennat précédent).

Cette méthodologie de travail a permis d'accroître sensiblement le nombre d'experts et de personnalités auditionnés : en 2020-2023, ce sont ainsi 336 personnes qui ont été associées aux réflexions de la délégation (contre 202 lors de la période précédente) sur des sujets et thématiques d'une grande diversité (violences faites aux femmes, égalité économique et professionnelle, santé des femmes au travail, industrie de la pornographie), dont on observe qu'ils peuvent s'inspirer de l'actualité législative autant que l'influence en retour, ou qu'ils constituent des sujets de société précurseurs.

A. LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES : AGENDA PERMANENT DE LA DÉLÉGATION

Les violences faites aux femmes, dans toutes leurs manifestations (prostitution, violences intrafamiliales, harcèlement au travail...) sont par nature au coeur du programme de travail de la délégation depuis la création de celle-ci en 1999.

Déclarée Grande cause du quinquennat3(*) par le Président de la République le 25 novembre 2017, la délégation avait, à partir de cette date, axé son agenda sur cette thématique (six rapports d'information publiés entre 2017 et 20204(*)), à laquelle un texte législatif par an fut consacré entre 2018 et 20205(*), dans un contexte de prise de conscience globale et de libération de la parole initiée par le mouvement #MeToo.

L'attention portée à ce sujet s'est renforcée au cours de la période 2020-2023, à l'échelle du Sénat et, a fortiori, de la délégation.

1. Une actualité législative toujours marquée par la thématique

Le sujet des violences faites aux femmes a occupé une place importante au sein de l'activité législative de la période 2020-2023 au cours de laquelle de nombreux textes ont été consacrés à cette problématique6(*), parmi lesquels la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste7(*) et la loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales8(*).

S'agissant des travaux parlementaires très récents, on peut également citer le rapport de notre collègue Dominique Vérien (UC--Yonne), vice-présidente de la délégation, et de notre collègue députée, Émilie Chandler, Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, remis à Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice et Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, le 22 mai 2023.

2. Une préoccupation majeure et récurrente de la délégation

Entre 2017 et 2020, la délégation avait publié pas moins de six rapports d'information sur les violences, soit une moyenne de deux par an. Deux propositions de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, devenues résolutions du Sénat9(*), avaient en outre été déposées dans le sillage de deux de ces rapports d'information.

Si aucun rapport d'information n'a spécifiquement été publié par la délégation sur ce thème au cours du triennat 2020-2023, cette problématique, dans sa transversalité (prostitution, violences conjugales, violences sexuelles et sexistes, etc.) est demeurée une préoccupation récurrente de la délégation, véritable ligne directrice de ses travaux, comme l'illustrent les nombreux communiqués de presse publiés par la délégation10(*) consacrés aux violences envers les femmes en général et aux féminicides en particulier.

Dans le cadre de ses thématiques annuelles de travail, trois volets ayant trait à ce sujet doivent être mentionnés :

a) « La plus vieille violence du monde faite aux femmes » : bilan de l'application de la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées

L'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-1100 précitée prévoit que les délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes peuvent être saisies sur les projets ou propositions de loi par le bureau de l'une ou l'autre assemblée ou par une commission permanente ou spéciale (à son initiative ou sur demande de la délégation).

C'est sur le fondement de cet article que la délégation avait été saisie par la commission spéciale sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (devenue la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016) et avait adopté le rapport d'information intitulé Prostitution : la plus vieille violence du monde faite aux femmes, présenté par Brigitte Gonthier-Maurin, alors présidente.

Comme l'y autorise également l'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée, la délégation a souhaité dresser un tableau complet de l'application de cette loi et a ainsi organisé, le 8 avril 2021, une table-ronde intitulée Lutte contre le système prostitutionnel : où en est-on cinq ans après la loi ?

Cette table ronde a réuni les parlementaires ayant oeuvré à la conception et à l'adoption de la loi, notre collègue sénatrice Michelle Meunier, rapporteure de la proposition de loi au nom de la commission spéciale du Sénat, notre collègue députée Maud Olivier, coauteure et rapporteure de la proposition de loi au nom de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, ainsi qu'une dizaine d'acteurs concernés par son application : associations de terrain (Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) et Mouvement du Nid), ministère de l'intérieur, magistrats, représentants du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), mais aussi les auteurs du rapport d'évaluation inter-inspections (IGA, IGAS, IGJ) de décembre 2019, ayant réalisé le bilan d'étape de l'application du texte, prévu par la loi elle-même.

Faisant suite au constat unanimement partagé au cours de la table ronde, selon lequel l'application effective de la loi sur l'ensemble du territoire n'était pas à la hauteur des espérances exprimées cinq ans auparavant par les défenseurs de la lutte contre le système prostitutionnel, une lettre ouverte cosignée de trente des membres de la délégation avait été adressée le 16 avril 2021 à Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, Élisabeth Moreno, alors ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, et Adrien Taquet, alors secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles, appelant à une plus grande ambition politique afin d'appliquer pleinement la loi de 2016 sur l'ensemble du territoire (cf. annexe 4).

Plus récemment, à l'invitation de Véronique Riotton, députée, présidente de la DDF de l'Assemblée nationale, la présidente Annick Billon est intervenue, le 13 décembre 2022, dans le cadre d'un colloque organisé à l'Assemblée nationale intitulé La lutte contre le système prostitutionnel : enjeu fondamental de l'égalité femmes-hommes.

Au cours de son intervention, la présidente Annick Billon a pu rappeler l'importance de la loi fondatrice de 2016 sur la lutte contre le système prostitutionnel qui a ancré durablement la France dans une logique abolitionniste et qui a fait de la protection des victimes d'exploitation sexuelle et de traite des êtres humains une priorité. Elle a également a mis en lumière les liens de plus en plus étroits entre la prostitution et la pornographie, tels que révélés par le rapport précité de la délégation Porno : l'enfer du décor.

b) Les violences intrafamiliales

En lien avec l'actualité, la DDF a organisé ou participé (en la personne de sa présidente) à plusieurs événements consacrés aux violences faites aux femmes et aux enfants au cours de la période 2020-2023 :

- participation au colloque du centre Hubertine Auclert sur les violences intrafamiliales pendant le Covid (Regards croisés Espagne-France, 23 novembre 2020) ;

- organisation de plusieurs tables rondes : le 11 février 2021 sur la lutte contre les violences faites aux femmes dans les territoires ruraux et le 9 juin 2021, avec l'Ambassade de France en Pologne, le Sénat polonais et le Centre polonais des droits des femmes sur le thème Les violences faites aux femmes : le droit et sa pratique dans les cas impliquant des enfants ;

- participation à la rencontre avec María Felisa Herrero Pinilla, magistrate de liaison espagnole à Paris, organisée par le Groupe interparlementaire d'amitié France-Espagne, sur l'organisation judiciaire en Espagne et la mise en place des juridictions spécialisées dans le traitement des violences conjugales, le 7 octobre 2021 ;

- participation à la « journée débat 360° » du 14 octobre 2021 organisée par Élisabeth Moreno, alors ministre de l'égalité entre les femmes et les hommes, deux ans après le Grenelle des violences conjugales (pour lequel un groupe de travail s'était constitué au sein de la délégation afin d'évaluer le suivi de ces mesures dans les territoires)11(*) ;

- rencontre avec Valérie Bacot, le 4 novembre 2021, auteure de Tout le monde savait, livre-témoignage dans lequel l'auteure fait le récit de sa vie de femme battue, violée et forcée à se prostituer par son beau-père, devenu son mari.

c) Les violences sexuelles et sexistes (VSS) au travail

La délégation s'est aussi penchée sur la question des violences sexuelles et sexistes au travail :

- participation, à l'invitation de la sénatrice Nathalie Goulet, à un colloque sur les violences faites aux femmes dans le milieu de la mode, le 14 septembre 2021 ;

- audition plénière de Cyril Cosme, directeur pour la France de l'Organisation internationale du travail (OIT), le 21 septembre 2021, sur la Convention n° 190 de l'OIT relative à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, dans le cadre du processus de ratification par la France de cette convention adoptée le 21 juin 2019 et entrée en vigueur le 25 juin 202112(*) ;

- organisation d'une table ronde sur les VSS au travail, le 4 mai 2023, dans le cadre de la thématique annuelle de la délégation sur la santé des femmes au travail, réunissant deux sociologues, une représentante de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et la responsable de la cellule contre les VSS au travail de la CGT (cf. infra) ;

- rencontre avec deux représentantes de l'Observatoire des violences sexuelles et sexistes dans l'Enseignement supérieur, à l'initiative de la sénatrice Laure Darcos, vice-présidente de la délégation, venues présenter le baromètre 2023 des VSS dans l'enseignement supérieur le 16 mai 2023.

Cette association étudiante nationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur a fait part aux membres de la délégation d'une situation toujours alarmante dans les universités et les grandes écoles, malgré le lancement, à la rentrée universitaire 2021, du plan national d'action de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur et la recherche.

Interpelée par les dysfonctionnements persistants au sein des établissements pour lutter efficacement contre ces violences, protéger et accompagner les victimes, un courrier de la présidente, cosigné de la sénatrice Laure Darcos et de 27 autres membres de la délégation a été adressé à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche Sylvie Retailleau le 24 mai 2023 demandant l'intégration au sein du comité de pilotage de ce plan national des associations étudiantes de lutte contre les VSS dans l'enseignement supérieur13(*).

3. La journée du « 25 novembre » : une daté-clé pour la délégation aux droits des femmes

Le 25 novembre 2020, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, la présidente Annick Billon a répondu à une interview en quatre questions14(*), publiée sur le site du Sénat, qui lui a permis de rappeler les principales propositions formulées par la délégation au cours des dernières années en matière de violences conjugales et préciser le rôle du législateur pour lutter contre celles-ci.

Au cours des deux sessions suivantes, la délégation a tenu à marquer cette date du 25 novembre par l'organisation de deux événements portant sur la situation des femmes à l'international :

- une table ronde exceptionnelle sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan, le 25 novembre 2021, afin de dresser un état des lieux de la situation afghane, quelques mois après le retour au pouvoir des talibans ;

- une conférence sur les femmes en temps de conflits armés, notamment en visioconférence avec l'ambassadeur de France en Ukraine, le 24 novembre 2022 (cf. infra).

Par-delà la thématique des violences faites aux femmes, la délégation a, au cours du triennat 2020-2023, mené des travaux approfondis sur de nombreuses autres thématiques ayant donné lieu à publication de plusieurs rapports d'information.


* 2 Chiffre auquel s'ajoutent 21 auditions au format « rapporteurs » ayant permis d'entendre 43 experts.

* 3 Les violences faites aux femmes ont été déclarées « Grande cause du quinquennat » le 25 novembre 2017, au cours d'une cérémonie à l'Élysée à laquelle étaient présentes les deux délégations parlementaires aux droits des femmes.

* 4 Rapport d'information n° 641 (2019-2020) du 15 juillet 2020.

* 5 Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

* 6 Peuvent être citées les propositions de loi (PPL) récentes suivantes : PPL relative à la protection des enfants victimes de violences intrafamiliales (Texte n° 314, 2022-2023), PPL portant création d'une juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales (Texte n° 173, 2022-2023, transmis au Sénat le 2 décembre 2022) ou encore PPL visant à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales, examinée par le Sénat en mars 2023, et en cours de navette (Texte n° 82, 2022-2023).

* 7 Issue d'une proposition de loi de la présidente de la délégation, Annick Billon (UC-Vendée).

* 8 Issue d'une proposition de loi de notre collègue Valérie Létard (UC-Nord).

* 9 Résolution n° 80 (2018-2019) pour soutenir la lutte contre le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines, adoptée le 14 mars 2019 et résolution n° 42 (2019-2020) pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap, adoptée le 8 janvier 2020.

* 10 Cf. liste des communiqués en annexe 3.

* 11 Ce groupe de treize sénatrices et sénateurs référents s'était constitué sur la base du volontariat et de manière à assurer la représentation d'une diversité de territoires. Ces référents avaient entrepris d'organiser des réunions et tables rondes avec les acteurs et actrices de la lutte contre les violences (associations, policiers et gendarmes, magistrats...) de leurs départements respectifs. Cette dynamique a malheureusement été interrompue par le premier confinement de 2020 et n'a pas pu être poursuivie lors des sessions suivantes.

* 12 Cette convention pose notamment le principe de l'interdiction des actes de violences et de harcèlement dans le monde du travail au sens large. Pour ce faire, elle définit ce que recouvrent ces actes de violences et de harcèlement. Elle contient également un important axe de prévention de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. Elle pose également le principe de la prise en charge par l'employeur des violences domestiques.

* 13 Cf. annexe 6.

* 14 « Quatre questions à » : https://www.senat.fr/salle-de-presse/202011/25-novembre-journee-internationale-pour-lelimination-des-violences-a-legard-des-femmes.html

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