B. LA FRANCE AU NIVEAU INTERNATIONAL : UNE POSITION INTERMÉDIAIRE
Malgré les études réalisées par l'Unesco et l'OCDE sur le déploiement de l'IA dans les différentes parties du monde, les éléments permettant de situer la France dans une perspective internationale ou au sein de l'Union européenne restent relativement peu fournis.
S'agissant de la formation des enseignants à l'IA, selon les données de l'enquête réalisée par l'Unesco en 2023 sur l'utilisation de l'IA pour l'éducation par les gouvernements19(*), seuls sept pays (Chine, Espagne, Finlande, Géorgie, Qatar, Thaïlande, Turquie) avaient déclaré avoir élaboré ou être en train d'élaborer des cadres ou des programmes de formation sur l'IA à l'intention des enseignants : « Cela montre clairement que dans la plupart des pays, les enseignants n'ont pas accès à une formation bien structurée sur l'utilisation de l'IA dans l'éducation. »
Seuls quatre pays (Chine, Jordanie, Malaisie, Qatar) avaient par ailleurs indiqué que leurs autorités avaient validé et recommandé des outils assistés par l'IA pour soutenir l'accès inclusif des apprenants handicapés.
En ce qui concerne plus spécifiquement l'IA générative, une enquête internationale du Capgemini Research Institute révèle que, dans l'enseignement secondaire, la majorité des enseignants ont expérimenté ChatGPT à titre professionnel, les proportions allant de 52 % pour Singapour et les Pays-Bas à 70 % pour les États-Unis. Plus d'un tiers des utilisateurs y ont eu recours pour gagner du temps dans leur travail.
En ce qui concerne l'accès à ChatGPT, les pratiques divergent fortement : 48 % des enseignants sondés indiquent que leur école a limité, voire bloqué, son utilisation, par exemple en la proscrivant pour les devoirs ou en bloquant l'accès sur les réseaux et appareils scolaires.
De manière générale, on observe néanmoins une prise de conscience de l'importance de l'IA générative en tant que compétence clef sur le futur marché du travail et de ses effets considérables sur les méthodes d'apprentissage et d'évaluation.
L'enquête conclut en effet que 58 % des enseignants du secondaire estiment que la capacité à interagir avec les systèmes d'IA constituera une compétence requise pour les emplois de demain, la proportion d'enseignants partageant ce point de vue étant un peu plus élevée au lycée (62 %) qu'au collège (46 %).
Cette vision prédomine aux États-Unis (74 %) et au Royaume-Uni (70 %), relativement loin devant la France (49 %). Ces chiffres semblent refléter une culture de l'IA comparativement plus ancrée dans le domaine éducatif des pays anglo-saxons, en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni.
L'intelligence artificielle dans l'éducation au Royaume-Uni et aux États-Unis
Le Royaume-Uni se distingue par une adoption proactive de l'IA dans l'éducation. Le Gouvernement a notamment développé des stratégies nationales pour l'IA, en incluant l'éducation comme un secteur clé. Les « UK AI Strategy »20(*) et « UK Digital Strategy »21(*) mettent en avant l'importance de l'IA pour améliorer le fonctionnement des systèmes éducatifs. Ces stratégies visent à garantir que les technologies de pointe soient utilisées pour personnaliser l'apprentissage, améliorer les résultats scolaires et préparer les étudiants aux défis futurs dans un monde de plus en plus numérique. Divers projets pilotes ont été lancés avec des entreprises pour tester l'efficacité de l'IA dans les salles de classe. Par exemple, l'entreprise Century Tech crée des plateformes d'apprentissage qui aident les enseignants à identifier les lacunes des élèves et à adapter leurs méthodes d'enseignement.
En outre, le gouvernement britannique soutient activement la formation des enseignants pour qu'ils soient en capacité d'utiliser efficacement les technologies basées sur l'IA. Des programmes de développement professionnel continu (DPC) sont mis en place pour aider les éducateurs à se familiariser avec ces nouvelles technologies et à les intégrer dans leurs pratiques pédagogiques.
Le Royaume-Uni met également l'accent sur la recherche, notamment au sein de ses universités, telles que celles d'Oxford et de Cambridge. Par exemple, l'Oxford Internet Institute explore l'utilisation de l'IA pour analyser les données d'apprentissage et prédire les résultats scolaires. À l'Université de Cambridge, le Centre for Data-Driven Discovery (C2D3) utilise l'IA pour personnaliser l'apprentissage et optimiser les interventions éducatives. L'université ouverte du Royaume-Uni a développé le système « OU Analyse » qui permet d'identifier des étudiants risquant d'échouer à un examen afin de les orienter précocement vers un système de tutorat.
Dans un rapport publié en janvier 2024, le Parlement britannique appelle à la poursuite de ces efforts de recherche et de formation tout en insistant sur les enjeux de protection des données et de réduction des inégalités numériques22(*).
Aux États-Unis, l'intégration de l'IA générative dans le système scolaire en est encore à ses débuts, mais des initiatives et des utilisations croissantes de cette technologie sont visibles dans divers contextes éducatifs. L'accent est mis sur la capacité à rechercher des informations, développer un esprit critique et collaborer en groupe, des compétences essentielles pour l'adoption de technologies avancées comme l'IA générative. Des start-up éducatives comme Socratic by Google utilisent l'IA pour fournir des explications détaillées et générer des réponses aux questions des élèves en temps réel. Ces outils permettent une interaction immédiate et personnalisée dans l'objectif de contribuer à un apprentissage autonome des étudiants.
L'intégration de l'IA générative dans les universités américaines est également en pleine expansion. Plusieurs se sont investies dans la recherche sur l'IA dans l'éducation. Stanford a exploré l'utilisation de modèles de langage génératifs pour aider les étudiants en rédaction, particulièrement dans les cours de composition. Ces outils assistent les étudiants dans la génération d'idées, la structuration de leurs essais et l'amélioration de leur style d'écriture.
De son côté, Harvard23(*) utilise l'IA générative pour aider les chercheurs et les étudiants dans la recherche académique. Des outils comme Semantic Scholar, qui utilisent des modèles d'IA pour résumer et analyser des articles de recherche, facilitent l'exploration de grandes bases de données de littérature scientifique.
Le système éducatif américain étant en outre plus enclin à utiliser les IA facilitant la correction de copies, la recherche porte également sur le renforcement qualitatif de ces systèmes, à l'instar de Writing Pal développé par l'Arizona State University qui fournit des commentaires individualisés pour améliorer les qualités rédactionnelles des étudiants. Enfin, l'University of Central Florida a développé TechLivE, qui permet aux enseignants de tester leurs pratiques pédagogiques dans le cadre d'une simulation avec des avatars d'élèves.
Dans le cadre de « France 2030 », des efforts substantiels sont désormais réalisés afin d'accroître la diversité et les capacités d'accueil des formations d'excellence à l'IA dans l'enseignement supérieur.
Afin d'encourager l'émergence de pôles de formation de rang mondial dans le domaine de l'IA, les neuf universités et grandes écoles sélectionnées en mai 2024 dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt « IA-clusters » piloté par l'Agence nationale de recherche (ANR) proposent, outre un écosystème de recherche sur une grande variété de sujets, des formations complètes spécialisées en IA. Le projet « PRAIRIE » de l'Université Paris Sciences et Lettres (PSL) vise en particulier à fédérer des acteurs académiques et industriels autour de la recherche en IA tout en proposant des formations innovantes (masters, doctorats) pour répondre aux enjeux futurs de l'IA.
Parallèlement, le dispositif « Compétences et Métiers d'Avenir » (CMA) doit permettre d'accélérer l'adaptation des formations aux besoins des filières économiques concernées et de développer significativement les places de formation, en particulier dans les écoles d'ingénieurs et de management.
* 19 Unesco, Survey for the governmental use of AI as a public good for education, 2023.
* 20 Department for science, innovation and technology, National AI Strategy, 2022 : https://www.gov.uk/government/publications/national-ai-strategy.
* 21 Department for Digital, Culture, Media & Sport, UK Digital Strategy, 2022 : https://www.gov.uk/government/publications/uks-digital-strategy/uk-digital-strategy.
* 22 Felix j., Webb L., « Use of artificial intelligence in education delivery and assessment », UK Parliament POST, 2024 : https://post.parliament.uk/research-briefings/post-pn-0712/.