N° 697

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juin 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le financement
de la
recherche spatiale,

Par M. Jean-François RAPIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

La politique spatiale poursuit des objectifs à la fois scientifiques, industriels et stratégiques qui sont financés dans le cadre de programmes nationaux et internationaux, en particulier à l'échelle européenne. Cette politique interministérielle mobilise un soutien public à hauteur de 3,2 milliards d'euros en 2023.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », a présenté le 19 juin 2024 les résultats de son contrôle sur le financement de la politique spatiale.

I. LA POLITIQUE SPATIALE EST UN LEVIER DÉTERMINANT DE LA POLITIQUE DE RECHERCHE, DE LA COMPÉTITIVITÉ ET DE L'AUTONOMIE STRATÉGIQUE DE LA FRANCE ET DE L'UNION EUROPÉENNE

A. LA POLITIQUE SPATIALE CONDUITE À L'ÉCHELLE DE LA FRANCE ET DE L'EUROPE DÉFEND NOS INTÉRÊTS SCIENTIFIQUES, INDUSTRIELS ET STRATÉGIQUES

La politique spatiale est par nature une politique interministérielle qui poursuit des objectifs dans trois domaines distincts bien qu'interconnectés : la recherche, l'industrie et la défense. Le rôle de la recherche scientifique, que ce soit dans les domaines des sciences de la Terre ou des sciences de l'univers, a été affirmé dès la structuration de la politique spatiale dans les années 1960.

Les technologies spatiales sont également une composante déterminante de l'autonomie d'appréciation des armées et leur maîtrise est intégrée aux objectifs de notre politique de défense pour garantir notre souveraineté. Alors que l'espace est une dimension ancienne de la politique de défense, son caractère stratégique a été réaffirmé en 2019 par la publication d'une Stratégie spatiale de défense et la création d'un commandement de l'espace (CDE).

Répartition des emplois de l'écosystème spatial français

(en emplois directs)

Source : commission des finances, d'après les données de l'INSEE

Enfin, la politique spatiale est également une politique industrielle en soutien d'un secteur à haute valeur ajoutée qui investit largement dans la recherche et développement (R&D) et oriente plus de 40 % de son activité vers l'exportation. L'intégration de la politique spatiale au portefeuille du ministre chargé de l'économie et des finances depuis juillet 2020 témoigne de l'importance croissante prise par l'enjeu de soutien à la compétitivité des acteurs économiques français dans la stratégie spatiale nationale.

la filière spatiale industrielle française regroupe

réalisant un chiffre
d'affaires de

dont

 
 
 

sociétés

par an

pour des clients étrangers

La mise en oeuvre de la politique spatiale française est largement assurée par un opérateur pivot : le Centre national d'études spatiales (CNES). Placé sous la triple tutelle des ministres chargé de la recherche, de la défense et de l'industrie, le CNES a développé une expertise reconnue depuis sa création en 1961 et il garantit la cohérence des initiatives publiques en matière spatiale.

À l'échelle européenne, des programmes spatiaux communs, au premier rang desquels la série des fusées Ariane, sont mis en oeuvre depuis 1975 par l'Agence spatiale européenne (ESA1(*)), organisation intergouvernementale conventionnelle indépendante de l'Union européenne. Le lancement depuis les années 1990 des programmes de navigation par satellites Galileo et d'observation de la Terre Copernicus a renforcé l'implication de l'Union européenne dont la compétence dans le domaine spatiale a été consacrée par le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009.

B. LES ENTREPRISES DU SPATIAL AFFRONTENT UNE CONCURRENCE CROISSANTE INDUITE PAR LA DIVERSIFICATION DES ACTEURS

Le secteur spatial est transformé depuis plusieurs années par un phénomène d'abaissement de la barrière technologique, en conséquence duquel l'espace devient accessible à nombre croissant d'acteurs économiques et de pays. Si cette « nouvelle aventure spatiale » (New Space) ne remet pas en cause le rôle déterminant des financements publics dans la politique spatiale, elle se traduit en revanche par une réorientation de l'intervention publique pour soutenir les acteurs privés innovants.

Le vol inaugural d'Ariane 6 prévu en juillet 2024 interviendra avec quatre ans de retard sur la programmation initiale.

En Europe, le contexte spatial est également marqué par le retard de quatre ans pris dans le développement du nouveau lanceur lourd Ariane 6 décidé en 2014 et dont le vol inaugural devrait se tenir en juillet 2024. Depuis le lancement de la dernière fusée Ariane 5 en juillet 2023, l'Europe se trouve dans une situation de dépendance en matière de lanceurs spatiaux lourds qui doit être impérativement corrigée pour garantir l'autonomie stratégique du continent.

Dépenses publiques dans le domaine spatial en 2022

Source : commission des finances, d'après les données de Bryce Tech

La réorganisation du secteur spatial induite par l'émergence du New Space se traduit également par la diversification des pays menant des programmes spatiaux, illustrée par la dynamique des programmes spatiaux indien et chinois notamment. Si les États-Unis représentent encore plus de la moitié des dépenses publiques spatiales dans le monde, l'Europe doit maintenir un niveau d'investissement suffisant pour demeurer une puissance spatiale autonome.

II. LA POLITIQUE SPATIALE BÉNÉFICIE DE 3,2 MILLIARDS D'EUROS DE SOUTIEN PUBLIC SELON UN SCHÉMA DE FINANCEMENT COMPLEXE

Le principal vecteur de financement de la politique spatiale est le programme budgétaire 193 « Recherche spatiale », d'un montant de 1 836 millions d'euros2(*) en 2023, qui finance à la fois la subvention annuelle versée au budget du CNES pour la mise en oeuvre de ses programmes et la contribution de la France au budget de l'Agence spatiale européenne (ESA).

Les 193 millions d'euros annulés par décret sur le programme 193 remettent en cause le respect de la trajectoire de la loi de programmation de la recherche en 2024.

La désignation à partir du projet de loi de finances pour 2022 du directeur général des entreprises comme responsable de ce programme a eu pour effet de placer sous l'autorité du ministre des finances les deux tiers des dépenses budgétaires dédiées à la politique spatiale. Le rapporteur relève enfin que l'annulation par décret de 193 millions d'euros sur ce programme en février 2024 fragilise le respect de la trajectoire fixée par la loi de programmation de la recherche.

Le programme 193 est complété, à hauteur de 983 millions d'euros en 2023, par des dépenses publiques financées par quatre autres programmes du budget général dont ceux pilotés par les armées qui représentent près d'un tiers du budget total consacré au secteur spatial. Enfin, pour compléter son estimation de l'effort public en faveur de la politique spatial, le rapporteur spécial intègre une fraction de la contribution française au budget de l'Union à hauteur de 302 millions d'euros et une estimation du coût associé au crédit d'impôt recherche (CIR) dans l'industrie spatiale à hauteur de 57 millions d'euros.

Répartition du soutien public à la politique spatiale en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

III. DIVERSIFIER LE FINANCEMENT ET CLARIFIER LES ORIENTATIONS STRATÉGIQUES DE LA POLITIQUE SPATIALE FRANÇAISE ET EUROPÉENNE

A. L'ADOPTION D'UNE STRATÉGIE GLOBALE ET LA DIVERSIFICATION DU FINANCEMENT RENFORCERAIENT L'EFFICIENCE DE LA POLITIQUE SPATIALE FRANÇAISE

La gouvernance actuelle de la politique spatiale française, fondé sur l'expertise duale du CNES et son positionnement central et interministériel, est robuste. Elle permet notamment de mener à bien la réorientation de la politique spatiale vers le soutien aux acteurs économiques de la filière pour assurer leur compétitivité. Il n'apparait par conséquent pas opportun de créer un acteur institutionnel supplémentaire pour ne pas complexifier la mise en oeuvre de cette politique interministérielle.

Pour autant, l'adoption par le ministre chargé de l'espace, à l'image de plusieurs de nos pays-partenaires, d'une stratégie spatiale nationale couvrant les domaines civils et militaires permettrait de fixer les grandes orientations de notre politique spatiale et d'assurer la cohérence entre les programmes spatiaux pilotés et financés dans des périmètres ministériels distincts. Parallèlement, en dehors des opérateurs de recherche et des armées, trop peu de ministères mobilisent les services spatiaux alors que la commande publique est un vecteur puissant de soutien à la filière spatiale.

La commande publique est un levier déterminant de financement du secteur spatial qui peut répondre aux besoins de nombreux opérateurs de service public.

B. LE RENFORCEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE DANS LE DOMAINE SPATIAL SE TRADUIRAIT PAR UN AFFERMISSEMENT DU PILOTAGE STRATÉGIQUE DE CETTE POLITIQUE

À l'échelle européenne, et en prévision de la disponibilité à venir du lanceur lourd Ariane 6, il est impératif de consacrer et d'assurer l'effectivité d'un principe de « préférence européenne » dans le cadre des marchés institutionnels de lancements orbitaux.

Parallèlement, le rapporteur relève que l'Union européenne doit poursuivre sa montée en charge comme financeur de la politique spatiale en cohérence avec l'affirmation récente de l'Union en matière d'autonomie stratégique, qui n'avait pas pu être prise en compte dans l'établissement du cadre financier pluriannuel actuel.

Le prochain cadre financier pluriannuel doit renforcer le financement de la politique spatiale, partie intégrante de l'autonomie stratégique européenne.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1. Adopter une stratégie spatiale nationale recouvrant les dimensions civiles et militaires de la politique spatiale pour renforcer la visibilité à long terme de l'engagement public vis-à-vis des citoyens, des pays-partenaires et des investisseurs privés (ministre chargé de la politique spatiale).

Recommandation n° 2. Actualiser à l'article L. 331-2 du code de la recherche les missions du Centre national d'études spatiales (CNES) pour y intégrer les dimensions stratégiques et industrielles de son activité (direction générale des entreprises - DGE, direction générale de l'armement).

Recommandation n° 3. Consacrer le rôle du CNES pour conseiller les acheteurs publics et cofinancer le premier recours à des services spatiaux (CNES, DGE).

Recommandation n° 4. Simplifier le circuit de financement de la politique spatiale en intégrant au programme 193 « Recherche spatiale » l'intégralité de la contribution française à l'Agence spatiale européenne (ESA) (CNES, secrétariat général pour l'investissement).

Recommandation n° 5. Consolider le dispositif de soutien aux acteurs français se portant candidat pour obtenir des financements européens dans le secteur spatial en maintenant la mission d'accompagnement des porteurs de projet dans le secteur public (programme Horizon Europe) et en l'élargissant au secteur privé (initiative Cassini) (direction générale de la recherche et de l'innovation - DGRI, DGE, CNES).

Recommandation n° 6. Consacrer un principe de « préférence européenne » applicable aux lancements spatiaux institutionnels réalisés par l'ensemble des États membres de l'Union (Commission européenne, Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne).

Recommandation n° 7. À moyen terme, à l'occasion de la conférence ministérielle de 2025, réformer dans le domaine industriel la règle du retour géographique inscrite dans le traité constitutif de l'Agence spatiale européenne (ESA), pour concilier les objectifs de compétitivité et d'équilibre de la répartition géographique de l'industrie spatiale (CNES, ministre des affaires étrangères).

Recommandation n° 8. À long terme, consolider le rôle de l'Union européenne dans le financement de la politique spatiale européenne dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034 pour renforcer son pilotage politique et la compétitivité de l'industrie spatiale au regard de l'objectif d'autonomie stratégique européenne (Commission européenne, Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne).

I. LA POLITIQUE SPATIALE BÉNÉFICIE D'UN SOUTIEN PUBLIC À HAUTEUR DE 3,2 MILLIARDS D'EUROS CHAQUE ANNÉE

A. LA POLITIQUE SPATIALE EST UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE, SCIENTIFIQUE ET STRATÉGIQUE DONT LA MISE EN oeUVRE EST PARTAGÉE ENTRE DES INSTITUTIONS NATIONALES ET EUROPÉENNES

1. Les objectifs de la politique spatiale se déploient selon trois dimensions complémentaires : scientifique, industrielle et stratégique
a) Le soutien apporté à la recherche fondamentale et appliquée dans le domaine des sciences spatiales constitue le volet scientifique de la politique spatiale

Le volet scientifique de la politique spatiale française, en contribuant à l'accroissement des connaissances scientifiques sur la planète Terre et sur l'univers, est une composante pleinement intégrée à la politique nationale de la recherche qui a pour but d'accroître les connaissances et de valoriser les résultats de la recherche3(*) par l'innovation, le transfert et technologie et le partage de la culture scientifique, technique et industrielle.

La dimension scientifique de la politique spatiale apparaît dès la structuration de cette politique à la fin des années 1950 et il est à relever qu'un comité de recherches spatiales, ayant pour mission d'établir et d'exécuter un programme de recherches spatiales, avait été établi sous la présidence du professeur Pierre Auger dès janvier 1959 auprès du Premier ministre4(*).

Les sciences spatiales recouvrent un grand nombre de domaine de recherche qui peuvent être alimentés grâce à l'observation de la Terre ou aux technologies spatiales. Elles peuvent être divisées en deux grandes catégories, selon la typologie adoptée par le Centre national d'études spatiales (CNES) : d'une part les sciences de la Terre et d'autre part les sciences de l'univers.

En premier lieu, la recherche spatiale apporte une contribution essentielle aux sciences de la Terre grâce à l'observation de la Terre depuis l'espace qui constitue un complément déterminant aux systèmes d'observation au sol pour disposer de données scientifiques de suivi globales et sur le long terme du système complexe de la planète Terre.

L'observation de la Terre contribue en particulier à alimenter la recherche scientifique dans les domaines de la compréhension du système Terre (cycle de l'eau, cycles biogéochimiques, étude de la cryosphère, étude du littoral), de l'étude du changement climatique et de l'évolution de la biodiversité5(*). La contribution de la politique spatiale aux sciences de la Terre est coordonnée par le comité scientifique « Terre, Océan, Surfaces Continentales, Atmosphère » (TOSCA) constitué par le responsable du programme « observation de la Terre » du CNES pour définir les priorités en matière d'utilisation pour la recherche de l'observation de la Terre depuis l'espace6(*).

Par exemple, dans le domaine de la climatologie, l'utilisation d'un spectromètre situé en orbite permet de disposer de données relatives à la concentration atmosphérique du dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre à l'origine du réchauffement climatique. L'exploitation scientifique de ces données permet d'accroitre les connaissances sur le cycle de vie du carbone et sur l'efficacité des puits de carbone constitué par les sols, les océans et la végétation7(*).

Un exemple d'utilisation scientifique de l'observation de la Terre :
la mission SWOT

Le CNES et la NASA ont démarré en 2008 les travaux préparatoires de la mission SWOT (Surface Water and Ocean Topography) dont l'objet est d'étudier les surfaces d'eau grâce à l'observation depuis l'espace. Le programme est copiloté par le CNES et la NASA qui se sont réparti la fourniture des principaux instruments de la mission dont notamment le module « Nadir » développé par le CNES et le radar « Karin » développé par la NASA, en association avec l'agence spatiale du Canada (CSA) et l'agence spatiale du Royaume-Uni (UKSA) qui financent certains modules utilisés par la mission.

Le satellite scientifique SWOT a été mis en orbite avec succès le 16 décembre 2022 par le lanceur Falcon 9 de la société SpaceX, depuis la base américaine de Vandenberg en Californie.

Les données d'altimétrie recueillies par la mission SWOT permettront d'améliorer la connaissance des océans et d'effectuer une mesure globale des hauteurs d'eau des fleuves, lacs et zones inondées, avec un niveau de résolution de l'ordre de cent mètres, ce qui constitue une rupture technologique.

En second lieu, la recherche spatiale englobe le domaine des sciences de l'univers et de la matière, qui permettent d'améliorer nos connaissances sur les lois de la physique et les processus de transformation de la matière, l'origine et l'évolution de l'univers, le fonctionnement du système solaire, la formation des planètes. Au sein du CNES, la coordination des programmes de recherche dans le domaine des sciences de l'univers et de la matière est assurée par le comité d'évaluation sur la recherche et l'exploration spatiale (CERES).

La recherche dans les sciences de l'univers et de la matière s'appuie à la fois sur des missions d'exploration spatiale et sur des données d'observation de l'espace. Par exemple, en matière d'exploration, la sonde Rosetta lancé en 2004 a orbité en 2014 la comète Churyuomov-Gerasimenko et a largué l'atterrisseur Philae qui a effectué pendant dix-huit mois des mesures sur la surface de la comète qui ont permis de faire avancer notre connaissance des sciences de l'univers. En matière d'observation, le satellite Gaia lancé en 2013 mène une mission de cartographie partielle de la galaxie. Le troisième catalogue d'étoiles « Gaia DR3 », publié en juin 2022, permet de recenser 1,8 milliard d'étoiles et 160 000 astéroïdes8(*).

Un exemple d'observation du système solaire au service des sciences
de l'univers : la mission Juice

L'Agence spatiale européenne (ESA9(*)) a démarré en 2012 le programme Juice (Jupiter Icy Moons Explorer) qui se substitue à un précédant programme en coopération avec la NASA, mais cette dernière l'abandonné pour des raisons budgétaires.

La mission Juice a pour objet d'étudier trois lunes glacées de Jupiter (Europe, Callisto, Ganymède) et d'étudier l'atmosphère et le champ magnétique de Jupiter pour améliorer nos connaissances sur les planètes du système solaire.

Le satellite scientifique Juice a été lancé avec succès le 14 avril 2023 par le lanceur Ariane 5 de la société Arianespace, depuis le centre spatial guyanais de Kourou. Son arrivée dans le système jovien, situé à 600 millions de kilomètres de la Terre, est prévue en 2031.

Les laboratoires et équipes de recherche français occupent une place importante dans la communauté scientifique mondiale dans le domaine des sciences de la Terre et des sciences de l'univers et de la matière. On peut relever à ce titre que, par exemple, la France occupe la deuxième place mondiale derrière les États-Unis dans le domaine de la planétologie en matière de nombre de publications et de citations10(*).

Pour mesurer le rayonnement de la recherche spatiale française, les documents budgétaires annuels suivent des indicateurs spécifiques relatifs à la part française dans les publications de référence en recherche spatiale mondiale ou européenne. Leur évolution fait apparaître une place importante de la science spatiale française qui représente, selon les années, entre 13 % et 14,2 % des publications de référence à l'échelle de l'Union européenne entre 2017 et 2022.

Part française dans les publications de référence en recherche spatiale

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Alors que le Gouvernement lui-même estime que cet indicateur « apparaît assez instable »11(*) en raison de l'étroitesse de son périmètre, la construction d'un indicateur plus robuste serait utile pour consolider le pilotage par la performance des dépenses budgétaires dans la recherche spatiale.

b) La politique spatiale est une politique industrielle de soutien à une filière manufacturière de pointe à haute valeur ajoutée

Au sein du tissu industriel français, l'industrie aéronautique constitue l'un des secteurs les plus performants au regard de son activité au service des clients sur le territoire national et pour l'exportation. La filière spatiale est une filière industrielle qui s'est développée en lien avec le secteur aéronautique en raison de la proximité des problématiques, des matériaux, des contraintes et des clients partagés par les deux filières. Elle regroupe les entreprises dont l'activité concourt à la construction d'astronefs (lanceurs, véhicules ou satellites) ou de leurs moteurs, indépendamment de l'usage de ces astronefs. À l'échelle de la filière, les programmes militaires représentent 19 % de l'activité.

Sur le territoire français, la filière spatiale représentait en 2020 un groupe de 1 704 sociétés dont le chiffre d'affaires atteint 10,8 milliards d'euros12(*). La filière spatiale, dont 80 % des sociétés ont également une activité aéronautique, emploie sur l'ensemble du territoire 33 200 salariés.

Le tissu industriel de la filière spatiale française est structuré autour de grandes entreprises internationales capables de construire des systèmes de lancement (ArianeGroup) ou des satellites (Thales Alenia Space et Airbus Defense and Space). Ces grands groupes emploient de nombreux sous-traitants pour la production de pièces ou de modules d'équipement des astronefs. Les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) représentent 40 % des emplois de la filière.

Les soixante sociétés uniquement spatiales, ou pure-players13(*), représentent à elle seules 70 % du chiffre d'affaires de la filière. Elles sont constituées à la fois d'acteurs historiques et d'acteurs plus récents, comme en témoigne le fait que la moitié des pure-players de la filière ont été créés après 2001.

Les entreprises de la filière spatiale sont présentes dans l'ensemble des régions métropolitaine et en Guyane, même si elles se concentrent dans deux bassins d'emplois principaux. En premier lieu, la région Occitanie, en lien avec la présence historique de l'industrie aéronautique dans la métropole toulousaine, représente à elle seule 12 600 emplois soit 39% de l'ensemble de la filière. La région Île-de-France, qui réunit notamment les sièges des grands groupes spatiaux, est le deuxième bassin de la filière spatiale avec 8 600 emplois. Enfin, il est à relever que la présence en Guyane du centre spatial guyanais de Kourou, base de lancement française et européenne, se traduit par le développement d'une activité économique de la filière spatiale en Guyane avec plus de 1 000 emplois directs.

Concentration territoriale de la filière spatiale

(en part des emplois directs)

Source : commission des finances, d'après les données de l'INSEE

Il est également à relever que la filière spatiale constitue une filière à haute valeur ajoutée qui contribue largement à l'export, les clients étrangers représentant 43 % de leur activité, et au financement privé de la recherche appliqué. Il est en particulier à relever que 30 % des sociétés de la filière réalise des investissements en recherche et développement (R&D) et que cette proportion est de 67 % pour les pure-players de la filière spatiale. La recherche appliquée financée par le secteur se traduit également par la formation de liens importants avec les organismes de recherche publique comme en témoigne le fait que 29 % des sociétés menant des travaux de recherche et développant dans le domaine aérospatial nouent un partenariat avec un organisme public de recherche.

Enfin, il est à relever que la filière industrielle ne constitue qu'une partie de l'écosystème spatial qui représente un volume total de 70 200 emplois directs, c'est-à-dire plus de deux fois le nombre d'emplois représentés par la filière spatiale industrielle.

En effet, la filière spatiale industrielle est complétée par une « filière spatiale aval » qui regroupe les nombreuses entreprises qui valorisent les données spatiales dans divers domaines économiques dont notamment les transports, l'agriculture ou la planification urbaine. Le CNES estime à 29 000 le nombre d'emplois directs représentés par cette filière spatiale aval.

À ces deux filières économiques, s'ajoutent les emplois représentés par les agents des principaux acteurs institutionnels et scientifiques dont l'activités est en lien direct avec le domaine spatial. Ainsi en est-il des 3 000 emplois directs environ, au sein des 600 équipes de recherche, en matière de sciences de l'univers. Enfin, on estime que 5 000 emplois directs correspondent aux différentes administrations impliquées dans le soutien de l'industrie spatiale, dont en particulier les ministères de la recherche, de l'industrie et de la défense.

Répartition des emplois de l'écosystème spatial français

(en emplois directs)

Source : commission des finances, d'après les données de l'INSEE

c) Le volet stratégique de la politique spatiale correspond à la nécessité de conserver la maîtrise souveraine sur certaines technologies spatiales dans le domaine militaire

Parallèlement à son caractère essentiel dans de nombreux domaines économiques civils, le domaine spatial constitue également un secteur dont le développement est déterminant pour la conservation de l'autonomie stratégique de la France.

Les technologies spatiales fournissent aux forces armées des services d'observation, d'écoute, de télécommunication et d'aide à la navigation qui sont devenues indispensables à la bonne conduite des opérations - à cet égard, le chef d'état-major des armées estimait en décembre 2020 qu'il est « pratiquement impossible d'envisager la moindre manoeuvre militaire sans appui météo ou navigation »14(*).

En effet, les forces armées s'appuie sur une autonomie nationale d'appréciation de situation, de décision et d'action dont le maintien nécessite la mobilisation des technologies spatiales. En premier lieu, les armées utilisent l'observation spatiale dans le cadre d'activités de renseignement spatial, ou GEOINT15(*), qui permettent par la fusion de données spatiales et terrestres d'appuyer les opérations ou de recueillir des renseignements non intrusifs. En deuxième lieu, les technologies d'écoute électromagnétique permettent de recueillir des renseignements sur l'activité des adversaires potentiels de la France. En troisième lieu, les forces déployés en opération s'appuie sur la télécommunication satellitaire militaire pour communiquer avec les centres de décision sur le territoire national sans utiliser de relai terrestre. Enfin en quatrième lieu, la plupart des systèmes d'information et des systèmes d'armes utilisés par les forces reposent sur l'utilisation d'un système de radionavigation par satellite.

L'importance des technologies spatiales pour assurer l'autonomie nationale d'appréciation de la situation, et son incidence sur l'autonomie nationale de décision, est, par exemple, illustrée par le fait que la décision prise par le Président de la République de ne pas engager la France dans une opération militaire en Irak en 2003 a notamment été fondée sur des renseignements d'origine spatiale16(*).

L'espace extra-atmosphérique se distingue de l'espace aérien par le fait qu'il est libre d'accès et ne ressortit par de la souveraineté territoriale de l'État sous-jacent. Si le traité de l'espace du 27 janvier 196717(*) a consacré le principe de liberté d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique18(*), il ne fait pas obstacle à une double phénomène de militarisation et d'arsenalisation de l'espace, sous réserve du déploiement dans l'espace des armes de destruction massive qui est prohibé par le traité19(*). La militarisation de l'espace se traduit par la mise sur orbite de satellites non agressifs à des fins militaires tandis que l'arsenalisation de l'espace désigne la mise sur orbite de satellites agressifs en mesure d'atteindre des cibles sur Terre ou en orbite.

La dégradation du contexte géopolitique international s'est traduite par l'identification, dès 2017, de l'espace extra-atmosphérique comme d'un espace contesté dans le cadre de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale qui estimait que l'espace est « investi par les logiques de compétition stratégique et militaire »20(*). Le diagnostic formulé par la Revue stratégique de 2017 a été réaffirmé depuis notamment par le Président de la République dans son discours à l'hôtel de Brienne de juillet 2019 à l'occasion duquel il a estimé que l'espace extra-atmosphérique constituait « une nouvelle zone de confrontation »21(*) puis confirmé par la Revue nationale stratégique de 202222(*). Parallèlement à l'arsenalisation de l'espace, la dégradation du contexte géostratégique dans l'espace a été illustré par le tir effectué par la Russie le 15 novembre 2021 pour détruire le satellite russe en orbite basse Cosmos-1408, qui a produit environ 1 500 débris spatiaux et provoqué la mise à en sécurité de l'équipage de la station spatiale internationale23(*).

Tirs d'essai validés de destruction de satellites
en orbite depuis la Terre

Source : commission des finances

Pour dresser un état des lieux de l'évolution du contexte spatial et de son utilisation à des fins militaires et fixer une feuille de route précisant les priorités stratégiques des forces armées dans l'espace, la ministre des armées a présenté en juillet 2019 une Stratégie spatiale de défense (SSD). Cette stratégie dégage notamment une liste des cinq catégories de menaces24(*) qui pèsent sur les technologies spatiales stratégiques qui sont les menaces cybernétiques (par exemple le piratage du logiciel d'un satellite militaire), les menaces par brouillage électromagnétique (qui peuvent rendre inopérant des satellites de télécommunication ou de radionavigation), les menaces de détournement des services en orbite (c'est-à-dire de l'usage des satellites de ravitaillement actuellement en développement pour mener une action hostile contre un satellite en orbite), les menaces conventionnelles (par exemple le sabotage d'un satellite avant son lancement) et les menaces cinétiques associées au développement de missiles antisatellites et à la croissance du nombre de débris spatiaux qui entretiennent un risque de réaction en chaine susceptible, selon le commandant de l'espace, de générer « une pollution rendant impossible toute activité spatiale »25(*).

Parallèlement à la caractérisation des menaces, la stratégie spatiale de défense de 2019 a également fixé quatre priorités stratégiques pour le ministère des armées dans le domaine spatial qui sont de consolider la doctrine de conduite des opérations spatiales militaires, de réformer la gouvernance de la politique spatiale militaire, de renforcer les capacités spatiales militaires et de renforcer l'attractivité des métiers dans le domaine spatial militaire et les formations associées.

AsterX : premier exercice militaire spatial en Europe

Lancé en 2021, l'exercice tactique et opératif « AsterX » est le premier exercice militaire piloté par un commandement de l'espace en France et en Europe. Le nom de l'exercice a été choisi en référence au satellite « Astérix », premier satellite français lancé par la fusée Diamant en 1965.

Depuis 2021, l'exercice AsterX a été reproduit chaque année pour renforcer l'acculturation des armées dans le domaine des opérations spatiales militaires. L'exercice AsterX 2024, qui s'est déroulé du 4 au 15 mars 2024 au centre spatial de Toulouse a réuni 140 participants avec pour objectif simuler les différentes menaces susceptibles d'intervenir dans le cadre d'une guerre spatiale.

Source : commission des finances, d'après les informations du ministère des armées

Dans l'organisation du ministère des armées, l'importance croissante et transversale des enjeux spatiaux a été concrétisée par la nouvelle dénomination de l'armée de l'air, devenue en juillet 2021 l'armée de l'air et de l'espace26(*), et par la création en septembre 2019 d'un commandement de l'espace (CDE)27(*), placé sous la tutelle organique du chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace et sous la tutelle fonctionnelle du chef d'état-major des armées. Le commandement de l'espace est composé de plusieurs unités qui emploient 320 agents qui seront en majorité réunies au sein d'une implantation en cours de construction à Toulouse, à proximité immédiate du centre spatial de Toulouse (CST) géré par le CNES. Dans le cadre de ce regroupement, il est également à relever que le site de Toulouse accueille le centre d'excellence de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN)28(*) créé en janvier 2023 et qui a pour fonction de fournir aux Alliés des ressources sur le domaine spatial notamment en matière de formation et de standardisation des pratiques.

Les investissements spatiaux militaires dans la loi de programmation
militaire 2024-230 : une enveloppe de six milliards d'euros

La loi du 1er août 2023 de programmation militaire pour la période 2024-203029(*) (LPM 2024-2030) a réaffirmé la nécessité pour les forces armées de s'appuyer sur des technologies spatiales souveraines et performantes.

Sur le plan budgétaire, la LPM 2024-2030 consacre une enveloppe programmée de six milliards d'euros de crédits budgétaires sur la période30(*) pour financer les investissements capacitaires dans le domaine spatial militaire, et en particulier le lancement du programme Syracuse V de télécommunication sécurisée au profit des forces en remplacement du programme Syracuse IV.

Il est toutefois à regretter que l'enveloppe dédiée à l'investissement spatial militaire ne fait l'objet d'aucune précision et notamment d'aucune ventilation selon l'année de réalisation ou la nature des dépenses concernées, ce qui fragilise le suivi parlementaire de réalisation de cette enveloppe d'investissement. Pour l'année 2024, la documentation budgétaire ne permet pas de contrôler l'exécution de cette enveloppe du fait du manque d'information dans la programmation.

2. La France s'appuie principalement sur le Centre national d'études spatiales pour piloter sa politique spatiale qui constitue une compétence partagée avec l'Union européenne
a) Le Centre national d'études spatiales structure l'intervention de l'État dans les trois dimensions de la politique spatiale

Le Centre national d'études spatiales (CNES) est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) institué par la loi du 19 décembre 196131(*). Depuis sa création, le CNES est l'opérateur principal de la mise en oeuvre de la politique spatiale française et joue le rôle d'agence spatiale française. Son budget, qui inclut la contribution française à l'Agence spatiale européenne (ESA) à hauteur de 1 100 millions d'euros, est de 2 200 millions d'euros en 2023. Opérateur transversal de la politique spatiale, le CNES intervient dans les trois composantes scientifique, stratégique et industrielle de la politique spatiale. Il est de ce fait placé sous la triple tutelle des ministres chargés de la défense, de l'espace et de la recherche32(*). Le rapporteur relève que depuis juillet 2020, le ministre chargé de l'espace est le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (MEFSIN).

Ce positionnement interministériel est consacré par la composition du conseil d'administration de l'établissement public qui inclut sept représentants du Gouvernement chargés de représenter respectivement le Premier ministre, le ministre chargé de l'industrie, le ministre chargé du budget, le ministre de la défense, le ministre des affaires étrangères, le ministre chargé de la recherche et le ministre chargé de l'espace33(*).

Présenté par le ministre délégué auprès du Premier ministre Pierre Guillaumat comme « l'organe central de coordination et d'action qui nous fait défaut »34(*) au moment de sa création en 1961, le CNES présente la particularité d'avoir une fonction d'expertise et de coordination sans avoir pour fonction de réaliser directement les activités industrielles, de recherche ou de défense de mise en oeuvre de la stratégie spatiale française. Comme le soulignait le rapporteur de la commission des affaires culturelles du Sénat sur le projet de loi instituant le CNES, « il est inévitable que les problèmes de l'espace soient étudiés (...) par plusieurs services ou organisations indépendantes ». Par conséquent, le CNES doit « s'appuyer largement sur les organismes et les sociétés existants » pour jouer « un rôle d'animateur »35(*).

Le rôle d'animateur du CNES est illustré dans le domaine de la recherche par le fait que le CNES ne gère aucun laboratoire scientifique qui lui soit propre et que les activités de recherche du CNES sont systématiquement conduites en partenariat avec d'autres organismes de recherches36(*).

En droit, l'article du code de la recherche qui définit actuellement les missions du CNES résulte de la codification de l'article 2 de la loi de 1961, qui a été complété par la loi du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales (LOS)37(*). Il consacre la compétence du CNES pour développer et orienter les recherches scientifiques et techniques en matière spatiale.

Il est à relever que cette mission est exclusivement orientée vers la dimension scientifique de la politique spatiale et ne correspondent plus aux activités exercées par le CNES. Cette lacune, qui s'explique par le choix retenu par le Gouvernement de s'inspirer pour le projet de loi instituant le CNES des compétences du comité de recherches spatiales auquel le centre s'est substitué, est préjudiciable à la lisibilité du rôle du CNES.

Les activités du CNES se répartissent, selon la typologie retenue par la direction du centre pour la construction de son plan à moyen terme (PMT), entre cinq thèmes prioritaires dans le domaine spatial qui sont :

- la préparation du futur qui inclut les activités de recherche et développement dans le domaine spatial ;

- la science qui inclut le financement des activités en sciences de la Terre et en sciences de l'univers ;

- la défense et l'autonomie stratégique, qui inclut les programmes mis en oeuvre pour le ministère des armées et les activités qui assurent l'accès autonome à l'espace dont notamment le centre spatial guyanais ;

- l'expertise et les moyens techniques qui inclut les activités de soutien technique aux projets en cours de développement ou d'exploitation ;

- les capacités qui incluent le financement des fonctions « support » regroupées au sein du secrétariat général du CNES.

Le budget total du CNES, qui atteint 1 091 millions d'euros de dépenses en 2023, est orienté en priorité vers les activités de défense, les activités scientifiques et celles relatives aux technologies des lanceurs et des satellites, qui représentent 78 % des dépenses totales en 2023.

Répartition par domaines des dépenses du CNES en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données du CNES

Pour mettre en oeuvre ses différentes activités, le CNES s'appuie sur des équipes composées à 80 % de cadres et d'ingénieurs qui représentent un ensemble de 2 400 agents répartis sur les quatre sites du centre : le siège de Paris-Les Halles, la direction du transport spatial à Paris-Daumesnil, le centre spatial de Toulouse (CST) et le centre spatial guyanais (CSG).

En effet, le CNES est également chargé de la gestion du centre spatial guyanais (CSG) qui constitue à la fois une direction du CNES et l'un de ses quatre sites d'implantation.

Le port spatial de Kourou, qui constitue depuis 1971 le port spatial européen, est un atout stratégique déterminant pour garantir l'autonomie d'accès à l'espace de la France et de l'Europe.

Par conséquent, le CNES a signé une convention avec l'ESA qui prévoit une participation de l'agence européenne à hauteur des deux tiers des coûts fixes de maintien en conditions opérationnelles en échange de la mise à disposition du CSG, seul pas de tir pour les lanceurs lourds en Europe, pour les lancements des fusées des programmes Ariane38(*).

Répartition des agents sur les quatre sites du CNES

(en nombre de salariés)

Source : commission des finances, d'après les données du CNES

Alors que le CNES est un opérateur historique qui a longtemps contrôlé l'ensemble de la chaîne de valeur, la mutation actuelle du secteur spatial et notamment l'émergence d'acteurs privés qui présentent une grande agilité et capacité d'innovation s'est traduite par une nouvelle orientation pour le centre qui a engagé une réorientation pour renforcer son positionnement en tant qu'animateur de l'écosystème spatial et de soutien aux entreprises du secteur.

Le renforcement de cette orientation a notamment été consacré par le contrat d'objectifs et de performance (COP) pour la période 2022-2025 entre l'État et le CNES signé le 6 avril 2022 qui affirme la nécessité pour le CNES de « faire évoluer sa pratique » pour diminuer progressivement son implication directe et renforcer sa capacité à « faire faire » dans son rôle d'animateur et de maître d'ouvrage39(*). Le contrôle d'objectifs fixe par surcroît trois principes pour adapter les modes d'intervention du CNES à l'évolution du secteur : un principe de subsidiarité en application duquel les achats doivent être favorisés pour permettre une montée en compétence des industriels, un principe de diversification en application duquel le CNES doit élargir le cercle des bénéficiaires de son aide, un principe d'agilité en application duquel les spécifications des appels d'offre du CNES doivent se limiter au nécessaire et porter sur le besoin plutôt que sur la technologie utilisée.

Dans ce cadre, le CNES a développé plusieurs programmes de soutien directement destinés aux startups du secteur spatial dont notamment le programme « Connect by CNES » créé en 2016 qui est une plateforme d'accompagnement des startups dans le domaine spatial. Ce programme a été complété par la création en 2021 d'une part de l'accélérateur SpaceFounders en association avec l'agence spatiale allemande et à laquelle l'agence spatiale italienne est associée depuis 2023 et d'autre part de l'incubateur TechTheMoon dédié à l'économie lunaire.

b) La coopération européenne en matière spatiale s'appuie sur deux organisations dont les périmètres d'intervention et les capacités financières diffèrent : l'Agence spatiale européenne (ESA) et l'Union européenne
(1) L'Agence spatiale européenne (ESA) est une organisation intergouvernementale qui permet le financement en commun de programmes spatiaux par les pays européens

L'Agence spatiale européenne (ESA40(*)) a été instituée par le traité de Paris du 30 mai 1975 dans le sillage d'une part du lancement des premiers satellites artificiels par l'Union soviétique et les États-Unis en 1958 et de l'échec en novembre 1971 du lanceur Europa-II porté par le centre européen pour la construction de lanceurs d'engins spatiaux (ELDO41(*)).

Doté d'un budget annuel de 7 500 millions d'euros, l'agence met en oeuvre une mission large de « développement, à des fins exclusivement pacifiques, de la coopération entre États européens dans les domaines de la recherche et de la technologie spatiale et de leurs applications spatiales ».

Pour la contribution des États membres, l'ESA distingue entre deux catégories de programmes : les programmes obligatoires, qui comportent notamment les activités de base et le programme scientifique, et les programmes facultatifs, qui comportent notamment les programmes d'étude de développement de contrôle de satellites et de moyens de lancement.

L'agence emploie 2 200 personnes et dispose de plusieurs implantations en Europe dont notamment un site à Paris, où est située la direction générale et la direction des lanceurs colocalisée avec un site du CNES, et un site à Cologne (EAC42(*)) où sont entraînés les astronautes européens.

Répartition par domaines des dépenses de l'ESA en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données de l'ESA

Alors que l'ESA comptait onze membres43(*) lors de sa création, ce nombre a progressivement augmenté pour atteindre vingt-deux depuis 2015. Il est à relever que parmi les membres de l'ESA, tous les pays ne sont pas membres de l'Union européenne, dont en particulier le Royaume-Uni et la Suisse qui sont membres fondateurs de l'agence. Depuis 2010, l'ESA s'est progressivement élargi à de nouveaux pays d'Europe centrale et orientale notamment la Pologne en 2012 et la Hongrie et l'Estonie en 2015. La Slovénie a notifié en novembre 2023 sa volonté d'adhérer à la convention et des négociations d'adhésion ont été ouvertes.

L'ESA coopère en outre avec des États tiers à l'organisation qui peuvent bénéficier du statut d'État associé44(*) ou du statut d'État européen coopérant45(*).

La contribution de chaque État membre à l'ESA comporte deux parties : d'une part une contribution obligatoire calculée proportionnellement au produit national brut (PNB) des membres et d'autre part une contribution facultative correspondant au financement des programmes facultatifs que l'État décide de financer selon ses priorités. Les contributions des États membres sont complétées par une contribution versée par l'Union européenne.

Répartition par contributeurs des ressources de l'ESA en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données de l'ESA

La mise en commun des dépenses publiques dans le domaine spatial, rendue possible par l'ESA, a constitué un levier essentiel de la politique spatiale européenne depuis les années 1970 et en particulier a permis à l'Europe de se doter d'une capacité autonome d'accès à l'espace avec les générations successives de lanceurs lourds « Ariane », dont notamment le lanceur Ariane 1 dont le premier lancement a été réalisé le 24 décembre 1979, huit ans après l'échec d'Europa-II.

Parallèlement, l'ESA gère également le corps européen des astronautes créé en 1998 qui réunit les astronautes des pays membres, en vue notamment de la participation à des vols habités vers la station spatiale internationale (ISS). Après le recrutement dans le corps européen des astronautes de l'astronaute français Thomas Pesquet en 2008 lors de la troisième campagne de sélection, l'astronaute française Sophie Adenot a été recrutée en novembre 2022 lors de la quatrième campagne de sélection.

(2) Le traité de Lisbonne a consacré une compétence partagée de l'Union européenne en matière de politique spatiale

Parallèlement aux coopérations internationales menées dans le cadre de l'ESA46(*), l'Union européenne a également développé depuis les années 1990 plusieurs programmes spatiaux structurants pour la politique spatiale européenne. Cette implication croissante de l'Union européenne a donné lieu à la signature de l'accord-cadre du 23 novembre 2003 entre l'Union européenne et l'ESA qui prévoit que chacune des parties informe l'autre de toute initiative dans le domaine spatial pour garantir une coordination interinstitutionnelle régulière47(*). Ce cadre de coopération a permis à l'Union européenne et à l'ESA de conduire des programmes communs dont notamment les programmes Copernicus, Galileo ou plus récemment Iris2.

Le traité de Lisbonne a consacré expressément la compétence de l'Union européenne en matière de politique spatiale en inscrivant dans le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne le caractère partagé de la compétence spatiale48(*) et le fait que l'Union européenne « élabore une politique spatiale européenne » qui poursuit un triple objectif de progrès scientifique et technique, de compétitivité industrielle et de mise en oeuvre des politiques de l'Union49(*).

Au sein de l'Union européenne, la politique spatiale est suivie et élaborée au sein de la Commission par la direction générale de l'industrie de défense et de l'espace (DG DEFIS), qui s'appuie sur une agence dédiée pour le suivi opérationnel des programmes spatiaux, à savoir l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial (EUSPA50(*)), créée en mai 2021 pour succéder avec des compétences élargies à l'Agence européenne du système mondial de navigation par satellites (GNSS51(*)). La coopération au niveau opérationnelle entre l'ESA et l'EUSPA est prévue dans le cadre d'une convention-cadre financière de partenariat (FFPA) signée en juin 2021.

L'action de l'Union européenne en matière spatiale est structurée autour de grands programmes dont certains ont été développés depuis les années 1990.

En premier lieu, l'Union européenne s'appuie sur deux programmes majeurs opérationnels depuis les années 2010 :

- le programme Galileo qui constitue un système mondial de navigation par satellites (GNSS) qui a été lancé en 1999 et qui est opérationnel depuis 2016, en s'appuyant sur une constellation de 26 satellites en orbite. Ce programme de GNSS est complété par le système EGNOS52(*) qui est un programme européen opérationnel depuis 2009 de navigation par recouvrement géostationnaire et qui permet d'améliorer la précision des données des systèmes de navigation satellitaires (GNSS) ;

- le programme Copernicus, opérationnel depuis 2014, qui est un programme d'observation de la Terre qui repose sur huit satellites utilisés notamment dans les domaines de l'environnement, de l'agriculture, de la sécurité et de la surveillance maritime.

En second lieu, dans le cadre de son nouveau programme spatial pour la période 2021-202753(*), l'Union européenne a enrichi son programme spatial avec deux programmes majeurs :

- le programme « surveillance de l'espace » (SSA54(*)) dont l'objectif principal est de limiter les risques de collision dans l'espace en s'appuyant sur des technologies de surveillance et de suivi dans l'espace (SST55(*)) pour fournir des analyses du risque de collision entre deux objets en orbite, de l'entrée dans l'atmosphère d'objets en orbite et de la fragmentation des débris spatiaux ;

- le programme « communication satellitaire sécurisée » (Secure SATCOM) dont la première composante a pour objectif de mettre en place un système de communication sécurisée par voie satellitaire pour les autorités gouvernementales (GOVSATCOM).

La densification de la politique spatiale de l'Union européenne s'est traduite par la croissance du budget de l'Union européenne dédié à la politique spatiale depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009. Alors que le cadre financier pluriannuel 2007-2013 prévoyait un budget pluriannuel de 4 600 millions d'euros en sept ans, le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, adopté en décembre 202056(*), prévoit un budget pluriannuel de 15 200 millions d'euros pour sept ans dans le domaine spatial57(*).

Budget pluriannuel de l'Union européenne dédié à la politique spatiale

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

Le renforcement de l'intervention de l'Union européenne dans le domaine spatial s'est encore traduit récemment par l'annonce faite en janvier 2022 par le commissaire au marché intérieur Thierry Breton du lancement de la constellation européenne de satellites Iris2 (infrastructures de résilience et d'interconnexion sécurisée par satellite).

Les objectifs de cette constellation ont été précisés par le règlement (UE) du 15 mars 2023 qui consacre le double objectif de la constellation de fournir des services de communication ultra-rapides et hautement sécurisée à la fois pour la réalisation de services gouvernementaux, en complétant le programme GOVSATCOM, et pour la réalisation de services commerciaux de connectivité à haut débit et sans discontinuité fournis par le secteur privé58(*). La constellation doit comporter notamment un ensemble de 170 satellites en orbite basse et monter progressivement en puissance à partir de 2024 pour être dotée d'une pleine capacité opérationnelle à partir de 2027. Son coût de déploiement est estimé à 6 000 millions d'euros dont 2 400 millions d'euros financés par le budget de l'Union européenne.

Enfin, la Commission européenne a ouvert en octobre 2023 une consultation relative à une « loi spatiale européenne » dont l'adoption était initialement prévue au premier semestre 2024. Selon les déclarations du commissaire au marché intérieur devant la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE) du Parlement européen, ce projet de texte législatif ne devrait pas être publié par la Commission avant le second semestre 202459(*).

B. LE FINANCEMENT PUBLIC DE LA POLITIQUE SPATIALE FRANÇAISE EST RÉPARTI SELON UN SCHÉMA COMPLEXE QUI FAIT INTERVENIR DIFFÉRENTES MISSIONS DU BUDGET GÉNÉRAL DE L'ÉTAT AINSI QUE LA CONTRIBUTION FRANÇAISE AU BUDGET DE L'UNION EUROPÉENNE

La politique spatiale, qui doit répondre simultanément aux enjeux associés à ses trois dimensions industrielles, scientifiques et stratégiques, est une politique dont la mise en oeuvre est par nature interministérielle. Une des conséquences du caractère transversal de cette politique est l'éclatement de son financement entre plusieurs missions du budget général de l'État.

Dans le cas de la politique spatiale, la complexité du circuit de financement est renforcée par le caractère partagé de la compétence spatiale qui est mise en oeuvre à l'échelle européenne par deux institutions, l'Union européenne et l'Agence spatiale européenne (ESA) dont les modes de financement diffèrent.

Pour proposer une cartographie synthétique du financement public de la politique spatiale, le rapporteur a additionné les dépenses portées par les différents vecteurs budgétaires de la politique spatiale, en ajoutant aux crédits du budget général une fraction de la contribution française au budget de l'Union européenne et en intégrant une estimation des dépenses fiscales de soutien à la recherche privée dans le secteur spatial. L'annexe 1 du présent rapport retrace les différentes voies de financement public de la politique spatiale en 2023.

Répartition du soutien public à la politique spatiale en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

1. Les missions du budget général de l'État financent la politique spatiale à hauteur de 2 819 millions d'euros

Le caractère interministériel de la politique spatiale, dont témoigne notamment le fait que le Centre national d'études spatiales (CNES) est placé sous la triple tutelle des ministres chargés de la défense, de l'espace et de la recherche60(*), se traduit du point de vue budgétaire par la participation conjointe de plusieurs missions distinctes du budget général à la politique spatiale.

Répartition des dépenses pour la politique spatiale
du budget général de l'État par missions en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

La répartition des crédits finançant la politique spatiale fait apparaître logiquement le partage entre les ministères chargés de l'industrie, de la défense et de la recherche. Il est à relever que la décision de désigner le directeur général des entreprises (DGE) comme responsable du programme 193 « Recherche spatiale » à partir du projet de loi finances (PLF) pour 2022, en cohérence avec le rattachement de la politique spatiale au périmètre de compétence du ministre de l'économie en juillet 2020, a eu pour effet de faire du ministre de l'économie et des finances le principal responsable ministériel au regard des dépenses budgétaires de la politique spatiale. En catégorisant les dépenses du budget général selon le ministère de rattachement du responsable de programme, les programmes placés sous la responsabilité budgétaire du ministère chargé de l'économie et des finances représentent les deux tiers du soutien public à la politique spatiale financé par le budget général en 2023.

Le rapporteur relève néanmoins que si le ministre chargé de la recherche représente une part réduite du soutien public à la politique spatiale au regard de la maquette budgétaire, cette fraction n'est pas nécessairement représentative de l'influence du ministère dans le domaine de la politique, eu égard notamment au fait que le ministre chargé de la recherche conserve la cotutelle du CNES et continue d'être représenté à son conseil d'administration.

Répartition des dépenses pour la politique spatiale
du budget général de l'État par périmètres ministériels en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

a) La mission « Recherche et enseignement supérieur », qui comporte notamment la contribution française à l'Agence spatiale européenne (ESA) et la subvention budgétaire au Centre national d'études spatiales (CNES), est le principal vecteur de financement public de la politique spatiale française

La contribution de la mission « Recherche et enseignement supérieur » au financement de la politique spatiale résulte en premier lieu du rattachement à cette mission du programme 193 « Recherche spatiale » qui sert de support budgétaire à la fois à la contribution française au budget de l'Agence spatiale européenne (ESA) et à la subvention du Centre national d'études spatiales (CNES). Ce programme est complété par les financements de certains programmes spatiaux scientifiques ou duaux, subventionnés par les programmes 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » et 191 « Recherche duale (civile et militaire) ».

Répartition des dépenses pour la politique spatiale de la mission
« Recherche et enseignement supérieur » par programmes budgétaires en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

(1) Le programme budgétaire 193 « Recherche spatiale » est un vecteur de financement global de la politique spatial qui excède les activités de recherche

En premier lieu, le programme budgétaire 193 « Recherche spatiale » sert de support budgétaire à la contribution française au budget de l'Agence spatiale européenne (ESA) qui transite par le budget du Centre national d'études spatiales (CNES), représentant de la France auprès de l'ESA.

En 2023, la contribution française à l'ESA a été de 1 092 millions d'euros, soit 59 % des crédits de paiement (CP) consommés par le programme 193.

En deuxième lieu, le programme budgétaire 193 « Recherche spatiale » sert de support au versement de la subvention budgétaire61(*) annuelle du Centre national d'études spatiales (CNES). En 2023, le programme 193 prévoit un montant de subvention annuelle de 680 millions d'euros en crédits de paiement (CP) pour le CNES soit 84 % de sa subvention budgétaire annuelle.

En troisième lieu, le programme budgétaire 193 « Recherche spatiale » sert de support à la contribution française à l'Organisation européenne pour l'exploitation des satellites météorologiques (EUMETSAT) qui transite par le budget de Météo-France, représentant de la France au conseil d'EUMETSAT. La contribution pour 2023 est de 64 millions d'euros qui servent à financer les investissements de long terme de l'organisation pour le développement et l'exploitation de satellites météorologiques.

Répartition des dépenses du programme 193 « Recherche spatiale » en 2023

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Il est également à relever que la loi de programmation de la recherche (LPR) du 24 décembre 202062(*) fixe une trajectoire croissante pour le programme 193 et prévoit une augmentation de 7 % des crédits de ce programme entre 2023 et 2027.

Trajectoire des crédits du programme 193 « Recherche spatiale »
prévue par la LPR

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après l'étude d'impact du projet de loi

Le rapporteur relève que, alors que cette croissance des crédits prévue par la LPR correspond aux engagements importants pris par la France dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'ESA, il existe un risque que la cible fixée de 1 876 millions d'euros en CP pour 2024 ne soit pas atteinte en exécution eu égard au fait que la loi de finances initiale a ouvert 1 900 millions d'euros de crédits de paiement pour 2024 dont 193 millions ont été annulés par le décret du 21 février 202463(*).

(2) Les programmes budgétaires 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » et 191 « Recherche duale (civile et militaire) » complètent la contribution de la mission « Recherche et enseignement supérieur » au financement de la politique spatiale française

En premier lieu, le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » est un véhicule de financement des activités de recherche et en particulier de nombreux laboratoires placés sous la responsabilité d'établissements publics de recherche. En 2023, il a contribué à hauteur de 26 millions d'euros au moins au financement public de la politique spatiale.

Dans le domaine de la recherche spatiale, en intégrant à la fois les sciences de la Terre et les sciences de l'univers, le programme 172 finance de nombreux laboratoires dont une partie mène des activités de recherche conjointement avec le Centre national d'études spatiales (CNES).

Pour estimer la contribution du programme 172 au financement public de la recherche spatiale, le rapporteur s'est fondé sur des questionnaires écrits adressés à deux établissements nationaux jouant un rôle structurant dans le domaine de la recherche spatiale : le Centre nationale de la recherche scientifique (CNRS) et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). D'après les réponses transmises, le CNRS a consacré 24 millions d'euros en 2023 au financement d'activités de recherche spatiale. Le CEA n'a pas transmis de réponses écrites relatives au financement d'activités de recherche spatiale par la subvention pour charge de service public qui lui est versée annuellement. Le programme 172 contribue par conséquent à hauteur de 25,5 millions d'euros au moins en 2023 au financement public de la politique spatiale par les subventions versées au CNRS et au CEA, en tenant compte de la contribution additionnelle de 1,5 millions d'euros à la subvention du CNES transférée depuis le programme 172 vers le programme 193 depuis 2023, au titre des mesures d'attractivité dans les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) prévues par la LPR.

En second lieu, le programme 191 « Recherche duale (civile et militaire) » constitue un vecteur de financement d'appoint qui financent des programmes de recherche ayant des applications à la fois civiles et militaires menés par deux opérateurs : le CEA d'une part et le CNES d'autre part.

En 2023, le programme 191 a financé des programmes de recherche duale dans le domaine spatial menés par le CNES à hauteur de 128 millions d'euros, en particulier pour l'étude d'une constellation de minisatellites optiques de modélisation en trois dimensions (CO3D).

Le rapporteur relève que le financement de la politique spatiale par le programme 191 a fortement décru depuis quinze ans, en passant de 161 millions d'euros en 2013 à 128 millions d'euros en 2023, soit une réduction de 20%. Il est toutefois à relever que cette réduction du financement de la politique spatiale par le programme 191 ne correspond pas nécessairement à la diminution du nombre de projets de recherche duale menés par le CNES mais à une évolution des modes de financement de ces projets, qui peuvent également être financés sur fonds publics, soit directement par la subvention budgétaire du CNES versée par le programme 193, soit indirectement à travers la délégation au CNES par la direction générale de l'armement (DGA) du ministère des armées de certains programmes spatiaux financés par la mission « Défense ».

b) La mission « Défense » représente un vecteur structurant de financement de la politique spatiale française par la commande publique

En cohérence avec la dimension stratégique de la politique spatiale, dont la défense constitue l'un des trois périmètres ministériels de rattachement, la mission « Défense » du budget général de l'État constitue un vecteur déterminant de la politique spatiale. Cette mission représente en 2023 une contribution de 800 millions d'euros soit 28 % de l'effort public du budget général en faveur de la politique spatiale.

Répartition des dépenses pour la politique spatiale de la mission « Défense »
par programmes budgétaires en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

(1) Le programme 146 « Équipement des forces » constitue un levier de commande publique essentiel au financement public de la politique spatiale

Le programme 146 « Équipement des forces », placé sous la responsabilité conjointe du chef d'état-major des armées (CEMA) et du délégué général pour l'armement (DGA), constitue le principal vecteur de financement capacitaire des forces armées, c'est-à-dire de financement des équipements et des systèmes d'armes utilisés par les forces pour exécuter leur mission.

Dans le domaine spatial, cinq sous-actions du programme 146 sont en lien direct avec les technologies spatiales64(*). Ils représentent en 2023 des dépenses de 723 millions d'euros, qui sont versées par les armées, soit au CNES au titre de la délégation de la maîtrise d'ouvrage de certains programmes, soit directement aux industriels du secteur spatial pour acquérir les systèmes.

(2) Le programme 144 « Environnement et prospective de défense » finance les études et complète la contribution des armées au financement de la politique spatiale

Le programme 144 « Environnement et prospective de défense » est un vecteur complémentaire de financement de la politique spatiale par la mission « Défense » avec une contribution de 77 millions d'euros en 2023. Sa participation repose sur deux enveloppes de financements distinctes. En premier lieu, les études amont65(*) financées par le programme dans le domaine spatial représentent 63 millions d'euros en 202366(*). En second lieu, le programme verse une subvention budgétaire de 124 millions d'euros à l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) qui finance à hauteur de 11 %, soit 14 millions d'euros, des activités d'études et de recherche dans le domaine spatial.

c) Les missions « Investir pour la France de 2030 » et « Plan de relance » apportent un complément de financement à la politique spatiale en soutenant ponctuellement des projets dans le secteur spatial
(1) Le plan « France Relance » comporte un volet spatial de 515 millions d'euros

En premier lieu, le rapporteur relève que le Gouvernement a intégré au plan « France Relance », déployé à partir de 2021 par la création de la mission « Plan de relance » du budget général de l'État, un volet spatial dont le montant initial était de 515 millions d'euros et pour lequel le CNES a été désigné comme opérateur unique. Entre 2021 et 2023, les transferts de la mission « Plan de relance » vers le budget du CNES ont atteint un montant total de 578 millions d'euros.

Le volet spatial du plan de relance est composé de trois branches : une branche « lanceurs ESA » dont l'objet est de financer une partie de la contribution de la France à l'ESA pour tenir compte des surcoûts du programme Ariane 6 ; une branche « financement de la recherche duale en matière spatiale » dont l'objet et de se substituer au programme 191 pour le financement de la recherche spatiale duale ; une branche « Innovation France » dont l'objet est de subventionner des entreprises du secteur spatial affectées par la crise sanitaire.

La contribution du plan « France Relance » au financement de la politique spatiale a été concentrée pendant les exercices budgétaires 2021 et 2022. En 2023, seule la branche « Innovation France » continue de bénéficier d'un complément de financement à hauteur de 16 millions d'euros transférés au CNES.

Contribution de la mission « Plan de relance » au financement public
de la politique spatiale

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

(2) Les différents volets du programme d'investissement d'avenir (PIA) et le plan France 2030 apportent un financement complémentaire à la politique spatiale

En premier lieu, les volets successifs du programme d'investissement d'avenir (PIA) ont permis de financer des projets de soutien à l'innovation dans le secteur spatial. En particulier, le troisième volet du programme d'investissement d'avenir (PIA 3) prévoit le financement du secteur spatial67(*). En 2023, le CNES bénéfice d'une subvention de 13 millions d'euros au titre de la mise en oeuvre du PIA.

En second lieu, le plan France 2030, lancé en octobre 2021 par le Président de la République, prévoit une enveloppe initiale de 1 500 millions d'euros pour son objectif n° 9 « Prendre toute notre part à la nouvelle aventure spatiale », dont la mise en oeuvre est confiée au CNES et à la banque publique d'investissement (Bpifrance). La sélection des bénéficiaires finaux des aides du volet spatial du plan France 2030 a pris plusieurs mois et au 30 juin 2023, seulement 145 millions d'euros avait été attribué soit 10 % de l'enveloppe totale.

Par conséquent, le déploiement du volet spatial du plan France 2030 par le CNES représente 13 millions d'euros en 2023. Le rapporteur relève que cette contribution devrait augmenter dans les années à venir dans le cadre du déploiement progressif des aides du plan France 2030.

2. Le financement public de la politique spatiale est complété par un effort de 359 millions d'euros par an correspondant à la participation de la France au budget de l'Union européenne et à la fiscalité de la recherche

Si les dépenses publiques prévues par les missions du budget général constituent la principale source de financement public par la France de la politique spatiale, elles ne représentent pas l'intégralité du soutien public à cette politique. En effet, deux sources complémentaires de financement public sont notamment mobilisées au soutien de la politique spatiale : d'une part la contribution française au financement de la politique spatiale de l'Union européenne qui correspond à une fraction de la contribution française au budget de l'Union, d'autre part la mobilisation du « crédit d'impôt recherche » (CIR) au bénéfice des entreprises qui réalisent des dépenses de recherche dans le domaine spatial.

Répartition des financements publics complémentaires
de la politique spatiale en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

a) Le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne (PSR-UE) finance la politique spatiale de l'Union européenne à hauteur de 302 millions d'euros

La politique spatiale constitue une compétence partagée entre la France et l'Union européenne68(*). Par conséquent, au-delà de la contribution annuelle de la France au budget de l'Agence spatiale européenne (ESA), le financement public par la France de la politique spatiale doit tenir compte de la contribution française au financement du budget de la politique spatiale de l'Union européenne.

La contribution de la France au budget de l'Union européenne, en dehors des droits de douane directement acquis à l'Union, se traduit en matière budgétaire par le vote chaque année en loi de finances d'un prélèvement sur recette en faveur de l'Union européenne (PSR-UE)69(*).

Pour l'exercice 2023, le PSR-UE, qui finance l'ensemble des politiques publiques mises en oeuvre par l'Union européenne, a été de 23 873 millions d'euros70(*).

Pour estimer le montant de la contribution française à la politique spatiale de l'Union européenne, il est à relever que pour l'exercice 2023, les dépenses du budget annuel de l'Union européenne exécutées en crédits de paiement (CP) ont été d'un montant total de 1 715 millions d'euros pour la politique spatiale, sur un montant total de 135 458 millions d'euros sur l'ensemble du budget71(*). Par conséquent, les dépenses de la politique spatiale ont représenté 1,3 % du budget de l'Union européenne en 2023.

Au regard de la proportion de la politique spatiale dans le budget de l'Union et du montant du prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne, la contribution financière de la France au budget de la politique spatiale peut être estimée à 302 millions d'euros pour l'exercice 2023.

b) Les dépenses fiscales de soutien à la recherche privée dans le domaine spatial représentent un effort complémentaire de 57 millions d'euros par an

Pour mesurer le soutien public à la politique spatiale, les dépenses budgétaires doivent être complétées par les dépenses fiscales72(*) en faveur du secteur spatial, qui doivent être intégrées à l'effort public bien qu'elles ne constituent pas des dépenses supplémentaires.

Le rapporteur s'est intéressé en particulier à la contribution à l'effort public en faveur de la politique spatiale du « crédit d'impôt recherche » (CIR), qui constitue en 2023 la première dépense publique du budget de l'État avec un montant de 7 185 millions d'euros. La principale composante du CIR, le crédit d'impôt en faveur de la recherche (CIR-recherche), prévoit que les dépenses de recherche exposées par les entreprises ouvrent droit à un crédit d'impôt à hauteur de 30% jusqu'à 100 millions d'euros de dépenses puis 5 % au-delà73(*).

À partir des données de l'INSEE sur le secteur spatial et de la sous-direction des systèmes d'information et études statistiques (SIES) du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les dépenses intérieures de recherche et développement des entreprises (DIRDE) et le crédit d'impôt recherche (CIR), le rapporteur estime que le secteur spatial bénéfice d'un soutien public annuel de 57 millions d'euros par l'intermédiaire du crédit d'impôt en faveur de la recherche (CIR-recherche).

Cette estimation est fondée sur le montant des dépenses de recherche et développement (R&D) des entreprises dans le secteur de la construction aéronautique et spatiale qui est de 3 349 millions d'euros en 202074(*). Pour isoler les dépenses de R&D du secteur de la construction spatiale, l'hypothèse peut être faite que la répartition des dépenses de R&D entre les domaines de l'aéronautique et du spatial est proportionnelle à la répartition du chiffre d'affaires entre ces domaines. En s'appuyant sur la répartition établie par l'INSEE75(*), les dépenses annuelles de R&D du secteur de la construction spatiale peuvent être estimées à 196 millions d'euros. Enfin, en appliquant le taux moyen du CIR-recherche qui est de 29 % en France métropolitaine, la contribution des dépenses fiscales au soutien public à la politique spatiale peut être estimée à 57 millions d'euros.

Cette estimation, proposée par le rapporteur pour rendre visible la contribution du CIR au soutien à la politique spatiale, ne tient pas compte des dépenses de R&D exposées par les nombreuses entreprises de la filière spatiale qui opèrent dans le domaine des services et elle fait l'hypothèse que l'effort de recherche dans le domaine spatial est de même intensité que dans le domaine aéronautique. Des données précises sur le montant des dépenses des entreprises de la filière spatiale, dans la branche des industries manufacturières et dans la branche des services, permettrait d'affiner cette estimation.

II. L'ÉVOLUTION DU CONTEXTE SPATIAL INTERNATIONAL JUSTIFIE D'ADAPTER LA STRATÉGIE SPATIALE EUROPÉENNE ET SES INSTRUMENTS DE FINANCEMENT NATIONAUX ET EUROPÉENS

A. LA DÉGRADATION DU CONTEXTE INTERNATIONAL ET L'ÉMERGENCE DE NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES MODIFIENT LES CIRCONSTANCES DANS LESQUELLES SE DÉPLOIE LA POLITIQUE SPATIALE

1. La nouvelle aventure spatiale, ou « New Space », désigne un phénomène de diversification qui fait émerger un nouvel écosystème dans la filière spatiale

Le secteur spatial a été caractérisé pendant la second moitié du XXe siècle par son nombre réduit d'acteurs, lié à l'importance des investissements nécessaires à la fabrication et au lancement de satellites et à la barrière technologique pour accéder à ces activités.

Depuis les années 2010, le secteur spatial est modifié par un phénomène multifactoriel qualifié de « nouvelle aventure spatiale », ou « New Space », qui est notamment lié à la croissance du nombre d'acteurs du secteur spatial et au développement de nouveaux services dans le domaine spatial. La transformation du secteur spatial concerne à la fois le secteur amont de la filière spatiale, et en particulier les domaines de la fabrication et du lancement d'astronefs, et son secteur aval, qui concerne notamment la valorisation des données spatiales.

a) Dans le secteur amont de la filière spaciale, la miniaturisation des satellites et des lanceurs a contribué à l'émergence de nouveaux acteurs pour leur construction

Dans le secteur amont de la filière spatiale, l'émergence de nouveaux pays et de nouveaux acteurs, y compris des entreprises privées, est lié à l'abaissement de la barrière technologique et à la réduction des coûts associés à la conception et à la construction de lanceurs et de satellites. Cette évolution est particulièrement visible dans le développement de lanceurs dont certaines parties sont réutilisables, ce qui a pour effet une réduction substantielle du coût de lancement. Concernant la miniaturisation des satellites76(*), de petits appareils77(*) ont été développés, favorisés par la diffusion du standard CubeSat arrêté par l'université américaine de Stanford en 1999. À titre d'exemple, Angels, premier microsatellite français construit par la société Hemeria en partenariat avec le CNES et mis en orbite en décembre 2019, pèse seulement vingt kilogrammes et mesure 30 centimètres de hauteur.

La miniaturisation des lanceurs et des satellites et l'émergence de nouveaux acteurs dans le secteur spatial a eu pour effet de transformer le rôle des autorités publiques au sein de la filière spatiale, en favorisant notamment un modèle de financement par la commande publique des innovations développées par certains acteurs privés.

Dans le domaine des lanceurs, cette évolution du rôle des agences spatiales gouvernementales est illustrée par le soutien apporté par l'agence spatiale américaine (NASA) à l'entreprise SpaceX créé par Elon Musk en 2002, notamment à travers son programme Commercial Crew Development (CCDev) de transport vers la station spatiale internationale (ISS), dans le cadre duquel SpaceX a bénéficié d'une première enveloppe de 440 millions de dollars entre 2009 et 2012, puis d'une deuxième enveloppe de 2 600 millions de dollars après le renouvellement du contrat en 2014. Il est à relever à ce titre que si le New Space se traduit par une croissance du nombre d'acteurs de la filière spatiale et par leur diversification, le rôle déterminant des autorités publiques pour financer l'activité dans l'espace n'est pas remis en cause78(*).

Nombre de lancements de petits satellites depuis 2014

Source : commission des finances, d'après les données de Bryce Tech

Pour autant, le secteur amont de la filière spatiale est profondément transformé depuis la fin des années 2010 par le développement de « méga-constellations » de plusieurs centaines de petits satellites qui sont en cours de déploiement et qui ont des applications dans le domaine de la télécommunication, en permettant notamment la fourniture d'accès à internet dans des zones non couvertes par des infrastructures terrestres.

En premier lieu, la société britannique OneWeb a déployé depuis 2019 un réseau de 618 satellites pour fournir une offre de connectivité mondiale qui a fusionné en septembre 2023 avec l'opérateur français de satellites Eutelsat pour constituer « Eutelsat group ». En second lieu, la société SpaceX est en cours de déploiement de la constellation Starlink avec 5 935 satellites en orbite en mai 2024, pour une cible de 12 000 satellites. Le développement et le déploiement rapide de ces méga-constellations dans les orbites basses (LEO) soulève un risque d'encombrement des orbites basses qui sera renforcé par d'autres projets de déploiement, dont notamment la constellation « Kuiper » développée par la société américaine Amazon et le projet de constellation Iris2 développé par l'Union européenne.

b) La valorisation croissante des données spatiales a constitué un écosystème d'innovation en aval de la filière spatiale

Le phénomène de diversification des acteurs du secteur spatial qui caractérise le New Space se traduit par un élargissement du périmètre de la filière spatiale, qui inclut un secteur aval, regroupant les nombreuses activités fondées sur la valorisation des données issues de satellites, en les fusionnant le cas échéant avec des données non-spatiales.

Depuis la fin des années 2010, la nouvelle aventure spatiale n'a pas remis en cause le rôle du financement public des activités spatiales du secteur amont et aval, qui reste structurant, mais s'est traduite par un phénomène de financiarisation du secteur spatial79(*) qui résulte de l'entrée de nombreux investisseurs privés.

Le recours aux financements d'amorçage et de capital-risque (venture capital) par les startups du secteur spatial, qui s'est développé en premier lieu aux États-Unis, a eu pour effet d'accroître rapidement et considérablement le volume des investissements privés dans le secteur spatial, qui ont été multipliés par onze entre 2000 et 201780(*), pour atteindre 2 500 millions de dollars. Cette hybridation des financements du secteur, portée par l'hypothèse que l'industrie spatiale générerait 1 000 milliards de dollars de revenus en 2040 selon une estimation de la banque américaine Morgan Stanley81(*), doit cependant être tempérée au regard du risque de phénomène spéculatif dans le secteur et du risque de reflux à moyen terme des investisseurs privés. Le montant des investissements dans les startups du secteur spatial, qui atteint 8 000 millions de dollars en 2022, s'est contracté dans le contexte de resserrement de la politique monétaire mais s'est maintenu à un niveau structurellement élevé, en croissance de 40 % par rapport à 2019.

Investissements mondiaux dans les startups du secteur spatial

(en milliards de dollars)

Source : commission des finances, d'après les données de Bryce Tech

En France, un écosystème privé de startups du New Space a émergé et s'est structuré depuis 2020 comme en témoigne la création en 2021 de l'association Alliance NewSpace France qui est intégrée au comité de concertation entre l'État et l'industrie sur l'espace (COSPACE), placé auprès de la direction générale des entreprises (DGE).

Les startups du New Space françaises, qui s'appuient sur les instruments de soutien public proposés notamment par le CNES et par le plan France 2030, ont réalisés plusieurs levées de fonds significatives en 2023 et 2024 dont notamment la startup franco-allemande The Exploration Company (vaisseau spatial de transport) qui a levé 40 millions d'euros en 2023 et les startups françaises Exotrail (services en orbite) qui a levé 54 millions d'euros en 2023, Latitude (minilanceur) qui a levé 27 millions d'euros en 2024 et Unseenlabs (surveillance maritime depuis l'espace) qui a levé 85 millions d'euros en février 2024.

2. Le rôle déterminant de la France dans le domaine spatial est confronté à la concurrence croissante de certains partenaires européens et internationaux
a) La prédominance de la France dans la politique spatiale européenne est fragilisée par le réinvestissement soutenu de plusieurs partenaires dont l'Allemagne dans le domaine spatial

La France joue un rôle important dans le secteur spatial en Europe, lié notamment au développement précoce des technologies spatiales en France. La France est en effet le troisième pays au monde et le premier pays en Europe à avoir construit un lanceur spatial autonome qualifié avec le tir de la fusée française Diamant le 26 novembre 1965 depuis la base algérienne d'Hammaguir, qui a mis en orbite le satellite « Asterix », balise radioélectrique construite par la société Matra pour le ministère des armées.

Le niveau élevé de compétences techniques dans le secteur spatial acquis par les administrations civiles et militaires françaises et par les industries aérospatiales nationales s'est traduit par une implication importante de la France dans la constitution d'un secteur spatial autonome à l'échelle européenne comme en témoigne le fait qFranceFrance a systématiquement constitué, entre la création de l'agence en 1975 et 2019, le premier pays souscripteur au budget de l'Agence spatiale européenne (ESA).

Sur le plan économique et industriel, la préémiFrancede la France dans le domaine spatial est consacrée par l'importance relative des entreprises françaises opérant dans le domaine spatial en Europe. Cette importance s'explique notamment pFrancefait que la France réunit trois groupes industriels structurants à l'échelle européenne avec Airbus Defence and Space (ADS), Thales Alenia Space (TAS) et ArianeGroup, coentreprise détenue paritairement par Airbus et Safran et qui est maître d'oeuvre des fusées Ariane 5 et Ariane 6 dont elle assure la conception, le développement, la production et l'exploitation. La France, qui contribue au budget de l'ESA à hauteur de 24 % des contributions des États membres, représente à elle seule 35 % des emplois industriels du secteur spatial européen. En élargissant le périmètre à l'ensemble des emplois représentés par les trois grands groupes français spatiaux (ADS, TAS et ArianeGroup)82(*), les principaux industriels français représentent 41 % des emplois du secteur spatial en Europe.

Emplois industriels dans le secteur spatial en Europe

Source : commission des finances, d'après les données d'Eurospace pour 2021

Si la France joue un rôle prépondérant en Europe dans le secteur spatial sur le plan politique et industrielle, les investissements substantiels dans le secteur spatial mis en oeuvre par plusieurs pays partenaires pourraient fragiliser cette position à l'avenir. En premier lieu, l'Allemagne dispose d'une industrie spatiale robuste et dynamique qui bénéfice des investissements croissants réalisés par les pouvoirs publics allemands en matière de soutien à la filière spatiale du pays. Au-delà des entreprises industrielles historiques dont notamment les sites de production allemands d'Airbus Defence and Space (ADS) et du constructeur de satellite allemand OHB, illustration de la capacité des entreprises de taille intermédiaire (ETI) du Mittelstand allemand à se développer, y compris dans les technologies de pointe, comme en témoigne le contrat obtenu en 2010 par OHB pour la construction de quatorze satellites du système Galileo83(*), l'Allemagne bénéfice également d'un tissu de 125 startups dans le domaine spatial. Le New Space allemand bénéfice en particulier du dynamisme du secteur des microlanceurs avec en particulier les startups ISAR Aerospace et Rocket Factory Augsburg (RFA) qui envisagent de développer à court terme des lanceurs légers à coûts réduits. La volonté de l'Allemagne de maintenir sa dynamique d'investissement public dans le secteur spatial, dont témoigne l'augmentation de 6,6 % de la souscription de l'Allemagne au budget triennal de l'ESA entre 2019 et 2022, a été consacrée par la publication en septembre 2023 de la stratégie spatiale du gouvernement allemand qui identifie neuf priorités dans le domaine spatial dont le soutien à la croissance du secteur spatial commercial et le développement du marché aval des données spatiales84(*).

En second lieu, l'Italie constitue la troisième puissance spatiale européenne et dispose d'infrastructures industrielles et de recherche développées depuis les années 1960 et le lancement du premier satellite artificiel italien « San Marco » en 196485(*). La filière spatiale italienne est notamment structurée autour du constructeur Avio qui développe les lanceurs légers de la série « Vega » dont le premier vol a eu lieu depuis le centre spatial guyanais en février 2012. Malgré l'échec du lancement d'une fusée Vega C transportant deux satellites d'observation de la Terre « Pléiades » en décembre 2022, qui fragilise la capacité commerciale de la série « Vega », l'Italie a renforcé son budget spatial dans la période récente comme en témoigne l'augmentation de 35 %de sa souscription triennale au budget de l'ESA entre 2019 et 2022, pour atteindre 3 083 millions d'euros à la conférence ministérielle de novembre 2022 (CM22). Il est également à relever que lors de la conférence ministérielle de l'ESA à Séville en novembre 2023, il a été décidé de retirer les lanceurs Vega du portefeuille d'Arianespace pour permettre au constructeur Avio d'en assurer directement la commercialisation.

Le risque de fragilisation de la position française au sein de l'Europe spatiale est illustré par le fait que la France n'est plus, depuis la conférence ministérielle de l'ESA de novembre 2019 à Séville (CM19), le premier pays souscripteur au budget de l'ESA. L'Allemagne, qui est devenue en 2019 le premier souscripteur national, hors Union européenne, au budget triennal de l'ESA, a confirmé ce statut lors de la conférence ministérielle de Paris en novembre 2022 avec une souscription triennale de 3 512 millions d'euros, soit 310 millions d'euros de plus que la souscription française.

Souscriptions triennales au budget de l'ESA
à la conférence de Paris (CM22)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

b) La perte temporaire de son accès souverain à l'espace illustre le risque de décrochage de l'Europe spatiale

La reconfiguration du secteur spatial, qui renforce le caractère stratégique des données spatiales en les diffusant dans de nouveaux domaines d'application, combinée à la dégradation de la situation géopolitique internationale résultant notamment du déclenchement de la guerre en Ukraine par l'agression russe du 24 février 2022, se traduit par la nécessité pour les pays européens de consolider leur position dans l'espace, en réagissant rapidement au risque de décrochage illustré par le retard de la fusée Ariane 6.

En effet, le lanceur Ariane 6, dont le développement a été décidé par l'ESA en 2014 avec pour objectif de réaliser un premier vol à l'été 2020, a fait l'objet de reports successifs qui ont abouti à une date prévisionnelle de premier vol à l'été 2024, c'est-à-dire quatre ans après la date initiale envisagée, soit un allongement de plus de moitié du délai entre le lancement du projet et son aboutissement.

Sur le plan financier, l'ESA estime que le retard pris par les industriels pour le développement du lanceur induira un surcoût de 600 millions d'euros pour le projet.

Sur le plan stratégique, le retard a eu pour conséquence imprévue de priver les pays de l'Union européenne d'une solution de lancement souveraine pour les satellites lourds à placer en orbite géostationnaire. En effet, le dernier vol de la fusée Ariane 5 a eu lieu en juillet 2023. Depuis cette date, et jusqu'à la qualification d'Ariane 6, les pays européens ne dispose plus d'un accès souverain à l'espace, alors même que le recours à un tiers pour le lancement d'un satellite crée un risque d'intervention de ce tiers sur le satellite pour en limiter l'usage ou en capter partiellement ou entièrement les données. La dépendance des pays européen en matière de lanceurs a été aggravée à la fois par la fin de l'exploitation par Arianespace du lanceur russe Soyouz, adapté aux orbites médianes, après le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, ainsi que par l'échec du premier vol commercial du lanceur léger Vega-C en décembre 2022, dont la remise en service est programmée au plus tôt au quatrième trimestre 2024. À la fin de l'année 2023, les pays européens ne disposaient par conséquent plus de lanceurs lourds souverains et seul un exemplaire du lanceur léger Vega restait à tirer.

La perte temporaire de l'accès souverain à l'espace par les pays européens est un témoignage du risque de décrochage de l'Europe spatiale qui doit rapidement être couvert par la mise en service de la fusée Ariane 686(*). Le choix contraint fait par l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial (EUSPA) de recourir à un lanceur Falcon 9 de la société SpaceX pour le lancement de deux satellites de la constellation Galileo en avril 2024 illustre l'état de dépendance réel induit par le retard de la fusée Ariane 6.

Lancements orbitaux Ariane 5 et Vega

(en nombre de lancements réussis)

Source : commission des finances

La nouvelle aventure spatiale, en réduisant les coûts d'accès à l'espace par le développement de technologies plus accessibles et la diffusion des connaissances en matière spatiale, a largement augmenté le nombre de pays impliqués dans l'espace. Alors que les puissances spatiales traditionnelles continuent d'investir dans le secteur, plus de trente pays menaient des activités spatiales dont notamment le Brésil, l'Afrique du Sud, la Turquie ou encore les Émirats arabes unis (EAU), ces derniers ayant lancé en 2014 le programme « Hope » de mise en orbite martienne d'une sonde pour développer le secteur spatial émirati sur les plans scientifique et industriel87(*). L'Inde, avec un budget spatial de 1 700 millions de dollars en 2022, fait également parti des pays qui investissent de manière croissante dans le domaine spatial, comme en témoigne le succès de la mission « Chandrayaan-3 » qui a réussi à poser un rover indien sur la Lune en 2023.

Parallèlement, il est à relever que les États-Unis demeurent le premier investisseur public dans le domaine spatial avec des dépenses estimées à 59 300 millions de dollars en 2022, soit plus de trois fois les dépenses publiques en Europe estimées à 14 300 millions de dollars. Le maintien d'investissements publics américains importants dans le domaine spatial résulte à la fois du soutien au développement des entreprises du New Space, dont notamment SpaceX, mais également à la relance de programmes spatiaux de long terme ayant une forte charge symbolique dont notamment le programme Artemis qui prévoit la mise en place d'une présence durable autour de la Lune à horizon 2026. La relance américaine doit en outre être appréhendée dans le contexte de tensions sino-américaines88(*) et du développement rapide dans la période récente des activités spatiales de la Chine, dont les dépenses publiques dans le domaine spatial sont estimées à 15 500 millions de dollars en 2022. La réussite en 2020 de la mission d'échantillon lunaire « Chang'e 5 » et le lancement programmé en 2030 d'une mission de retour d'échantillon martien illustrent l'affirmation de la Chine comme puissance spatiale.

Ce contexte de fort investissement de la Chine dans le domaine spatial renforce le caractère stratégique des technologies spatiales et la nécessité du déploiement d'une stratégie européenne robuste adaptée à l'évolution du contexte international.

Répartition par pays des dépenses publiques dans le domaine spatial en 2022

(en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les données de Bryce Tech

B. POUR RENFORCER LA STRATÉGIE SPATIALE EUROPÉENNE, ADAPTER LES INSTRUMENTS DE FINANCEMENT DE LA FRANCE ET DE L'UNION EUROPÉENNE

1. À l'échelle nationale, la rationalisation et l'adaptation des instruments de financement à l'évolution du contexte spatial
a) L'adoption d'une stratégie spatiale nationale est un levier de clarification de la politique spatiale

En premier lieu, la consécration dans un document synthétique des grandes orientations de la politique spatiale nationale, qui prendrait la forme d'une « stratégie spatiale nationale », serait de nature à renforcer la visibilité des différentes parties prenantes de la politique spatiale française. Ainsi, la « stratégie spatiale de défense » adoptée par la ministre des armées en juillet 2019 a déjà constitué un instrument précieux pour préparer la création du commandement de l'espace (CDE) et pour fixer une feuille de route qui a alimenté le volet spatial des travaux préparatoires à l'adoption de la loi du 1er août 2023 de programmation militaire 2024-2030 (LPM 2024-2030). Cette stratégie et la feuille de route associée appellent néanmoins une actualisation près de cinq ans après leur élaboration.

L'architecture institutionnelle complexe de la politique spatiale, qui fait intervenir le Centre national d'études spatiales (CNES) comme opérateur de référence ainsi que ses trois ministres de tutelles (économie, défense, recherche), est justifiée par le caractère transversal du domaine spatial. Elle renforce toutefois l'utilité d'un document programmatique global qui fixe les grandes orientations à moyen et long termes de la politique spatiale.

Plutôt que d'ajouter un nouvel acteur institutionnel, au risque de renforcer la complexité de la gouvernance actuelle, l'élaboration et la publication d'un document de référence constitue un instrument utile pour trancher entre différentes orientations possibles et affermir des arbitrages interministériels entre les responsables de la politique spatiale à l'échelle nationale. La stratégie serait adoptée par le ministre chargé de la politique spatiale, c'est-à-dire le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique89(*).

Le contrat d'objectifs et de performance (COP) du CNES, s'il doit être coordonné avec la stratégie spatiale nationale, ne saurait tenir lieu de stratégie spatiale eu égard d'une part à la nature de ce document qui fixe à la fois des orientations générales pour le CNES et des objectifs précis relatifs à la gestion de l'établissement n'ayant pas un caractère proprement stratégique90(*) et d'autre part au fait que la politique spatiale nationale recouvre un périmètre élargi qui inclut par exemple la recherche spatiale financée par d'autres opérateurs nationaux de recherche comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Sur le plan politique, l'adoption d'une stratégie spatiale nationale est un levier pour renforcer la visibilité du secteur spatial et de l'importance du soutien public au développement de ce secteur stratégique qui constitue une composante nécessaire à l'autonomie stratégique française et européenne. Par conséquent, en complément des actions de soutien à la culture scientifique et technique, cette stratégie doit également servir de support à la constitution d'un véritable récit politique associé à notre stratégie spatiale pour permettre son appropriation par les citoyens.

Sur le plan économique, les acteurs industriels auditionnés par le rapporteur ont confirmé l'utilité d'une stratégie spatiale globale, civile et militaire, pour renforcer la lisibilité de l'orientation des pouvoirs publics dans le domaine spatial. L'existence d'un document stratégique constitue également un élément de contexte favorable dans le cadre de la mobilisation des investisseurs privés notamment dans le cadre de levées de fonds.

Il est enfin à relever qu'en adoptant une stratégie spatiale nationale, la France s'alignerait sur une pratique observée dans de nombreuses puissances spatiales notamment en Europe. Le gouvernement italien a ainsi adopté en mars 2020 un document de vision stratégique pour l'espace pour la décennie 2020-2029 et le gouvernement fédéral allemand a adopté en septembre 2023 sa stratégie spatiale nationale.

Recommandation n° 1. Adopter une stratégie spatiale nationale recouvrant les dimensions civiles et militaires de la politique spatiale, pour renforcer la visibilité à long terme de l'engagement public vis-à-vis des citoyens, des pays-partenaires et des investisseurs privés (ministre chargé de la politique spatiale).

b) Les missions législatives du CNES peuvent être actualisées pour être adaptées à son activité réelle

En deuxième lieu, les missions législatives du CNES ne correspondent plus aujourd'hui à son périmètre d'intervention et pourraient être actualisées pour tenir compte de ses nouvelles orientations consacrées notamment dans le cadre de l'adoption de son contrat d'objectifs de performance (COP) pour la période 2022-2025. En effet, les missions actuellement prévues par l'article L. 331-2 du code de la recherche n'ont presque pas évolué depuis la création du CNES par la loi du 19 décembre 196191(*), contrairement à son activité « réelle ».

Les missions législatives du CNES sont presque exclusivement en lien avec la dimension scientifique de la politique spatiale. La seule actualisation législative est intervenue lors de l'entrée en vigueur de la loi sur les opérations spatiales (LOS) qui a consacré la compétence du CNES pour conseiller l'État dans la définition et le contrôle du respect des normes techniques relatives aux opérations spatiales et pour tenir un registre d'immatriculation des objets spatiaux.

Par conséquent, la réorientation stratégique du CNES mise en oeuvre à partir de juillet 2020, ayant pour objectif de renforcer le rôle du CNES comme opérateur de soutien à l'écosystème privé du spatial, ne s'est pas traduite par une actualisation législative des missions du CNES. Pourtant, cette réorientation se concrétise notamment dans le transfert de la tutelle principale de l'opérateur à la direction générale des entreprises, de même que par les orientations fixées dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2022-2025 adopté en octobre 2022.

Le rapporteur relève que le décalage croissant entre l'activité réelle du CNES et ses missions législatives, s'il ne constitue pas un obstacle immédiat à la poursuite par l'opérateur de la diversification de ses activités, risque de nuire à la lisibilité de la stratégie du CNES sur le long terme. Une mise à jour de l'article L. 331-2 du code de la recherche pour y intégrer l'ensemble du périmètre d'intervention du CNES, et en particulier son rôle en matière de soutien à la filière industrielle du spatial et en matière militaire, en coordination avec la direction générale de l'armement (DGA), permettrait de rendre plus lisible son rôle et son large périmètre d'intervention. L'actualisation à venir de la programmation budgétaire dans le domaine de la recherche, prévue par la loi de programmation en vigueur92(*), constituerait un véhicule législatif approprié pour cette actualisation.

En matière de nomenclature budgétaire, le rapporteur relève également que le nom du programme 193 « Recherche spatiale », qui finance notamment le budget du CNES et la contribution française à l'ESA, ne correspond pas à l'objet de ce programme qui finance l'ensemble de la « politique spatiale » au regard de la diversité des activités du CNES et de l'ESA. Le nom de programme « recherche et politique spatiale » apparaîtrait à ce titre plus conforme au contenu de la politique publique qu'il finance.

Recommandation n°2. Actualiser à l'article L. 331-2 du code de la recherche les missions du Centre national d'études spatiales (CNES) pour y intégrer les dimensions stratégiques et industrielles de son activité (direction générale des entreprises, direction générale de l'armement).

c) Le soutien à la politique spatiale peut être diversifié en développant le recours aux technologies spatiales par les acheteurs publics

En troisième lieu, malgré la diversification des acteurs privés dans le secteur spatial, à la fois à l'amont et à l'aval de la filière industrielle, les pouvoirs publics conservent un pouvoir d'influence et d'orientation déterminant dans le développement des entreprises du secteur. Au-delà du soutien direct à la recherche ou de l'investissement public en capital dans certaines entreprises, un des principaux leviers du soutien public à l'écosystème privé du spatial est la commande publique.

La contribution du ministère des armées au financement de la filière spatiale, notamment à travers un investissement annuel de 723 millions d'euros au titre de ses besoins capacitaires, illustre le rôle déterminant des acheteurs publics pour soutenir les entreprises de la filière en les associant à la réalisation des services publics dont le fonctionnement peut s'appuyer sur des données ou des services spatiaux.

Le rapporteur relève toutefois que la commande publique en matière spatiale est fortement polarisée autour du ministère des armées et les entrepreneurs auditionnés ont souligné la nécessité de sensibiliser les acheteurs publics de l'ensemble des départements ministériels à l'existence de solutions proposées par des entreprises de l'aval de la filière spatiale. Il est à relever à ce titre que les technologies satellitaires ont des applications nombreuses notamment en matière d'urbanisme, d'aménagement du territoire, de gestion des espaces naturels, susceptibles d'intéresser aussi bien les collectivités territoriales que les services déconcentrés de l'État.

Sur le plan économique, il est par surcroît à relever que le fait pour une entreprise du secteur spatial de recevoir une commande publique est un signal déterminant vis-à-vis des investisseurs potentiels et que le recours à des startups spatiales dans le cadre de commandes publiques est également un levier de mobilisation des financements privés. À titre illustratif, la startup Unseenlabs de surveillance maritime depuis l'espace, qui a réalisée en février 2024 la principale levée de fonds du premier trimestre 2024 dans le secteur spatial en France en levant 85 millions d'euros, a bénéficié du fait qu'elle fait partie du consortium ayant remporté en juin 2023 l'appel à projet FLORE ouvert par le ministère des armées, pour la réalisation d'un démonstrateur de service d'observation du spectre radioélectrique depuis l'espace.

Par conséquent, le rapporteur relève que les initiatives prises par le CNES pour promouvoir le recours aux entreprises du New Space par les acheteurs publics doivent être poursuivies et structurées. En particulier, la plateforme « Connect by CNES » créée en 2017 pour assurer l'accompagnement des entrepreneurs dans le domaine du New Space en leur faisant bénéficier de l'expertise du CNES doit renforcer son offre de conseil et d'accompagnement à destination des acheteurs publics susceptibles de recourir à des services spatiaux, en particulier les collectivités territoriales, les administrations déconcentrées (préfectures) et les administrations centrales (ministères).

Sur le plan budgétaire, sur le modèle du cofinancement des travaux de rénovation thermique assuré par le volet écologique du plan « France Relance », la consécration de cette nouvelle mission du CNES pourrait se traduire par la fixation d'une enveloppe annuelle dans le budget du CNES permettant un cofinancement minoritaire en cas de premier recours à un service spatial par un organisme public.

Recommandation n°3. Diversifier le soutien public à la politique spatiale en consacrant le rôle du CNES dans le conseil et l'accompagnement des acheteurs publics et cofinancer le premier recours à des services spatiaux (CNES, direction générale des entreprises).

d) Le circuit de financement de la politique spatiale peut être simplifié

En quatrième lieu, le circuit budgétaire de financement de la politique spatiale peut être rationalisé et la contribution du plan France 2030 à la politique spatiale doit être recentrée sur des projets exceptionnels de soutien à des acteurs du secteur, sans se substituer aux crédits budgétaires conventionnels pour financer la contribution française à l'Agence spatiale européenne (ESA).

En effet, le plan France 2030, qui a succédé en octobre 2021 aux volets successifs du programme d'investissements d'avenir (PIA), est régi par un cadre budgétaire dérogatoire qui limite la capacité d'intervention du Parlement lors du vote annuel des crédits budgétaires en loi de finances initiale. Le circuit dérogatoire du plan France 2030 repose sur la délégation de crédits par l'État aux quatre opérateurs du plan (Bpifrance, Agence nationale de la recherche, Caisse des dépôts et consignations, Agence de l'énergie et de la maîtrise de l'environnement). Les autorisations d'engagements (AE) votées par le Parlement sont intégralement consommées au moment de la signature des conventions entre l'État et les opérateurs. Ces conventions permettent à ces derniers de disposer de marges pluriannuelles d'investissements en versant progressivement les aides aux bénéficiaires finaux du plan, en bénéficiant d'abondements annuels calculés selon leurs besoins de décaissement au regard des aides contractualisés avec les bénéficiaires finaux.

Ce cadre budgétaire dérogatoire a pour objectif de « sanctuariser » une partie des dépenses publiques d'investissement en les excluant des mécanismes de régulation infra-annuelle (comme par exemple la mise en réserve de crédits) et en évitant la réduction du montant des investissements au profit d'objectifs de court terme, pour s'extraire de « la tyrannie du court terme » selon l'expression retenue dans le rapport remis en 2009 par Alain Juppé et Michel Rocard, à l'origine du premier volet du programme d'investissement d'avenir (PIA)93(*).

Il est néanmoins à relever que ce cadre extrabudgétaire implique le respect strict d'une doctrine d'investissement pour éviter que le plan France 2030 ne devienne une voie de contournement des règles budgétaires conventionnelles. En particulier, il est prévu que les investissements stratégiques soient gérés « de manière étanche par rapport au reste du budget »94(*). Ce principe de non-substitution, rappelé en 2023 par le comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA)95(*), a pour objectif d'éviter le contournement du cadre budgétaire classique par le recours aux crédits du plan France 2030.

La participation de la France à la « nouvelle aventure spatiale » constitue l'un des dix-sept objectifs et leviers du plan France 2030 présenté en octobre 2021 par le Président de la République.

Le rapporteur relève qu'à côté des aides versées directement aux bénéficiaires par Bpifrance et par le CNES, qui a un statut d'opérateur associé au déploiement du plan96(*), une partie des crédits du plan France 2030 finance une fraction de la contribution française à l'Agence spatiale européenne (ESA).

La contribution française à l'ESA, financée à hauteur de 1 066 millions d'euros en 2024 par les crédits budgétaires conventionnels du programme 193 « Recherche spatiale », est complétée par un cofinancement à hauteur de 41 millions d'euros en 2024 par des crédits du plan France 2030. Par suite, et indépendamment de la cohérence entre les programmes de l'ESA financés par la contribution française et les objectifs du plan France 2030, les crédits du plan France 2030 mobilisés pour financer la contribution française à l'ESA viennent se substituer aux crédits conventionnels du programme 193. Il est par surcroît à relever que la gouvernance du plan France 2030, qui fait intervenir un comité de pilotage ministériel opérationnel (CPMO) chargé d'analyser toutes les demandes de subvention en vue d'une décision d'attribution au bénéficiaire final prise par le Premier ministre, est adaptée au versement d'une aide à un porteur de projet déterminé et non au financement d'une fraction de la contribution nationale au budget d'une organisation intergouvernementale comme l'ESA.

Par conséquent, le rapporteur relève qu'en application du principe de non-substitution, les aides du plan France 2030 doivent être intégralement dirigées vers les porteurs de projet tandis que la contribution française l'ESA doit être intégralement financée par les crédits conventionnels du programme 193.

Recommandation n°4. Simplifier le circuit de financement de la politique spatiale en intégrant au programme 193 « Recherche spatiale » l'intégralité de la contribution française à l'Agence spatiale européenne (ESA) (CNES, secrétariat général pour l'investissement).

e) Le dispositif de soutien aux acteurs français du secteur spatial dans la mobilisation de fonds européens peut être complété

En cinquième lieu, les acteurs français du secteur spatial doivent s'appuyer sur l'expertise du CNES pour améliorer le taux de retour de la France en matière de financement par l'Union européenne de la recherche spatiale et de l'innovation.

À la différence de l'ESA, dans le cadre de laquelle le principe de « retour géographique » assure un niveau de dépense dans chaque État membre proportionnel à sa contribution au budget, l'Union européenne ne garantit pas de répartir les dépenses entre les États membres selon leur contribution au budget de l'Union européenne. Les données financières publiées par la Commission européenne permettent de suivre, pour chaque politique publique financée par l'Union européenne, le taux de retour de la France c'est-à-dire la fraction des dépenses réalisées en France et de le comparer au taux de la contribution française au budget de l'Union qui est de 17,2 % en 2023.

Dans le domaine de la recherche spatiale, les financements de l'Union européenne sont gérés dans le cadre du volet spatial du programme-cadre pour la recherche et l'innovation (PCRI) « Horizon Europe » qui couvre la période 2021-2027. Le rapporteur relève que la qualité des laboratoires de recherche français en matière spatiale se traduit par un statut de bénéficiaire nette de la France pour le volet spatial du programme « Horizon Europe ». En effet, dans le sillage du programme « Horizon 2020 » qui couvrait la période 2014-2020 et pour lequel la France avait obtenu un taux de retour de 20 % pour le volet spatial, contre un taux de retour global de 10,7 %, le taux de retour de la France pour le volet spatial d'Horizon Europe atteint 28% en 2023 contre un taux de retour global de 11,7 % en 2022.

Dans le domaine de la mise en oeuvre du programme spatial de l'Union européenne, la solidité de la position des industries françaises dans le domaine aéronautique se traduit également par un taux de retour supérieur au taux de contribution, avec un taux de retour de 33,5 % en 2022. Le rapporteur relève que la politique spatiale constitue un levier déterminant de localisation en France des dépenses de la politique industrielle de l'Union dès lors que la France demeure, avec un taux de retour de 16,6 %, contributrice nette à l'échelle de l'ensemble de la rubrique 1 « politiques de compétitivité » du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, qui inclut également les dépenses de recherche et d'innovation, les investissements stratégiques notamment en matière d'interconnexion et les dépenses de fonctionnement du marché unique.

Le rapporteur relève enfin que la capacité des laboratoires de recherche et des entreprises françaises à obtenir des financements de l'Union européenne, et en particulier du programme Horizon Europe, résulte de la mise en place par la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) du ministère chargé de la recherche d'un réseau de points de contact nationaux (PCN) répartis par secteur qui assurent une mission d'information et d'accompagnement des acteurs français se portant candidat aux financements de l'Union. Le rapporteur relève à ce titre que le caractère de bénéficiaire nette de la France dans le volet spatial d'Horizon Europe témoigne de la pertinence de l'action du point de contact national « espace » de la DGRI et de l'utilité de consolider dans le temps cette mission d'accompagnement pour maintenir un taux de retour satisfaisant en matière de recherche spatiale.

Le rapporteur relève également que la Commission européenne a mis en place en janvier 2022 l'initiative Cassini dotée d'un financement d'un milliard d'euros à horizon 2027. Cette initiative repose sur trois leviers d'intervention qui sont le versement de subvention à des startups lauréates de prix à l'issue de concours organisés notamment par l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial (EUSPA), le financement de fonds de capital risque (VC) dans le domaine spatial et la formation des acteurs du spatial par l'organisation d'événements ou de programme « d'accélérateurs » pour les entrepreneurs du domaine spatial. Il est également prévu que cette initiative soit complétée par un dispositif géré par la Banque européenne d'investissement (BEI) de financement par la dette des entreprises du secteur spatial. Alors que l'accès des entreprises française à l'initiative Cassini ne fait pas l'objet à ce stade d'un suivi spécifique, ni dans le contrat d'objectifs et de performance du CNES ni dans les indicateurs de performance du programme budgétaire 193 « Recherche spatiale », il est essentiel que les pouvoirs publics mettent en place au bénéfice des entreprises du secteur un soutien adapté et visible, en l'intégrant soit au PCN « espace » soit à la plateforme « Connect by CNES », pour leur permettre de capter une partie des financements de l'initiative Cassini à la hauteur de l'importance du rôle de la France dans le secteur spatial.

Recommandation n°5. Consolider le dispositif de soutien aux acteurs français se portant candidat pour obtenir des financements européens dans le secteur spatial en maintenant la mission d'accompagnement des porteurs de projet dans le secteur public (programme Horizon Europe) et en l'élargissant au secteur privé (initiative Cassini) (DGRI, DGE, CNES).

2. À l'échelle européenne, la préférence pour les entreprises européennes dans le cadre de la commande publique et le renforcement du rôle de la Commission dans la politique spatiale sont des leviers de consolidation d'une stratégie spatiale commune

En premier lieu, la consécration d'une préférence européenne pour la passation des marchés publics dans le domaine spatial est une priorité pour rationaliser la dépense publique des pays européens et soutenir dans la durée l'accès souverain de l'Europe à l'espace.

En effet la commande publique constitue l'une des principales sources de financement de l'industrie et des services spatiaux. À l'échelle mondiale, les lancements orbitaux institutionnels ont représenté 48 % des lancements soit 105 des 221 lancements orbitaux réalisés en 2023. Par conséquent, le modèle économique de l'industrie spatiale européenne repose sur l'accès des entreprises du secteur à la commande publique passée notamment par l'ESA et par les agences spatiales nationales européennes.

Dans le domaine des lanceurs, alors que le programme Ariane 5 s'est largement appuyé sur la réalisation de lancements commerciaux, la capacité du programme Ariane 6 à proposer des prix compétitifs pour réaliser des lancements commerciaux dépendra notamment de la possibilité pour ArianeGroup de s'appuyer sur un nombre suffisant de lancements institutionnels afin d'amortir ses coûts fixes et réaliser les économies d'échelle associées.

Alors que l'Europe constitue un marché de taille réduite par rapport aux États-Unis ou à la Chine, elle se trouve par surcroît dans une situation asymétrique vis-à-vis de ces deux pays du fait de l'ouverture des marchés publics spéciaux au sein de l'Union européenne qui contraste avec la forte réglementation mise en place en Chine et aux États-Unis pour favoriser le recours à des entreprises nationales dans le domaine spatial.

Ce constat a été dressé depuis plusieurs années et il a donné lieu à des engagements unilatéraux de certains pays européens de privilégier les entreprises européennes pour la réalisation de leurs lancements institutionnels, dont notamment la déclaration conjointe faite à Madrid en octobre 201897(*) sur l'exploitation institutionnelle européenne d'Ariane 6 et de Vega-C qui reconnait la nécessité de recourir de manière coordonner aux lanceurs européens pour garantir un accès souverain et compétitif à l'espace.

Pour autant, la préférence européenne dans le domaine spatial n'est pas assurée par le droit de l'Union et plusieurs pays européens ont eu recours dans les années récentes à des lanceurs extra-européens, et notamment américains, pour leurs lancements institutionnels dont notamment le Luxembourg98(*), l'Espagne99(*) ou l'Allemagne100(*).

Le rapporteur, conformément à la position qu'il avait prise dans sa proposition de résolution européenne sur la politique spatiale de l'Union européenne, devenue résolution du Sénat le 9 août 2019101(*), soutient la mise en place dans le cadre du droit de l'Union européenne d'un cadre juridique en mesure de garantir l'effectivité d'un principe de préférence européenne pour la commande publique dans le domaine spatial, au service de la compétitivité et de la souveraineté de l'industrie spatiale européenne.

Il est à relever à ce titre que la France soutient l'adoption d'un acte législatif d'encadrement de l'accès aux marchés publics pour les secteurs stratégiques ou Buy European Act. Le principe de ce dispositif d'encadrement, qui a été soutenu par le Président de la République en octobre 2022, a été réaffirmé à l'occasion de l'adoption en février 2023 au Parlement européen d'une proposition de résolution sur la stratégie industrielle de l'Union européenne ayant fait l'objet d'un amendement102(*), non intégré au texte final adopté par le Parlement européen, qui a recueilli les signatures d'eurodéputés français siégeant dans cinq groupes différents103(*). Si ce cadre n'a donc pas vocation a être immédiatement applicable à la commande spatiale, il témoigne du consensus existant sur la nécessité d'adapter le droit de la commande publique au sein de l'Union européenne dans certains secteurs stratégiques pour préserver l'autonomie de décision de l'Union européenne.

Dans le sillage de cette réforme du droit européen des marché public, le principe de « préférence européenne » en matière de lancement spatial institutionnel doit être consacré par le droit de l'Union, pour garantir un accès privilégié effectif à la commande publique à la filière souveraine des lanceurs spatiaux européens, en prévoyant le cas échéant des cas d'exemption exceptionnelle en cas d'inaccessibilité prolongée d'une solution européenne répondant à un besoin institutionnel spécifique. Un accès prioritaire aux marchés institutionnels européens constitue en effet une condition indispensable à la compétitivité de l'industrie spatiale européenne.

Recommandation n°6. Consacrer un principe de « préférence européenne » applicable aux lancements spatiaux institutionnels réalisés par l'ensemble des États membres de l'Union (Commission européenne, Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne).

En second lieu, le schéma actuel de financement de la politique spatiale à l'échelle européenne fragilise la compétitivité de l'industrie spatiale du fait du principe du retour géographique appliqué par l'Agence spatiale européenne (ESA).

L'Agence spatiale européenne (ESA), qui dispose d'une capacité d'expertise éprouvée dans le développement de programmes spatiaux, est une organisation internationale dont les règles de fonctionnement sont adaptées à une coopération internationale consensuelle dans un domaine technique. Le fonctionnement de l'ESA prévoit par conséquent que la plupart des décisions prises par le conseil de l'agence sont adoptées à la majorité simple non pondérée, chaque État membre disposant d'une voix au conseil indépendamment du montant de sa contribution. Ce mode de fonctionnement ne reflète pas les équilibres financiers de l'agence alors même qu'il existe des disparités très importantes entre les contributions des États membres comme l'illustre le fait qu'alors qu'il existe un rapport d'un à trente entre la contribution de l'Allemagne (1 064 millions d'euros en 2023) au budget de l'ESA et celle du Danemark (35 millions d'euros en 2023), ces deux États disposent de la même voix délibérative au conseil. Le caractère opérationnel du fonctionnement de l'ESA est par surcroît réduit, dans un contexte de synergie croissante entre les applications civiles et militaires des technologies spatiales, par la limitation des compétences de l'ESA dans le domaine militaire104(*) et par la présence au sein de l'agence de pays extérieurs à l'Union européenne dont notamment le Royaume-Uni et le Canada, ce dernier bénéficiant d'un statut équivalent à celui d'État associé au sein de l'ESA.

Parallèlement, les programmes de l'ESA sont soumis au principe de « retour géographique » qui constitue un principe transversal et structurant dans l'organisation de l'agence. Consacré à l'article VII de la convention constitutive de l'agence dont les modalités d'application sont précisées par l'annexe V sur la politique industrielle, la règle du retour géographique a pour objet de garantir aux industriels de chaque État membre de l'ESA un montant de commande équivalent à la contribution de cet État au budget de l'agence. L'ESA calcule par conséquent un coefficient de retour global pour chaque État membre, qui correspond au rapport entre la proportion des commandes reçues par cet État et la proportion de sa contribution au budget de l'agence, et oriente ses commandes avec comme objectif d'atteindre un coefficient de retour global de 1 pour chaque État membre105(*).

Cette règle très contraignante a été un levier pour associer de nombreux pays européens à la création d'un programme spatial commun, eu égard à la garantie pour les nouveaux membres de l'ESA de bénéficier de contrats industriels et de la possibilité de développer des sites industriels aérospatiaux.

Cependant, le rapporteur relève que cette règle défavorise les entreprises françaises du secteur dès lors qu'elles représentent 35 % des emplois du secteur en Europe soit une proportion largement supérieure à la part de la contribution française au budget de l'ESA qui est de 24 %. Par suite, les industriels français qui participent aux programmes de l'ESA, et singulièrement au programme des lanceurs Ariane, sont fréquemment contraint de choisir des sous-traitants situés en dehors du territoire français pour respecter la règle du retour géographique. La mise en oeuvre du retour géographique fait obstacle à l'optimisation de la chaîne de production des lanceurs européens et se traduit conséquemment par des surcoûts et un phénomène de duplication surérogatoire des compétences dans le secteur en Europe.

Le rapporteur relève également que dès le projet de loi de ratification de la convention constitutive de l'ESA, le sénateur Michel D'Aillières, rapporteur au Sénat du projet de loi, avait souligné qu'il était « difficile, a priori, de penser que l'application du système de juste retour corresponde à la meilleure utilisation des moyens »106(*). Il est en outre à relever que depuis l'entrée en vigueur de la convention constitutive de l'ESA, l'environnement spatial a été radicalement transformé. La perte de compétitivité induite par l'application du juste retour, dont les conséquences ont pendant longtemps été réduites du fait des importantes barrières à l'entrée existant dans le secteur spatial, fait désormais peser un poids excessif sur l'industrie spatiale européenne dans un contexte de diversification des acteurs industriels internationaux et d'accroissement de la pression concurrentielle alimentée notamment par les lancements commercialisés par SpaceX.

C'est dans ce contexte que doit être appréhendée l'intervention croissante de la Commission européenne dans le domaine des programmes spatiaux. Sous réserve d'appliquer strictement la répartition des compétences prévues par les traités, la montée en puissance progressive de la Commission européenne dans la politique spatiale constitue une circonstance favorable au renforcement du secteur spatial européen.

Premièrement, le renforcement du rôle de l'Union européenne en matière spatiale peut s'appuyer sur l'expertise technique développée au sein de l'ESA depuis les années 1970, en prévoyant notamment de l'associer à la maîtrise d'ouvrage des programmes spatiaux de l'Union comme en témoigne l'organisation actuelle du programme Galileo qui associe l'ESA pour le développement technique du programme et la Commission pour la supervision de sa mise en oeuvre. Deuxièmement, le système institutionnel de l'Union européenne permet à la Commission européenne de poursuivre une stratégie cohérente sous le contrôle des États membres et correspond à la nécessité de renforcer le pilotage stratégique des programmes spatiaux européens. Troisièmement, les souscriptions de l'Union européenne au programme de l'ESA ne sont pas soumises au principe du retour géographique et la consolidation du rôle du budget de l'Union pour financer la politique spatiale constitue à ce titre un levier essentiel pour renforcer la compétitivité de l'industrie spatiale européenne.

Le rapporteur relève à ce titre que si le cadre financier pluriannuel 2021-2027 (CFP 2021-2027) a consacré la hausse du budget de l'Union relatif à la politique spatiale, il avait été préparé par la Commission et adopté par le Conseil de l'Union avant le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022. Depuis, l'Union européenne a réaffirmé son engagement en matière de politique étrangère et de sécurité commune et les États membres ont renforcé leur soutien à l'objectif d'autonomie stratégique européenne au service d'une « souveraineté européenne »107(*), notamment à l'occasion du sommet de Versailles du 11 mars 2022 organisé dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union (PFUE).

La réforme des modalités d'application du principe du retour géographique nécessite une modification d'une annexe au traité constitutif de l'ESA qui ne pourra être mise en oeuvre qu'à l'unanimité des membres de l'agence qui sera difficile à obtenir à court terme étant donné que les États ne disposant pas encore d'une industrie aérospatiale importante bénéficient du principe de retour géographique. Le rapporteur relève également que si la règle du retour géographique présente un risque de réduction de la compétitivité des entreprises européennes dans le domaine industriel, la coopération européenne sur les programmes scientifiques de l'ESA soulève des enjeux différents. En effet, la règle du retour géographique constitue une garantie pour les organismes nationaux de recherche coopérant avec l'ESA et elle permet d'associer plusieurs pays européens au sein de programmes de recherche commun pour atteindre une taille critique renforçant l'efficacité de ces dépenses de recherche partagées. Dès lors que les programmes de recherche ne sont pas soumis à un objectif de compétitivité, il n'est pas nécessaire de réformer la règle du retour géographique dans le périmètre des programmes scientifiques.

À moyen terme, c'est-à-dire d'ici à la conférence ministérielle de l'ESA de 2025, l'application du principe de retour géographique pourrait être réformée dans le domaine industriel notamment en réduisant le seuil pour le coefficient de retour global qui pourrait être réduit à 0,5 ou en prévoyant des critères de suspension de l'application du principe de retour géographique lorsque les coûts proposés par certains industriels s'écartent des objectifs fixés par l'ESA.

À long terme, la dynamique de croissance du budget de l'Union européenne consacré à la politique spatiale pourrait être poursuivie voire amplifiée dans le cadre de la préparation du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) qui couvrira la période 2028-2034. Le rôle de l'Union européenne comme financeur de la politique spatiale est un levier de consolidation de la stratégie spatiale européenne, de rationalisation de l'industrie spatiale en Europe au bénéfice des industriels français du secteur et de renforcement de sa compétitivité dans un contexte de pression concurrentielle accrue.

Recommandation n°7. À moyen terme, à l'occasion de la conférence ministérielle de 2025, réformer dans le domaine industriel la règle du retour géographique inscrite dans le traité constitutif de l'Agence spatiale européenne (ESA), pour concilier les objectifs de compétitivité et d'équilibre de la répartition géographique de l'industrie spatiale (CNES, ministre des affaires étrangères).

Recommandation n°8. À long terme, consolider le rôle de l'Union européenne dans le financement de la politique spatiale européenne dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034 pour renforcer son pilotage politique et la compétitivité de l'industrie spatiale au regard de l'objectif d'autonomie stratégique européenne (Commission européenne, Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne).

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 juin 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial, sur le financement de la recherche spatiale.

M. Claude Raynal, président. - Nous débutons cette réunion, mes chers collègues, par une communication de M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur », sur le financement de la recherche spatiale, à l'heure du lancement de la fusée Ariane 6.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Depuis que j'ai engagé mon contrôle sur le financement de la politique spatiale au début du mois de février dernier, la société SpaceX a réussi le lancement de cinquante fusées. L'objectif principal de ces cinquante lancements était de poursuivre la mise en orbite des satellites de télécommunication de la constellation Starlink, qui compte déjà 6 000 satellites en activité et devrait en compter 12 000 à terme. Pour rappel, c'est sur cette infrastructure que les armées ukrainiennes s'appuient depuis 2022 pour préparer et conduire une partie de leurs manoeuvres sur le théâtre de guerre actuel à l'Est de notre continent.

Au même moment, en Europe, nous nous trouvons dans une situation de dépendance inédite depuis les années 1960. Le dernier exemplaire de la fusée Ariane 5 a été lancé avec succès en juillet 2023 à partir du port spatial européen de Kourou. Ses lignes de production ayant été arrêtées en vue d'une nouvelle génération de fusées, il n'existe actuellement plus de solution européenne pour les lanceurs lourds. Pendant un intervalle qui aura durée au moins un an, nous aurons été dépendants de capacités de lancement extra-européennes. Espérons que le premier lancement de la fusée Ariane 6 prévu au mois de juillet prochain soient de bon augure pour la suite.

La nouvelle fusée Ariane 6 viendra répondre à cette situation inconfortable, qui ne reflète pas le statut de puissance spatiale de pointe de notre pays et de notre continent. Les quatre ans de retard du programme Ariane 6 par rapport à son calendrier initial ne sauraient nous décourager de préserver notre filière de lanceurs. Mais nous devrons savoir être lucides, prendre les bonnes décisions et concilier nos intérêts souverains et de compétitivité au moment de trouver un successeur à cette fusée.

Ces quelques éléments de contexte nous rappellent que la politique spatiale est une politique essentielle, et pas toujours appréhendée à sa juste valeur par nos concitoyens, ainsi que par nos élus locaux ou nationaux.

En partant des financements du programme 193 « Recherche spatiale » intégré à la mission « Recherche et enseignement supérieur », le présent contrôle budgétaire m'a permis de m'intéresser aux différents aspects de notre politique spatiale. Depuis son origine et jusqu'à aujourd'hui, celle-ci est à la fois duale et transversale. Par conséquent, elle doit être examinée en gardant à l'esprit les intérêts complémentaires qui se rencontrent dans la nécessité pour les pouvoirs publics de maîtriser l'accès à l'espace extra-atmosphérique et d'en exploiter les potentialités techniques.

Plus particulièrement, la politique spatiale est à la fois une politique de recherche, une politique de défense et une politique industrielle.

Premièrement, la politique spatiale est une politique de recherche et c'est cette dimension qui justifie à la fois son rattachement à la mission « Recherche et enseignement supérieur » et son intégration à la trajectoire de la loi de programmation de la recherche (LPR) que nous avons votée en décembre 2020. L'observation de la terre depuis l'espace est une composante déterminante pour faire progresser notre connaissance des sciences de la terre, aussi bien pour l'étude de l'évolution des littoraux que pour celle des cycles de l'eau. Les technologies spatiales nous permettent également de faire progresser la connaissance en sciences de l'univers et la France est ici associée aux grandes missions scientifiques de ce début de siècle. Le satellite Juice, lancé par la fusée Ariane 5 l'année dernière, est parti étudier les lunes glacées de Jupiter et devrait arriver dans le système jovien en 2031, après avoir parcouru 600 millions de kilomètres.

Deuxièmement, la politique spatiale est une politique de défense. Notre souveraineté dans et en dehors du champ de bataille est subordonnée à notre capacité à avoir une appréciation autonome de la situation. Or une part croissante de nos communications et de notre renseignement militaire a une origine spatiale. Le maintien de notre accès souverain à l'espace et de notre capacité à répondre aux besoins opérationnels de nos armées est un objectif non négociable et qui demande une mobilisation constante face aux évolutions technologiques en cours.

Troisièmement, la politique spatiale est une politique industrielle. Présente depuis l'origine, cette dimension de la politique spatiale a pris une nouvelle ampleur au cours des dernières années. L'intégration au portefeuille du ministre de l'économie et des finances de la politique spatiale à compter de l'été 2020 est un des symptômes de cette évolution.

En effet, l'abaissement de la barrière technologique d'accès à l'espace et la diversification des acteurs a engagé une transformation du secteur qualifiée de New Space.

Sans entrer dans une opposition stérile entre des acteurs nouveaux et anciens, les pouvoirs publics doivent impérativement s'adapter à cette pression concurrentielle récente pour être en mesure de soutenir efficacement les acteurs économiques concernés.

Le secteur spatial représente plus de 70 000 emplois sur le territoire français, il concentre des entreprises industrielles innovantes qui créent des emplois à haute valeur ajoutée et investissent largement dans la recherche et développement. La préservation de ce tissu économique est un impératif de notre politique spatiale.

Le caractère par nature interministériel de la politique spatiale se traduit par une grande complexité de son financement et par les interventions croisées de nombreux acteurs institutionnels.

En matière de mise en oeuvre de la politique spatiale, les autorités françaises peuvent s'appuyer sur le Centre national d'études spatiales (Cnes), établissement public créé en 1961, dont l'expertise est reconnue non seulement en Europe, mais dans le monde entier, comme en témoigne le choix de la Nasa de lui confier le développement de l'imageur du télescope James Webb, mis en orbite le 25 décembre 2021.

Acteur central de la coordination de la politique spatiale française, le Cnes incarne la vocation interministérielle et duale de cette politique. Son aptitude à s'impliquer directement dans des projets de technologies civiles aussi bien que de technologies militaires est un atout précieux, qui doit être maintenu dans un contexte où la porosité est de plus en plus forte entre les usages civiles et militaires de l'espace et des technologies spatiales.

Pour remonter le fil du soutien financier que les pouvoirs publics apportent à la politique spatiale chaque année, j'ai essayé d'établir dans mon rapport une cartographie synthétique du financement public de la politique spatiale, qui tienne compte d'un circuit de financement fragmenté et complexe.

Le programme 193, principal programme de financement de cette politique, représente à lui seul des dépenses annuelles de 1,8 milliard d'euros. En tenant compte des nombreux autres programmes finançant la politique spatiale et du budget de l'Union européenne, j'estime à plus de 3 milliards d'euros l'effort public au bénéfice de la politique spatiale.

Cet effort, qui est proportionné à l'importance vitale des enjeux du secteur spatial, est notamment réparti entre les différents pôles scientifique, stratégique et industriel que j'ai évoqués.

Sans développer l'intégralité des financements qui sont précisés en annexe du rapport, je tiens toutefois à rappeler deux aspects qui me semblent important d'avoir à l'esprit.

D'une part, l'importante contribution du budget des armées à la politique spatiale. Avec un budget spatial de 800 millions d'euros en 2023, le ministère des armées représente le principal vecteur de commande publique à nos industriels du spatial : sa contribution au secteur est à la fois économique et souveraine.

D'autre part, mon estimation intègre, à hauteur de 300 millions d'euros, une partie de notre contribution au budget de l'Union européenne. En effet, l'Union est devenue un acteur structurant de la politique spatiale et nous devons nous rappeler que notre participation annuelle à son budget est aussi un levier de soutien à nos acteurs du secteur spatial.

J'insisterai sur la première recommandation du rapport, qui est de rassembler dans un document unique notre stratégie spatiale nationale. Il s'agit à la fois d'un enjeu politique et d'un enjeu d'efficacité.

C'est d'abord un enjeu d'efficacité, parce que la politique spatiale est par nature interministérielle et qu'il existe un risque de dispersion de l'effort. Plutôt que de créer un acteur institutionnel supplémentaire comme cela a pu être proposé, je recommande de trancher les grandes orientations de la politique spatiale dans un document unique ayant vocation à orienter l'action des différents ministères impliqués.

C'est ensuite un enjeu politique, car il est selon moi urgent que les responsables politiques du secteur fassent naître un véritable récit de l'aventure spatiale. Il est incompréhensible que la conquête spatiale soit un rêve pour les jeunes ingénieurs indiens, américains ou brésiliens et qu'elle laisse indifférents les étudiants européens.

Les responsables politiques, tant ministériels que parlementaires, ont à ce titre un rôle déterminant à jouer pour se réapproprier la politique spatiale et construire un récit à la hauteur des enjeux nombreux et passionnants qu'elle recouvre.

Enfin, j'évoquerai la coopération européenne dans la politique spatiale et la montée en puissance progressive de la Commission européenne dans ce domaine.

Il faut ici commencer par rappeler l'importance d'une autre organisation internationale : l'Agence spatiale européenne (ESA, pour European Space Agency) est absolument indépendante de l'Union et compte parmi ses membres des pays tiers comme le Royaume-Uni ou la Suisse. Depuis sa création en 1975, elle a été un vecteur déterminant de la coopération européenne dans le domaine spatial et nous lui devons la coordination des générations successives de fusées Ariane.

Cependant, depuis les années 1990, l'Union européenne joue également un rôle direct dans la politique spatiale en pilotant des programmes spatiaux d'envergure, dont notamment le programme de radionavigation Galileo, que nous utilisons au quotidien, et le programme d'observation de la terre Copernicus.

Cette montée en puissance a été consacrée par le traité de Lisbonne de 2007 qui confie à l'Union européenne la compétence d'élaborer une politique spatiale européenne.

Ce renforcement de la Commission européenne en matière spatiale est à la fois une chance et un risque.

C'est un risque, car nous devons être attentifs à ce que l'Union européenne ne vienne pas dupliquer des compétences et une expertise qui existent déjà au sein de l'ESA. L'expertise de l'ESA est reconnue et rien ne justifie de disperser les compétences techniques permettant de mener à bien des programmes spatiaux.

C'est également une chance, en ce que le domaine spatial est une composante indispensable de notre souveraineté. À ce titre, le tournant géostratégique que l'Union européenne a engagé en 2022 dans le sillage du déclenchement de la guerre en Ukraine doit impérativement intégrer notre politique spatiale.

L'objectif d'autonomie stratégique de l'Union, qui a été définitivement adopté à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union au premier semestre 2022, implique nécessairement un renforcement du rôle de la Commission dans le domaine spatial.

Cela m'amène à mettre en évidence deux recommandations du rapport.

En premier lieu, il est urgent, à la veille de la mise en service d'Ariane 6, que l'Union rende effectif un principe de préférence européenne en matière de lanceur. Nous ne pouvons plus tolérer que des États membres de l'Union choisissent des lanceurs non européens pour la mise en orbite de leur satellites institutionnels, alors même que nous finançons par notre effort collectif le maintien d'une capacité souveraine de lancement. La garantie effective de ce principe de préférence européenne pour les lanceurs devra être un des chantiers de la nouvelle Commission européenne.

En second lieu, nous devons envisager dès à présent une montée en puissance du financement par l'Union européenne de la politique spatiale. Sans négliger l'effort important qui a été fait dans le dernier cadre financier pluriannuel, je souligne que cette trajectoire a été négociée avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et avant le tournant géostratégique pris par l'Union. Il est donc nécessaire de prévoir un renforcement de l'Union européenne comme financeur du spatial à l'occasion du prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034, en cohérence avec l'objectif d'autonomie stratégique de l'Union.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie de nous permettre de prendre un peu de hauteur avec ce rapport, qui souligne des enjeux de financements publics, aux canaux divers qui mériteraient selon vous d'être clarifiés et consolidés, mais aussi le besoin de renforcer l'approche européenne en matière spatiale, afin de continuer à peser et d'assurer une forme de souveraineté tant européenne que nationale. Je partage cette préoccupation. La solution n'est certes pas évidente, si l'on considère le financement de l'ESA, qui obéit à des règles propres.

Le retard de quatre ans du lanceur Ariane 6 est-il essentiellement dû à un manque de moyens financiers ? Est-il le fait du consortium, ou d'autres explications interviennent-elles ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Merci pour ce rapport passionnant, dont je partage l'ensemble des recommandations. Si toutes sont importantes, la première d'entre elles, qui insiste sur la nécessité de renforcer la visibilité à long terme de l'engagement public, me semble fondamentale.

Pouvez-vous nous éclairer sur le financement de l'ESA ? Vous avez évoqué, parmi ses membres, des pays tiers à l'Union européenne, tels que la Suisse et le Royaume-Uni. Tous les pays européens contribuent-ils au budget de l'Agence ? Je crois que tel n'est pas le cas.

Quel type de relations l'ESA et le Cnes entretiennent-ils ? Ces relations sont-elles fluides ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je salue également le travail de notre rapporteur spécial. Le sujet, à la fois civil et militaire, est de la plus haute importance, ce que, peut-être, on ne mesure pas assez.

Vous êtes-vous intéressé aux problématiques de ressources humaines ? Dans notre pays, et en dehors du cluster toulousain, peu de formations supérieures concernent les techniciens et les ingénieurs du spatial. N'est-ce pas une difficulté à creuser ? Comme dans le secteur du nucléaire, des compétences spécifiques sont indispensables dans le domaine spatial. Si elles nous font défaut, nous ne rattraperons pas notre retard.

M. Vincent Capo-Canellas. - Merci à notre rapporteur spécial d'avoir souligné les nombreux enjeux liés à la politique spatiale - enjeux de souveraineté, enjeux militaires, industriels ou de recherche, notamment - et, en regard, la complexité des circuits de financement, sans doute inhérente à la dimension européenne de cette politique.

Quelles conclusions doit-on en tirer, en s'en tenant à l'approche pragmatique retenue dans le rapport ? Quels changements, en particulier, a induit le rattachement de la politique spatiale au ministère de l'économie et des finances ? Peut-on continuer à ainsi changer régulièrement les périmètres ministériels sur des sujets aussi sensibles ? Si j'entends que le ministère de l'économie et des finances apporte évidemment tout son poids, il n'en a pas moins bien d'autres questions à traiter, spécialement des problématiques d'ordre financier.

Quelles leçons tirons-nous des retards pris sur le lanceur Ariane 6 ? Un problème d'ordre industriel entre-t-il en cause ?

Quelles relations entretient-on avec le secteur privé dans le domaine de la recherche spatiale et sur les questions de rupture technologique qu'elle implique ? Au Sénat, au sein du groupe de suivi sur l'espace, nous avons en effet pu constater que nombre de start-up jouaient ici un rôle significatif, en tant qu'actrices de l'innovation. Aux États-Unis, se sont même elles qui, parfois, conduisent directement les projets. Comment cet écosystème complexe, où interviennent le Cnes et l'ESA, s'organise-t-il pour accueillir et promouvoir l'innovation ?

M. Laurent Somon. - Merci pour votre rapport. Je m'interroge sur l'appropriation de la recherche spatiale par le grand public et, en particulier, par les jeunes au sein de l'Union européenne. Le rapport signale que ces derniers ne semblent pas attirés par le rêve que la recherche et la conquête spatiales peuvent pourtant inspirer. Le retard que nous accusons renverrait-il à un problème de ressources humaines ?

Mme Christine Lavarde. - Sur le sujet de la commande publique, ce rapport recoupe des recommandations que nous avions formulées, avec Vanina Paoli-Gagin, à l'occasion de travaux conduits dans le cadre de la mission de la délégation sénatoriale à la prospective sur l'exploitation des ressources spatiales.

Nous avions constaté une divergence notable entre la politique des États-Unis et celle des États européens. Pour ce qui concerne la France, nous gardions une double impression de financements éclatés et d'incertitude, avec le choix d'une mise en concurrence. La politique européenne nous avait de plus paru s'orienter d'abord vers le New Space, peut-être au détriment de nos fleurons industriels, tels qu'Airbus. Nous nous demandions s'il s'agissait du meilleur moyen de faire émerger les nouveaux programmes spatiaux. Votre recommandation n° 4 vise certes à simplifier le circuit de financement de la politique spatiale, mais avez-vous, à l'occasion de votre contrôle, approfondi ces aspects ? Le rapport évoque le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), sans toutefois y rattacher la question des programmes d'investissements d'avenir, dont, pour notre part, nous avions beaucoup entendu parler et dont l'enveloppe atteint 1,5 milliard d'euros.

M. Claude Raynal, président. - Des évolutions concernent-elles le mode de fonctionnement de l'ESA, en particulier le principe du « retour géographique », qui implique que l'Agence investisse dans chaque État membre, sous forme de contrats attribués à son industrie pour la réalisation d'activités spatiales, en fonction de la contribution qu'il lui apporte ? Une difficulté surgit en effet, par exemple lors de la conception d'une fusée du type d'Ariane 6 : des pays ont ainsi droit au retour géographique quand ils ne comptent qu'une unique entreprise en mesure de prendre part au programme ; celle-ci se trouve alors entièrement libre de déterminer ses conditions, ce qui entraîne d'importants dépassements par rapport aux montants initialement fixés.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Le rapporteur général m'interroge sur les causes du retard du lancement d'Ariane 6. Ma réponse permettra également de répondre immédiatement aux interrogations du président sur l'application du principe de « retour géographique ». Les causes du retard sont principalement de deux ordres, si l'on excepte les aspects d'un financement toujours complexe à mettre en place pour un projet d'une telle envergure.

D'une part, la crise sanitaire du covid-19 a provoqué l'arrêt de l'activité de nombre d'entreprises, des interdictions de travailler en groupe et, en définitive, une perte de temps importante à un moment déterminant de ce programme.

D'autre part, il faut rattacher ce retard à la question du retour géographique, qui vient d'être évoquée. Un tel principe conduit à multiplier les échanges avec l'ensemble des pays participant au programme, dès lors qu'ils sont en mesure, sur un plan industriel, de produire des pièces du lanceur. Nous recommandons, dans le rapport, de prêter une certaine attention à ce sujet. La prochaine conférence interministérielle devrait aussi s'y employer. L'ESA continue, pour sa part, d'expliquer que ce principe ne lui pose aucun problème. À titre personnel, j'en doute, ce que je signale dans le rapport.

Madame Vermeillet, je vous accorde que la recommandation n° 1 du rapport revêt une importance particulière. Elle apporte d'ailleurs sans doute un premier élément de réponse au problème que monsieur Somon a soulevé, à savoir associer un récit à la politique spatiale. Cependant, celle-ci se révèle pour l'heure à ce point parcellisée, tant dans son financement que dans la définition de ses stratégies, que l'élaboration d'un tel récit demeure d'un exercice ardu.

Quant au financement de l'ESA, on pourrait presque le qualifier de financement « à la carte », selon des modes assez complexes. Je rappelle que la France est l'un des principaux financeurs de l'ESA et que, à ce titre, le Cnes peut parfois regretter que chaque financeur soit placé sur un pied d'égalité, indépendamment du niveau de sa participation, selon le principe « un État, une voix ». Qu'un État membre apporte 1 million ou 1 milliard d'euros, sa décision sur un nombre important de décisions de l'Agence pèse d'un même poids. Le Cnes souligne combien la situation est problématique et de moins en moins tenable.

De fait, les pays européens soutiennent des stratégies qui peuvent être fort différentes les unes des autres : la France s'appuie à la fois sur une grande agence spatiale nationale et sur l'ESA ; l'Italie, qui joue assurément aussi un rôle de premier plan dans le secteur spatial et qui comptait également une grande agence nationale, a décidé de tout faire financer, à présent, par l'ESA, à qui elle confie donc sa politique spatiale, politique qu'elle continue néanmoins d'orienter. Nous craignons que pareille situation ne nous fasse entrer dans un système de concurrence intra-européenne.

L'Agence comprend aujourd'hui 22 États, pour la plupart membres de l'Union européenne. Certains, comme la Slovénie, la Slovaquie, la Lettonie ou la Lituanie sont membres de l'Union européenne sans être membres de l'ESA. La gouvernance actuelle fonctionne depuis des années, mais non sans écueils, notamment sur les questions de financement.

Madame Paoli-Gagin, vous évoquez d'éventuels problèmes de ressources humaines. Les différents opérateurs de la politique spatiale française n'en font pas cas, et ce indépendamment de leur niveau d'intervention : le New Space recrute les ingénieurs dont il a besoin et le Cnes ne mentionne pas de problème particulier de recrutement. Il semblerait que les formations actuelles suffisent à répondre aux demandes du secteur. Il est vrai que de nombreux échanges de compétences interviennent entre les pays, notamment entre la France et les États-Unis. Madame Lavarde mentionnait le programme d'investissements d'avenir : le plan France 2030 prévoit un financement destiné à la formation.

Oui, monsieur Somon, nous manquons d'un récit spatial à l'échelle européenne. Lors de la Conférence des présidents des parlements de l'Union européenne (CPPEU) qui s'est tenue au mois d'avril dernier, sur le thème de l'autonomie stratégique de l'Union, je fus le seul, tandis que je représentais le président Larcher, à aborder la question de la politique spatiale européenne. Aucun autre orateur n'y a fait allusion, bien que tous aient traité des espaces contestés. Lors de mon allocution, j'ai brandi mon téléphone mobile pour rappeler à l'assistance ce que ce type d'outil, qui nous avait permis de nous rencontrer, devait aux dispositifs mis en orbite dans l'espace.

Sur le mode de la plaisanterie, j'ai suggéré à mes interlocuteurs du Cnes de recruter quelques personnalités politiques capables de porter un récit politique sur l'espace... Ils n'y sont eux-mêmes guère accoutumés malgré leur longue expérience.

Qui sait par exemple, dans cette enceinte, que le premier satellite français mis en orbite en 1965 portait le nom d'Astérix ? Seuls nos spationautes - je pense notamment à Thomas Pesquet - jouissent d'une certaine exposition, mais, si nous voulons convaincre, en particulier sur les aspects de financement, nous devrions aller bien au-delà et présenter la vision d'avenir que les questions spatiales sous-tendent.

Madame Lavarde, je suis d'accord sur l'importance de la commande publique et sur le problème des financements fragmentés, que nous constatons avec vous et avec les opérateurs les plus anciens du secteur qui nous l'ont signalé. Une stratégie est néanmoins visible dans le choix du ministère de l'économie comme ministère de rattachement de la politique spatiale, et je réponds ici aussi à Monsieur Capo-Canellas. Au demeurant, un changement régulier du ministère chargé de cette compétence n'est peut-être pas idéal...

M. Vincent Capo-Canellas. - Il faut des équipes dédiées.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Les équipes en place ont un effectif certes restreint, mais elles font montre d'une indéniable compétence et d'une réelle expertise de la politique spatiale.

Cette politique se rattache aussi au plan France 2030, mais selon un mécanisme assez complexe. Nous nous interrogeons sur la question de savoir pourquoi les crédits du plan France 2030 abondent notre contribution à l'ESA. Pour autant, ces crédits doivent-ils bénéficier à l'ESA ou être directement dirigés vers les entreprises du secteur ? La question reste ouverte.

Telles sont les réponses que je peux apporter. L'élaboration de ce rapport a été passionnante et nous poursuivons notre travail au sein du groupe de suivi sur l'espace. Nous travaillons sur un modèle d'avenir, certes éloigné de nos préoccupations quotidiennes, mais essentiel dans nos vies. La prise de conscience est certaine, surtout depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, mais il manque encore un récit, qui serait de nature à passionner notre jeunesse. Nous verrons si le prochain lancement d'Ariane 6 suscitera de nouveaux espoirs.

M. Vincent Capo-Canellas. - Je me permets de vous relancer sur la question de la relation avec le New Space ?

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Nous avons dédié d'importants moyens financiers à l'appui de leurs capacités de développement. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur l'efficacité des aides attribuées dans le cadre du plan France 2030.

J'ai également oublié de répondre à la question sur les relations entre le Cnes et l'ESA : elles sont fluides mais le Cnes est très attentif à l'efficacité du fonctionnement de l'ESA et à la nécessité de le réformer au regard du montant très important de notre contribution. J'ai déjà mentionné le financement de l'Agence, qui intéresse d'ailleurs directement notre commission : le décret d'annulation de crédit du 21 février a annulé environ 200 millions d'euros de crédits de la contribution française à l'ESA. Toutefois, comme il s'agit de crédits sur des engagements de programmes déjà pris, ces crédits font l'objet, non d'une suppression au sens strict, mais d'un simple report en raison de retards pris dans la réalisation de certains programmes.

M. Claude Raynal, président. - En ce qui concerne les start-up, nous retrouvons une difficulté, majeure, qui est toujours la même : en dépit de compétences élevées dans le domaine du spatial, qui nous permettent d'engager des projets, et d'un passé prestigieux, la France reste un petit pays et le marché est américain à 80 %. Nos start-up ne peuvent se contenter du marché français ni même du marché européen, elles n'ont d'autre choix que de prendre une part significative de ce marché américain. Le lanceur Ariane 6 ne sera ainsi pas rentable sans prendre des parts de marché aux États-Unis.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Malgré la compétitivité des États-Unis, l'Europe doit garder une politique de lanceurs, au risque de s'exposer au danger redoutable d'une perte d'autonomie stratégique. Notre visite sur un site industriel d'Airbus Defence and Space m'a convaincu. Il serait pour le moins dommage de recourir à des lanceurs américains pour l'envoi de satellites d'une grande qualité qui, pour la plupart, sont de construction européenne et tiennent souvent à des domaines d'emploi stratégiques : satellites militaires ou satellites d'observation de la terre par exemple.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Cabinet du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

- M. Basile THODOROFF, conseiller entreprises, participations de l'État, industrie et énergie.

Direction générale de l'armement (DGA)

- Mme Éva PORTIER, adjointe espace du délégué général.

Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

- M. Brice LAMOTTE, chef du service politique spatiale et défense.

Direction générale des entreprises

- Mme Amandine REIX, sous-directrice du spatial, de l'électronique et du logiciel.

Secrétariat général pour l'investissement (SGPI)

- M. Massis SIRAPIAN, directeur du pôle « nouvelles frontières » ;

- Mme Aïda URIEN, conseillère innovation.

Centre national d'études spatiales (CNES)

- M. Philippe BAPTISTE, président ;

- M. Pierre TRÉFOURET, directeur de cabinet.

Société ArianeGroup

- M. Martin SION, président exécutif d'ArianeGroup ;

- M. Stéphane ISRAËL, président exécutif d'Arianespace.

Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS)

- Général Frédéric PARISOT, délégué général ;

- M. Jérôme JEAN, directeur des affaires publiques.

Alliance NewSpace France

- M. Giao-Minh NGUYEN, vice-président ;

- M. Samuel MAMOU, coordinateur.

Fondation pour la recherche stratégique (FRS)

- M. Xavier PASCO, directeur.

Agence spatiale européenne (ESA)

- M. Jean Max PUECH, directeur des services internes.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Toulouse - 12 avril 2024.

Centre spatial de Toulouse (CNES)

- M. Lionel SUCHET, directeur général délégué du Centre national d'études spatiales (CNES).

Site industriel « Astrolabe » d'Airbus Defence and Space (ADS)

- M. Alain FRIZON, directeur de l'établissement de Toulouse et Région Sud.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI (TEMIS)

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

1

Adopter une stratégie spatiale nationale recouvrant les dimensions civiles et militaires de la politique spatiale pour renforcer la visibilité à long terme de l'engagement public vis-à-vis des citoyens, des pays-partenaires et des investisseurs privés.

Ministre chargé de la politique spatiale

Premier semestre 2025

Stratégie nationale interministérielle adoptée par le ministre chargé de l'espace

2

Actualiser à l'article L. 331-2 du code de la recherche les missions du Centre national d'études spatiales (CNES) pour y intégrer les dimensions stratégiques et industrielles de son activité.

Direction générale des entreprises (DGE), Direction générale de l'armement

2025

Loi

3

Consacrer le rôle du CNES pour conseiller les acheteurs publics et cofinancer le premier recours à des services spatiaux.

CNES, DGE

2026

Règlement et contrat d'objectifs et de performance du CNES

4

Simplifier le circuit de financement de la politique spatiale en intégrant au programme 193 « Recherche spatiale » l'intégralité de la contribution française à l'Agence spatiale européenne (ESA).

CNES, Secrétariat général pour l'investissement

2025

Loi de finances

5

Consolider le dispositif de soutien aux acteurs français se portant candidat pour obtenir des financements européens dans le secteur spatial en maintenant la mission d'accompagnement des porteurs de projet dans le secteur public (programme Horizon Europe) et en l'élargissant au secteur privé (initiative Cassini).

Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI), DGE, CNES

Premier semestre 2025

Règlement et contrat d'objectifs et de performance du CNES

6

Consacrer un principe de « préférence européenne » applicable aux lancements spatiaux institutionnels réalisés par l'ensemble des États membres de l'Union.

Commission européenne, Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

2025

Acte législatif de l'Union européenne (règlement ou directive)

7

Réformer dans le domaine industriel la règle du retour géographique inscrite dans le traité constitutif de l'Agence spatiale européenne (ESA), pour concilier les objectifs de compétitivité et d'équilibre de la répartition géographique de l'industrie spatiale.

CNES, Ministre des affaires étrangères

2025

Accord international avec les pays membres de l'ESA

8

Consolider le rôle de l'Union européenne dans le financement de la politique spatiale européenne dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034 pour renforcer son pilotage politique et la compétitivité de l'industrie spatiale au regard de l'objectif d'autonomie stratégique européenne.

Commission européenne, Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

2027

Cadre financier pluriannuel de l'Union européenne

ANNEXE
CARTOGRAPHIE SYNTHÉTIQUE
DU FINANCEMENT PUBLIC
DE LA POLITIQUE SPATIALE FRANÇAISE EN 2023

Catégorie

Sous-catégorie

Programme ou mission

Ministre concerné

Montant (en M€)

Crédits de paiement (CP) du budget général

Mission « Recherche et enseignement supérieur »

P193 « Recherche spatiale »

MEFSIN

1 836

P191 « Recherche duale (civile et militaire) »

MINARM

128

P172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires »

MESR

26

TOTAL « Recherche et enseignement supérieur »

1 990

Mission « Défense »

P146 « Équipement des forces »

MINARM

723

P144 « Environnement et prospective de la politique de défense »

77

TOTAL « Défense »

800

Missions « Plan de relance » et « Investir pour la France de 2030 »

Mission « Plan de relance »

MEFSIN

16

Mission « Investir pour la France de 2030 »

PM

13

TOTAL « Plan de relance » et « Investir pour la France de 2030 »

29

TOTAL « Budget général »

2 819

Prélèvement sur recette

Participation au budget de l'Union européenne (PSR-UE)

302

Dépense fiscale

Crédit d'impôt en faveur de la recherche (CIR)

57

TOTAL

3 178

Source : commission des finances


* 1 European Space Agency.

* 2 En crédits de paiement (CP).

* 3 Art. L. 111-1 du code de la recherche, 1° et 3°.

* 4 Sénat, commission des affaires culturelles, 30 novembre 1961, n° 97 (1961-1962), Rapport sur le projet de loi instituant un centre national d'études spatiales, au rapport de M. Jacques Baumel, p. 8.

* 5 CNES, octobre 2019, Séminaire de prospective scientifique (SPS) du Havre, p. 10.

* 6 Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), janvier 2021, Rapport d'évaluation du Centre national d'études spatiales, p. 27.

* 7 Le suivi des flux de dioxyde de carbone est la mission principale de la mission « MicroCarb » piloté par le CNES et l'agence spatiale du Royaume-Uni (UKSA) qui sera lancée au plus tôt en 2025.

* 8 CNES, juin 2023, Rapport d'activité 2022, p. 55.

* 9 European Space Agency.

* 10 CNES, octobre 2019, Séminaire de prospective scientifique (SPS) du Havre, p. 66.

* 11 Projet de loi de finances pour 2024 (PLF 2024), Projet annuel de performances (PAP) de la mission « Recherche et enseignement supérieur », p. 304.

* 12 Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), Insee Première, septembre 2022, n° 1919.

* 13 Les sociétés entrant dans cette catégorie sont celles dont l'activité spatiale représente au moins 80 % du chiffre d'affaires.

* 14 François Lecointre, « L'espace au coeur des opérations militaires modernes » in Revue Défense Nationale, n° 835, décembre 2020, p.13.

* 15 Geospatial Intelligence.

* 16 François Lecointre, « L'espace au coeur des opérations militaires modernes » in Revue Défense Nationale, n° 835, décembre 2020, p. 14.

* 17 Traité sur les principes régissant les activités des État en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps céleste.

* 18 Art. premier du traité sur l'espace du 27 janvier 1967.

* 19 Art. IV du traité sur l'espace du 27 janvier 1967.

* 20 Ministère des armées, Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, 2017, p. 45.

* 21 Discours du Président de la République du 13 juillet 2019 à l'Hôtel de Brienne.

* 22 Ministère des armées, Revue nationale stratégique, 2022, p. 50.

* 23 Fondation pour la recherche stratégique (FRS), Christian Maire, décembre 2021, « Réflexions sur l'essai antisatellite russe du 15 novembre 2021 ».

* 24 Ministère des armées, Stratégie spatiale de défense, 2019, p. 25.

* 25 Sénat, compte rendu de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mercredi 15 décembre 2021.

* 26 Ordonnance n° 2021-860 du 30 juin 2021 portant changement d'appellation de l'armée de l'air.

* 27 Le commandement de l'espace (CDE) succède au commandement interarmées de l'espace (CIE) qui était un service rattaché au chef d'état-major des armées créé en 2010.

* 28 NATO Space Centre of Excellence.

* 29 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 30 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, 2.2.3 du rapport annexé.

* 31 Loi n° 61-1382 du 19 décembre 1961 instituant un centre national d'études spatiales.

* 32 Art. R. 331-1 du code de la recherche.

* 33 Art. R. 331-2 du code de la recherche.

* 34 Sénat, Séance publique, compte-rendu intégral de la séance du 7 décembre 1961, p. 2398.

* 35 Sénat, commission des affaires culturelles, 30 novembre 1961, n°97 (1961-1962), Rapport sur le projet de loi instituant un centre national d'études spatiales, au rapport de M. Jacques Baumel, p. 19

* 36 Hcéres, janvier 2021, Rapport d'évaluation du Centre national d'études spatiales, p. 6.

* 37 Loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales.

* 38 Cour des comptes, janvier 2023, Le Centre national d'études spatiales (CNES) - hors centre spatiale de Toulouse, p. 64.

* 39 CNES, avril 2022, contrat d'objectifs et de performance 2022-2025, « Nouveaux espaces ».

* 40 European Space Agency.

* 41 European Launching Development Organization.

* 42 European Astronaut Centre.

* 43 Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Irlande, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse.

* 44 Slovénie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie. Le Canada bénéficie également de facto de ce statut.

* 45 Bulgarie, Croatie, Chypre et Malte.

* 46 Pour rappel, certains États membres de l'Union européenne ne sont pas membre de l'ESA et, inversement, certains membres de l'ESA ne sont pas membres de l'Union européenne comme le Royaume-Uni.

* 47 Article 6 de l'accord-cadre du 25 novembre 2003 entre la Communauté européenne et l'Agence spatiale européenne.

* 48 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), 3. de l'article 4.

* 49 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), 1. de l'article 189.

* 50 European Union Space Programme Agency.

* 51 Global Navigation Satellite System.

* 52 European Geostationary Navigation Overlay Service.

* 53 Règlement (UE) 2021/696 du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 établissant le programme spatial de l'Union et l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial.

* 54 Space Situational Awareness.

* 55 Space Surveillance and Tracking.

* 56 Règlement (UE, Euratom) 2020/2093 du Conseil du 17 décembre 2020 fixant le cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027.

* 57 Projet de loi de finances pour 2024, annexe générale « Relations financières avec l'Union européenne », p. 106.

* 58 Règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2023 établissant le programme de l'Union pour une connectivité sécurisée pour la période 2023-2027.

* 59 Parlement européen, commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE), audition du commissaire au marché intérieur du 9 avril 2024.

* 60 Art. R. 331-1 du code de la recherche.

* 61 Subvention pour charges de service public (SCSP) et subvention pour charges d'investissement (SCI).

* 62 Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2023 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur.

* 63 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 64 Sous-actions n°07.42, 07.43, 07.44, 07.45 et 07.46.

* 65 Les études amont sont des programmes de recherche appliquée dans le but de satisfaire un besoin militaire prévisible.

* 66 Projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023, rapport annuel de performance de la mission « Défense », programme 144, sous-action 07.03, opération budgétaire « espace », p. 53.

* 67 Commissariat général à l'investissement, juin 2016, 3e programme d'investissements d'avenir, p. 43.

* 68 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), 3. de l'article 4.

* 69 Par ex. article 129 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 pour 2023.

* 70 Projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023 (PLRG 2023), art. 3.

* 71 Commission européenne, direction générale du budget, Rapport d'exécution 2023, tableau des dépenses par politiques publiques, crédits de paiement (CP).

* 72 Dispositions fiscales dérogatoires induisant un coût pour le budget de l'État.

* 73 Art. 244 quater B du code général des impôts.

* 74 Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, 2023, L'état de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en France, p.93.

* 75 INSEE, enquête filière aéronautique et spatiale 2020.

* 76 F. Gaillard-Sborowsky, « Petits satellites, petits lanceurs : quelles opportunités pour de nouveaux entrants ? », Annales des Mines - Réalités industrielles, n° 2019/2, mai 2019.

* 77 C'est-à-dire d'une masse inférieure ou égale à 1 200 kilogrammes.

* 78 X. Pasco, « New Space. Les nouveaux conquérants », Revue Projet, n° 387, 2022.

* 79 A. Saint-Martin, « Un nouvel esprit du capital-risque spatial ? Sur quelques tendances récentes du financement de l'industrie spatiale américaine », Entreprises et Histoire, n° 102, 2021.

* 80 J.-J. Tortora, « Le New Space », Annales des Mines - Réalités industrielles, n°2019/2, mai 2019.

* 81 Morgan Stanley, « Space : Investing in the Financial Frontier », juillet 2020.

* 82 Ce périmètre inclut les emplois des sites industriels des grands groupes français situés en Europe, y compris en dehors du territoire français.

* 83 A. Bories, « L'entreprise allemande OHB, un nouvel acteur de l'industrie spatiale », Annales des Mines - Réalités industrielles, n° 2019/2, mai 2019.

* 84 Federal Ministry for Economic Affairs and Climate Action (Allemagne), septembre 2023, The German Federal Government's Space Strategy.

* 85 J.-P. Darnis, « L'évolution du contexte spatial en Italie », Fondation pour la recherche stratégique (FRS), Note n° 01/23, 4 janvier 2023.

* 86 Pour rappel, le développement de la fusée Ariane a été décidé à la suite des conditions imposées par la NASA en 1974 qui avait interdit l'exploitation commerciale d'un satellite de communication européen lancé par une fusée américaine.

* 87 É.-A. Martin, « L'espace dans la course à la puissance » in Ramses 2022. Au-delà du Covid, Dunod, septembre 2021.

* 88 X. Pasco, « Nouvelles formes de compétition dans l'espace », Revue Défense Nationale, n° 851, juin 2022.

* 89 Décret n° 2023-662 du 26 juillet 2023 relatif aux attributions du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

* 90 Le COP du CNES pour la période 2022-2025, adopté en octobre 2022, comporte 16 indicateurs et 27 actions à mener dont certaines ont un caractère opérationnel qui concerne strictement la gestion de l'opérateur comme par exemple l'indicateur relatif à la masse salariale du CNES ou l'action à mener relative à l'adoption d'une stratégie bas carbone par le CNES.

* 91 Art. 2 de la loi n° 61-1382 du 19 décembre 1961 instituant un centre national d'études spatiales.

* 92 Art. 3 de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur.

* 93 A. Juppé, M. Rocard, Investir pour l'avenir, novembre 2009, p. 3.

* 94 A. Juppé, M. Rocard, Investir pour l'avenir, novembre 2009, p. 15

* 95 CSIA, France 2030. Lancement maîtrisé d'un plan d'investissements à impacts majeurs, juin 2023, p. 69.

* 96 Convention entre l'État, Bpifrance et le CNES du 30 septembre 2022.

* 97 La déclaration conjointe a été signée par des représentants de l'ESA et des agences spatiales nationales de l'Italie, de l'Espagne, de la France, de l'Allemagne et de la Suisse.

* 98 Lancement en 2018 du satellite GovSat 1.

* 99 Lancement en 2018 du satellite Paz.

* 100 Lancement en 2022 du satellite ENMAP.

* 101 Sénat, 9 août 2019, n° 145 (sessions extraordinaires de 2018-2019), Résolution européenne sur la politique spatiale de l'Union européenne, alinéa 12.

* 102 Proposition de résolution commune sur une stratégie industrielle de l'UE pour stimuler la compétitivité industrielle, les échanges commerciaux et la création d'emplois de qualité, n° B9-0107/2023, amendement n° 4, 15 février 2023.

* 103 GUE, S&D, Verts, Renew et PPE.

* 104 Art. II de la convention de Paris du 30 mai 1975 portant création d'une Agence spatiale européenne.

* 105 Convention de Paris du 30 mai 1975 portant création d'une Agence spatiale européenne, article IV de l'annexe V.

* 106 Sénat, commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, n° 363 (1977-1978), 19 mai 1978, Rapport sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention portant création d'une Agence spatiale européenne, au rapport de M. Michel d'Aillièers, p. 19.

* 107 Déclaration de Versailles des chefs d'État ou de gouvernement de l'Union européenne, 11 mars 2022, §7.

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