II. EXAMEN DU RAPPORT
Réunie le mercredi 16 octobre 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport d'information de M. Alain Milon, Mmes Brigitte Devésa et Cathy Apourceau-Poly, rapporteurs, sur l'accès à l'IVG.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons entendre la communication d'Alain Milon, Brigitte Devésa et Cathy Apourceau-Poly à l'issue des travaux qu'ils ont conduits sur l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG).
Je vous rappelle que notre commission a lancé cette mission d'information le 6 mars dernier, juste après que le Parlement, réuni en Congrès, a définitivement adopté le projet de loi visant à inscrire dans la Constitution la liberté des femmes de recourir à l'IVG.
Il s'agissait, au-delà des principes proclamés de la manière la plus solennelle, de faire la lumière sur les conditions dans lesquelles les femmes peuvent accéder, sur le territoire, à des professionnels de santé susceptibles de réaliser une IVG.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Le 8 mars dernier, la France est devenue le premier pays au monde à inscrire dans sa Constitution la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Le projet de loi constitutionnelle avait pour objectif affiché de mieux protéger cette liberté d'éventuelles remises en cause législatives, après que la décision prise par la Cour suprême des États-Unis en juin 2022 et les diverses restrictions légales adoptées, depuis, par certains États fédérés américains ont démontré sa fragilité.
Si cette révision a fait l'objet d'importants débats au sein de notre assemblée, nous devrions pouvoir nous accorder sur une affirmation : renforcer son niveau de protection juridique ne suffit pas à assurer l'effectivité d'une liberté. C'est pourquoi notre commission a souhaité s'intéresser aux conditions concrètes dans lesquelles l'IVG est aujourd'hui accessible, dans la diversité de nos territoires, aux femmes qui en font la demande.
À l'issue de nos travaux et compte tenu des données disponibles, nous constatons que l'accès à l'avortement demeure, en France, fragile et inégal. Notre rapport fait état de fortes disparités territoriales dans l'offre d'IVG et souligne les risques attachés aux campagnes de désinformation. Il formule, pour lutter contre ces deux écueils, dix propositions destinées à améliorer, concrètement et à droit constant, l'accès des femmes à cette liberté constitutionnelle.
Commençons par quelques éléments de constat sur les transformations récentes de l'IVG dans notre pays.
Il faut d'abord souligner que le recours à l'IVG a considérablement augmenté, en France, depuis trente ans. Le nombre d'IVG recensées en 2023 s'élève, ainsi, à 243 000, contre 226 000 en 2019. Il ne dépassait, avant l'an 2000, que rarement 210 000. Cette augmentation n'est pas proportionnelle à celle de la population concernée : le taux de recours à l'IVG parmi les femmes de 15 à 49 ans a également augmenté pour s'établir, en 2023, à 17,6 IVG pour 1 000 femmes, contre 15 en 2017 et 13,7 en 2000.
Les taux de recours observés diffèrent sensiblement selon l'âge et le territoire.
L'essentiel de la hausse observée depuis dix ans concerne les femmes âgées de plus de 25 ans. Les taux de recours chez les mineures, à l'inverse, demeurent faibles et inférieurs à ceux que nous connaissions au milieu des années 2000.
Par ailleurs, le taux de recours est sensiblement plus élevé dans les départements et régions d'outre-mer et dans certaines régions hexagonales, en particulier en Provence-Alpes-Côte d'Azur et en Île-de-France, y compris après neutralisation des différences expliquées par les écarts de structure d'âge entre territoires.
Enfin, malgré l'allongement progressif du délai légal de recours - jusqu'à la fin de la douzième semaine de grossesse en 2001, puis jusqu'à la fin de la quatorzième semaine en 2022 -, les IVG enregistrées demeurent concentrées dans les premières semaines de grossesse.
Parmi les IVG réalisées en établissement de santé, 80 % le sont à moins de huit semaines de grossesse. La part des IVG réalisées au-delà de 12 semaines de grossesse, et bénéficiant donc de l'allongement récent du délai légal, n'aurait pas dépassé 2,5 % à 3 % des IVG hospitalières en 2023.
Surtout, les parcours de soins des femmes concernées ont connu des mutations profondes ces dernières années. D'abord, parce que les techniques employées et les professionnels impliqués se sont diversifiés.
En substitution à la méthode instrumentale traditionnelle, l'IVG médicamenteuse s'est, ainsi, progressivement développée ces dernières années. Pratiquée à l'hôpital depuis 1989, elle est autorisée en ville par la loi de 2001 relative à l'IVG. Le délai dans lequel cette technique est accessible a été porté, durant la crise sanitaire puis, de manière pérenne, par la loi de 2022, de la fin de la cinquième semaine à la fin de la septième semaine de grossesse. Grâce à cette ouverture progressive, la part des IVG médicamenteuses dans le total a beaucoup augmenté pour devenir majoritaire : en 2023, elles représentaient 79 % des IVG réalisées, contre 68 % en 2019 et 31 % en 2000.
D'autres évolutions législatives ont facilité le recours à l'IVG. La loi Santé de 2016 a, notamment, permis la réalisation d'IVG médicamenteuses par les sages-femmes, à l'hôpital comme en ambulatoire. Elle a également autorisé la réalisation d'IVG instrumentales en ville, dans les centres de santé, mais cette pratique demeure pour le moment résiduelle. Enfin, la loi de 2022 a permis aux sages-femmes de réaliser, en établissement de santé et après formation, des IVG instrumentales.
Du fait de ces évolutions et parallèlement à la montée en charge de la technique médicamenteuse, la part des hôpitaux dans la réalisation des IVG a fortement diminué. Celle-ci n'a pas, en 2023, dépassé 60 %, alors que les hôpitaux concentraient encore plus de 90 % de l'activité d'IVG en 2008.
Il faut, enfin, rappeler qu'aucun professionnel de santé n'est jamais contraint de réaliser une IVG : une clause de conscience légale les autorise à refuser de le faire, en communiquant à la patiente le nom de professionnels susceptibles de répondre à sa demande. De la même manière, la loi autorise les établissements de santé privés à refuser que des IVG soient pratiquées dans leurs locaux, lorsque d'autres établissements sont en mesure de répondre localement aux besoins.
Aucune donnée ne permet de mesurer la part des professionnels de santé refusant de pratiquer une IVG. Toutefois, un récent sondage publié par le planning familial révèle que 27 % des femmes interrogées ayant eu recours à l'IVG déclarent avoir été confrontées à un refus.
Enfin, le parcours de soins des femmes concernées a progressivement été simplifié ces dernières années. Le délai de réflexion obligatoire entre la première et la deuxième consultation a été supprimé en 2022. Par ailleurs, la réalisation d'IVG médicamenteuses en téléconsultation a été permise et facilitée. La protection de l'anonymat des patientes et la prise en charge financière de l'IVG ont, enfin, été renforcées : depuis 2016, l'IVG et les actes qui y sont associés sont intégralement pris en charge.
M. Alain Milon, rapporteur. - Malgré l'ensemble de ces avancées, de fortes inégalités territoriales demeurent dans l'accès à l'IVG. D'importantes disparités sont observées, d'abord, dans l'offre disponible en ville.
En 2021, ainsi, la part prise par l'activité de ville dans l'offre totale d'IVG s'établissait à 10 % dans les Pays de la Loire, contre 43,5 % en région Sud. Les écarts sont encore plus marqués au niveau départemental.
L'inégale répartition des professionnels de santé libéraux sur le territoire national n'explique que très partiellement ces disparités. Ainsi, parmi les cinq régions présentant le plus faible taux de contribution de la ville, figurent les régions Grand Est, Bretagne et Corse, qui ne sont pas marquées par une densité de professionnels inférieure à la moyenne nationale. Les disparités observées semblent davantage tenir, d'une part, à l'inégale propension des femmes à recourir à l'offre de ville et, d'autre part, à l'inégal engagement des professionnels.
Sur le premier point, il faut observer que l'offre de ville demeure parfois méconnue des patientes, ou que certaines d'entre elles peuvent juger, en particulier dans les zones rurales, que les établissements de santé offrent de meilleures garanties d'anonymat.
Par ailleurs, l'implication des professionnels de santé demeure fortement minoritaire : en 2023, 3 170 professionnels exerçant en ville ont pratiqué au moins une IVG, représentant 14 % des sages-femmes, 19 % des gynécologues et 1,5 % des médecins généralistes libéraux. Plusieurs facteurs sont susceptibles d'expliquer l'engagement mesuré et inégal des professionnels : le faible niveau de tarification associé à cet acte ; les difficultés liées au conventionnement avec un établissement de santé, nécessaire pour pratiquer l'IVG en ville ; les politiques plus ou moins volontaristes portées par les agences régionales de santé (ARS), enfin, en matière de sensibilisation et d'accompagnement des professionnels de santé.
C'est pourquoi le rapport recommande de fixer aux ARS des objectifs de croissance du nombre de professionnels de ville impliqués et de mieux accompagner ces derniers dans les procédures de conventionnement.
L'offre hospitalière, par ailleurs, tend à se concentrer fortement ces dernières années. Le nombre d'établissements de santé ayant réalisé au moins une IVG dans l'année s'établit à 526 en 2021, en diminution de presque 24 % depuis 2005.
Le désengagement du secteur privé est particulièrement spectaculaire : 4,5 % des IVG hospitalières ont été réalisées, en 2023, dans le secteur privé lucratif, contre 39 % en 2001 et 19 % en 2010. Là encore, la faiblesse des tarifs associés à l'IVG est mise en avant parmi les principaux facteurs explicatifs.
Cette concentration éloigne considérablement certaines femmes des établissements susceptibles de répondre à leurs besoins et, parfois, de toute offre d'IVG. Elle résulte souvent, dans le secteur public, de la fermeture de services de gynécologie-obstétrique non compensée par la mise en place de centres périnataux de proximité (CPP). Notre rapport recommande de systématiser l'ouverture de ces centres lorsque l'offre locale apparaît insuffisante pour compenser la fermeture d'un service.
Enfin, l'effet de la concentration de l'offre hospitalière sur l'accès à l'IVG est d'autant plus important que l'ensemble des établissements impliqués ne proposent pas une offre complète. Ainsi, un quart environ des hôpitaux contribuant à l'offre d'IVG ne proposent que l'une des deux techniques et, le plus souvent, que la technique médicamenteuse. Les tensions démographiques touchant les anesthésistes et gynécologues, les difficultés capacitaires en bloc opératoire et les besoins de formation figurent parmi les principaux facteurs explicatifs mis en avant.
De la même manière, une minorité d'établissements seulement semble en mesure de prendre en charge les IVG tardives, au-delà de la douzième semaine de grossesse. Le ministère n'en identifiait, en mai 2023, que 232, soit 44 % environ des structures qui contribuent à l'activité d'IVG. Les besoins de formation sont, là encore, importants.
Cette raréfaction de l'offre a des effets concrets : d'après le sondage publié par le planning familial, 54 % des femmes ayant eu recours à l'IVG déclarent avoir attendu plus de sept jours pour un rendez-vous. C'est pourquoi le rapport invite à renforcer la formation des sages-femmes à la technique instrumentale et, plus largement, à soutenir la formation des équipes hospitalières.
Ces disparités dans l'offre d'IVG alimentent les difficultés d'accès observées localement. Treize ARS déclarent, en 2023, constater des difficultés durables dans certains territoires, et six estiment que certaines zones de leur ressort territorial sont éloignées de plus d'une heure de toute offre d'IVG. Les difficultés de transport associées se révèlent particulièrement problématiques pour les mineurs ou les populations précaires, ainsi que dans les territoires d'outre-mer. Le cas des îles du Sud à la Guadeloupe est parlant : depuis Marie-Galante, l'accès au plateau technique du CHU ne peut se faire que par voie maritime ou aérienne et, d'après le ministère, l'équipe du CPP ne réalise que des IVG jusqu'à cinq semaines de grossesse.
Les données manquent pour objectiver ces difficultés. Le ministère mesure seulement, chaque année, la part des femmes réalisant une IVG dans leur département de résidence. Si celle-ci est supérieure à 80 % au niveau national, elle ne dépasse pas, en revanche 60 % en Seine-Saint-Denis ou en Ardèche. Le rapport propose la mise en place d'indicateurs plus précis et pertinents, tels que la distance entre le lieu de l'IVG et le domicile ou le délai de réalisation, suivis par les ARS.
Par ailleurs, le recueil des événements indésirables graves (EIG) apparaît, de l'aveu du Gouvernement, inégal entre les régions. Le rapport propose de le systématiser et d'y associer, chaque année, une analyse des difficultés d'accès que ces événements révèlent.
Enfin, il faut souligner que l'accès à l'IVG ne recouvre pas seulement la faculté d'interrompre, dans un délai raisonnable, sa grossesse, mais également celle de choisir la méthode d'interruption. La loi dispose, ainsi, que « toute personne doit être informée sur les méthodes abortives et a le droit d'en choisir librement. »
Or l'exercice de ce droit apparaît, en pratique, limité dans certains territoires. Dix ARS font état de zones de leur ressort territorial dans lesquelles une seule technique est proposée et 31 % des femmes ayant avorté affirment ne pas avoir eu le choix de la méthode.
La concentration de l'offre hospitalière d'IVG instrumentale, les difficultés de certains centres de santé ou établissements à proposer une anesthésie générale, le manque d'équipes susceptibles de prendre en charge des IVG tardives et les obstacles rencontrés par les établissements de santé dans la réalisation d'IVG médicamenteuses à domicile par téléconsultation sont autant d'obstacles au libre choix par les femmes des conditions de leur IVG.
En conséquence, le rapport propose d'exiger des ARS l'identification des structures permettant, dans leur ressort territorial, la réalisation d'IVG tardives et un appui renforcé à la formation des professionnels et à l'équipement des établissements dans les territoires qui en sont dépourvus. Il recommande également de faciliter les IVG médicamenteuses en téléconsultation pour les professionnels hospitaliers.
Enfin, pour fixer des pratiques aujourd'hui disparates au-delà de douze semaines de grossesse, le rapport propose de demander à la HAS de mettre à jour ses recommandations de bonnes pratiques pour tenir compte de la récente extension du délai légal.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - Notre rapport s'attarde, enfin, sur les enjeux entourant l'information des femmes. Il s'agit d'un sujet crucial, particulièrement pour les publics les plus fragiles. Plusieurs organisations que nous avons auditionnées classent, ainsi, parmi les principaux obstacles à l'accès à l'IVG, la méconnaissance du droit, la barrière de la langue ou l'illettrisme.
Or, en matière d'information, il faut d'abord observer que d'importants progrès ont été accomplis ces dernières années.
Le site ivg.gouv.fr, créé en 2015, met à disposition du grand public une information fiable sur l'IVG, ainsi qu'un annuaire des centres de santé sexuelle. Il a été refondu en 2023, dans l'objectif d'améliorer son référencement pour contrecarrer les stratégies des sites anti-choix. D'après le ministère, le nombre de visites mensuelles a été multiplié par presque huit entre le début de l'année 2023 et le début de l'année 2024, probablement alimenté par les débats relatifs à la constitutionnalisation.
Par ailleurs, un numéro vert national « Sexualités, contraception, IVG » a été mis en place en 2015, et assorti d'un tchat confidentiel depuis 2023.
La loi prévoit, en outre, qu'un dossier-guide doit être remis par le médecin ou la sage-femme à toute femme sollicitant une IVG. Mis à jour au moins une fois par an, celui-ci rappelle les principales dispositions légales et dresse la liste des établissements réalisant des IVG.
Enfin, la loi de 2022 a prévu la mise en place par les ARS d'un répertoire librement accessible recensant, sous réserve de leur accord, les professionnels de santé et les structures pratiquant l'IVG.
Pour autant, de nombreuses difficultés demeurent. D'abord, plusieurs obstacles rencontrés dans la mise en place des nouveaux répertoires nous ont été signalés.
L'identification des professionnels de ville par les ARS n'est pas exhaustive : du fait de la sensibilité de cet acte, des professionnels réalisant des IVG ont indiqué ne pas souhaiter apparaître, et préférer réserver leur activité d'IVG à leur seule patientèle.
Par ailleurs, la mise en place de certains répertoires a pris du retard : au mois de mars 2024, cinq ARS ne disposaient pas encore d'un répertoire opérationnel.
Enfin, certaines ARS signalent des difficultés attachées à l'actualisation régulière de ces annuaires, pourtant indispensable. Elles soulignent qu'elles ne sont que rarement informées des départs à la retraite ou changements d'activité des professionnels de santé impliqués. Afin de faciliter ce suivi et de favoriser l'actualisation des annuaires, notre rapport propose de permettre aux ARS de prendre connaissance des conventions conclues entre les établissements de santé et les professionnels de ville exerçant dans leur ressort territorial.
Plusieurs organisations auditionnées nous ont, par ailleurs, alertés sur l'ampleur et l'audience des publications anti-avortement en ligne, visant à décourager le recours à l'IVG.
De tels discours peuvent avoir un effet important. D'après le sondage récemment publié par le planning familial, 63 % des femmes ayant récemment eu recours à l'IVG mentionnent, parmi les freins à l'accès à l'avortement en France, la peur d'être jugée, et 37 % font état de pressions exercées sur les femmes qui souhaitent avorter.
Un rapport récent de la Fondation des femmes souligne également la virulence des discours anti-avortement. Certaines opérations récentes ont été très médiatisées, telles que la campagne d'autocollants « Et si vous l'aviez laissé vivre ? » apposés sur les Vélib' à Paris. La Fondation souligne la recrudescence des fausses informations et des contenus choquants ou dissuasifs en ligne depuis la récente décision de la Cour suprême américaine.
Le délit d'entrave à l'IVG ne permet qu'imparfaitement de prévenir ce type de désinformation. Si depuis 2017, il vise désormais le fait d'empêcher une femme de pratiquer ou de s'informer sur une IVG par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, le Conseil constitutionnel a toutefois jugé que la seule diffusion d'informations à destination d'un public indéterminé ne peut être regardée comme constitutive de ce délit. Le ministère nous a confirmé qu'aucune condamnation sur le fondement du délit d'entrave n'a été recensée depuis 2014.
En conséquence, la lutte contre la désinformation en ligne doit passer par la diffusion active et fréquente d'informations fiables sur l'IVG. Nous recommandons l'organisation régulière de campagnes de communication, permettant non seulement d'informer sur les modalités d'accès à l'IVG mais également de sensibiliser le grand public au risque de désinformation en ligne.
Vous l'aurez compris, le rapport que nous vous présentons aujourd'hui dresse un bilan mitigé de l'accès à l'IVG dans notre pays. Si les évolutions récentes de la législation ont toutes visé à faciliter l'exercice de cette liberté, force est de constater que les femmes, dans nos territoires, demeurent en pratique confrontées à de multiples obstacles.
Il nous semble que, pour améliorer concrètement l'accès des femmes à l'ensemble des modalités d'avortement, une nouvelle loi est moins nécessaire qu'un effort prononcé visant à mieux accompagner les professionnels de santé, mieux informer les patientes et mieux mesurer, chaque année, l'évolution des difficultés rencontrées.
M. Philippe Mouiller, président. - Je remercie nos rapporteurs pour leur travail de qualité. Le rapport me semble parfaitement bien illustré par le titre retenu : IVG, une liberté garantie, mais un accès fragile.
Mme Florence Lassarade. - Dans quelle mesure la diminution de l'offre privée en matière d'IVG est-elle liée à la fermeture des maternités privées ? À cette question, j'en ajoute une seconde, quelque peu hors sujet. Pour être entourée de nombreuses jeunes femmes, j'ai l'impression que la contraception hormonale est en désaffection. Qu'en pensez-vous ?
Mme Nadia Sollogoub. - L'accès à l'IVG me tient beaucoup à coeur, y compris dans le sens littéral du terme, c'est-à-dire sur le plan du transport. L'ordre des sages-femmes - je pense que ce problème n'est pas propre à la Nièvre - m'a signalé une difficulté dans le transport des mineures du lieu de vie jusqu'à l'endroit où l'IVG est pratiquée. Pour certaines, il est absolument vital que les parents ne soient pas au courant. Pourrait-on envisager des bons de transport anonymisés pour pouvoir garantir le secret ?
Mme Annick Petrus. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Je voudrais également évoquer la question de l'accès. Dans certains territoires d'outre-mer - M. Milon a évoqué Marie-Galante, je pense aussi aux Saintes -, l'IVG n'est pas accessible. On pourrait envisager, pour permettre un accès à l'IVG médicamenteuse dans les zones non dotées de professionnels de santé, de passer par la télémédecine. Or, sur les territoires que j'ai évoqués, il n'est pas du tout certain que celle-ci soit une réalité. Si même la télémédecine, qui peut apparaître comme une solution, ne fonctionne pas, il y a véritablement un problème d'accès !
M. Khalifé Khalifé. - À mon tour, je remercie nos collègues pour la qualité de ce travail, qui confirme malheureusement ce que nous avions dénoncé avant le vote de la constitutionnalisation par le Parlement : on a mis la charrue avant les boeufs !
Dans les recommandations, il n'a pas été fait mention du rôle de la protection maternelle et infantile (PMI), en tout cas pour les départements où celle-ci existe. Sachant que certains hôpitaux ont débauché des médecins de PMI pour réaliser des IVG, ne peut-on rendre tout cela un peu plus officiel ?
Mme Silvana Silvani. - Je salue le travail des rapporteurs, notamment pour les données contenues dans le rapport. Il est intéressant de disposer d'éléments factuels sur un sujet, qui, nous le savons, a donné lieu à d'autres types d'arguments. Je trouve tout à fait pertinent, après avoir légiféré pour garantir une liberté, d'en vérifier l'effectivité. À ce propos, on note un certain nombre de freins. Prenons le taux de 27 % de femmes ayant essuyé un refus : je ne remets pas en cause la clause de conscience, mais ce chiffre relativement élevé m'étonne. Cela vient s'ajouter à une liste considérable de freins de nature différente : tarification, conventionnement, équipement, offre, information, ainsi que les contraintes matérielles et géographiques. C'est considérable !
Que des soignants, selon leurs convictions, puissent pratiquer un acte, ou pas, est une chose, mais que les ARS n'établissent pas de répertoire ou ne fassent pas leur travail est complètement anormal. Nous sommes là, clairement, face à une mission de service public non accomplie, ce qui laisse libre cours à toutes les désinformations et dérapages possibles. Sans banaliser l'IVG, si cette liberté est mentionnée dans la Constitution, les ARS n'ont pas à décider de ce qu'elles font ou pas !
Mme Anne Souyris. - Ce rapport est essentiel pour la suite. Quand j'entends le constat selon lequel le nombre d'avortements croît plus rapidement que la démographie - et ce, sans compter les refus opposés -, je m'interroge sur l'éducation à la sexualité dans les collèges et lycées, qui figure normalement dans les programmes. Les établissements scolaires sont des lieux essentiels pour délivrer de l'information sur les méthodes de contraception, mais aussi sur l'avortement, notamment à destination des jeunes filles et jeunes femmes éloignées géographiquement et culturellement de ces questions.
Le nombre très faible d'avortements dans les cliniques à but lucratif soulève chaque fois la même question : au-delà de la clause de conscience stricto sensu, ne faudrait-il pas imposer des cahiers des charges à ces cliniques ?
Mme Laurence Rossignol. - Je remercie l'auteur et les autrices de ce rapport, qui fait le point sur la situation actuelle et contient des observations importantes.
Je pense notamment à la régression très nette en matière de libre choix de la méthode d'IVG. La forte prégnance de la technique médicamenteuse procède, je pense, non pas d'un choix des femmes, mais des propositions qui leur sont faites en fonction du territoire où elles se trouvent. C'est gênant, car l'IVG médicamenteuse n'est pas un acte anodin et suppose un accompagnement sérieux. Je vois trop de jeunes filles et jeunes femmes laissées seules avec leur fausse-couche provoquée.
Je constate, comme le fait le rapport, une absence totale de pilotage du côté du ministère comme des ARS. Quand on demande des chiffres, on ne trouve face à soi que deux pauvres fonctionnaires dans un bureau... Agnès Buzyn, du temps où elle était ministre, s'était engagée à demander aux ARS un relevé des établissements et médecins ayant recours à la clause de conscience ; je n'ai jamais vu une quelconque enquête sur le sujet.
Dans un rapport rejeté par le Sénat - je reviendrai sur les positions arrêtées par notre assemblée sur la question de l'IVG -, j'avais proposé la création d'une agence nationale de la santé sexuelle et reproductive, sur le modèle de l'agence nationale contre le cancer. Mais ce sujet est totalement ignoré par les politiques publiques.
Le rôle des lobbys anti-IVG a été relevé. Peut-être pourrait-on ajouter dans les diverses recommandations la mobilisation des pouvoirs publics face au poids de ces lobbys et à l'impact sur les femmes des informations qu'ils diffusent. De même, il me semble qu'il manque une référence au rôle du planning familial, eu égard au volume des femmes accueillies. Pour certaines, le planning familial est bien souvent le premier recours. Cela mériterait d'être souligné.
Enfin ce rapport, défendu de manière consensuelle par les trois rapporteurs, mentionne tous les progrès réalisés en matière d'accès à l'IVG. Je me réjouis que le Sénat juge positivement des évolutions législatives dont aucune n'a recueilli son appui !
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Oui, madame Sollogoub, il faut garantir l'anonymat des jeunes filles qui demandent un transport. Le point a été évoqué lors des auditions, et il faudra faire quelque chose sur le sujet - peut-être par amendement au moment de l'examen du PLFSS, si tant est que cela relève de ce périmètre.
De mon point de vue, il n'y a effectivement pas de pilotage par l'État depuis de très nombreuses années ; de ce fait, il n'y en a pas non plus de la part des ARS. Les agences nous disent toutes qu'elles travaillent à la mise en place de répertoires, mais certaines n'ont pas été en mesure de les publier dans les délais prévus. Elles mettent également en avant les difficultés à procéder aux recensements.
Enfin, la fermeture de maternités privées a évidemment entraîné la baisse du nombre d'actes réalisés.
M. Alain Milon, rapporteur. - Dans cette étude, nous considérons tout de même qu'une femme demandant l'IVG est une femme en difficulté, une femme qui n'a pas eu d'autres solutions que celle-là. Il faudrait donc avant tout, pour permettre la meilleure information possible, améliorer le système d'éducation, notamment d'éducation sexuelle.
L'absence de pilotage, je la constate à tous les niveaux depuis vingt ans, depuis que je suis sénateur. S'il n'y a pas de pilotage au niveau des ARS, c'est qu'il n'y en a ni au ministère de la santé ni au ministère de l'éducation nationale, et cela est sans doute dû à une absence de volonté politique. Comme je l'ai dit, nous sommes élus par nos concitoyens pour prendre des décisions, qu'elles plaisent ou non. Or nous ne savons plus prendre de décisions depuis de nombreuses années.
Nous constatons effectivement une baisse de l'offre privée, que l'on nous justifie par des éléments essentiellement financiers.
Le sujet de l'accès à l'IVG médicamenteuse par téléconsultation pour certains territoires insulaires doit être mis sur la table. Aujourd'hui, la situation n'est pas idéale. Mais notre rapport n'établit que des constats et des propositions, même si nous espérons, évidemment, que celles-ci soient suivies d'effets.
S'agissant des transports, on ne peut pas implanter des centres d'IVG partout. Il faut donc que les femmes puissent y avoir accès. Dans ce cadre, la difficulté majeure est effectivement le respect de l'anonymat. Nous sommes preneurs de toutes les pistes sur cette question, sachant tout de même que les transports demeurent un poste important de dépenses dans le PLFSS.
Je rejoins M. Khalifé sur son intervention sur les PMI. Malheureusement, notre travail a été perturbé par tous les événements politiques et politiciens qui ont eu lieu depuis le mois de juin et, par manque de temps, nous n'avons pas pu effectuer les déplacements prévus dans deux PMI - des Bouches-du-Rhône et du Pas-de-Calais. Cela étant, la question doit effectivement être examinée.
Le libre choix de la technique d'IVG dépend aussi de la consultation avec le médecin. C'est à lui de conseiller, en fonction de l'état de santé de la femme qui se trouve face à lui.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - De nombreux points ont été évoqués. Je pense notamment au décalage constaté entre la constitutionnalisation et la réalité d'une liberté : bon nombre de femmes ne sont pas suffisamment informées pour pouvoir accéder à l'IVG. C'est un sujet crucial pour les plus fragiles.
Vous avez raison, madame Rossignol, il faut poursuivre l'information du public. La lutte contre la désinformation par des campagnes régulières figure dans la proposition n° 10 du rapport. De même, madame Petrus, que la possibilité de téléconsulter en l'absence de solutions dans certains territoires éloignés.
J'ai eu plaisir à travailler sur ce sujet éminemment important. Comme l'a indiqué Alain Milon, nous dressons un constat, mais il est aussi de notre rôle de parlementaire de monter au créneau pour aller plus vite, plus loin, et pour apporter des réponses appropriées à toutes ces femmes.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.