AVANT-PROPOS

L'assassinat de Dominique Bernard, le 13 octobre 2023 dans l'enceinte de la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras, près de trois années jour pour jour après l'assassinat de Samuel Paty, a montré, une fois encore, l'urgence à agir pour protéger les enseignants ainsi que l'ensemble du personnel éducatif du premier et du second degré de l'enseignement5(*) contre les risques d'agressions auxquels ils sont exposés du simple fait de leurs fonctions.

Les commissions de la culture et des lois avaient devancé cette tragique actualité en lançant, dès le 15 juin 2023, une mission conjointe de contrôle, dotée des pouvoirs de commission d'enquête en la matière, afin de vérifier que l'assassinat des enseignants de la République a provoqué le sursaut attendu pour éviter de nouveaux drames dans nos écoles.

Ses travaux ont poursuivi un triple objectif de constat, d'analyse et de préconisation : tout d'abord, dresser l'état des lieux précis et sans concession des pressions, menaces et agressions auxquelles les enseignants et l'ensemble du personnel travaillant dans les établissements sont confrontés au quotidien ; ensuite, comprendre les facteurs à l'origine de cette situation et analyser les forces et les limites des mécanismes ouverts aujourd'hui par le droit et la pratique pour y répondre ; enfin, et surtout, formuler des recommandations à destination de l'ensemble des acteurs concernés - établissements scolaires, rectorats et services de l'éducation nationale, collectivités territoriales, force de sécurité, parquets et procureurs - afin de mieux protéger les agents au quotidien et d'éviter la survenue de nouveaux drames.

Au-delà des actes de terrorisme visant les enseignants en tant que figures d'autorité et d'émancipation, et incarnation des valeurs de la République française, la mission dresse le constat d'une violence quasi-quotidienne et endémique touchant aujourd'hui l'ensemble des établissements, de l'enseignement primaire comme secondaire, publics comme privés, sur l'ensemble du territoire. Marques d'irrespect, insultes et agressions verbales, menaces et intimidations, voire agressions physiques, constituent ainsi le quotidien des membres du personnel éducatif.

Si les enseignants sont en première ligne, par leurs conditions d'exercice professionnel - étant seuls face à une classe -, le reste du personnel est également concerné : chefs d'établissements pris à partie directement par les parents qui surgissent de manière inopinée dans leur bureau ; conseillers principaux d'éducation face à qui les élèves, et de plus en plus leurs parents, contestent le bien-fondé d'une sanction et qui doivent batailler pour imposer l'application d'une heure de retenue ; surveillants au coeur de la mêlée des cours de récréation et de la jungle des couloirs des établissements ; agents d'accueil, qui depuis leur loge, sont souvent au contact direct de la rue, et donc très vulnérables face à des parents d'élèves voire à des personnes parfaitement extérieures à l'établissement qui souhaiteraient entrer à tout prix pour « s'expliquer » avec un membre de l'équipe pédagogique ou administrative ou « régler des comptes » avec un élève.

Les chiffres laissent sans voix : au cours de l'année scolaire 2021-2022, ce sont plus de 222 000 enseignants pour le seul premier degré qui ont été victimes d'atteintes à la personne ou aux biens. Certains membres du personnel éducatif reconnaissent même avoir peur lorsqu'ils traversent la cour ou qu'ils risquent de croiser leurs élèves à l'extérieur de l'établissement.

Or, face à ce climat de tensions voire de danger, le personnel éducatif souffre d'une pesante solitude. Leurs membres se sentent dans l'ensemble peu soutenus par leur hiérarchie ; parfois, c'est le sentiment même d'appartenir à une équipe commune au sein de l'établissement qui fait cruellement défaut. Ce manque de cohésion permet d'autant plus facilement aux parents d'exercer une forte pression sur le personnel éducatif, sous l'effet combiné d'une double tendance.

D'une part, dans un contexte généralisé d'effritement de l'autorité dans la société, les parents s'en remettent toujours plus à l'école, étant parfois eux-mêmes dépassés par leurs propres enfants, voire ayant, pour certains, abdiqué toute velléité éducative.

D'autre part, à l'exact opposé de la situation qui a longtemps prévalu et dans laquelle les parents observaient une attitude de respect à l'égard de l'institution scolaire - la convocation chez le professeur, ou pire encore, chez le principal ou le proviseur était ressentie comme un accident grave dans la scolarité de l'élève, voire comme le signe de son propre échec comme parent -, les parents ont aujourd'hui tendance à considérer l'école publique comme un prestataire de services dont ils seraient les usagers, pour ne pas dire les clients. Dans cette logique, un certain nombre d'entre eux se sentent parfaitement légitimes à demander des comptes aux enseignants et aux autres membres du personnel éducatif pour tout enseignement dispensé, toute note donnée ou toute sanction infligée. Certains parents mécontents n'hésitent pas à brandir la menace de suites administratives et judiciaires, ni même à recourir à l'assistance d'un avocat pour contester une sanction disciplinaire prononcée contre un élève.

En outre, les atteintes aux valeurs de la République (et notamment à l'égalité, à la liberté d'expression et à la laïcité) sont une réalité que connaissent la majorité des établissements scolaires, que ce soit à travers la remise en cause du contenu des enseignements ou même le refus de suivre les cours de certaines disciplines pour des motifs religieux, ainsi que la remise en cause de l'égalité entre les hommes et les femmes et le refus de la mixité.

Ces atteintes résultent de la conjonction de plusieurs phénomènes : la « traditionnelle » révolte adolescente contre l'autorité, y compris parentale ; la montée de revendications identitaires et communautaires et de manifestations de l'islam radical ; l'effet amplificateur et déstabilisateur des réseaux sociaux par la banalisation de la violence et la multiplication des provocations organisées et instrumentalisées par des influenceurs et groupes de pression.

Dans ce contexte, l'heure n'est plus aux tergiversations ni aux compromissions, mais à l'action. Il est du devoir des pouvoirs publics d'apporter à tous ceux chargés de former les citoyens éclairés de demain une protection à la hauteur non seulement de leur engagement, mais aussi des risques et dangers dont on ne connaît aujourd'hui malheureusement que trop bien le caractère avéré.

À cette fin, la mission formule 38 recommandations visant notamment à réaffirmer l'autorité de l'institution scolaire, faciliter le recours à la protection fonctionnelle du personnel, fluidifier le parcours judiciaire pour les agents victimes, favoriser une relation partenariale entre l'éducation nationale et l'autorité judiciaire, et davantage sécuriser les établissements scolaires et leurs abords.

I. L'ÉCOLE DE LA RÉPUBLIQUE FACE À LA VIOLENCE

A. UNE VIOLENCE ENDÉMIQUE MAIS IMPARFAITEMENT DOCUMENTÉE

La violence scolaire est une problématique ancienne, à laquelle trente ans de politiques publiques ont tenté de trouver une solution - sans grand succès.

Comme l'avait alors souligné Pascal Bolloré, secrétaire général adjoint du SNPDEN-Unsa, à l'occasion des travaux de la commission de la culture en 2018, « la problématique des violences scolaires n'est ni ponctuelle, ni nouvelle. [...] En 1982, Le Monde de l'éducation, magazine depuis disparu, citait la thèse de Jacques Niort, sociologue, datant de 1962 et intitulée « Chahut et désordre dans l'enseignement du second degré ». Il y montrait notamment que l'arrivée d'un public différent dans les établissements dans les années 1960 avait conduit à la disparition du chahut au profit du désordre. En 1986, le même magazine titrait sur la violence au quotidien, avec des images assez fortes, des situations ressemblant étrangement à celles que nous connaissons aujourd'hui. 1986 est également l'année du premier plan contre la violence à l'école que nous avons recensé, élaboré par Michèle Alliot-Marie, alors secrétaire d'État en charge de l'enseignement. D'autres plans ont suivi : Lang en 1992, Bayrou en 1995 puis 1996, plan Allègre-Royal en 1997, Allègre en 2000, Lang en 2000, Ferry la même année, Darcos en 2002, de Robien en 2006, Chatel en 2009 et 2010. Le plan présenté par le ministre est donc le treizième depuis 1986 »6(*).

1. Une violence endémique

Malgré l'ensemble des politiques publiques mises en oeuvre pour prévenir et lutter contre la violence à l'école, celle-ci ne faiblit pas. Le taux d'incidents graves dans les établissements scolaires du secondaire pour mille élèves est de 12,3 lors de l'année scolaire 2021-2022. Il est passé à 13,7 incidents graves pour mille élèves en 2022-20237(*).

Source : Enquêtes SIVIS

La violence scolaire est un phénomène généralisé. Selon la dernière enquête du système d'information et de vigilance sur la sécurité scolaire (Sivis) du ministère de l'éducation nationale, portant sur l'année 2021-2022, près des deux tiers des établissements du second degré déclarent au moins un incident grave. Les collèges ainsi que les lycées professionnels sont les principaux établissements touchés. La dernière enquête PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) de 2022, menée par l'OCDE dont les résultats ont été publiés en décembre 2023, révèle des données alarmantes : 12 % des élèves ont déclaré avoir vu un élève avec un couteau ou une arme à feu dans leur établissement durant le mois précédant l'enquête8(*).

Longtemps épargnée, l'école primaire est désormais touchée par la violence. Fort heureusement, la prévalence des violences scolaires y est moindre : le taux d'incident y est de 3 pour mille élèves en 2021-2022 et près de huit écoles sur dix n'ont déclaré aucun incident grave. Mais ce taux progresse de manière constante ces dernières années. En 2022-2023, il bondit à 4,6 incidents pour mille élèves9(*).

Taux d'incidents graves pour 1 000 élèves au primaire
(enquêtes SIVIS)

 

2018-2019

2020-2021

2021-2022

2022-2023

Taux

2,4

2,8

3

4,6

Cette approche en pourcentage utilisée par le ministère minimise l'ampleur de la violence scolaire, ainsi que les pressions et menaces dont sont victimes le personnel éducatif au quotidien. En effet, à l'échelle du territoire, ce ratio de « 4,6 incidents pour 1 000 élèves » peut sembler presque anecdotique. Mais, en nombre absolu, cela représente en 2023-2024 plus de 25 500 incidents graves. Ce sont environ 8 700 incidents graves déclarés de plus que l'année précédente.

Les témoignages recueillis par les rapporteurs font état d'une violence latente dans les établissements scolaires, dont les incidents déclarés ne sont que la partie quantifiable. Qu'il s'agisse du premier ou du second degré, les études de victimation réalisées par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale confirment cet état de fait. Ainsi, si les directeurs d'école et les enseignants du premier degré ont globalement une perception positive du climat scolaire au sein de leur école, 55 % d'entre eux jugent qu'il y a « un peu » ou « beaucoup » de violence.

Ce climat de violence est également ressenti par les élèves : l'enquête réalisée en 2021 auprès des élèves de CM1-CM2 montre que 4 élèves sur 10 signalent avoir été victimes au moins une fois de violences verbales, d'ostracisme ou de vol et 23,1 % ont déjà eu peur de venir à l'école à cause de la violence, cette proportion étant de 27,5 % chez les filles. Plus d'un tiers des élèves ont été pris dans une bagarre, victimes d'un dommage collatéral ou d'une bousculade.

Cette violence du quotidien est également présente au collège : plus de la moitié des collégiens déplorent des vols de fournitures scolaires, et plus d'1 collégien sur 4 estime qu'il y a « un peu ou beaucoup d'agressivité entre les élèves ». 39 % des élèves français (âgés de 15 ans) déclarent, dans la dernière enquête PISA de 2022, que leur temps d'apprentissage en cours de mathématiques est réduit, l'enseignant devant attendre que les élèves se calment. Dans les conclusions de cette étude internationale pour la France, le climat scolaire est jugé « toujours très préoccupant en France », avec « une très légère aggravation entre 2012 et 2022 ».

Entre septembre 2023 et mi-janvier 2024, un peu plus de 41 900 faits ont été signalés, concernant pour la moitié le premier degré, 40 % le collège et 10 % le lycée. Selon les services du ministère, ceux-ci sont en forte augmentation par rapport à l'année dernière. Il en est de même pour leur gravité, les faits étant qualifiés de « parfois très graves et souvent de plus en plus graves ».

Paroles d'enseignants et de personnels administratifs devant la mission d'information : témoignages d'une violence quotidienne dans les établissements scolaires

Les propos tenus par des personnels éducatifs travaillant dans des établissements dont l'indice de positionnement social est supérieur à la moyenne nationale lors de leurs auditions corroborent une banalisation de la violence, « y compris entre élèves se disant amis ». Selon ces personnels10(*) : « pour eux rien n'est grave », « lorsque j'ai interpellé l'élève, il m'a répondu : je l'ai tapé, mais ce n'était pas très fort », « ils se disent bonjour en s'insultant », « il y a un regain d'incivilités : nous déplorons en moyenne 32 000 euros de dégâts chaque année », « le climat scolaire est plutôt apaisé, mais nous sommes constamment sur une ligne de crête : un rien peut faire basculer les élèves dans la violence ».

La violence devient également plus complexe notamment en raison du rôle croissant des réseaux sociaux. 28 % des collégiens ont été confrontés au moins une fois dans l'année à une forme de cyberviolence et pour 25 % des collégiens à au moins une cyberviolence de façon répétée, soit 71 % de ceux exposés. Comme l'a souligné la mission d'information du Sénat sur la lutte contre le cyberharcèlement en 202111(*), « avec l'usage d'internet, des téléphones portables et des réseaux sociaux, le harcèlement est sorti des murs de l'école. Le domicile n'est plus pour la victime le domaine jusqu'alors protégé des agressions. Un élève peut être persécuté « en continu », chez lui, dans sa sphère la plus intime ». Inversement, des échanges et disputes naissant dans le monde virtuel peuvent se prolonger dans l'enceinte scolaire du jour au lendemain, sans signe avant-coureur visible pour les équipes pédagogiques et administratives.

2. Des violences envers les personnels de l'éducation nationale en augmentation : « une anormalité de la normalité »

La violence touche de plus en plus les enseignants. Pour reprendre les propos de M. Jean-Louis Linder, vice-président de l'autonome de solidarité laïque, « les agressions sont somme toute assez quotidiennes et constituent une anormalité dans la normalité ». L'enseignement privé sous contrat est également concerné.

Les données issues de la base des victimes de crimes et délits enregistrées par la police et la gendarmerie nationales démontrent que les violences contre les personnels de l'éducation nationale sont désormais répandues. Selon Mme Cécile Berthon, directrice générale adjointe de la police nationale, « l'année 2022 marque un léger recul par rapport à 2021, mais indique néanmoins une progression par rapport à 2020. Nous observons donc un phénomène qui s'installe et qu'il nous faut, évidemment, prendre en compte ».

 

Violences physiques

Atteintes à la dignité
et à la personnalité

 

2020

2021

2022

2020

2021

2022

Enseignant

1 976

2 244

2 378

1 284

1 590

1 573

Professeur

1 032

1 224

1 340

616

781

881

Professeur de l'enseignement secondaire

258

311

204

270

254

155

Professeur des collèges

211

305

264

262

307

322

Instituteur

113

107

83

54

74

65

Proviseur

95

112

138

107

119

123

Principal de collège

135

171

189

176

273

239

Directeur d'école

303

413

280

327

428

273

Conseiller principal d'éducation

142

180

167

155

190

156

Conseiller d'orientation

18

38

20

13

16

14

Surveillant d'établissement scolaire

172

292

175

59

84

64

Surveillant de l'éducation nationale

22

45

31

11

9

11

Source : Ministère de l'intérieur

Comme le rappelle M. André Petillot, major général de la gendarmerie nationale, devant la mission, les « infractions consistent principalement en des outrages, des menaces, des menaces de mort, des insultes et des injures - la part des violences étant heureusement très minoritaire ».

Les dépôts de plainte ne traduisent que les faits les plus graves dont sont victimes les enseignants. Ils passent sous silence un certain nombre de faits qui ne sont pas portés à la connaissance des forces de l'ordre, notamment parce que l'enseignant ou le personnel administratif s'est limité à un traitement par les instances scolaires, la réponse judiciaire n'étant pas toujours la plus adaptée. C'est le cas par exemple de certaines insultes, gestes obscènes ou attitudes de mépris.

L'enquête nationale de climat scolaire et de victimation 2022 auprès des directeurs d'école et des enseignants du premier degré12(*) permet de mesurer les multiples canaux de violence auxquels ces enseignants sont désormais confrontés. Elle montre également que le volume des plaintes, déjà élevé, ne correspond qu'à une minorité des faits dont sont victimes les enseignants.

Afin de rendre visible une réalité que le recours au pourcentage tend à diluer, une estimation du nombre d'enseignants concernés a été calculée par la mission.

Estimation du nombre d'enseignants du 1er degré publics et privés sous contrat
concernés par diverses atteintes aux personnes ou aux biens en 2021-202213(*)

 

Expression avec arrogance, avec mépris

Menacé avec ou sans objet dangereux

Bousculade intentionnelle, coup et blessure

Vol(s) ou dégradation(s) de votre matériel pédagogique

Dégradation(s) d'objet(s) personnel(s) ou de votre moyen de locomotion

Vol(s) d'objet(s) personnel(s) ou de votre moyen de locomotion

Pourcentage

36,9

10,1

3

9,1

2,5

2

Nombre

137 800

37 700

11 200

34 000

930

740

Les rapporteurs tiennent à le souligner : ces chiffres ne concernent que le premier degré, soit à peine 43 % des enseignants, et pour des niveaux scolaires considérés jusqu'à présent comme moins sujets à la violence.

Pour le second degré, les données disponibles sont plus anciennes - la seule enquête de victimation réalisée auprès des enseignants du second degré date de 201914(*). Néanmoins, ces données permettent de proposer un ordre de grandeur et de brosser à grands traits le climat scolaire dans les établissements du second degré - d'autant que le nombre d'incidents graves pour 1 000 élèves signalés au ministère est pratiquement le même entre 2018-2019 (12,2) et 2021-2022 (12,3).

Estimation du nombre d'enseignants du second degré
publics et privés sous contrat concernés par diverses atteintes aux personnes ou aux biens en 2018-2019

 

Menacé avec ou sans objet dangereux

Bousculé intentionnellement ou/et frappé

Vol ou dégradation de matériel pédagogique

Vol d'objets personnels

Menace avec arme

Pourcentage

11,9

3,5

9,1

2,6

0,2

Nombre

58 500

17 200

44 700

12 700

900

L'enseignement privé sous contrat, certes dans une moindre mesure, est également concerné. Il ressort de l'enquête de victimation de 2019 que 8,2 % des enseignants des collèges et lycées privés sous contrat indiquent avoir été menacés avec ou sans objet dangereux, et 1,2 % avoir été bousculés intentionnellement et/ou frappés. Cela représente respectivement 8 000 et 1 200 enseignants15(*).

Ces faits sont récurrents : les personnels victimes de ces violences indiquent les subir plusieurs fois au cours de l'année scolaire. 82 % des personnels victimes d'attitudes arrogantes ou méprisantes et 70 % des victimes de moqueries ou d'insultes déclarent l'être au moins deux fois par an.

3. Les réseaux sociaux : caisse de résonnance amplificatrice des pressions et menaces sur les enseignants

L'actualité a mis en lumière l'effet boule de neige que peuvent avoir les réseaux sociaux, dans la propagation des rumeurs, et des pressions et menaces sur les enseignants. Ainsi, une enseignante de philosophie à Calais, victime d'une campagne de haine en ligne, et de la publication d'informations personnelles permettant de l'identifier, a dû, par mesure de sécurité, quitter son établissement. En Belgique, à Charleroi, plusieurs établissements scolaires ont été dégradés - certains incendiés - à la suite de rumeurs sur le contenu du nouveau cours (une séance annuelle de deux heures) d'éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle pour les élèves de 6ème primaire (CM2) et de seconde de la région de Wallonie-Bruxelles.

Cette mise en accusation du personnel de l'éducation nationale ne se limite pas aux contestations d'enseignement. Certains enseignants sont également mis en cause pour ne pas être intervenus à la suite de cas de harcèlement d'élèves, avec leurs noms, leurs établissements, voire leurs adresses personnelles dévoilés. Les syndicats enseignants ont indiqué aux rapporteurs que tous les personnels d'un établissement scolaire avaient subi des messages de haine à la suite du suicide d'une élève, en mai dernier.

Cette pression exercée sur les enseignants via les réseaux sociaux est d'ailleurs l'un des moyens d'action privilégié du groupe des « parents vigilants », proche du parti politique « Reconquête ! » ou encore de « collectifs de parents » : dénonciation du contenu d'un enseignement, d'une sortie scolaire, de documents pédagogiques utilisés par un enseignant, « raid » numérique avec publication d'informations relatives à l'établissement scolaire, pression exercée sur le chef d'établissement et le rectorat,...

Les pressions ou menaces via l'outil numérique ne sont pas totalement nouvelles : en 2015, Stéphanie de Vanssay, alors conseillère nationale à l'Unsa-éducation, a été victime de harcèlement en ligne, pour des propos tenus en lien avec la réforme du collège et de la pédagogie. Mais celles-ci sont désormais beaucoup plus nombreuses. Surtout, tout personnel de l'éducation nationale peut se retrouver désigner à la vindicte populaire numérique à la suite d'un message posté par un élève, un parent d'élève ou un tiers remettant en cause ses choix pédagogiques ou son inaction supposée face à des cas de harcèlement d'élèves.

Face à cette modalité de pression en pleine expansion, la loi confortant les principes de la République du 24 août 2021 a créé deux nouveaux délits : le délit d'entrave à l'enseignement prévoyant que « le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la fonction d'enseignant est puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende » (art. 431-1 du code pénal) et le délit de divulgation « d'informations permettant d'identifier ou de localiser une personne, dans le but de l'exposer à un risque immédiat d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique, ou aux biens » (art. 223-1-1 du code pénal). Néanmoins, l'application de ces sanctions reste perfectible (cf. ci-après).


* 5 La mission conjointe de contrôle ne s'est pas penchée sur le cas de l'enseignement supérieur, compte tenu de ses spécificités s'agissant aussi bien du statut particulier des enseignants à l'université, qui ne sont pas soumis aux mêmes règles que les autres agents de la fonction publique, que du public des étudiants, majoritairement majeur, et de la place des parents dans les relations entre les étudiants et les enseignants.

* 6 Rapport n° 226 de Mme Catherine Morin-Desailly, « #PasdeVague : la détresse des enseignants face à la violence scolaire », session 2018-2019.

* 7 Les signalements d'incidents graves dans les écoles publiques et les collèges et lycées publics et privés sous contrat en 2022-2023, note d'information n° 24.04, DEPP, février 2024.

* 8 Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) : principaux résultats pour la France du PISA 2022, OCDE, version française. Les élèves interrogés dans le cadre du PISA dans les différents pays participants ont 15 ans.

* 9 Note d'information précitée n° 24.04, DEPP, février 2024.

* 10 Les rapporteurs remercient l'ensemble des personnels de l'éducation nationale pour leurs témoignages reçus à l'occasion de cette mission d'information.

* 11 Harcèlement scolaire et cyberharcèlement : mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter, rapport d'information n° 843 de Colette Mélot, session 2020-2021.

* 12 Résultats de l'enquête nationale de climat scolaire et de victimation 2022 auprès des directeurs d'école et des enseignants du premier degré, note d'information n° 23.15, DEPP, mars 2023.

* 13 Selon les publications du ministère de l'éducation nationale (notamment l'Éducation nationale en chiffres, édition 2022), il y avait 373 600 enseignants dans le premier degré en 2021-2022. Ce nombre est rapporté au pourcentage d'enseignants du 1er degré se déclarant confrontés à une violence dans l'enquête de climat scolaire et de victimation réalisée par la DEPP (note d'information n° 23.15 - Mars 2023).

* 14 Résultat de la première enquête de climat scolaire auprès des personnels du second degré de l'éducation nationale, DEPP, note d'information n° 19.53, décembre 2019.

* 15 Calcul réalisé sur la base de 96 650 enseignants dans le second degré privé sous contrat, L'éducation nationale en chiffres 2019, DEPP

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