B. LES COMMUNES RÉCENTES ET ENCORE FRAGILES

À l'exception du Pays - le fenua -, la Polynésie française ne compte qu'une seule autre catégorie de collectivités territoriales : les communes.

Les communes polynésiennes sont au nombre de 48, parmi lesquelles on retrouve 18 communes « de droit commun » et 30 communes qui regroupent en réalité 98 « communes associées ». Elles procèdent de la loi n° 71-1028 du 24 décembre 1971. Auparavant, seules quatre communes « historiques » existaient : Papeete, créée en 1890, Uturoa en 1931, Faa'a et Pirae en 1965.

Le cadre juridique des communes associées en Polynésie française 4(*)

Les communes associées en Polynésie française ont généralement pris la suite de districts et de circonscriptions administratives antérieurs.

À la différence de la quasi-totalité du territoire national, ni la réforme de 2010 prévoyant la création de communes déléguées en remplacement des communes associées, ni la faculté de créer des communes nouvelles depuis 2014 n'ont été rendues applicables en Polynésie française. Dès lors, les communes associées de ce territoire sont encore régies par le droit antérieur à la réforme de 2010, issu de la loi dite « Marcellin » de 1971.

Sur le plan juridique, ces communes associées bénéficient en effet d'une autonomie relativement importante dans la mesure où :

- elles constituent une section électorale de plein droit ;

- elles disposent d'un maire délégué choisi par le conseil municipal parmi les conseillers élus dans la section correspondante issus de la liste qui a gagné la section la commune ;

- le maire délégué remplit dans la commune associée les fonctions d'officier d'état civil et d'officier de police judiciaire.

Le statut de large autonomie du territoire est en place depuis 2004 et les frontières des compétences respectives du Pays et des communes ne sont pas encore bien définies ou bien comprises.

1. Des compétences restreintes

Les communes polynésiennes étaient sous la tutelle administrative de l'État, avec un contrôle a priori de leurs décisions. Ce système a pris fin lorsque le statut de collectivité territoriale de la République à part entière leur a été reconnu par la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. Le système du contrôle a priori a complètement pris fin en 2012.

Cependant, elles n'ont que des compétences limitées, puisque l'article 13 de la loi organique du 27 février 2004, affirme que la compétence de principe appartient à la Polynésie française.

Le I de l'article 43 de la loi organique de 2004 dispose que les communes polynésiennes ne sont compétentes que dans neuf matières : police municipale ; voirie communale ; cimetières ; transports communaux ; construction, entretien et fonctionnement des écoles de l'enseignement du premier degré ; distribution d'eau potable, collecte et traitement des ordures ménagères et des déchets végétaux ; collecte et traitement des eaux usées. Le Conseil constitutionnel a donné une valeur de loi ordinaire au I de l'article 43.

Le II de cet article soumet l'exercice par les communes de huit autres compétences à l'adoption d'une loi par le Pays : développement économique, aides et interventions économiques ; aide sociale ; urbanisme et aménagement de l'espace ; culture et patrimoine local ; jeunesse et sport ; protection et mise en valeur de l'environnement et soutien aux actions de maîtrise de l'énergie ; politique du logement et du cadre de vie ; politique de la ville.

L'étendue du champ des compétences communales prévu par l'article 43 de la loi organique de 2004 est complétée par les dispositions du Code général des collectivités territoriales (CGCT) applicables aux communes de Polynésie française. Il en ressort l'attribution de compétences en matière notamment de sécurité, d'action sociale, de halles et marchés publics.

En ce qui concerne la clause générale de compétence des communes prévue par l'article L. 2121-29 du CGCT, elle est applicable aux communes en Polynésie française mais elle a une portée extrêmement limitée. Elle ne peut autoriser les communes à intervenir dans les domaines prévus par le II de l'article 43 de la LO qu'à titre subsidiaire des matières réservées à l'État ou à la Polynésie française, et en raison d'un intérêt public communal (CE, sect. intérieur, avis, 24 nov. 2015, n° 390576).

2. Des moyens financiers très limités

Les communes polynésiennes présentent la particularité de voir leur capacité fiscale fortement diminuée : l'article 53 de la loi organique réserve à la Polynésie française la compétence pour instituer des impôts ou taxes spécifiques aux communes, y compris pour service rendu, ces dernières ne pouvant qu'en fixer le taux.

Les communes dépendent du financement de l'État et des transferts du budget de la Polynésie française dont le montant annuel reste source de contentieux. Le fonds intercommunal de péréquation (FIP), créé en 1971 et réformé en 2010, est alimenté, d'une part, par la dotation territoriale pour l'investissement des communes en Polynésie (DTIC) qui est versée directement et, d'autre part, par une quote-part prélevée sur le budget de la Polynésie française. En moyenne, le fonds intercommunal de péréquation (FIP) représente 42 % des recettes de fonctionnement et 38 % des recettes d'investissement des communes polynésiennes5(*).

Il existe une forte dépendance du bloc communal à des recettes sur lesquelles il ne dispose que de peu de marges de manoeuvre, tant en fonctionnement qu'en investissement, et ce, dans un contexte d'élargissement des compétences avec la mise en place des services publics environnementaux (eau, assainissement, déchets). La tendance globale des intercommunalités et communes consiste à solliciter un accompagnement financier complémentaire de l'État, plutôt que de mettre en place des solutions compensatrices.

L'édition 2022 de l'Observatoire des communes de Polynésie française réalisé par l'Agence Française de Développement dresse un bilan financier de la mandature 2014-2022 des 48 communes polynésiennes. L'analyse consolidée des comptes confirme ce point « les budgets de fonctionnement et d'investissement restent fortement dépendants des dotations et participations du pays et de l'État ». Le rapport relève cependant «une amélioration générale des finances ». Il poursuit : « alors même que la capacité d'autofinancement double sur la période, le taux d'endettement agrégé reste faible, démontrant des marges de manoeuvre non-exploitées en investissement».

L'ÉDITION 2022 DE L'OBSERVATOIRE DES COMMUNES DE POLYNÉSIE FRANÇAISE

Source : AFD 6(*)

En effet, en matière de dette seules 34 des 48 communes du territoire, ont une dette auprès d'un organisme de prêt fin 2021. L'encours global de la dette en fin d'exercice 2021 représente près de 43,7 millions d'euros, en baisse par rapport à fin 2020 (46 millions d'euros). Rapporté au nombre d'habitants, il représente en moyenne 156 € par habitant contre 136 € en 2019. Le montant de la dette par habitant est réparti de façon très différenciée selon les archipels : de 131,6 € pour les communes des îles Marquises (2,96 % de l'encours de la dette totale) à 294,96 € pour les communes des îles Australes (4,88 % de l'encours de la dette totale). Du fait d'un recours à l'emprunt en progression, les disparités d'endettement entre archipels tendent à s'atténuer.

La concentration du pouvoir fiscal au niveau territorial a eu au moins un avantage, celui d'organiser la péréquation fiscale entre les communes et d'assurer une plus grande égalité entre les contribuables. Mais l'absence de marges de manoeuvre fiscale des communes a sans doute eu des répercussions sur le taux d'endettement de certaines d'entre elles ainsi que sur le contrôle exercé par les chambres territoriales des comptes, qui n'ont pas la possibilité de répercuter l'apurement des dettes d'une commune sur sa fiscalité propre.

Le constat évoqué en 2012 par notre ancien collègue M. Christian Cointat n'a fondamentalement pas évolué : « les élus municipaux ne peuvent pas toujours exercer les compétences qui sont confiées aux communes qu'ils dirigent, non par mauvaise volonté mais par manque de moyens, les plaçant ainsi dans une situation inextricable. »

3. Mais un échelon de proximité irremplaçable

Malgré ces difficultés, la commune est l'institution de base pour les habitants et l'interlocuteur du quotidien. Les communes sont l'acteur essentiel de délivrance de service public, la cellule de référence de la vie politique de proximité, le vecteur de continuité territoriale dans l'émiettement de la géographie physique. Sur la plupart des îles, la commune est la seule institution présente. Le tavana, le maire en tahitien, est une figure connue, reconnue et respectée par toute la communauté.

Il faut relever que, comme dans l'hexagone, la crise sanitaire a constitué, pour ceux qui en doutaient, le révélateur de la pertinence de cet échelon local. Les communes ont permis aux acteurs publics du territoire de garder le lien avec la population et de garantir la continuité du service public. Une loi de Pays a d'ailleurs été adoptée (LP n° 2020-33 du 8 octobre 2020) afin de permettre les conditions dans lesquelles les communes, les centres communaux et intercommunaux d'action sociale et les établissements publics de coopération intercommunale peuvent intervenir en matière d'action sociale à raison des difficultés économiques et sociales engendrées par la crise sanitaire.

En dépit de difficultés objectives d'exercice des compétences, vos rapporteurs ont constaté dans leurs déplacements que les élus locaux et leurs équipes des différents archipels portent une grande détermination à développer leurs projets et que l'intercommunalité est vue comme un vecteur de développement collectif.

En dépit de leurs faibles marges de manoeuvre, l'édition 2022 de l'Observatoire des communes de Polynésie française relève que le volume total des investissements communaux a augmenté de 33 % entre la mandature 2008-2013 et la mandature 2014-2020. « Les communes prennent aujourd'hui pleinement leur place dans le triptyque spécifique à la Polynésie française : État, Pays, communes » estime l'AFD.

Vos rapporteurs sont convaincus que le bloc communal est l'échelle pertinente pour conduire le développement local au plus près des aspirations des populations là où le Pays peut paraître un niveau d'administration plus distant des enjeux quotidiens et moins au fait des préoccupations locales.

De plus, comme le rappelle l'AFD dans son rapport précédemment cité : « face aux défis de la transition écologique, les collectivités locales auront un rôle décisif dans les secteurs de l'eau et de l'énergie notamment ».


* 4 Source : rapport de Mme Catherine Troendlé et M. Mathieu Darnaud, op. cit.

* 5 https://www.polynesie-francaise.pref.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Accompagnement-des-communes/Soutien-financier-de-l-Etat/Le-fonds-intercommunal-de-perequation-FIP/Presentation-du-FIP

* 6  https://www.afd.fr/sites/afd/files/2022-09-09-47-00/observatoire-communes-polynesie-francaise-2022.pdf

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page