N° 65

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1)
sur la
préparation de l'échéance des contrats de concessions autoroutières,

Par M. Hervé MAUREY,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mme Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

La commission des finances a entendu, le mercredi 23 octobre 2024, la communication de M. Hervé Maurey, rapporteur spécial pour les crédits des transports terrestres de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sur son contrôle budgétaire relatif à la préparation de l'échéance des contrats de concessions autoroutières.

I. DES CONTRATS DE CONCESSIONS DÉSÉQUILIBRÉS QUI DEVRAIENT SE TRADUIRE PAR DES RENTABILITÉS TRÈS ÉLEVÉES DES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES

A. LES CONTRATS HISTORIQUES PRÉSENTENT DES DÉFAUTS MAJEURS

Les contrats des concessions historiques sont très anciens. Conclus entre la fin des années 1950 et le début des années 1970 entre l'État et des entités publiques, ils n'ont pas été révisés lors de la privatisation de 2006. Là est la principale origine du déséquilibre qui s'est instauré entre l'État concédant et les sociétés concessionnaires. La faiblesse principale des contrats tient en effet à leur durée : entre 64 et 75 ans après une série de prolongations. Or il est irréaliste d'envisager pouvoir sérieusement anticiper sur des durées si longues l'évolution de paramètres aussi incertains que le trafic poids lourd, l'inflation ou encore les taux d'intérêt. De telles durées induisent par ailleurs nécessairement de procéder à des modifications par avenants. Or les négociations de ces avenants, principalement car elles ne sont pas encadrées par la pression concurrentielle, placent l'État concédant dans une situation de faiblesse et tournent systématiquement à l'avantage des sociétés d'autoroutes1(*).

Le déséquilibre inhérent à cette situation a été accentué par un suivi économique et financier des contrats en cours quasi inexistant. À l'heure actuelle, aucun suivi ex-post de la réalisation effective des hypothèses prévues dans les plans d'affaires initiaux n'est réalisé par l'État concédant et la DGITM estime qu'il serait superfétatoire. Le ministère de l'économie et des finances a fini par développer, en 2023, une capacité autonome de suivi de la rentabilité des concessions autoroutières, toutefois encore insuffisante.

B. LES CONCESSIONS HISTORIQUES SERONT VRAISEMBLABLEMENT PLUS RENTABLES QU'ANTICIPÉ

La rentabilité des concessions peut être mesurée par deux indicateurs principaux : le taux de rentabilité interne (TRI) « projet » ou le TRI actionnaire. Le premier, utilisé notamment par l'Autorité de régulation des transports (ART), mesure la rentabilité « intrinsèque » de la concession sans prendre en compte les stratégies de financement adoptées par les actionnaires. Le TRI actionnaire mesure quant à lui la rentabilité financière réelle des concessions pour les actionnaires des sociétés d'autoroutes en intégrant notamment d'éventuels gains liés au refinancement des dettes associées à ces concessions. Compte-tenu des volumes de dettes significatifs qui les accompagnaient au moment de la privatisation, des volumes majorés ensuite par le recours à l'emprunt qui a servi à financer l'acquisition des actions des sociétés d'autoroutes historiques, dans les faits, les concessions sont devenues d'énormes « objets financiers ». L'optimisation de la gestion de la dette colossale associée à ces concessions est ainsi devenu le principal facteur d'accroissement de la rentabilité des sociétés d'autoroutes. Aussi, de toute évidence, et en dépit de ce que certaines d'entre-elles peuvent affirmer, le TRI actionnaire est-il bien celui qui intéresse au premier chef les sociétés d'autoroutes et leurs actionnaires.

La commission d'enquête sénatoriale de 2020 puis un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) en 20212(*) ont conclu que les TRI actionnaires prévisionnels des concessions détenues par les groupes Vinci et Eiffage pourraient être très significativement supérieurs aux estimations réalisées en 2006. Le nouveau modèle de suivi de la rentabilité des concessions d'autoroutes développé par le ministère chargé de l'économie et des finances en 2023 confirme ces analyses. L'ART qui analyse la rentabilité des concessions sous l'angle des TRI projets note également une amélioration prévisionnelle de l'équilibre économique des contrats de concessions. Si cet écart reste faible en point de pourcentage, l'ART souligne que les montants qu'il recouvre n'en sont pas moins « conséquents en valeur absolue » et pourraient représenter jusqu'à 40 milliards d'euros de revenus supplémentaires pour les sociétés d'autoroutes. Pour autant, malgré son ampleur, l'ART considère que « cet écart apparaît compatible avec les aléas normaux d'une concession » et qu'en cela, il ne traduirait pas une « rentabilité excessive » des concessions.

La surperformance financière de certaines sociétés d'autoroutes s'expliquerait essentiellement par les gains de refinancement qu'elles ont réalisés en optimisant la gestion de leurs dettes dans un contexte de réduction historique des taux d'intérêt.

Par ailleurs, les résultats des concessions occupent souvent une part considérable dans les bénéfices réalisés par les groupes actionnaires des sociétés d'autoroutes. Ainsi, à titre d'exemple, en 2023, l'activité de la filiale Vinci autoroutes ne représentait-elle que 9 % du chiffre d'affaires3(*) du groupe Vinci mais, dans le même temps, 43 % de son résultat net4(*).

Il convient cependant d'observer que l'État lui-même a profité de la hausse du chiffre d'affaires des autoroutes dans la mesure où il capte en moyenne 36 % des péages via la fiscalité.

Malgré le constat d'une amélioration vraisemblablement significative de la rentabilité des concessions autoroutières, l'analyse développée par le rapport de l'IGF et du CGEDD comme un avis du Conseil d'État du 8 juin 2023 soulignent les risques juridiques manifestement excessif pour l'État d'une décision de résiliation unilatérale anticipée de certaines concessions. En effet, le Conseil d'État souligne notamment que le transfert des risques économiques au concessionnaire, qui inclut le risque de taux, « doit jouer également dans les cas d'évolutions favorables à ce dernier ». Aussi, plutôt que d'envisager une très hypothétique fin anticipée des concessions historiques actuelles, il est plus raisonnable de se concentrer sur les procédures à conduire d'ici à leur échéance et sur la définition d'un nouveau modèle de gestion des autoroutes à cet horizon, sachant que la première concession arrivera à échéance en 2031.

 
 
 
 

la durée du contrat de la concession ASF

la part de fiscalité dans les péages autoroutiers

de hausses de péages injustifiées depuis 20165(*)

de rentabilité supplémentaire des concessions6(*)

II. LA FIN DES CONCESSIONS EN COURS, UNE ÉCHÉANCE MAJEURE MAL APPRÉHENDÉE PAR L'ÉTAT

A. SUR L'ENJEU CRUCIAL DE LA DÉFINITION DU « BON ÉTAT » DES BIENS DE RETOUR, L'APPROCHE ACTUELLE DE L'ÉTAT CONCÉDANT EST TRÈS INQUIÉTANTE

À l'expiration d'une concession, les « biens de retours », qui composent la quasi-intégralité de son patrimoine, reviennent à l'État. Les contrats prévoient que le concessionnaire supporte à ses frais exclusifs tous les investissements nécessaires à la remise de ces biens en « bon état d'entretien ». Les contrats des concessions historiques se limitaient à cette expression sibylline sans lui donner de définition. Or, l'autorité de régulation a souligné dans ses rapports que le « bon état » des biens de retour, sans aller jusqu'à « l'état neuf », pouvait revêtir plusieurs acceptions plus ou moins exigeantes. Alors qu'en 2020 l'ART comme la commission d'enquête du Sénat appelaient l'État à combler de façon urgente cette lacune en déterminant sa doctrine en la matière, beaucoup de retard a été accumulé.

Aujourd'hui, compte-tenu des échéances, l'État concédant se retrouve « dos au mur » pour définir cette doctrine si fondamentale dans la procédure de fin des concessions. Dans ces conditions, le risque est grand qu'il retienne une approche insuffisamment protectrice de ses intérêts patrimoniaux. Pourtant, en la matière, les stipulations contractuelles confèrent à l'État des prérogatives de puissance publique exceptionnelles. En effet, c'est à lui de fixer le niveau d'exigence relatif à l'état de restitution des infrastructures et de notifier aux sociétés d'autoroutes le programme de travaux nécessaires.

Si la remise en état des chaussées ne semble pas poser de difficultés grâce à la création d'un nouvel indicateur de suivi de l'état de leur structure, il en va tout autrement des ouvrages d'art. Ainsi, l'enjeu principal de la définition de la doctrine du « bon état » porte-t-il sur les ouvrages d'art dits « évolutifs ». Il s'agit d'ouvrages qui ne posent pas de problèmes de sécurité immédiats mais sont susceptibles de voir leur structure se dégrader de façon accélérée, exigeant alors des travaux de remise en état coûteux. Ces ouvrages évolutifs représentent un quart du total des ouvrages d'art du réseau concédé pour des enjeux financiers liés aux travaux de remise en état d'au moins un milliard d'euros selon l'ART pour qui « une lecture exigeante des contrats devrait permettre » que l'essentiel voire la totalité des ouvrages évolutifs soient traités d'ici à la fin des concessions.

Malheureusement, aujourd'hui, le rapporteur ne cache pas sa très vive préoccupation sur cette question. En effet, en dépit des prérogatives qu'il détient et au détriment de ses intérêts patrimoniaux, l'État concédant s'apprête à mettre en application une doctrine bien moins exigeante que les recommandations faites par le régulateur avec lequel il est en profond désaccord. L'État concédant accepterait ainsi de se voir remettre des infrastructures dont il sait que seulement quelques années plus tard elles devront faire l'objet de lourds travaux de remise en état. Le rapporteur observe que cette définition du « bon état » retenue par l'État concédant a de quoi surprendre. Comme il le redoutait, l'État craint par-dessus tout que les sociétés d'autoroutes n'engagent des contentieux au long cours. Quitte à sacrifier une part de ses intérêts patrimoniaux, l'État concédant est avant tout soucieux de parvenir à un accord avec les sociétés d'autoroutes. Le rapporteur tient à rappeler que dans cette phase décisive, l'État n'est pas sur un pied d'égalité avec les sociétés d'autoroutes. Les prérogatives de puissance publique dont il dispose ne devraient pas être négociables et ce dernier se doit de les défendre, le cas échéant devant le juge. Cette perspective ne doit pas l'intimider comme il semble que ce soit le cas aujourd'hui.

B. L'ÉTAT SE RETROUVE AUJOURD'HUI DANS UNE POSITION INCONFORTABLE EN RAISON D'UNE MISE EN ROUTE TARDIVE

L'État concédant a pris du retard dans la préparation des procédures de fin des concessions, une phase qui a déjà commencée et qui se prolongera sur cinq ans, d'ici à la notification du programme de travaux de la dernière des sept concessions historiques. Il se retrouve aujourd'hui dans une situation inconfortable, mis sous la pression de délais très contraints puisqu'il doit notifier d'ici à la fin de l'année le programme de travaux de la première concession arrivant à échéance, celle de la société SANEF. Or, l'approche qui sera adoptée pour la première concession sera largement irréversible et déterminera la teneur des procédures d'expiration des six autres concessions historiques.

Aujourd'hui, la DGITM s'est mise en ordre de bataille mais ses effectifs habituels ne sont bien entendu pas dimensionnés pour faire face au pic d'activité considérable que représente les opérations de fin des concessions historiques. Elle doit ainsi fortement solliciter la communauté technique publique, en particulier le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) mais aussi des bureaux d'études privés. Bien qu'incontournable, la mobilisation de ces bureaux privés ne va pas sans poser certaines difficultés. Premièrement, puisqu'ils travaillent habituellement pour les sociétés d'autoroutes, il convient de s'assurer de leur indépendance. Deuxièmement, les premiers travaux réalisés présentent des défauts de fiabilité, en particulier du fait des fragilités et au manque d'harmonisation des pratiques de la filière.

C. LES INVESTISSEMENTS DE « SECONDE GÉNÉRATION » : DE 1 À 5 MILLIARDS D'EUROS SERAIENT DUS PAR LES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES

D'ici à la fin des concessions, l'État concédant doit traiter une autre problématique méconnue mais dont les enjeux financiers sont potentiellement extrêmement significatifs : celle des investissements dits de « seconde génération ». Il s'agit d'opérations d'investissements prévues dans les contrats et financées par les péages mais non réalisées à ce jour par les sociétés d'autoroutes et qui correspondraient, selon un premier recensement réalisé par l'ART, à 37 élargissements représentant environ 1 000 kilomètres de linéaire, soit plus d'un dixième du réseau. Il s'agit désormais de vérifier, opération par opération, celles qui ont été intégrées dans l'équilibre financier des contrats et donc déjà financées par les péages.

D'après des éléments qu'a pu recueillir le rapporteur, ces investissements pourraient selon les avis représenter de 1 à 5 milliards d'euros. Il est probable que la réalisation de nombre de ces investissements ne serait plus pertinente7(*). C'est d'ailleurs vraisemblablement la raison qui explique qu'ils n'aient jamais été exécutés. Il n'en demeure pas moins que s'ils n'étaient jamais réalisés, de tels investissements constitueraient un avantage financier indu pour les sociétés d'autoroutes.

Aussi, le rapporteur recommande-t-il à l'État de réaliser sans délai un recensement de l'ensemble des investissements prévus dans les contrats de concessions et déjà financés par les péages puis de s'assurer qu'ils soient effectivement réalisés par les concessionnaires ou, le cas échéant, remplacés par d'autres investissements plus pertinents, notamment en lien avec la transition écologique des infrastructures autoroutières.

 
 
 
 

l'enjeu financier de la remise en état des ouvrages d'art « évolutifs »8(*)

l'estimation de la valeur du réseau autoroutier concédé dans les comptes de l'État

les investissements financés par les péages mais
non réalisés

la longueur de linéaire du plus long des réseaux concédés (concession ASF)

III. POUR UN MODÈLE CONCESSIF PROFONDÉMENT RÉFORMÉ QUI CONTRIBUERAIT AU FINANCEMENT DES MOBILITÉS DANS LEUR ENSEMBLE ET À LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

A. POUR UN MODÈLE CONCESSIF RÉFORMÉ ET RÉÉQUILIBRÉ

1. La gratuité : un piège démagogique à éviter

L'un des préalables à toute réflexion sur le modèle de gestion du patrimoine autoroutier consiste à déterminer le modèle de financement des infrastructures autoroutières. Deux alternatives sont possibles : un financement par l'usager à travers les péages selon une logique « d'utilisateur-payeur » ou bien un financement par l'ensemble des contribuables à travers le budget de l'État. Pour le rapporteur, aussi attractive soit-elle au premier abord, la gratuité constitue un piège aux conséquences en chaîne aussi étendues que néfastes pour le réseau autoroutier mais plus largement pour la transition écologique du secteur des transports dans son ensemble. Elle suppose en effet :

une charge pesant sur les contribuables, qui seraient amenés à financer les autoroutes en lieu et place des usagers ;

un transfert financier massif des contribuables français au bénéfice des transporteurs routiers et touristes étrangers qui empruntent chaque année le réseau autoroutier national et qui, de fait, ne contribueraient plus à son entretien ;

- une perte de recettes fiscales massive pour l'État conjuguée à une augmentation de ses dépenses ;

- le risque d'enclencher une spirale de dégradation rapide et irrémédiable de l'état des infrastructures autoroutières, eu égard notamment au contre-exemple du réseau routier national non concédé dont l'état est aujourd'hui très préoccupant ;

un inévitable report modal inversé au détriment du transport ferroviaire et des transports collectifs urbains.

2. Parmi les options envisageables, le modèle concessif présente d'indéniables atouts

Dans le cadre des réflexions sur le futur modèle de gestion des autoroutes, trois options principales s'offrent à nous : la gestion en régie par l'État, les marchés de partenariat (les anciens partenariats public-privé ou « PPP ») ou le modèle concessif. Les systèmes de régie et des marchés de partenariat pourraient notamment s'accompagner de la création d'un nouvel établissement public qui gérerait l'ensemble des réseaux routiers et autoroutiers nationaux. Pour le rapporteur, la gestion en régie serait « une fausse bonne solution » tant elle présente de défauts : risques financiers portés par l'État, augmentation des dépenses, des emplois et de la dette publics, désincitation à la performance, fragilisation de la légitimité du principe « d'utilisateur-payeur » et, par voie de conséquence, un risque accru sur l'état d'entretien des infrastructures. Les marchés de partenariats sont quant à eux très peu utilisés à ce jour dans le domaine des infrastructures de transport et se traduiraient aussi par une augmentation des dépenses et de la dette publique9(*).

Le rapporteur estime en revanche que le modèle concessif ne doit pas être sacrifié sur l'autel des défaillances manifestes des contrats historiques. Aussi, préconise-t-il que le futur modèle autoroutier s'appuie sur un système de concessions très profondément réformé. Ce choix ne génèrerait pas d'augmentation des dépenses, des emplois et de la dette publics. Ce système permet à l'État de se voir remettre à titre gratuit et en bon état d'entretien des infrastructures dont la construction a été couverte sur fonds privés. En outre, le système concessif permet d'asseoir la légitimité d'un modèle de financement vertueux de type « utilisateur-payeur » qui sécurise les investissements dans l'entretien des infrastructures, un gage essentiel de maintien en bon état du réseau.

3. Pour un nouveau système concessif très profondément réformé et rééquilibré

Profondément réformé et rééquilibré au bénéfice de l'État et des usagers, le nouveau système devra s'appuyer sur des concessions beaucoup plus courtes (de 15 à 20 ans) recouvrant des périmètres géographiques revus et dont les paramètres économiques et financiers, précisément définis, feront l'objet d'un encadrement, d'un suivi approfondi ainsi que d'une révision quinquennale de façon à prévenir le phénomène de surrentabilité.

En outre, pour sortir du « tête à tête » technique entre la DGITM et les sociétés d'autoroutes et afin d'insuffler une dimension économique et financière plus affirmée dans les opérations relatives aux concessions, un nouveau modèle de gouvernance devra prévoir une association beaucoup plus forte des services des ministères économiques et financiers à travers une participation à la fois plus poussée et plus formalisée ainsi qu'une intervention bien plus en amont des procédures.

B. L'EXPLOITATION DES AUTOROUTES DEVRA DAVANTAGE CONTRIBUER AU FINANCEMENT DES MOBILITÉS DANS LEUR ENSEMBLE

Aujourd'hui, moins de 15 % du chiffre d'affaires générés par l'exploitation des autoroutes (c'est-à-dire les péages) est affecté au financement des infrastructures de transport via l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT-France). Alors que d'une part l'état de nombreuses infrastructures de transport tend à se dégrader, en particulier les réseaux routiers non concédés, et que d'autre part les besoins d'investissements nécessaires à la transition écologique des mobilités sont considérables, le contexte budgétaire contraint empêche les pouvoirs publics de dégager des modèles de financement pérennes. Aussi est-il essentiel que l'État se saisisse de l'occasion offerte par l'expiration des concessions historiques.

Moyennant les incertitudes qui entourent encore les enjeux de décarbonation et d'adaptation au changement climatique dans le futur et sans anticiper la nécessaire construction partagée d'une stratégie routière de long terme, il apparait à ce jour vraisemblable que, compte-tenu de la maturité du réseau, les investissements à venir dans les autoroutes seront inférieurs à ceux qui ont prévalus dans le cadre des contrats historiques.

Aussi, en maintenant les recettes de péages à leur niveau actuel, il pourrait être possible d'en affecter une part bien plus substantielle aux enjeux des mobilités dans leur ensemble. Cette manne pourrait non seulement permettre d'enrayer la dégradation inquiétante des infrastructures routières non concédées mais aussi plus largement contribuer au financement des infrastructures ferroviaires ainsi que des transports en commun du quotidien.

Le rapporteur tient à souligner que, parce qu'elles sont éminemment structurantes pour l'avenir de nos mobilités, l'ensemble des réflexions relatives au devenir du réseau autoroutier et plus largement à la stratégie de long terme des infrastructures routières ne peuvent pas être restreintes à un dialogue entre les services de l'État et quelques experts. Ces questions majeures doivent nécessairement être discutées dans le cadre d'une grande concertation élargie à l'ensemble des parties prenantes incluant notamment les collectivités locales, les usagers, les professionnels, etc. Cette concertation devra notamment porter sur le nouveau modèle et l'avenir des autoroutes, sur sa gouvernance, sur le périmètre des concessions, sur les enjeux de décarbonation des réseaux ainsi que sur les investissements nécessaires à celle-ci.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Axe n° 1 : L'État doit user pleinement de l'ensemble de ses prérogatives de puissance publique dans le cadre des procédures de fin des concessions historiques

Recommandation n° 1 : s'agissant de la remise en état des infrastructures autoroutières aux frais des concessionnaires, l'État concédant doit user de toute la plénitude de ses prérogatives de puissance publique en :

- fixant, dans le cadre des indicateurs techniques spécifiquement conçus à cette fin, des cibles techniques exigeantes pour la remise en état des différents types de bien desquelles résulteront les programmes de travaux notifiés aux sociétés d'autoroutes ;

- imposant aux sociétés concessionnaires des obligations de résultat pour la remise à niveau des biens de retours à l'expiration des contrats ;

- exigeant la remise en bon état de l'ensemble des ouvrages d'art évolutifs avant l'expiration des concessions historiques.

Recommandation n° 2 : exiger des sociétés concessionnaires d'autoroutes des données beaucoup plus précises et détaillées, notamment relevant de l'historique des indicateurs interne de suivi en termes de maintenance et d'entretien courant des infrastructures.

Recommandation n° 3 : améliorer la qualité des prestations produites par les bureaux d'études privés dans le domaine des infrastructures autoroutières en :

- créant des qualifications et des certifications professionnelles dédiées ;

- définissant et harmonisant le contenu de certaines prestations sensibles ;

- généralisant le recours à l'intelligence artificielle ;

- affinant les diagnostics de l'état des ouvrages d'art.

Recommandation n° 4 : veiller à garantir l'indépendance réelle des bureaux d'étude auxquels auront recours les services de l'État dans le cadre des procédures d'achèvement des concessions historiques et à éviter tout risque de conflit d'intérêts.

Recommandation n° 5 : la notification aux sociétés d'autoroutes des programmes d'entretien et de rénovation devra prendre la forme d'un avenant à leurs contrats soumis aux avis de l'ART et du Conseil d'État qui veilleront à ce que les intérêts de l'État aient été pleinement défendus dans le cadre de cette procédure.

Recommandation n° 6 : en amont de l'échéance des contrats, l'État devra réaliser une vérification exhaustive et rigoureuse de la réalisation effective de l'ensemble des travaux prévus dans le cadre des programmes de travaux mais aussi un contrôle par sondage des opérations d'entretien et de maintenance courantes effectuées au cours des dernières années de chaque concession.

Recommandation n° 7 : réaliser un recensement précis de l'ensemble des investissements prévus dans les contrats de concessions et déjà financés par les péages puis s'assurer qu'ils soient effectivement réalisés par les concessionnaires ou, le cas échéant, remplacés par d'autres investissements plus pertinents, notamment en lien avec la transition écologique des infrastructures autoroutières.

Axe n° 2 : Pour un modèle concessif autoroutier profondément réformé et rééquilibré

Recommandation n° 8 : au terme des contrats historiques, instaurer un modèle concessif autoroutier profondément réformé et rééquilibré au bénéfice des usagers et des intérêts patrimoniaux de l'État.

Recommandation n° 9 : construire le nouveau modèle concessif sur la base de concessions plus courtes faisant l'objet d'un réexamen tous les cinq ans.

Recommandation n° 10 : définir précisément les paramètres économiques et financiers des nouvelles concessions, en assurer un suivi continu approfondi de façon à prévenir les phénomènes de surrentabilité.

Recommandation n° 11 : demander à l'ART de réaliser et de rendre public une étude visant à objectiver les critères susceptibles d'éclairer une éventuelle révision du périmètre géographique des concessions actuelles.

Recommandation n° 12 : à travers une nouvelle gouvernance intégrant les services des ministères économiques et financiers, en amont du lancement des appels d'offres et des négociations d'avenants puis tout au long des procédures, renforcer le rôle de l'État par une approche interministérielle de la négociation et du suivi juridique, économique et financier des contrats de concessions d'autoroutes.

Axe n° 3 : L'exploitation des autoroutes devra contribuer au financement des principaux enjeux de la mobilité

Recommandation n° 13 : organiser une large concertation de l'ensemble des acteurs concernés (État, collectivités locales, experts, professionnels, etc.) sur l'avenir des autoroutes qui devra notamment débattre du périmètre des concessions, des enjeux de décarbonation des réseaux et des investissements nécessaires à celle-ci.

Recommandation n° 14 : après l'expiration des concessions historiques, dans le cadre fixé par le droit européen, maintenir le niveau actuel des recettes issues de l'exploitation des autoroutes et en affecter la part excédant les besoins d'entretien et de maintenance des réseaux autoroutiers au financement des principaux enjeux de mobilité et de sa transition écologique.

INTRODUCTION

LE SYSTÈME AUTOROUTIER FRANÇAIS

1. Un objet éminemment politique

Dans l'univers souvent feutré et empreint de technicité des infrastructures de transport, les autoroutes sont indiscutablement la source des débats les plus passionnés et les plus politiques. Ces débats ont pris un tour plus vigoureux encore depuis la « privatisation » de 2006. Les questions pendantes, même si elles ne sont plus vraiment d'actualité, sont encore, « fallait-il privatiser » ? « L'État a-t-il fait une bonne affaire » ? Il serait possible d'ajouter, « les usagers ont-ils été gagnants » ? Ces débats intenses reviennent régulièrement sur le devant de la scène et dans les médias, notamment au regard de la suspicion de « surrentabilité » qui pèse sur les actionnaires privés des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Deux rapports récents ont réactivé ces polémiques, l'un de la commission d'enquête du Sénat10(*) et l'autre de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD)11(*).

Le sujet est d'autant plus sensible que le réseau autoroutier concédé est la propriété de l'État, il fait partie intégrante de son patrimoine pour une valeur évaluée à 194 milliards d'euros. Simplement concédé, il n'a jamais été la propriété des sociétés d'autoroutes. Elles ne disposent que du droit temporaire de l'exploiter « à leurs risques et périls », ce qui suppose, en contrepartie, pour couvrir leurs dépenses et assurer une rémunération « raisonnable » des capitaux investis, qu'elles disposent de recettes tarifaires prélevées sur les usagers.

Aussi importantes et regrettables soient-elles, les questions relatives à la rentabilité des sociétés d'autoroutes ne constituent plus désormais le coeur des enjeux. Elles relèvent d'avantage d'erreurs passées desquelles il est essentiel de tirer des enseignements afin de ne pas les rééditer. En effet, dorénavant, le sujet le plus essentiel qui se présente dès aujourd'hui devant nous est celui de l'échéance prochaine des concessions historiques, soit plus de 90 % du réseau concédé. Les sept concessions historiques vont expirer successivement entre 2031 et 2036, c'est-à-dire « demain » tant les procédures préalables sont longues et les enjeux considérables. Les enjeux relatifs à cette perspective sont absolument considérables tant les choix qu'ils impliquent seront déterminants pour l'avenir du réseau autoroutier et même plus largement pour celui du secteur des transports dans son ensemble.

À l'expiration de leurs contrats, les sociétés d'autoroutes doivent en effet remettre à l'État les infrastructures qui composent leurs concessions « en bon état d'entretien ». Cette expression en apparence anodine ; et non définie dans les contrats, cache en fait des enjeux de plusieurs milliards d'euros en fonction de la façon dont on l'interprète. Les sociétés d'autoroutes en sont pleinement conscientes et s'efforceront par tous les moyens d'en réduire la portée. Dans le même temps, le modèle concessif et les contrats historiques, aussi imparfaits soient-ils, confèrent à l'État des prérogatives de puissance publique exceptionnelles qu'il doit exercer dans toute leur plénitude pour défendre ses intérêts patrimoniaux qui sont surtout et avant tout ceux de tous les citoyens français. Il y a malheureusement tout lieu de penser que l'État aborde cette échéance dans une approche trop conciliante vis-à-vis des sociétés d'autoroutes.

Au terme de cette mission, ces craintes sont confirmées et la position qu'adopte actuellement l'État concédant dans les négociations avec les sociétés d'autoroutes est inquiétante. Pour éviter le risque de contentieux « au long cours » avec ces sociétés, l'État concédant s'apprête à transiger avec ses intérêts patrimoniaux et à renoncer à se saisir pleinement de ses prérogatives.

Cette période charnière de la fin des concessions historiques ne peut par ailleurs être décorrélée d'une autre question essentielle, celle du « jour d'après ». Il s'agit bien entendu de la définition du modèle de gestion des autoroutes qui succèdera à la fin des concessions. Sur ce sujet extrêmement sensible, alors que plusieurs voies sont théoriquement possibles, les décisions qui seront prises engageront très largement l'avenir des infrastructures autoroutières nationales mais bien plus largement celui des mobilités dans leur ensemble. Les choix qui seront faits supposent de s'appuyer sur une stratégie de long terme concertée sur ce que doivent être les priorités de la route, de l'autoroute et au-delà même, du secteur des transports dans toute sa globalité et dans toute sa diversité : quelles doivent être les infrastructures de transports de demain, pour quel niveau de service, dans le cadre de quel modèle de gouvernance, à travers quels investissements et en s'appuyant sur quels modèles de financement ? Voici autant de questions auxquels il nous faut collectivement répondre au moment de définir un nouveau système autoroutier.

En préambule des réflexions relatives à la définition de ce nouveau modèle, le rapporteur observe que la qualité de l'entretien courant du réseau autoroutier concédé français est unanimement reconnue.

En toute hypothèse, pour rééquilibrer les relations entre l'État concédant et les sociétés d'autoroutes, le système devrait nécessairement être profondément réformé. En outre, à l'heure où l'on s'interroge plus que jamais sur les moyens de financer la transition écologique, le rapporteur a acquis la conviction qu'à l'avenir, il est nécessaire qu'une part significative des recettes tirées de l'exploitation des autoroutes soit affectées aux enjeux de mobilités dans leur ensemble.

2. Une histoire mouvementée

En 195512(*), pour rattraper son retard en matière d'infrastructures autoroutières, la France a retenu le modèle concessif financé par les péages des usagers. À cette époque, les concessions, conclues pour 35 ans, ne pouvaient être attribuées qu'à des personnes publiques ou des sociétés d'économie mixte (SEM) majoritairement détenues par des personnes publiques. Cinq sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) à capital exclusivement public ont ainsi vu le jour :

- la Société de l'autoroute Esterel-Côte d'Azur Alpes (ESCOTA), en 1956 ;

- la Société de l'Autoroute de la Vallée du Rhône (SAVR), en 1957, devenue société des Autoroutes du sud de la France (ASF) en 1973 quand son réseau s'est étendu à d'autres régions ;

- la Société de l'Autoroute Paris-Lyon (SAPL), en 1961, devenue la Société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (SAPRR) en 1975 ;

- la Société des Autoroutes Paris-Normandie (SAPN), en 1963 ;

- la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France (SANEF), également en 1963.

En 1958 et en 1962 ont également été créées la Société du tunnel du Mont-Blanc (STBM, devenue ATBM) et la Société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF).

En 1970, l'État a commencé à confier la construction et l'exploitation des autoroutes à des personnes privées13(*). Quatre nouvelles sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) à capitaux privés sont alors constituées :

- Cofiroute (Compagnie financière et industrielle des autoroutes) ;

- ACOBA (Société de l'autoroute de la côte basque) ;

- AREA (Société des autoroutes Rhône-Alpes) ;

- APPEL (Société des autoroutes Paris-Est-Lorraine).

Peu après, la crise économique qui fait suite au choc pétrolier de 1973 s'est traduite par une chute du trafic autoroutier et une mise à mal de l'équilibre économique des sociétés d'autoroutes privées. Après leurs faillites, elles ont été reprises par l'État entre 1981 et 1983 à l'exception notable de Cofiroute, seule société concessionnaire d'autoroute historique à être restée privée jusqu'à aujourd'hui.

En 1994, une réforme de l'organisation du système autoroutier concédé a permis de développer l'autonomie de gestion des sociétés d'autoroutes. Cette réforme s'est notamment traduite par des recapitalisations opérées par l'établissement public Autoroutes de France (ADF). Créé en 1983, ce dernier est devenu le principal actionnaire des sociétés d'autoroutes. La réforme a aussi conduit à mettre en place des contrats de plan quinquennaux entre les sociétés d'autoroutes et l'État. Enfin, elle a également opéré une restructuration du secteur. Les sociétés d'autoroutes historiques ont ainsi été regroupées en trois ensembles géographiques :

- ASF (Autoroutes du sud de la France) et ESCOTA (Esterel-Côte d'Azur) ;

- SANEF (Société des autoroutes du nord et de l'est de la France) et SAPN (Société des autoroutes Paris-Normandie) ;

- SAPRR (Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône) et AREA (Société des autoroutes Rhône Alpes).

Ainsi, des années 1950 jusqu'au début des années 2000, le réseau autoroutier a-t-il principalement été construit par des sociétés concessionnaires publiques.

La situation évolue au début des années 2000. En effet, suite à des ouvertures partielles de leur capital entre 2002 et 200514(*), les trois groupements de sociétés d'autoroutes historiques ont été privatisés en 2006. La cession des parts que l'État détenait dans le capital de ces sociétés lui a rapporté 16,5 milliards d'euros tandis que la dette financière des sociétés historiques, de 16,8 milliards d'euros, était transférée aux nouveaux actionnaires privés.

À partir de 2008, plusieurs programmes d'investissements autoroutiers négociés entre l'État et les concessionnaires vont se succéder :

- le « paquet vert autoroutier » de 2010 pour 1 milliard d'euros de travaux ;

- le plan de relance autoroutier de 2015 pour 3,2 milliards d'euros d'investissements ;

- le plan d'investissement autoroutier de 2019 pour des opérations estimées à 700 millions d'euros.

Aujourd'hui les infrastructures routières concédées représentent environ 9 310 kilomètres de linéaire soit environ 75 % de l'ensemble du réseau autoroutier qui s'étend sur 12 500 kilomètres. La valeur du patrimoine autoroutier concédé est estimée à 194 milliards d'euros dans les comptes de l'État. La plus grande partie de ce réseau (environ 95 % de son chiffre d'affaires) est toujours opérée aujourd'hui par les sept sociétés d'autoroutes historiques désormais détenues par des actionnaires privés : ASF, ESCOTA, APRR, AREA, SANEF, SAPN et Cofiroute.

Des sociétés « récentes », créées depuis 2001, gèrent également des concessions de même que les sociétés d'économie mixte ATMB et SFTRF. Les 21 sociétés d'autoroutes qui opèrent en France détiennent ainsi 26 contrats de concession.

Réseau des sociétés concessionnaires d'autoroutes

Source : association française des sociétés d'autoroutes (AFSA)

Tableau de synthèse des sept concessions historiques en France

Société d'autoroute

Début de la concession

Fin de la concession

Longueur du réseau

(en km)

ASF

1961

2036

2 730

SANEF

1963

2031

1 396

SAPN

1963

2033

372

APRR

1963

2035

1 890

Cofiroute

1970

2034

1 111

AREA

1971

2036

409

ESCOTA

1975

2032

471

Source : commission des finances du Sénat

3. Un concédant essentiellement incarné par le ministère des transports et la surveillance d'un régulateur

Les services de la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), et plus particulièrement la sous-direction des financements innovants et du contrôle des concessions autoroutières dite « FCA », « incarnent » l'État concédant et sont en première ligne en ce qui concerne le suivi technique et juridique des contrats ainsi que les négociations avec les sociétés d'autoroutes et le contrôle de leurs obligations.

Les services des ministères économiques et financiers interviennent plus ponctuellement en soutien de la DGITM dans le cadre des procédures de mise en concurrence de nouvelles concessions ou parfois dans les procédures de négociations d'avenants à des contrats en cours. Par ailleurs, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est conjointement responsable du contrôle annuel des hausses de tarifs de péage.

En 2015, il a été décidé d'instaurer une régulation indépendante du secteur autoroutier concédé. Confiée à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), devenue l'Autorité de régulation des transports (ART) en 2019, elle est concrétisée par les dispositions de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron ».

Puisqu'au titre de l'article L. 122-7 du code de la voirie routière, le régulateur est chargé de « veiller au bon fonctionnement du régime des tarifs de péage autoroutier », il rend à ce titre15(*) des avis simples sur les projets de contrats de nouvelles concessions ou d'avenants à des concessions en cours à condition que ces derniers aient une incidence sur les tarifs de péage ou sur la durée de la concession. Ces avis sont publics et interviennent avant l'examen de ces projets par le Conseil d'État qui peut ainsi en tenir compte dans le cadre de son instruction.

Dans le cadre de ses missions, l'ART doit également publier des études approfondies relatives au modèle économique des sociétés d'autoroutes et à son suivi, notamment s'agissant des prévisions de rentabilité des concessionnaires. Ces tâches sont prévues à l'article L. 122-9 du code de la voirie routière. Celui-ci dispose ainsi que « l'Autorité de régulation des transports établit, au moins une fois tous les cinq ans, un rapport public portant sur l'économie générale des conventions de délégation16(*). L'Autorité de régulation des transports établit annuellement une synthèse des comptes des concessionnaires. Cette synthèse est publique et transmise au Parlement. En outre, l'Autorité de régulation des transports assure un suivi annuel des taux de rentabilité interne de chaque concession ».

L'ART contrôle également les procédures de passation des marchés de travaux, de fournitures ou de services et des contrats d'exploitation des sous-concessions (aires de repos et de services) par les concessionnaires d'autoroutes.

PREMIÈRE PARTIE

S'ILS NE DOIVENT PAS MASQUER LES SUCCÈS
DU MODÈLE DE LA CONCESSION AUTOROUTIÈRE,
LES CONTRATS DES CONCESSIONS HISTORIQUES
PRÉSENTENT DES DÉFAUTS MAJEURS

I. NON RÉVISÉS LORS DE LA PRIVATISATION DE 2006, LES CONTRATS DES CONCESSIONS HISTORIQUES SOUFFRENT DE PROFONDES LACUNES

A. DES CONTRATS FRAGILES QUI N'ÉTAIENT PAS PRÉVUS POUR RÉGIR DES RELATIONS JURIDIQUES ENTRE L'ÉTAT ET DES SOCIÉTÉS PRIVÉES

Les contrats de concession régissent l'environnement juridique qui préside à la vie des concessions et encadrent les relations entre l'État concédant et les sociétés concessionnaires. Aussi, leur contenu, leurs clauses, la façon dont ils sont rédigés, leur précision, le caractère plus ou moins équivoque de la formulation de leurs différents articles constituent-ils des éléments absolument déterminant s'agissant des rapports et de l'équilibre entre les parties à ces contrats. Leur importance se trouve même exacerbée par la durée extrêmement longue des concessions autoroutières.

Or, comme mentionné dans les développements supra, les contrats des concessions historiques sont très anciens. Conclus entre la fin des années 1950 et le début des années 1970, ils n'ont pas été révisés au moment de l'ouverture du capital puis de la privatisation des sociétés d'autoroutes. Ce paramètre semble être la principale origine du déséquilibre souvent dénoncé entre l'État concédant et les sociétés concessionnaires.

Il s'explique par le fait que ces contrats avaient été rédigés dans un environnement très différent de celui qui a émergé depuis la privatisation de 2006. Destinés à rester exclusivement cantonnés au sein de la sphère publique, ils avaient vocation à formaliser les rapports entre l'État concédant et des sociétés concessionnaires à capitaux publics17(*). Leurs clauses et la façon dont ils avaient été rédigés n'avaient en aucun cas été envisagées à l'origine dans la perspective de régir de façon précise et équilibrée les relations juridiques entre d'un côté l'État, garant du patrimoine public que constitue le réseau autoroutier, et de l'autre des entités privées dont la vocation est de réaliser du profit.

Lors de leur audition par le rapporteur, les auteurs d'un rapport cosigné en 2021 par l'inspection générale des finances (IGF) et l'ancien conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD)18(*) ont souligné le caractère « asymétrique » de ces contrats qui ont contribué à « désarmer » l'État face aux sociétés concessionnaires. À ce sujet, la commission d'enquête du Sénat précitée considérait quant à elle que « le concédant reste prisonnier de contrats très anciens, qui n'ont été aménagés tardivement qu'à la marge ». Il précisait que cette situation avait placé l'État dans une situation de faiblesse structurelle à l'endroit des sociétés concessionnaires dans la mesure où « l'arrivée d'actionnaires privés allait modifier le positionnement de l'État vis-à-vis des sociétés concessionnaires ». Devant cette même commission, M. Dominique de Villepin, premier ministre au moment de la privatisation, avait reconnu que « peut-être aurait-il fallu revoir alors le cahier des charges et les contrats eux-mêmes ».

B. DES CONCESSIONS TRÈS LONGUES ET PLUSIEURS FOIS PROLONGÉES PAR DES AVENANTS ÉCONOMIQUEMENT AVANTAGEUX POUR LES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES

1. Des durées de concessions trop longues, desquelles résultent des négociations d'avenants de gré-à-gré désavantageuses pour l'État concédant

La faiblesse principale des contrats de concessions historiques tient à leur durée. Alors qu'il était initialement prévu qu'ils s'achèvent au bout de 35 ans, après avoir été maintes fois prolongés, les 7 contrats historiques prévoient désormais des durées comprises entre 64 et 75 ans.

Lors de son audition par le rapporteur, M. Bernard Roman, qui fut président de l'ART entre 2016 et 2022 a considéré qu'il était « délirant » de fixer dans des contrats si longs des paramètres aussi incertains sur le long terme que le trafic poids lourd, l'inflation ou l'évolution des taux d'intérêt. Entendus par le rapporteur, les auteurs du rapport commun de l'IGF et du CGEDD de 2021 ont également souligné à quel point il était « aberrant » de figer dans des contrats pour des durées de plus d'un demi-siècle et sans prévoir de clauses de revoyure, des paramètres impossibles à anticiper de façon sérieuse sur des périodes aussi longues. Il va de soi qu'une telle situation conduit les sociétés concessionnaires à exiger des rémunérations élevées pour couvrir de telles incertitudes et les risques qui en résultent.

Ce phénomène a été amplifié par les allongements successifs des contrats de concessions négociés en compensation de la réalisation d'investissements nouveaux. Dans leur rapport de 2021, l'IGF et le CGEDD dressaient un bilan particulièrement critique de ces allongements qui exposaient davantage le concédant au risque de surcompensation des concessionnaires : « la compensation par prolongement de concession est une méthode à la fois difficile à défendre dans son principe et excessivement sensible aux hypothèses de calcul ». Pour cette même raison, dès 201319(*), la Cour des comptes avait recommandé de ne plus compenser les investissements nouveaux par des prolongations des contrats mais exclusivement par des augmentations tarifaires. Désormais, depuis l'adoption de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron », le code de la voirie routière ne permet plus de financer des avenants par une augmentation de la durée des concessions.

Des durées si longues induisent nécessairement de procéder à des modifications par avenants des contrats au cours de la durée de vie des concessions. En effet, sur de telles périodes de temps, il n'est pas possible d'anticiper les évolutions de la conjoncture économique, des technologies, des besoins de mobilité ou encore des priorités politiques qui sont susceptibles d'affecter la structure et l'usage d'infrastructures de transports aussi centrales et stratégiques que les autoroutes.

Au gré de ces évolutions et de l'émergence de nouveaux besoins, l'État concédant et les sociétés concessionnaires se retrouvent ainsi pour négocier des avenants de gré à gré. Or ces négociations, principalement car elles ne sont pas encadrées par la pression concurrentielle qui agit lors du renouvellement en bonne et due forme d'une concession, placent l'État concédant dans une situation de faiblesse face aux sociétés concessionnaires (voir infra).

Cette fragilisation de la position de l'État concédant, qui résulte de la durée extrêmement longue des concessions, est régulièrement mise en exergue par l'ART qui en est venu à considérer que la réduction des durées de concessions est un impératif absolu. Ainsi, en réponses au questionnaire du rapporteur, l'ART a-t-elle dressé le constat suivant : « il est évident qu'il est difficile de concevoir un contrat adapté à toutes les circonstances, sur une telle durée : le concédant se trouve donc contraint de renégocier régulièrement le contrat avec le concessionnaire en place, en étant pénalisé à la fois par des asymétries d'information et de négociation que l'appel à la concurrence permet de limiter au stade du renouvellement des contrats ».

2. Lors de la négociation d'avenants, la faiblesse de la position de l'État est exacerbée

Pour prévoir de nouveaux travaux, notamment dans le cadre des contrats de plan quinquennaux mais également de plans d'investissements ponctuels tels que le plan de relance autoroutier de 2015 ou le plan d'investissement autoroutier de 2017, les contrats de concessions historiques ont ainsi été modifiés à de très nombreuses reprises de gré-à-gré par voie d'avenants. Ces modifications prévoient la réalisation d'investissements qui n'étaient pas prévus par les contrats d'origine ainsi que leurs modalités de financement qui ont pu se traduire soit par des allongements de la durée des concessions, soit par des augmentations de péages20(*).

La négociation de ces avenants place l'État concédant dans une situation inconfortable face aux concessionnaires en place. Ce constat est essentiellement dû au fait que cette négociation se déroule sans la régulation économique spontanée résultant de la mise en concurrence qui intervient en cas de renouvellement d'une concession. Dans ce contexte, l'inévitable asymétrie d'information entre le concédant et la société concessionnaire, qui dispose de l'expérience de la gestion quotidienne des infrastructures autoroutières concernées ainsi que de l'ensemble de l'historique des données relatives à leur exploitation, n'est pas atténuée par le jeu de la concurrence entre plusieurs candidats.

L'ART souligne avec constance les conséquences économiques néfastes pour le concédant et les usagers de la pratique des avenants. L'autorité affirme à ce titre que « c'est un fait avéré et maintes fois documenté : les négociations avec le concessionnaire tournent souvent en défaveur du concédant ». Elle en conclu qu'aujourd'hui, « la principale difficulté du modèle concessif porte sur les conditions de négociation des avenants ».

L'ART a notamment mis en exergue auprès du rapporteur les enjeux financiers significatifs de ces négociations de gré-à-gré dans lesquelles l'État se présente en situation de fragilité : « les avenants portent sur des montants financiers significatifs. Entre 2016 et 2022, le concédant a conclu 17 avenants à des contrats de concession correspondant à une hausse cumulée de 1,7 milliard d'euros des péages. Ce sont donc 1,7 milliard d'euros qui, par construction, ont été négociés de gré-à-gré, sans recours à un appel d'offres ».

3. Des hypothèses économiques souvent favorables aux SCA

Par manque de données comparatives de référence, l'estimation du coût du capital des sociétés concessionnaires, un paramètre fondamental dans la détermination des paramètres économiques des contrats de concessions et de leurs avenants, est une opération complexe. Cette réalité, conjuguée au déséquilibre inhérent à la négociation des avenants, a conduit à ce que les taux de rentabilité interne (TRI) accordés aux sociétés concessionnaires dans le cadre de ces accords de gré-à-gré, se sont avérées systématiquement supérieures aux estimations initiales de l'État et plus encore des niveaux de rémunération reflétés par les marchés.

Le taux de rentabilité interne (TRI)

Le taux de rentabilité interne (TRI) peut être défini comme « une mesure de la rentabilité d'un investissement qui s'appuie sur les flux de trésorerie qu'il génère »21(*). Plus précisément, il consiste en « une mesure de la rentabilité d'un investissement consistant à ramener l'ensemble des flux de trésorerie, sur toute la durée de vie de celui-ci, à un rendement annuel »22(*).

Il est utilisé en amont de la décision d'investir pour évaluer la pertinence de celle-ci23(*). L'ART note à ce titre dans un focus sur la rentabilité des concessions publié en juillet 2023 que « l'approche la plus traditionnelle est un calcul a priori, en début de concession, et qui s'appuie donc sur des flux de trésorerie anticipés. Ce TRI, prévisionnel, fournit usuellement un critère de décision ».

Par ailleurs, le calcul du TRI prévisionnel au cours de la réalisation du projet peut également constituer un moyen de suivi intéressant pour le concédant.

Source : commission des finances du Sénat

En 2020, une étude réalisée par deux chercheurs de l'école des hautes études commerciales du nord (EDHEC)24(*) montrait qu'entre 2005 et 2020, le coût moyen pondéré des capitaux (CMPC) pour le secteur autoroutier en France avait diminué de façon régulière pour s'établir à 2,28 % sur la période 2015-2020. Or, le rapport de l'IGF et du CGEDD de 2021 constatait qu'en 2016, les nouveaux investissements prévus par avenants aux contrats de concessions historiques ont été négociés à des taux de rentabilité interne (TRI) compris entre 5,883 % et 5,936 %.

Évolution du CMPC moyen des concessions autoroutières
en France, en Espagne et en Italie

(en pourcentage)

Source : Le coût du capital dans les concessions autoroutières en France - Pour une approche moderne de la réglementation des péages, EDHECinfra, septembre 2020

Un tout petit peu plus tôt, dans le cadre du plan de relance autoroutier de 2015, qui avait fait l'objet de premiers accords avec les sociétés d'autoroutes dès 2013, des TRI avoisinant les 7,7 % avaient alors été retenus, soit des taux supérieurs à la fourchette initialement envisagée par l'État qui se situait entre 6,5 % et 7,5 %25(*) quand les SCA réclamaient quant à elles des TRI de 8 % à 9,5 %.

En 2020, la commission d'enquête du Sénat n'avait pas manqué de s'interroger sur les raisons qui avaient alors poussé l'État à négocier des TRI si « avantageux pour les sociétés d'autoroutes ».

Dans un référé daté de 201926(*), la Cour des comptes s'était elle aussi émue des compensations financières qu'elle jugeait bien trop avantageuses, obtenues par les sociétés concessionnaires d`autoroutes dans le cadre du plan de relance autoroutier. Dans ce plan, elle avait même alors identifié des opérations d'investissements qui étaient en définitive déjà incluses dans les cahiers des charges des concessionnaires et donc déjà financièrement compensées. Dans ce même référé, la Cour des comptes observait que le TRI de 5,9 % in fine retenu dans le cadre du plan d'investissement autoroutier de 2017 démontrait que les taux de rentabilité relatifs au plan de relance autoroutier conclu deux ans auparavant étaient manifestement trop élevés.

Au début des négociations du plan d'investissement autoroutier, les services de l'État estimaient qu'un TRI avoisinant les 4 % constituerait une rémunération raisonnable. Ils envisageaient cependant la possibilité de le porter, au maximum, à 5,5 %. De leur côté, les sociétés d'autoroutes exigeaient des TRI compris entre 7 % et 8 %. À l'issue des négociations, la DGITM et les SCA s'étaient accordées sur un TRI de 6,5 %, c'est-à-dire un niveau très supérieur à celui correspondant à une rémunération raisonnable telle qu'elle avait été estimée par l'État et dépassant même très largement le plafond maximum que s'était fixé ce dernier. Pour la commission d'enquête du Sénat, ce scénario qui s'est répété à plusieurs reprises venait « confirmer l'hypothèse d'un rapport de force structurellement favorable aux SCA ». Saisie, l'ART a recommandé d'abaisser le TRI à 5,6 %. Finalement, après une reprise des négociations, la DGITM et les SCA retiendront un taux de 5,9 %.

Revenant sur les TRI négociés dans le cadre des plans de relance et d'investissements autoroutiers de 2015 et 2017, auditionné en 2020 devant la commission d'enquête du Sénat, Daniel Vasseur, conseiller référendaire à la Cour des comptes, livrait l'analyse suivante : « nous sommes passés de 8 %27(*) à 6,5 %28(*), une différence que ne justifiait pas l'écart de date, car les taux d'intérêt n'ont pas baissé dans une telle proportion dans ce laps de temps. L'ART a ensuite obtenu un abaissement de 6,5 % à 5,9 %. Ce taux reste pour autant supérieur aux 4,5 % correspondant au taux officiel d'actualisation des collectivités publiques ».

Dans ces conditions, le rapport de l'IGF et du CGEDD précité observait que « la négociation du TRI cible a abouti dans tous les cas documentés à des taux que la théorie économique peine à étayer ». S'agissant des TRI retenus dans le cadre du plan de relance autoroutier de 2015, ce même rapport précisait que « en allant plus loin et en faisant l'hypothèse raisonnable que ces nouveaux projets sont intégralement financés par de la dette et non par un nouvel apport de fonds propres, le coût des capitaux nécessaires aux nouveaux investissements est égal au coût net de la dette, soit 1,78 %. La négociation entre l'État et les SCA a donc abouti à retenir un TRI cible plus proche du TRI global des concessions (autour de 8 %) que de celui que dicterait la logique économique (autour de 2 %) ».

Cette situation n'était d'ailleurs pas nouvelle puisque dans une communication de 201329(*), la Cour des comptes considérait déjà que les hypothèses économiques et les taux de rentabilité qui étaient pris en compte par l'État concédant au cours des négociations d'avenants étaient trop favorables aux SCA.

C. LES CONDITIONS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES DES CONCESSIONS : UNE ATTENTION ET UN SUIVI INSUFFISANTS

1. Des hypothèses économiques initiales contestables que l'ART s'emploie désormais à corriger

Le rapporteur regrette que le désarmement progressif de l'État ait pu contribuer à aggraver une situation qui fragilise la valorisation du patrimoine public et l'intérêt des usagers des infrastructures autoroutières. En effet, il apparaît que la situation de déséquilibre résultant de la durée excessive des concessions et des avenants négociés de gré-à-gré a été accentuée par la disproportion des moyens humains et des compétences déployés par l'État d'un côté et les sociétés concessionnaires de l'autre. Trop souvent, les moyens limités des services de l'État dans les domaines juridiques et financiers ne leur ont pas permis de faire jeu égal avec les équipes de négociations des sociétés d'autoroutes composées de nombreux conseillers de très haut niveau.

Au cours de son audition par le rapporteur, M. Bernard Roman, président de l'ART entre 2016 et 2022 leur a ainsi confirmé « l'immense technicité » des sociétés concessionnaires, « supérieure, en quantité comme en qualité » aux services de la DGITM.

En 2020, la commission d'enquête du Sénat avait aussi souligné la faiblesse des effectifs des services de l'État qui ont en charge les aspects juridiques et financiers des concessions d'autoroutes : « si le niveau des compétences des collaborateurs de la DGITM est incontestable, la commission d'enquête constate toutefois que ceux-ci sont peu nombreux. Le bureau de la DGITM chargé de négocier les avenants et d'assurer le suivi juridique et financier des contrats de concession et des contrats de plan ne compte ainsi qu'une dizaine d'agents ». Elle précisait par ailleurs que les personnels des ministères économiques et financiers qui participent à la négociation des avenants « n'interviennent qu'en tant que de besoin, en plus de leurs autres missions ».

Cette situation peut expliquer en partie les raisons pour lesquelles les projets initiaux d'avenants et leurs paramétrages économiques n'aient pas été suffisamment protecteurs des intérêts de l'État concédant et des usagers. Ce phénomène a notamment pu être objectivé de façon indépendante par les avis rendus depuis 2016 par l'autorité de régulation.

Cependant, pour le rapporteur, le fait même qu'il ait été indispensable de confier, en lieu et place du concédant, la régulation du secteur à l'ART en 2016 est caractéristique de ce phénomène regrettable de désarmement de l'État. Il constate qu'il est sur ce point tout à fait symptomatique que ce soit en effet l'action de l'ART depuis 2016 qui ait permis de corriger, à l'issue des négociations entre le concédant et les concessionnaires, la composition des avenants ainsi que leurs paramètres économiques manifestement trop favorables aux SCA.

Ces interventions du régulateur, qui portent sur des enjeux financiers substantiels, démontrent que les compétences juridiques et financières de l'État concédant ne sont pas suffisantes. Depuis 2016, l'action de l'ART a ainsi permis de réduire de 300 millions d'euros les hausses de péages prévues pour compenser les nouveaux investissements négociés par voie d'avenants, celles-ci ayant été ramenées de 2 milliards d'euros à 1,7 milliard d'euros. Pour autant, elle souligne que l'État n'a pas suivi l'ensemble de ses recommandations en la matière et considère que ces avenants ont donné lieu à des augmentations de péages injustifiées à hauteur d'au moins 500 millions d'euros : « les avis de l'ART sont encore insuffisamment suivis et les hausses de péages ne sont pas toujours négociées au plus juste. Les hausses de péage initialement prévues, qui représentaient 2,0 milliards d'euros, ont été ramenées à 1,7 milliard d'euros après prise en compte d'une partie des recommandations de l'Autorité. Mais sur ces 1,7 milliard d'euros de hausses de péage finalement actées, l'Autorité estime que 500 millions d'euros restent injustifiées ».

En juin 2017, l'ART a proposé dans ses avis d'amputer le plan d'investissement autoroutier négocié entre la DGITM et les SCA de pas moins de 23 opérations représentant plus d'un tiers du coût total du programme. Elle a notamment considéré que certaines de ces opérations étaient déjà incluses dans les contrats et, par voie de conséquence, avaient déjà fait l'objet de compensations financières. D'autres opérations intégrées à tort dans le projet d'accord initial négocié par la DGITM relevaient d'obligations ordinaires des concessionnaires consistant à maintenir le fonctionnement correct d'ouvrages existants et n'avaient pas à faire l'objet de compensations financières30(*).

La DGITM a alors souhaité passer outre les avis de l'ART et maintenir dans les avenants ces opérations qui auraient fait l'objet d'une double compensation financière. Le Conseil d'État a heureusement confirmé l'analyse de l'ART selon laquelle des opérations relevant d'obligations contractuelles antérieures ne pouvaient pas être incluses dans un avenant et faire l'objet d'une nouvelle compensation financière. L'avis conforme du Conseil d'État a contraint la DGITM à retirer les opérations concernées des avenants permettant ainsi d'éviter des compensations indues de près de 80 millions d'euros, les opérations écartées devant être réalisées sans être à nouveau compensées.

Comme précisé dans les développements supra, l'ART a aussi recommandé à la DGITM d'abaisser le TRI négocié avec les concessionnaires de 6,5 % à 5,6 %. À l'issue d'une nouvelle négociation entre la DGITM et les SCA, le TRI ne sera finalement abaissé qu'à hauteur de 5,9 %.

En prenant également l'exemple de l'avis de l'ART rendu en 2020 sur un avenant au contrat de la concessions d'Atlandes, la commission d'enquête sénatoriale soulignait que « l'intervention de l'ART a permis de mettre en lumière des insuffisances dans le contrôle de l'État et d'inciter l'État concédant à se montrer plus vigilant dans les négociations avec les SCA ».

2. Un défaut de suivi injustifiable

Le rapporteur est interpellé par le décalage manifeste entre les enjeux économiques et financiers attachés aux concessions autoroutières et la quasi absence de suivi dont fait l'objet l'exécution des hypothèses et paramètres économiques retenus dans les contrats et leurs avenants. Il apparaît en effet qu'aujourd'hui, au sein des services de l'État concédant, aucun suivi ex-post de la réalisation effective des hypothèses prévues dans les plans d'affaires initiaux n'est réalisé. Le rapporteur ne s'explique pas cette lacune si flagrante dans la gouvernance du secteur autoroutier français.

Le rapport de 2021 produit par l'IGF et le CGEDD notait que la DGITM n'aborde la question de la rentabilité des concessions autoroutières que lors de la négociation des contrats de concessions et du paramétrage de leurs avenants. En d'autres termes, elle se limite à un contrôle ex-ante. Par la suite, elle ne se soucie plus de la réalisation effective des hypothèses initiales. Ce parti pris ne peut qu'interroger eu égard à la fixation de ces paramètres qui, comme décrit supra, pour la plupart des observateurs, apparaît comme largement décorrélée des réalités économiques et favorable aux sociétés concessionnaires. La moindre des choses, également dans une perspective de retour sur expérience, d'amélioration du processus de construction des projets d'avenants et de rééquilibrage de la position de l'État concédant face aux sociétés concessionnaires, serait d'opérer un contrôle rigoureux sur les conditions de réalisation des plans d'affaires associés aux avenants.

Comme elle l'a indiqué en réponses au questionnaire du rapporteur, la DGITM considère que, puisque l'ART produit ses propres analyses relatives à l'évolution de la rentabilité des concessions autoroutières, il est inutile qu'elle mette en oeuvre un suivi économique et financier des concessions et de leurs avenants. Aussi a-t-il été expressément assumé en réponses au questionnaire du rapporteur que « la DGITM ne dispose pas de dispositif spécifique de suivi ex post de la rentabilité prévisionnelle des concessions autoroutières ». La réaction de la DGITM à la recommandation de la commission d'enquête du Sénat de « mettre en oeuvre au sein de la DGITM un modèle de suivi de la rentabilité financière des concessions » est plus explicite encore et non dénuée d'une étonnante forme de déni de l'avis du rapporteur : « cette proposition paraît sans objet, puisque l'ART est déjà investie de cette mission ».

Le rapporteur a du mal à comprendre cet entêtement de la part de la DGITM qui laisse à penser que pour elle, malgré les rapports successifs et les avis de l'ART sur le contenu et les paramètres économiques des avenants, il n'y aurait absolument rien à redire et rien à améliorer en matière de suivi économique et financier des concessions. Cette approche lui paraît indéfendable. Il n'est en effet pas concevable que l'État ne dispose pas d'une capacité propre de suivi de la rentabilité des contrats de concessions et de leurs avenants.

En dépit de la qualité incontestable des travaux de l'ART, l'État ne peut pas se défaire de toutes ses compétences et de toutes ses missions, y compris les plus régaliennes. L'État ne peut ainsi se dessaisir consciemment de pans entiers du contrôle sur le patrimoine public. Cette position incompréhensible de la DGITM est pour le rapporteur symptomatique et caricaturale de ce phénomène de désarmement inacceptable des services de l'État en matière de suivi économique et financier des concessions d'autoroutes.

Faute d'appétence de la part de la DGITM, le rapporteur a constaté que les services du ministère de l'économie et des finances ont pris les devants et doté l'État d'un outil autonome de suivi de la rentabilité des concessions autoroutières31(*). Malheureusement, aujourd'hui, ces services ne sont que trop peu impliqués et de façon trop peu formalisée dans le processus d'encadrement et de suivi juridique et financier des concessions autoroutières. Aussi, en parallèle d'une recommandation visant à réformer la gouvernance et l'organisation du contrôle des concessions, afin de les rendre plus interministériels (voir infra), le rapporteur invite-t-il la DGITM à se saisir de cet outil de suivi de la rentabilité des sociétés concessionnaires.

En outre, le rapporteur rappelle qu'un tel suivi est exigé par la Commission européenne. En effet, celle-ci n'a validé les plans d'investissements autoroutiers français qu'à la condition que leur exécution économique et financière fasse l'objet d'un suivi ex-post rigoureux afin de démontrer l'absence de surcompensation. Il s'agit notamment d'apprécier l'évolution des prévisions économiques qui ont fondé la détermination des TRI des avenants concernés.

À travers la formulation de ces exigences, la commission d'enquête sénatoriale considérait ainsi que l'Union européenne avait « invalidé le modèle concessif « à la française », en exigeant un encadrement étroit de la rentabilité des contrats ». Entendu par cette commission d'enquête, Daniel Vasseur, conseiller référendaire à la Cour des comptes, déclarait ainsi en 2020 que « la Commission européenne a fixé des règles assez claires de suivi de réalisation des travaux et de suivi de leur rentabilité dans le temps qui, à certains égards, étaient relativement révolutionnaires. Les concessions autoroutières sont fondées sur la théorie de la concession aux risques et périls du concessionnaire. Les sociétés ont arrangé les choses en leur faveur, l'État ne disposant pas toujours des moyens pour voir ce qui pourrait arriver, y compris au détriment des usagers ».

Au regard des réponses que leur a apporté la DGITM sur la question du suivi économique ex-post des avenants aux concessions, le rapporteur constate que la « révolution culturelle » n'a pas encore pleinement infusé le modèle de contrôle français. Il a notamment été interpellé par la réponse écrite aussi lapidaire qu'insatisfaisante que la DGITM leur a faite au sujet de cette exigence de la Commission européenne : « engagement pris par les autorités françaises devant la Commission. Il convient toutefois d'avoir un certain recul par rapport à la passation des avenants pour identifier, concrètement, une éventuelle dérive des paramètres ayant fondé l'équilibre de l'avenant ».

Le rapporteur tient enfin à souligner que le suivi rigoureux des conditions d'exécution financière des contrats de concession est une obligation du concédant prévue par le code de la commande publique et sanctionnée par la jurisprudence administrative. Le Conseil d'État a très explicitement rappelé ces obligations dans son avis n° 407 003 du 8 juin 2023 portant sur la sécurisation des mesures permettant d'assurer une meilleure prise en compte de l'intérêt public dans l'équilibre des contrats de concession autoroutière : « rien ne saurait dispenser l'État, en sa qualité de concédant et à l'égard de chacun de ses concessionnaires pris individuellement, d'exercer le pouvoir de contrôle qu'il détient, en vertu d'un principe général désormais codifié au 1° de l'article L. 6 du code de la commande publique ». Il précise dans ce même avis la portée de ladite obligation de contrôle qui incombe à l'État : « il lui appartient, en tant que concédant, de contrôler les conditions d'exécution, y compris financières, de chaque contrat de concession par une analyse détaillée et critique, effectuée à date régulière, non seulement des résultats des exercices mais aussi du plan d'affaires du concessionnaire et des prévisions financières qui en ressortent ».

D. DES CLAUSES CONTRACTUELLES PEU PROTECTRICES DES INTÉRÊTS DE L'ÉTAT CONCÉDANT

1. Ni définition de l'équilibre financier des concessions ni encadrement sérieux de leur rentabilité

La commission d'enquête sénatoriale l'avait mis en évidence en 2020, contrairement aux contrats des concessions les plus récentes, l'équilibre financier des concessions historiques n'est pas défini. Cette situation complique singulièrement l'exercice de suivi de la rentabilité des concessions. Le rapport de la commission soulignait en effet que « si l'équilibre des contrats a bien été défini pour les nouvelles concessions, celui des concessions historiques n'est nulle part précisé, en raison de leur ancienneté et des nombreuses modifications apportées à leur périmètre et à leur durée. En l'absence de définition de cet équilibre, qui met en regard les investissements réalisés et futurs avec les recettes perçues et prévisionnelles, il n'est pas possible d'évaluer, à un instant donné, l'évolution de la rentabilité des concessions par rapport à celle initialement prévue par les contrats ».

Le rapporteur observe ainsi que, faute de définition de l'équilibre financier des concessions historiques, les enjeux relatifs au suivi et à l'encadrement de leur rentabilité ont trop longtemps été totalement ignorés. Jusqu'en 2015, les contrats des concessions historiques ne comportaient ainsi aucun dispositif de nature à encadrer la rentabilité des sociétés concessionnaires.

En réponses au questionnaire du rapporteur, la direction générale du Trésor a souligné cette carence : « les contrats n'étaient pas conçus à l'origine dans une logique d'encadrement de la rentabilité puisque les concessionnaires étaient des sociétés publiques. Ils présentaient donc des clauses qui peuvent apparaître aujourd'hui défavorables au concédant ».

La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron » a imposé que toutes les concessions soient assorties de clauses d'encadrement de la rentabilité des concessionnaires. Ainsi, l'article L. 122-4 du code de la voirie routière prévoit-il désormais les dispositions suivantes : « le cahier des charges prévoit un dispositif de modération des tarifs de péages, de réduction de la durée de la concession ou d'une combinaison des deux, applicable lorsque les revenus des péages ou les résultats financiers excèdent les prévisions initiales. En cas de contribution de collectivités territoriales ou de l'État au financement de la concession, ce dispositif peut, à la place ou en complément, prévoir un partage d'une partie des résultats financiers de la concession au profit de l'État et des collectivités territoriales contributrices ».

Pour répondre aux exigences formulées par la Commission européenne, dans le cadre des négociations du plan de relance autoroutier de 2015, des clauses d'encadrement de la rentabilité ont été introduites dans les contrats des concessions historiques. Cependant, ces clauses, partielles, sont loin d'être aussi exigeantes que celles qui ont été intégrées dans les contrats des concessions les plus récentes (voir infra).

Elles sont de deux ordres :

des clauses dites de « péage endogène », qui prévoient une modération des tarifs de péages (diminution, gel ou moindre augmentation) en cas de dépassement de seuils de revenus perçus par le concessionnaire, mais dont la portée ne concerne que les investissements intégrés dans le plan de relance autoroutier ;

des clauses dites de « durée endogène » qui prévoient une fin anticipée des concessions si leurs chiffres d'affaires cumulés depuis la privatisation de 2006 venaient à dépasser de 30 % ceux qui étaient prévus dans le plan d'affaires d'origine.

Le rapporteur note qu'en pratique, ces clauses, introduites dans les contrats historiques « sous une forme dégradée »32(*), n'auront, si elles en ont, qu'un impact extrêmement faible sur la rentabilité des concessions. C'est tout du moins l'analyse qu'en fait l'ART dans son rapport de janvier 2023 consacré à l'économie des concessions autoroutières33(*), qualifiant de « mineure » leur incidence potentielle sur la rentabilité des concessions historiques. Si elle considère que la probabilité de déclenchement des clauses de péages endogènes est élevée, elle ajoute qu'en toute hypothèse, leur impact sera « faible ». S'agissant des clauses de durée endogènes, elle estime que la probabilité de leur déclenchement est « quasi-nulle ». Cela supposerait en effet que des hauses de trafic annuel comprises en 13 % et 26 % soient observées jusqu'à la fin des concessions.

2. Des contrats quasi muets sur les enjeux et procédures liés à l'achèvement des concessions

À l'issue des concessions, le patrimoine autoroutier concerné doit revenir gratuitement et en « bon état » à l'État. Cette perspective représente des enjeux techniques et financiers absolument considérables qu'il aurait été raisonnable d'anticiper. En effet, aujourd'hui la valeur du patrimoine autoroutier concédé est estimée à environ 194 milliards d'euros.

Or, malgré ces enjeux, et contrairement aux contrats des nouvelles concessions (voir infra), les contrats des concessions historiques étaient étonnamment muets quant aux procédures relatives à l'échéance des concessions.

Notamment la notion fondamentale du « bon état » des « biens de retour », c'est à dire des infrastructures qui reviendront à l'État à l'issue des concessions, n'était pas définie dans les contrats d'origine. Ils n'évoquaient que l'expression vague de « bon état d'entretien » sans expliciter ce qu'elle recouvrait concrètement.

Les cahiers des charges des concessions historiques prévoyaient tout de même la réalisation d'un inventaire contradictoire du patrimoine des concessions à la clôture des comptes 2006. Cet inventaire devait ensuite faire l'objet d'une actualisation tous les cinq ans. Pourtant, comme le regrettait notamment l'ART dans la première édition de son rapport sur l'économie des concessions en 202034(*), cet inventaire n'a jamais été réalisé et l'administration a finalement décidé de ne faire procéder à celui-ci que dans le cadre des procédures de fin des concessions (voir infra).

3. Des clauses de stabilité du paysage fiscal renforcées en 2015

Les contrats de concessions autoroutières comportent une clause dite de « stabilité du paysage fiscal ». Cette clause à vocation à neutraliser au moins partiellement les conséquences économiques pour les concessionnaires d'évolutions des prélèvements spécifiques qui pèsent sur eux. Cette clause figure à l'article 32 des contrats. Jusqu'en 2015, la garantie de stabilité des prélèvements spécifiques aux concessions n'était que partielle en ce sens qu'elle ne valait que dans l'hypothèse où les évolutions considérées conduisaient à « gravement compromettre » l'équilibre économique et financier de la concession.

Dans le cadre des négociations du plan de relance autoroutier de 2015, les sociétés concessionnaires ont obtenu une révision de la formulation de la clause prévue à l'article 32 des contrats dans un sens beaucoup plus strict. Désormais la clause garantit la neutralisation pour les concessionnaires de toute évolution des prélèvements qui leur sont spécifiques et, ce même en l'absence de remise en cause grave de l'équilibre économique et financier des concessions.

En vertu de cette nouvelle formulation, toute évolution des prélèvements spécifiques aux concessionnaires doit être compensée si elle modifie, même de façon marginale, l'équilibre économique et financier de la concession.

L'article 32 des contrats des concessions historiques stipule ainsi désormais que « en cas de modification, de création ou de suppression (...) d'impôt, de taxe ou de redevance, y compris non fiscale, spécifique aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, les parties se rapprocheront, à la demande de l'une ou de l'autre, pour examiner si cette modification, création ou suppression est de nature à dégrader ou améliorer l'équilibre économique et financier de la concession, tel qu'il existait préalablement à la création, modification ou suppression dudit impôt, taxe ou redevance. Dans l'affirmative, les parties arrêtent, dans les meilleurs délais, les mesures de compensation, notamment tarifaires, à prendre en vue d'assurer, dans le respect du service public, des conditions économiques et financières ni détériorées ni améliorées ».

II. DES CONCESSIONS HISTORIQUES PLUS RENTABLES QU'ANTICIPÉ

A. LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES ET LE CALCUL DE LEURS TAUX DE RENTABILITÉ INTERNE (TRI)

1. Les caractéristiques les plus saillantes du modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes

Le modèle classique des concessions d'autoroutes se caractérise par des investissements significatifs au cours des premières années du contrat. Des investissements qui supposent un apport initial de capitaux et un recours à l'emprunt substantiels. Ensuite, lorsque les infrastructures entrent en service, cette première phase est suivie d'une seconde période permettant à la société concessionnaire de se rémunérer grâce aux péages35(*) qu'elle prélève sur toute la durée de vie de la concession. Au cours de cette seconde phase, les marges financières des sociétés concessionnaires augmentent progressivement jusqu'au terme de la concession. Ces marges doivent permettre de rembourser la dette contractée à l'origine du projet et les capitaux investis ainsi que d'apporter une rémunération raisonnable pour ces derniers. Ce schéma financier est parfois qualifié de « courbe en J ».

Présentation schématique du cycle relatif au modèle économique
d'une concession autoroutière

Source : Rapport d'activité 2022 sur l'exécution et le contrôle des contrats de concessions d'autoroutes et d'ouvrages d'art, DGITM, 2023

En pratique, les sociétés concessionnaires actuelles n'ont pas construit l'essentiel des infrastructures autoroutières mais, lors de la privatisation, elles ont repris les dettes de construction qui figurent dans leurs bilans comptables.

Du fait de ce modèle, l'équilibre entre les recettes et les charges d'une concession ne peut être constaté qu'au moment de son expiration. Aussi, l'analyse des indicateurs financiers annuels n'est-elle pas pertinente pour évaluer la rentabilité d'une concession. Pour effectuer un suivi de cette rentabilité au cours de la durée de vie de la concession, il est ainsi nécessaire de réaliser des projections sur les flux financiers futurs de celle-ci et ce jusqu'au terme du contrat.

Le taux de rentabilité interne (TRI)36(*), qu'il soit constaté en fin de contrat ou bien projeté en cours d'exécution du contrat à des fins de suivi, est l'indicateur qui synthétise l'ensemble des flux financiers (en recettes comme en dépenses) qui sont constatés ou projetés sur toute la durée de vie de la concession. Il se manifeste par un taux de rentabilité des capitaux initialement investis par le concessionnaire.

Le modèle concessif repose également sur le transfert au concessionnaire d'une série de risques parmi lesquels le risque lié à l'exploitation de l'infrastructure, c'est-à-dire le risque trafic. Le code de la commande publique insiste à ce titre sur l'ampleur du risque d'exploitation qui doit être assumé par le concessionnaire : « la part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d'exploitation lorsque, dans des conditions d'exploitation normales, il n'est pas assuré d'amortir les investissements ou les coûts, liés à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, qu'il a supportés »37(*).

Une autre caractéristique du modèle économique des concessions d'autoroutes est qu'à l'issue du contrat, le concessionnaire doit restituer à l'État concédant, « en bon état d'entretien » les actifs de la concession dont il n'a à aucun moment détenu la propriété. En effet, les infrastructures concédées, y compris celles qui ont été construites par le concessionnaire, restent la seule propriété de l'État et font partie intégrante de son patrimoine.

À ce titre, la commission d'enquête sénatoriale observait que « le contrat de concession constitue le seul actif des sociétés d'autoroutes, actif qui perd donc toute valeur une fois la concession échue. Les concessionnaires tirent leur rentabilité des droits qu'il leur confère, en particulier des règles d'évolution des tarifs de péage, qui constituent leur principale rémunération ». Dans leur rapport de 2021, l'IGF et le CGEDD soulignaient quant-à-elles que « ce régime particulier constitue un des attraits de la concession pour le concédant, puisque ce dernier externalise le financement d'une infrastructure coûteuse tout en contractualisant le retour gratuit de cette infrastructure dans un bon état d'entretien à la fin de la concession ».

Dans ces conditions, la durée de la concession et les recettes de péages qu'elle génère doit être suffisante pour que le concessionnaire puisse amortir les investissements qu'il a réallisés en lui permettant également de bénéficier d'une rémunération raisonnable des capitaux qu'il a investi38(*). Le code de la voirie routière dispose en effet que les péages autoroutiers doivent permettre « d'assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l'exploitation, à l'entretien, à l'aménagement ou à l'extension de l'infrastructure » ainsi que « la rémunération et l'amortissement des capitaux investis par le concessionnaire »39(*).

Rémunérée par les péages, l'exploitation des infrastructures autoroutières doit s'effectuer aux « risques et périls » du concessionnaire. L'article 2 des contrats historiques stipule ainsi que « la société concessionnaire s'engage à exécuter à ses frais, risques et périls, toutes les études, procédures, travaux et opérations financières se rapportant à la présente convention ».

Selon ce principe, des aléas défavorables tels que, par exemple, des coûts de construction ou d'exploitation plus élevés que les anticipations initiales dégradent l'équilibre économique de la concession au détriment de la société d'autoroutes. Inversement, l'évolution favorable de certaines hypothèses sous-jacentes au plan d'affaires initial bénéficie au concessionnaire. Il peut par exemple s'agir d'un niveau de trafic supérieur aux prévisions ou de conditions de refinancement de la dette plus avantageuses qu'escompté. Dans son dernier rapport d'activité sur l'exécution des concessions autoroutières, la DGITM soulignait les risques qui pèsent théoriquement sur les capitaux investis par les sociétés d'autoroutes du fait de ces aléas : « en cas d'incident ou de sous-performance, les différents apports de financement sont en risque. Les risques peuvent provenir d'un mauvais déroulement des travaux, d'une moindre performance de l'exploitation ou encore de trafics moins dynamiques qu'anticipés. Les fonds propres peuvent être ainsi partiellement ou totalement perdus »40(*).

2. Le TRI dit « actionnaire » est celui qui reflète réellement la rentabilité financière que dégagent les sociétés d'autoroutes grâce à l'exploitation de leurs concessions

Le taux de rentabilité interne (TRI) peut être défini comme « une mesure de la rentabilité d'un investissement qui s'appuie sur les flux de trésorerie qu'il génère »41(*). Plus précisément, il consiste en « une mesure de la rentabilité d'un investissement consistant à ramener l'ensemble des flux de trésorerie, sur toute la durée de vie de celui-ci, à un rendement annuel »42(*).

Généralement utilisé en amont de la décision d'investir pour évaluer la pertinence de celle-ci43(*), le calcul du TRI prévisionnel au cours de la réalisation du projet, c'est-à-dire, s'agissant du secteur autoroutier, au cours de la durée de vie de la concession, constitue également un moyen de suivi intéressant pour le concédant. Cet intérêt a notamment été souligné par l'IGF et le CGEDD dans leur rapport précité de 202144(*).

Il existe deux principales modalités de calcul de la rentabilité d'une concession autoroutière, le TRI dit « projet » et le TRI dit « actionnaire ».

Le TRI projet et le TRI actionnaire

Il existe deux principales formes de TRI applicables aux SCA : le TRI projet et le TRI actionnaire :

le TRI projet mesure le rendement d'un projet disponible pour rémunérer les apporteurs de fonds permettant de financer le projet (conjugaison de dette et de capitaux propres). Si le TRI projet s'attache bien à mesurer la rentabilité de la concession à partir des flux qu'elle génère, son calcul prend en compte l'ensemble de ces flux « aux bornes de la concession » et il ne dépend ni des modalités de financement de celle-ci, ni de la politique de rémunération des investisseurs, ce qui le distingue du TRI des actionnaires ;

le TRI actionnaire mesure la rentabilité du point de vue des actionnaires ou associés. Il est calculé à partir des flux de trésorerie utilisés pour calculer le TRI projet, ajustés des flux liés à la dette. Il dépend donc de la stratégie de financement, en particulier du niveau d'endettement et de la politique de distribution des résultats décidée par le concessionnaire.

Source : rapport sur le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF et CGEDD, février 2021

Le TRI projet représente le niveau de rentabilité qui doit permettre de rémunérer l'ensemble des fonds apportés pour financer le projet, c'est-à-dire les investisseurs de capitaux propres comme les créanciers qui ont accordés des prêts aux concessionnaires45(*). Ce TRI a pour objet de mesurer la rentabilité interne ou intrinsèque de la concession au sens où il ne tient pas compte des stratégies de financement des sociétés d'autoroutes ainsi que des gains ou pertes financières liées à celles-ci.

Dans son « focus » de juillet 2023 sur la rentabilité des concessions, l'ART précise ainsi que « le TRI projet permet de mesurer la rentabilité intrinsèque d'une activité car il ne dépend ni de ses modalités de financement, ni de la politique de rémunération des actionnaires ». L'analyse de la rentabilité des sociétés d'autoroutes reste ainsi strictement cantonnée « aux bornes des concessions ».

Comme son nom l'indique, le TRI actionnaire s'intéresse quant à lui à la rentabilité vue depuis les détenteurs de capitaux des sociétés d'autoroutes. En comparant d'un côté les capitaux propres investis par les actionnaires et de l'autre les dividendes qu'ils perçoivent tout au long de la durée de la concession, il mesure le niveau de rémunération de ces capitaux propres investis. À la différence du TRI projet, le TRI actionnaire ne se limite pas à une analyse de la rentabilité des sociétés d'autoroutes cantonnée « aux bornes de leurs concessions ». Il prend en effet en compte les stratégies et les conditions de financement des investissements relatifs à la concession.

À ce titre, en raison de « l'effet de levier » résultant de la proportion de recours à l'emprunt pour financer le projet, un phénomène inhérent aux stratégies de financement des projets d'investissements, le TRI actionnaire est structurellement plus élevé que le TRI projet. Dans son focus de juillet 2023 précité, l'ART décrit ainsi cet « effet de levier » : « il est courant que les actionnaires augmentent leur capacité d'investissement en levant de la dette auprès de tiers. Le coût de la dette étant, en général, inférieur à la rémunération des fonds propres, cela permet à l'actionnaire d'accroître ses revenus sans apporter davantage de capitaux propres, et donc d'augmenter sa rentabilité. Ce surplus de rentabilité se fait toutefois au prix d'une augmentation du risque encouru par l'actionnaire. En effet, si les recettes sont inférieures à ce qui était prévu, l'effet de levier joue en sens inverse et les conséquences du point de vue de l'actionnaire sont amplifiées ».

En résumé, « l'effet de levier consiste à augmenter la rentabilité associée à un actif en augmentant le risque à travers une dette accrue ».

Illustration par l'ART de « l'effet de levier » ainsi que de ses incidences sur le TRI actionnaire

L'effet de levier consiste à augmenter la rentabilité associée à un actif en augmentant le risque à travers une dette accrue.

Si un investissement a un TRI projet de 5 %, il est possible, pour l'actionnaire, d'obtenir une rémunération de 11 % en le finançant à 75 % par de la dette avec un taux d'emprunt à 3 %. Le choix de s'endetter rend toutefois l'actionnaire plus sensible aux variations du TRI projet : si, finalement, celui-ci n'est que de 2 %, le TRI de l'actionnaire sera négatif, alors qu'avec un levier d'endettement de 50 %, l'actionnaire aurait pu sécuriser une rémunération de 1 %.

Plus généralement, en jouant avec l'effet de levier, il est possible de transformer n'importe quel actif peu risqué, et donc à faible rendement, en actif risqué et à fort rendement

Exemples de l'incidence de l'effet de levier sur le TRI actionnaire

Source : la rentabilité des concessions, focus de l'ART, juillet 2023

L'ART comme les sociétés d'autoroutes soulignent certaines limites qui complexifient l'analyse des TRI actionnaires. Dans son focus de juillet 2023, l'ART indique ainsi que « l'une des difficultés conceptuelles de la notion de TRI actionnaire est de définir l'actionnaire considéré. D'une part, les actionnaires des sociétés concessionnaires ont varié dans le temps (...). D'autre part, si les actionnaires directs des sociétés concessionnaires d'autoroutes historiques sont stables depuis 2010, leur actionnariat indirect continue à évoluer ». En réponse au questionnaire du rapporteur, le groupe Vinci a mis en évidence les mêmes difficultés : « les actionnaires d'une société sont en général multiples. Ils n'ont pas tous investi dans la société au même moment, n'ont pas perçu les mêmes dividendes et ont pu se désengager ». Aussi, considérant que les stratégies d'optimisation financière mises en oeuvre par les sociétés d'autoroutes ne relèvent que d'elles-mêmes et sont extérieures à la relation entre concessionnaires et usagers, le groupe Vinci conteste-t-il vigoureusement le principe d'un suivi de la rentabilité des concessions à travers l'outil du TRI actionnaire.

Le groupe Vinci conteste le principe d'un suivi de la rentabilité des sociétés d'autoroutes selon l'approche du TRI actionnaire

Un TRI « actionnaire » est susceptible de varier en fonction des stratégies de financement et des évolutions des marchés de taux qui sont parfaitement exogènes à la concession. Cela concerne la stratégie de financement de la société concessionnaire elle-même, mais aussi la stratégie de financement de l'actionnaire considéré, qui peut financer ses apports de capitaux comme ses actions aussi en partie en s'endettant lui-même. Autrement dit, un TRI « actionnaire » rend également compte d'éléments extérieurs à la relation concessionnaire-usager.

Cela explique sans doute pourquoi les TRI « actionnaire » calculés par l'IGF et le CGEDD pour certains actionnaires de groupes de sociétés concessionnaires privatisés en 2005 sur une partie de la durée de leur concession varient fortement d'un groupe à l'autre, dans la mesure où ils ont adopté des stratégies de financement différentes, entre par exemple la prise de risque générée par le choix de recourir à un endettement à taux variable et le choix inverse de ne pas prendre ce de risque via un recours à des taux fixes un tel choix d'effet de levier (répartition entre la part de fonds propres et la part de la dette) relève d'une décision de l'actionnaire, extérieure à la concession, et du partage de risque et de valeur entre les apporteurs de fonds propres et les prêteurs.

Source : réponses écrites du groupe Vinci au questionnaire du rapporteur

Dans ses rapports, en lien notamment avec son rôle de régulateur qui vise avant tout à veiller aux intérêts des usagers des autoroutes, l'ART a fait le choix d'analyser l'évolution de la rentabilité prévisionnelle des concessions d'autoroutes sous l'angle des TRI projet. Ce faisant cependant, « elle ignore les opérations bilancielles visant à augmenter le levier, qui génèrent un écart potentiellement important entre la rentabilité actionnaire anticipée et réalisée »46(*).

Comme le rapport de 2021 de l'IGF et du CGEDD avait déjà pu le souligner, de fait, il ne fait aucun doute que c'est bien le TRI actionnaire qui intéresse au premier chef les sociétés d'autoroutes puisque c'est celui qui traduit, vue de leurs intérêts, la véritable rentabilité des concessions. Ainsi, le fait que certaines sociétés d'autoroutes mettent en avant de manière si systématique les prévisions de TRI projet tout en balayant d'un revers de main celles résultant d'un calcul selon l'approche du TRI actionnaire semble parfois s'apparenter à une forme de « jeu de dupes ».

Aussi est-il évidemment tout sauf illégitime que l'État concédant s'intéresse à cet indicateur. L'intérêt de ce suivi vaut pour l'analyse de la rentabilité des concessions en cours, afin de vérifier dans quelle mesure les paramètres économiques et financiers sous-jacents à l'équilibre du contrat qui avaient été déterminés à l'origine se sont révélés proches de la réalité. Mais il vaut également et peut-être même surtout pour les concessions et négociations d'avenants futurs en ce sens qu'il constitue un retour sur expérience susceptible d'améliorer les pratiques de l'État concédant si des écarts significatifs s'avèrent être constatés entre les prévisions d'origine et l'exécution effective des contrats.

D'ailleurs, le rapporteur observe que pour concevoir certaines des clauses des concessions les plus récentes visant à prévenir les phénomènes de surrentabilité, l'État concédant semble bien avoir raisonné selon une approche de « TRI actionnaire ». Une telle approche peut par exemple être déduite de dispositions visant à fixer une certaine limite à « l'effet de levier » lié à l'endettement ou bien encore à prévoir un mécanisme de partage des gains de refinancement.

Le rapporteur souligne par ailleurs que les résultats des concessions occupent souvent une part considérable dans les bénéfices réalisés par les groupes actionnaires des sociétés d'autoroutes. Ainsi, à titre d'exemple, en 2023, l'activité de la filiale Vinci autoroutes ne représentait-elle que 9 % du chiffre d'affaires47(*) du groupe Vinci mais, dans le même temps, 43 % de son résultat net48(*).

3. L'optimisation de leur modèle économique conduit paradoxalement les sociétés d'autoroutes à faire le choix de conserver un endettement élevé pour privilégier le versement de dividendes à leurs actionnaires

L'enjeu d'une analyse de la rentabilité des sociétés d'autoroutes au prisme du TRI actionnaire est d'autant plus important que les concessions historiques privatisées en 2006 constituaient, en raison de leur niveau de dette, d'énormes « objets financiers ». Sans aucun doute, compte tenu de cette configuration, l'optimisation des stratégies de financement des actionnaires des sociétés d'autoroutes devait nécessairement jouer un rôle absolument central dans leurs perspectives de rémunération des capitaux investis.

Cet aspect a notamment été mis en évidence par le rapport de l'IGF et du CGEDD de 2021 à travers un phénomène paradoxal par lequel compte-tenu des faibles taux d'intérêts, les sociétés d'autoroutes n'ont aucun intérêt à rembourser leur dette. Elles la font ainsi « rouler » et privilégient une affectation de leurs bénéfices maximisant les versements de dividendes à leurs actionnaires : « de fait, les sociétés concessionnaires d'autoroutes privilégient, dans leur politique financière, le versement de dividendes par rapport au désendettement. De manière générale, la politique de distribution de dividendes des SCA consiste a` verser 100 % du résultat net du dernier exercice, ce qui correspond le plus souvent au montant maximal autorisé ».

Répartition de l'usage des recettes de péage
par les sociétés concessionnaires historiques au cours de l'exercice 2022

Source : Rapport d'activité 2022 sur l'exécution et le contrôle des contrats de concessions d'autoroutes et d'ouvrages d'art, DGITM, 2023

Ce constat avait d'ailleurs déjà été dressé en 2020 par l'ART dans la première édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières49(*). Le régulateur constatait en effet que les sociétés concessionnaires d'autoroutes « privilégient le versement de dividendes par rapport au désendettement » et en ce sens « choisissent de maintenir leur endettement à un niveau élevé ».

Dividendes versés aux actionnaires des sociétés d'autoroutes (2016-2022)

(en millions d'euros)

Source : synthèse des comptes des sociétés concessionnaires d'autoroutes, exercice 2022, ART, décembre 2023

Cette observation valait aussi pour les années à venir puisque l'ART notait que, dans leurs analyses financières prospectives, les sociétés d'autoroutes « visent un fort taux de distribution de leurs bénéfices ce qui se traduit par une dette qui demeure élevée ». En effet, l'ART observait alors que « les sociétés concessionnaires prévoient de maintenir durablement un niveau d'endettement élevé, et procéderont encore à des refinancements au cours des prochains exercices, si bien que d'importants engagements de remboursement subsisteront jusqu'en fin de concession ».

Affectation prévisionnelle des flux de trésorerie opérationnels
des sociétés historiques privées après impôt

(en millions d'euros)

Source : Économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023

Ainsi, depuis la privatisation, la dette nette des sociétés d'autoroutes, environ 25 milliards d'euros, n'a pas diminué. L'ART notait également ce paradoxe : « d'une part, certaines d'entre elles ont augmenté leur dette, peu après la privatisation, pour rendre possible le versement de dividendes exceptionnels. D'autre part, elles ont, de manière générale, choisi, tout au long de la période considérée, de faire face à leurs échéances de remboursement en procédant à de nouveaux emprunts. La dette nette des sociétés historiques privées était donc plus élevée en 2018 qu'en 2005, alors même que la fin des contrats de concession était plus proche ».

B. L'EXPLOITATION DES AUTOROUTES CONCÉDÉES DEVRAIT VRAISEMBLABLEMENT SE RÉVÉLER PLUS RENTABLE QU'ANTICIPÉ

Lorsque l'on s'intéresse à la rentabilité des concessions d'autoroutes, il convient en préambule de rappeler qu'il n'est pas anormal qu'un TRI effectif en fin de concession s'écarte de la prévision initiale. En effet, la prévision initiale de rentabilité est dans une certaine mesure, et par définition, incertaine puisqu'elle repose sur des hypothèses d'évolution prospective d'une série de paramètres économiques et financiers difficiles à prévoir de façon précise.

Par ailleurs, comme précisé supra, le modèle de la concession suppose que le concessionnaire exploite l'infrastructure à ses risques et périls, ce qui suppose qu'il est normal et légitime qu'il puisse, en cas d'évolution plus favorable qu'anticipé de certains paramètres sous-jacents au calcul du TRI, tirer profit d'une rentabilité effective plus importante que celle qui avait été prévue à l'origine.

Enfin, il convient également de conserver une certaine prudence s'agissant des calculs de la rentabilité prévisionnelle dite à terminaison, c'est-à-dire sur toute la durée de la concession, dans la mesure où ils reposent nécessairement là encore sur des hypothèses d'évolution prospective de paramètres parfois difficilement prévisibles.

1. À travers l'analyse prévisionnelle des TRI actionnaires, une commission d'enquête du Sénat puis un rapport de l'IGF et du CGEDD ont conclu à une probable « surrentabilité » de certaines sociétés d'autoroutes
a) La commission d'enquête sénatoriale de 2020 avait fait réaliser une étude indépendante concluant à la surrentabilité prévisionnelle des concessions des groupes Vinci et Eiffage

En 2020, la commission d'enquête du Sénat sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières, avait fait réaliser une analyse prospective indépendante50(*) de la rentabilité des concessions d'autoroutes historiques.

Sous l'angle des TRI actionnaires, cette enquête concluait que la rentabilité prévisionnelle au terme de leurs contrats des concessions des groupes Vinci (ASF et ESCOTA) et Eiffage (APRR et AREA) pourrait se révéler significativement supérieure aux prévisions établies au moment de la privatisation. Toujours selon cette même enquête, la prévision de rentabilité à terminaison des concessions du groupe SANEF (SANEF et SAPN) serait quant à elle en phase avec les anticipations d'origine.

S'agissant des concessions détenues par le groupe Vinci, l'étude présentée dans le rapport de la commission d'enquête estimait que leurs TRI actionnaire en fin de concession pourraient atteindre 10,93 %, soit un montant très nettement supérieur aux retours sur fonds propres de 7,25 % que le groupe Vinci pouvait raisonnablement attendre de l'acquisition des sociétés ASF et ESCOTA d'après les estimations de rentabilité qui résultaient de l'offre publique de retrait obligatoire émise par le groupe dans le cadre de l'opération de privatisation de 2006.

Concernant les concessions du groupe Eiffage, l'enquête estimait que leur TRI actionnaire pourrait atteindre 11,25 % en fin de concession, soit un niveau là encore sensiblement plus élevé que l'évaluation qui ressortait de l'offre publique de retrait obligatoire à hauteur de 9,2 %.

Pour les concessions SANEF et SAPN en revanche, l'étude considérait que leurs TRI actionnaire en fin de contrat pourrait s'établir à 7,21 % soit un niveau inférieur aux estimations de l'offre publique de retrait obligatoire qui l'évaluait à 8 %.

b) En 2021, un rapport de l'IGF et du CGEDD arrivait aux mêmes conclusions que la commission d'enquête du Sénat

En 2021, le rapport de l'IGF et du CGEDD précité a présenté de nouvelles prévisions de rentabilité des sociétés d'autoroutes à l'issue des concessions historiques.

Principales hypothèses retenues par la mission de contrôle de l'IGF et du CGEDD

Les hypothèses jugées a priori structurantes ont fait l'objet de scénarios qui peuvent être combinés pour tester l'élasticité du résultat :

- trois scénarios d'inflation (1,5 % en tendanciel dans le scénario médian) et un seul scénario de taux d'intérêt (1,7 % en tendanciel) ;

- trois scénarios de trafic pour tenir compte de la divergence des modélisations de la DGITM et de l'ART (croissance de 1 % en tendanciel dans le scénario médian) ;

- trois scénarios de fiscalité pour tester l'impact d'une compensation de l'indexation de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) et d'une hypothétique neutralisation de la baisse de l'impôt sur les sociétés (IS) ;

- trois scénarios d'investissement : un scénario bas fondé sur les prévisions transmises par les sociétés concessionnaires d'autoroutes à la DGITM, un scénario médian qui aligne toutes les trajectoires d'investissement sur la plus volontaire des trois sociétés concessionnaires d'autoroutes, et un scénario haut qui reprend le ratio de 15 % du chiffre d'affaires postulé dans le rapport du Sénat ;

- trois scénarios de remboursement de la dette (remboursement in fine en cinq ans ou neuf ans, remboursement progressif) auxquels s'ajoute un scénario « d'optimisation financière » où la dette est remboursée in fine en cinq ans et la trésorerie excédentaire est mise à disposition des actionnaires.

Source : Le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF et CGEDD, février 2021

Dans le scénario de référence étudié par l'IGF et le CGEDD, les concessions du groupe Vinci et du groupe Eiffage pourraient respectivement atteindre des TRI actionnaires en fin de concession de 11,77 % et 12,49 %, soit des niveaux supérieurs encore à ceux qui résultaient de l'étude présentée dans le rapport de la commission d'enquête sénatoriale. Les prévisions des inspections concluent en revanche, comme la commission d'enquête du Sénat, que la rentabilité prévisionnelle des concessions du groupe SANEF serait conforme aux attentes.

Prévisions de rentabilité des concessions historiques
réalisées par la mission de contrôle de l'IGF et du CGEDD en 2021

Source : Le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF et CGEDD, février 2021

c) Dans le cadre de son rôle et de sa vision de régulateur, l'ART s'en tient de son côté au seul suivi « intrinsèque » des concessions sous le prisme du TRI projet

Comme précisé supra, l'ART, en lien notamment avec son rôle et sa vision de régulateur du secteur, n'effectue qu'un suivi « intrinsèque » de la rentabilité des concessions sous l'angle du TRI projet.

Selon ses estimations les plus actualisées51(*), l'autorité estime que les TRI projets prévisionnels des concessions historiques s'établiraient entre 5,2 % (pour la concession SAPN) et 9,4 % (pour Cofiroute) pour une moyenne de 8 %. Ces estimations sont globalement stables depuis 2017.

Estimation des TRI projet des concessions à terminaison

Source : la rentabilité des concessions, focus de l'ART, juillet 2023

L'ART fait le constat que ces niveaux de rentabilité seront très vraisemblablement supérieurs au coût moyen pondéré du capital (CMPC) de référence qui s'établirait à environ 7 %. Si cet écart reste faible en point de pourcentage, l'ART souligne que les montants qu'il recouvre n'en sont pas moins « conséquents en valeur absolue » et pourraient représenter jusqu'à 40 milliards d'euros de revenus supplémentaires52(*). Pour autant, malgré son ampleur, l'ART considère que « cet écart apparaît compatible avec les aléas normaux d'une concession » et qu'en cela, il ne traduirait pas une « rentabilité excessive » des concessions.

2. Les prévisions actualisées par la direction générale du Trésor confirment que la rentabilité financière de certaines sociétés d'autoroutes sera vraisemblablement significativement supérieure aux anticipations initiales

Comme il a pu le souligner dans les développements précédents, le rapporteur considère qu'il était inacceptable et incompréhensible que l'État ne se soit pas doté d'une capacité autonome de suivi de la rentabilité financière des concessions d'autoroutes. Cette lacune manifeste a pu participer aux errements constatés dans le suivi juridiques et financiers des contrats ainsi que dans les conditions de négociations de leurs avenants.

Le rapport réalisé en 2021 par l'IGF et le CGEDD pointait du doigt les conséquences néfastes de cette lacune et recommandait à l'État de se doter d'une capacité autonome d'expertise de la rentabilité des sociétés d'autoroute : « pour jouer pleinement son rôle de concédant, l'État doit disposer de sa propre évaluation de la rentabilité des concessions autoroutières ».

Alors qu'en dépit de toutes les évidences, et de façon étonnante, la DGITM continue de s'obstiner à considérer qu'il n'est pas pertinent que l'État concédant développe un outil de suivi autonome, le ministère chargé de l'économie et des finances a fort heureusement pris l'initiative de concevoir un tel outil bien-sûr absolument indispensable.

Cet outil, baptisé MARIA (pour « modèle d'analyse de la rentabilité des infra autoroutières ») a été conçu en 2023 par la mission d'appui au financement des infrastructures (Fin Infra), service à compétence nationale rattaché à la direction générale du Trésor.

En 2023, l'État s'est enfin doté d'un outil autonome de suivi
de la rentabilité des concessions d'autoroutes

En 2023, Fin Infra a construit un modèle financier de suivi de la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes baptisé MARIA (Modèle d'Analyse de la Rentabilité des Infrastructures Autoroutières). MARIA est mis à jour annuellement à partir des données publiques des sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Cet outil utilise des hypothèses concertées avec la DGITM ainsi que les autres services du MEFSIN impliqués dans le suivi des concessions autoroutières. Il permet de mettre en perspective les rapports sur l'économie générale des concessions d'autoroute publiés par l'ART. Il permet notamment de calculer le TRI projet et le TRI actionnaires à date des sociétés concessionnaires historiques ainsi que d'estimer le TRI projet et le TRI actionnaires à terminaison de ces sociétés (sur la durée totale de la concession).

Fin Infra est actuellement en train de développer un nouvel outil dédié au suivi de l'évolution de la rentabilité des concessions plus récentes.

Il parait essentiel pour l'administration d'entretenir un modèle financier tel que MARIA afin de disposer d'une expertise autonome sur les indicateurs de rentabilité des sociétés concessionnaires.

Source : réponses écrites de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur

Le rapporteur a pu avoir accès aux dernières estimations de rentabilité calculées par la direction générale du Trésor et Fin Infra au moyen du nouvel outil de simulation MARIA. Elles confirment globalement les évaluations qui étaient ressorties des rapports de la commission d'enquête sénatoriale en 2020 et du rapport des inspections en 2021. Elles révèlent en effet pour les concessions ASF-ESCOTA et APRR-AREA, des TRI actionnaires à terminaison nettement plus élevés que ce qui avait pu être envisagé initialement comme une rentabilité raisonnable par les services de l'État ou dans les plans d'affaires des sociétés d'autoroutes. Des écarts qui s'expliquent essentiellement par les gains de refinancement de la dette des sociétés concernées résultant de la baisse des taux d'intérêts (voir infra).

3. La « surrentabilité » prévisionnelle de certaines sociétés d'autoroutes s'explique essentiellement par les gains de refinancement de leur dette

La surperformance financière, sur l'ensemble de la durée de vie de leurs contrats, de certaines sociétés d'autoroutes qui ressort des projections présentées ci-dessus s'explique essentiellement par les gains de refinancement qu'elles ont réalisés en optimisant la gestion de leurs dettes dans un contexte de réduction historique des taux d'intérêts.

En effet, jusqu'à aujourd'hui, l'évolution effective du trafic a plutôt été défavorable à l'équilibre économique des concessions et donc aux sociétés d'autoroutes. Les prévisions de trafic poids-lourds, la composante la plus sensible et la plus volatile des recettes tarifaires des concessions ont été fortement affectées par la crise économique de 2008 qui s'est déclenchée deux ans après la privatisation des sociétés d'autoroutes historiques. De ce fait, les hypothèses de trafic dans les années qui ont suivi se sont révélées nettement plus faibles que les anticipations initiales. À périmètre constant, il a fallu attendre 2017 pour que le trafic poids-lourds retrouve son niveau de 2007. Plus récemment, des mouvements sociaux comme celui dit des « gilets jaunes » ainsi que la crise sanitaire ont temporairement affecté à la baisse le trafic autoroutier.

Cependant, le rapporteur note que cette évolution globalement défavorable des paramètres de trafic doit être relativisée notamment par la persistance des effets de la méthode du « foisonnement » des recettes de péages, aujourd'hui interdite, mais dont les conséquences n'ont pas été corrigées a posteriori.

Lors de la privatisation, les groupes acquéreurs des sociétés d'autoroutes historiques ont récupéré les dettes dont étaient porteuses ces sociétés au titre des investissements qu'elles avaient réalisées par le passé. Par ailleurs, la partie de l'acquisition des actions de ces sociétés en 2006 qui a été financée par un recours à l'emprunt est venue augmenter encore l'encours de dette des concessions. Les concessions ont ainsi pris la forme « d'objets financiers » colossaux pour lesquels la gestion optimisée de la dette devait constituer un potentiel d'accroissement de la rentabilité considérable à condition que le contexte macroéconomique évolue favorablement.

C'est précisément ce qui est arrivé puisqu'après la crise économique de 2008, les taux d'intérêts se sont effondrés dans une proportion inédite, atteignant des niveaux historiquement faibles. Entre 2006 et 2020, les taux d'intérêts moyens étaient ainsi passés de 6 % à moins de 2 %.

Or, comme le précisait la commission d'enquête sénatoriale, « la structuration initiale de la dette peut être modifiée dans la durée en fonction de l'évolution des taux d'intérêts. Lorsque ceux-ci baissent, et compte-tenu des conditions des prêts qui ont financé cette dette, celle-ci peut alors être refinancée à un coût inférieur au coût initial tandis que l'endettement de la société concessionnaire d'autoroutes, dont les intérêts sont fiscalement déductibles, est maintenu à un niveau élevé, ce qui lui permet de verser des dividendes importants à la société mère, y compris grâce à un endettement supplémentaire, afin de rembourser la dette d'acquisition ».

Cette évolution très favorable des taux d'intérêt a atteint des proportions qui n'avaient pas pu être anticipées dans les évaluations des services de l'État lors de la privatisation ou dans les plans d'affaires initiaux des groupes ayant acquis les sociétés d'autoroutes historiques. Elle a permis aux sociétés d'autoroutes, selon leurs stratégies respectives de gestion active de leur dette, de réaliser des gains de refinancement considérables. Cette situation explique très largement l'amélioration de leur rentabilité financière prévisionnelle telle qu'elle ressort des analyses prospectives présentées supra.

En réponses au questionnaire du rapporteur, la direction générale du Trésor a ainsi souligné que faute de mécanismes de partage des gains de refinancement comme il peut en exister désormais dans les contrats les plus récents, les sociétés d'autoroutes ont bénéficié à 100 % de l'évolution inattendue des conditions de financement : « l'impact de la baisse des taux d'intérêt intervenue depuis la privatisation a profité exclusivement aux concessionnaires en vertu des dispositions des contrats de concession ».

Si les gains de refinancement sont la principale explication de l'amélioration des TRI actionnaire à terminaison de certaines concessions historiques, la baisse du taux nominal d'impôt sur les sociétés (de 33,3 % à 25 %) a également eu un effet positif significatif sur l'équilibre économique des contrats. Un effet qui pourrait représenter jusqu'à 8 milliards d'euros d'ici à la fin des concessions d'après les estimations réalisées par l'ART53(*). À titre de comparaison, l'indexation partielle de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) sur l'inflation, que les sociétés d'autoroutes contestent devant la juridiction administrative, aurait un effet dix fois plus faible sur l'équilibre économique des contrats (882 millions d'euros). De même, la réduction de la contribution économique territoriale (CET) puis la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) conduisent également à améliorer l'équilibre économique des concessions.

C. POUR AUTANT, LA DÉCISION LA PLUS RAISONNABLE EST D'ALLER AU BOUT DES CONTRATS HISTORIQUES

1. Une possibilité de résiliation anticipée contractuelle dont le coût pour l'État pourrait représenter de 40 à 50 milliards d'euros

Une stipulation des contrats historiques autorise l'État concédant à résilier de façon unilatérale les concessions pour un motif d'intérêt général54(*). Ce mode de résiliation, prévu par l'article 38 des cahiers des charges suppose cependant une indemnisation des sociétés concessionnaires qui doit correspondre selon les termes du contrat à la « juste valeur de la concession reprise estimée selon la méthode d'actualisation des flux de trésorerie disponibles ». Le ministère chargé de l'économie et des finances estime le coût pour l'État d'une telle indemnité, dans l'hypothèse d'une résiliation immédiate des concessions historiques, entre 40 et 50 milliards d'euros.

Au regard de ce coût potentiel, la commission d'enquête sénatoriale notait en 2020 qu'il était donc « raisonnable d'aller au terme des concessions et de mettre à profit les prochaines années pour s'assurer de la remise en bon état des infrastructures et encourager les sociétés concessionnaires d'autoroutes à accompagner les mobilités vertueuses ».

2. L'hypothèse très risquée de l'activation d'une jurisprudence du Conseil d'État susceptible de permettre une résiliation sans indemnisation

La jurisprudence administrative prévoit également une autre hypothèse de résiliation anticipée unilatérale, cette fois ci sans droit à indemnisation du concessionnaire dans le cas où l'État concédant constaterait qu'une concession dégage des bénéfices excédant de façon anormale les dépenses à couvrir dans le cadre de la concession.

Selon sa « jurisprudence Olivet »55(*), le Conseil d'État considère en effet que si l'autorité concédante estime (en faisant une appréciation globale de l'amortissement des investissements et de la rémunération du concessionnaire) que l'exploitation dégage des bénéfices excédant de façon anormale les dépenses de la concession à couvrir, il lui appartient, sur le fondement des dispositions relatives à la commande publique, de réduire la durée de la concession, dès lors qu'eu égard aux conditions d'exploitation de la concession, la durée normale d'amortissement des investissements peut être regardée comme dépassée.

Le rapport de l'IGF et du CGEDD précité, bien qu'il présentait l'hypothèse de l'activation par l'État concédant de cette jurisprudence, soulignait qu'elle restait « ambiguë » et qu'elle supposait « une volonté politique forte » : « au titre de la « jurisprudence Olivet » du Conseil d'État, l'État pourrait décider unilatéralement d'un résiliation anticipée, avec néanmoins le risque que le juge considère la rentabilité des concessions comme raisonnable et leur résiliation anticipée comme entraînant un droit à indemnité. L'engagement d'une telle procédure, assise sur une jurisprudence ambiguë car rarement utilisée, suppose une volonté politique forte et aurait pour conséquence une détérioration des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, susceptible de compromettre la bonne fin des concessions et en particulier la remise en bon état des biens de retour ».

Ce même rapport allait même plus loin, considérant que le risque juridique pour l'État était trop élevé et qu'il était préférable que les services de l'État concentrent leurs efforts sur les procédures de fin des concessions historiques dans lesquelles les analyses de rentabilité prospective pourraient être utilisées pour obtenir la pleine coopération des sociétés d'autoroutes.

Pour l'IGF et le CGEDD, le risque juridique d'une résiliation anticipée sans indemnisation des contrats de concession est trop élevé

La rentabilité des concessions historiques ASF-Escota et APRR-Area est indiscutablement et significativement supérieure à l'attendu. Pour autant, une action qui viserait à corriger cet écart comporte un risque juridique important, la jurisprudence du Conseil d'État en la matière étant mince et ambiguë. Une telle action aboutirait en outre à détériorer durablement les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA).

La mission considère plutôt que le véritable enjeu pour l'État à moyen terme est d'obtenir des SCA la remise en bon état des infrastructures autoroutières avant leur transfert au concédant en fin de concession. Quoiqu'il s'agisse d'une obligation contractuelle, les modalités de cette remise en bon état feront nécessairement l'objet d'une négociation avec chaque SCA, négociation dans laquelle l'État devra défendre ses droits de façon intransigeante.

Dans ces circonstances, la mission recommande d'utiliser les résultats de ses analyses de rentabilité comme un argument dans la négociation qu'il devra mener avec les SCA au moment de fixer le programme d'investissement des dernières années des concessions.

Source : le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF et CGEDD, février 2021

3. Un avis du Conseil d'État du 8 juin 2023 souligne les risques juridiques encourus par l'État s'il résiliait de façon anticipée certains contrats de concessions

Suite à la révélation par la presse du rapport de l'IGF et du CGEDD et aux polémiques qu'il a suscitées, le 7 avril 2023 le ministre chargé de l'économie et des finances de l'époque avait saisi le Conseil d'État d'une « demande d'avis relative à la mesure de la rentabilité d'une concession et aux possibilités légalement ouvertes au concédant de réduire la durée d'un contrat de concession ».

Le ministre demandait notamment au Conseil d'État de répondre aux deux questions suivantes :

« s'agissant des sociétés concessionnaires d'autoroutes historiques (...) dans quelle mesure une rémunération peut-elle être jugée excessive ?

- dans l'hypothèse où une rémunération excessive serait identifiée, quelles seraient les modalités juridiques que devrait respecter l'État, autorité concédante, pour résilier, par anticipation, une concession autoroutière ? »

La lecture des considérants 20 à 24 de l'avis conduit à considérer que l'hypothèse d'une résiliation anticipée par l'État de certaines concessions historiques au motif d'une rentabilité jugée excessive serait extrêmement risquée d'un point de vue juridique.

En effet, le Conseil d'État rappelle le principe des concessions selon lequel le transfert de risques au concessionnaire doit être intégré dans l'analyse de l'équilibre économique du contrat. Il rappelle aussi que les aléas économiques exogènes notamment « la baisse ou la hausse des taux d'intérêt » font partie de ces risques transférés au concessionnaire. Il ajoute que ce transfert de risques « doit jouer également dans les cas d'évolutions favorables à ce dernier ».

Il en conclut que « la seule circonstance que le concessionnaire ait optimisé le financement de sa dette en raison de taux historiquement bas, voire négatifs, comme cela a été le cas dans la période récente (...) ne pourrait suffire à fonder légalement une résiliation pour motif d'intérêt général, au regard du risque de pertes que le concessionnaire a accepté de courir en contrepartie des possibilités de gains que peut lui procurer une situation économique favorable ».

Au regard des considérants 20 à 24 de l'avis du Conseil d'État du 8 juin 2023,
la résiliation anticipée des concessions apparaît très risquée pour l'État

20. Si le concédant constatait, en cours d'exécution du contrat, une importante augmentation de la rémunération du concessionnaire, il lui appartiendrait, pour apprécier les conséquences à en tirer, de tenir compte du transfert de risque auquel procède le contrat de concession, et qui est le corollaire de l'équilibre de ce dernier.

21. Le transfert de risques, d'origine jurisprudentielle, est, tant au regard du droit de l'Union européenne que du droit interne, le critère qui permet de distinguer le contrat de concession du contrat de marché public. Il est aujourd'hui codifié à l'article L. 1121-1 du code de la commande publique. Les risques transférés au concessionnaire, et que celui-ci est réputé avoir acceptés au moment de la conclusion du contrat, sont financiers mais aussi économiques. Ce dernier type de risques englobe des facteurs exogènes au contrat (tels que la baisse ou la hausse des taux d'intérêt, l'absence ou l'existence d'une inflation, l'évolution des coûts de construction ou de matières premières comme le pétrole).

22. Or, si le transfert de risques, pour des raisons évidentes, joue essentiellement dans les cas d'évolutions défavorables au concessionnaire, il doit jouer également dans les cas d'évolutions favorables à ce dernier.

23. Par voie de conséquence, la seule circonstance que le concessionnaire ait optimisé le financement de sa dette en raison de taux historiquement bas, voire négatifs, comme cela a été le cas dans la période récente, ou qu'une baisse des coûts de construction et d'entretien, corrélée à une inflation particulièrement faible, lui ait procuré des bénéfices importants, ne pourrait suffire à fonder légalement une résiliation pour motif d'intérêt général, au regard du risque de pertes que le concessionnaire a accepté de courir en contrepartie des possibilités de gains que peut lui procurer une situation économique favorable.

24. Il ne pourrait en aller autrement que s'il était constaté une évolution particulièrement importante et durable de la rémunération des capitaux investis par le concessionnaire et de ses bénéfices, conduisant à une altération profonde et irréversible de l'équilibre économique de la concession. Une telle situation est, en principe, désormais prévenue, s'agissant des concessions récentes, par l'existence, dès la conclusion du contrat, de clauses dites de « durée endogène », prévoyant la réduction de la durée initiale après une certaine durée d'exécution du contrat et lorsqu'est atteint, par le concessionnaire, un certain niveau de résultats. Des clauses de même nature ont, certes, été introduites dans les contrats des SCA historiques mais leurs conditions sont très restrictives et leur portée est limitée à la durée des avenants qui les ont prévues.

Source : avis du Conseil d'État n° 407 003 portant sur la sécurisation des mesures permettant d'assurer une meilleure prise en compte de l'intérêt public dans l'équilibre des contrats de concession autoroutière

Sur cette question du caractère excessif ou non de la rentabilité des concessions, comme décrit dans les développements supra, du point de vue de l'ART, qui raisonne à partir de l'analyse des TRI projet, l'amélioration de la rentabilité prévisionnelle des sociétés d'autoroutes qu'elle anticipe, n'est « pas excessive » au sens où elle « apparaît compatible avec les aléas normaux d'une concession ».

Au-delà du risque juridique, l'avis du Conseil d'État souligne que d'un point de vue pratique, en raison des opérations lourdes relatives aux procédures de fin des concessions, et accessoirement du retard pris par l'État en la matière56(*), une résiliation anticipée des contrats de concession serait très compliquée au regard de la période qui nous sépare de l'expiration des différents contrats. Dans son avis, le Conseil d'État rappelle ainsi « qu'une décision de résiliation unilatérale est un acte qui, eu égard à l'intérêt qui s'attache à la continuité du service public et à sa bonne exécution, requiert une préparation sérieuse ». Il ajoute qu'elle « implique que le concédant ait déjà envisagé l'organisation future du service public et qu'il en ait défini le modèle », ce qui est encore loin d'être le cas.

Eu égard à « l'évaluation du temps nécessaire à ces travaux de préparation » et de l'expiration prochaine des concessions, le Conseil d'État invitait ainsi l'État à « s'interroger sur la portée utile d'une décision de résiliation ».

D'un point de vue purement pratique, compte-tenu de l'impréparation de l'État, une résiliation anticipée serait extrêmement compliquée à mettre en oeuvre d'après le Conseil d'État

26. Le Conseil d'État attire l'attention du Gouvernement sur le fait qu'une décision de résiliation unilatérale est un acte qui, eu égard à l'intérêt qui s'attache à la continuité du service public et à sa bonne exécution, requiert une préparation sérieuse qui doit être menée avec rigueur. Il va de soi qu'une résiliation mettant, de manière anticipée, fin à un contrat de concession implique que le concédant ait déjà envisagé l'organisation future du service public et qu'il en ait défini le modèle. Les délais de préparation d'une éventuelle remise en concurrence sont à prendre en compte, de même que la nécessité de disposer d'un inventaire des biens de retour de l'ensemble des concessions concernées par une telle mesure (...).

28. L'évaluation du temps nécessaire à ces travaux de préparation devrait conduire l'État concédant à s'interroger sur la portée utile d'une décision de résiliation, alors que les concessions d'autoroutes les plus anciennes n'ont plus, à la date du présent avis, qu'une durée résiduelle ne dépassant pas treize ans.

Source : avis du Conseil d'État n° 407 003 portant sur la sécurisation des mesures permettant d'assurer une meilleure prise en compte de l'intérêt public dans l'équilibre des contrats de concession autoroutière

Aussi, le rapporteur estime-t-il que plutôt que d'envisager une très hypothétique fin anticipée des concessions historiques actuelles, il est plus raisonnable et nécessaire de se concentrer sur les procédures à conduire d'ici à leur échéance et sur la définition d'un nouveau modèle de gestion des autoroutes57(*) en s'appuyant notamment sur les études prévisionnelles qui laissent à penser que la rentabilité de certaines sociétés d'autoroutes sera nettement plus élevée que les anticipations d'origine.

III. L'ÉTAT A ÉGALEMENT BÉNÉFICIÉ DE L'AUGMENTATION DU CHIFFRE D'AFFAIRES DES AUTOROUTES

A. LA PROGRESSION IMPORTANTE DU CHIFFRE D'AFFAIRES DES AUTOROUTES A ÉGALEMENT BÉNÉFICIÉ À L'ÉTAT

Entre 2001 et 2022, le chiffre d'affaires réalisé par les concessions d'autoroutes a plus que doublé, passant de 5 milliards d'euros à plus de 11 milliards d'euros. Il est à noter que cette évolution prend en compte à la fois la croissance du trafic, l'évolution annuelle des tarifs de péage ainsi que la croissance du linéaire du réseau concédé, passé de 7 300 kilomètres en 2001 à 9 240 kilomètres en 2022.

Chiffre d'affaires des sociétés concessionnaires d'autoroutes (2001-2022)

(en millions d'euros)

Source : réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur

En étudiant plus finement l'évolution du chiffre d'affaires des autoroutes depuis 30 ans on constate que la hausse des recettes des péages par véhicule-kilomètre atteint 80 %, soit une augmentation deux fois plus rapide que celle de l'indice des prix à la consommation. Si l'on conjugue cette hausse avec celle du trafic, c'est-à-dire en multipliant l'augmentation des volumes (le trafic) par celle des prix (les péages), on observe une progression de 150 % du chiffre d'affaires par 100 kilomètres de réseau.

Évolution du chiffre d'affaires des sociétés concessionnaires d'autoroutes (1991-2021)

CA/V.km : chiffre d'affaires par véhicule-kilomètre

CAMI€/100km de réseau : chiffre d'affaires en millions d'euros par 100 kilomètres de réseau

Source : revue transports-infrastructures et mobilité (TI&M) n° 542, novembre-décembre 2023

Cette augmentation du chiffre d'affaires par kilomètre de réseau a bénéficié aux sociétés concessionnaires mais également à l'État qui prélève à travers la fiscalité environ 36 % du montant des péages. C'est notamment l'analyse de M. Yves Crozet, économiste des transports, qui considère que la privatisation a pu favoriser la hausse des péages et, par voie de conséquence, du chiffre d'affaires réalisé par le secteur autoroutier concédé : « compte tenu de l'inflation, c'est-à-dire en euro constant, il est notable que le prix du péage par véhicule-kilomètre ait progressé un peu plus vite après 2005 que de 1991 à 2005. La privatisation a incité les acteurs, le concédant autant que les concessionnaires à profiter de la faible élasticité-prix de la demande pour accroître le chiffre d'affaires par kilomètre de réseau ».

B. À TRAVERS LA FISCALITÉ, L'ÉTAT PRÉLÈVE CHAQUE ANNÉE ENVIRON 36 % DU CHIFFRE D'AFFAIRES RÉALISÉ PAR LES AUTOROUTES

À travers un ensemble de taxes, spécifiques ou non spécifiques au secteur, l'État perçoit chaque année environ 36 % du chiffre d'affaires (et donc des péages) réalisé par les autoroutes concédées.

Répartition de 10 euros de péages

Source : Association des sociétés françaises d'autoroutes (chiffres clés 2023)

La fiscalité appliquée au secteur autoroutier, spécifique ou générale, représente ainsi en moyenne entre 4 et 5 milliards d'euros par an.

1. 1,2 milliard d'euros annuels de fiscalité spécifique

Les sociétés d'autoroutes sont aujourd'hui soumises à une taxe spécifique, la taxe sur la distance parcourue sur le réseau autoroutier concédé, ou taxe d'aménagement du territoire (TAT). Par ailleurs, les sociétés d'autoroutes versent également à l'État une redevance domaniale et devraient s'acquitter d'une contribution volontaire exceptionnelle affectées à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France).

a) 750 millions d'euros au titre de la taxe sur la distance parcourue sur le réseau autoroutier concédé

La taxe sur la distance parcourue sur le réseau autoroutier concédé, ou taxe d'aménagement du territoire (TAT)58(*) est prévue par l'article L. 421-175 du code des impositions sur les biens et services. Son fait générateur est constitué par la réalisation d'un trajet par un usager sur une autoroute concédée (article L.  421-176 du même code). Cette taxe est due par les sociétés d'autoroutes à raison du nombre de kilomètres parcourus par les usagers. D'après les prévisions établies en loi de finances initiale pour 2024, le rendement de la taxe sur la distance parcourue sur le réseau autoroutier concédé pourrait atteindre 751 millions d'euros en 2024.

Rendement annuel de la taxe sur la distance parcourue
sur le réseau autoroutier concédé depuis 2006

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Jusqu'à un plafond défini chaque année en loi de finances, et stable à 567 millions d'euros depuis quatre ans, le produit de cette taxe est affecté à l'AFIT France.

b) Une redevance domaniale pour un produit d'environ 400 millions d'euros par an

L'article R. 122-48 du code de la voirie routière prévoit que les sociétés d'autoroutes versent annuellement à l'État une redevance pour occupation du domaine publique. Assis sur le chiffre d'affaires de l'année précédente, le produit de cette redevance domaniale avoisine les 400 millions d'euros.

Évolution de la redevance domaniale (2016-2023)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'AFIT FRANCE

c) Une contribution volontaire exceptionnelle à l'AFIT France que les SCA refusent de verser depuis 2021 en raison du conflit qui les oppose à l'État au sujet de l'indexation partielle de la TAT sur l'inflation

Dans le cadre du protocole d'accord le 9 avril 2015 entre elles et l'État, les sociétés d'autoroutes se sont engagées à verser une contribution volontaire exceptionnelle pour un montant total de 1,2 milliard d'euros courants sur la durée des concessions, soit 60 millions d'euros par an.

Cependant, depuis 2021, les SCA, engagées dans un contentieux avec l'État au sujet de l'indexation partielle de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) sur l'inflation, refusent de s'acquitter de leur contribution annuelle de 60 millions d'euros due à l'AFIT France. Depuis quatre ans, en raison de cette situation, l'AFIT France a déjà dû faire face à un déficit de recettes cumulé de 240 millions d'euros.

2. Environ 3,5 milliards d'euros par an de fiscalité générale

Les sociétés d'autoroutes sont assujetties au droit commun de l'impôt sur les sociétés (IS) pour environ 1 milliard d'euros par an. Si elles ont été soumises à des contributions exceptionnelles entre 2011 et 2017, la réduction du taux d'IS de 33,3 % à 25 % pourrait améliorer l'équilibre des contrats de concessions d'environ 8 milliards d'euros d'après l'ART (voir supra). Par ailleurs, les sociétés d'autoroutes bénéficient d'une déduction illimitée de leurs intérêts d'emprunt. La commission d'enquête sénatoriale notait en 2020, que « compte-tenu du poids de leur endettement, cette disposition est particulièrement avantageuse pour les sociétés concessionnaires d'autoroutes historiques ».

La TVA prélevée sur les péages autoroutiers et collectée par les sociétés d'autoroutes (qui n'en sont pas redevables) équivaudrait quant-à-elle à environ 2 milliards d'euros par an.

Enfin, depuis cette année, les sociétés d'autoroutes sont redevables d'une nouvelle taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance, crée par l'article 100 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 et qui, selon les estimations, pourrait peser à hauteur d'environ 450 millions d'euros sur le secteur autoroutier.

IV. LES FAIBLESSES DES CONTRATS HISTORIQUES NE DOIVENT PAS FAIRE OUBLIER LES ATOUTS DU MODÈLE CONCESSIF

A. LES DÉFAUTS DES CONTRATS HISTORIQUES NE DISQUALIFIENT PAS LE MODÈLE CONCESSIF EN LUI-MÊME

Les contrats de concessions historiques présentent de nombreux défauts. Leurs clauses ne sont pas suffisamment protectrices des intérêts publics et leurs modifications successives se sont fondées sur des paramétrages économiques et financiers défavorables à l'État concédant ainsi qu'aux usagers. Aucun suivi sérieux et aucun encadrement véritable de la rentabilité des concessions autoroutières historiques n'a été mis en oeuvre ce qui se traduira très vraisemblablement, pour certaines d'entre elles, par des taux de rentabilité effectif sensiblement supérieurs à ceux qui résultaient des plans d'affaires initiaux et des niveaux de rémunération raisonnable estimés par l'administration au moment de la privatisation de 2006.

Le rapporteur tient néanmoins à souligner que tous ces défauts ne disqualifient pas pour autant le modèle concessif en lui-même. Ces lacunes qui sont à juste titre mises en exergue ne doivent pas faire oublier les atouts et les réalisations du modèle concessif en France en matière autoroutière comme dans d'autres champs.

B. LE MODÈLE CONCESSIF REPOSE SUR DES PRINCIPES ÉCONOMIQUEMENT RATIONNELS

Le modèle concessif a permis de construire en quelques dizaines d'années un des réseaux autoroutiers les plus vastes et les plus denses au monde59(*). Ce premier résultat objectif et concret mérite d'être rappelé en préambule.

Par ailleurs plusieurs caractéristiques inhérentes au modèle de la concession reposent sur des principes dont les fondements apparaissent économiquement rationnels.

Le premier de ces principes est celui de la logique « d'utilisateur-payeur » à travers le financement du réseau autoroutier via la tarification des usagers au moyen de péages. Si cette caractéristique n'est pas exclusive au seul modèle concessif, elle lui est inhérente. Une concession autoroutière, qui suppose le transfert au concessionnaire du risque d'exploitation, ne pourrait fonctionner sans un système de tarification des usagers.

Ce principe de financement revêt une indéniable légitimité dans la mesure où seuls les usagers des autoroutes, et non les deniers publics, c'est à dire l'ensemble des contribuables, financent celles-ci. Au contraire, comme décrit supra, le modèle concessif en matière d'autoroutes génère même des recettes publiques significatives, à hauteur d'environ 5 milliards d'euros par an.

Le système de financement par péage se justifie d'autant plus pour un pays comme la France, à la fois carrefour géographique incontournable pour le transport routier de marchandises en Europe de l'Ouest et pôle d'attractivité touristique international. Ainsi, poids lourds comme véhicules légers, de très nombreux étrangers utilisent chaque année le réseau autoroutier français. Il apparaît très rationnel économiquement de les faire contribuer au financement de l'entretien de ce réseau plutôt que de faire uniquement reposer les investissements autoroutiers sur les contribuables français. À titre d'exemple, on estime aujourd'hui qu'environ 30 % des péages autoroutiers en France sont acquittés par des poids lourds étrangers. Au-delà même du fait qu'il est économiquement parfaitement légitime que ces usagers contribuent aussi à l'entretien du réseau, pour le rapporteur, il serait tout à fait irrationnel de se passer d'une telle manne, en particulier dans l'état actuel de nos finances publiques.

Cette logique de financement par l'usager est également très vertueuse au sens où elle participe à sécuriser les investissements d'entretien du réseau et donc la qualité de ce dernier (voir infra).

Par ailleurs, le financement par l'usager présente un autre avantage loin d'être négligeable. Il contribue à rationaliser les décisions d'investissements. En effet, en théorie, comme l'a souligné l'ART auprès du rapporteur, les choix d'investissements portant sur le réseau autoroutier concédé doivent être « encadrés par l'intérêt qu'ils présentent pour les usagers, leurs coûts et la propension à payer de ces derniers »60(*).

Le principe du modèle concessif a aussi cela de vertueux qu'il permet de mobiliser des financements privés pour réaliser des investissements d'intérêt général et construire des infrastructures qui seront ensuite remises à l'État gratuitement et font partie du patrimoine public.

Par ailleurs, le système de concession permet à la personne publique de transférer à des opérateurs privés certains risques et leurs potentielles conséquences financières défavorables. Même si ce transfert doit être optimisé dans son périmètre, rémunéré à sa juste valeur et encadré pour ne pas conduire à léser l'État et les usagers, il peut permettre de faire assurer aux concessionnaires des risques qu'ils sont plus à même de maîtriser que ne peuvent l'être les personnes publiques. Par ailleurs ces transferts de risque sont vecteurs d'incitations à la performance pour les concessionnaires encouragés à améliorer leur niveau de service et à réaliser des gains de productivité pour améliorer leur rentabilité. Dans ces conditions, le coût global de ces risques pour la collectivité peut s'en trouver réduit, ce qui se traduit par une augmentation nette du « bien-être » collectif au sens économique.

C. LA SÉCURISATION DES FINANCEMENTS PERMET À LA FRANCE DE DISPOSER D'UN RÉSEAU AUTOROUTIER PARMI LES MIEUX ENTRETENUS AU MONDE

Le modèle de financement par les usagers présente également le grand avantage de sanctuariser les investissements nécessaires à l'entretien du réseau autoroutier concédé. En effet, contrairement à la situation qui prévaut pour le réseau routier non concédé, ces derniers ne sont pas soumis aux aléas des décisions budgétaires des pouvoirs publics ni affectés par des arbitrages entre priorités politiques et autres mesures générales d'économies visant à maîtriser le déficit public de façon globale. Il résulte de ce contexte une situation très paradoxale, celle d'un décalage abyssal entre d'un côté le très bon état du réseau autoroutier concédé et de l'autre la dégradation du réseau routier non concédé qui souffre d'un déficit de financement structurel et historique.

De façon unanime, les observateurs s'accordent à considérer que le réseau autoroutier concédé national est l'un des mieux entretenus en Europe et même dans le monde. L'ancien président de l'ART M. Bernard Roman a ainsi indiqué au rapporteur lors de son audition être convaincu que le réseau autoroutier français est aujourd'hui « le meilleur d'Europe et sans doute l'un des meilleurs aux mondes ».

En s'appuyant sur les indicateurs de suivi de l'état courant des infrastructures, la DGITM note que « le patrimoine du réseau routier national concédé à date peut être qualifié en bon état d'entretien général : avec moins de 3 % des ouvrages présentant des désordres atteignant la structure porteuse et l'état de surface des chaussées reste excellent avec maximum 1 % dont le niveau de service est en voie de dégradation. Cet état est par ailleurs sur une trajectoire d'amélioration »61(*).

Partant de ce constat, il a souligné à quel point il était « inacceptable » d'avoir d'un côté les 9 000 km les mieux entretenus en Europe et de l'autre, un réseau routier non concédé très dégradé. Il a notamment observé que depuis 2006, par kilomètre, les dépenses d'entretien sur le réseau autoroutier concédé ont été 5 fois plus importantes que celles réalisées sur le réseau routier non concédé.

Dans le rapport budgétaire qu'il a présenté à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 202462(*), le rapporteur s'était ému de l'insuffisance des investissements dans les opérations d'entretien d'un réseau routier national non concédé, engagé dans une « spirale de dégradation ». Il avait alors manifesté sa plus vive « préoccupation quant aux perspectives d'évolution de l'état du réseau routier national non concédé ». Au cours d'échanges avec le rapporteur, la DGITM avait reconnu que cet enjeu constituait aujourd'hui l'une des fragilités les plus manifestes et les plus inquiétantes des infrastructures de transport en France.

D. LES NOUVELLES CONCESSIONS AUTOROUTIÈRES ONT CORRIGÉ CERTAINS DES PRINCIPAUX DÉFAUTS DES CONTRATS HISTORIQUES

Le rapporteur a pu constater à quel point les clauses des contrats des nouvelles concessions se distinguaient de celles contenues dans les contrats historiques. Les contrats des nouvelles concessions apparaissent comme nettement plus protecteurs des intérêts du concédant et des usagers. Entre autres, ils prévoient divers dispositifs permettant de réellement encadrer la rentabilité des concessionnaires. Ces contrats intègrent par ailleurs d'emblée les enjeux relatifs à l'échéance des concessions.

Dans ses réponses écrites au questionnaire du rapporteur, l'ART a insisté sur le chemin parcouru entre les contrats des concessions historiques et ceux qui ont été négociés dans le cadre des concessions créées plus récemment : « dans le détail de leur mise en oeuvre, les contrats de concession ont d'ores et déjà largement évolué pour prendre en compte le retour d'expérience sur le modèle concessif. Par exemple, ils fixent des objectifs en matière de qualité de service, entre autres sur l'attente aux gares de péage, la gestion de la viabilité hivernale, ou encore les délais de dépannage, et prévoient des pénalités dans le cas où ces objectifs ne sont pas atteints. Dans le dernier contrat de concession signé, celui portant sur l'autoroute A69, figure également une annexe définissant exhaustivement le bon état de retour de l'infrastructure : elle permettra d'éviter toute difficulté à ce sujet en fin de de concession ».

Cette capacité qu'a eu le modèle concessif à évoluer et à s'améliorer à travers ces nouvelles concessions est également à mettre à son crédit. Les reproches légitimes faits aux contrats historiques ne doivent pas conduire à omettre ces évolutions positives.

1. Un véritable encadrement de la rentabilité des concessions

Les clauses visant à encadrer la rentabilité des concessionnaires sur la durée d'application du contrat peuvent se décliner en quatre catégories.

La plupart des contrats récents prévoient ainsi des clauses de partage des gains d'exploitation dites « de partage des fruits de la concession ». Ces mécanismes peuvent conduire au reversement par le concessionnaire d'une redevance dans l'hypothèse où le chiffre d'affaires cumulé de la concession dépasserait un certain seuil situé à un niveau supérieur à l'évaluation prévisionnelle d'origine déterminée lors de la mise en concurrence. Le contrat prévoit alors une clé de partage progressive des gains réalisés en fonction de l'ampleur du dépassement du seuil. La DGITM souligne que l'intérêt de ce mécanisme est de « limiter la profitabilité que pourrait générer un niveau de recettes significativement supérieur aux prévisions du concessionnaire au moment de la remise de son offre »63(*).

Des clauses de « partage des gains de refinancement » prévoient que le gain résultant d'un refinancement de la dette du concessionnaire soit partagé entre celui-ci et l'État concédant. Ces mécanismes permettent à l'État concédant de bénéficier d'une partie du gain issu d'un refinancement de la dette du projet dans le cas où les conditions de financement auraient évolué favorablement.

Le rapporteur note qu'au regard de la longue période de taux d'intérêt très bas dont elles ont pu bénéficier, de telles clauses auraient vraisemblablement nettement réduit la rentabilité des concessions historiques. Dans ce type de dispositifs, les gains issus du refinancement sont calculés en comparant la dernière version du modèle financier avant le refinancement avec le modèle mis à jour suite au refinancement. À défaut d'accord particulier entre les parties sur le partage du gain de refinancement, celui-ci est réalisé par application d'une formule prévue au contrat. Le rapporteur a pu constater qu'une telle clause a notamment été activé dans le cadre de la concession de l'autoroute A63 opérée par la société Atlandes. En effet, à l'occasion du refinancement d'Atlandes en 2015, le gain résultant de la baisse des taux d'intérêt a été partagé avec l'État qui a pu encaisser 247 millions d'euros dans cette opération.

Les nouveaux contrats prévoient aussi des clauses de modération tarifaire dites de « péages endogènes » qui peuvent se substituer aux clauses « partage des fruits de la concession » ou de « partage des gains de refinancement » et sont activées dans les mêmes conditions pour des effets équivalents au bénéfice des utilisateurs.

Les cahiers des charges des concessions récentes peuvent enfin inclure des clauses de réduction de la durée des concessions dites « de durée endogène ». À travers ce type de dispositifs, la concession pourrait prendre fin de façon anticipée si le chiffre d'affaires effectif cumulé dépassait un certain seuil. Ce seuil de chiffre d'affaires cumulé est établi au moment de la remise de l'offre du candidat sur la base d'une « surperformance » en général de l'ordre de 10 % par rapport au plan d'affaires qu'il a proposé.

Par ailleurs, la formulation des clauses dites de « stabilité du paysage fiscal » des nouvelles concessions est plus souple que celle de l'article 32 des contrats historiques tel qu'il a été révisé en 2015. Pour les nouveaux contrats, le droit à compensation n'est pas inconditionnel. Il ne vaut que dans l'hypothèse où l'évolution des prélèvements spécifiques au concessionnaire a conduit à dégrader de façon « substantielle » l'équilibre économique et financier de la concession.

2. Des procédures de fin des concessions protectrices des intérêts patrimoniaux de l'État définies clairement dès l'origine

Les contrats de concession les plus récents ont remédié à l'une des principales lacunes des contrats historiques. Alors que ces derniers éludaient très largement les enjeux et procédures liées à la fin des concessions, les nouveaux contrats sont beaucoup plus précis et nettement plus protecteurs pour l'État concédant dans ce domaine.

Les contrats les plus récents définissent la doctrine de « bon état d'entretien » des biens de retour qui reviendront gratuitement à l'État en fin de concession. Ils décrivent précisément les différentes étapes du processus, leur déroulement ou encore les différents documents qui doivent être produits par le concessionnaire. Les responsabilités du concédant et du concessionnaire sont clairement définies.

En outre, dans ces nouveaux contrats, au-delà d'être précisément définies, les clauses relatives à la procédure de fin des concessions apparaissent comme très protectrices des intérêts de l'État concédant.

Il en va ainsi par exemple des règles relatives à la garantie financière que doit constituer le concessionnaire après la notification par l'État du programme d'investissement de fin de concession. En effet, afin d'assurer la réalisation effective des travaux notifiés dans le cadre de ce programme, les contrats exigent que le concessionnaire constitue une garantie. Dans les contrats les plus récents, la garantie financière doit être constituée dans les deux mois qui suivent l'établissement du programme d'investissements et son montant correspond au coût prévisionnel des travaux majoré de 20 %. Si jamais le concessionnaire n'exécute par l'ensemble des travaux requis par le programme, l'État concédant procède à des levées de cette garantie. Par ailleurs, comme le soulignait l'ART en 2020 dans la première édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières64(*), si ce montant s'avérait insuffisant pour faire réaliser les travaux, en vertu des contrats les plus récents, l'État concédant serait en droit d'exiger une contribution complémentaire du concessionnaire : « l'article des cahiers des charges relatif aux garanties a été renforcé sur plusieurs aspects au gré de la conclusion de nouveaux contrats de concession. Ainsi, les cahiers des charges de la plupart des sociétés récentes prévoient expressément que l'appel des garanties ne limite pas le recours du concédant à l'égard du concessionnaire si les garanties s'avéraient insuffisantes pour couvrir les sommes dues par le concessionnaire pour la réalisation des travaux. Il prévoit aussi que le concessionnaire reconstitue la garantie sans délai à son montant initial en cas d'appel total ou partiel de celle-ci ».

Dans ce même rapport, l'ART soulignait les très lourdes sanctions auxquelles s'exposeraient les sociétés concessionnaires d'autoroutes qui enfreindraient les clauses des contrats récents liées aux garanties financières : « les cahiers des charges de la plupart des sociétés récentes prévoient que, si le concessionnaire ne produit pas ou ne maintient pas ladite garantie, il encourt la déchéance sans pouvoir prétendre au bénéfice d'aucune indemnité ».

Pour que l'État concédant dispose du temps nécessaire pour s'assurer que le programme d'investissements a bien été réalisé dans son intégralité, les contrats récents prévoient que les travaux dudit programme doivent être achevés au plus tard un an avant l'expiration de la concession.

En outre, afin de garantir la bonne exécution de la procédure de renouvellement de la concession et pour favoriser la transition avec un éventuel nouveau concédant, les contrats les plus récents prévoient aussi que, deux ans avant la fin de la concession, le concessionnaire remette au concédant un « dossier de fin de concession ». Celui-ci doit « décrire la consistance et l'étendue de l'ensemble des ouvrages, équipements, emprises constituant l'autoroute », et « retracer l'historique de la gestion de l'autoroute et de l'exécution du contrat, à la fois sur les plans technique, financier et contractuel, de façon à permettre à un nouveau gestionnaire d'exploiter, de maintenir et d'entretenir l'autoroute sans difficulté particulière à l'issue du contrat de concession »65(*). Cette transmission d'informations sur la gestion des infrastructures des concessions concernées est absolument essentielle pour réduire l'asymétrie d'information qui existe, au moment du renouvellement de ces concessions, entre d'une part le concédant en place et d'autre par l'État ainsi que d'autres prétendants éventuels à leur reprise.

À contrario, l'ART mettait en garde en 2020 l'État concédant sur le fait que les contrats historiques ne prévoyaient rien en termes de transfert de données et que ce sujet devrait faire l'objet d'une attention toute particulière dans le cadre des procédures d'expiration des concessions concernées : « si ces précisions dans les contrats les plus récents sont favorables au concédant, il n'en demeure pas moins que les premiers contrats, dont l'échéance interviendra entre 2031 et 2036 et qui constituent la majeure partie du réseau autoroutier concédé, ne comportent pas de dispositions ayant vocation à faciliter la transition vers un nouveau gestionnaire. Il appartiendra donc au concédant d'être vigilant et de s'assurer en temps utile que toutes les informations nécessaires à la bonne reprise de l'exploitation par un nouvel opérateur sont en sa possession, quel que soit le mode de gestion retenu ».

Le rapporteur tient à souligner que par principe, et cela vaut également et peut-être surtout pour les développements qui vont suivre concernant la fin des concessions historiques et les enjeux considérables qu'ils recouvrent, les avis et recommandations de l'ART doivent servir de base à l'approche de l'État concédant.

DEUXIÈME PARTIE

L'ÉCHÉANCE DES CONCESSIONS HISTORIQUES : L'ÉTAT DANS UNE POSITION DÉLICATE

Les sept concessions historiques, qui représentent plus de 90 % du réseau autoroutier concédé en France, vont expirer entre 2031 et 2036.

Durée et échéance des principales concessions autoroutières en France

Les sept concessions historiques qui représentent plus de 90 % du réseau autoroutier concédé et arrivent à échéance entre 2031 et 2036 sont représentées en bleu foncé.

Source : revue transports-infrastructures et mobilité (TI&M) n° 542, novembre-décembre 2023

Cette perspective représente des enjeux financiers considérables pour l'État concédant et plus largement pour le patrimoine public. En effet, alors que la valeur du patrimoine autoroutier concédé est estimée à 194 milliards d'euros, à l'expiration de leurs contrats, les concessionnaires doivent remettre gratuitement à l'État les infrastructures composant le réseau de leurs concessions respectives en « bon état d'entretien » et libres de dettes.

Dans une telle perspective, l'ensemble des procédures nécessaires à assurer la préservation des intérêts patrimoniaux de l'État concédant aurait exigé une anticipation d'au moins dix ans. De façon regrettable, parce que les contrats historiques étaient étonnamment muets sur ces procédures de fin de concession et parce que l'État a pris trop de retard sur le sujet, ce dernier se trouve aujourd'hui dans une situation délicate, sous la pression d'échéances très contraignantes. Cette situation tend à fragiliser l'État concédant dans sa relation avec les sociétés d'autoroutes au cours d'une phase de la vie des contrats qui s'avère pourtant cruciale.

En juin 202366(*), l'ART remarquait ainsi que « l'un des principaux enjeux de la fin des contrats de concession autoroutiers qui doit intervenir entre 2031 et 2036 est de s'assurer que le concédant récupère l'infrastructure en bon état. Tous les contrats de concession imposent au concessionnaire de remettre au concédant l'infrastructure en « bon état » à la fin de la concession. La période qui s'ouvre s'annonce comme une phase sensible, car les dépenses de remise en état pourraient représenter des montants importants et les SCA pourraient être peu enclines à les réaliser compte tenu du faible bénéfice qu'elles peuvent espérer tirer d'investissements effectués en fin de contrat ».

I. L'ENJEU CLÉ DE LA DÉFINITION DU « BON ÉTAT » DES BIENS DE RETOUR

A. LE « BON ÉTAT » DES BIENS DE RETOURS, UN ENJEU MAJEUR INSUFFISAMMENT ANTICIPÉ

1. Une notion non définie dans les contrats historiques susceptible de recouvrir des acceptions très différentes

À l'expiration d'une concession autoroutière, les « biens de retours » qui composent la quasi-intégralité du patrimoine de la concession reviennent à l'État à titre gratuit. Dans cette perspective, les contrats prévoient que le concessionnaire supporte à ses frais exclusifs tous les investissements nécessaires à la remise des biens de retour en « bon état d'entretien » à la fin de la concession. Les contrats historiques prévoient ainsi à leur article 37 que les concessionnaires doivent remettre à l'État concédant les biens de retour de la concession « en bon état d'entretien ». Les contrats des concessions historiques se limitaient à cette expression sibylline sans lui donner de définition. Dans la première édition de son rapport sur l'économie des concessions d'autoroutes67(*), l'ART indiquait ainsi que « si les cahiers des charges prévoient le retour des biens en « bon état d'entretien », ils n'apportent en revanche pas d'éléments permettant d'apprécier concrètement le « bon état » des biens de la concession ».

Or, l'autorité de régulation a aussi souligné dans ses rapports que le « bon état » des biens de retour à l'expiration de la concession pouvait revêtir plusieurs acceptions. L'autorité a ainsi mis en évidence qu'il existait potentiellement quatre définitions possibles de cette notion de « bon état » pouvant être classées dans l'ordre suivant allant de la moins exigeante à la plus exigeante :

- Premièrement, le « bon état courant » est celui que le concessionnaire doit garantir au quotidien afin que l'usage de la route soit sûr. Il s'appuie sur les indicateurs de qualité actuellement suivis au cours de l'exploitation de la concession. Comme précisé dans les développements infra, cette définition qui ne prend pas en compte certains défauts qui affectent la structure des biens de retours, ne permet pas d'évaluer la pérennité des infrastructures de la concession. Une telle définition, insuffisamment exigeante, nuirait aux intérêts patrimoniaux de l'État. L'ART considère ainsi qu'elle doit absolument être écartée : « il ne serait donc pas approprié de fonder la définition du « bon état » en fin de concession sur le niveau des indicateurs suivis contractuellement en phase d'exploitation »68(*).

- Deuxièmement, le « bon état optimisé » est celui qui permet de minimiser, sur longue période, les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs de qualité de service retenus. Il suppose la définition et la mise en oeuvre tout au long de la vie de la concession d'une stratégie de gestion du patrimoine optimale, prenant la forme de « trajectoires d'entretien préventif et de renouvellement indépendantes de la date de restitution des biens concédés »69(*). L'ART note que cette définition permettrait d'assurer le maintien en état des infrastructures tout au long de la concession et ne nécessiterait pas de procéder à des travaux complémentaires à l'approche de l'extinction du contrat : « une telle acception du bon état permettrait que les investissements soient maintenus à leur niveau optimal à chaque période, de sorte qu'il n'y ait pas d'effet de rattrapage à l'issue des contrats de concession »70(*). Toutefois, la définition et la mise en oeuvre d'une telle stratégie de gestion patrimoniale n'ayant pas été réalisée pour les contrats autoroutiers historiques, cette définition du « bon état » en fin de concession n'est plus envisageable pour ces concessions ;

- Troisièmement, le « bon état parfaitement objectivé » est celui qui est défini à partir de critères objectifs spécifiquement conçus pour caractériser l'état des infrastructures à l'expiration des contrats de concessions. Compte-tenu des dispositions lacunaires qui figurent dans les contrats historiques et pour assurer une protection suffisante des intérêts patrimoniaux de l'État concédant, l'ART estime que cette définition est la seule qui puisse désormais être appliquée dans le cadre de ces concessions. Elle suppose toutefois la définition précise d'indicateurs techniques spécifiques, d'une doctrine et la fixation de cibles attendues pour chaque type de biens.

- Quatrièmement, « l'état neuf » serait pour l'ART, « théoriquement concevable mais générerait des coûts disproportionnés et dégraderait excessivement la disponibilité des infrastructures en fin de contrat »71(*).

2. Un enjeu crucial de la fin des concessions insuffisamment anticipé

En 2020, dans la première édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières, l'ART avait alerté les autorités sur l'aspect absolument crucial de l'enjeu de la définition de la doctrine de « bon état » des biens de retour. Elle insistait sur le fait que les sociétés concessionnaires ne seraient pas naturellement incitées à réaliser les investissements nécessaires et que seule une appréciation exigeante de la notion de « bon état » des biens de retours en fin de concession serait de nature à préserver les intérêts patrimoniaux de l'État : « cette période s'annonce donc comme une phase sensible, nécessitant une grande vigilance de la part du concédant : en effet, ces dépenses de remise en bon état des biens de retour pourraient représenter des montants importants, et les SCA pourraient être particulièrement peu enclines à les réaliser compte tenu du faible bénéfice qu'elles peuvent espérer tirer d'investissements effectués en fin de contrat. Par ailleurs, l'incertitude pour le concessionnaire en place de se voir réattribuer la concession après remise en concurrence (...) réduisent l'incitation pour le concessionnaire à réaliser des investissements tendant à améliorer l'état de l'infrastructure ».

Aussi, en 2020, l'ART appelait-elle l'État concédant à clarifier d'urgence l'acceptation qu'il entendait donner à la notion du « bon état » des biens de retours pour les concessions historiques : « afin de limiter à la fois la part de subjectivité inhérente à l'exercice et les risques de désaccords lors de l'établissement du programme d'entretien et de renouvellement lors des dernières années de la concession, il paraît important qu'une doctrine relative à l'appréciation du bon état des biens en fin de concession dans le secteur autoroutier puisse être établie très prochainement ».

Toujours en 2020, la commission d'enquête sénatoriale regrettait le retard pris par l'État concédant et, compte-tenu de l'approche de l'expiration des premières concessions historiques, insistait-elle aussi sur l'urgence à établir « une doctrine précisant les critères techniques du bon état dans lequel doivent être restitués les biens de retour ». À cette époque, la DGITM indiquait n'être qu'en phase d'élaboration d'une stratégie et d'un plan d'action en la matière.

Alors que l'ART estimait nécessaire que la doctrine de « bon état » des biens de retour soit fixée au plus tard dix ans avant l'expiration des contrats, ce délai n'a d'ores et déjà pas été tenu pour les concessions arrivant à échéances dans la première moitié de la décennie 2030. L'autorité avait notamment rappelé la nécessité de tenir ces délais dans son avis du 26 juillet 2022 sur le treizième avenant au contrat de la société SAPN72(*)  : « l'autorité estime que la définition du bon état en fin de concession devrait être stabilisée au minimum 3 ans avant la fixation du programme d'entretien et de renouvellement des 5 dernières années de concession, qui intervient 7 ans avant l'expiration du contrat, soit au moins 10 ans avant l'échéance des contrats ; en effet, compte tenu de l'importance et de la complexité du patrimoine autoroutier concédé historique, des temps d'étude et de passation des marchés de travaux, mais également de la nécessité de lisser les travaux sur plusieurs années pour éviter des contraintes opérationnelles excessives sur le réseau, au détriment des usagers, il est impératif de disposer d'une période relativement longue pour planifier correctement les opérations de renouvellement ».

La restitution « en bon état » des biens de retours constitue ainsi l'enjeu principal des procédures relatives à la fin des concessions historiques. Sur ce sujet tellement crucial, faute de précision apportée dans les contrats et à en raison du retard accumulé, le rapporteur regrette que l'État se soit retrouvé de son fait presque dos au mur, pressé par les délais nécessaires aux procédures relative à la fin de concessions. La définition de la notion de « bon état » des biens de retours des concessions historiques aurait due être anticipée.

Aujourd'hui, dans ces conditions, comme le souligne aussi l'ART, il constate que la pression du calendrier fait peser le risque de la définition d'une doctrine insuffisamment protectrice des intérêts de l'État actionnaire et, par voie de conséquence, du patrimoine public que constitue les infrastructures autoroutières.

B. UNE BASE JURIDIQUE À CONCRÉTISER PAR LA DÉFINITION D'UNE DOCTRINE EXIGEANTE

Si elles ne précisent pas la notion de « bon état » des biens de retours, les stipulations des contrats historiques, à condition qu'elles soient scrupuleusement appliquées, doivent permettre à l'État de protéger ses intérêts et ceux du patrimoine public des concessions. En effet, selon les contrats c'est au concédant de fixer le niveau d'exigence relatif à l'état de restitution des infrastructures. C'est lui également qui détermine et notifie sept ans avant l'échéance de la concession le programme des travaux qui devront être réalisés par le concessionnaire afin que celui-ci restitue les infrastructures dans l'état attendu.

Si une base contractuelle protectrice des intérêts de l'État concédant existe bel et bien, elle ne pourra être effectivement appliquée qu'à condition que soit défini une doctrine d'appréciation de la notion de « bon état » suffisamment exigeante. C'est l'un des points essentiels sur lesquels l'ART a entendu alerter le rapporteur dans ses réponses écrites : « ces dispositions ne peuvent toutefois être mises en oeuvre que si une définition opérationnelle du « bon état » est précisée. En effet, les contrats sont pratiquement muets sur ce point : jusqu'à récemment, aucune référence à des indicateurs permettant d'objectiver l'état de retour de l'infrastructure n'y figurait ».

Les contrats historiques ne comportaient que des indicateurs permettant de suivre le « bon état » d'exploitation des infrastructures. Or, l'ART a insisté auprès du rapporteur sur le fait qu'il convenait absolument de distinguer cette notion de celle du « bon état » des biens de retours à l'issue de la concession : « seul l'état des actifs en cours d'exécution du contrat était défini, c'est-à-dire celui que le concessionnaire doit garantir au quotidien afin que l'usage de la route soit sûr. La distinction entre l'état en cours d'exécution du contrat et l'état en fin de contrat est essentielle : une chaussée peut être sûre pour un usage courant, mais structurellement fatiguée, si bien qu'elle devrait faire l'objet de travaux rapidement »73(*).

L'autorité avait déjà exposé cette distinction dans son premier rapport sur l'économie des concessions autoroutières en 202074(*) : « si les clauses relatives à la qualité de service et à la préservation des intérêt patrimoniaux de l'État ont pour objet d'éviter la dégradation des biens de la concession en cours d'exploitation, les clauses de reprise des biens et installations en fin de concession ont quant à elles pour but de donner les moyens à l'État, durant les dernières années du contrat, de s'assurer du retour des biens dans son patrimoine dans un bon état d'entretien ».

Pourquoi le « bon état courant » ne garantit pas le « bon état d'entretien » en fin de concession des biens de retour ?

Les indicateurs mesurés contractuellement aujourd'hui ne permettent pas d'évaluer la pérennité du patrimoine.

Ainsi, l'indicateur d'état de surface des chaussées retenu, appelé « IQRA surface », caractérise l'infrastructure en termes de confort et de sécurité des usagers, mais l'identification de défauts en surface ne permet pas de détecter des défauts dans la structure (dont la correction induirait d'importantes dépenses), de même que l'absence de défauts en surface ne garantit pas que la structure n'est pas endommagée.

Du reste, les concessionnaires eux-mêmes s'appuient, pour réaliser leurs missions, sur une gamme d'indicateurs enrichie par rapport à celle qui figure dans les contrats.

Il ne serait donc pas approprié de fonder la définition du « bon état » en fin de concession sur le niveau des indicateurs suivis contractuellement en phase d'exploitation.

Source : Économie des concessions autoroutières, 1ère édition, ART, novembre 2020

L'ART a rappelé au rapporteur que dès 2020, dans ce rapport, elle avait insisté sur l'urgence de procéder à « une définition ambitieuse du bon état de fin de concession pour protéger les intérêts patrimoniaux de l'État ». Comme indiqué dans les développements supra, compte-tenu du laconisme des contrats, cette définition ne pouvait s'inscrire que dans le cadre de l'acception dite du « bon état parfaitement objectivé », supposant la conception d'indicateurs techniques propres à la détermination de l'état réel des infrastructures à l'expiration des concessions historiques puis, sur la base de ces indicateurs, la fixation de cibles exigeantes pour chaque type de biens.

C. DE PREMIÈRES AVANCÉES À CONFIRMER

Depuis 2020, incités notamment à le faire par l'ART et la commission d'enquête du Sénat, les services de l'État ont enfin amorcé avec les sociétés concessionnaires les travaux préalables nécessaires à la définition de la notion de « bon état » des biens de retours.

Conformément aux recommandations de l'ART, la première étape, avant de pouvoir fixer une véritable doctrine en la matière, constituait ainsi à concevoir de nouveaux indicateurs spécifiques pour caractériser l'état des infrastructures dans la perspective de leur remise au concédant à l'issue des concessions. Une fois ces indicateurs déterminés et sur la base de ces derniers, l'étape suivante, la plus importante, est celle de la définition du niveau d'exigence attendu en termes d'état des infrastructures à l'issue des concessions. Ce n'est qu'à travers cette dernière opération que l'État concédant aura fixé sa doctrine en matière de « bon état » des biens de retours.

La première étape de détermination des indicateurs porte sur l'état de trois éléments constitutifs du patrimoine autoroutier : les chaussées, les ouvrages d'art et les équipements.

Les travaux les plus avancés en la matière sont observés dans le domaine relatif à l'état des chaussées. En effet, avec le concours du réseau scientifique et technique du ministère chargé des transports, et en particulier du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), un nouvel indicateur d'état structurel des chaussées (ISTRU) a été développé dans la perspective de l'échéance des concessions. Cet indicateur a vocation à évaluer la structure des chaussées et non seulement leur surface comme celui qui est utilisé actuellement (l'IQRA) pour mesurer leur bon état courant. Son suivi, assorti d'objectifs de qualité sanctionnés, est d'ores et déjà intégré au sein des contrats détenus par les groupes SANEF-SAPN et APRR-AREA.

Concernant les ouvrages d'art, des avancées sont aussi à signaler. L'état structurel des ouvrages d'art est bien suivi au moyen d'un indicateur dédié, l'image de la qualité des ouvrages d'art (IQOA). En outre, entre 2022 et 2023 des modifications ont été apportées à quatre des sept contrats historiques. Elles imposent la régénération d'ici à la fin des concessions de l'ensemble des ouvrages dont la structure est altérée. Cependant, dans ce domaine, un point critique aux enjeux financiers substantiels fait actuellement l'objet de fortes dissensions entre l'État concédant et les sociétés concessionnaires sous le regard attentif du régulateur. Il s'agit de la définition de la doctrine de « bon état » en fin de concession des ouvrages d'art dits « évolutifs », une problématique dont les détails sont décrits dans les développements qui suivent.

Comme le souligne l'ART (voir l'encadré ci-après), les travaux de définition des indicateurs relatifs à l'état des équipements sont moins avancés que ceux concernant les chaussées et les ouvrages d'art. Cette situation peut s'expliquer, d'une part, car les enjeux de ces travaux sont moindres et, d'autre part, en raison de la grande diversité des biens concernés. L'inventaire de l'ensemble de ces équipements constitue par ailleurs en elle-même une opération complexe de longue haleine.

Les travaux de définition des indicateurs relatifs à l'état de fin de concession
des équipements

Concernant les équipements, les travaux sont encore en cours. Il s'agit de biens variés : équipements de signalisation verticale, équipements nécessaires à l'assainissement comme les bassins de décantation, dispositifs de retenue, panneaux à messages variables, etc.

Ces équipements ne sont qu'indirectement suivis dans le cadre de l'exécution courante de la concession, par exemple à travers le respect de la loi sur l'eau ou des normes de sécurité. Dans la plupart des cas, le simple respect des règles de sécurité minimales contraindra les concessionnaires à maintenir des pratiques d'entretien et de maintenance satisfaisantes.

Des travaux complémentaires doivent cependant encore être menés afin de prendre les mesures pertinentes lorsque ce n'est pas le cas. Le recensement de l'existant est un travail nécessaire et difficile : à titre d'illustration, une concession de taille moyenne comme Escota comporte près de 150 000 équipements de toute nature.

Source : réponses de l'ART au questionnaire du rapporteur

Les travaux entamés avec le groupe SANEF-SAPN ont notamment conduit à intégrer dans leurs contrats de concessions, par un avenant daté de janvier 2023, une annexe dédiée à la définition du « bon état » en fin de concession.

Présentation par la DGITM des annexes précisant le « bon état d'entretien »
en fin de concessions

Le travail visant à préciser le « bon état d'entretien » de fin de concession s'est accéléré en 2022 avec l'élaboration d'annexes dédiées ayant vocation à être intégrées dans les contrats de concession par voie d'avenant. Ces annexes ont été intégrées aux derniers avenants des contrats SANEF et SAPN. Des négociations pour donner un cadre contractuel sur la base d'annexes similaires sont en cours avec les autres groupes de sociétés (APRR, AREA, ESCOTA, COFIROUTE et ASF).

Ces annexes sont destinées à objectiver certains critères d'appréciation du bon état de fin de concession (état des chaussées, des ouvrages d'art, ouvrages hydrauliques, dispositifs de retenue, etc.) et à contractualiser la volonté du concédant et du concessionnaire d'aboutir à une définition commune des autres critères d'appréciation de ce bon état dans un délai de 8 ans avant la fin de concession.

Source : réponses de la DGITM au questionnaire du rapporteur

Cette étape était importante, notamment car elle a permis d'acter contractuellement le fait que les indicateurs suivis en cours d'exécution du contrat n'étaient pas suffisants pour caractériser le bon état à l'échéance du contrat. Elle a ainsi intégré pour les chaussées et les ouvrages d'art les nouveaux indicateurs spécifiques visant à apprécier leur état à la fin des concessions.

Toutefois, le rapporteur tient à souligner que si cette avancée est notable, elle ne constitue pas pour autant l'aboutissement du processus de définition de la doctrine relative au « bon état » de fin de concession. À travers la conception des indicateurs, le thermomètre a en quelque sorte été choisi mais il s'agit désormais de déterminer où placer le curseur, c'est à dire quel sera le niveau d'exigence attendu par le concédant au moment de la restitution des biens. Ces travaux, en cours notamment avec le groupe SANEF-SAPN, sont bien entendu les plus critiques puisqu'ils détermineront l'ampleur du programme de travaux à la charge du concessionnaire qui devra être réalisé d'ici à la fin des concessions.

L'ART insiste tout particulièrement sur ce point : « l'annexe ne clôt pas les travaux de définition du bon état : des indicateurs y ont été définis pour les principaux domaines (ouvrages d'art et chaussées), mais les cibles associées aux indicateurs n'ont pas été arrêtées, et pour certains domaines comme celui des aménagements environnementaux, le travail d'objectivation de la notion de bon état ne s'est pas encore concrétisé »75(*).

Sur la question de la définition de la doctrine relative au « bon état » des biens de retours, l'ART a signalé au rapporteur apporter un appui très régulier aux services de l'État concédant, notamment à travers des échanges qui ont lieu en moyenne toutes les six semaines. Dans ce cadre, « les services de l'autorité sont tenus informés de l'avancée des travaux et proposent des axes d'amélioration »76(*). Par ailleurs, à travers divers travaux qu'elle a prévu de publier dans les prochains mois, elle entend contribuer à la transparence des procédures en cours.

Des publications à venir de l'ART ont vocation à appuyer l'État concédant
dans ses négociations avec les SCA et à participer à la transparence
des procédures en cours

L'autorité rendra public un document (« focus ») posant les termes techniques, économiques et juridiques de la fixation des objectifs de bon état en fin de concession : l'Autorité considère en effet qu'au regard des enjeux financiers, les contraintes techniques ne peuvent constituer le seul facteur à prendre en considération pour fixer les objectifs ; en explicitant les arbitrages à réaliser, l'autorité entend fournir un appui au concédant dans la finalisation de sa démarche.

Poursuivant les mêmes objectifs d'éclairage du débat sur l'avenir des autoroutes, l'autorité prévoit également de publier des « focus » sur la question des autres investissements dus par les SCA avant l'échéance de leurs contrats, sur les propriétés souhaitables d'un système de tarification des autoroutes et sur les modalités d'une régulation efficace des éventuels contrats du futur - avec ces publications qu'elle souhaite pédagogiques, l'autorité entend armer le concédant pour les différents arbitrages qu'il devra réaliser.

Source : réponses de l'ART au questionnaire du rapporteur

D. LA REMISE EN ÉTAT DES OUVRAGES D'ARTS « ÉVOLUTIFS » : UNE QUESTION SENSIBLE À AU MOINS UN MILLIARD D'EUROS

L'enjeu principal des discussions qui ont lieu entre l'État et les sociétés d'autoroutes concerne les cibles qui devront caractériser le « bon état » en fin de concessions des ouvrages d'art qualifiés d'évolutifs, c'est-à-dire les ouvrages classés 2E en vertu de l'indicateur de suivi (l'IQOA) dont le système de cotation est précisé dans l'encadré ci-après.

Les différentes classes des ouvrages d'art selon la cotation IQOA

Classe 1 : ouvrage en bon état apparent, avec possibles défauts sans gravité que l'on peut traiter par l'entretien courant ;

Classe 2 : structure porteuse de l'ouvrage en bon état apparent mais dont les équipements ou les éléments de protection présentent des défauts, ou structure présentant des défauts mineurs qui nécessitent un entretien spécialisé sans caractère d'urgence ;

Classe 2E : ouvrage présentant les défauts de la classe 2, mais qui nécessite un entretien spécialisé urgent pour prévenir le développement rapide de désordres dans la structure ;

Classe 3 : ouvrage dont la structure est altérée, et qui nécessite des travaux de réparation sans caractère d'urgence ;

Classe 3U : ouvrage dont la structure est gravement altérée et qui nécessite des travaux de réparation urgents ;

Classe NE : ouvrage non évalué, principalement en raison de parties d'ouvrages non accessibles lors de la dernière visite d'évaluation IQOA.

Source : réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

La particularité de ces ouvrages est que, s'ils ne posent pas de problèmes de sécurité immédiats, ils présentent des pathologies, relatives notamment au phénomène dit de « gonflement des bétons »77(*), susceptibles de se dégrader rapidement et d'altérer leur structure de manière critique. L'ART signale que ces pathologies relèvent par exemple de « fissures en milieu de travée, qui peuvent s'aggraver sous l'effet d'une charge de trafic importante, et, à terme, mettre en péril l'ouvrage »78(*).

La problématique des ouvrages d'art évolutifs est tout sauf anodine. En effet, en 2022 les infrastructures classées 2E représentaient 24,1 % des 12 100 ouvrages d'art du réseau autoroutier concédé, soit environ 2 900. D'après l'ART, les enjeux financiers associés aux travaux nécessaires à la remise en état des ouvrages d'art évolutifs représenteraient au moins un milliard d'euros.

Les principes généraux relatifs à la doctrine du bon état en fin de concession des ouvrages d'art sont clairs s'agissant des infrastructures classées 1 et 2, qui n'auront pas à faire l'objet de travaux spécifiques en prévision de leur remise au concédant, ainsi que des infrastructures classées 3 et 3U qui, quant à elles, devront faire l'objet de travaux. Le traitement des ouvrages d'art classés 2E reste quant à lui au coeur des enjeux. Pour éclairer cette question, le Cerema a réalisé un travail visant à aboutir à une sous-classification des ouvrages d'art évolutifs, distinguant différentes catégories d'infrastructures et les types de travaux d'entretien requis.

La position de l'ART est la suivante : « une lecture exigeante des contrats devrait permettre » que l'essentiel voire la totalité des ouvrages évolutifs soient traités d'ici à la fin des concessions »79(*).

Très hostiles à cette perspective, les sociétés concessionnaires s'y opposent de façon résolue et demanderont probablement des compensations financières en échange. Toutefois, le président de l'ART l'a exprimé sans ambiguïté devant le rapporteur, l'autorité considère que les clauses contractuelles permettent à l'État concédant d'imposer un tel degré d'exigence et qu'il n'y a absolument aucune raison que des compensations soient accordées aux concessionnaires. En toute hypothèse, les prérogatives de puissance publique dont dispose l'État dans le cadre des contrats concessions étant contrôlées par le juge, ce sujet sera le cas échéant tranché par la juridiction administrative.

Le rapporteur considère que l'État concédant a le devoir de défendre ses intérêts patrimoniaux dans toute leur plénitude et de façon très stricte en ne cédant rien des prérogatives contractuelles dont il dispose. Si cela s'avérait nécessaire, face aux sociétés concessionnaires, l'État ne doit pas craindre de défendre ces intérêts légitimes devant le juge.

E. LE DEGRÉ D'EXIGENCE DE LA DOCTRINE DU « BON ÉTAT » DE RESTITUTION DES BIENS DE RETOUR QUI SERA FIXÉE PAR L'ÉTAT NE DOIT RIEN CÉDER AUX PRÉROGATIVES DE CE DERNIER

Sur la base de ces premiers constats, en ce qui concerne la définition du « bon état » en fin de concession, l'ART a vivement alerté la DGITM sur plusieurs points d'attention qui font selon elle porter un risque sur la défense des intérêts patrimoniaux de l'État. L'autorité souligne ainsi que l'annexe ajoutée aux contrats du groupe SANEF-SAPN en janvier 2023 « laisse courir le risque qu'une définition insuffisamment exigeante du bon état soit retenue pour certains biens, en particulier pour les ouvrages d'art dont l'état est dit évolutif ». L'ART considère ainsi que l'annexe n'apparaît pas assez exigeante s'agissant des ouvrages d'art classés « 2E », c'est-à-dire les ouvrages « dont les équipements ou les éléments de protection présentent des défauts » ou dont la « structure présente des défauts mineurs qui nécessitent un entretien spécialisé sans caractère d'urgence »80(*). L'ART pointe du doigt le fait que l'annexe ne prévoit pas de manière explicite qu'à leur restitution, les infrastructures autoroutières devraient comprendre un minimum d'ouvrages classés 2E. Elle souligne à ce titre le décalage avec l'annexe, beaucoup plus claire et protectrice des intérêts patrimoniaux du concédant, qui a été intégrée au contrat de la nouvelle concession de l'autoroute A69. Le cahier des charges de cette dernière prévoit en effet de manière explicite qu'aucun ouvrage d'art ne soit restitué dans un état « évolutif » au terme de la concession.

Le risque est d'autant plus grand que la doctrine qui sera fixée pour les premières concessions arrivant à échéance servira nécessairement de référence pour toutes les autres. Aussi, sur ce sujet, l'État concédant n'a-t-il pas le droit à l'erreur. Il serait très compliqué juridiquement d'essayer de rectifier le tir dans un deuxième temps. L'ART a confié au rapporteur ses préoccupations sur cette question : « l'enjeu dépasse le seul cas des concessions du groupe SANEF, car des cibles de bon état différenciées selon les groupes génèreraient un risque d'insécurité juridique qui pourrait être particulièrement pénalisant dans le cas des concessions qui comprennent un nombre important d'ouvrages d'art dans un état intermédiaire »81(*), en particulier s'agissant des concessions Escota ou Area.

L'ART met également en garde l'État concédant contre la tentation, par souci de simplicité de ne fixer aux concessionnaires que des obligations de moyens et non de résultat en matière de remise en état des infrastructures. Une telle décision serait de nature à affecter les intérêts patrimoniaux de l'État au sens où elle n'apporterait aucune garantie sur la remise en état effective des biens de retour des concessions : « la solution, pour certaines catégories de biens, consistant à fixer un objectif de moyens peut sembler plus simple que l'objectivation des critères de bon état, mais pourrait aboutir à un résultat insatisfaisant. Des objectifs de moyens, sous la forme d'une politique générale d'entretien et de maintenance, mais également sous la forme d'une enveloppe de dépenses en euros, paraissent, dans certains cas, plus simples à définir que des objectifs de résultats. Néanmoins, une telle approche ne serait pas cohérente avec l'objectif de résultat posé par les contrats et risquerait d'aboutir à des résultats dégradés »82(*).

Malheureusement, aujourd'hui, le rapporteur ne cache pas sa très vive préoccupation sur le sujet de la définition par l'État de la doctrine de bon état en fin de concession, tout particulièrement s'agissant de l'enjeu principal, celui des ouvrages d'art évolutifs. En effet, il a appris récemment que l'État concédant venait de s'entendre avec les sociétés d'autoroutes sur une option de traitement a minima des ouvrages d'art évolutifs classés 2E.

Sur cette question, l'État concédant, en dépit des prérogatives qu'il détient et au détriment de ses intérêts patrimoniaux, s'apprête à mettre en application une doctrine bien moins exigeante que les recommandations faites par le régulateur avec lequel il est en désaccord profond. L'option retenue serait de ne demander une remise en état par les sociétés d'autoroutes des ouvrages d'art classés 2E qu'à la seule condition qu'ils risquent de basculer dans la catégorie 3 ou 3U dans dix ans à partir d'aujourd'hui, c'est-à-dire potentiellement moins de 5 ans après l'échéance des concessions. L'État concédant accepterait ainsi de se voir remettre des infrastructures dont il sait que seulement quelques années plus tard elles devront faire l'objet de lourds travaux de remise en état. Le rapporteur observe que cette définition du « bon état » retenue par l'État concédant a de quoi surprendre.

Au cours des échanges qu'il a pu avoir avec les services de l'État concédant, le rapporteur a compris la principale raison qui ont conduit ce dernier à adopter une position aussi conciliante vis-à-vis des sociétés d'autoroutes sur cet enjeu si crucial. Comme il le redoutait, l'État craint par-dessus tout que les sociétés d'autoroutes n'engagent des contentieux au long cours qui seraient susceptibles de compromettre la bonne réalisation des travaux de remise en état des biens de leurs concessions. Le rapporteur concède que les sociétés d'autoroutes ont montré dans le passé, et continue d'en faire la preuve aujourd'hui, qu'elles sont de grandes adeptes de ce type de contentieux. Cependant, il n'est pas tolérable que l'État concédant soit à ce point tétanisé par cette perspective qu'il cède même par avance, renonçant ainsi d'emblée à ses droits pourtant légitimes. Dans ces conditions, quitte à sacrifier une part de ses intérêts patrimoniaux et à ne pas assumer pleinement les pouvoirs qui sont les siens en vertu des dispositions contractuelles, l'État concédant souhaite avant tout trouver un « compromis acceptable » avec les sociétés d'autoroutes.

Cette position n'est pas tolérable. Comme l'ART, le rapporteur tient à rappeler que les prérogatives de puissance publique qui sont celles de l'État ne devraient pas être négociables et que ce dernier a le devoir de les défendre, le cas échéant devant le juge. Cette perspective ne doit pas l'intimider comme il semble que ce soit le cas aujourd'hui.

Recommandation n° 1 : S'agissant de la remise en état des infrastructures autoroutières aux frais des concessionnaires, l'État concédant, en les défendant si nécessaire devant le juge en cas de recours, doit user de toute la plénitude de ses prérogatives de puissance publique en :

- fixant, dans le cadre des indicateurs techniques spécifiquement conçus à cette fin, des cibles techniques exigeantes pour la remise en état des différents types de bien desquelles résulteront les programmes de travaux notifiés aux sociétés d'autoroutes ;

- imposant aux sociétés concessionnaires des obligations de résultat pour la remise à niveau des biens de retours à l'expiration des contrats ;

- exigeant la remise en état de l'ensemble des ouvrages d'art évolutifs avant l'expiration des concessions historiques.

II. DU FAIT D'UNE MISE EN ROUTE TARDIVE ET DE CAPACITÉS LIMITÉES, L'ÉTAT SE TROUVE DANS UNE SITUATION INCONFORTABLE

A. L'ÉTAT EST « DOS AU MUR » À L'APPROCHE DES ÉCHÉANCES LES PLUS DÉTERMINANTES DE LA PROCÉDURE D'EXPIRATION DES CONCESSIONS

La définition de la doctrine relative au « bon état » des biens de retour ne constitue que le premier jalon d'une procédure d'expiration des concessions qui, en théorie, après cette première étape, et selon les recommandations de l'ART, aurait dû s'étaler sur une période de dix ans. Toutefois, comme précisé supra, compte-tenu du démarrage tardif des opérations et des désaccords avec les sociétés d'autoroutes, la définition de la doctrine du bon état des biens de retour n'avait toujours pas abouti au début de l'année 2024. Du fait de ce retard, les dix années recommandées par l'ART ne seront pas respectées pour les premières concessions arrivant à échéance.

Cependant, le plus inquiétant est la menace que fait peser ce retard sur l'ensemble du processus puisque cette doctrine détermine toutes les autres étapes à venir de la procédure et tout particulièrement la plus critique d'entre elles à savoir la notification par l'État du programme d'investissement que devront réaliser à leurs frais les sociétés au cours des cinq dernières années de leurs concessions pour garantir la remise en bon état d'entretien des biens de retour.

Compte-tenu des échéances, l'État concédant se retrouve ainsi dans une situation très inconfortable, « dos au mur » puisque le programme d'investissements de la première concession arrivant à terme (en 2031) doit être notifié à la société SANEF d'ici au 31 décembre prochain. Or, comme souligné supra, la doctrine du bon état des biens de retour que doit finaliser l'État concédant sous la pression de ces délais très contraints sera largement irréversible et déterminera la teneur des procédures d'expiration des six autres concessions historiques.

Alors que plusieurs milliards d'euros sont en jeu et que la valeur du patrimoine autoroutier concédé est estimée à 194 milliards d'euros, le rapporteur considère qu'il est anormal que l'État se soit mis dans une posture si délicate.

Après une mise en route trop tardive au regard des enjeux et de la complexité de la fin des concessions, le rapporteur a néanmoins pu observer que désormais les services de l'État ont concentré leur activité dans cette perspective. La DGITM déploie ainsi à cette fin un plan d'action, une « feuille de route pour la fin des concessions », pour « structurer et renforcer l'efficacité de son intervention dans le domaine »83(*).

Cette mobilisation est absolument essentielle au regard de l'ampleur exceptionnelle de la tâche à accomplir par les services de l'État. En effet, compte-tenu de la concentration des échéances de fin de concessions historiques sur une période de cinq ans et de la complexité des multiples étapes qui jalonnent les procédures d'expiration de ces concessions, l'autorité concédante va connaître un pic d'activité absolument inédit pendant plus de dix ans, jusqu'à l'échéance du contrat d'AREA en 2036.

Échéances à venir des procédures d'expiration des concessions historiques

Concessionnaire

Remise EDL

Notification PER

Début PER

Fin de concession

SANEF

30/06/2024

31/12/2024

01/01/2027

31/12/2031

ESCOTA

31/08/2024

28/02/2025

01/03/2027

29/02/2032

SAPN

28/02/2026

31/08/2026

01/09/2028

31/08/2033

COFIROUTE

31/12/2026

30/06/2027

10/07/2029

30/06/2034

APRR

31/05/2028

30/11/2028

01/12/2030

30/11/2035

ASF

31/10/2028

30/04/2029

01/05/2034

30/04/2036

AREA

31/03/2029

30/09/2029

01/10/2031

30/09/2036

EDL : état des lieux du patrimoine de la concession.

PER : programme d'entretien et de rénovation à réaliser à ces frais par le concessionnaire au cours des cinq dernières années du contrat.

Source : réponses de la DGITM au questionnaire du rapporteur

Les étapes84(*) qui jalonnent les procédures qui nous séparent de la date d'expiration des contrats historiques ont été synthétisées par l'ART dans le graphique ci-après. La procédure se décompose en plusieurs opérations clés :

l'inventaire des biens de la concession selon une nomenclature harmonisée ;

l'état des lieux du patrimoine de la concession établi à partir des indicateurs spécifiques retenus pour mesurer l'état d'entretien des biens de retour en fin de concession ;

la notification par l'autorité concédante d'un programme d'investissements, baptisé « programme d'entretien et de rénovation », que le concessionnaire devra réaliser à ses frais durant les cinq dernières années du contrat pour que les biens de retours soient restitués à l'État en « bon état » ;

- la réalisation de contrôles par les services de l'État sur les documents transmis par les concessionnaires, au cours de la réalisation du programme de travaux puis à l'expiration de la concession ;

- la transition entre le concessionnaire actuel et le futur gestionnaire de l'infrastructure.

Les étapes contractuelles de la remise de l'infrastructure en « bon état »

Source : réponses de l'ART au questionnaire du rapporteur

1. Contrairement à ce que prévoyaient les contrats, les inventaires n'ont jamais été réalisés

La première étape de la procédure de fin des concessions autoroutières, indispensable pour permettre à l'État concédant d'avoir une vision suffisamment claire du patrimoine autoroutier concerné, consiste à réaliser un inventaire des biens des concessions à partir d'une nomenclature harmonisée permettant notamment de distinguer les biens de retour, les biens de reprise et les biens propres.

Cependant, si les contrats stipulaient que cet inventaire devait être réalisé dans la deuxième moitié de la décennie 2010, aucune des concessions historiques n'en disposait jusqu'en 2023. En 2020, dans son premier rapport sur l'économie des concessions autoroutières, l'ART déplorait cette situation. Elle soulignait ainsi le caractère fondamental, pour assurer à l'État une connaissance suffisante du patrimoine autoroutier concédé de « l'inventaire et de la nomenclature à jour des biens de la concession, dont les contrats prévoient l'établissement contradictoire aux frais du concessionnaire. Il ressort néanmoins des différents échanges de l'Autorité avec le concédant avec les sociétés concessionnaires que l'établissement de ces documents n'a, à ce jour, abouti pour aucune concession, alors même qu'ils devraient être établis depuis plus de dix ans pour presque toutes les concessions actuellement en service ».

Dans ce même rapport, l'ART soulignait que pour les premières concessions arrivant à échéance, la procrastination n'était plus de mise et que l'inventaire devait impérativement être réalisé avant 2024 : « les premières concessions arrivant à échéance à partir de 2031, il importe que les sociétés concessionnaires et le concédant réalisent l'inventaire et la nomenclature au plus tard d'ici 2024, pour que ces documents puissent contribuer à l'établissement du programme d'entretien et de renouvellement et du programme des opérations préalables à la remise des ouvrages, sept ans avant le terme de la concession ». Pour la concession de la société SANEF, la première arrivant à échéance85(*), l'inventaire a pu être réalisé en 2023, pour la concession de la société ESCOTA86(*), ce document a été transmis en février 2024.

2. Un état des lieux réalisé par le concessionnaire doit mesurer l'état d'entretien des biens de retours dans la perspective de leur remise au concédant à l'issue du contrat

Une fois la composition du patrimoine de la concession clarifiée à travers son inventaire décliné en différents types d'objets, la deuxième étape de la procédure est de mesurer leur état au moyen d'indicateurs. Comme précisé supra, des indicateurs spécifiques ont été retenus pour apprécier le « bon état d'entretien » en fin de concession des biens de retour. L'état des lieux du patrimoine de la concession consiste ainsi à évaluer l'état actuel de chaque bien au regard de ces indicateurs. Le programme de travaux qui sera ensuite notifié au concessionnaire par le concédant aura vocation à amener chacun de ces biens aux cibles de « bon état d'entretien » en fin de concession qui auront été déterminées dans le cadre de la doctrine adoptée en la matière par l'État.

Cet état des lieux, comme d'ailleurs le programme d'investissement nécessaire à la remise en état des biens de retours, n'était pas explicitement prévu dans les contrats d'origine. Ils ont été formellement ajoutés à travers les annexes dédiées à la définition du bon état en fin de concession intégrées par avenants aux cahiers des charges. Pourtant, ces deux éléments sont décisifs et au coeur même de la procédure d'expiration des contrats.

Cet aspect a été souligné par l'ART auprès du rapporteur : « il convient tout d'abord de rappeler l'intérêt de cette étape, que ne prévoyait pas explicitement le contrat avant l'ajout, à l'occasion des avenants conclus en janvier 2023, de cette annexe. Il s'agit d'un préalable indispensable à l'établissement, par le concessionnaire, d'une proposition de programmes de travaux prévu par l'annexe et que le contrat de concession ne prévoyait pas non plus à l'origine »87(*).

L'annexe intégrée aux cahiers des charges prévoit qu'il revient au concessionnaire de réaliser cet état des lieux et non à l'autorité concédante. En amont, l'État concédant a normé ce document qui doit notamment être construit sur la base des indicateurs retenus dans le cadre des procédures de définition du « bon état » des biens de retour. En juin 2024, SANEF a été la première société d'autoroutes à remettre à l'État un état des lieux des biens de sa concession.

Néanmoins, le rapporteur estime que l'on est en droit de s'interroger sur le fait que la réalisation de ce document décisif soit confiée aux sociétés concessionnaires. À première vue, le conflit d'intérêt semble en effet flagrant. Si l'on dresse un parallèle avec les locations immobilières, ce n'est pas le locataire qui se charge de réaliser son état des lieux de sortie. A minima, il est impératif que l'État exerce des contrôles approfondis sur l'exactitude et la sincérité de ce document fondamental puisqu'il déterminera le calibrage du programme de travaux qui sera réalisé aux frais du concédant au cours des dernières années de son contrat.

3. Notifié par l'État mais exécuté aux frais du concessionnaire, le programme d'entretien et de renouvellement doit garantir la remise en bon état des biens de retour à l'expiration de la concession

Le coeur de toute la procédure, consiste en la définition du programme de travaux, dit « programme d'entretien et de renouvellement » nécessaire à la restitution des biens de retour en bon état à l'issue de la concession. Ce programme, à la charge du concessionnaire doit être exécuté au cours des cinq dernières années du contrat.

Au moment de la transmission de l'état des lieux du patrimoine de leur concession, les sociétés d'autoroutes doivent également remettre à l'État une proposition de programme d'entretien et de renouvellement. En juin 2024, la société SANEF a ainsi été la première à soumettre à l'État sa proposition de programme d'investissement qui aura vocation à être exécuté entre 2027 et 2031.

Après la remise de l'état des lieux et de la proposition de programme d'investissements du concessionnaire, les services de l'État ne disposent ensuite que de six mois pour instruire et expertiser ces deux documents essentiels. En dehors de la définition de la doctrine du « bon état » en fin de concession de laquelle découle l'ensemble des procédures pour toutes les concessions, cette phase apparaît sans conteste comme la plus critique pour l'État concédant. Les enjeux sont considérables. Sur l'ensemble des sept concessions, ils se chiffrent à plusieurs milliards d'euros.

Après six mois d'instruction de la proposition de programme d'investissements du concédant et des contrôles par sondages de l'état des lieux, l'État notifie à la société d'autoroutes le programme d'entretien et de renouvellement qu'elle devra exécuter à ses frais au cours des cinq dernières années de son contrat. Au terme de la réalisation de ce programme de travaux, l'ensemble des biens de retour de la concession devront ainsi être remis à l'État dans un état correspondant aux cibles fixées par la doctrine de « bon état d'entretien » en fin de concession.

C'est avant le 31 décembre 2024 que l'État devra notifier à la société SANEF le programme d'investissements qu'elle aura à mener à bien au cours de la période 2027-203188(*).

4. Une garantie financière doit assurer l'exécution effective du programme de travaux notifié par l'État au concessionnaire

Les contrats historiques prévoient que le concessionnaire constitue une garantie financière à la hauteur du coût prévisionnel des travaux prévus dans le programme d'entretien et de renouvellement. Ainsi, le concédant s'assure que la société concessionnaire gardera les moyens financiers lui permettant d'exécuter l'intégralité des investissements arrêtés dans ce programme. Cette garantie doit être constituée par le concessionnaire dans les deux mois qui suivent la notification du programme de travaux.

À condition que les travaux prescrits soient effectivement réalisés, la garantie fera progressivement l'objet de mainlevées jusqu'à la fin du programme et l'expiration du contrat. En revanche, si le concessionnaire ne met pas en oeuvre l'intégralité du programme de travaux, tout ou partie de la garantie pourra être appelée par l'État concédant afin de lui permettre de faire réaliser par un tiers, mais aux frais du concessionnaire, les opérations concernées.

L'efficacité de cette mesure suppose cependant de chiffrer avec la plus grande précision possible le coût des travaux compris dans le programme d'entretien et de renouvellement.

5. Aux différents stades de la procédure, l'État devra effectuer des contrôles approfondis pour que les biens de retour des concessions lui soient restitués en « bon état »

À différents stades de la procédure, l'État concédant devra réaliser des audits et des contrôles approfondis dans le but de s'assurer que les biens de retour lui soient effectivement remis en « bon état d'entretien » à l'expiration des concessions.

Les services de l'État disposent ainsi de six mois pour effectuer un contrôle par sondages de l'état des lieux communiqué par les concessionnaires.

Ensuite, tout au long de la mise en oeuvre du programme d'entretien et de renouvellement, l'autorité concédante devra réaliser des contrôles portant sur la bonne exécution des travaux prescrits, notamment pour décider de procéder ou non aux mainlevées partielles de la garantie financière.

Enfin, à l'expiration des concessions, l'État devra procéder à un contrôle exhaustif de l'état des biens de retour pour s'assurer qu'il corresponde bien aux cibles de « bon état d'entretien » en fin de concession qui avaient été déterminées.

Pour réaliser l'ensemble de ces contrôles, qui représentent un pic de charge tout à fait inédit pour les services de la DGITM, l'État concédant a prévu de renforcer ses capacités propres en s'appuyant sur les équipes du Cerema et du centre d'études des tunnels (CETU) ainsi qu'en faisant appel à des experts techniques extérieurs.

6. La continuité de gestion, une dimension cruciale pour l'avenir du réseau autoroutier concédé qui ne doit pas être négligée

Il est prévu qu'à l'issue de son contrat, le concessionnaire remette à l'État un « dossier de fin de concession » contenant les informations et données nécessaires à la poursuite de l'exploitation du réseau considéré. Cette étape ne doit pas être négligée car elle s'inscrit plus largement dans les enjeux relatifs à la continuité de la gestion du réseau autoroutier concédé après l'expiration des contrats, et ce, quel que soit le modèle qui sera retenu.

En effet, dans ce dossier devront figurer des informations et données extrêmement précieuses pour assurer la phase de transition. Il importe que ce dossier soit le plus exhaustif possible et comporte un historique extrêmement détaillé de l'ensemble des données relatives à la gestion courante et à l'entretien de la concession considérée. Ces données seront extrêmement importantes pour, le cas échéant, si ce modèle devait être retenu, permettre à l'État de bâtir les cahiers des charges relatifs à la mise en concurrence du réseau des concessions historiques. Elles seront également décisives pour éviter que le concédant en place bénéficie d'une asymétrie d'information en sa faveur dans le cadre d'une procédure de mise en concurrence. Quand bien même la concession ne serait pas le modèle retenu à l'issu des contrats historiques, ces informations seraient essentielles pour permettre à l'État de reprendre en main la gestion de son patrimoine autoroutier.

Actuellement, le contenu du dossier de fin de concession fait toujours l'objet de discussions entre les sociétés d'autoroutes et l'État. En toute hypothèse, il revient à l'État concédant de définir la composition de ce dossier et de fixer les exigences relatives aux informations qu'il devra contenir.

Compte-tenu des enjeux et parce que cette phase de transition conditionnera pour partie l'avenir du réseau autoroutier national, le rapporteur appelle l'État à imposer le niveau d'informations le plus exhaustif et le plus précis possible, quand bien même les sociétés concessionnaires seraient opposées à un tel niveau d'exigence.

En outre, les informations et données qui permettent d'assurer la gestion du patrimoine autoroutier au quotidien sont utilisées sur des systèmes d'information propres à chaque société d'autoroutes. Pour assurer la continuité de service à l'issue d'une concession, il semble ainsi indispensable qu'au moins pendant une période de transition, le nouveau gestionnaire du réseau considéré puisse avoir accès à ces systèmes d'information. La DGITM est consciente de cet enjeu et envisage de recourir à un système de contrat de prestations de service qui serait conclu à cet effet entre le concessionnaire actuel et le gestionnaire qui sera amené à lui succéder.

B. LES MOYENS DES SERVICES DE L'ÉTAT SE TROUVENT CONFRONTÉS À UN SURCROÎT D'ACTIVITÉ EXCEPTIONNEL

1. Fondé sur des indicateurs de performance robustes, le contrôle et le suivi de l'état courant des infrastructures réalisés par les services de l'État sont de bonne qualité
a) Les services de l'État réalisent un suivi technique de qualité de l'état courant du patrimoine autoroutier concédé

En-dehors des procédures spécifiques de fin des concessions, de façon continue, les services de la DGITM sont chargés d'assurer un suivi technique de la qualité des infrastructures autoroutières afin que l'usager bénéficie d'un bon niveau de sécurité. Cette activité consiste en particulier à contrôler les travaux réalisés par les sociétés et à effectuer un suivi de l'état courant des infrastructures autoroutières sur toute la durée de la concession.

Le sous-directeur de la DGITM chargé de ce suivi déclarait ainsi en 2020 devant la commission d'enquête du Sénat que l'essentiel des contrôles effectués habituellement par la DGITM visent à « assurer la commodité et la sécurité des usagers ».

En 2020, la commission d'enquête sénatoriale avait estimé que le suivi technique effectué par les services de l'État était « de bonne qualité », « globalement complet et efficace ». Cette appréciation est confirmée par l'autorité de régulation. En effet, l'ART a indiqué au rapporteur que « la compétence technique du concédant est indéniable. Les équipes de la sous-direction en charge du réseau concédé, appuyées par le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et les directions interdépartementales des routes (DIR), disposent d'une expertise sur l'ensemble des métiers de la route : exploitation, maintenance et construction ».

b) Ce suivi s'appuie sur des indicateurs de performance dédiés à chaque type d'infrastructures

Le rapport d'activité 2022 sur l'exécution et le contrôle des contrats de concessions d'autoroutes et d'ouvrages d'art89(*) précise que l'action de contrôle de la DGITM se structure « par type de biens composant le patrimoine. Des chargés de domaine suivent l'état des bâtiments, des tunnels, des ouvrages d'art, des chaussées et des ouvrages en terre et s'assurent de la prise en compte des mesures environnementales ».

Le suivi de l'état courant des infrastructures du réseau autoroutier concédé est effectué par les services de contrôle de la DGITM sur la base d'indicateurs dits « de performance » qui sont listés à l'article 13 des contrats de concessions historiques. Ces indicateurs portent notamment sur les chaussées et les ouvrages d'art, de façon à qualifier leur état. Des objectifs de résultats, pénalisables s'ils ne sont pas atteints, sont associés à ces indicateurs. L'article 39 des contrats stipule en effet que si les services de l'État constatent un manquement du concessionnaire à ses obligations, après une mise en demeure restée infructueuse, celui-ci est tenu au versement d'une pénalité.

Chaque année, les sociétés d'autoroutes remettent à l'État un rapport d'exécution de la concession. Celui-ci indique les résultats des indicateurs de performance. Le concédant procède à des audits sur pièce ou sur place, souvent réalisés par le Cerema, pour s'assurer de la fiabilité des données produites par les sociétés concessionnaires. D'après le rapport d'activité précité, en 2022, les services de l'État avaient ainsi procédé à six audits sur site d'indicateurs de performance.

L'état de la surface des chaussées est suivi par l'indicateur dit IQRA - surface. L'état de leur structure est quant à lui désormais suivi par l'indicateur ISTRU créé pour répondre aux enjeux de la remise en état des chaussées en fin de concession (voir supra). Le système de cotation des indicateurs IQRA et ISTRU permettant de qualifier l'état des chaussées est le suivant :

- 0 : très mauvais état ;

- 1 : mauvais état ;

- 2 : état moyen ;

- 3 : bon état ;

- 4 : très bon état.

Le suivi de l'indicateur IQRA démontre une amélioration sensible de l'état de la surface des chaussées depuis dix ans. Les chaussées en bon état ou en très bon état représentaient ainsi 93,1 % du réseau en 2022 contre 87,4 % dix ans auparavant.

Évolution de l'état de surface des chaussées du réseau autoroutier concédé
selon l'indicateur IQRA - surface (2012-2022)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGITM au questionnaire du rapporteur

Selon l'évaluation du nouvel indicateur ISTRU, la structure de 74 % des chaussées est en très bon état et 4 % de celles-ci présentent une structure en mauvais ou en très mauvais état.

État structurel des chaussées du réseau autoroutier concédé
selon l'indicateur ISTRU (2022)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport d'activité 2022 sur l'exécution et le contrôle des contrats de concessions d'autoroutes et d'ouvrages d'art, DGITM, 2023

Dans le rapport d'activité de 2022 précité, la DGITM souligne que des modalités d'échanges formalisées avec les sociétés d'autoroutes permettent de consolider le suivi réalisé au moyen du renseignement des indicateurs par les concessionnaires : « en complément des informations transmises par les sociétés, des réunions d'échanges sur les travaux réalisés et les politiques d'entretien chaussées sont organisées annuellement par concédant. Ces échanges permettent de vérifier la qualité des données transmises et d'assurer une veille sur l'évolution des techniques et l'entretien du réseau (technique, âge des couches de roulement, fréquence d'entretien) ».

L'état des ouvrages d'art est suivi quant à lui par un système de cotation baptisé « image de la qualité des ouvrages d'art » (IQOA).

Les différentes classes des ouvrages d'art selon la cotation IQOA

Classe 1 : ouvrage en bon état apparent, avec possibles défauts sans gravité que l'on peut traiter par l'entretien courant ;

Classe 2 : structure porteuse de l'ouvrage en bon état apparent mais dont les équipements ou les éléments de protection présentent des défauts, ou structure présentant des défauts mineurs qui nécessitent un entretien spécialisé sans caractère d'urgence ;

Classe 2E : ouvrage présentant les défauts de la classe 2, mais qui nécessite un entretien spécialisé urgent pour prévenir le développement rapide de désordres dans la structure ;

Classe 3 : ouvrage dont la structure est altérée, et qui nécessite des travaux de réparation sans caractère d'urgence ;

Classe 3U : ouvrage dont la structure est gravement altérée et qui nécessite des travaux de réparation urgents ;

Classe NE : ouvrage non évalué, principalement en raison de parties d'ouvrages non accessibles lors de la dernière visite d'évaluation IQOA.

Source : réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

Le suivi de l'indicateur IQOA indique une légère amélioration de l'état des ouvrages d'art du réseau autoroutier entre 2010 et 2022. En effet, alors qu'en 2010 les ouvrages classés 1 et 2 représentaient 70,5 % du total, cette proportion était montée à 72,7 % en 2022.

Cependant, ce suivi illustre aussi la part notable des ouvrages classés « 2E » dits « évolutifs ». Ils représentent environ un quart du total des ouvrages d'art du réseau autoroutier concédé. C'est pour cela que la façon de les apprécier au regard de la doctrine du « bon état » en fin de concession des biens de retour représente un enjeu si sensible (pouvant avoisiner les deux milliards d'euros) pour les sociétés d'autoroutes comme pour les intérêts patrimoniaux de l'État concédant.

En 2022, en additionnant les infrastructures classées « 2E », « 3 », « 3U » ainsi que celles qui n'ont pu être évaluées (« NE »), 27,3 % des ouvrages d'art étaient susceptibles d'exiger des travaux de remise en état à plus ou moins brève échéance.

Évolution de l'état des ouvrages d'art du réseau autoroutier concédé
selon le système de cotation IQOA (2010-2022)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGITM au questionnaire du rapporteur

Par ailleurs, il est à noter que depuis 2010, on observe une augmentation très sensible des dépenses annuelles consacrées par les concessionnaires à l'entretien des ouvrages d'art du réseau autoroutier.

Dépenses annuelles consacrées par les concessionnaires à l'entretien
des ouvrages d'art du réseau autoroutier concédé (2010-2022)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport d'activité 2022 sur l'exécution et le contrôle des contrats de concessions d'autoroutes et d'ouvrages d'art, DGITM, 2023

2. L'organisation et les moyens des services de l'État : des effectifs renforcés par d'indispensables appuis extérieurs
a) Des effectifs habituels trop réduits pour absorber un pic d'activité inédit

Au sein de la direction des mobilités routières de la DGITM, c'est la sous-direction des financements innovants et du contrôle des concessions autoroutières dite « FCA » qui a en charge les procédures d'expiration des concessions autoroutières historiques. Cette sous-direction est composée d'un effectif de 42 équivalents temps pleins (ETP), soit 7 de plus qu'en 2020. Ses effectifs sont répartis entre cinq bureaux :

- le bureau des contrats (FCA1) ;

- le bureau de la dévolution (FCA2) ;

- le bureau des services des usagers et de la comodalité (FCA3) ;

- le bureau de la construction et du patrimoine (FCA4) ;

- le bureau de l'expertise juridique (FCA5).

Description par la DGITM des cinq bureaux composants la sous-direction
des financements innovants et du contrôle des concessions autoroutières

Le bureau FCA1 veille à la bonne exécution des contrats, en particulier dans leurs dimensions juridique et financière. Il est l'interlocuteur des sociétés concessionnaires, ainsi que des services déconcentrés et des services des collectivités locales des réseaux dont il s'occupe. Il contrôle les tarifs de péage et analyse l'équilibre économique et financier des concessions. FCA1 mène par ailleurs, en lien avec les bureaux FCA3 et FCA4, les négociations relatives à la modification des contrats de concession et à la conclusion de nouveaux contrats de plan. Le bureau contribue également à la production législative et réglementaire relative au secteur autoroutier.

Le bureau FCA2 est responsable de l`intégralité des procédures de mise en concurrence pour les nouveaux contrats de concession et de marchés de partenariat en lien avec les services déconcentrés et notamment les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) concernées. Il s'appuie pour la conduite de ces procédures sur les compétences techniques internes de la sous-direction notamment les bureaux FCA3 et FCA4 pour la contractualisation des indicateurs de performance (dimensionnement et politique d'entretien des objets techniques constitutif du patrimoine autoroutier, aires annexes, péage, exploitation, etc.) et la rédaction de certaines clauses des contrats ou sur le bureau FCA5 pour une assistance juridique. FCA2 s'appuie également pour mener à bien le lancement de nouvelles concessions sur les entités territoriales et les directions techniques du Cerema, ainsi que sur le département de la transition écologique, de la doctrine et de l'expertise technique (DMR / TEDET) et sur une assistance externe financière et juridique.

Les bureaux FCA3 et FCA4 sont chargés du contrôle de l'exécution des contrats de concession sur les aspects techniques. Leurs locaux sont situés à Bron, dans la périphérie lyonnaise.

Le bureau FCA3 intervient sur les domaines relatifs aux services aux usagers et à la comodalité. Le bureau est ainsi particulièrement mobilisé sur le développement des nouvelles mobilités, avec une situation de pivot entre les entités du ministère et interministérielles en charge de l'élaboration de la doctrine (TEDET, Cerema, DSR...) et leur appropriation et leur mise en oeuvre par les sociétés d'autoroutes. Il assure également le suivi des indicateurs de performance rendant compte du niveau de service rendu aux usagers, et mène les actions correctrices le cas échéant nécessaires vis-à-vis des sociétés concessionnaires.

Le bureau FCA4 intervient sur les aspects relatifs à l'aménagement du réseau et au patrimoine. Outre l'instruction des dossiers de conception des sociétés d'autoroute, le bureau assure le suivi sur pièce et sur place des opérations d'aménagement menées par les sociétés concessionnaires. Il pilote également l'ensemble des audits menés sur les enjeux constructifs ou patrimoniaux. Outre le chef de bureau, ces bureaux comprennent des chargés de domaine et des chargés d'opérations. Experts techniques de leur champ d'intervention, les agents se rendent fréquemment sur le terrain pour procéder à des audits et à des contrôles.

Le bureau FCA5 fournit une assistance juridique à l'ensemble des bureaux de la sous-direction. Plus particulièrement, il assure la production de la doctrine ministérielle en matière de partenariats public-privé et est en charge de sa diffusion et de sa promotion à la fois en interne au ministère mais également vis-à-vis de l'extérieur. Il assure le pilotage et le contrôle qualité des prestataires (conseil, cabinet d'avocats) mobilisés par la sous-direction.

Source : réponses de la DGITM au questionnaire du rapporteur

Les effectifs habituels de la sous-direction FCA ne pouvaient pas suffire à répondre au surcroît d'activité considérable résultant des procédures d'expiration des concessions, notamment en matière de contrôles et d'audits techniques des documents produits par les concessionnaires et de la réalisation des travaux prescrits dans les programmes d'entretien et de rénovation. La DGITM a ainsi insisté auprès du rapporteur sur le fait que « la perspective de la fin de ces concessions autoroutières historiques a des impacts sur la mission de contrôle, actuellement réalisée en régie par l'autorité concédante (...) que ce soit en termes d'ampleur des contrôles à réaliser, d'exhaustivité du patrimoine concerné, d'exigence du calendrier et de conflictualité potentielle des relations concédant-concessionnaires »90(*). En parallèle, la direction souligne que l'ensemble des tâches courantes de la sous-direction FCA se poursuivent91(*), le tout aboutissant à une charge de travail décuplée.

Habituellement, seule une vingtaine d'agents de la sous-direction est en charge des contrôles de l'état courant de l'ensemble des infrastructures du réseau autoroutier concédé. Cet effectif paraît en effet dérisoire en comparaison des 9 000 kilomètres et des 11 000 ouvrages d'art qui composent le patrimoine d'un réseau autoroutier concédé dont la valeur est estimée à 194 milliards d'euros. Consciente de cette difficulté, la DGITM a décidé, au cours de cette phase, de s'appuyer davantage sur différents prestataires extérieurs publics comme privés.

b) Dans le cadre des procédures de fin des concessions, la DGITM sollicite fortement la communauté technique publique, et notamment le Cerema

En premier lieu, la DGITM a sollicité de manière accrue la communauté technique publique représentée notamment par le Cerema, le CETU ou bien encore l'université Gustave Eiffel. En parallèle, il est à noter que la DGITM et l'ART ont également mis en place un groupe d'échanges relatifs à la mise en oeuvre du processus de fin des concessions.

L'ART a eu l'occasion de souligner auprès du rapporteur le rôle essentiel joué par cette communauté technique publique dans le cadre des procédures d'expiration des concessions : « la fin des concessions soulève d'abord des problématiques techniques nouvelles, pour lesquelles l'aide de la communauté technique du ministère a été sollicitée. Des groupes de travail composés de représentants techniques de l'administration et du réseau scientifique et technique de l'État aident la sous-direction FCA à poser la doctrine dans les domaines des chaussées et des ouvrages d'art et l'accompagnent dans la mise en oeuvre des processus de fin de concession (fiabilisation de l'inventaire, de l'état des lieux, du programme de travaux, quitus). Le CETU fournit par ailleurs un accompagnement spécifique dans le domaine des tunnels92(*) (en 2024, il doit réaliser des audits sur un échantillon de tunnels des réseaux ESCOTA et SANEF). Pour les autres domaines comme l'environnement et les dispositifs de retenue, des échanges techniques sont organisés à la demande avec les experts du Cerema et avec les gestionnaires de voirie du réseau routier national non concédé ».

Dans ce cadre, la DGITM entend notamment mobiliser le Cerema qui jouit d'une expérience toute particulière en matière d'expertise technique dans le domaine des infrastructures routières. En dehors même des opérations liées à la fin des concessions, cet établissement délivre d'ailleurs de façon habituelle des prestations d'expertise dans ce domaine pour la DGITM, à hauteur d'environ quatre équivalents temp plein (ETP) en moyenne, mais également pour les sociétés d'autoroutes.

Ainsi, le directeur général du Cerema a-t-il pu confirmer au rapporteur que son établissement mobilisait en moyenne dix ETP pour des prestations auprès des sociétés d'autoroutes. Cette activité a représenté entre 1,3 million d'euros et 2,6 millions d'euros par an pour le Cerema entre 2020 et 2023. Comment ne pas s'interroger sur les effets de cette situation ?

Volume d'activité annuel (en montant et en nombre d'interventions) du Cerema pour le compte des sociétés concessionnaires d'autoroutes (2020-2023)

Année

Montant

(en millions d'euros)

Nombre d'interventions

2020

2,2

50

2021

2,6

59

2022

1,4

32

2023

1,3

39

Source : réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

L'activité habituelle du Cerema dans le domaine du réseau autoroutier concédé

La gestion et le contrôle des contrats de concession sont assurés par la DGITM, sous-direction FCA. Pour ces missions, le Cerema peut intervenir soit à la demande de la DGITM (avis sur dossier, contrôle extérieur), soit à la demande des concessionnaires (mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrages, diagnostics d'infrastructures, contrôles extérieurs d'études). Dans ce second cas, une information préalable de la DGITM est réalisée par le Cerema pour toute demande d'intervention pour le compte d'un concessionnaire, afin de s'assurer d'éviter toute situation d'éventuels conflits d'intérêt.

Par ailleurs, le principe d'une intervention du Cerema sur les avis sur les avants-projets de réparation sont inscrits dans la circulaire n° 87/88 modifiée (circulaire du 19 juillet 2023 relative aux modalités d'établissement et d'instruction des dossiers techniques concernant la construction et l'aménagement des autoroutes concédées modifiant la circulaire n° 87-88 modifiée du 27 octobre 1987).

Le positionnement auprès de la DGITM est un rôle de conseiller, d'audit qualité des prestations réalisées par les sociétés concessionnaires. On peut considérer que ce rôle mobilise 4 ETP.

Source : réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

S'agissant de la contribution du Cerema aux opérations de contrôle des travaux réalisés sur les infrastructures, la DGITM a signalé au rapporteur que « ses principaux domaines d'intervention sont l'environnement, notamment le contrôle du respect des exigences environnementales en phase chantier, les ouvrages d'art au travers d'audits thématiques et les audits de sécurité ». La DGITM a ainsi demandé à l'établissement public de dégager tout au long de la période considérée, des capacités d'intervention et des moyens humains spécifiques sur le domaine de la fin des concessions historiques.

À cette fin, une convention lie la DGITM et le Cerema depuis 2022. Elle prévoit plusieurs natures de contributions de la part de l'établissement public représentant une mobilisation moyenne de deux ETP :

- sa participation aux groupes de travail, aussi qualifiés de « groupe miroirs », relatifs aux différents domaines d'infrastructures ;

- sa participation à l'élaboration de la méthodologie du diagnostic de l'état des biens de retour ;

- sa participation aux opérations d'audit de l'état des lieux du patrimoine des concessions réalisé par les sociétés d'autoroutes93(*) ;

l'accompagnement de l'élaboration et du suivi de la mise en oeuvre des programmes de travaux94(*).

Cette participation du Cerema est pilotée dans le cadre d'un groupe de travail « fin de concession » qui réunit l'établissement public et la DGITM. Ce groupe de travail réalise également des audits de certaines des prestations extérieures réalisées par des bureaux d'études privés pour le compte de la DGITM (voir infra).

La sollicitation du Cerema par la DGITM dans le cadre des procédures
de fin des concessions

Le calage des prestations pouvant être assurées par le Cerema au regard de son plan de charge et de sa stratégie a fait l'objet de plusieurs échanges spécifiques pour chaque domaine.

Ainsi, il a été prévu qu'au-delà de sa participation aux groupes de travail, le Cerema apporte des compléments d'expertises à la sous-direction FCA.

Dans le domaine des ouvrages d'art, il assure un contrôle échantillonné des actions de surveillance des sociétés concessionnaires d'autoroutes pour mieux calibrer les commandes à passer dans le cadre d'un marché de prestataire extérieur, une définition des prescriptions techniques de ce marché et une actualisation de la mercuriale des prix. Dans le domaine des chaussées, il assure des auscultations à grand rendement et les préconisations déduites.

Source : réponses de la DGITM au questionnaire du rapporteur

La DGITM a par ailleurs signalé au rapporteur que « la collaboration avec le Cerema est appelée à se renforcer encore dans la période à venir, dans la perspective de la préparation de la fin des concessions ». Toutefois, sur ce sujet, le directeur général du Cerema a souhaité alerter le rapporteur. Jusqu'à maintenant, les prestations réalisées pour le compte de la sous-direction FCA de la DGITM ne faisaient pas l'objet de financements dédiés. Elles étaient prises à sa charge par l'établissement et donc comprises dans la subvention pour charges de service public qu'il perçoit annuellement du budget de l'État95(*).

Compte-tenu de la contrainte qui pèse sur ses moyens et de la réforme de son modèle économique96(*) qui repose désormais de plus en plus sur ses ressources propres, le Cerema ne sera plus en mesure d'absorber ce surcroît d'activité sur sa seule subvention pour charges de service public. Cette situation impliquera ainsi que la DGITM dégage des crédits spécifiques destinés à financer cette « sur-mobilisation » temporaire de l'établissement public. Faute de quoi, le Cerema devrait « se désengager en grande partie de son appui d'expert technique historique auprès de la sous-direction FCA »97(*).

Compte-tenu de l'importance de la contribution du Cerema dans le cadre des travaux d'expiration des concessions, une telle perspective fragiliserait grandement la position de l'État concédant vis-à-vis des sociétés d'autoroutes. Elle serait de très mauvais augure pour la préservation des intérêts patrimoniaux de l'État. Une solution de financement est toujours recherchée. Le rapporteur tient à souligner qu'en raison des enjeux en présence, il est impératif que cette problématique financière se dénoue rapidement.

Le financement du surcroît d'activité demandé au Cerema : une problématique à résoudre d'urgence

La gestion des fins de contrats de concession va impliquer un besoin croissant de moyens pour faire face à l'augmentation du nombre de concessionnaires impliqués et à la montée en force du nombre de dossiers de travaux à maîtriser. Un renfort des moyens est à organiser pour permettre à la sous-direction FCA de faire face, par exemple en organisant une sous-traitance, avec bien sûr l'appui du Cerema, qui est aussi à renforcer et à financer.

En effet, le Cerema intervenait par le passé pour la sous-direction FCA sur sa subvention pour charges de service public (SCSP), pour les affaires ayant été programmées d'un commun accord l'année N-1, en fonction néanmoins des capacités à faire et des moyens du Cerema.

Ce mode de financement est à revoir dorénavant : le modèle économique du Cerema et la baisse continue de la SCSP d'année en année accordée pour l'établissement oblige à rechercher et à augmenter ses recettes propres.

Or le volume d'affaires du Cerema pour le compte de la sous-direction FCA va croître avec la fin des concessions : il faudra donc, d'une manière ou d'une autre, que la DGITM trouve un financement spécifique pour faire intervenir le Cerema. Sans quoi, le Cerema devra se désengager en grande partie de son appui d'expert technique historique auprès de la sous-direction FCA.

Cette recherche de financement est en cours et est à poursuivre, pour aboutir à une parfaite adaptation des ressources aux besoins d'intervention du Cerema généré par la fin des concessions.

Source : réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

c) Au-delà de la communauté technique publique, la DGITM a recours à des bureaux d'études privés pour expertiser les documents produits par les sociétés d'autoroutes et réaliser des contrôles

Aussi importante soit-elle, la seule participation de la communauté technique publique ne suffirait pas à couvrir l'ensemble des besoins de l'autorité concédante dans le cadre des procédures d'expiration des contrats historiques. C'est pourquoi la DGITM a décidé de recourir à des prestataires extérieurs « pour analyser l'état des lieux et les programmes de travaux, puis réaliser les inspections de fin de concession »98(*). Pour cela, la DGITM mandate des bureaux d'études spécialisés dans le suivi technique des infrastructures routières. La DGITM reconnait notamment que, sans ce renfort, compte-tenu de ses effectifs et des délais contraints, elle ne serait pas en mesure de contrôler de façon suffisamment rigoureuse les documents produits par les sociétés d'autoroutes : « sous le pilotage de l'autorité, le recours à des prestaires extérieurs permet d'assurer un contrôle approfondi de la complétude et l'exactitude de l'état des lieux des différentes concessions et des programmes de travaux nécessaires à l'atteinte des exigences de bon état d'entretien en fin de concession »99(*).

La DGITM considère par ailleurs que le fait que ces mêmes bureaux d'études travaillent régulièrement pour les sociétés d'autoroutes elles-mêmes constitue un atout dans la mesure où ils auraient par ces activités développé une connaissance fine du réseau autoroutier concédé : « le recours à un prestataire extérieur fournissant des prestations à d'autres administrations, mais aussi à des entreprises privées permet également de bénéficier de sa connaissance approfondie du secteur et des pratiques de la profession »100(*).

Si le rapporteur entend cet argument, il voit également et surtout dans cette situation un risque évident de conflit d'intérêt qu'il conviendra de surveiller attentivement compte-tenu des intérêts financiers considérables en jeu pour l'État comme pour les sociétés d'autoroutes.

L'ART a indiqué au rapporteur qu'elle considérait que le recours à des prestataires extérieurs était indispensable afin que l'État concédant dispose des capacités suffisantes pour réaliser les contrôles et audits nécessaires à la préservation de ses intérêts patrimoniaux. Elle estime en effet que « le recours à des prestaires extérieurs permet d'effectuer un contrôle de la complétude et de l'exactitude des états des lieux fournis par les différentes concessions, une analyse approfondie des programmes de travaux prévus pour atteindre les exigences de bon état en fin de concession, et des inspections de fins de concession à grande échelle. Outre le fait que cela démultiplie sa capacité de contrôle, le choix affiché du concédant de se faire accompagner par des prestataires privés envoie aux concessionnaires un signal important : cela souligne son intention de mener les travaux avec rigueur et dans le respect des règles de l'art »101(*).

L'ART ajoute qu'au-delà même d'un appui d'ordre technique, les services de l'État auront aussi nécessairement besoin de renforts en termes de compétences juridiques : « au-delà, un appui juridique solide apparaît également indispensable à la défense des intérêts patrimoniaux de l'État »102(*).

Pour l'ART, les appuis extérieurs que l'État concédant est en mesure de solliciter apparaissent de nature à compenser le handicap qui résulte de la faiblesse de ses effectifs propres : « le concédant pourrait apparaître en position de faiblesse, mais il dispose d'atouts. Au regard de ses effectifs limités, la sous-direction FCA pourrait paraître moins bien armée que les sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui ont par ailleurs l'avantage de connaître parfaitement les réseaux qui leur ont été concédés. Néanmoins, la communauté technique du ministère, sur laquelle elle a choisi de s'appuyer, ainsi que son choix de se faire assister par des bureaux d'études techniques, sont de nature non seulement à démultiplier sa force de frappe, mais aussi à asseoir la crédibilité de ses exigences techniques ».

Pour encadrer son recours à des prestataires extérieurs dans le cadre des opérations d'expiration des concessions historiques, la DGITM a ainsi conclu des accords-cadres de marchés d'expertise portant sur la période 2024-2028 pour un montant total de 8 millions d'euros. Sur le seul domaine des ouvrages d'art, les engagements représentent 5 millions d'euros dont 2 millions d'euros auront déjà été engagés en 2024.

III. L'ÉTAT NE DOIT RIEN CÉDER DE SES PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE

A. PLUSIEURS POINTS D'ATTENTION EXIGENT D'ORES ET DÉJÀ UNE VIGILANCE SOUTENUE DE L'ÉTAT

1. La qualité et l'exhaustivité des documents d'expertise produits par les sociétés d'autoroutes doivent être améliorées et harmonisées

L'ART comme le Cerema ont signalé au rapporteur que certains documents communiqués par la société SANEF, la première à « essuyer les plâtres » de la procédure, présentaient des lacunes.

En juin 2023, en aval du processus d'expiration de son contrat, la société devait remettre à l'État concédant un document décrivant en détail la politique d'entretien courant du patrimoine de sa concession. L'ART a indiqué au rapporteur que le document remis par la société présentait « un niveau de détails insuffisant ». Le régulateur a ainsi observé dans le document remis par la société SANEF un manque de données quantitatives, notamment s'agissant de l'historique des mesures relatives aux indicateurs internes de suivi de l'état du patrimoine : « ces documents sont importants, en ce qu'ils fournissent des informations techniques sur le patrimoine et sur les mesures que le groupe prévoit désormais d'appliquer dans le cadre de son entretien. Cependant, ils comprennent très peu de données quantitatives et ne posent des cibles que pour quelques catégories d'actifs, sans en expliquer la logique »103(*).

Or, l'État doit absolument avoir connaissance de ces informations pour s'assurer que les sociétés d'autoroutes maintiennent leurs efforts en matière d'entretien et de maintenance courante jusqu'au terme des concessions en parallèle des opérations de remise en état des biens de retours prescrites dans le cadre du programme de travaux à exécuter au cours des cinq dernières années du contrat.

Aussi, le rapporteur considère-t-il que l'État concessionnaire doit exiger des concessionnaires l'ensemble des données et informations, au niveau de détail nécessaire à l'expertise précise des politiques d'entretien courant que comptent appliquer les sociétés d'autoroutes jusqu'à l'expiration de leur contrat. Comme le souligne l'ART cette problématique est loin d'être anodine : « afin de fixer des objectifs pertinents en matière de maintenance et d'entretien courant, le concédant pourrait exiger des concessionnaires qu'ils lui fournissent les valeurs historiques des indicateurs suivis en interne. À l'approche de l'échéance de leurs contrats, les concessionnaires pourraient être tentés de réduire leurs ambitions en matière de maintenance et d'entretien courant, notamment parce que cela pourrait leur permettre de réduire leurs dépenses, sans en subir les conséquences. Pour éviter ce phénomène, le concédant devrait se constituer des références sur les bonnes pratiques de maintenance et d'entretien. Or il ne fait pas de doute qu'en régime de croisière, les concessionnaires adoptent des politiques efficaces ».

Le rapporteur observe d'ailleurs que, selon les stipulations de l'article 35 des cahiers des charges, l'État concédant est parfaitement en droit d'exiger ces informations détaillées : « le concédant peut demander à la société concessionnaire toute information complémentaire sur le compte rendu de l'exécution de la concession ». Plus qu'un droit, le rapporteur considère que l'exercice de cette prérogative constitue un devoir à l'endroit de l'État concédant dans la perspective de préserver les intérêts patrimoniaux publics.

Recommandation n° 2 : exiger des sociétés concessionnaires d'autoroutes des données beaucoup plus précises et détaillées, notamment relevant de l'historique des indicateurs interne de suivi en termes de maintenance et d'entretien courant des infrastructures.

Les critiques que formule le Cerema sur les documents transmis par les concessionnaires portent de façon plus générale sur le niveau de compétence de certains bureaux d'études privés auprès desquels les sociétés d'autoroutes externalisent l'exécution de ces productions.

L'établissement public a notamment pu objectiver les lacunes des prestations produites par des bureaux d'études pour le compte des sociétés d'autoroutes à l'occasion d'une mission d'audit par sondage conduite cette année même au sujet des diagnostics de l'état des ouvrages d'art des concessions SANEF et ESCOTA, les deux premières à arriver à échéance, en décembre 2031 et en février 2032.

Les lacunes observées par le Cerema lors de cet audit recoupent des insuffisances qu'il avait déjà pu observer dans d'autres contextes s'agissant des productions des bureaux d'études techniques dans le domaine des infrastructures routières. Le Cerema a ainsi signalé au rapporteur que « les principaux enseignements sur ces contrôles des inspections sont similaires à ceux déjà connus avec d'autres gestionnaires :

niveau de qualification des personnes jamais mentionné ;

- qualité variable des rapports d'inspection détaillée périodique (IDP) ;

- très peu de photos, ce qui limite la qualité des rapports ;

- moyens d'accès aux ouvrages pas toujours adaptés ;

- analyse souvent succincte ;

- propositions d'analyse du dossier d'ouvrage, d'études ou d'investigations rares ;

des cas de sous-estimation de la cotation 2 au lieu de 2E (note IQOA) ».

Afin de parvenir à l'indispensable montée en compétence des bureaux d'études techniques qui interviennent dans le domaine des infrastructures autoroutières ainsi que pour améliorer, compléter et harmoniser le contenu des prestations qu'ils produisent, le Cerema défend une série de recommandations qui visent notamment à :

créer des qualifications et des certifications professionnelles dédiées ;

mieux définir le contenu de certaines prestations clés, notamment les rapports d'inspection détaillée périodique (IDP) ;

- généraliser les outils d'analyse automatisés recourant à l'intelligence artificielle ;

pour certains ouvrages d'art, notamment les ouvrages dits « évolutifs » aller au-delà de la seule cotation IQOA pour proposer des analyses plus fines de la mesure de l'état structurel de ces infrastructures particulièrement sensibles.

Le directeur général du Cerema a indiqué au rapporteur que certains aspects de ces recommandations faisaient d'ores et déjà l'objet de réflexions avec la filière. Compte-tenu de l'importance de l'intervention des bureaux d'études privés dans le processus de fin des concessions, pour le compte des sociétés d'autoroutes comme de l'État concédant, le rapporteur considère qu'il est urgent de faire aboutir ces propositions.

Recommandation n° 3 : améliorer la qualité des prestations produites par les bureaux d'études privés dans le domaine des infrastructures autoroutières en :

- créant des qualifications et des certifications professionnelles dédiées ;

- définissant et harmonisant le contenu de certaines prestations sensibles ;

- généralisant le recours à l'intelligence artificielle ;

- affinant les diagnostics de l'état des ouvrages d'art.

2. Prévenir les risques de conflits d'intérêts

Le rapporteur considère que le bon sens aurait voulu que ce soit le concédant, c'est-à-dire les services de l'État, qui réalise l'état des lieux du patrimoine de la concession. En effet, c'est à partir de ce document que l'État doit élaborer et notifier au concessionnaire le programme de travaux qui permettra la restitution en bon état des biens de retour de la concession. Cependant, faute de disposer des moyens suffisants, par défaut, l'État a décidé de déléguer ce travail aux sociétés d'autoroutes, ces dernières externalisant elles-mêmes cette mission auprès de bureaux d'études. Si cette décision peut être considérée comme pragmatique dans le contexte actuel, le rapporteur souligne néanmoins que le conflit d'intérêt des sociétés d'autoroutes qui est inhérent à cette méthode fragilise nécessairement la protection des intérêts patrimoniaux de l'État.

L'ART considère en effet que la délégation de l'élaboration de l'état des lieux aux sociétés d'autoroutes est une décision pragmatique qui s'imposait et qui « ne fait qu'acter un constat : le concessionnaire est le plus à même de dresser un état des lieux exhaustif de l'infrastructure dont la gestion lui est déléguée. C'est lui qui a la meilleure connaissance des contraintes d'exploitation, et la mise en oeuvre de sa politique de maintenance implique, en tout de cause, qu'il dispose déjà de l'essentiel des données requises »104(*).

Pourtant, il est incontestable qu'un conflit d'intérêts manifeste fragilise cette méthodologie. En effet, les sociétés d'autoroutes ont un intérêt évident à surestimer la mesure de l'état des biens de retour de leur concession puisque c'est cette mesure qui déterminera de façon mécanique le dimensionnement et le coût du programme de travaux qu'elles devront exécuter à leur charge au cours des cinq dernières années de leurs contrats. Il apparaît ainsi impératif de mettre en oeuvre une série de solides garde-fous visant à prévenir et atténuer au maximum les incidences de ce conflit d'intérêt.

L'ART reconnaît ce risque majeur qui implique que les services de l'État contrôlent de façon très rigoureuse ces documents essentiels dans la procédure de fin des concessions historiques : « s'il est pragmatique de demander au concessionnaire de fournir tous les éléments permettant d'évaluer l'état actuel des biens de retour, il est également indispensable de vérifier, d'une part, que les informations transmises suffisent pour établir un état des lieux exhaustif et, d'autre part, qu'elles sont exactes. Le concédant devrait probablement, avant de fixer définitivement le montant de la garantie financière, réaliser des contrôles sur l'état actuel du patrimoine en procédant par sondage, avec un délai de prévention suffisant pour permettre au concessionnaire d'opérer les éventuels balisages, mais réduit au maximum pour éviter que le concessionnaire puisse réaliser des interventions destinées à améliorer artificiellement l'appréciation de l'état de l'infrastructure ».

En amont, la construction des états des lieux a été encadrée par le concédant à travers une méthode normée et harmonisée qui s'appuie notamment sur des indicateurs spécifiques à chaque catégorie d'infrastructures, notamment l'ISTRU pour mesurer l'état de la structure des chaussées ou l'IQOA pour les ouvrages d'art.

En aval, après qu'il lui ait été remis par le concessionnaire, la DGITM audite l'état des lieux par sondage avec l'aide du Cerema et de bureaux d'études externes.

Le rapporteur souligne le caractère absolument déterminant de la réalisation de ces audits sur place. Certes, ils ne peuvent être exhaustifs mais ils doivent être opérés de façon extrêmement rigoureuse et tout particulièrement se concentrer sur les infrastructures les plus sensibles, à savoir les chaussées mais plus encore les ouvrages d'art dont les enjeux financiers de leur remise en état sont considérables, comme cela a été précisé supra s'agissant des ouvrages « évolutifs ». Le rapporteur observe que, compte-tenu de son expertise en la matière, la contribution du Cerema sera décisive dans ces travaux d'audit.

Cependant, la réalisation de ces audits, à travers la participation de bureaux d'études privés met en évidence un autre risque de conflit d'intérêts. Les bureaux d'études auxquels a recours la DGITM dans le cadre des procédures d'expiration des concessions historiques, qui ne sont pas nombreux dans le domaine, travaillent également et habituellement pour les sociétés d'autoroutes elles-mêmes. Un même bureau d'études sera ainsi amené à travailler pour le compte de l'État concédant tandis qu'il aura exécuté dans le passé et qu'il exécutera dans le futur des prestations pour les sociétés concessionnaires.

Si elle estime que le recours de la DGITM à des prestataires privés est indispensable dans le cadre des procédures de fin des concessions (voir supra), l'ART n'en est pas moins consciente du risque de conflit d'intérêts qui en résulte : « il conviendra néanmoins de s'assurer que les liens des bureaux d'études techniques avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes, dont ils sont des fournisseurs usuels, n'entachent pas la sincérité de leurs audits ».

La préservation des intérêts patrimoniaux de l'État dans le cadre des procédures d'expiration des concessions historiques reposera largement sur les audits et contrôles réalisés pour le compte de la sous-direction FCA. Or, bon nombre de ces opérations seront externalisées à des bureaux d'études qui, dans le même temps, travaillent aussi pour le compte des sociétés d'autoroutes. Le rapporteur observe ainsi que la protection des intérêts publics dépendra en bonne partie de la qualité, de l'objectivité et de la sincérité des prestations délivrées à la DGITM par ces bureaux d'études. Dans ce contexte, il est impératif de prendre des mesures visant à garantir leur indépendance. Cela implique notamment :

- des règles de transparence approfondies sur les experts qui auront contribué aux prestations ;

- une étanchéité au sein des bureaux d'études concernés entre les équipes qui travaillent pour le compte du concédant et du concessionnaire, tout particulièrement s'agissant d'une même concession ;

- l'impossibilité pour un bureau d'étude de réaliser des prestations destinées au concédant relatives à des objets sur lesquels il aurait déjà travaillé pour le compte de la société d'autoroutes concernée ;

- des audits réalisés avec l'aide du Cerema des prestations délivrées à la DGITM par ces bureaux d'études.

Le directeur général du Cerema a d'ailleurs indiqué au rapporteur que cette problématique se posait également pour son établissement qui travaille régulièrement pour les sociétés d'autoroutes. Pour prévenir les risques de conflit d'intérêts qui résultent de cette situation, le Cerema informe préalablement la DGITM des sollicitations qu'il reçoit de la part des sociétés d'autoroutes : « une information préalable de la DGITM est réalisée par le Cerema pour toute demande d'intervention pour le compte d'un concessionnaire, afin de s'assurer d'éviter toute situation d'éventuels conflits d'intérêt ».

Recommandation n° 4 : veiller à garantir l'indépendance réelle des bureaux d'étude auxquels auront recours les services de l'État dans le cadre des procédures d'achèvement des concessions historiques et à éviter tout risque de conflit d'intérêts.

B. L'ÉTAT DOIT DÉFENDRE SES INTÉRÊTS PATRIMONIAUX DE MANIÈRE INTRANSIGEANTE

1. Alors que les enjeux financiers pourraient dépasser 5 milliards d'euros, l'État doit faire valoir ses atouts

D'après l'ART, cumulés pour les sept concessions, le coût des programmes de travaux à exécuter d'ici à la fin des concessions pour remettre les biens de retour en « bon état » pourrait s'élever entre 5 milliards d'euros et 6 milliards d'euros. Sur cette somme, 4,4 milliards d'euros environ correspondent à la prolongation « en rythme de croisière » des opérations de gros entretien et de renouvellement actuellement réalisées par les concessionnaires. Ces efforts doivent se poursuivre. Par ailleurs, l'ART estime que « pour atteindre le niveau de bon état en fin de concession qu'exigera le concédant (...), un effort supplémentaire doit être demandé » aux sociétés d'autoroutes. L'autorité de régulation considère à ce stade que « cet effort supplémentaire devrait représenter des dépenses de plus d'1 milliard d'euros, correspondant principalement à des travaux de régénération d'ouvrages d'art ».

Ces enjeux financiers considérables, dans la mesure où ces programmes de travaux seront exécutés aux frais des sociétés d'autoroutes, rendent les procédures d'expiration des concessions historiques extrêmement sensibles. Dans ce contexte, s'il souffre de certains handicaps, l'État concessionnaire dispose également d'importants atouts qu'il doit faire prévaloir dans les discussions avec les concessionnaires.

Il s'agit notamment des analyses financières les plus actualisées de l'économie des concessions autoroutières qui démontrent la rentabilité prévisionnelle élevée, voire très élevée de certains concessionnaires. Ce contexte doit inciter l'État concédant à ne rien céder de ses prérogatives contractuelles lorsqu'il notifiera aux différents concessionnaires les programmes d'entretien et de rénovation qu'ils devront réaliser à leur charge au cours des cinq dernières années de leur contrat.

Dans leur rapport précité de 2021, l'IGF et le CGEDD incitaient ainsi l'État concédant à se saisir pleinement des prévisions financières relatives aux concessions : « la forte rentabilité des concessions doit être utilisée comme argument pour obtenir une pleine coopération des sociétés concessionnaires d'autoroutes dans la remise en bon état des biens de retour ». La proposition n° 10 de ce rapport recommandait à ce titre « d'utiliser les résultats des analyses de rentabilité (...) pour appuyer les futures négociations de l'État avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes, en particulier celles qui porteront sur le programme d'investissements de remise en bon état des biens de retour ».

Quand bien même aucune décision n'a été prise à ce stade sur le futur modèle de gestion du patrimoine autoroutier qui prévaudra après l'expiration des concessions historiques, cette perspective constitue aussi un sérieux atout pour l'État. En effet, les sociétés d'autoroutes actuelles, si elles ambitionnent de participer à ce modèle futur, notamment si le système concessif devait être reconduit dans une version réformée, ont tout intérêt à se montrer coopératives dans le cadre de la phase d'expiration de leurs contrats.

L'ART souligne ainsi la position de force « historique » dont peut se prévaloir l'État dans le cadre des procédures de fin des concessions historiques : « la sous-direction FCA bénéficie probablement d'un avantage historique dans le cadre des négociations liées à la fin des contrats : les acteurs sortants ont intérêt à se montrer constructifs aujourd'hui s'ils souhaitent que leurs candidatures lors des futurs appels d'offres soient valorisées ».

2. Un besoin de renforcement temporaire des capacités et compétences de l'État concédant

La défense stricte des intérêts patrimoniaux de l'État passe notamment par un renforcement temporaire de ses compétences afin de rééquilibrer le rapport de force avec les sociétés d'autoroutes. Ce constat résulte de la conjugaison du surcroit exceptionnel d'activité lié à la procédure de fin des concessions et des enjeux financiers considérables attachés à celle-ci. Il est notamment dressé par l'ART : « pour préparer efficacement l'avenir du réseau autoroutier, il paraît pertinent de renforcer, au moins temporairement, les moyens du concédant ». Pour l'autorité, « au regard des enjeux associés à la fin des concessions, qu'il est pertinent que les services de la DGITM fassent appel à des renforts pour mener à bien les différents chantiers, qui s'ajoutent à la gestion courante des contrats ».

Ce renforcement est nécessaire dans le domaine technique, pour lequel, comme indiqué supra, la DGITM fait notamment appel à l'expertise du Cerema et de bureaux d'études privés. Mais il est aussi impératif en matière juridique et financière, domaines dans lesquels les sociétés d'autoroutes sont extrêmement bien pourvues et accompagnées.

S'il ne doit pas être négligé, le coût budgétaire de ce renforcement des capacités de l'État concédant présente pour l'ART un intérêt « évident au regard des enjeux financiers qui s'attachent à la préparation de la fin des contrats de concession historiques ». Le rapporteur partage cette analyse et souligne qu'il convient de mettre en perspective les quelques millions d'euros que pourraient représenter cet appui temporaire avec les milliards d'euros qui sont en jeu.

3. L'État ne doit pas perdre de vue que c'est lui seul qui dispose du pouvoir de notifier le programme de travaux aux sociétés d'autoroutes
a) L'État ne doit pas chercher à tout prix l'accord des concessionnaires au détriment de ses propres intérêts patrimoniaux

S'il est légitime que le concédant échange avec les sociétés d'autoroutes dans le cadre de la procédure de fin des concessions historiques, la recherche d'un accord avec celles-ci ne doit en aucun cas conduire l'État à ne pas exercer toute la plénitude des prérogatives de puissance publique que lui confèrent les contrats. Une telle issue, qui constitue un risque réel au sujet duquel l'ART a entendu tout particulièrement alerter le rapporteur, reviendrait à « brader » les intérêts patrimoniaux de l'État. Elle n'est pas envisageable. Cela implique que l'État concédant s'en tienne à une lecture très stricte et intransigeante des stipulations des contrats. Cette lecture sera nécessairement contestée par les sociétés d'autoroutes dont l'intérêt est de limiter l'ampleur et le coût des travaux qui seront mis à leur charge pour remettre en état les biens de retour de leurs concessions. Dans cette hypothèse, le rapporteur considère que l'État ne doit pas se laisser intimider et ne pas craindre de défendre ses droits légitimes devant le juge si cela s'avérait nécessaire.

L'ART a ainsi mis en garde la DGITM et alerté le rapporteur sur cet enjeu, considérant qu'il était impératif que l'État maintienne une position très exigeante, en particulier sur la notion de « bon état » des biens de retour et la définition des programmes de travaux. L'autorité de régulation craint notamment que certaines formulations malheureuses introduites dans l'annexe portant sur le bon état en fin de concession conduisent l'État à sacrifier une part de ses prérogatives afin de trouver une forme de « compromis » avec les sociétés d'autoroutes. Les contrats prévoient notamment que l'État dispose de la prérogative inconditionnelle de notifier les programmes de travaux de fin de concessions aux sociétés d'autoroutes. En aucune façon cette notification se trouve conditionnée à un consensus préalable avec les concessionnaires.

Ainsi, l'ART estime que si l'annexe a « utilement précisé les modalités de travail entre le concédant et le concessionnaire, cela ne doit pas conduire le concédant à renoncer à ses prérogatives de puissance publique. Elle prévoit en particulier que les concessionnaires participent activement à l'établissement du programme de travaux, ce que les contrats ne prévoyaient pas aussi explicitement. Cette clarification de la contribution attendue des concessionnaires est le signe d'une approche pragmatique, dans laquelle le concédant reconnaît que les concessionnaires sont ceux qui disposent de la meilleure connaissance du réseau qu'ils exploitent. Pour autant, le concédant devrait rester vigilant et veiller à conserver un regard critique sur les propositions des concessionnaires »105(*).

La formulation la plus problématique introduite dans l'annexe concerne la définition de la doctrine de « bon état » des biens de retour : « l'affichage dans l'annexe de la « volonté d'aboutir à une définition commune » des critères d'appréciation du bon état apparaît regrettable : il devrait être clair pour toutes les parties que les concessionnaires et le concédant ne sont pas, s'agissant de la fixation des exigences en matière de bon état, sur un pied d'égalité »106(*).

b) L'État ne devrait pas se précipiter pour finaliser les programmes de travaux qui seront notifiés aux premières concessions arrivant à échéance

Les échéances de la procédure de fin des concessions sont très contraignantes pour les services de l'État. Concernant la première concession arrivant à expiration, opérée par la société SANEF, après une remise de l'état des lieux en juin dernier, l'État ne dispose que de six mois pour notifier, avant le 31 décembre 2024, le programme de travaux qui devra être exécuté par le concessionnaire. Au cours de ces six mois, les services de l'État auront dû préalablement d'une part arrêter la doctrine de bon état de biens de retour, principalement s'agissant des ouvrages d'art « évolutifs », et d'autre part auditer l'état des lieux et instruire la proposition de programme d'entretien et de rénovation remis par la société d'autoroutes.

Alors que les services de l'État se lancent à peine dans les méandres de ces procédures extrêmement complexes et qu'ils ne disposent pour cela d'aucun retour sur expérience, ces objectifs apparaissaient d'emblée comme extrêmement ambitieux. Ils le sont d'autant plus que des divergences importantes demeurent entre l'État concédant et la société SANEF au sujet de la définition de la doctrine de « bon état » en fin de concession des biens de retour, tout particulièrement s'agissant des ouvrages d'art « évolutifs », une problématique qui se présentera avec encore davantage d'acuité sur d'autres concessions historiques.

Le risque apparaît désormais élevé que l'État ne soit pas en mesure de finaliser le programme de travaux exhaustif dans les temps et dans des conditions permettant de garantir pleinement ses intérêts patrimoniaux.

Cette crainte est notamment exprimée par l'ART : « il est possible que le concédant ne parvienne pas à finaliser un programme de travaux complet pour le groupe SANEF avant la fin de l'année. Cela peut s'expliquer non seulement par la complexité de l'exercice, qui constitue une première de l'histoire des concessions autoroutières françaises, mais aussi par les fortes réticences de certains concessionnaires à reconnaître la nécessité de réaliser un effort supplémentaire en matière d'entretien, de maintenance et de renouvellement de l'infrastructure en fin de contrat. En effet, des objectifs ambitieux ne pourront être défendus que s'ils sont appliqués uniformément à toutes les concessions »107(*).

Dans ces conditions, vouloir précipiter les opérations pour respecter l'échéance du 31 décembre 2024 pourrait aboutir à la définition d'un programme insuffisamment ambitieux non seulement pour les premières concessions arrivant à échéance mais également, « par ricochet » pour l'ensemble des autres concessions dans la mesure où il serait juridiquement très périlleux de revenir en arrière sur des points de doctrine qui auront été défini dans le cadre de l'expiration des premiers contrats.

C'est l'enjeu que l'ART a signalé au rapporteur : « il paraît préférable, compte tenu des répercussions qu'ils auront sur le bon déroulement de la fin de l'ensemble de contrats historiques, de mener convenablement les travaux concernant SANEF plutôt que de les précipiter pour respecter le calendrier prévu »108(*). L'autorité considère ainsi qu'un retard, aussi regrettable soit-il, resterait « moins préjudiciable que la fixation d'un programme de travaux reflétant des exigences limitées concernant l'appréciation du bon état, une faible ambition à l'échelle de la concession SANEF aurait en outre nécessairement des répercussions sur le niveau réaliste des ambitions à l'échelle de l'ensemble des concessions historiques »109(*).

Au regard des risques qui pourraient affecter l'ensemble de la procédure au détriment de la préservation des intérêts patrimoniaux de l'État, si la DGITM n'était pas en mesure de le finaliser de façon optimale dans le calendrier prévu, il apparaît raisonnable qu'elle n'exclue pas d'emblée l'hypothèse de ne notifier au 31 décembre 2024 qu'un programme de travaux partiel à la société SANEF. Une notification d'un programme, même partiel, apparaît en effet nécessaire pour garantir la sécurité juridique de la procédure.

Par ailleurs, le rapporteur souligne que la notification du programme de travaux devra prendre la forme d'un avenant au cahier des charges soumis aux avis de l'ART et du Conseil d'État. L'une comme l'autre pourra en effet s'assurer que les programmes de travaux notifiés par l'État respectent les stipulations des contrats, notamment s'agissant de la définition de la doctrine du « bon état » des biens de retours, et qu'ils sont suffisamment protecteurs des intérêts publics. Ce « filet de sécurité » juridique apparaît en effet tout à fait indispensable compte-tenu des intérêts et des sommes qui sont en jeu.

Recommandation n° 5 : la notification aux sociétés d'autoroutes des programmes d'entretien et de rénovation devra prendre la forme d'un avenant à leurs contrats soumis aux avis de l'ART et du Conseil d'État qui veilleront à ce que les intérêts de l'État aient été pleinement défendus dans le cadre de cette procédure.

c) L'État doit veiller à bien dimensionner les garanties financières que devront constituer les sociétés d'autoroutes

La réalisation effective des travaux qui auront été prescrits par l'État dans le cadre des programmes d'entretien et de rénovation doit être assurée par la constitution d'une garantie financière par les concessionnaires. Pour être efficace, cette garantie devra être calibrée de la façon la plus précise possible en prenant en compte de façon exhaustive les travaux prescrits dans les programmes.

Si besoin, comme le suggère l'ART, le concédant pourrait pour cela avoir recours à une méthode statistique intégrant notamment « des travaux génériques d'entretien et de maintenance des équipements » ou encore « le rythme usuel de dégradation des actifs » de façon à « éviter le risque d'une sous-estimation des travaux nécessaires à la restitution des infrastructures en bon état ». Pour que la garantie puisse réellement jouer son rôle, son calibrage devrait aussi intégrer les risques et aléas inhérents à tout chantier, « qu'il s'agisse d'incertitudes sur des facteurs génériques, comme l'évolution générale des prix, ou d'incertitudes sur des facteurs spécifiques, comme la complexité des travaux à réaliser ou la disponibilité des entreprises spécialisées et de leur matériel spécialisé »110(*).

Faute d'une garantie dimensionnée de façon suffisante, dans l'hypothèse d'un concessionnaire défaillant, le risque que l'État se voit restituer des infrastructures en mauvais état est réel.

4. L'état des lieux à l'échéance des concessions devra être réalisé de façon très rigoureuse

L'état des lieux à l'échéance de la concession, « le moment de vérité » du processus de fin des concessions en sera l'une des phases les plus délicates. En pratique, compte-tenu de l'ampleur de la tâche, cette opération s'étendra sur une longue période précédant l'expiration effective du contrat.

Un contrôle exhaustif des travaux réalisés dans le cadre du programme d'investissement devra être réalisé au cours de cette phase. Une circulaire de juillet 2023111(*) prévoit bien dorénavant ces vérifications exhaustives réalisées au moyen de contrôles effectués sur place. « Les inspections réalisées dans ce cadre seront organisées comme des inspections de travaux, avec l'établissement de procès-verbaux listant les observations du concédant et les travaux restant à réaliser par la société concessionnaire, et avec la mention des délais de traitement des observations et de réalisation des travaux restants »112(*).

Cependant, au-delà de ce contrôle exhaustif des gros chantiers, la vérification du bon état des biens en fin de concession suppose également un contrôle par sondage des opérations d'entretien et de maintenance plus modestes. Or, l'ART a signalé au rapporteur que ce contrôle n'a toujours pas été formalisé. Pour s'assurer de la remise en bon état des biens de retour, il est nécessaire que les modalités de ce contrôle soient définies.

Recommandation n° 6 : en amont de l'échéance des contrats, l'État devra réaliser une vérification exhaustive et rigoureuse de la réalisation effective de l'ensemble des travaux prévus dans le cadre des programmes de travaux mais aussi un contrôle par sondage des opérations d'entretien et de maintenance courantes effectuées au cours des dernières années de chaque concession.

IV. LES INVESTISSEMENTS DE « SECONDE GÉNÉRATION » : PLUSIEURS MILLIARDS D'EUROS DUS PAR LES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES ?

En marge des procédures de fin des concessions, l'État concédant doit traiter une problématique peu connue mais dont les enjeux financiers sont extrêmement significatifs. Il s'agit des investissements dits de « seconde génération ». Derrière ce terme « se cachent » des opérations d'investissements d'envergure, prévues dans les contrats de concessions mais non réalisées à ce jour par les sociétés d'autoroutes. Prises en compte dans l'équilibre économique des contrats, ces opérations ont pourtant été compensées financièrement à ces mêmes sociétés à travers les péages versés par les usagers des réseaux autoroutiers.

L'ART a entendu tout particulièrement alerter le rapporteur quant aux enjeux considérables de cette question. Elle a procédé à un premier travail de recensement de ces investissements qui doit absolument être repris et approfondi d'urgence par les services de l'État. Dans ce premier recensement l'ART a ainsi identifié des opérations d'investissement représentant pas moins de 38 élargissements pour environ 1 000 kilomètres de linéaire, soit plus d'un dixième du réseau autoroutier total. De manière plus anecdotique, l'autorité a aussi recensé douze diffuseurs mentionnés dans les contrats et qui n'étaient pas encore construits.

Il s'agit désormais de vérifier, opération par opération, celles qui ont été intégrées dans l'équilibre financier des contrats et donc déjà financées par les péages et celles qui ne l'avaient pas été. Ce n'est qu'à l'issue de cette instruction, qui doit être conduite par l'État, que le périmètre des investissements de seconde génération pourra être précisément cerné. Ce sont les suites qu'il convient d'apporter au recensement effectué par l'ART : « les travaux ne s'arrêtent néanmoins pas ici. Il reste à distinguer, au sein de ces investissements, ceux qui sont déjà compris dans l'équilibre économique des contrats et ceux qui ne le sont pas. Autrement dit, il reste à déterminer précisément les investissements pour lesquels il peut être considéré qu'une compensation a déjà été contractualisée, et ceux pour lesquels aucune compensation n'a été expressément prévue (sous forme de hausse de péage, de subvention ou sous toute autre forme, comme l'emploi de reliquats d'opérations abandonnées). Ceci permettra de conclure sur le périmètre exact des investissements qui sont, ou non, exigibles sans compensation supplémentaire »113(*).

D'après les premières estimations de l'ART, plusieurs milliards d'euros d'investissements pourraient être concernés. Il est probable que pour une majorité d'entre-eux, la réalisation de ces investissements ne serait plus pertinente tant au regard de l'évolution des conditions de circulation que des habitudes de mobilité. C'est d'ailleurs vraisemblablement la raison qui explique qu'ils n'aient jamais été exécutés. Il n'en demeure pas moins que certains de ces investissements ont fait l'objet de compensations financières au bénéfice des sociétés d'autoroutes et que cette question doit être traitée d'ici à la fin des contrats, et ce, quand bien même les opérations ne seraient jamais réalisées. C'est pour cette raison que l'ART a souligné auprès du rapporteur que « la question des investissements qui sont dus et celle des investissements qui sont pertinents ne doivent pas être confondues ».

Dans l'hypothèse où il ne serait jamais exécuté, un investissement de seconde génération prévu et compensé financièrement par un contrat de concession constituerait un avantage financier indu pour la société d'autoroutes concernée. Aussi, l'État concédant a-t-il le devoir de prendre des mesures pour corriger cette situation. C'est ce que l'ART a clairement signifié aux services de la DGITM : « toute dépense qui serait due en application du contrat, mais évitée in fine par le concessionnaire, serait constitutive d'un avantage financier pour ce dernier, qui devrait être utilisé au bénéfice des usagers des autoroutes concédées. Si le financement des investissements de seconde génération est assuré par des recettes de péage, passées ou à venir, l'abandon des opérations revient à déconnecter le tarif des péages du coût de la fourniture du service autoroutier. Il n'y a alors que deux solutions pour les réconcilier : améliorer la qualité du service autoroutier à travers des dépenses alternatives, ou diminuer le péage ».

Le rapporteur a appris que l'ART et les services de l'État échangent actuellement de façon régulière sur cette question sensible dont les enjeux pourraient représenter plusieurs milliards d'euros d'après le régulateur. Pourtant, l'État n'a toujours pas arrêté sa position sur le sujet.

Aussi, le rapporteur recommande-t-il à l'État de procéder d'urgence au recensement de l'ensemble des investissements prévus dans les contrats de concession et déjà compensés financièrement aux sociétés d'autoroutes par les recettes tarifaires. Le temps nécessaire à ce travail ne doit pas être sous-estimé compte-tenu de l'ampleur de la tâche. C'est pourquoi il est indispensable que les services de la DGITM l'engagent sans délai. À l'issue de ce recensement, l'État concédant devra estimer le caractère pertinent ou non de l'exécution de ces opérations. Pour toutes celles dont la réalisation serait jugée non adaptée à la situation actuelle, le rapporteur propose que leur soient substitués des investissements alternatifs utiles, notamment visant à faire progresser la transition écologique des infrastructures autoroutières. Pour ces investissements alternatifs, à définir de façon rigoureuse, le rapporteur suggère ainsi de prioriser des opérations en faveur du report modal (tels que la réalisation de pôles d'échanges multimodaux, de voies de cars express ou de covoiturage, etc.) et de l'adaptation des infrastructures au changement climatique (par exemple la réalisation d'ouvrages d'assainissement, l'isolation de postes électriques, la consolidation des chaussées, etc.).

Recommandation n° 7 : réaliser un recensement précis de l'ensemble des investissements prévus dans les contrats de concessions et déjà financés par les péages puis s'assurer qu'ils soient effectivement réalisés par les concessionnaires ou, le cas échéant, remplacés par d'autres investissements plus pertinents, notamment en lien avec la transition écologique des infrastructures autoroutières.

TROISIÈME PARTIE

LE MODÈLE QUI SUCCÈDERA AUX CONCESSIONS HISTORIQUES DEVRA ÊTRE PLUS PROTECTEUR DES INTÉRÊTS PATRIMONIAUX DE L'ÉTAT

I. LA GRATUITÉ : UN « PIÈGE DÉMAGOGIQUE » À ÉVITER

L'un des préalables à toute réflexion sur le modèle de gestion du patrimoine autoroutier consiste à déterminer le modèle de financement des infrastructures autoroutières. Deux options sont possibles, un financement par l'usager à travers les péages selon une logique « d'utilisateur-payeur » ou bien un financement par l'ensemble des contribuables à travers le budget de l'État.

Le rapporteur a déjà pu exposer les nombreux avantages d'un financement du patrimoine autoroutier par l'usager. La gratuité, aussi attractive soit-elle au premier abord, constitue selon lui un piège aux conséquences en chaîne aussi étendues que néfastes pour le réseau autoroutier en tant que tel mais plus largement pour la transition écologique du secteur des transports dans son ensemble.

En effet, la perspective de supprimer les péages autoroutiers à l'issue des concessions historiques, « un piège à démagogie » selon l'ancien président de l'ART Bernard Roman aurait des répercussions particulièrement problématiques.

En diminuant drastiquement le coût d'usage des autoroutes pour les usagers elle se traduirait mécaniquement par une incitation très puissante à un report modal inversé qui irait à l'encontre de tous les objectifs environnementaux que s'est fixée la France en matière de transport. En effet, la compétitivité de la voiture individuelle par rapport aux transports collectifs ferait un bon substantiel. Sauf à faire l'objet d'une augmentation massive de subventions publiques, le secteur ferroviaire, pour les longues comme pour les courtes distances, verrait sa compétitivité s'effondrer vis-à-vis de la route. Les émissions de gaz à effets de serre générées par le secteur des transports s'en ressentiraient.

Par ailleurs, sans financement par les usagers, les investissements dans les infrastructures seraient fortement exposés aux contraintes pesant sur les finances publiques, à la règle de l'annualité budgétaire et aux aléas politiques. Ces conditions conduiraient à une spirale de dégradation de l'état d'entretien des infrastructures qui, lorsqu'elle est engagée, devient très difficile à enrayer. Très dégradé, le réseau routier non concédé constitue le plus parfait exemple de ce phénomène.

Par ailleurs, la gratuité des autoroutes, compte-tenu de la situation de carrefour géographique de la France et de l'importance sur ses réseaux des trafics liés au transport routier de marchandises ou tourisme conduirait à un transfert financier substantiel du contribuable français au profit des usagers étrangers des infrastructures routières françaises qui ne contribueraient plus financièrement à leur entretien.

II. PARMI LES DIFFÉRENTES OPTIONS ENVISAGEABLES, LE MODÈLE CONCESSIF PRÉSENTE PLUSIEURS AVANTAGES

A. LA GESTION PUBLIQUE EN RÉGIE : UNE SOLUTION INADAPTÉE

1. La gestion publique en régie élimine le sujet de la potentielle captation d'une rente par des sociétés privées mais fais peser parallèlement davantage de risques financiers sur l'État

Une première hypothèse serait que l'État reprenne en propre, c'est-à-dire « en régie »114(*), la gestion du patrimoine des concessions historiques après l'expiration des contrats. C'est ainsi par exemple qu'est géré le réseau routier national non concédé. Selon ce modèle, la conception, la construction, l'entretien, l'exploitation et la maintenance des infrastructures relèveraient de l'État, soit à travers une gestion en régie directe, soit, le cas échéant, en recourant à des tiers dans le cadre de marchés publics.

Le choix d'un modèle de gestion du réseau autoroutier revient essentiellement à arbitrer entre différentes configurations d'allocation des risques qui sont inhérents à cette gestion. Ces risques, « pour le meilleur ou pour le pire », peuvent être portés par les contribuables, à travers l'État, les usagers ou les délégataires publics ou privés.

Schématiquement, dans sa plus pure acception, le modèle de la gestion en régie fait peser l'ensemble des risques sur l'État à l'inverse de la concession qui quant-à-elle suppose de transférer une grande partie de ces risques au concessionnaire.

En ce sens, une des vertus de la gestion publique en régie est qu'elle évite la captation d'une éventuelle rente par le secteur privé dans les hypothèses où l'évolution de certains risques au cours de la période de gestion se révélerait in fine plus favorable au délégataire que ce qui avait été anticipé initialement. Comme précisé supra, c'est la situation qui s'est produite dans le cadre des concessions historiques après la privatisation de 2006, essentiellement en raison des gains de refinancement qui ont résulté de la faiblesse durable des taux d'intérêt.

Cependant, inversement, ce modèle, s'il est appliqué dans toute sa plénitude, expose très largement l'État et, par voie de conséquence, le contribuable, à des risques qu'il n'est absolument pas en mesure de maîtriser : conception, construction, entretien, trafic, etc.

Ce « revers de la médaille » de la gestion en régie est notamment souligné par l'ART : « la régie donne un contrôle complet à la puissance publique, tout en garantissant l'absence de capture de rente par le secteur privé. Néanmoins, cela signifie qu'elle doit assumer les conséquences des éventuelles dérives de coûts ou de recettes inférieures aux prévisions »115(*).

2. L'option de la régie publique réduit les incitations à la performance et présente des difficultés pour l'État tant en termes d'effectifs que de compétences

Une gestion en régie pure des autoroutes nécessiterait que l'État reprenne l'ensemble des effectifs actuels des sociétés concessionnaires, soit une augmentation nette immédiate et structurelle des emplois et des dépenses publiques. Il est vrai cependant que certains accommodements du modèle pourraient permettre de limiter l'ampleur de ce transfert d'effectifs.

En effet, il convient de nuancer certaines idées reçues à propos de la gestion en régie. Dans les représentations, celle-ci est souvent associée d'une part à l'absence d'intervention d'acteurs privés dans l'exploitation du réseau et d'autre part à la suppression des péages. Pourtant, ces deux associations ne sont pas automatiques. En effet, le modèle de la régie peut s'accommoder d'une certaine dose de participation d'acteurs privés à la gestion du réseau autoroutier et le cas échéant prévoir un système de tarification de type péages.

Ainsi, si dans l'hypothèse d'une reprise du réseau concédé en régie les effectifs de l'État en charge du réseau autoroutier devraient nécessairement être sensiblement renforcés, notamment à des fins de pilotage, l'ART souligne « qu'une large partie des activités de construction, d'entretien et d'exploitation peuvent être confiées à des tiers dans le cadre de contrats de type marchés publics »116(*). L'exemple britannique illustre notamment cette possibilité.

Le modèle de la régie britannique

Dans le modèle de régie britannique, National Highways est une structure qui dispose d'une large autonomie d'organisation et de gestion par rapport à l'État (department for transport) et qui, pour certains secteurs du strategic road network, a fait le choix de recourir à des contrats de type « marchés publics de service » dans le cadre desquels elle externalise l'exploitation et la maintenance.

Source : l'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023

L'autorité a indiqué au rapporteur qu'à leur échelle c'est aussi le mode de gestion qui a été retenu par les sociétés concessionnaires d'autoroutes les plus récentes « qui s'appuient sur des équipes resserrées et font appel à des prestataires extérieurs non seulement pour les travaux d'envergure, mais aussi pour les activités récurrentes d'entretien et d'exploitation »117(*). Dans le cadre de telles délégations, même en cas de gestion en régie, il n'est ainsi pas exclu qu'une partie des risques en matière de construction, d'entretien voire même d'exploitation restent, comme aujourd'hui, externalisée au secteur privé. Aussi, les distinctions schématiques du modèle d'allocation des risques entre gestion en régie et concession, si elles demeurent néanmoins très nettes, méritent-t-elles d'être légèrement nuancées.

Cependant, quelle que soit l'ampleur des externalisations l'État devrait nécessairement recruter de nouveaux agents et acquérir de nouvelles compétences pour reprendre en main la gestion du réseau autoroutier concédé. En effet, depuis des dizaines d'années, les services de l'État se sont spécialisés dans la mission principale qu'ils exercent au titre du suivi des concessions, celle du contrôle et de l'expertise technique des travaux réalisés par les sociétés d'autoroutes et de l'état du patrimoine.

En 2020, la commission d'enquête du Sénat pointait, dans l'hypothèse d'une reprise de la gestion des autoroutes en régie « l'expertise technique et financière inadaptée des services de l'État ». Elle soulignait que « les ressources disponibles pour intervenir directement seraient manifestement insuffisantes pour remplir cette mission, comme en témoignent les difficultés à assurer un état satisfaisant du réseau non concédé ».

Alors que la qualité et la compétence avec lesquelles les sociétés concessionnaires gèrent le réseau autoroutier sont unanimement reconnues et saluées, il est douteux que l'État serait en mesure de les égaler, au moins à court et moyen terme, faute de l'expérience qui a pu être accumulée pendant des décennies par les concessionnaires. La commission d'enquête sénatoriale observait à ce titre « qu'il paraîtrait difficilement envisageable que l'État assure lui-même la passation des très nombreux marchés de travaux, fournitures et services auxquels donne lieu l'exploitation des autoroutes, y compris les installations de service présentes sur les aires d'autoroutes ». Cette même commission d'enquête en arrivait à la conclusion suivante : « au total, confier la gestion des autoroutes à l'État n'apparaît donc guère comme la solution la plus adéquate pour garantir le maintien du niveau actuel d'entretien, et donc de sécurité, de ces infrastructures ».

Au-delà même des capacités et des compétences nécessaires à la gestion en régie du patrimoine autoroutier se pose aussi la question du coût et de l'efficience de cette gestion. Sur ce plan, sans vouloir établir de raccourcis trop réducteurs, il n'est pas certain qu'une gestion publique du réseau autoroutier assure des incitations à la performance aussi importantes qu'un modèle de gestion déléguée tel que la concession par exemple. Cela vaut pour la performance économique comme pour la qualité de service rendu aux usagers. Cette crainte avait notamment été exprimée par la commission d'enquête sénatoriale : « une entreprise, qu'elle soit publique ou privée, obéit systématiquement à une logique de maximisation de ses profits, mais, dans le cas d'une structure publique, des pertes éventuelles sont souvent considérées comme moins dommageables car susceptibles d'être compensées par l'État. Le gestionnaire public a donc une moindre incitation à mettre en oeuvre une gestion rigoureuse et à générer des gains de productivité qu'un gestionnaire privé. Un tel risque serait susceptible de se matérialiser si l'État devait assurer lui-même la gestion de ses autoroutes ».

Outre des incitations à la performance plus forte pendant la phase d'exploitation du réseau, les modalités de gestion déléguée, notamment la concession à condition que la durée des contrats soit raisonnable, permettent de faire jouer à plein le potentiel d'efficience lié à la concurrence. En effet, la mise en concurrence est tout à fait essentielle en matière de performance économique de la gestion des autoroutes au sens où elle incite les acteurs à révéler la réalité de leurs coûts. Or, et même si des formes d'externalisation par marchés publics peuvent introduire des formes de mise en concurrence dans le modèle, la gestion en régie bénéficie moins, voire pas du tout des gains d'efficacité associés à la concurrence.

3. Une légitimité des péages fragilisée et un financement de l'entretien des infrastructures menacé

Certes, rien n'empêcherait, en théorie, de maintenir des péages en cas de reprise des autoroutes en régie, des péages qui pourraient par exemple, selon certaines hypothèses, être versés à un établissement public national unique chargé de chapoter la gestion de l'ensemble du réseau. Cette perspective a été et est toujours préconisé par certains acteurs du secteur qui prônent la création d'un nouvel établissement public industriel et commercial (EPIC) sur le modèle de l'actuel Voies navigables de France (VNF) ou de l'ancien EPIC SNCF Réseau, qui pourrait être baptisé « Route de France ». Il aurait vocation, après le terme des contrats historiques, à gérer l'ensemble des infrastructures routières et autoroutières nationales, y compris l'actuel périmètre concédé. Une telle perspective a pu notamment, à cette époque pour le seul réseau non concédé, être envisagée dans le cadre des assises de la mobilité qui s'étaient tenues en 2017. Néanmoins, il n'apparaît pas certain que la création d'une nouvelle structure de ce type soit souhaitable aujourd'hui. En Allemagne par exemple, une tarification des poids lourds s'applique118(*) dans le cadre d'un modèle de gestion en régie centralisée par une entreprise publique119(*) qui opère pour le compte de l'État fédéral. Cependant, les péages seraient sans aucun doute soumis à de fortes pressions politiques pour les abaisser voire les supprimer. Indéniablement, une gestion du réseau autoroutier par l'État en régie fragiliserait fortement la légitimité du système de tarification actuel et menacerait sa pérennité. À des fins démagogiques, des personnalités ou partis politiques seraient sans aucun doute amenés à promettre la gratuité des autoroutes.

Ainsi, tout en reconnaissant que les péages ne sont pas incompatibles avec un mode de gestion différent de la concession, l'ART n'en souligne-t-elle pas moins que « la présence d'un concessionnaire peut faciliter le maintien du péage, lorsque des pressions peuvent s'exercer en faveur de sa diminution, si ce n'est de son retrait : lorsqu'il peut être démontré que le péage est la contrepartie contractuelle d'obligations octroyées à un concessionnaire, alors sa nécessité, comme moyen de recouvrer les coûts de l'infrastructure, semble moins contestable »120(*).

Le rapporteur observe que le modèle concessif est celui qui sécurise et justifie le mieux le principe d'un financement des infrastructures autoroutières par les usagers à travers un système de tarification par péages.

Par ailleurs, et bien entendu plus encore si les péages étaient abolis, en cas de gestion publique en régie, le financement de l'entretien et de la maintenance du réseau autoroutier national serait soumis au principe d'annualité budgétaire et à tous les aléas politiques qu'il suppose.

En effet, d'un point de vue budgétaire et en comptabilité nationale, en cas de reprise des autoroutes en régie, les dépenses relatives à la gestion des autoroutes, aujourd'hui non publiques car portées par des sociétés concessionnaires privées, seraient intégrées au budget de l'État et en toute hypothèses comptabilisées en dépenses publiques. Il en résulterait ainsi une augmentation nette des dépenses publiques nationales et, le cas échéant du déficit public si les péages n'étaient pas maintenus à leur niveau actuel.

Par ailleurs, la dette résultant de la gestion de ce patrimoine, aujourd'hui non publique puisque détenue par les sociétés d'autoroutes, serait « consolidée » et intégrée au ratio de dette publique national dit « Maastrichtien » qui fait l'objet d'un encadrement européen. Pour ces raisons, la gestion des infrastructures autoroutières ferait partie intégrante des arbitrages budgétaires et comptables annuels et pourrait, à ce titre, être utilisée comme variable d'ajustement dans la perspective de respecter les objectifs d'évolution des ratios de dépenses et de dette publiques.

Dans le contexte que l'on connaît aujourd'hui de très forte contrainte budgétaire, le rapporteur considère qu'une telle situation représenterait à terme une vraie menace pour l'entretien des infrastructures autoroutières. Aujourd'hui unanimement reconnus, l'état d'entretien et la qualité de services du réseau autoroutier aujourd'hui concédé risqueraient de se dégrader de manière accélérée à l'image de la situation actuelle très préoccupante du réseau routier (et autoroutier) national non concédé. L'état de dégradation des infrastructures routières nationales non concédées gérées en régie par l'État constituent un contre-exemple qu'il faut à tout prix éviter de reproduire sur le réseau autoroutier aujourd'hui en concessions.

En 2020, ce risque inhérent au modèle de la gestion en régie par l'État avait déjà bien été identifié par la commission d'enquête sénatoriale : « les contraintes qui pèsent sur les finances publiques sont aujourd'hui telles que l'on peut légitimement s'interroger sur la pérennité des financements affectés à l'entretien du réseau autoroutier si l'État en reprenait la gestion en direct. Le risque serait en effet que les autoroutes soient victimes d'arbitrages budgétaires défavorables, au risque d'entraîner une dégradation des infrastructures existantes, à l'instar de ce qu'ont connu au cours des dernières décennies tant le réseau ferré que le réseau autoroutier non concédé ».

B. DEUX FORMES DE DÉLÉGATION DE LA GESTION DES AUTOROUTES SONT POSSIBLES : LES PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ ET LES CONCESSIONS

1. Les « partenariats public-privé » ne sont que peu utilisés à ce jour dans le domaine des infrastructures de transport

La délégation de la gestion des autoroutes pourrait s'effectuer au moyen de marchés de partenariats, les anciens « partenariats public-privé » ou « PPP », à la réputation parfois « sulfureuse ». Selon ce modèle, l'État supporterait le risque trafic et prélèverait les péages à son compte. Dans le cadre de contrats de partenariats attribués via des procédures de mise en concurrence, il confierait à des tiers, le cas échéant à des sociétés privées, la construction voire l'entretien, la maintenance et l'exploitation des infrastructures autoroutières. En contrepartie, l'État leur verserait un loyer fixe sur toute la durée du contrat.

En effet, le marché de partenariat permet à la puissance publique d'intégrer dans un contrat unique la conception, la construction, le financement privé ainsi que l'exploitation technique d'un ouvrage. Le périmètre minimum obligatoire de ce marché porte sur la construction et tout ou partie du financement de l'ouvrage. Le périmètre maximal d'un tel marché peut aller jusqu'à l'exploitation commerciale de l'ouvrage considéré mais sans transfert significatif du risque lié à la demande, c'est-à-dire du risque trafic, faute de quoi le contrat serait vraisemblablement requalifié par le juge en contrat de concession.

En Europe, ce modèle est notamment pratiqué au Portugal, sur environ 60 % de l'ensemble de son réseau autoroutier. Dans ce pays, pour les tronçons ainsi opérés, le gestionnaire public, Infraestructuras de Portugal, supporte le risque trafic, prélève les péages et délègue la gestion opérationnelle des infrastructures autoroutières à des entités privées.

En France, ce mode de gestion est toutefois très peu usité dans le secteur des infrastructures de transport, à l'exception du boulevard périphérique du nord de Lyon (BPNL), de la rocade L2 de Marseille, de la ligne LGV Bretagne - Pays-de-la-Loire ou encore de la gare de Montpellier. Il ne concerne actuellement que de « petites » infrastructures récentes très loin de l'ampleur du réseau autoroutier national concédé. Faute de retours d'expérience substantiels, un tel changement d'échelle pourrait s'apparenter à une forme de « saut dans l'inconnu » périlleux.

D'un point de vue budgétaire, les loyers qui seraient dus par l'État aux tiers contractants constitueraient des dépenses publiques obligatoires de long terme. Elles aboutiraient ainsi à augmenter et à rigidifier les ratios de dépenses publiques. Par ailleurs, le modèle des marchés de partenariat conduirait vraisemblablement, notamment selon l'analyse de la direction générale du Trésor, à une consolidation de l'essentiel des coûts d'investissement prévisionnels relatifs aux infrastructures considérées. La dette publique française au sens « Maastrichtien », qui relève des dispositifs d'encadrement européen des finances publiques nationales, serait ainsi majorée au détriment des marges de manoeuvre budgétaires du pays.

Enfin, pour qu'un marché de partenariat soit légal, la personne publique contractante, en l'occurrence l'État, doit effectuer la démonstration, le cas échéant devant le juge, que cette option présente un bilan plus favorable que d'autres montages possibles, notamment sur le plan financier.

2. Les insuffisances des contrats historiques ne doivent pas conduire à jeter l'opprobre sur un modèle concessif qui comporte des atouts indéniables pour l'État comme pour les usagers

Le modèle de la concession est celui qui se caractérise par l'externalisation la plus complète de la gestion des infrastructures et le transfert de risques le plus approfondi. En effet, le concessionnaire doit assurer la construction, l'entretien et l'exploitation des infrastructures concernées. Dans le cadre de ce modèle, le concessionnaire doit porter une part significative du risque d'exploitation, c'est-à-dire le risque de fréquentation de l'ouvrage, communément appelé « risque trafic » dans le secteur autoroutier. À défaut, le contrat pourrait être requalifié par le juge en marché de partenariat.

Le concessionnaire est rémunéré par les usagers qui lui versent des péages. Ces péages sont établis de façon à couvrir les coûts du concessionnaire, y compris en matière de rémunération du capital.

Il est à noter que concession ne rime pas nécessairement avec privatisation. Au contraire, historiquement, jusqu'en 2006, la majorité des concessions autoroutières avaient été octroyées à des sociétés à capitaux publics. Aujourd'hui encore, les concessions du tunnel du Mont-Blanc et du tunnel du Fréjus sont opérées par des concessionnaires à capitaux quasi exclusivement publics121(*).

Si les contrats historiques souffrent de profondes insuffisances décrites supra, le rapporteur tient à souligner que ces défauts résultent pour l'essentiel de l'histoire de ces contrats, imaginés à l'origine pour régir des relations entre personnes publiques sans que n'interviennent des intérêts de nature privée. La rédaction de ces contrats est inadaptée à l'encadrement de relations entre un concédant public, garant de l'intérêt général, et un concessionnaire privé dont la vocation, par ailleurs tout à fait légitime, est de maximiser ses profits. Pour autant, ces contrats défaillants ne doivent pas conduire, par un raccourci erroné, à condamner de façon générale le modèle concessif qui, aux yeux du rapporteur, présente des avantages incontestables par rapport aux autres pistes.

Contrairement aux formules de la gestion en régie ou du marché de partenariat, le choix d'un modèle concessif réformé avec des concessionnaires privés ne générerait ni augmentation des dépenses publiques ni hausse de l'emploi public. Le financement des infrastructures étant assuré par des sociétés privées à leurs risques et périls, les investissements et dettes concernées ne seraient pas consolidées dans les comptes publics. Ainsi, les ratios de dette publique « Maastrichtienne » ne seraient pas dégradés. Aussi, les investissements dans l'entretien des infrastructures autoroutières ne pourraient-ils pas servir de variable d'ajustement et faire les frais d'une volonté d'améliorer les ratios de dépenses et de dette publique.

Par ailleurs, le modèle concessif, à la condition que les cahiers des charges soient bien rédigés, permet à l'État, au terme du contrat, de se voir remettre à titre gratuit et en bon état d'entretien des infrastructures dont la construction a été couverte sur fonds privés à travers un système de financement vertueux de type « utilisateur-payeur ».

Un autre avantage du modèle concessif, en comparaison par exemple de la gestion en régie, est précisément qu'il permet de légitimer et d'assurer la pérennité de ce modèle de financement vertueux via des péages qui ne mobilise pas les contribuables. Ce système est également vertueux dans le sens où il sécurise les investissements nécessaires à l'entretien, à la régénération et à la maintenance du réseau. Dans ce modèle, ces investissements échappent aux risques inhérents au principe d'annualité budgétaire et aux aléas politiques, un gage de maintien en bon état d'entretien des infrastructures. L'état préoccupant du réseau routier national non concédé est là pour nous rappeler les périls qui peuvent résulter d'un financement des infrastructures par des crédits issus du budget de l'État.

En outre, la logique même de ce système de financement, qui suppose de prendre en compte les besoins réels des usagers, conduit à rationaliser les choix d'investissements.

Le modèle concessif donne la possibilité à l'État de s'appuyer sur l'efficacité et l'efficience du secteur privé. Les incitations à la performance de la gestion des infrastructures s'en trouvent optimisées. La qualité de service que l'État concédant impose au concessionnaire peut ainsi être atteinte au moindre coût.

Enfin, à condition que les concessions soient suffisamment courtes et affectées à des périmètres géographiques adaptés, ce modèle doit permettre de tirer pleinement partie des gains d'efficience résultant de la mise en concurrence d'une diversité d'acteurs incités à dévoiler la réalité de leurs coûts et à réduire leurs marges. Dans ces conditions, le modèle concessif apparaît de nature à permettre l'atteinte d'une forme d'optimum.

III. POUR UN NOUVEAU MODÈLE CONCESSIF AUTOROUTIER PROFONDÉMENT RÉFORMÉ

A. LE MODÈLE CONCESSIF DOIT ÊTRE PROFONDÉMENT RÉFORMÉ POUR PROTÉGER LES INTÉRÊTS DES USAGERS ET DE L'ÉTAT CONCÉDANT

Parce que ses principes fondamentaux lui paraissent meilleurs que ceux des alternatives à ce système, le rapporteur considère que le principe du modèle concessif doit être maintenu à l'issue des concessions historiques. Cependant, le modèle doit être profondément réformé et rééquilibré afin que l'État concédant en reprenne la maîtrise, au bénéfice de ses intérêts patrimoniaux et des usagers des autoroutes.

Dans les développements qui suivent, le rapporteur décrit ainsi l'ensemble des caractéristiques que devra nécessairement revêtir le système concessif réformé qui aura vocation à s'appliquer au terme des contrats historiques.

Ce modèle devra reposer sur des contrats plus courts recouvrant des périmètres géographiques révisés et dont les paramètres économiques et financiers, précisément définis, feront l'objet d'un encadrement, d'un suivi approfondi ainsi que d'une révision quinquennale pour éviter le risque de captation d'une rente indue par le secteur privé.

Recommandation n° 8 : au terme des contrats historiques, instaurer un modèle concessif autoroutier profondément réformé et rééquilibré au bénéfice des usagers et des intérêts patrimoniaux de l'État.

1. Des concessions plus courtes afin de les remettre en concurrence plus fréquemment et de rééquilibrer la relation entre l'État concédant et les concessionnaires
a) Des concessions d'une durée de 15 ans à 20 ans

Le choix de conserver le modèle concessif actuel à l'issue des contrats historiques suppose en premier lieu de limiter la durée des contrats de concessions, d'une part, afin de rendre plus fréquentes les remises en concurrence et, d'autre part, de réduire considérablement le recours à des avenants négociés de gré à gré trop souvent aux dépens des intérêts patrimoniaux de l'État concédant.

Cette réduction de la durée des contrats de concession est en phase avec une situation qui sera bien différente que celle qui prévalait lorsque les cahiers des charges historiques ont été conclus. L'essentiel du réseau autoroutier est construit. Même s'il convient de rester prudent au regard des incertitudes qui pèsent sur l'ampleur des investissements futurs, notamment en lien avec les enjeux de décarbonation et d'adaptation au changement climatique (voir infra), les concessions futures ne conduiront plus à développer ex-nihilo de nouvelles infrastructures autoroutières.

Cette nouvelle situation conduira d'ailleurs aussi à réduire l'ampleur des risques supportés par les futurs concessionnaires dans la mesure où ils ne seront plus ou beaucoup moins exposés au risque construction. Cette évolution devra se traduire par une diminution de la rémunération demandée par les postulants pour compenser les risques inhérents aux concessions.

Selon l'ART, si le modèle concessif est retenu pour l'avenir, la réduction de la durée des contrats constitue la mesure principale et incontournable qui conditionne le nécessaire rééquilibrage du système visant à donner enfin à l'État concédant les moyens de défendre pleinement et strictement ses intérêts patrimoniaux.

Les réseaux étant matures et des développements importants n'étant plus de mise, l'autorité propose fort logiquement d'aligner la durée d'éventuels futurs contrats de concession sur celle d'un cycle complet moyen d'entretien et de maintenance des infrastructures, soit environ quinze ans. Pour le rapporteur, ce principe semble adapté à la gestion des réseaux actuels et permettrait de respecter la règle selon laquelle la durée d'un contrat ne doit pas excéder le temps raisonnable escompté par le concessionnaire pour amortir les investissements nécessaires à l'exploitation des infrastructures concédées.

Le principal bénéfice pour l'État concédant et les usagers d'un raccourcissement de la durée des concessions résultera d'une remise en concurrence plus fréquente des infrastructures, le meilleur des gages d'une gestion optimale du réseau autoroutier, en matière économique comme de qualité de service. L'ART a tout particulièrement signalé cet enjeu au rapporteur : « c'est un enjeu essentiel : en remettant en concurrence régulièrement, le concédant peut bénéficier des offres les plus attractives, donc des coûts les plus faibles du marché »122(*).

Des concessions plus courtes éviteraient également le recours trop fréquent à des avenants aux contrats, négociés de gré à gré sans mise en concurrence avec le concessionnaire en place. Comme cela a été décrit dans la première partie, la négociation de ces avenants tourne systématiquement au désavantage des intérêts de l'État concessionnaire et des usagers, notamment en raison de l'asymétrie d'information qui bénéficie à la société d'autoroutes détentrice du contrat.

Ainsi, pour l'ART, « le défaut majeur des contrats actuels tient à leur durée initiale excessive et à leurs prolongements, qui se traduisent par des renégociations régulières en l'absence de toute discipline concurrentielle susceptible de garantir le respect de l'intérêt des usagers »123(*). En effet, dans cette configuration, « par construction, le prestataire en place est alors incontournable, si bien qu'il dispose d'un pouvoir de marché susceptible de lui procurer une rente (...). Avec des contrats plus courts, les usagers bénéficieraient davantage des garde-fous de la concurrence. Le meilleur moyen de réduire la rente du titulaire du contrat est d'éviter les situations de négociation asymétriques. Avec des contrats plus courts, la réponse aux nouveaux besoins identifiés passerait plus souvent par l'attribution de nouveaux contrats à l'issue d'un appel d'offres »124(*).

La mise en concurrence, en obligeant les postulants à révéler leurs véritables coûts, doit en effet permettre de supprimer l'avantage dont profite le concessionnaire sortant, à la condition cependant qu'il ait bien transmis au concédant l'ensemble du détail et de l'historique des données nécessaires à la gestion des infrastructures concernées.

La direction générale du Trésor a également signalé au rapporteur « qu'une durée excessive ferait obstacle à l'obligation de remise en concurrence périodique des contrats publics posée par le droit de l'Union européenne et le droit interne ».

En prenant en considération le nécessaire équilibre à trouver entre les gains résultant d'une mise en concurrence plus régulière des concessions et les coûts engendrés par la lourdeur des procédures d'appel d'offre, l'ART en est arrivée à recommander, si le modèle concessif était confirmé, des contrats d'une durée de 15 à 20 ans pouvant exceptionnellement aller jusqu'à 25 ans dans l'hypothèse où des travaux de grande ampleur seraient nécessaires.

Compte-tenu de toutes les considérations qui précèdent, le rapporteur estime que la durée adaptée des futurs contrats de concession, en fonction du volume d'investissements nécessaires, devrait se situer entre 15 et 20 ans. Il va sans dire que pour ne pas retomber dans les travers actuels et perdre tout le bénéfice de cette réduction de la durée des concessions, ces contrats ne devront pas faire l'objet de prolongations. Si des investissements exceptionnels ne pouvaient être amortis cette durée de contrats, le rapporteur recommande l'utilisation d'un mécanisme de « soulte » décrit ci-après.

b) Un système de soulte pour des investissements lourds qui ne pourraient être amortis sur la durée du contrat

Si l'on respectait à la lettre le principe d'une correspondance entre le temps d'amortissement des investissements et la durée d'un contrat de concession, il subsisterait un risque de retomber dans les affres des contrats de concessions historiques dans l'hypothèse où des réseaux nécessiteraient des travaux d'une ampleur particulière. Aussi, en janvier 2023, dans la deuxième édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières, l'ART appelait-elle à créer les conditions d'une décorrélation partielle entre l'ampleur des investissements requis et la durée d'un contrat de concession : « retenir une durée contractuelle longue au simple motif que les montants d'investissements envisagés pourraient être substantiels n'est pas souhaitable. Il semble donc essentiel de décorréler les questions du financement et du choix du modèle, même si cela implique de mobiliser des outils de financement innovants ».

En cas d'investissements importants nécessaires sur une concession, une façon de concilier cette nécessité avec les avantages d'une remise en concurrence régulière peut être apportée par le recours à un dispositif dit de « soulte ». Ce mécanisme interviendrait dans l'hypothèse où la durée du contrat de concession ne seraient pas suffisante pour permettre au concessionnaire d'amortir l'intégralité des investissements qu'il a eu à réaliser pour l'exécution de sa concession. Dans ce cas de figure, une compensation financière lui serait versée au terme du contrat par le concédant ou le nouveau concessionnaire. L'ART souligne ainsi dans son rapport sur l'économie des concessions autoroutières de 2023 que « plusieurs contrats pourraient alors se succéder, chacun étant équilibré grâce au versement d'une soulte par le nouvel attributaire à l'attributaire sortant ».

Le système de « soulte » préconisé par l'ART

Il serait nécessaire (en particulier dans l'hypothèse où l'État souhaiterait faire réaliser des investissements conséquents aux nouveaux concessionnaires) d'envisager un aménagement des modalités de financement des infrastructures.

En introduisant un mécanisme de soulte, par exemple, il serait possible, d'abord, d'éviter de nouveaux allongements de contrats en cours. Il serait aussi possible, à l'avenir, d'éviter de signer à nouveau des contrats longs en prévoyant plutôt une succession de contrats courts.

Il s'agirait non plus de faire coïncider la durée de perception d'un péage avec la durée de vie de l'infrastructure, mais de déterminer la durée des contrats selon des critères d'efficacité.

Concrètement, la soulte serait une indemnité monétaire définie dès la signature du contrat comme la part des coûts contractualisés que les péages perçus durant le contrat ne permettent a priori pas de couvrir, et qui serait versée au concessionnaire en place à la fin de son contrat. Cette soulte correspondrait à un droit d'entrée dont s'acquitterait le délégataire suivant, et qu'il pourrait lui-même recouvrer grâce à la perception de péages au cours de son contrat.

Certes, des investigations techniques restent nécessaires avant de recourir à ce mécanisme à grande échelle. Toutefois, une soulte a déjà été mise en place pour financer le péage en flux libre sur l'autoroute Paris-Normandie sans prolonger la concession. Pour éviter d'instaurer à nouveau des contrats trop longs, ces investigations doivent être menées au plus vite.

Source : réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur

Présentation du fonctionnement du système de « soulte » proposé par l'ART

Source : rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023

2. Un suivi et un encadrement sérieux de la rentabilité des concessions couplés à des révisions quinquennales de leurs paramètres économiques et financiers
a) Un équilibre financier de la concession clairement défini associé à un encadrement et à un suivi rigoureux de la rentabilité des concessionnaires

Sur le modèle notamment des concessions autoroutières les plus récentes, les contrats qui succèderont aux cahiers des charges des concessions historiques devront impérativement prévoir un encadrement beaucoup plus strict des paramètres économiques et financiers, de façon à prévenir les phénomènes de surrentabilité et de captation de rentes par le secteur privé au détriment des intérêts des usagers et de l'État.

Le préalable indispensable à cet encadrement est de définir de façon très précise et rigoureuse dans les cahiers des charges initiaux l'équilibre financier de la concession. L'ensemble des hypothèses et des paramètres sous-jacents à cet équilibre devront être décrits de façon détaillée de même que les méthodes de calcul et d'indexation afférentes. Un TRI actionnaire cible, qui pourra servir de référence pour le suivi de la rentabilité des concessionnaires, devra également être précisé dans le contrat.

Par ailleurs, pour prévenir les phénomènes de surrentabilité, à l'instar des clauses introduites dans le cadre des concessions les plus récentes (décrites supra dans les développements de la première partie), les futurs contrats devront comprendre des dispositifs d'encadrement de la rentabilité des concessionnaires. Ces dispositifs, qui peuvent le cas échéant se combiner, devront être construits à partir de la « boîte à outils » suivante :

des clauses de « partage des fruits de la concession » en fonction du chiffre d'affaires cumulé constaté au cours de l'exécution du contrat ;

des clauses de « partage des gains de refinancement » en fonction des bénéfices économiques qui seraient issus d'un refinancement de la dette liée au projet ;

des clauses de « péages endogènes » susceptibles de se substituer aux deux types de clauses précédentes pour se répercuter dans des modérations de péages au profit des usagers ;

des clauses de « durée endogène » qui pourraient conduire à une fin anticipée des concessions en fonction du chiffre d'affaires effectif.

Cependant, il ne suffit pas d'introduire de telles clauses dans les contrats de concession pour véritablement prévenir les phénomènes de surrentabilité. Pour parvenir à cet objectif, il conviendra que l'État concédant calibre minutieusement les seuils de déclenchement de ces clauses afin qu'elles soient réellement opérantes, contrairement à celles qui ont été ajoutées aux contrats de concessions historiques en 2015.

Sur la base de l'équilibre économique de la concession précisément défini et des clauses d'encadrement de la rentabilité des concessionnaires, les services de l'État devront exercer un suivi juridico-financier des contrats fin et régulier.

b) Des clauses de révisions quinquennales des paramètres économiques et financiers de la concession

Pour le rapporteur, l'un des aspects les plus déterminants de la réforme du modèle concessif, serait de prévoir des révisions régulières des paramètres économiques qui fondent l'équilibre du contrat. Cette évolution constituerait peut-être le moyen le plus efficace de prévenir les risques de surrentabilité.

Il a été souligné supra, dans les développements de la première partie, à quel point il était irrationnel de figer dans le marbre d'un contrat de plusieurs dizaines d'années les prévisions d'évolutions de paramètres aussi incertains que la croissance, les taux d'intérêt, l'inflation ou encore le trafic, en particulier des poids lourds.

Certes la réduction de la durée des concessions permettra déjà d'atténuer ce phénomène. Cependant, même des horizons de 15 ou 20 ans sont trop lointains pour envisager de pouvoir estimer avec un degré de confiance suffisant l'évolution de ces indices.

Le rapporteur considère qu'un horizon de 5 ans serait beaucoup plus raisonnable. Aussi préconise-t-il que dans le cadre de la nécessaire réforme du modèle concessif, les futurs contrats comportent une clause de révision quinquennale de leurs paramètres économiques. Tous les cinq ans, les trajectoires prévisionnelles d'évolution des différents paramètres économiques jusqu'à la fin de la concession, qui fondent l'équilibre financier du contrat, seraient actualisées pour être en phase avec les anticipations les plus récentes. Les trajectoires de péages, la durée de la concession, le paramétrage des clauses d'encadrement de la rentabilité, le TRI cible ou encore les investissements nécessaires pourraient alors être ajustés en conséquence.

Le rapporteur note à ce titre que l'exemple italien pourrait nous servir de modèle. En effet, en Italie, un document intitulé « plan économique et financier » est annexé aux contrats de concession. Ce document, qui détermine les paramètres de l'équilibre économique de la concession, est systématiquement révisé tous les cinq ans sous la supervision du régulateur sectoriel.

Les modalités de gestion du réseau autoroutier italien

L'Italie présente un réseau autoroutier comparable à la France avec une proportion concédée de 82 %, soit 6 020 kilomètres de linéaire. Le réseau italien est cependant davantage morcelé avec une grosse concession de 2 857 kilomètres et 28 autres qui se partageant l'autre moitié du réseau.

1. Organisation institutionnelle et gouvernance

Parmi ses principaux acteurs de l'organisation institutionnelle du secteur autoroutier italien, figurent :

- la direction générale pour la supervision des concessions d'autoroute du ministère des infrastructures et des transports (MIT) qui contrôle les sociétés concessionnaires d'autoroutes et prépare les avenants aux contrats de concession ;

- l'ANAS (société nationale pour les routes), entreprise publique, constituée sous la forme d'une société commerciale, qui est chargée de la gestion du réseau routier et autoroutier national non concédé selon un contrat de programme conclu avec le MIT pour 5 ans ;

- l'Autorité de régulation des transports, autorité administrative indépendante, qui assure une mission de régulation ainsi qu'une mission consultative.

Une particularité du modèle italien réside dans le rôle joué par le Comité interministériel pour la programmation économique (CIPE). Présidé par le Président du Conseil, le CIPE est un des organes les plus importants du gouvernement italien. Dans le cadre de la gestion des autoroutes, il a pour mission d'approuver les contrats de concession et leurs avenants.

2. Régulation économique et financière et révision quinquennale

Le cadre italien des concessions d'autoroutes prévoit une révision quinquennale des contrats.

Le plafond tarifaire est déterminé selon des projections réalisées tous les 5 ans prenant la forme d'un plan économique et financier annexé au contrat. Cela permet de limiter les risques exogènes pour les concessionnaires avec une gestion plus souple.

L'autorité de régulation est chargée de définir un système tarifaire commun et de superviser la mise à jour des plans annexés. Son action de régulation permet d'éviter les phénomènes de double rente, financière et organisationnelle, des concessionnaires en fixant le taux de rémunération du capital et en incitant à la réduction des coûts opérationnels.

De plus, deux mécanismes de correction des tarifs sont prévus en cas d'écarts avec les prévisions. Le premier conduit à reverser une part des recettes supplémentaires aux usagers (baisse des tarifs) si le trafic est supérieur de 2 % aux estimations ; le deuxième rectifie les tarifs en cas de retards des travaux et peut pénaliser le concessionnaire.

Source : commission des finances du Sénat

Recommandation n° 9 : construire le nouveau modèle concessif sur la base de concessions plus courtes faisant l'objet d'un réexamen tous les cinq ans.

Recommandation n° 10 : définir précisément les paramètres économiques et financiers des nouvelles concessions, en assurer un suivi continu approfondi de façon prévenir les phénomènes de surrentabilité.

3. Des périmètres géographiques à ajuster pour amplifier les gains d'efficience liés à l'intensité concurrentielle

Comme l'illustre le tableau ci-après, la France se caractérise par une grande diversité dans la taille de ses concessions autoroutières, de moins de 20 kilomètres pour les plus petites d'entre-elles à 2 730 kilomètres pour la concession des autoroutes du sud de la France (ASF).

Dimension des concessions autoroutières

(en kilomètres)

Sociétés

Longueur du réseau

ADELAC

19,6

ALBEA

17,8

ALIAE

88,4

ALICORNE

45

A'LIENOR

150

ALIS

125

APRR

1 890

ARCOS

24

ARCOUR

101

AREA

409

ASF

2 730

ATLANDES

104

ATMB

138

COFIROUTE

1 111

ESCOTA

471

SANEF

1 396

SAPN

372

SFTRF

80

SRL2 Marseille

9

Total réseau autoroutier concédé

9 310

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA)

Mais la France se distingue peut-être plus encore par l'existence de concessions de dimensions très vastes, aux premiers rangs desquelles les concessions ASF et APRR. L'existence de ces concessions très étendues explique notamment le fait que plus de 90 % du réseau actuel soit concentré sur seulement 7 concessions.

Proportion de chaque concession autoroutière dans la longueur totale
du réseau autoroutier concédé

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA)

a) Une réduction de la taille des concessions les plus étendues pourrait sensiblement intensifier la concurrence lors des futurs appels d'offres

Dans la deuxième édition de son rapport sur l'économie des sociétés d'autoroutes en 2023, l'ART notait que la réduction de l'assiette géographique des contrats de concessions pourrait présenter des avantages et devait par conséquent être sérieusement étudiée. L'autorité indiquait ainsi qu'il était nécessaire « qu'en prévision de l'échéance des contrats en cours, une réflexion globale soit lancée sur l'opportunité d'un redécoupage géographique des réseaux des concessions historiques ».

Les gains d'efficience à attendre d'une révision des périmètres géographiques des concessions historiques résulteraient principalement d'une intensification de la concurrence lors des procédures d'appels d'offre qui auraient lieu à l'issue des contrats actuels. En effet, dans son rapport de 2023 sur l'économie des sociétés d'autoroutes, l'ART soulignait que « réduire la taille des réseaux permettrait de limiter les barrières à l'entrée lors de la réattribution des contrats ».

La diminution de la taille des concessions les plus vastes permettrait à des acteurs d'envergure plus modestes que les sociétés d'autoroutes actuelles de postuler aux futurs appels d'offre, ouvrant ainsi le champ concurrentiel. C'est cette relation de cause à effet qu'a mis en évidence le régulateur dans ce même rapport : « en général, répondre à un appel public à la concurrence pour l'attribution d'un contrat autoroutier suppose de disposer d'une certaine envergure financière. Le phénomène est sans doute plus marqué encore si le réseau est très étendu : il est probable que le nombre d'acteurs susceptibles de faire des offres crédibles diminue avec l'importance géographique du contrat. Dès lors, un redécoupage géographique des concessions existantes pourrait permettre de maximiser le nombre de candidats, donc l'intensité concurrentielle et la qualité des offres ».

La taille considérable de la concession d'ASF et dans une moindre mesure celle d'APRR serait de nature à dissuader bon nombre de candidats potentiels, réduisant ainsi d'autant les gains d'efficience générés par la remise en concurrence de la gestion de ces réseaux autoroutiers. Or, aujourd'hui, comme la direction générale du Trésor a pu le confirmer au rapporteur, de nombreux investisseurs sont intéressés par ce type d'actifs.

Aussi, le rapporteur considère-t-il qu'à condition de faire en sorte d'attirer un maximum de ces acteurs, le potentiel de gains d'efficience dont pourrait tirer parti l'État concédant dans le cadre de futurs appels d'offres semble très prometteur, et vraisemblablement beaucoup plus qu'il n'a pu l'être lors de la privatisation de 2006.

b) Un redécoupage plus fin pourrait être nécessaire afin de corriger l'asymétrie d'information qui favorise le concessionnaire sortant

Les gains d'efficience résultants de la mise en concurrence des réseaux autoroutiers ne dépendent pas uniquement du seul critère de la taille des concessions. Ils peuvent également être amoindris du fait de l'asymétrie d'information dont bénéficie le concessionnaire sortant qui connait parfaitement le réseau qu'il a géré pendant plusieurs décennies ainsi que l'ensemble des ses conditions et données d'exploitation.

À ce titre, le concessionnaire sortant disposerait d'un avantage indéniable sur d'autres candidats, y compris si la concession qu'il gérait auparavant était découpée en plusieurs morceaux. Pour atténuer cette asymétrie d'information, l'État concédant pourrait être amené à redécouper de façon plus fine le périmètre géographique des concessions historiques, le cas échéant en créant de nouveaux périmètres qui réviseraient les actuels découpages entre concessions. L'ART considère en effet « qu'en modifiant la délimitation géographique des concessions, il serait possible d'éviter que les acteurs sortants bénéficient d'un avantage informationnel »125(*).

Un redécoupage des concessions historiques visant à prévenir l'asymétrie d'information qui profiterait au concessionnaire sortant

Le découpage des futurs réseaux devrait être conçu de façon à éviter que les concessionnaires en place bénéficient, lors des remises en concurrence, d'un avantage excessif. Une réduction de la taille des réseaux, si elle était opérée simplement en découpant les concessions existantes, pourrait avoir peu de répercussions concrètes.

En effet, les concessionnaires en place, compte tenu de leur meilleure connaissance du réseau qu'ils exploitent, disposeront, pour tout appel d'offres correspondant à un sous-ensemble de ce réseau, d'un avantage par rapport aux concurrents potentiels. Cet avantage pourrait être tel qu'aucune pression concurrentielle ne s'exercerait en réalité sur le concessionnaire historique.

Pour éviter ce phénomène, une solution envisageable serait de constituer les futurs réseaux en combinant des sous-ensembles des concessions actuelles.

Source : rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023

c) Réaliser un bilan coûts-bénéfices de l'opportunité de découper le périmètre géographique des concessions historiques

Dans le même temps, s'il est susceptible de générer des gains d'efficience en stimulant la concurrence, un redécoupage géographique peut aussi se traduire, à l'inverse, par des phénomènes de « désoptimisation ». Ceux-ci s'expliquent par le fait que jusqu'à un certain point, l'augmentation de la longueur de linéaire géré, permet au concessionnaire de réaliser des économies d'échelle. La réduction du périmètre géographique d'une concession peut ainsi se traduire par une augmentation des coûts organisationnels voir rendre nécessaire la réalisation de nouveaux investissements afin d'assurer la continuité de service.

En 2023126(*), l'ART notait ainsi que « la taille des réseaux doit rester suffisante pour permettre de maximiser les effets d'échelle. Des réseaux de taille trop limitée pourraient engendrer des surcoûts. L'exploitation d'infrastructures autoroutières est une activité qui se caractérise, dans une certaine mesure, par des économies d'échelle : par exemple, il convient de tenir compte du rayon d'action d'un centre d'exploitation ».

Toutefois, ce phénomène d'économies d'échelle ne s'observe que jusqu'à une certaine taille de linéaire. Au-delà, au contraire, la gestion d'une concession devient moins efficiente. C'est notamment ce que la DGITM a indiqué au rapporteur : « une entité en charge d'un réseau très étendu perd en efficience et en cohérence, typiquement lorsque l'entité est conduite à diviser ses directions opérationnelles (direction d'exploitation notamment) »127(*).

Les sociétés d'autoroutes mettent aussi en exergue le phénomène de foisonnement des risques permis par une concession étendue et composée de voies qui présentent des caractéristiques diverses. Il en résulterait une meilleure maîtrise des risques de la concession. Les conséquences de la manifestation d'un risque sur une partie du réseau pourraient plus facilement être compensées par les conditions d'exploitation constatées sur d'autres composantes de la concession.

Les sociétés d'autoroutes prennent notamment l'exemple du risque trafic et plus particulièrement sur sa composante la plus volatile, à savoir la circulation des poids lourds. Cette dernière est en effet très variable selon les voies. Disposer, au sein d'une même concession à la fois de voies très empruntées par les véhicules lourds et d'autres qui le sont moins permet de mieux en maîtriser les risques. Plus généralement, les concessionnaires estiment également que des effets sur le trafic qui sont liés aux conditions météorologiques sont susceptibles d'être mieux maîtrisés sur des réseaux étendus.

Dans ces conditions, le rapporteur considère qu'il s'avère absolument nécessaire de conduire une réflexion approfondie sur le dimensionnement optimal des concessions autoroutières en France. Cette réflexion devra permettre de réaliser un bilan coûts-bénéfices d'un réaménagement du périmètre géographique des concessions actuelles, en particulier les plus étendues. Il s'agira de s'assurer que les bénéfices tirés d'une intensité concurrentielle accrue l'emportent sur les coûts organisationnels qui résulteraient du redécoupage de certaines concessions.

En Italie, la question de la taille optimale des concessions autoroutières est beaucoup débattue et une vraie réflexion a d'ores et déjà été conduite à ce sujet. Pour objectiver les déterminants de cette question, une étude a été réalisée en 2016 par l'autorité de régulation italienne. La conclusion de cette étude était que, d'un point de vue des économies d'échelles, la taille optimale d'une concession autoroutière se situerait entre 180 et 315 kilomètres. Pour l'ART128(*), « si ces résultats reflètent probablement certaines spécificités du réseau italien, ils suggèrent que les concessions historiques privées françaises, dont la taille s'échelonne entre 372 kilomètres (SAPN) et 2 724 kilomètres (ASF) se situent sans doute bien au-delà de ce qui est requis pour optimiser les effets d'échelle ». Pour cette raison, « avant de procéder à la réattribution des contrats, l'autorité recommande que soit mené un exercice similaire pour statuer sur la taille optimale des réseaux dans le cas français ».

Au regard de la taille manifestement excessive de certaines concessions d'autoroutes en France, et en s'appuyant notamment sur l'étude italienne, la direction générale du Trésor dresse également le constat qu'en cas de maintien d'un système concessif, il serait indispensable de « définir de manière plus rationnelle le nombre, la taille et la localisation des contrats. La taille actuelle des concessions d'autoroutes semble en effet supérieure à la taille nécessaire pour amortir les coûts fixes et pourrait restreindre la concurrence en cas de remise en concession en excluant les plus petits acteurs »129(*).

À ce stade, l'ART a signalé au rapporteur estimer que des concessions étendues sur 1 000 à 1 500 km au maximum pourraient constituer un « juste équilibre » et se traduire par un bilan coûts-bénéfices avantageux pour l'État et les usagers. Pour autant, des études complémentaires apparaissent nécessaires pour parfaitement objectiver cette problématique.

Le rapporteur considère qu'il est nécessaire que le Parlement confie à l'ART la réalisation et la publication d'un étude visant à objectiver les critères susceptibles d'éclairer une éventuelle révision du périmètre géographique des concessions actuelles.

Cette étude devra ensuite servir de base aux réflexions plus larges qui seront menées dans le cadre d'une concertation ouverte et transparente de l'ensemble des acteurs impliqués, au premier rang desquelles les collectivités territoriales et les élus locaux, mais aussi bien évidemment les principales organisations professionnelles du secteur, les services de l'État ou encore les usagers (voir infra la recommandation n° 13). Ce n'est qu'à l'issue de ce processus que l'opportunité d'un redécoupage ainsi que sa configuration seront déterminées.

Recommandation n° 11 : demander à l'ART de réaliser et de rendre public une étude visant à objectiver les critères susceptibles d'éclairer une éventuelle révision du périmètre géographique des concessions actuelles.

4. Des procédures d'échéance des concessions bien définies dans les cahiers des charges d'origine

À l'instar des bonnes pratiques adoptées pour les concessions les plus récentes, et pour combler l'une des principales lacunes des cahiers des charges des concessions historiques, les contrats des futures concessions devront définir avec précision dès leur origine les procédures liées à leur expiration. Les différents documents et leur contenu, le détail des responsabilités du concédant et du concessionnaire, les règles de l'art en matière d'entretien du patrimoine, la phase de transition avec le concessionnaire suivant ou encore la définition du bon état des biens de retour devront ainsi être précisément décrits dans les cahiers des charges d'origine.

Par ailleurs, contrairement à ce qui a prévalu pour les contrats historiques, les inventaires détaillés de leur patrimoine devront être réalisés et actualisés de façon régulière tout au long de la vie des concessions.

Enfin, à la différence de ce qui s'est passé pour les contrats historiques en raison de leurs lacunes sur cette question, l'état structurel du patrimoine et non de son seul état courant devra faire l'objet d'un suivi constant tout au long de la durée de vie des concessions et non pas seulement quelques années avant son expiration. Cela évitera à l'État concédant de se retrouver en fin de concession face à des échéances et des délais très contraints qui fragilisent la défense de ses intérêts comme de ceux des usagers.

B. CE NOUVEAU MODÈLE CONCESSIF DEVRAIT ÊTRE SOUTENU PAR UNE GOUVERNANCE INTERMINISTÉRIELLE RENFORCÉE

Comme indiqué dans les développements précédents, contrairement aux négociations d'avenants au cours desquelles il se trouve structurellement en situation de faiblesse, l'État concédant a des atouts à faire valoir et bénéficie d'une position beaucoup plus confortable lorsqu'il s'agit de remettre en concurrence des infrastructures autoroutières, à condition cependant que les procédures d'appel d'offres se déroulent dans des conditions optimales.

Comme le soulignait la commission d'enquête sénatoriale en 2020, la pression concurrentielle qui s'exerce lors de l'attribution de nouvelles concessions permet à l'État concédant de « défendre au mieux ses intérêts et ceux des usagers, en retenant l'offre la plus avantageuse et en fixant un cadre contractuel protecteur. Les nouveaux contrats de concession attestent, en effet, d'une plus forte régulation des sociétés concessionnaires et d'un meilleur partage des fruits de la concession par rapport aux contrats historiques ».

En 2021, le rapport de l'IGF et du CGEDD le constatait : « l'essentiel des négociations relatives aux concessions autoroutières est géré de façon autonome par le ministère en charge des transports ». Cependant, dans le cadre de l'élaboration de nouveaux contrats de concessions autoroutières, sur les sujets juridiques et financiers, la DGITM recourt tout de même habituellement à l'assistance de prestataires extérieurs. Elle n'y est pas contrainte et aucune procédure particulière n'est formalisée à ce titre. Elle peut aussi s'appuyer sur l'expertise de certains services des ministères économiques et financiers, notamment la direction générale du Trésor ou la mission d'appui au financement des infrastructures (Fin Infra).

La Mission d'appui au financement des infrastructures « Fin Infra »

La Mission d'appui au financement des infrastructures « Fin Infra », est un service à compétence nationale rattaché à la direction générale du Trésor qui conseille les décideurs publics sur la conduite des projets d'investissement publics. Son expertise est juridique et financière. Fin Infra effectue environ 80 missions par an, à la fois pour des ministères, des collectivités territoriales et des établissements publics, dans tous les secteurs de l'investissement public (bâtiments, transports, énergie, télécoms).

Son premier « client » est le ministre de l'économie et des finances, notamment sur les concessions autoroutières au moment de la saisine de l'ART puis du Conseil d'État préalablement à la prise du décret approuvant le contrat ou l'avenant.

S'agissant des avenants, Fin Infra contre-expertise le coût moyen pondéré du capital proposé par les concessionnaires pour calculer les compensations dues au titre des avenants. Fin Infra élabore ce calcul à partir d'une méthodologie proposée par Frontier Economics et concertée avec l'ART.

Depuis 2021, Fin Infra participe aux comités consultatifs chargés de classer les offres reçues par l'État dans le cadre de la dévolution des nouveaux contrats de concession autoroutière.

L'expertise juridique et financière de Fin Infra, et sa connaissance du marché du financement des infrastructures permettent de réduire l'asymétrie d'information de l'État lors de la conclusion de ces contrats.

En 2023, Fin Infra a construit un modèle financier de suivi de la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes baptisé MARIA (Modèle d'Analyse de la Rentabilité des Infrastructures Autoroutières).

MARIA est mis à jour annuellement à partir des données publiques des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Il permet de calculer la rentabilité (TRI projet et TRI actionnaire) des sociétés concessionnaires à date (une année donnée) et à terminaison (à la fin des concessions).

Source : réponses de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur

Si la DGITM se trouve au coeur des procédures d'élaboration, d'attribution et de modifications des contrats de concessions autoroutières, il existe ainsi tout de même un embryon de travail interministériel qui mériterait cependant d'être considérablement développé et formalisé pour renforcer la position de l'État concédant et la préservation de ses intérêts patrimoniaux.

Ainsi, avant la saisine du Conseil d'État ou de l'ART au sujet d'un projet d'avenant ou avant le lancement d'un appel d'offres relatifs à une nouvelle concession, la DGITM saisit généralement les services de la direction générale du Trésor pour qu'ils réalisent un travail de contre-expertise sur les questions d'équilibre économique des concessions et de leurs avenants. Ces derniers examinent notamment les TRI ainsi que les hypothèses macroéconomiques sous-jacentes à l'équilibre économique des contrats et de leurs avenants. Toutefois, comme le soulignait déjà la commission d'enquête sénatoriale en 2020, cette expertise extérieure, qui n'intervient « qu'en tant que de besoin », est manifestement insuffisante et trop peu formalisée. Pour que l'État concédant parle d'une seule voix plus forte et plus experte sur les questions juridiques et financières, la commission recommandait ainsi de renforcer substantiellement la coordination entre les services de l'État.

Si depuis 2021, les nouvelles concessions lancées prévoient la mise en place d'une commission consultative interministérielle cette dernière n'est consultée que pendant la phase de procédure et non pas pendant la phase préalable. La direction générale du Trésor a ainsi indiqué au rapporteur que les services des ministères économiques et financiers ne sont associés « que de manière exceptionnelle et à titre purement consultatif »130(*) à la préparation du dossier de consultation réalisée par la DGITM.

Dans une communication131(*), la Cour des comptes considérait pourtant dès 2013 que la DGITM était trop isolée dans les procédures d'élaboration et de modification des contrats et qu'elle opérait à ce titre dans un cadre insuffisamment formalisé. Pour la juridiction, cette situation contribuait à l'affaiblissement de la position de l'État concédant dans ses relations avec les sociétés d'autoroutes.

La Cour des comptes regrettait vivement que les services des ministères économiques et financiers ne soient pas plus impliqués et de façon plus formelle dans l'élaboration, les modifications et le suivi des contrats de concession. Elle estimait alors que seuls des mandats de négociations interministériels intégrant pleinement l'expertise et les positions des ministères économiques et financiers, auraient été de nature à réellement préserver les intérêts de l'État concédant et des usagers. Pour elle, ce défaut manifeste de gouvernance expliquerait en partie que, sur les plans économiques et financiers, les négociations avec les sociétés d'autoroutes aient si souvent tourné au désavantage de l'État.

En 2021, le rapport de l'IGF et du CGEDD déplorait également que les ministères économiques et financiers soient si peu associés à l'élaboration, à l'attribution et au suivi des contrats de concessions d'autoroutes. Selon ce rapport, cette situation explique en partie que les paramètres économiques des contrats historiques et de leurs avenants aient été négociés à des conditions trop favorables aux concessionnaires. Les inspections soulignaient en effet le fait que « l'organisation imparfaite de l'État concédant contribue à le placer en position défavorable dans les négociations avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes ». Elles précisaient à ce titre que « face à des sociétés concessionnaires d'autoroutes structurées au sein de grands groupes, et qui tendent à s'inscrire dans le temps long, l'État ne dispose pas des outils et de l'organisation propices à lui permettre de négocier les avenants en position de force. L'articulation entre le ministère en charge des transports et le ministère en charge des finances n'est notamment pas optimale pour permettre à l'État de mobiliser au mieux les expertises des deux structures au cours de la négociation ».

Aussi, pour y remédier, le rapport recommandait-il l'instauration d'un comité interministériel permanent qui interviendrait notamment très en amont du processus, dès la phase d'élaboration du cahier des charges proposé lors de la mise en concurrence d'une nouvelle concession, c'est-à-dire avant la diffusion du dossier de consultation de l'appel d'offres.

Pour renforcer la position et l'expertise de l'État concédant, la direction générale du Trésor a également souligné auprès du rapporteur à quel point il lui semblait utile de prévoir une plus grande implication des ministères économiques et financiers dans les procédures d'attribution et de suivi des contrats de concession portant sur des projets autoroutiers. Afin qu'elle puisse avoir une vraie influence sur la détermination des paramètres économiques et financiers des contrats, la direction générale du Trésor insiste à ce titre sur la nécessité de prévoir cette intervention le plus en amont possible des procédures : « il est fondamental que cette implication se fasse le plus tôt possible pour que les services puissent exercer, au travers d'un tel comité, une véritable influence tant au moment de l'élaboration du dossier de consultation que pendant toute la phase de contractualisation (négociations) ou sur les caractéristiques du projet autoroutier qui doit être lancé »132(*).

Pour que l'État parle d'une seule voix et qu'il défende de façon plus efficace ses intérêts patrimoniaux, le rapporteur considère que la gouvernance relative à l'élaboration, aux modifications et au suivi des contrats de concessions d'autoroutes doit être réformée. Pour renforcer la position de l'État, il est nécessaire d'affirmer le caractère interministériel des processus en sortant d'une forme de « tête à tête » inconfortable entre la seule DGITM et les sociétés d'autoroutes. Aussi, le rapporteur estime-t-il nécessaire de formaliser une implication des services des ministères économiques et financiers très en amont des procédures de mise en concurrence d'une nouvelle concession ou de négociations d'un avenant. Cette nouvelle gouvernance, qui pourrait prendre la forme d'une délégation interministérielle, devrait contribuer à rééquilibrer l'expertise des paramètres économiques et financiers des contrats afin qu'elle ne penche plus, comme cela a été trop souvent le cas par le passé, de façon manifeste du côté des sociétés d'autoroutes.

Cette nouvelle gouvernance pourrait notamment s'inspirer du modèle italien de gestion des autoroutes (voir supra) au sein duquel le Comité interministériel pour la programmation économique (CIPE), présidé par le Président du Conseil, joue un rôle central en approuvant les contrats de concession et leurs avenants.

Recommandation n° 12 : à travers une nouvelle gouvernance intégrant les services des ministères économiques et financiers, en amont du lancement des appels d'offres et des négociations d'avenants puis tout au long des procédures, renforcer le rôle de l'État par une approche interministérielle de la négociation et du suivi juridique, économique et financier des contrats de concessions d'autoroutes.

IV. L'EXPLOITATION DES AUTOROUTES DEVRA CONTRIBUER AU FINANCEMENT DES MOBILITÉS ET À LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Aujourd'hui déjà, une partie des recettes tirées de l'exploitation des autoroutes est affectée aux investissements dans les infrastructures de transport en général à travers des ressources affectées à l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT-France). En 2024, ces affectations ne devraient cependant représenter qu'environ 15 % (moins de 1,5 milliard d'euros) du chiffre d'affaires total des autoroutes concédées qui représente plus de 10 milliards d'euros par an.

Évolution du chiffre d'affaires annuel du réseau autoroutier concédé

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA)

Alors que les besoins évalués d'investissements nécessaires à la transition écologique du secteur des transports sont considérables et que le contexte budgétaire contraint empêche jusqu'à aujourd'hui les pouvoirs publics d'en déterminer un modèle de financement à la fois pérenne et à la hauteur des enjeux, le rapporteur considère qu'il est absolument essentiel que l'État se saisisse de l'occasion offerte par l'expiration des concessions historiques.

Même s'il convient de rester très prudent au regard des incertitudes qui portent sur les investissements prévisionnels en lien avec les enjeux de décarbonation et d'adaptation au changement climatique qui pourraient, dans certaines hypothèses, s'avérer tout sauf négligeables, il semble à ce jour vraisemblable, compte-tenu de sa maturité, de considérer que les dépenses à venir dans le réseau autoroutier concédé seront sensiblement inférieures à celles qui ont dû être financées dans le cadre des contrats actuels.

Aussi, dans l'hypothèse où les recettes de péages seraient maintenues à leur niveau actuel, le rapporteur observe qu'il serait possible d'en affecter une part plus substantielle au financement des principaux enjeux de la mobilité dans son ensemble. Cette manne pourrait non seulement permettre d'enrayer la dégradation inquiétante des infrastructures routières non concédées mais aussi plus largement contribuer au financement des infrastructures ferroviaires ainsi que des transports en commun du quotidien.

Le rapporteur estime que cette perspective doit constituer l'un des objectifs majeurs de l'État dans le cadre de ses réflexions sur le modèle de gestion des autoroutes qui succèdera aux contrats de concessions historiques.

A. ALORS QUE L'ÉTAT DU RÉSEAU ROUTIER EST PRÉOCCUPANT, L'ÉTAT DOIT DÉFINIR UNE VÉRITABLE STRATÉGIE ROUTIÈRE ET AUTOROUTIÈRE

Si le manque de financements relatifs à l'entretien et la régénération des infrastructures du réseau routier national concédé est manifeste et caractérisé par la dégradation continue de son état, la définition et l'évaluation des investissements routiers et autoroutiers nécessaires dans les années et décennies à venir restent à ce stade trop peu documentées. Faute d'une stratégie de l'État dans le domaine routier, plusieurs études et des chiffrages très divers cohabitent mais il n'existe toujours aucune évaluation solide et consolidée relative aux enjeux financiers des besoins d'investissements prévisionnels à moyen et long terme.

1. L'état inquiétant du réseau routier non concédé

Le rapporteur a déjà pu le souligner dans le rapport qu'il a présenté à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, à l'inverse de la situation qui prévaut pour les autoroutes concédées, l'état du réseau routier national non concédé est particulièrement préoccupant.

Certes, fort heureusement, une certaine prise de conscience est intervenue à la fin de la précédente décennie133(*) et les crédits annuels consacrés par l'État à l'entretien et à la régénération du réseau routier national ont été progressivement augmentés pour dépasser dorénavant le milliard d'euros.

Évolution des crédits de paiement consacrés à l'entretien et de la régénération
du réseau routier national (2012-2024)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Toutefois, ce montant de crédits demeure insuffisant pour enrayer la tendance à la dégradation des infrastructures, notamment car son évolution n'a pas compensé le phénomène d'inflation qui s'est manifesté à partir de l'année 2021. Pour tenir compte de ce phénomène, au moins 1,2 milliard d'euros par an sembleraient nécessaires.

Le rapporteur note par ailleurs que cette situation n'est pas nouvelle et que les travaux du Sénat ont été à bien des égards pionniers en la matière. Un rapport d'information de 2012 consacré aux infrastructures de transport134(*) avait à ce titre déjà identifié ce phénomène de sous-investissement et la dégradation des infrastructures qui en résultait.

Par ailleurs, au-delà du réseau routier national, l'état d'entretien des voiries gérées par les collectivités territoriales souffre également d'un manque de financements disponibles. À ce titre, compte tenu de la situation et des perspectives financières des départements et des charges supplémentaires qu'ils ont à supporter, l'avenir des voiries départementales suscite de vraies inquiétudes.

2. L'enjeu de décarbonation des infrastructures routières s'inscrit dans les politiques d'atténuation du changement climatique

Dans ses différentes dimensions, l'enjeu de décarbonation représente assurément un facteur déterminant des investissements prévisionnels dans les infrastructures routières et autoroutières. Toutefois, faute d'une stratégie claire en a matière, le rapporteur a pu observer qu'il n'existait pas à ce jour de vision consensuelle des investissements nécessaires à la décarbonation des réseaux routiers et autoroutiers. Par conséquent, les coûts prévisionnels consolidés de cette décarbonation demeurent très incertains. Or, le rapporteur souligne qu'une évaluation précise de ces coûts est un préalable indispensable à la conception du modèle de gestion du réseau autoroutier qui s'appliquera à l'issue des contrats historiques.

Dans la deuxième édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières, faisant le constat que « le secteur autoroutier est au coeur des ambitions de la France en matière d'atténuation et d'adaptation au changement climatique » l'ART soulignait que « l'impératif climatique aura des conséquences pour le secteur, en particulier en matière d'investissements ». D'après l'ART, les véhicules circulant sur le réseau autoroutier émettraient en moyenne environ 27 millions de tonnes de COpar an soit 22 % des émissions résultant des transports, elles-mêmes responsables de 40 % des émissions totales tous secteurs confondus au niveau national, et 9 % des émissions liées à l'énergie.

a) L'accompagnement de la décarbonation des flottes de véhicules

Le principal facteur d'investissements routiers dans le cadre des politiques d'atténuation du changement climatique relèvera de l'accompagnement de la décarbonation des flottes de véhicules. À ce titre, l'enjeu principal est celui de la décarbonation du transport routier de marchandises. La stratégie de long terme qui sera adoptée en la matière conditionnera largement l'ampleur des investissements à consentir sur le réseau autoroutier.

Actuellement, essentiellement dans le cadre de l'électrification du parc de véhicules légers, les travaux dans ce domaine se concentrent autour du déploiement d'un réseau de bornes de recharge électrique. Ces dernières années l'équipement du réseau autoroutier en bornes de recharge a été soutenu. Un décret du 12 février 2021135(*) avait ainsi imposé l'équipement en bornes de recharge électrique de la quasi-totalité du réseau.

Depuis lors, dans la deuxième édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières, l'ART avait constaté un « saut à la fois quantitatif et qualitatif ». En effet, « alors qu'en 2020, 93 aires de services seulement sur les 360 que comportait le réseau concédé étaient équipées de bornes de recharge électrique, plus de 300 aires de services seront équipées en 2023. Le saut est aussi qualitatif : 60 % des bornes de recharge électrique du réseau autoroutier délivrent des puissances comprises entre 150 kilowatts et 350 kilowatts, ce qui permet une recharge en moins de 30 minutes pour des autonomies de plusieurs centaines de kilomètres ».

Ce développement significatif a été confirmé au rapporteur par la DGITM : « un effort important a été réalisé ces deux dernières années pour équiper en bornes de recharge pour les véhicules légers le réseau routier national. Alors qu'il comprenait moins de 500 points de charge en 2021, il est désormais équipé d'environ 2 800 points de charge sur presque 400 aires de service du réseau routier, complété par 2 800 autres points de charge déployés à proximité des carrefours du réseau non concédé sur 570 stations »136(*).

S'agissant des perspectives pour les années à venir, la DGITM prévoit une nouvelle accélération sensible d'ici à 2035 : « pour les véhicules légers, le nombre de points de charge nécessaires devraient s'élever à environ 35 000 le long du réseau routier national » tandis que « pour les poids-lourds, dès lors que 30 % des flottes seront électrifiées, le nombre de points de charge devrait s'élever à 13 000 dont 3 000 bornes ultra-rapide et des stations sur toutes les aires de service ».

Toutefois le ministère des transports reconnaît que cette perspective se heurte à des difficultés tenant au modèle économique des nouvelles bornes et qui risquent de compromettre sa réalisation effective. La DGITM a notamment signalé au rapporteur que « les investissements seront plus importants que pour la première phase de déploiement 2021-2023, d'une part car les besoins de puissance seront plus importants, d'autre part car les marges résiduelles de distribution sans travaux conséquent sur le réseau électrique (ex. réalisation de postes source) ont été utilisées et enfin car le foncier se fera plus rare ». D'autre part, « l'équipement à venir en bornes de recharge pour les poids-lourds induira des difficultés supplémentaires qui viendront réduire la marge des opérateurs : travaux d'aménagement des sites plus importants (création d'îlots, reconstitution des places supprimées, système de réservation des places électriques et de garantie de la recharge...), tension plus importante sur le prix de revente de l'électricité pour équilibrer le modèle du poids lourd électrique par rapport au poids lourd thermique »137(*). En raison de ces difficultés, la DGITM en est arrivé à la conclusion que « le modèle économique d'investissement pour les infrastructures de recharge de véhicule électrique (IRVE) sur le réseau routier national ne peut structurellement pas être rentable aujourd'hui ».

Dans le but d'éviter un coup d'arrêt qui pourrait affecter les objectifs d'électrification des flottes de véhicules, la DGITM et la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) doivent concevoir avant la fin de l'année un schéma directeur de déploiement des bornes de recharge électrique le long du réseau routier national.

Le principal enjeu du verdissement des flottes de véhicules, qui se trouve également être le plus complexe, est incontestablement celui de la décarbonation du secteur du transport routier de marchandises. Après de nombreuses études et réflexions, il semble que désormais la solution de son électrification, au moyen de véhicules à batteries, soit l'hypothèse privilégiée, au détriment des options alternatives qui ont pu être envisagées, notamment des motorisations hydrogènes.

L'électrification des poids lourds pourrait passer, comme pour les véhicules légers, par le déploiement de bornes de recharge le long des itinéraires routiers. Toutefois, d'autres scénarios, qui, s'ils étaient retenus, pourraient donner lieu à des besoins d'investissements massifs dans les infrastructures autoroutières, sont à l'étude, notamment des projets de « routes électriques ».

D'après la définition qu'en fait la DGITM, « les systèmes de route électrique consistent à apporter de l'énergie électrique (par caténaires, par rail au sol ou par induction sous les chaussées) à des véhicules électriques pendant que ceux-ci sont en train de rouler. Cela permet ainsi d'imaginer des véhicules (véhicules légers et poids-lourds) à motorisation électrique mais emportant des batteries plus petites ».

Par ailleurs, lors de son audition, le directeur général du groupe SANEF a signalé au rapporteur une expérimentation conduite par sa société en partenariat avec CEVA Logistics et ENGIE. Sur le principe des anciens relais de poste, cette solution de décarbonation du transport routier de marchandises reposerait sur l'installation tous les 300 kilomètres de stations pourvues de bornes de recharge de haute puissance et de tracteurs interchangeables. Les transporteurs pourraient ainsi reprendre leur route sans attendre la recharge de leur véhicule. D'après la société SANEF, environ 70 relais installés sur les principaux axes de circulation pourraient permettre de couvrir l'ensemble du territoire.

b) Plus vertueux sur le plan environnemental, de nouveaux usages de la route occasionnent également des travaux d'infrastructures

Au-delà des questions de conversion des flottes de véhicules, et toujours dans le cadre des politiques d'atténuation du réchauffement climatique, de nouveaux usages de la route, comme le covoiturage ou le développement de lignes de cars express, ainsi que le développement de la multimodalité se traduisent également par des investissements sur les réseaux routiers et autoroutiers.

Ces solutions doivent permettre de contribuer à la décarbonation de la mobilité périurbaine qui, comme l'avait souligné en 2023 la mission d'information de la commission des finances du Sénat consacrée au financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), représente « l'enjeu de la décennie en matière de report modal ».

Les enjeux majeurs du verdissement de la mobilité périurbaine

Si aujourd'hui le coeur des grandes agglomérations est souvent bien irrigué par des réseaux de transport en commun qui ont permis de réduire la part de la voiture individuelle dans les déplacements, d'importants gisements de report modal et donc, par voie de conséquence, de réduction des émissions de gaz à effets de serre (GES) résident dans le raccordement des périphéries aux agglomérations et des déplacements au sein même de ces périphéries ou des zones péri-urbaines. Aujourd'hui, l'accès aux agglomérations se réalise encore très majoritairement en voitures individuelles. Ce raccordement des périphéries par des services de transport en commun efficaces constitue aujourd'hui le principal angle mort de la transition écologique des transports du quotidien et le grand enjeu des prochaines années en termes de réduction des GES dans ce secteur.

Le potentiel de décarbonation lié à cet enjeu apparaît en effet absolument considérable. D'après les recherches de Jean Coldefy138(*), les déplacements entre les métropoles et leurs espaces périurbain et périphérique sont à la source des principales émissions de COdes mobilités et représenteraient 7 % des émissions totales en France. À titre d'exemple, ces émissions seraient 35 fois plus importantes que celles des villes-centres, beaucoup plus densément irriguées en réseau de transports en commun. La direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) confirme que les seuls flux centres-périphéries concentrent environ 50 % des émissions de COrelatives à la mobilité quotidienne des personnes alors que les villes-centres n'en représentent que 2 %. Cette situation s'explique par le fait que la part modale des transports en commun chute drastiquement de 27 % à 5 % entre les pôles d'agglomérations et leurs couronnes.

Pour relever le défi du raccordement des agglomérations à leurs zones périurbaines et périphériques, il serait nécessaire de multiplier par trois voire par quatre l'offre de mobilité partagée au sein de ces territoires. L'articulation des agglomérations avec leurs territoires périphériques par des moyens de mobilité adaptés et conçus dans une perspective intermodale pourrait permettre, d'après les estimations de la DGITM, de diminuer de 30 % les flux automobiles rentrant dans les métropoles.

Source : rapport d'information n° 830 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), par MM. Hervé MAUREY et Stéphane SAUTAREL

Le développement des usages collectifs de la route, au premier rang desquels le covoiturage, suppose ainsi le déploiement de nouvelles infrastructures spécifiques : des parkings de covoiturage, des pôles d'échanges multimodaux ou des voies réservées à ces usages. Si de telles infrastructures ont d'ores et déjà été créées à travers le territoire, la mission d'information de la commission des finances du Sénat précitée a souligné que beaucoup reste encore à accomplir en la matière.

Des besoins d'infrastructures nouvelles pour développer
les offres de mobilité partagée

Alors que les nouveaux développements de l'offre de transport du quotidien ne peuvent s'envisager autrement que dans une logique d'intermodalité permettant l'articulation la plus poussée possible des différents modes de déplacement, les acteurs du secteur font le constat que le nombre de parking relais est aujourd'hui très insuffisant. Une multiplication par deux voire par trois serait nécessaire.

Le coût par place d'un parking relais se situe entre 5 000 et 25 000 euros selon leur nature (parking au sol, en silo, souterrain). Le même constat peut être dressé s'agissant des pôles d'échange multimodaux (PEM) ferroviaires mais également routiers dont les coûts s'établissent dans des fourchettes allant respectivement de 10 à 50 millions d'euros et de 5 à 6 millions d'euros.

Source : rapport d'information n° 830 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), par MM. Hervé MAUREY et Stéphane SAUTAREL

Le développement de lignes d'autocars express (aussi appelés cars à haut niveau de service) le long des voies routières et autoroutières structurantes apparaît également de plus en plus comme une réponse aux enjeux de la mobilité périurbaine. Les avantages de cette solution de mobilité ont notamment été mis en évidence par la mission d'information sénatoriale sur le financement des AOM précitée (voir encadré ci-après). Le développement de telles lignes suppose des investissements pour créer des voies dédiées ou encore des pôles multimodaux permettant de rabattre le trafic automobile sur cette nouvelle offre de transport collectif.

L'intérêt du développement de lignes de cars express

Le car express à haute fréquence semble constituer une solution particulièrement adaptée à l'enjeu du raccordement des agglomérations à leurs zones périurbaines et périphériques. Ce service se révèle plus efficient encore lorsqu'il se combine avec l'utilisation de voies réservées sur les grands axes routiers d'accès aux agglomérations et de systèmes de priorités de circulation. Ce type de voies réservées peut être organisé à moindre coût sur les bandes d'arrêt d'urgence des autoroutes. Un référentiel technique régulièrement mis à jour par le Cerema présente à ce titre, à l'attention des collectivités, les dernières mises à jour règlementaires et les procédures d'aménagements de voies réservées aux services réguliers de transports collectifs sur les voies structurantes d'agglomérations (VRTC)139(*).

De tels services ont été mis en place en Île-de-France, sur l'aire urbaine grenobloise ou encore entre Aix-en-Provence et Marseille. Les services de cars express fonctionnant à Madrid sont souvent cités en exemple pour leur succès. Leur performance repose en grande partie sur la qualité des stations d'interconnexions avec les autres modes de transports lourds qui limite très significativement la rupture de charge et donc les pertes de temps pour l'usager.

De nombreuses études récentes font le constat de la performance économique et climatique des cars express et en recommandent le développement. L'évaluation réalisée en 2020 par le conseil scientifique du ministère des transports140(*) sur ces systèmes a mis en évidence leur pertinence et la hausse de fréquentation significative qu'ils ont générée. L'efficience économique et environnementale du car express semble particulièrement prononcée. En raisonnant en euros par tonne de COévitée Jean Coldefy estime par exemple que son efficience est en moyenne sept fois supérieure à celle du TER. Il considère qu'en moyenne 100 euros investis dans des lignes de cars express permettent d'économiser une tonne de CO2. Une étude de 2021 réalisée par la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT) et Régions de France141(*) a également dressé le constat de la pertinence économique des services de cars express, une analyse également partagée par un rapport d'avril 2023 concernant le développement des lignes de cars express en Île-de-France142(*).

Source : rapport d'information n° 830 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), par MM. Hervé MAUREY et Stéphane SAUTAREL

Par ailleurs, le développement des péages dits « en flux libre »143(*) occasionnera aussi des investissements sur le réseau autoroutier. La DGITM souligne que le « flux libre » doit permettre de réaliser « des gains substantiels en termes de temps de transport, de consommation de foncier, de sécurité routière, de lisibilité pour les usagers et d'énergie et d'émissions de gaz à effet de serre ». Avant la fin des concessions historiques, certains investissements de cette nature sont déjà prévus, notamment sur l'A13 et l'A14 par des avenants aux cahiers des charges concessions opérées par les sociétés SANEF et SAPN. En outre, toutes les nouvelles concessions autoroutières récemment ou prochainement mises en service comprennent par défaut ce type de péage.

D'après les éléments communiqués au rapporteur par la DGITM, après la fin des concessions historiques, la généralisation du flux libre à l'ensemble du réseau autoroutier pourrait représenter des investissements de plus de 3,5 milliards d'euros.

3. L'adaptation aux conséquences des dérèglements climatiques affectera aussi les investissements routiers

Dans son rapport de 2023 sur l'économie des concessions autoroutières, l'ART souligne qu'au-delà des politiques d'atténuation du phénomène de réchauffement climatique, l'adaptation aux conséquences des dérèglements du climat aura aussi une incidence significative sur le secteur autoroutier : « les événements climatiques affectant les infrastructures de transport et leurs fonctionnalités, il sera vraisemblablement nécessaire de faire évoluer la manière dont elles sont construites et exploitées. Il s'agit de minimiser les conséquences d'événements extrêmes tels que les inondations ou les mouvements de terrain, mais aussi d'anticiper les changements concernant les conditions moyennes, par exemple, les cycles de gel et les fortes chaleurs qui accéléreront l'usure des chaussées ».

Cette problématique fait l'objet d'une attention particulière du Cerema. L'établissement pilote d'ailleurs actuellement la réalisation d'une étude spécifiquement consacrée à cette question. Lors de son audition, le directeur général du Cerema a confirmé au rapporteur que le sujet de l'adaptation au changement climatique des infrastructures routières constituait en effet un enjeu majeur en particulier dans la mesure où les chaussées sont dimensionnées en fonction de températures et hydrométrie. Il sera ainsi nécessaire de les remplacer pour partie. Les travaux nécessaires seront substantiels. Cependant, d'après les études préliminaires effectuées par le Cerema, s'ils sont réalisés progressivement, au fur et à mesure des renouvellements programmés, leurs coût additionnels seraient tout à fait maîtrisables.

Il est cependant indispensable d'intégrer dès maintenant la problématique de l'adaptation aux dérèglements climatiques dans l'ensemble des politiques de gestion du patrimoine routier.

4. Définir une stratégie de transition écologique des infrastructures routières et en évaluer les coûts

Le rapporteur a pu faire le constat qu'aujourd'hui, ni l'État ni aucun autre acteur du secteur ne disposait d'une visibilité suffisante concernant les investissements prévisionnels de moyen-long terme dans les infrastructures routières et autoroutières, en particulier en lien avec les impératifs de la transition écologique. Il s'agit pourtant d'un préalable indispensable au choix du mode de gestion des autoroutes après l'expiration des contrats historiques. Aussi est-il urgent d'avoir une vision beaucoup plus claire sur ces enjeux. La première étape consiste pour l'État à établir une stratégie de long terme pour les infrastructures routières.

L'ART notait ainsi en 2023 que « la question des investissements nécessaires à la décarbonation du secteur reste ouverte (...). La décarbonation de l'infrastructure autoroutière nécessitera des investissements dont la nature et le calendrier de déploiement restent cependant à définir »144(*). Dans ce même rapport, le régulateur insistait sur la nécessité que l'État se dote d'une stratégie de décarbonation de son réseau autoroutier qui pourrait faire l'objet d'un chiffrage : « la pertinence de ces investissements mériterait d'être examinée au cas par cas. À ce stade, la puissance publique ne s'est pas dotée d'une feuille de route précise des actions à mener pour décarboner le secteur autoroutier. Il n'existe pas de chiffrage faisant référence sur ces besoins et encore moins un plan d'investissement structuré et programmé dans le temps ».

En l'absence de cap clair fixé par l'État, certaines sociétés d'autoroutes plaident pour des options technologiques qui occasionneraient des travaux extrêmement coûteux et qui pourraient, d'après-elles, justifier de réattribuer des concessions de longue durée. C'est par exemple le cas d'une étude que la groupe Vinci a fait réaliser en 2023 par le cabinet Altermind. En retenant l'hypothèse d'une généralisation de la technologie de l'autoroute électrique selon le système dit « ERS » (electric road system), cette étude aboutit à des investissements prévisionnels cumulés pour les seules infrastructures autoroutières concédées à hauteur de 70 milliards d'euros dont 15 à 20 milliards d'euros seraient à réaliser d'ici à l'échéance des concessions actuelles. Si elle est très loin de faire consensus, y compris parmi les sociétés d'autoroutes elles-mêmes, cette étude est la seule à avancer un chiffre d'investissements prévisionnels cumulé pour le réseau autoroutier.

Contrairement aux conclusions de cette étude, d'après les éléments qu'il a recueillis, le rapporteur a le sentiment à ce stade qu'en raison de la maturité des réseaux autoroutiers, les investissements prévisionnels dont ils devraient faire l'objet seront sensiblement inférieurs à ceux qui ont été réalisés au cours de l'exécution des contrats historiques. Cependant, ce sentiment doit absolument être rapidement objectivé.

Le rapporteur considère ainsi que la définition d'une stratégie de long terme, qui doit être étendue plus largement à l'ensemble des infrastructures routières, constitue un enjeu essentiel dont l'État doit impérativement se saisir sans délai tant-il conditionnera notamment l'avenir du patrimoine autoroutier national à l'issue des contrats historiques. Le rapporteur a appris que l'ART menait actuellement des travaux sur ce sujet et devrait publier une étude dans les prochains mois.

La définition d'une telle stratégie, parce qu'elle engagera une part non négligeable de l'avenir des mobilités en France, ne peut pas être le résultat d'une réflexion restreinte aux seuls services de l'État. Elle devra nécessairement découler d'une concertation très large impliquant l'ensemble des parties prenantes : services de l'État, usagers, collectivités territoriales, filières professionnelles, etc.

Il s'agira, sur un horizon temporel de 20 à 25 ans, de déterminer collectivement la configuration souhaitable des réseaux routiers et autoroutiers à cet horizon, les options technologiques retenues s'agissant de leur décarbonation et de leur adaptation aux dérèglements climatiques ou encore la nature et les niveaux de services attendus de ces infrastructures. De cette stratégie devra résulter l'objectivation d'un montant prévisionnel et d'un planning d'investissements. Il est cependant bien évident qu'il est aujourd'hui présomptueux de penser pouvoir anticiper de façon précise la nature et les niveaux d'investissements à réaliser dans 15 ou 20 ans. Il conviendra donc de réexaminer les paramètres de cette stratégie de manière régulière, a minima tous les 5 ans, afin de les ajuster à de nouveaux besoins ou encore aux évolutions technologiques.

Recommandation n° 13 : organiser une large concertation de l'ensemble des acteurs concernés (État, collectivités locales, experts, professionnels, etc.) sur l'avenir des autoroutes qui devra notamment débattre du périmètre des concessions, des enjeux de décarbonation des réseaux et des investissements nécessaires à celle-ci.

B. LES PRINCIPAUX ENJEUX DES MOBILITÉS DE DEMAIN DEVRONT ÊTRE EN PARTIE FINANCÉS PAR L'EXPLOITATION DES AUTOROUTES

1. Les enjeux des mobilités de demain supposent des dépenses considérables

Au-delà des infrastructures routières et du nécessaire effort à réaliser s'agissant de l'entretien du réseau routier non concédé, la transition écologique du secteur des transports présente, dans sa globalité, des enjeux de financement absolument considérables.

Les investissements dans le secteur ferroviaire représentent à eux seuls une part significative de ces enjeux. Le rapporteur l'avait mis en évidence dès le mois de mars 2022 dans un rapport d'information sur la situation et les perspectives financières de la SNCF145(*), pour enrayer son déclin, une augmentation très substantielle des investissements dans la régénération comme dans la modernisation du réseau ferroviaire est indispensable. Rendu public un an plus tard, le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) avait confirmé ces besoins. Lors de la remise du rapport du COI, la première ministre de l'époque avait annoncé un plan ferroviaire de 100 milliards d'euros et s'était alors engagée à ce que les investissements dans la régénération et la modernisation augmentent progressivement de 1,5 milliard d'ici à 2027 : 1 milliard d'euros pour la régénération et 0,5 milliard d'euros pour la modernisation. En outre, comme le COI a pu le documenter dans son rapport, l'effort d'investissement devra monter encore d'un cran supplémentaire après 2027 pour être réhaussé pendant au moins deux décennies d'environ 2 milliards d'euros par an.

Les enjeux de financement de la transition écologique des transports concernent aussi les mobilités du quotidien, qu'il s'agisse d'ailleurs des dépenses d'investissement comme des charges de fonctionnement. La mission d'information de la commission des finances précitée avait ainsi estimé le « mur de dépenses » qui attendaient les AOM d'ici 2030 à environ 100 milliards d'euros. Au-delà de cette échéance, si la France entend atteindre ses engagements en matière de lutte contre le changement climatique, il ne fait pas de doute que les besoins se maintiendront à un niveau nettement plus élevé que les dépenses observées aujourd'hui.

Dans le contexte budgétaire extrêmement contraint qui est celui du pays aujourd'hui, qu'il s'agisse de l'État comme des collectivités territoriales, le financement de la transition écologique du secteur des transports se heurte à des équations qui paraissent trop souvent insolubles. Dans ces conditions et dans un contexte de maturité du réseau autoroutier conjugué à l'échéance prochaine des concessions historiques, le rapporteur considère que les recettes issues de l'exploitation des autoroutes constituent une piste très sérieuse de financement pour la transition écologique des transports.

2. L'État doit se fixer pour objectif de parvenir à maintenir le niveau de ressources généré par les autoroutes afin de contribuer au financement des principaux enjeux de mobilité

Le réseau autoroutier ayant atteint un stade de maturité, les investissements prévisionnels dans ses infrastructures, même s'ils doivent être précisés, devraient être significativement inférieurs à ceux qui ont prévalu dans le cadre de l'exécution des contrats de concession historique. Ainsi, il est possible d'envisager que, sur la dizaine de milliards d'euros de chiffre d'affaires généré par les autoroutes concédées, une part plus significative soit prélevée pour être fléchée vers le financement de la transition écologique du secteur des transports.

Cependant, cette perspective est conditionnée à la capacité juridique de maintenir à leur niveau actuel les recettes générées par le réseau autoroutier concédé et donc le niveau des péages. Cette capacité juridique est encadrée par la réglementation européenne, plus précisément par la directive 1999/62/CE du 17 juin 1999 dite « eurovignette »146(*).

Or, en 2022, cette directive a fait l'objet d'une très profonde révision qui suscite encore des interprétations divergentes. Cette révision avait pour objectif affiché de « parvenir à l'internalisation complète et obligatoire des coûts externes pour les transports routiers ». Pour cela, elle a prévu d'étendre le périmètre de la directive à l'ensemble des véhicules, y compris les véhicules légers. En outre, comme précisé dans l'encadré ci-après, cette révision introduit de nouveaux outils permettant aux États membres de mettre en oeuvre le principe « pollueur-payeur » dans la tarification des autoroutes pour les émissions de gaz à effet de serre, la pollution atmosphérique locale et la pollution sonore générées par les usagers des autoroutes. En effet, cette révision a pour objet de permettre au péage de refléter les externalités négatives générées par les véhicules légers et les poids-lourds en comprenant, en plus d'une « redevance d'infrastructures » couvrant les coûts complets du réseau autoroutier, une « redevance de congestion » ainsi qu'une « redevance pour coûts externes ».

La révision de la directive eurovignette en 2022

La directive dite « eurovignette », dont la version initiale date de 1999, définit les règles de taxation des poids lourds empruntant certains axes routiers applicables au sein de l'Union européenne. Elle a été profondément révisée en 2022, notamment pour renforcer dans la structure des péages une logique de « pollueur-payeur » qui est venue s'ajouter au principe historique « d'utilisateur-payeur ».

La directive prévoit trois types de « redevances » :

les « redevances d'infrastructures » doivent permettre de couvrir les coûts de construction, d'entretien, d'exploitation et de développement des infrastructures dans une logique de « redevance pour service rendu » ;

les « redevances pour coûts externes » qui visent à internaliser dans le prix des péages des externalités négatives générées par le trafic routier en matière de pollution de l'air, de pollution sonore ou encore d'émission de CO2 ;

les « redevances pour congestion du trafic » qui peuvent s'appliquer pour les sections de routes affectées par la congestion, et uniquement pendant les périodes de fort trafic.

Avant la révision de 2022, la directive prévoyait notamment l'obligation pour les États membres de faire varier les redevances d'infrastructures applicables aux poids lourds en fonction de la classe d'émissions EURO du véhicule, c'est-à-dire en fonction de ses émissions de polluants atmosphériques.

La révision de la directive intervenue en 2022 prévoit notamment trois nouvelles mesures obligatoires destinées à assurer une meilleure prise en compte de la performance environnementale des véhicules :

- la modulation des redevances d'infrastructures en fonction des émissions de COdes poids lourds ;

- l'application à compter de 2026 d'une « redevance pour coûts externes » destinée à couvrir le coût des externalités négatives liées à la pollution atmosphérique due au trafic des poids lourds ;

- la modulation à compter de 2026 des péages des camionnettes et minibus en fonction de leur performance environnementale.

En complément, la directive permet aux États membres de se saisir d'autres dispositifs complémentaires facultatifs (introduction d'une redevance de congestion ou d'un surpéage sur des tronçons routiers régulièrement saturés par exemple).

La transposition en droit national de la directive révisée a été réalisée par la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture. Choix a été fait de ne transposer que les seuls dispositifs obligatoires (modulation des redevances d'infrastructures en fonction des émissions de COet redevance pour coûts externes). Les évolutions en résultant ne s'appliquent pas aux contrats en cours. Aussi, pour l'essentiel, elles n'entreront réellement en vigueur qu'après l'échéance des concessions historiques.

Ces dispositions sont prévues aux articles L. 119-11 et L. 119-12 du code de la voirie routière. Leur mise en oeuvre a été détaillée par un décret en Conseil d'État pris après avis de l'ART et par un arrêté.

Source : commission des finances du Sénat

À ce jour, le rapporteur a pu constater que plusieurs interprétations divergentes cohabitent parmi les acteurs du secteur des transports sur les conséquences de la révision de la directive au sujet du niveau de fixation des péages et ainsi, par voie de conséquence, des recettes susceptibles d'être générées par l'exploitation des autoroutes. Ces divergences reposent principalement sur le potentiel des recettes qui pourront être perçues au titre des nouvelles « redevances pour coûts externes » prévues par la directive qui permettent d'internaliser certaines externalités négatives associées au trafic routier.

Certains considèrent qu'en vertu des limites posées par la directive, les péages ne pourront plus en France être maintenus à leur niveau actuel. D'autres au contraire estiment que sa dernière révision, puisqu'elle ouvre explicitement la possibilité nouvelle de tarifer des externalités négatives, rend la directive encore plus souple sur cette question, ce qui permettrait, dans le respect des normes européennes, de pouvoir maintenir les péages, et donc les recettes dégagées par l'exploitation du réseau autoroutier, au moins à leur niveau actuel. Comme son président a pu le signaler au rapporteur, l'ART réalise actuellement une étude qui a pour objet d'éclairer les enjeux relatifs à cette question.

Une étude est actuellement conduite par l'ART

Une étude est actuellement menée par les services de l'ART pour apprécier finement les contraintes et les opportunités résultant de la directive Eurovignette. Elle examine :

- d'une part, l'opportunité de mettre en place les instruments tarifaires permis par la directive Eurovignette mais sans caractère obligatoire ;

- d'autre part, les valeurs à retenir pour monétariser les externalités en s'appuyant sur les travaux les plus récents en la matière.

L'ART cherche en particulier à identifier plusieurs scénarios de tarification souhaitables à l'horizon de l'échéance des contrats de concession historiques. Pour chaque scénario, les recettes potentielles sont chiffrées et une évaluation globale des effets désirables et indésirables est menée.

Source : réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur

Le président de l'ART a pu présenter au rapporteur les premières conclusions provisoires de ces travaux.

Il apparaît tout d'abord, ce qui vient confirmer une conviction du rapporteur, qu'en raison du stade de maturité atteinte par le réseau autoroutier, « à l'échéance des concessions historiques, la composante « redevance d'infrastructure » des péages devrait connaître une forte baisse », qui pourrait atteindre 75 %. L'ART précise que cette prévision s'inscrit « dans l'hypothèse où l'on ne réaliserait pas de nouveaux investissements massifs sur le réseau autoroutier. Une hypothèse raisonnable compte tenu, en particulier, de l'obligation des concessionnaires de restituer l'infrastructure en bon état en fin de concession. Sans coût de construction initial, le péage de l'ordre de 8 centimes d'euros par kilomètre parcouru en moyenne aujourd'hui devrait s'établir entre 2 et 3 centimes d'euros par kilomètre parcouru pour couvrir les coûts d'exploitation, d'entretien et de maintenance (et d'immobilisation de capital) ».

Deuxièmement, sur la base d'évaluations de ces externalités réalisées en 2020 par le commissariat général au développement durable (CGDD)147(*), une « redevance pour coûts externes » couvrant le coût de la pollution sonore et celui de la pollution atmosphérique, pourrait générer de l'ordre de 1 milliard d'euros par an.

Troisièmement l'instauration d'une « redevance de congestion » pourrait également dégager plus d'1 milliard d'euros chaque année.

Quatrièmement, l'internalisation des externalités liées aux émissions de COpourrait dégager des recettes très substantielles, susceptibles même, en l'additionnant avec les redevances précitées (d'infrastructure, de congestion et d'internalisation des pollutions sonores et atmosphériques), de porter les recettes totales générées par l'exploitation des autoroutes à des montants supérieurs à leur niveau actuel. En effet, à elle seule, elle pourrait vraisemblablement permettre de dégager environ 10 milliards d'euros par an.

Néanmoins, il existe une difficulté juridique à son instauration, à savoir l'extension au secteur routier, à horizon 2028, du mécanisme d'échanges de quotas d'émissions de carbone. Aussi, la valorisation de l'internalisation des émissions de COliés au trafic autoroutier se matérialisera vraisemblablement par cet outil plutôt que par une « redevance pour coûts externes » dédiée. Le rapporteur souligne que les ressources qui seront générées par ce mécanisme, qui feront partie intégrante des recettes dégagées par l'exploitation des autoroutes, devront être affectées au financement de la transition écologique du secteur des transports.

Il ressort ainsi de l'analyse préliminaire menée par l'ART que le cadre européen permettra vraisemblablement de maintenir le niveau de recettes actuellement généré par l'exploitation des autoroutes. Dans la mesure où les coûts complets de la gestion du réseau autoroutier devraient dans le même temps diminuer, à l'issue des concessions historiques, il pourrait être ainsi possible d'affecter chaque année, de façon structurelle, plusieurs milliards d'euros pour financer les principaux enjeux des mobilités de demain.

Pour atteindre les objectifs fixés dans le cadre d'une stratégie de long terme globale sur l'avenir des mobilités en France, ces financements pourraient être affectés à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT-France) qui a déjà pour mission d'allouer des ressources provenant d'un panier de fiscalité affectée à la couverture de dépenses d'investissements dans les infrastructures de transport. Cette agence pourrait être réformée et modernisée pour ce faire.

Recommandation n° 14 : après l'expiration des concessions historiques, dans le cadre fixé par le droit européen, maintenir le niveau actuel des recettes issues de l'exploitation des autoroutes et en affecter la part excédant les besoins d'entretien et de maintenance des réseaux autoroutiers au financement des principaux enjeux de mobilité et de sa transition écologique.

CONCLUSION

L'échéance prochaine des principales concessions d'autoroutes constitue un enjeu majeur pour l'État, ses intérêts patrimoniaux, les usagers de la route et le secteur des transports dans son ensemble. Cette période délicate doit être négociée avec la plus grande vigilance. Nous n'avons collectivement pas le droit à l'erreur. L'extrême sensibilité des questions relatives à la gestion du réseau autoroutier concédé rend l'exercice plus difficile encore.

Il ne fait pas de doute que les contrats de concessions historiques comportent de très nombreux défauts. Ils ont conduit à installer de façon structurelle une relation déséquilibrée entre l'État concédant et les sociétés d'autoroutes, au bénéfice de ces dernières. De cette situation résultera très vraisemblablement des niveaux de rentabilité des sociétés d'autoroutes nettement plus importants que les prévisions qui avaient été réalisées lors de la privatisation. Néanmoins, parce qu'elles exploitent juridiquement les infrastructures autoroutières « à leurs risques et périls », l'hypothèse d'une résiliation anticipée des concessions apparaît comme excessivement risquée pour l'État et d'un intérêt limité.

Bien plus importantes sont les questions relatives aux enjeux de la fin de ces concessions. La rentabilité très élevée des sociétés d'autoroutes devrait cependant inciter l'État à se montrer intraitable dans le cadre des procédures de fin des grandes concessions historiques. Si l'expiration des contrats des sept concessions historiques s'échelonnera entre 2031 et 2036 c'est maintenant que tout (ou presque) se joue. En effet, à l'issue des contrats, les concédants doivent remettre à l'État les infrastructures composant leurs concessions « en bon état d'entretien ». À première vue, rien de si compliqué. Pourtant, derrière ces quelques mots et l'interprétation qu'on leur en donne, se cachent des enjeux à plusieurs milliards d'euros pour l'État et les sociétés d'autoroutes.

Or, d'ici à la fin de l'année, l'État doit notifier le programme de travaux de la première concession arrivant à échéance en 2031, celle opérée par la société SANEF. Ce programme de travaux, que le concessionnaire devra exécuter à ses frais durant les cinq dernières années de son contrat, est le moyen qui doit permettre d'assurer la remise du patrimoine de la concession en « bon état ». Autant dire que la période actuelle et les semaines à venir sont décisives. Elles détermineront très largement l'ensemble du processus. Le traitement de la première concession arrivant à échéance fera nécessairement jurisprudence pour toutes les autres. En effet, il serait juridiquement extrêmement difficile, voire même impossible, d'adopter une approche différente pour les concessions qui viendront à échéance par la suite. Alors qu'il inaugure cette procédure sans pouvoir s'appuyer sur des expériences passées en la matière, l'État concédant n'a pas le droit à l'erreur car il n'aura pas de « seconde chance ».

Le sujet principal, qui représente un enjeu financier d'au moins un milliard d'euros, concerne le traitement d'ouvrages d'art sur lesquels les usagers peuvent actuellement circuler en toute sécurité mais dont la structure pourrait s'altérer rapidement quelques années seulement après la fin de la concession, exigeant ainsi des travaux très lourds et très coûteux. Est-ce que pour être remis en « bon état » à la fin de la concession ces ouvrages doivent faire l'objet de travaux aux frais des sociétés d'autoroutes d'ici à l'échéance des contrats ? L'autorité de régulation répond oui. Les stipulations des contrats permettent à l'État d'avoir cette exigence. Sans surprise, les sociétés d'autoroutes y sont très hostiles. Or, malheureusement, le rapporteur a eu la mauvaise surprise de constater que l'État serait sur le point de leur donner raison en retenant une doctrine de traitement de ces ouvrages très en-deçà des recommandations de l'ART et de ce que pourrait lui permettre les clauses contractuelles.

Pourquoi l'État retiendrait-il une approche si conciliante vis-à-vis des sociétés d'autoroutes ? La principale raison semble être que l'État n'ose pas s'opposer frontalement aux sociétés d'autoroutes par peur de leur pouvoir de nuisance contentieux. En effet, le rapporteur a pu constater à quel point l'État craint que, s'il se montrait trop exigeant à leur égard, les sociétés d'autoroutes ne s'engagent dans un énième contentieux au long cours comme, il est vrai, elles en ont l'habitude. Le rapporteur concède que, si l'État exerce pleinement ses droits et les prérogatives de puissance publique exceptionnelles qu'il détient dans le cadre du modèle concessif, cette hypothèse est plus que probable. Cependant, il estime qu'il n'est pas acceptable que l'État cède ainsi par anticipation, sacrifiant ses intérêts patrimoniaux et ceux des usagers, tout cela pour trouver un « compromis » avec les sociétés d'autoroutes et éviter un conflit. Cette position conduirait à donner une prime à une forme de « chantage au contentieux » agité par les sociétés d'autoroutes. Selon le rapporteur, l'État concédant doit considérer et mieux prendre en compte les avertissements et recommandations de l'ART sur ce sujet et revoir sa copie sans craindre d'avoir à défendre devant le juge ses droits légitimes.

L'État devra se montrer tout aussi intraitable s'agissant des investissements prévus dans les contrats, financés par les péages des usagers mais non encore réalisés aujourd'hui, souvent car leur construction n'est plus pertinente. Leur recensement est en cours. Les enjeux financiers liés à ces investissements dits de « seconde génération », dont l'estimation doit encore être affinée, pourraient s'établir entre un et plusieurs milliards d'euros. Le rapporteur recommande qu'à hauteur des montants considérés, des investissements alternatifs utiles, notamment liés aux enjeux de décarbonation du secteur autoroutier, soient notifiés par l'État aux sociétés d'autoroutes pour qu'elles les réalisent à leurs frais d'ici à la fin des concessions. Autant dire que le temps presse. Il est ainsi urgent de réaliser le recensement complet des investissements de « seconde génération » et d'identifier les opérations alternatives qui pourraient être réalisées à leur place.

Au-delà des enjeux relatifs aux opérations d'expiration des concessions actuelles, une réflexion sérieuse doit être conduite sur « l'après ». À ce titre, le rapporteur note que la reprise du réseau concédé en régie par l'État ferait courir un risque majeur quant à l'état d'entretien des infrastructures. Il en veut pour preuve l'état de dégradation avancé et en aggravation du réseau routier national non concédé. Cet exemple, tant il est symptomatique de ce modèle, agit comme un véritable repoussoir de l'option d'une gestion en régie par l'État des autoroutes.

À l'issue de ses travaux, le rapporteur a par ailleurs acquis la conviction que les défauts du système actuel tenaient aux imperfections des contrats historiques mais pas au modèle concessif en lui-même. En effet, ce dernier, à condition d'être bien configuré, présente des avantages indéniables. Aussi, le rapporteur recommande-t-il qu'à l'issue des contrats historiques, un nouveau modèle de concessions autoroutières très profondément réformé soit mis en place. Rééquilibré au bénéfice des usagers et des intérêts patrimoniaux de l'État, ce modèle serait fondé sur des concessions courtes recouvrant des périmètres géographiques optimisés et dont les paramètres économiques et financiers, précisément définis, feraient l'objet d'un encadrement, d'un suivi approfondi ainsi que d'une révision quinquennale de façon à prévenir le phénomène de surrentabilité.

Enfin, le rapporteur considère également que les enjeux relatifs à la définition d'un nouveau modèle de gestion des autoroutes s'étendent bien au-delà de ce seul secteur. Aussi, si au terme de la concertation qui sera menée il s'avère certains que les investissements dans les infrastructures autoroutières seront inférieurs, peut-être même sensiblement, à ceux qu'il a fallu financer dans le cadre des contrats de concessions historiques qui arrivent à échéance, une part significative des recettes tirées du secteur autoroutier, qu'il serait pertinent de maintenir à leur niveau actuel, pourrait être mobilisée pour contribuer au financement de l'entretien des infrastructures routières non concédées ainsi que de la transition écologique du secteur des transports dans son ensemble. Cette perspective apparaît d'autant plus cruciale à un moment où les responsables politiques cherchent toujours désespérément les moyens de financer la transition écologique dans un contexte de forte dégradation des finances publiques.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 octobre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Hervé Maurey, rapporteur spécial, sur la préparation de l'échéance des contrats de concessions autoroutières.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons à présent entendre la communication de M. Hervé Maurey, rapporteur spécial, sur la préparation de l'échéance des contrats de concessions autoroutières, un sujet qui nous intéresse beaucoup.

M. Hervé Maurey, rapporteur spécial de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » sur les programmes « Infrastructures et services de transports » et « Affaires maritimes, pêche et aquaculture ». - Je commence par saluer le travail de Marie-Claire Carrère-Gée, avec qui j'ai conduit l'essentiel de cette mission de contrôle.

Pourquoi cette mission de contrôle ?

D'abord, parce que c'est en 2031, dans sept ans, que la première concession d'autoroutes arrivera à échéance. Cela peut paraître assez lointain, mais c'est en ce moment que tout se joue en ce qui concerne la notion, très importante, de bon état, qui figure dans les contrats de concessions, sans y être définie précisément. La valeur du patrimoine autoroutier français est estimée à 194 milliards d'euros ; cela mérite notre attention. La définition du bon état doit être notifiée par l'État aux concessionnaires, tout comme le programme de travaux nécessaires pour arriver à ce bon état, avant le 31 décembre 2024 pour la première concession arrivant à échéance. Nous sommes donc dans un sujet d'actualité.

Ensuite, il faut dès à présent se soucier du jour d'après, lorsque les infrastructures seront rendues à l'État.

Le premier point que je souhaite aborder est la rentabilité des sociétés d'autoroutes. On en a déjà beaucoup parlé, ce sujet a notamment fait l'objet d'une commission d'enquête sénatoriale et d'un rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Les deux s'accordent à dire que la rentabilité des concessions devrait être particulièrement importante. Celle de certains groupes atteint 11 % ou 12 %, notamment grâce à des gains importants réalisés sur le refinancement de leur dette avec la baisse des taux d'intérêt. L'Autorité de régulation des transports (ART) a estimé ces « surbénéfices » à 40 milliards d'euros. À mon avis, il est inutile d'épiloguer sur ce point, ou d'envisager une résiliation anticipée, surtout depuis l'avis du Conseil d'État de juin 2023, qui montre qu'un tel projet serait juridiquement hasardeux. En revanche, nous devons tirer les leçons de cet épisode pour l'avenir.

En ce qui concerne la remise en état des infrastructures et la notion de bon état, je voudrais vous faire part de ma très vive inquiétude. Les auditions, notamment celle du directeur général des infrastructures terrestres et maritimes, nous ont montré que l'État se soucie surtout d'arriver à un accord avec les sociétés d'autoroutes pour éviter un contentieux. Cela le conduit à adopter une position qui, de notre point de vue, n'est pas assez ferme. C'est à l'État qu'il appartient de définir le bon état et de notifier le programme de travaux, quitte à prêter le flanc à une contestation devant les juridictions compétentes. Si l'on veut avant tout éviter le conflit, on adopte forcément des positions qui ne sont pas les meilleures garantes des intérêts patrimoniaux de l'État. J'en prends pour exemple le cas des structures évolutives de certains ouvrages, comme les ponts. Elles peuvent être aujourd'hui dans un bon état, mais on sait qu'à court ou moyen terme, elles ne le seront plus - on voit déjà des signes de faiblesse, d'usure, de vieillissement. Sur ce sujet, l'ART et l'État n'ont pas du tout la même interprétation, pour un enjeu, non négligeable, de l'ordre de 1 à 2 milliards d'euros.

J'évoquerai également les investissements de seconde génération.

Il s'agit d'investissements prévus par les contrats de concession, et financés par le péage, comme l'élargissement d'une autoroute de deux à trois voies, mais dont les travaux n'ont pas été réalisés s'il s'est avéré qu'ils n'étaient pas nécessaires. L'idée n'est pas de réaliser des investissements s'ils ne sont pas nécessaires, mais d'évaluer le gain qu'a constitué pour les sociétés d'autoroutes le fait de ne pas les avoir effectués, et de leur demander en contrepartie la réalisation d'autres investissements, ou éventuellement une ristourne. Or, lorsque j'ai évoqué ce sujet avec le directeur général de la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France (Sanef), qui est la première société d'autoroutes dont la concession arrive à échéance, il m'a répondu très franchement que ce sujet n'avait jamais été abordé dans ses discussions avec l'État. Or, selon les estimations, l'enjeu se situe entre 1 et 5 milliards d'euros.

Notre rapport mentionne aussi ce qu'il faudra faire une fois que ces infrastructures auront été rendues - en bon état j'espère - à l'État. Nous excluons l'idée d'une exploitation en régie par l'État, pour plusieurs raisons.

D'abord, l'État n'entretient pas très bien - c'est le moins qu'on puisse dire - son réseau autoroutier non concédé, et il n'entretient pas mieux ses routes nationales. Ensuite, si ce n'est pas l'usager qui paye, c'est forcément le contribuable, qui devrait alors payer aussi pour les usagers étrangers. Si l'on pense à tous les camions qui viennent du nord de l'Europe, de l'Allemagne, il n'y a aucune raison que le contribuable français paie pour eux... De plus, un tel système aurait un mauvais effet sur l'évolution des modes de transport puisqu'il rendrait l'autoroute plus attractive que des modes de transport plus vertueux. Enfin, il priverait l'État de recettes importantes, puisque, ne l'oublions pas, le chiffre d'affaires des sociétés d'autoroutes, c'est-à-dire les péages, fait l'objet d'un prélèvement fiscal de l'ordre de 36 %.

Nous préconisons donc de bâtir un nouveau modèle de concession autoroutière. Il ne faut évidemment pas repartir sur le modèle actuel. En effet, les concessions ont été beaucoup trop longues : la durée de certaines est de 75 ans ! En outre, nous constatons actuellement une forme de surrentabilité. Enfin, le contrôle par l'État de l'exécution de ces concessions est tout à fait insuffisant.

C'est pourquoi il convient de retenir des durées de concession plus courtes, sans doute de l'ordre de 15 à 20 ans au maximum, et prévoir des rendez-vous tous les cinq ans pour faire le point sur la rentabilité et sur le suivi des travaux. Il importera également de réfléchir à la gouvernance de ces concessions. Certains soulignent, par exemple, qu'il ne serait pas absurde d'y associer les régions. Il conviendrait aussi de redéfinir, en amont, le périmètre des concessions, qui gagnerait dans certains cas à être réduit.

Ce nouveau modèle ne doit pas être bâti dans l'opacité, comme cela se fait en ce moment pour la définition du bon état. Il ne doit pas être échafaudé en cabinet ministériel. Il faut procéder à une très large concertation avec l'ensemble des acteurs concernés, comme les collectivités territoriales, les métropoles, les régions, les entreprises ou les différents professionnels.

Le financement dégagé par les péages devra être affecté, au-delà de ce qui est nécessaire pour la gestion des autoroutes, à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) pour profiter à l'ensemble des mobilités, c'est-à-dire les routes, bien sûr, mais aussi les infrastructures ferroviaires, qui sont dans un état très préoccupant, et que les évolutions budgétaires actuelles ne devraient pas améliorer.

En somme, ce rapport se structure autour de trois orientations. La première est d'obtenir une plus grande exigence dans la procédure de fin de concession. La deuxième est de définir un modèle de gestion des autoroutes profondément réformé. La troisième est de faire en sorte que l'exploitation des autoroutes contribue au financement des mobilités dans leur ensemble, notamment aux enjeux de la transition écologique.

M. Claude Raynal, président. -Pouvez-vous préciser le lien que vous établissez entre le fait que les transporteurs étrangers passent sur une autoroute contribuent à leur financement et le maintien d'un régime de concession ? Un établissement public pourrait aussi prélever un péage...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -C'est un dossier intéressant, avec des enjeux bien identifiés depuis un certain temps. Nous devons aider l'État à préparer au mieux la fin des concessions, et à corriger les éventuelles insuffisances, pour prendre les bonnes décisions. Il est attristant de voir que ce sont, en général, les parties d'autoroute concédées qui sont le mieux entretenues... On aimerait connaître un contre-exemple !

L'an dernier, j'avais soutenu l'idée de mettre à profit une fraction du produit des mises aux enchères de quotas carbone européens pour aider au financement des mobilités. Vos propositions s'inscrivent parfaitement dans le cadre du travail de contrôle et d'évaluation, mais aussi de proposition, de notre assemblée. Vous ne manquerez pas, je suppose, de remettre votre rapport en mains propres au ministre concerné, car il doit être lu le plus rapidement possible pour préparer au mieux l'avenir sur ce sujet très préoccupant.

En tant qu'élu de la région Grand Est, je connais les débats qui s'y tiennent sur la participation des transporteurs aux réseaux autoroutiers par une écocontribution. Le contribuable français ne doit pas être seul à payer, car nos voisins ont une approche différente et sollicitent une contribution qui me paraît juste et de bon sens.

M. Pascal Savoldelli. - Oui, monsieur le rapporteur, l'exploitation des autoroutes doit contribuer au financement des mobilités dans leur ensemble - je pense notamment au fret.

M. Christian Bilhac. -Vous proposez de faire financer l'ensemble des mobilités par les concessions autoroutières. Je crains le saupoudrage... Sur l'autoroute de Montpellier, il passe un camion toutes les quinze secondes à peu près. Sans un financement dédié, avec un objectif clair, nous n'arriverons jamais à la financer. Cela vaudrait mieux qu'une piste cyclable à droite, un couloir de bus à gauche et une ligne de tram ailleurs, ce qui aboutit souvent à du gaspillage.

M. Éric Bocquet. - La commission d'enquête sénatoriale avait tout dit sur le niveau de rentabilité extraordinaire de ces concessions autoroutières. Nous devons nous appuyer sur ses travaux. Dans le Nord, l'autoroute A25 est gratuite entre Lille et Dunkerque : elle est en bon état et remplit parfaitement sa mission.

M. Stéphane Sautarel. -Même si les échéances peuvent paraître lointaines, c'est dès à présent qu'il convient de s'y préparer, de fixer le cadre. Vos préconisations semblent de bon sens. Le premier axe concerne la posture de l'État qui, à ce stade, semble plutôt inquiétante. Je souscris donc à vos recommandations. Le deuxième axe est relatif à la gouvernance, qui me semble essentielle, au niveau des ministères comme des collectivités locales et des professionnels. Il faut un pilotage de l'ensemble de ces concessions et de leur volet financier. Vous souhaitez rendre les concessions beaucoup plus courtes. Vous évoquez une durée de quinze à vingt ans. Je m'interroge sur la soutenabilité de l'engagement d'opérateurs privés sur une telle durée.

M. Thierry Cozic. -Je souhaite revenir sur les options de gouvernance que vous présentez, essentiellement sur le modèle de la concession. Vous dites que le retour en régie serait une fausse bonne solution. Des chiffrages ont-ils été réalisés ? Combien cette solution coûterait-elle ?

M. Michel Canévet. - Le rapporteur a évoqué l'affectation de crédits à l'Afit France, dans le cadre de la revue des opérateurs. Ne serait-il pas opportun de supprimer cette structure ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Vos orientations sont formulées avec beaucoup d'acuité. On est toujours interloqué face au montant de 40 milliards d'euros de profits supplémentaires. Vous insistez sur le fait que des travaux sont dus. Pour un nouveau système concessif, se pose la question du suivi. Dans les deux cas, avez-vous noté une prise de conscience sur le fait qu'il ne suffit pas simplement de définir un contrat et de faire une mise en concurrence, mais que la question du contrôle est une question centrale ? À propos de la surrentabilité, peut-on estimer l'impact réel sur les sociétés d'autoroutes de la taxe sur les infrastructures de longue distance ? Le Conseil constitutionnel l'a estimée conforme à la Constitution. On parle de 3 ou 4 milliards d'euros au cours des prochaines années...

M. Jean-Marie Mizzon. - Merci pour la qualité de ce rapport. Parmi les recommandations que vous formulez figurent un certain nombre d'obligations mises à la charge des concessionnaires. Pourquoi n'en prévoyez-vous pas une en matière de développement du covoiturage ? Sur l'A4, par exemple, que gère la Sanef, quand vous sortez de l'autoroute pour prendre un automobiliste qui souhaite covoiturer avec vous, vous payez plus cher que si vous ne vous arrêtez pas. Si l'on veut favoriser le covoiturage, il faut faire en sorte que le tarif soit linéaire.

M. Hervé Maurey, rapporteur spécial. - C'est vrai qu'il peut y avoir un péage même s'il n'y a pas de concession. Mais dans l'esprit des responsables politiques qui, aujourd'hui, prônent la fin des concessions, cela implique la gratuité pour l'automobiliste. La gestion publique, en général, conduit à augmenter le nombre d'emplois publics ainsi que les dépenses et la dette publiques. Ce n'est donc pas le modèle que nous préconisons. C'est vrai, les autoroutes concédées sont bien gérées. J'irai prochainement présenter ce rapport au ministre chargé des transports.

Monsieur Savoldelli, merci de soutenir notre proposition de faire en sorte que les péages financent l'ensemble des mobilités et l'ensemble des infrastructures, dont le fret. Nos infrastructures ferroviaires sont aussi dans une situation extrêmement préoccupante. J'auditionnais hier matin le président de l'ART dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2025. On voit bien que, malgré tout ce qui est fait actuellement, le réseau continue à se dégrader, parce qu'on ne fait pas assez de travaux. On peut craindre à terme une véritable paupérisation du réseau ferroviaire, sur laquelle, m'a-t-il dit, on ne pourra plus revenir, même si l'on trouvait une mine d'or, parce qu'on n'aura pas la capacité de faire tous les travaux faute d'entreprises et en raison des nuisances générées.

Monsieur Bilhac, dans les années qui viennent, je pense que les sociétés concessionnaires auront moins d'investissements à réaliser que par le passé, puisque les infrastructures sont déjà construites. Certes, la transition écologique exigera des adaptations. Si les camions sont tous électriques, par exemple, il faudra aménager les aires pour qu'ils puissent recharger leur batterie. Les concessionnaires actuels ont beaucoup d'idées pour justifier d'éventuels investissements futurs ; ils parlent d'autoroutes électriques, qui permettraient aux voitures de se recharger en roulant, et évoquent des chiffrages en milliards d'euros... En fait, il est très difficile d'évaluer les investissements qui seront nécessaires dans le cadre de la transition écologique. En tout cas, leur montant sera moins important.

Si l'on maintient les péages au même niveau, il y aura un surplus, et c'est ce surplus que je propose d'affecter à l'Afit France : elle alloue déjà une partie de certains prélèvements au réseau ferroviaire.

Je ne connais pas l'A25, monsieur Bocquet. Sur la surrentabilité, sachez que l'activité autoroutière représente 9 % du chiffre d'affaires de Vinci et 43 % de son résultat. Ces chiffres montrent bien que l'activité autoroutière est l'une des « vaches à lait » du groupe...

En ce qui concerne la gouvernance, il n'y a pas actuellement de suivi satisfaisant. La direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) s'intéresse uniquement aux questions techniques et non aux aspects financiers. Ceux-ci sont regardés à Bercy, mais pas de très près. Le modèle italien a été profondément revu à la suite de la catastrophe de Gênes ; tout a été remis à plat. Une forme de coordination interministérielle a été mise en place, auprès du président du conseil, ce qui permet de mobiliser toutes les compétences de l'État, techniques comme financières, et de sortir d'une logique en silo.

Quinze ans, est-ce trop court ? Je ne le pense pas, notamment au vu d'un certain nombre d'exemples étrangers. Si des investissements lourds ne peuvent pas être amortis sur une durée si courte, on peut prévoir un système de soulte. L'un des inconvénients du partenariat public-privé, c'est qu'il reviendrait à consolider la dette des autoroutes au sein de la dette publique.

Supprimer l'Afit France ? Je propose plutôt de réaliser un audit de l'ensemble des agences. Je ne suis pas sûr que ce soit l'Afit France qui ait les coûts de fonctionnement les plus élevés. Nous évoquons précisément cette question pour ne pas créer une agence supplémentaire chargée de financer l'ensemble des mobilités à partir des excédents des péages.

Monsieur Capo-Canellas, sur le contrôle et le suivi, je pense avoir déjà répondu : ce qui se fait au niveau de la DGITM ne relève que du domaine technique. Il faut une approche plus transversale.

La taxe sur les infrastructures de transport pèserait à hauteur de 450 millions d'euros cette année sur les sociétés d'autoroutes, ce qui est assez peu au regard des enjeux.

Monsieur Mizzon, il faut effectivement des dispositifs qui incitent au covoiturage, et non qui le pénalisent. Nous transmettrons votre remarque aux sociétés d'autoroutes.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Sénateurs de la commission d'enquête sénatoriale de 2020 sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières

- M. Éric JEANSANNETTAS, président ;

- M. Vincent DELAHAYE, rapporteur.

Direction générale du Trésor (DG Trésor))

- M. Stéphane SORBE, chef du service des politiques publiques ;

- M. Jean BENSAID, directeur de FIN - d'appui au financement des infrastructures ;

- M. Aurélien AUGER, adjoint au chef de bureau transports et agriculture ;

- Mme Alexia LITSCHGY, adjointe au chef de bureau transports et agriculture ;

- Mme Fanny MICHAUD, conseillère parlementaire et relations institutionnelles.

Direction générale des infrastructures des transports et des mobilités (DGITM)

- M. Rodolphe GINTZ, directeur général des infrastructures, des transports et des mobilités ;

- M. Fabien BALDERELLI, sous-directeur des financements innovants et du contrôle des concessions autoroutières.

Autorité de régulation des transports (ART)

- M. Thierry GUIMBAUD, président ;

- Mme Sophie AUCONIE, vice-présidente ;

- M. Jordan CARTIER, secrétaire général ;

- M. Nicolas WAGNER, directeur de la régulation sectorielle des transports 2.

Cerema

- M. Pascal BERTEAUD, directeur général.

SANEF

- M. Arnaud QUÉMARD, directeur général ;

- M. Rainier d'HAUSSONVILLE, secrétaire général ;

- Mme Isabelle PACE, responsable des relations institutionnelles.

Groupe Eiffage (APRR)

- M. Philippe NOURRY, président des concessions autoroutières en France ;

- M. Guillaume HÉRENT, directeur général APRR et AREA ;

- Mme Ghislaine BAILLEMONT, directrice générale adjointe en charge de l'infrastructure et des concessions.

Vinci

- M. Pierre COPPEY, directeur général et président de Vinci Autoroutes ;

- M. Blaise RAPIOR, directeur général adjoint de VINCI Autoroutes, en charge des contrats et concessions.

Société des grands projets (SGP)

- M. Jean-François MONTEILS, président du directoire ;

- M. Thomas LE COUR, directeur de cabinet ;

- M. Guillaume MENAGER, responsable des relations parlementaires ;

- M. Thierry DALLARD, ancien président.

Auteurs du rapport de février 2021 (IGF et CGEDD) sur le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes 

- M. Thomas ESPEILLAC, Inspection hénérale des finances (IGF) ;

- M. Denis HUNEAU, Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD - IGEDD).

Experts

- M. Yves CROZET, économiste des transports, membre du LAET, professeur émérite à Sciences Po Lyon ;

- M. Laurent RICHER, professeur agrégé de droit public, spécialiste des concessions autoroutières ;

- M. Jean-François CALMETTE, maître de conférences en droit public ;

- M. Philippe TERNEYRE, professeur en droit public.

Table ronde

- M. Erwan LE BRIS, directeur général d'Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc ;

- M. Olivier QUOY, directeur général d'Atlandes ;

- M. Antoine TRÉBOZ, directeur général d'ALiS (A28 Rouen-Alençon)

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

1

S'agissant de la remise en état des infrastructures autoroutières aux frais des concessionnaires, l'État concédant doit user de toute la plénitude de ses prérogatives de puissance publique en :

- fixant, dans le cadre des indicateurs techniques spécifiquement conçus à cette fin, des cibles techniques exigeantes pour la remise en état des différents types de bien desquelles résulteront les programmes de travaux notifiés aux sociétés d'autoroutes ;

- imposant aux sociétés concessionnaires des obligations de résultat pour la remise à niveau des biens de retours à l'expiration des contrats ;

- exigeant la remise en bon état de l'ensemble des ouvrages d'art évolutifs avant l'expiration des concessions historiques.

Ministère chargé des transports

2024

Programmes d'entretien et de rénovation de fin des concessions intégrés aux contrats de concessions par voie d'avenants

2

Exiger des sociétés concessionnaires d'autoroutes des données beaucoup plus précises et détaillées, notamment relevant de l'historique des indicateurs interne de suivi en termes de maintenance et d'entretien courant des infrastructures.

Ministère chargé des transports

2024

Documents remis par les sociétés d'autoroutes retraçant leurs politiques d'entretien courant

3

Améliorer la qualité des prestations produites par les bureaux d'études privés dans le domaine des infrastructures autoroutières en :

- créant des qualifications et des certifications professionnelles dédiées ;

- définissant et harmonisant le contenu de certaines prestations sensibles ;

- généralisant le recours à l'intelligence artificielle ;

- affinant les diagnostics de l'état des ouvrages d'art.

Ministère chargé des transports, conseillé par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et en coordination avec la filière professionnelle

2025

Tous supports

4

Veiller à garantir l'indépendance réelle des bureaux d'étude auxquels auront recours les services de l'État dans le cadre des procédures d'achèvement des concessions historiques et à éviter tout risque de conflit d'intérêts.

Ministère chargé des transports

2024

Règles déontologiques des marchés conclus entre le ministère des transports et des bureaux d'études

5

La notification aux sociétés d'autoroutes des programmes d'entretien et de rénovation devra prendre la forme d'un avenant à leurs contrats soumis aux avis de l'ART et du Conseil d'État qui veilleront à ce que les intérêts de l'État aient été pleinement défendus dans le cadre de cette procédure.

Ministère chargé des transports

2024

Avenant aux contrats de concessions

6

En amont de l'échéance des contrats, l'État devra réaliser une vérification exhaustive et rigoureuse de la réalisation effective de l'ensemble des travaux prévus dans le cadre des programmes de travaux mais aussi un contrôle par sondage des opérations d'entretien et de maintenance courantes effectuées au cours des dernières années de chaque concession.

Ministère chargé des transports

2027-2036

Programmes de contrôle mis en oeuvre par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM)

7

Réaliser un recensement précis de l'ensemble des investissements prévus dans les contrats de concessions et déjà financés par les péages puis s'assurer qu'ils soient effectivement réalisés par les concessionnaires ou, le cas échéant, remplacés par d'autres investissements plus pertinents, notamment en lien avec la transition écologique des infrastructures autoroutières.

Ministère chargé des transports, ministère chargé de l'économie et Autorité de régulation des transports (ART)

2024

Réalisations d'expertises puis intégration par voies d'avenants aux contrats en cours de nouveaux travaux réalisés aux frais des concessionnaires

8

Au terme des contrats historiques, instaurer un modèle concessif autoroutier profondément réformé et rééquilibré au bénéfice des usagers et des intérêts patrimoniaux de l'État.

Ministère chargé des transports et ministère chargé de l'économie

2031

Cahiers des charges conçus pour la remise en concurrence du réseau autoroutier concédé

9

Construire le nouveau modèle concessif sur la base de concessions plus courtes faisant l'objet d'un réexamen tous les cinq ans.

Ministère chargé des transports et ministère chargé de l'économie

D'ici 2027

Contrats de concessions

10

Définir précisément les paramètres économiques et financiers des nouvelles concessions, en assurer un suivi continu approfondi de façon à prévenir les phénomènes de surrentabilité.

Ministère chargé des transports et ministère chargé de l'économie

2031

Contrats de concessions

11

Demander à l'ART de réaliser et de rendre public une étude visant à objectiver les critères susceptibles d'éclairer une éventuelle révision du périmètre géographique des concessions actuelles.

Autorité de régulation des transports (ART)

2025

Rapport

12

À travers une nouvelle gouvernance intégrant les services des ministères économiques et financiers, en amont du lancement des appels d'offres et des négociations d'avenants puis tout au long des procédures, renforcer le rôle de l'État par une approche interministérielle de la négociation et du suivi juridique, économique et financier des contrats de concessions d'autoroutes.

Ministère chargé des transports et ministère chargé de l'économie

D'ici 2027

Législatif et réglementaire

13

Organiser une large concertation de l'ensemble des acteurs concernés (État, collectivités locales, experts, professionnels, etc.) sur le nouveau modèle et l'avenir des autoroutes qui devra notamment porter sur le périmètre des concessions, la gouvernance, les enjeux de décarbonation des réseaux et les investissements nécessaires à celle-ci.

Ministère chargé des transports et ministère chargé de l'économie

2025

Grande concertation

14

Après l'expiration des concessions historiques, dans le cadre fixé par le droit européen, maintenir le niveau actuel des recettes issues de l'exploitation des autoroutes et en affecter la part excédant les besoins d'entretien et de maintenance des réseaux autoroutiers au financement des principaux enjeux de mobilité et de sa transition écologique.

Ministère chargé des transports et ministère chargé de l'économie

2031

Législatif et réglementaire


* 1 L'intervention de l'Autorité de régulation des transports (ART) a certes contribué à un certain rééquilibrage mais elle estime néanmoins à 500 millions d'euros le montant de péages indus depuis 2016.

* 2 Le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF et CGEDD, février 2021.

* 3 6,3 milliards d'euros sur un total de 68,9 milliards d'euros.

* 4 2 milliards d'euros sur 4,7 milliards d'euros.

* 5 Selon l'ART.

* 6 Hausse prévisionnelle d'après les estimations de l'ART.

* 7 Tant au regard de l'évolution des conditions de circulation que des habitudes de mobilité.

* 8 Selon l'ART.

* 9 D'après les analyses, notamment des services du ministère chargé de l'économie et des finances, compte-tenu du transfert de risques limité vers le secteur privé, ce modèle conduirait vraisemblablement, à consolider au sein de la dette publique dite « Maastrichtienne », la dette relative aux infrastructures autoroutières.

* 10 Rapport n° 709 (2019-2020) fait au nom e la commission d'enquête (1) sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières, par M. Éric JEANSANNETAS (président) et M. Vincent DELAHAYE (rapporteur).

* 11 Le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF et CGEDD, février 2021.

* 12 À travers les dispositions de la loi n° 55-435 du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes.

* 13 Sur la base juridique constituée par le décret n° 70-398 du 12 mai 1970.

* 14 ASF en 2002 puis APRR en 2004 puis SANEF en 2005.

* 15 Comme le prévoit l'article L. 122-8 du code de la voirie routière.

* 16 Deux éditions de ce rapport ont été publiées à ce jour, en 2020 et en 2023.

* 17 Les sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroute (SEMCA).

* 18 Le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF et CGEDD, février 2021.

* 19 Rapport de la Cour des comptes sur les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, juillet 2013.

* 20 Désormais le seul mode de financement possible en vertu des dispositions du code de la voirie routière (voir supra).

* 21 La rentabilité des concessions, focus de l'ART, juillet 2023.

* 22 Le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF-CGEDD, février 2021.

* 23 L'ART note notamment dans son focus sur la rentabilité des concessions de juillet 2023 que « l'approche la plus traditionnelle est un calcul a priori, en début de concession, et qui s'appuie donc sur des flux de trésorerie anticipés. Ce TRI, prévisionnel, fournit usuellement un critère de décision ».

* 24 Le coût du capital dans les concessions autoroutières en France - Pour une approche moderne de la réglementation des péages, EDHECinfra, septembre 2020.

* 25 Et encore des TRI situés entre 6,1 % et 6,5 % recommandés par un rapport de l'IGF et du CGEDD de juin 2013.

* 26 Cour des comptes, référé n° S2018-4023 du 23 janvier 2019 sur le plan de relance autoroutier.

* 27 Le niveau de TRI retenu pour le plan de relance autoroutier de 2015.

* 28 Le niveau de TRI sur lequel la DGITM et les SCA s'étaient initialement accordées dans le cadre du plan d'investissement autoroutier de 2017.

* 29 Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, communication de la Cour des comptes, novembre 2013.

* 30 Comme par exemple la remise en état d'une aire d'autoroute existante.

* 31 Ce nouvel outil est présenté dans les développements infra.

* 32 Formule retenue par la commission d'enquête sénatoriale en 2020.

* 33 L'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023.

* 34 L'économie des concessions autoroutières, 1ère édition, ART, novembre 2020.

* 35 Qui représentent environ 98 % des recettes des sociétés concessionnaires d'autoroutes.

* 36 Dont les caractéristiques et les modes de calcul sont décrits infra.

* 37 Article L. 1121-1 du code de la commande publique.

* 38 L'article R. 3114-2 du code de la commande publique stipule à ce titre que la durée du contrat de concession « ne doit pas excéder le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu'il amortisse les investissements réalisés pour l'exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l'exécution du contrat ».

* 39 Article L. 122-4 du code de la voirie routière.

* 40 Rapport d'activité 2022 sur l'exécution et le contrôle des contrats de concessions d'autoroutes et d'ouvrages d'art, DGITM, 2023.

* 41 La rentabilité des concessions, focus de l'ART, juillet 2023.

* 42 Le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF-CGEDD, février 2021.

* 43 L'ART note notamment dans son focus sur la rentabilité des concessions de juillet 2023 que « l'approche la plus traditionnelle est un calcul a priori, en début de concession, et qui s'appuie donc sur des flux de trésorerie anticipés. Ce TRI, prévisionnel, fournit usuellement un critère de décision ».

* 44 « Généralement utilisé en début de période pour motiver la décision d'investissement, le calcul du TRI réalisé en cours de période, comparé au TRI initialement projeté, peut également constituer un outil de pilotage intéressant pour le concédant ».

* 45 Il doit ainsi être comparé au coût moyen pondéré'' du capital (CMPC), qui est une estimation de la rémunération du capital attendue par l'ensemble des pourvoyeurs de fonds (actionnaires et créanciers) compte tenu du profil de risque de l'actif.

* 46 Rapport sur le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF et CGEDD, février 2021.

* 47 6,3 milliards d'euros sur un total de 68,9 milliards d'euros.

* 48 2 milliards d'euros sur 4,7 milliards d'euros.

* 49 Économie des concessions autoroutières, 1ère édition, ART, novembre 2020.

* 50 Réalisée par M. Frédéric Fortin.

* 51 Rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023.

* 52 La rentabilité des concessions, focus de l'ART, juillet 2023.

* 53 L'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023.

* 54 Au 1er janvier de l'année avec un préavis d'un an.

* 55 CE Ass. 3 avril 2009, Compagnie générale des eaux et Commune d'Olivet, n° 271737, 271782.

* 56 Voir infra.

* 57 Voir les deuxième et troisième parties du présent rapport.

* 58 Elle était alors prévue par l'article 302 bis ZB du code général des impôts.

* 59 Le quatrième plus long du monde après la Chine, les Etats-Unis et l'Allemagne.

* 60 Réponses de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 61 Réponses de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 62 Annexe n° 11b présentée par M. Hervé MAUREY et Mme Marie-Claire CARRERE-GEE du rapport général n° 128 (2023-2024) fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024.

* 63 Réponses de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 64 Économie des concessions autoroutières, 1ère édition, ART, novembre 2020.

* 65 Article 38 des cahiers des charges des concessions Aliae et Arcos.

* 66 Rapport d'activité 2022 de l'ART, juin 2023.

* 67 Rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 1ère édition, ART, novembre 2020.

* 68 Rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 1ère édition.

* 69 Rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 1ère édition.

* 70 Rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 1ère édition.

* 71 Rapport d'activité 2022 de l'ART, juin 2023.

* 72 Avis n° 2022-055 du 26 juillet 2022 relatif au projet de treizième avenant à la convention passée entre l'État et la société SAPN pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes, approuvée par décret du 3 mai 1995, et au cahier des charges annexé à cette convention.

* 73 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 74 Rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 1ère édition.

* 75 Réponses de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 76 Réponses de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 77 Le Cerema travaille actuellement sur un guide consacré à la gestion de ce risque.

* 78 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteus.

* 79 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 80 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 81 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 82 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 83 Rapport d'activité 2022 sur l'exécution et le contrôle des contrats de concessions d'autoroutes et d'ouvrages d'art, DGITM, 2023.

* 84 Les principales sont décrites dans les développements infra.

* 85 Le 31 décembre 2031.

* 86 Qui se terminera le 29 février 2032.

* 87 Réponses de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 88 Puis le 28 février 2025 le programme qui devra être exécuté par la société ESCOTA.

* 89 Rapport d'activité 2022 sur l'exécution et le contrôle des contrats de concessions d'autoroutes et d'ouvrages d'art, DGITM, 2023.

* 90 Réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 91 En réponse au questionnaire du rapporteur, la DGITM a ainsi précisé qu'en parallèle des tâches exceptionnelles liées à la procédure d'expiration des concessions historiques, « la mise en oeuvre des plans d'investissement autoroutiers se poursuit également jusqu'aux échéances des concessions : instructions des dossiers, contrôles des opérations, mises en service... Les autres activités de la sous-direction restent maintenues : suivi et contrôle des activités d'entretien maintenance, suivi et gestion des contrats, participation à l'évolution de la doctrine nationale, passation de nouveaux contrats de concession... ».

* 92 Le CETU a signé une convention avec la DGITM pour encadrer les conditions de sa contribution.

* 93 Dans ce cadre, le Cerema a indiqué, en réponse au questionnaire du rapporteur, que « concernant les ouvrages d'art, le Cerema apportera ainsi une analyse statistique sur la bonne évaluation de la cotation de l'état des ouvrages d'art. Pour ce qui est des chaussées, le Cerema pourra les ausculter et les comparer aux indicateurs fournis par les SCA.

* 94 Dans ce cadre, le Cerema a souligné, en réponse au questionnaire du rapporteur, que « le Cerema pourra ponctuellement être sollicité par la sous-direction FCA pour l'aider dans le contrôle des travaux sur les sujets les plus complexes.

* 95 Via le programme 159 « Expertise, information géographique et météorologie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

* 96 De « quasi-régie conjointe » entre l'État et les collectivités territoriales.

* 97 Réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur.

* 98 Réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 99 Réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 100 Réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 101 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 102 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 103 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 104 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 105 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 106 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 107 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 108 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 109 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 110 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 111 Circulaire du 19 juillet 2023 relative aux modalités d'établissement et d'instruction des dossiers techniques concernant la construction et l'aménagement des autoroutes concédées modifiant la circulaire n° 87-88 modifiée du 27 octobre 1987.

* 112 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 113 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 114 On parle aussi de gestion « sous maîtrise d'ouvrage publique ».

* 115 Réponses de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 116 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 117 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 118 La redevance appelée « LKW Maut ».

* 119 Die Autobahn GmbH des Bundes.

* 120 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 121 La société autoroutes et tunnel du Mont-Blanc (ATMB) et la société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF).

* 122 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 123 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 124 Rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023.

* 125 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 126 Dans la 2ème édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières.

* 127 Réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 128 Dans la 2ème édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières.

* 129 Réponses écrites de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur.

* 130 Réponses écrites de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur.

* 131 Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, communication de la Cour des comptes, novembre 2013.

* 132 Réponses écrites de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur.

* 133 Suite notamment à la réalisation d'un audit externe réalisé en 2018.

* 134 Rapport d'information n° 617 (2012-2013) fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur les infrastructures de transport et les collectivités territoriales par MM. Jacques MÉZARD et Rémy POINTEREAU, mai 2013.

* 135 Le décret n° 2021- 159 du 12 février 2021, relatif aux obligations s'appliquant aux conventions de délégation autoroutières en matière de transition écologique.

* 136 Réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 137 Réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 138 Directeur du programme Mobilité et transitions de l'organisation ATEC ITS France.

* 139 La dernière version de ce guide intitulé « voies structurantes d'agglomération, aménagement des voies réservées aux véhicules de transport en commun » date du mois de mars 2023.

* 140 Retours d'expérience Cars Express, comité scientifique France Mobilités, août 2020.

* 141 Analyse comparée des tarifications régionales de l'offre de transport interurbaine, 2021.

* 142 Rapport sur le développement des lignes de cars express en Île-de-France, François DUROVRAY, avril 2023.

* 143 Le péage en flux libre ou sans barrière est un système permettant la collecte du péage sans interruption du trajet des usagers.

* 144 Dans la 2ème édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières.

* 145 Comment remettre la SNCF sur rail ? Modèle économique de la SNCF et du système ferroviaire : il est grand temps d'agir, Rapport d'information n° 570 (2021-2022) de MM. Hervé MAUREY et Stéphane SAUTAREL, fait au nom de la commission des finances, 9 mars 2022.

* 146 Directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 1999, relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures.

* 147 Mobilités Coûts externes et tarification du déplacement, CGDD, décembre 2020.

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