- L'ESSENTIEL
- I. LA VIDÉOPROTECTION ALGORITHMIQUE :
STOP OU ENCORE ?
- A. UN CADRE JURIDIQUE CONTRAINT
- B. UN BILAN OPÉRATIONNEL CONTRASTÉ
- C. UNE EXPÉRIMENTATION À PROLONGER
SELON DES MODALITÉS AMÉNAGÉES
- 1. Les enjeux nouveaux soulevés par la
vidéoprotection algorithmique invitent à assumer pleinement et
jusqu'au bout la démarche expérimentale
- 2. Des aménagements à prévoir
pour exploiter pleinement les potentialités de l'expérimentation,
dans le respect de ses principes fondamentaux
- 3. Des garanties à renforcer pour
créer les conditions d'un consensus sur l'avenir de
l'expérimentation
- 1. Les enjeux nouveaux soulevés par la
vidéoprotection algorithmique invitent à assumer pleinement et
jusqu'au bout la démarche expérimentale
- A. UN CADRE JURIDIQUE CONTRAINT
- II. LE RECOURS À LA SÉCURITÉ
PRIVÉE : UN PARI AMBITIEUX MAIS INCONTESTABLEMENT
RÉUSSI
- I. LA VIDÉOPROTECTION ALGORITHMIQUE :
STOP OU ENCORE ?
- LISTE DES PROPOSITIONS
- AVANT-PROPOS
- I. VIDÉOPROTECTION ALGORITHMIQUE : STOP
OU ENCORE ?
- A. UNE EXPÉRIMENTATION QUI N'A PAS PERMIS
D'ÉVALUER RÉELLEMENT LA PERTINENCE DU RECOURS À LA
VIDÉOPROTECTION ALGORITHMIQUE
- B. UN BILAN CONTRASTÉ
- 1. Des conditions de mise en oeuvre qui n'ont pas
permis de déployer tout le potentiel de l'expérimentation
- 2. Malgré des performances très
variables selon les cas d'usage, un intérêt des services
utilisateurs qui demeure
- a) Un intérêt de
l'expérimentation limité par une présence accrue des
forces de l'ordre sur le terrain lors des jeux Olympiques et
Paralympiques
- b) Une évaluation de la performance qui se
heurte à des difficultés d'ordre méthodologique
- c) Une performance très variable selon les
cas d'usage
- d) Un intérêt opérationnel qui
conduit les acteurs de l'expérimentation à plaider en faveur de
la pérennisation du dispositif
- a) Un intérêt de
l'expérimentation limité par une présence accrue des
forces de l'ordre sur le terrain lors des jeux Olympiques et
Paralympiques
- 3. Une mise en oeuvre globalement conforme au
cadre fixé
- 1. Des conditions de mise en oeuvre qui n'ont pas
permis de déployer tout le potentiel de l'expérimentation
- A. UNE EXPÉRIMENTATION QUI N'A PAS PERMIS
D'ÉVALUER RÉELLEMENT LA PERTINENCE DU RECOURS À LA
VIDÉOPROTECTION ALGORITHMIQUE
- II. LE RECOURS À LA SÉCURITÉ
PRIVÉE : UN SUCCÈS INCONTESTABLE
- A. UNE MOBILISATION EXCEPTIONNELLE QUI A PERMIS DE
RÉPONDRE À UN BESOIN HORS NORME
- 1. En préparation des
évènements, une mise en tension ambitieuse de l'ensemble de la
chaîne d'acteurs
- a) Une définition des besoins et des
critères de sélection des entreprises attributaires
pertinents
- b) Des dispositifs d'identification des candidats,
de formation et de certification spécialement aménagés
pour les deux évènements
- c) Un accompagnement au recrutement qui a
porté ses fruits
- d) Des ajustements bienvenus du processus
d'accréditation
- a) Une définition des besoins et des
critères de sélection des entreprises attributaires
pertinents
- 2. Au cours des évènements, une
filière de la sécurité privée qui a parfaitement
tenu son rôle et qui s'est renforcée
- 1. En préparation des
évènements, une mise en tension ambitieuse de l'ensemble de la
chaîne d'acteurs
- B. UNE RÉUSSITE PORTEUSE DE PROMESSES POUR
LA FILIÈRE
- A. UNE MOBILISATION EXCEPTIONNELLE QUI A PERMIS DE
RÉPONDRE À UN BESOIN HORS NORME
- I. VIDÉOPROTECTION ALGORITHMIQUE : STOP
OU ENCORE ?
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
- TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI
- LE CONTRÔLE EN CLAIR
N° 374
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 février 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le bilan de la mise en oeuvre de la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (vidéoprotection intelligente et sécurité privée),
Par Mmes Françoise DUMONT et Marie-Pierre de LA GONTRIE,
Sénatrices
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
L'ESSENTIEL
La sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris 2024 a été un succès incontestable dont la commission des lois, qui a activement suivi les enjeux liés à la mise en oeuvre de la loi « JOP » du 19 mai 2023, ne peut que se féliciter. Dans la continuité de ses précédents travaux de contrôle, elle a souhaité tirer un bilan de la sécurisation des JOP sur deux aspects précis.
En premier lieu, elle a entendu évaluer la mise en oeuvre de l'expérimentation du recours à la vidéoprotection algorithmique pour la sécurisation des manifestations sportives, récréatives ou culturelles prévue par l'article 10 de la loi « JOP ».
Au terme de ses travaux, elle relève que, du fait des conditions de sa mise en oeuvre, l'expérimentation ne permet pas de porter un jugement définitif sur l'opportunité du recours à la vidéoprotection algorithmique. En particulier, les résultats paraissent trop limités et parcellaires pour justifier la pérennisation de ce dispositif comme son abandon.
Plusieurs éléments plaident en faveur d'une prolongation de l'expérimentation. D'une part, les utilisateurs - préfecture de police, SNCF, RATP, commune de Cannes - ont unanimement salué l'intérêt de ces technologies. D'autre part, le comité d'évaluation indépendant institué par la loi « JOP », dans son rapport remis au Parlement, a conclu que le dispositif expérimental institué par la loi JOP « ne [heurtait] les libertés publiques ni dans sa conception ni dans sa mise en oeuvre ». Le caractère novateur et transformateur de ces nouvelles technologies oblige à une réelle et profonde réflexion. Afin de donner pleinement sa chance à l'expérimentation, plusieurs aménagements pourraient être prévus au bénéfice de sa prolongation, tout en confortant les garanties fondamentales.
En second lieu, la commission a souhaité mener un retour d'expérience du recours massif à la sécurité privée dans le cadre des JOP, avec plus de 200 entreprises et 27 500 agents mobilisés. En cette matière, le bilan s'est avéré tout à fait positif, et prometteur pour l'ensemble de la filière de la sécurité privée. Ce pari ambitieux a été incontestablement réussi.
I. LA VIDÉOPROTECTION ALGORITHMIQUE : STOP OU ENCORE ?
A. UN CADRE JURIDIQUE CONTRAINT
1. Un encadrement justifié par le caractère innovant du dispositif et les appréhensions qu'il a légitimement pu susciter
L'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique a été instituée par l'article 10 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (loi « JOP »), dans des conditions strictement encadrées. Ces dispositions ont permis de donner un cadre à des pratiques qui avaient cours au sein des opérateurs de transport et des collectivités territoriales, mais dont la légalité était jusqu'alors incertaine.
Comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) l'avait souligné en juillet 2022, « les traitements algorithmiques de détection de comportements suspects ou infractionnels emportent un changement de degré et de nature dans la surveillance à distance de la voie publique » et sont ainsi « susceptibles de modifier la façon dont l'action des services de police influe sur l'exercice par les citoyens de leurs libertés et droits fondamentaux », appelant donc une intervention du législateur.
Les rapporteures insistent sur le changement de dimension que représentent ces technologies, qui appelle une vigilance particulière.
2. Une stricte délimitation de la finalité, de l'objet, des acteurs et de la durée de l'expérimentation
L'expérimentation répond à une finalité unique, directement liée à l'organisation des JOP : la sécurisation des manifestations sportives, récréatives ou culturelles qui, par l'ampleur de leur fréquentation ou par leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d'actes de terrorisme ou d'atteintes graves à la sécurité des personnes.
Son objet est rigoureusement défini : l'application de traitements algorithmiques à des images collectées par des systèmes de vidéoprotection ou de drones au moyen d'une technologie d'intelligence artificielle (IA), dans les lieux accueillant ces manifestations et à leurs abords ainsi que dans les véhicules et emprises de transport public et sur les voies les desservant, afin de détecter, en temps réel, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler ces risques et de les signaler en vue de la mise en oeuvre des mesures nécessaires par les services compétents.
Ces événements prédéterminés, ou « cas d'usage », ont été précisés par voie réglementaire. Le décret n° 2023-828 du 23 août 2023 en prévoit huit : la présence d'objets abandonnés ; la présence ou l'utilisation d'armes ; le non-respect par une personne ou un véhicule du sens de circulation commun ; l'intrusion d'une personne ou d'un véhicule dans une zone interdite ; la présence d'une personne au sol à la suite d'une chute ; les mouvements de foule ; une densité trop importante de personnes et les départs de feux.
Les services compétents pour recourir à l'expérimentation sont également énumérés limitativement : la police et la gendarmerie nationales, les services d'incendie et de secours, les polices municipales et les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.
Enfin, l'expérimentation peut être menée jusqu'au 31 mars 2025, soit moins de deux ans après l'entrée en vigueur de la loi « JOP », une période relativement brève compte tenu de l'innovation qu'elle représente et des formalités préalables à sa mise en oeuvre.
3. Une expérimentation assortie d'importantes garanties juridiques
L'expérimentation est entourée d'importantes garanties légales, qui portent notamment sur :
- les potentialités de la solution technologique utilisée, avec l'interdiction du recours à la biométrie et de la reconnaissance faciale, ainsi que la prohibition de tout rapprochement, toute interconnexion ou toute mise en relation avec d'autres traitements de données à caractère personnel ;
- l'affirmation d'un principe de « primauté humaine », qui veut que les traitements expérimentés demeurent en permanence sous le contrôle des personnes chargées de leur mise en oeuvre et ne peuvent fonder, par eux-mêmes, aucune décision individuelle et aucun acte de poursuite (en tout état de cause, ils ne peuvent être utilisés qu'en temps réel) ;
- un monopole de l'État sur la détermination de la technologie utilisée, qui doit satisfaire plusieurs exigences posées par la loi, notamment pour assurer le caractère loyal et éthique du traitement, la traçabilité des signalements ainsi que la possibilité de prendre des mesures de contrôle humain en permanence et de l'interrompre à tout moment ;
- la nécessité d'une autorisation préfectorale préalable à toute expérimentation, pour une durée limitée à un mois renouvelable ;
- des obligations en matière d'information du public ;
- un contrôle de la Cnil des expérimentations menées ;
- une évaluation associant notamment des parlementaires.
Le cadre réglementaire, issu d'un décret en Conseil d'État pris après avis de la Cnil, a prévu des garanties supplémentaires, comme la supervision du ministère de l'intérieur sur l'ensemble de la phase de conception des traitements ainsi que des exigences en matière d'habilitation et de formation des personnels et en matière de conservation des données, de traçabilité des opérations, de droits d'accès et d'effacement des données collectées.
Il a également prévu que l'évaluation soit assurée par un comité présidé par une personnalité indépendante et associe les services utilisateurs ainsi que d'autres personnalités qualifiées désignées notamment par la CNIL ou sur proposition du président.
B. UN BILAN OPÉRATIONNEL CONTRASTÉ
1. Des conditions de mise en oeuvre qui n'ont pas permis de déployer tout le potentiel de l'expérimentation
Dès le démarrage de l'expérimentation, lancée dans un calendrier très contraint, le ministère de l'intérieur a procédé à deux choix structurants qui ont d'emblée limité ses potentialités : la renonciation, d'une part, à l'usage de drones, et, d'autre part, au recours à des traitements algorithmiques reposant sur l'auto-apprentissage, technologie de nature à permettre l'amélioration des performances de la solution au gré de son utilisation. Cette dernière soulèverait néanmoins des questions de fond quant à l'usage des données et au respect des libertés publiques.
Les conditions de passation du marché ont également posé une limite supplémentaire, en ne retenant que trois prestataires : les sociétés Wintics, Videtics et ChapsVision. In fine, seules deux solutions ont été expérimentées.
Quatre services utilisateurs ont mis en oeuvre ces solutions :
- la préfecture de police de Paris pour les JOP, le Nouvel An et divers autres grands événements sportifs et concerts de musique ;
- la SNCF pour les JOP, le relais de la flamme olympique, le Festival Solidays, divers grands événements sportifs et les marchés de Noël ;
- la RATP pour les JOP, la Fête de la musique, la Fête nationale, divers autres grands événements sportifs et concerts de musique ;
- la commune de Cannes, notamment pour le Festival de Cannes et le marché de Noël.
Compte tenu des clauses de l'accord-cadre, les services utilisateurs n'ont pas eu la possibilité de choisir la solution à expérimenter : la préfecture de police, la SNCF et la RATP ont expérimenté la solution de la société Wintics et la ville de Cannes a été la seule à employer celle de la société Videtics.
Alors que la phase paramétrage des traitements s'est avérée déterminante pour le bon fonctionnement du dispositif, les services utilisateurs ont souligné qu'il était très contraint, y compris dans sa durée, par l'exigence d'une supervision permanente d'un agent du ministère de l'intérieur.
Une autre limite tient à la brièveté de la période d'expérimentation, accentuée par la durée des événements pour lesquels elle a été mise en oeuvre. Si les JOP ont permis le déploiement opérationnel des logiciels durant 29 jours, les autres manifestations concernées ont rarement duré plus de deux ou trois jours.
En somme, selon les données compilées par le comité d'évaluation, le dispositif aura été mis en oeuvre, tous utilisateurs confondus, à 47 reprises, pour une trentaine de manifestations et dans environ 70 lieux et au moyen d'environ 800 caméras. Son coût budgétaire global, tous utilisateurs confondus, s'est établi à environ 0,9 million d'euros.
2. Malgré des performances très variables selon les cas d'usage, un intérêt des services utilisateurs qui demeure
Au préalable, il convient de relever que l'intérêt du recours à la vidéoprotection algorithmique présente un intérêt moindre lorsque les moyens humains sur le terrain sont conséquents, comme ce fut le cas lors des JOP, qui ont entraîné une mobilisation exceptionnelle des forces de l'ordre. La présence renforcée des agents sur la voie publique et dans les transports emporte non seulement des effets dissuasifs, mais permet également de mieux détecter les risques pour la sécurité des personnes, diminuant d'autant l'intérêt de signalements obtenus au moyen de l'IA.
De manière générale, tant les travaux conduits par les rapporteures que le comité d'évaluation ont mis en évidence une performance très variable du dispositif selon les cas d'usage pour lequel il a été utilisé. Dans le cadre de la mise en oeuvre des solutions expérimentées, les performances se sont ainsi avérées :
- globalement satisfaisantes pour détecter l'intrusion dans une zone non autorisée, la circulation dans un sens non autorisé et la densité trop importante de personnes (voir exemples de signalements infra) ;
- incertaines pour détecter les mouvements de foule (très peu de signalements) ;
- inégales pour détecter des objets abandonnés ainsi que pour détecter le port d'armes (testé uniquement par la commune de Cannes) ;
- très insatisfaisantes pour détecter des départs de feu et la présence d'une personne au sol.
Exemples de signalements dans le cadre d'expérimentations mises en oeuvre par la SNCF
Source : SNCF
In fine, les événements détectés par l'IA n'ont donné lieu qu'à de peu nombreuses interventions sur le terrain : on en dénombre une seule par la préfecture de police et sept par la SNCF principalement pour des cas d'intrusion et plus rarement pour des objets abandonnés.
Pour autant, le nombre d'interventions ne saurait constituer la seule mesure de l'efficacité du dispositif, qui repose fondamentalement - et indépendamment de la réponse opérationnelle apportée, qui peut en pratique se limiter à une simple levée de doute - sur la qualité des signalements remontés, encore inégale, et l'« aide à la décision » qu'ils sont susceptibles d'apporter à l'opérateur.
À cet égard, les rapporteures relèvent que tous les services utilisateurs plaident pour la pérennisation de ce dispositif ou, a minima, pour une prolongation.
3. Une mise en oeuvre globalement conforme au cadre fixé
La mise en oeuvre de l'expérimentation a fait l'objet d'un contrôle vigilant opéré par la Cnil. Ceux-ci ont concerné le ministère de l'intérieur, les prestataires (Wintics et Videtics) ainsi que la RATP et la SNCF. Au total, 6 contrôles ont été menés au cours d'expérimentations durant les JOP, complétés de 3 contrôles a posteriori ou post-JOP. Ils ont porté sur la conformité des dispositifs au cadre juridique, les modalités d'information du public, l'existence d'une analyse d'impact ainsi que sur les mesures prises pour garantir la sécurité et la confidentialité des données collectées et traitées. Si ces dossiers sont toujours en cours d'instruction, la Cnil a confirmé aux rapporteures que, d'une manière générale, les contrôles ont permis de constater que les dispositifs mis en oeuvre étaient conformes, dans leur utilisation, aux cas d'usage prévus par la loi.
Le rapport du comité d'évaluation, présidé par Christian Vigouroux, a considéré que les expérimentations mises en oeuvre ont respecté les différentes exigences procédurales, les conditions de fond posées par la loi, ainsi que les exigences de confidentialité des données conservées. Un cas de manquement à la procédure a néanmoins été constaté, la publication de l'arrêté du préfet de police autorisant le traitement pour le début des épreuves olympiques étant intervenue cinq jours après sa mise en oeuvre, alors même que celui-ci avait été signé à temps. La préfecture a regretté ce retard auprès du comité, qui serait dû à un dysfonctionnement interne dans une période de très forte activité.
C. UNE EXPÉRIMENTATION À PROLONGER SELON DES MODALITÉS AMÉNAGÉES
1. Les enjeux nouveaux soulevés par la vidéoprotection algorithmique invitent à assumer pleinement et jusqu'au bout la démarche expérimentale
À l'aune de la sensibilité et de la nouveauté des enjeux soulevés par l'utilisation de la vidéoprotection algorithmique, les rapporteures considèrent qu'en la matière, la démarche de l'expérimentation législative doit être assumée pleinement et jusqu'au bout.
Les résultats de l'expérimentation, dont l'intérêt opérationnel s'avère à ce stade « limité mais réel » selon les termes du rapport du comité d'évaluation, ne sont pas suffisamment probants pour justifier une pérennisation ou au contraire un abandon, alors même que le dispositif expérimenté « en l'état, ne heurte les libertés publiques ni dans sa conception ni dans sa mise en oeuvre ».
Les rapporteures tiennent à saluer la qualité du rapport d'évaluation qui a été remis au Parlement. Chose rare, l'expérimentation a été menée selon une méthode véritablement expérimentale, conformément aux objectifs poursuivis par la révision constitutionnelle de 2003, et non pas comme la simple préfiguration d'un dispositif amené à être pérennisé.
Les résultats de l'évaluation comme la sensibilité du sujet justifient le choix d'une approche itérative, faite d'expérimentations successives, d'évaluations et d'interventions du Parlement pour ajuster au mieux l'encadrement du dispositif.
La prolongation de l'expérimentation semble donc bien être la voie à suivre pour respecter pleinement la volonté exprimée par le législateur en 2023 : donner sa chance au dispositif, mais de façon encadrée et en conditionnant toute pérennisation à la démonstration de son efficacité et à l'absence d'atteinte aux libertés publiques.
2. Des aménagements à prévoir pour exploiter pleinement les potentialités de l'expérimentation, dans le respect de ses principes fondamentaux
La commission a considéré que, pour tirer pleinement profit de l'expérimentation, plusieurs aménagements pourraient être opérés.
Premièrement, la possibilité de déployer le dispositif sur une période plus longue en dehors de grands événements sportifs ou culturels, à plus forte raison désormais que les JOP sont terminés, devrait être envisagée. Cela se justifie d'autant plus que ce critère a été identifié comme une limitation importante du dispositif, compte tenu de la brièveté de ces manifestations et de la forte mobilisation des forces de l'ordre pour assurer leur sécurisation. Une telle possibilité devrait être rigoureusement encadrée, et concerner des zones clairement délimitées et présentant des risques de sécurité importants, pour des cas d'usage strictement proportionnés. À titre d'exemple si la détection d'intrusion dans les zones les plus sensibles des emprises des opérateurs de transport pourrait légitimement être visée, il n'en irait pas de même de la surveillance de l'intérieur des véhicules.
Une extension limitée des agents autorisés à accéder aux signalements du traitement, notamment pour inclure des agents communaux quoique n'appartenant pas à la police municipale. En tout état de cause, ces agents devront être en nombre limité, nominativement désignés, dûment formés et habilités, et rester sous la supervision d'un policier municipal « chef de salle ». Comme l'a souligné la commune de Cannes, le fait de réserver aux policiers municipaux la mise en oeuvre de l'expérimentation dans les communes entraîne d'importantes difficultés opérationnelles, alors que la vocation principale de ces derniers, lors de grands événements, est d'être mobilisés sur la voie publique. Une telle évolution paraît de nature à favoriser la participation des communes à l'expérimentation.
Une autonomie accrue des services utilisateurs pour le choix et la calibration des solutions technologiques à expérimenter pourrait être recherchée. Il conviendrait de leur laisser davantage de latitude pour le choix de leur prestataire, dans des conditions qui resteraient rigoureusement encadrées et contrôlées par le ministère de l'intérieur ainsi que la Cnil et l'Anssi, de façon à leur permettre, notamment, d'expérimenter une pluralité de solutions. Lors de la phase de calibration du traitement, qui intervient à la fin de la phase de paramétrage et qui consiste essentiellement en un ajustement par le service des paramètres retenus sur les différentes caméras utilisées, l'exigence de supervision permanente par un agent du ministère de l'intérieur pourrait être assouplie.
En revanche, les principes fondamentaux de l'expérimentation doivent impérativement être confortés, au premier rang desquels l'interdiction du recours à la biométrie et de la reconnaissance faciale, la « primauté humaine », la limitation du dispositif à des cas d'usage prédéterminés liés à des risques pour la sécurité des personnes, et le contrôle de la Cnil.
3. Des garanties à renforcer pour créer les conditions d'un consensus sur l'avenir de l'expérimentation
L'un des objectifs de la prolongation de l'expérimentation serait de créer les conditions d'un consensus sur la suite à donner aux dispositifs testés.
En premier lieu, le comité d'évaluation a pointé le caractère insuffisant de la formation des agents habilités à accéder aux signalements. Il s'agit pourtant d'un enjeu important pour garantir une utilisation des traitements qui soit, d'une part, conforme aux exigences éthiques et juridiques posées par le cadre légal et, d'autre part, pleinement efficace. Le contenu de ces formations, qui conditionnent toute habilitation, doit être renforcé et harmonisé.
Il apparaît également indispensable de renforcer significativement l'information des personnes, point faible de l'expérimentation souligné par le comité d'évaluation. Son rapport fait le constat d'une information sur le dispositif « trop discrète pour garantir sa bonne compréhension » par le public, et l'absence d'organisation de réunions publiques.
Les conditions d'évaluation du dispositif pourraient encore être renforcées. En particulier, l'indépendance du comité d'évaluation doit être confortée et garantie par la loi. Le comité pourrait publier des rapports ou avis intermédiaires, notamment sur la proportionnalité des cas d'usage. Il conviendrait en outre d'associer tous les acteurs et notamment les utilisateurs à la définition du cadre de mesure de la performance de ces outils.
II. LE RECOURS À LA SÉCURITÉ PRIVÉE : UN PARI AMBITIEUX MAIS INCONTESTABLEMENT RÉUSSI
La commission a par ailleurs souhaité effectuer un retour d'expérience sur le recours à la sécurité privée pour la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Ce volet a en effet suscité d'importantes inquiétudes en amont de l'événement, du fait du volume inédit d'effectifs à recruter et former dans une filière encore en croissance ainsi que dans des délais excessivement contraints. Alors que les jeux Olympiques de Londres en 2012 avaient été marqués par la défaillance de la principale entreprise de sécurité privée retenue par les organisateurs, la question de la fiabilité du dispositif était par ailleurs également au coeur des préoccupations.
La commission avait, dans un rapport d'information sur l'application de la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 publié en avril 20241(*), déjà identifié cet enjeu. Les rapporteures Agnès Canayer et Marie-Pierre de la Gontrie avaient salué les importants progrès réalisés depuis l'été 2023, « du fait des efforts massifs déployés collectivement par le Cojop, l'État, les collectivités territoriales et la filière ». Elles avaient néanmoins insisté sur la nécessité d'intensifier les actions engagées pour confirmer cette dynamique et dissiper les dernières incertitudes. Cinq recommandations d'ordre opérationnel avaient été formulées en ce sens, appelant notamment à ce que le Cojop achève le plus rapidement possible l'allotissement des marchés publics pour la sécurisation des sites - 3 % n'ayant toujours pas été attribués à la date de publication du rapport - ainsi qu'à mettre en place les dispositifs indispensables à la filière pour atteindre le dimensionnement nécessaire à l'absorption des JOP2(*).
Six mois après les Jeux, la commission se réjouit de constater que ses recommandations ont été suivies et que ce pari, ambitieux, a été réussi. Les efforts conjugués des organisateurs, des services de l'État, des collectivités territoriales ainsi que de la filière de la sécurité privée ont permis à celle-ci de se hisser à la hauteur de l'événement. Selon les données publiées par la préfecture de région Île-de-France, 25 800 personnes avaient été formées au métier de la sécurité privée mi-juillet 2024 et près de 22 000 recrutements assurés en amont des jeux, soit des résultats supérieurs aux objectifs3(*). Si la crainte de défaillances demeurait présente à l'approche de l'événement, les agents de sécurité privée ont exercé leurs missions avec professionnalisme et efficacité au cours de celui-ci. Les quelques dysfonctionnements, extrêmement marginaux, ont été traités avec une grande réactivité. In fine, l'organisation des jeux a mobilisé plus de 200 entreprises et 27 500 agents de sécurité privée.
Il convient de saluer cet important succès collectif qui démontre le savoir-faire de la France pour l'organisation de grands événements et est porteur de promesses pour le développement de la filière de la sécurité privée. L'événement a en effet amorcé une reconfiguration du secteur, avec l'affirmation de nouvelles « petites » entreprises particulièrement impliquées dans la sécurisation de l'événement. Il importe par ailleurs de capitaliser sur une réforme réussie des procédures de certification pour poursuivre la montée en puissance de la filière.
LISTE DES PROPOSITIONS
Proposition n° 1 - Prolonger l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique avant d'envisager toute pérennisation
Proposition n° 2 - Sans remettre en cause ses principes fondamentaux et garanties juridiques, prévoir des aménagements pour exploiter pleinement les potentialités de l'expérimentation :
- permettre la mise en oeuvre du dispositif, même en l'absence de grandes manifestations sportives, récréatives ou culturelles, en vue de la surveillance de zones clairement délimitées à l'aune de risques sécuritaires importants, pour des cas d'usage strictement proportionnés ;
- étendre le champ des agents autorisés à accéder aux signalements à des agents communaux n'appartenant pas à la police municipale, à condition que ces agents soient en nombre limité, nominativement désignés, dûment formés et habilités, et restent sous la supervision d'un policier municipal ;
- conférer davantage d'autonomie aux services utilisateurs pour le choix et la calibration des solutions technologiques à expérimenter, dans des conditions qui resteraient rigoureusement encadrées et contrôlées par le ministère de l'intérieur ainsi que la CNIL.
Proposition n° 3 - Renforcer et harmoniser les formations préalables à l'habilitation des agents chargés de la mise en oeuvre opérationnelle de l'expérimentation
Proposition n° 4 - Renforcer le dispositif d'information des personnes sur la mise en oeuvre de l'expérimentation
Proposition n° 5 - Conforter le dispositif d'évaluation de l'expérimentation par un comité ad hoc et dont l'indépendance serait garantie par la loi, qui pourrait publier des avis et rapports intermédiaires. Dans ce cadre, associer davantage et en amont les utilisateurs à la définition des méthodes d'évaluation des techniques expérimentées.
AVANT-PROPOS
La sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris 2024 a été un succès incontestable dont la commission des lois, qui a activement suivi les enjeux liés à la mise en oeuvre de la loi « JOP » du 19 mai 2023, ne peut que se féliciter.
Dans la continuité de ses précédents travaux législatifs4(*) et de contrôle5(*), elle a souhaité tirer un bilan de la sécurisation des JOP sur deux aspects précis.
En premier lieu, elle a entendu évaluer la mise en oeuvre de l'expérimentation du recours à la vidéoprotection algorithmique prévue par l'article 10 de la loi « JOP ».
Lancé à compter d'août 2023 et devant prendre fin au 31 mars 2025, ce dispositif expérimental autorise un nombre limité d'acteurs - police et gendarmerie nationales, SNCF, RATP, polices municipales - à utiliser, aux seules fins de la sécurisation de grandes manifestations sportives, récréatives ou culturelles, une technologie permettant d'appliquer des traitements algorithmiques à des images collectées par des systèmes de vidéoprotection pour détecter certains événements à risque (intrusions, mouvements de foule, présence d'une arme, etc.).
Eu égard à la complexité des enjeux que ces technologies soulèvent, tant sur le plan opérationnel que du point de vue de la garantie des libertés publiques, la commission des lois a voulu tirer un bilan précis de la mise en oeuvre du dispositif6(*) avant de se prononcer sur la question de son abandon, de sa pérennisation, ou de la prolongation de l'expérimentation.
En second lieu, la commission a souhaité réaliser un retour d'expérience sur le recours massif et historique à la sécurité privée dans le cadre des JOP, avec plus de 200 entreprises et 27 500 agents mobilisés.
I. VIDÉOPROTECTION ALGORITHMIQUE : STOP OU ENCORE ?
A. UNE EXPÉRIMENTATION QUI N'A PAS PERMIS D'ÉVALUER RÉELLEMENT LA PERTINENCE DU RECOURS À LA VIDÉOPROTECTION ALGORITHMIQUE
1. Un encadrement strict au regard des risques pour les libertés publiques
La vidéoprotection « algorithmique », parfois qualifiée d'« intelligente » ou « augmentée »7(*), consiste en un couplage de logiciels de traitements automatisés avec des caméras, permettant d'analyser les images de manière automatisée aux fins de détecter en temps réel des situations prédéfinies et d'appeler l'attention des opérateurs en générant une alerte.
Ces technologies offrent des perspectives opérationnelles conséquentes, en facilitant grandement la tâche des opérateurs des systèmes de vidéoprotection.
Dans sa position publiée en 2022, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) relevait que ces outils posent « des enjeux nouveaux et substantiels en matière de vie privée » et « ne constituent pas une simple évolution technologique, mais une modification de la nature des dispositifs vidéo » dès lors qu'ils permettent d'envisager une démultiplication de la vidéosurveillance - dont les capacités ne sont plus limitées par celles des personnes chargées de sa mise en oeuvre - et peuvent conduire « à un traitement massif de données à caractère personnel »8(*).
Comme l'ont rappelé, y compris à l'occasion de l'évaluation de l'expérimentation, de nombreux acteurs - Défenseure des droits, Commission nationale consultative des droits de l'homme, associations, etc. - le recours à ces technologies est susceptible de poser des risques importants pour les libertés publiques et est perçu par certains comme une première étape vers une surveillance généralisée de l'espace public.
Le cadre juridique du recours à ces outils est demeuré longtemps incertain. Dans son avis sur le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2022, l'Assemblée générale du Conseil d'État a considéré qu'une intervention du législateur était nécessaire pour autoriser la mise en oeuvre de ces techniques et « pour l'encadrer de garanties rigoureuses et contrôlées », dès lors que ce dispositif était « susceptible de mettre en cause la protection de la vie privée et d'autres droits et libertés fondamentales, tels que la liberté d'aller et venir et les libertés d'opinion et de manifestation »9(*).
Le Conseil constitutionnel a également relevé, dans sa décision sur la loi « JOP »10(*) qui en est issue (n° 2023-850 DC du 17 mai 2023), que le traitement algorithmique des images de vidéoprotection porte une atteinte particulière au droit au respect de la vie privée : « Si un tel traitement n'a ni pour objet ni pour effet de modifier les conditions dans lesquelles ces images sont collectées, il procède toutefois à une analyse systématique et automatisée de ces images de nature à augmenter considérablement le nombre et la précision des informations qui peuvent en être extraites. Dès lors, la mise en oeuvre de tels systèmes de surveillance doit être assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée » (cons. 33).
L'article 10 de la loi « JOP » a permis de donner un cadre juridique à l'utilisation de la vidéoprotection algorithmique.
Avant l'adoption de cette disposition, des expérimentations avaient toutefois été menées par la RATP et surtout par la SNCF, en lien avec la CNIL. Ces deux institutions ont notamment participé au programme européen « PREVENT PCP », financé par la Commission européenne dans le cadre du programme Horizon 2020, qui avait pour objet le développement de solutions d'analyse automatisée des images de vidéoprotection à des fins de détection des bagages et d'identification et de suivi de leurs propriétaires. Ce programme a pris fin en octobre 2024.
Comme l'a relevé le comité d'évaluation de l'expérimentation, la loi « JOP » a eu pour effet de « remettre en cause la légalité éventuelle des dispositifs développés avant cette date »11(*), position retenue par le juge des référés du Conseil d'État dans une ordonnance n° 495153 du 21 juin 2024. Cela ne paraît néanmoins pas s'étendre aux traitements algorithmiques d'images de vidéosurveillance à finalité purement statistique12(*).
Le comité d'évaluation de l'expérimentation
Le XI de l'article 10 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 prévoit que :
- le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard le 31 décembre 2024, un rapport d'évaluation de la mise en oeuvre de l'expérimentation ;
- cette évaluation associe deux députés et deux sénateurs, dont au moins un député et un sénateur appartenant à un groupe d'opposition, désignés respectivement par le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.
Les modalités d'évaluation ont ensuite été précisées par le décret n° 2023-939 du 11 octobre 2023 relatif aux modalités de pilotage et d'évaluation de l'expérimentation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection et de caméras installées sur des aéronefs.
Celui-ci a prévu la création d'un comité indépendant ad hoc, présidé par une personnalité indépendante et composé de deux collèges :
- le premier comportant des personnalités indépendantes - les quatre parlementaires -, plusieurs personnalités qualifiées - deux désignées le président de la CNIL, deux désignées par l'Académie des technologies, et quatre (dont au moins un avocat et un universitaire) désignées par le ministre de l'intérieur sur proposition du président du comité - ainsi qu'un maire d'une commune n'ayant pas participé à l'expérimentation désigné par l'Association des maires de France et présidents d'intercommunalités ;
- le second comportant les services utilisateurs, soit des représentants de la police et de la gendarmerie nationales, de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, du préfet de police, de la RATP, de la SNCF, d'Île-de-France Mobilités, d'une commune expérimentatrice, ainsi que de la délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques. Le ministre de l'intérieur a désigné Christian Vigouroux comme président du comité d'évaluation. Ce comité a remis son rapport au Parlement le 24 janvier 2025.
Source : commission des lois du Sénat
2. Les conditions posées par le législateur puis par le pouvoir réglementaire
Ces considérations ont mené le législateur puis le pouvoir réglementaire à encadrer strictement l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique ou « augmentée » et à l'assortir de garanties.
C'est compte tenu de ces dernières que le Conseil constitutionnel, dans sa décision précitée du 17 mai 2023, a jugé que les dispositions de l'article 10 de la loi « JOP » étaient conformes à la Constitution, sous la réserve tenant à ce que le préfet soit obligé de mettre fin immédiatement à une autorisation dont les conditions ayant justifié la délivrance ne sont plus réunies.
Exposant la définition de l'expérimentation et le processus d'encadrement, le rapport du comité d'évaluation a pu en conclure que « Le cadre juridique dans lequel s'inscrit la présente expérimentation a progressivement été resserré à chaque stade de son élaboration : au Conseil d'État, puis au Parlement, par le Conseil constitutionnel, puis au stade de l'élaboration des décrets »13(*).
a) Une définition précise de la durée, des finalités et des caractéristiques des traitements
L'article 10 de la loi du 19 mai 2023 limite la durée de l'expérimentation à vingt-deux mois, soit jusqu'au 31 mars 2025.
La durée effective a été bien plus réduite du fait des délais nécessaires à la publication des textes réglementaires pris pour l'application de la loi, en particulier le décret n° 2023-828 du 28 août 2023, ainsi qu'à la passation du marché national pour l'acquisition des logiciels, lancé à l'été 2023 qui a abouti au tout début de l'année 202414(*).
Par conséquent, la première exploitation opérationnelle de ces solutions n'a eu lieu qu'en avril 2024, soit trois mois avant le début des Jeux et près d'un an après l'adoption de la loi.
La finalité et le champ d'application matériel de l'expérimentation ont été précisément circonscrits par le législateur : en vertu du I de l'article 10, le traitement algorithmique en temps réel des images de vidéoprotection n'est permis qu'à « la seule fin d'assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles qui, par l'ampleur de leur fréquentation ou par leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d'actes de terrorisme ou d'atteintes graves à la sécurité des personnes ». Sont seules concernées les images collectées dans les lieux qui accueillent ces manifestations, à leurs abords ainsi que dans les véhicules et les emprises de transport public et sur les voies qui les desservent.
Les acteurs susceptibles de mettre en oeuvre ces traitements ont également été limitativement énumérés : il s'agit de la police et de la gendarmerie nationales, des services d'incendie et de secours, des services de police municipale et des services internes de sécurité de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) et de la Régie autonome des transports parisiens (RATP).
L'objet des traitements a également été restreint à la détection, en temps réel, des événements prédéterminés - dits « cas d'usage » - « susceptibles de présenter ou de révéler ces risques [d'actes de terrorisme ou d'atteintes graves à la sécurité des personnes] et de les signaler en vue de la mise en oeuvre des mesures nécessaires ». Ces « cas d'usage », au nombre de huit, ont été définis à l'article 3 du décret du 28 août 2023 :
- présence d'objets abandonnés ;
- présence ou utilisation d'armes ;
- non-respect par une personne ou un véhicule du sens de circulation commun ;
- franchissement ou présence d'une personne ou d'un véhicule dans une zone interdite ou sensible ;
- présence d'une personne au sol à la suite d'une chute ;
- mouvement de foule ;
- densité trop importante de personnes ;
- départs de feux.
Enfin, comme l'y invitait le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi, le législateur a précisé les caractéristiques de ces traitements au IV de l'article 10 pour :
- exclure le recours à tout système d'identification biométrique, le traitement de données biométriques ou la mise en oeuvre de techniques de reconnaissance faciale ;
- affirmer le principe de « primauté humaine »15(*) : les traitements procèdent exclusivement à un signalement d'attention, c'est-à-dire une alerte auprès de l'opérateur, qui est strictement limité à l'indication des « cas d'usage » qu'ils ont été programmés à détecter ; il appartient ensuite à l'opérateur, après avoir évalué la situation, de tirer les conséquences de cette alerte et de déclencher, s'il y a lieu, une intervention ; ainsi ces traitements « ne produisent aucun autre résultat et ne peuvent fonder, par eux-mêmes, aucune décision individuelle ni aucun acte de poursuite » ;
- exclure tout rapprochement ou toute interconnexion ou mise en relation automatisée avec d'autres traitements de données à caractère personnel.
Le VI du même article a en outre énuméré une série d'exigences techniques pour ces solutions, qui doivent pouvoir être vérifiées à tout moment, parmi lesquelles figurent notamment l'« enregistrement automatique des signalements des événements prédéterminés détectés permettant d'assurer la traçabilité de son fonctionnement » et « des mesures de contrôle humain et un système de gestion des risques permettant de prévenir et de corriger la survenue de biais éventuels ou de mauvaises utilisations »16(*).
b) Des conditions de mise en oeuvre également encadrées
Les conditions de mise en oeuvre des traitements ont également été définies de manière stricte.
En premier lieu, le législateur a confié à l'État un monopole dans le choix des traitements à mettre en oeuvre, qu'il peut développer ou acquérir, et qu'il doit mettre à disposition des autres utilisateurs contre une participation financière (article 12 du décret du 28 août 202317(*)).
Il s'est agi d'un choix délibéré du législateur visant à assurer un contrôle des solutions retenues18(*). Par conséquent, les autres opérateurs prenant part à l'expérimentation - collectivités territoriales, RATP, SNCF - n'ont pas été associés au choix des solutions, quand bien même certains d'entre eux avaient déjà mis en oeuvre, par le passé, des dispositifs analogues.
Ce choix, comme ceux qui ont été faits au moment de la passation du marché national par le ministère de l'intérieur (cf. infra), a eu des conséquences décisives sur la portée de l'expérimentation.
En deuxième lieu, la mise en oeuvre des traitements retenus par le ministère de l'intérieur doit être autorisée au préalable par un décret pris après avis de la CNIL, qui en détermine les caractéristiques essentielles, et notamment les cas d'usage, et qui doit être accompagné d'une analyse d'impact sur la protection des données (AIPD). Le V de l'article 10 de la loi JOP précise également que « Le Gouvernement peut organiser une consultation publique sur internet dans le cadre de l'élaboration du décret. »
En dernier lieu, chaque emploi doit faire l'objet d'une autorisation délivrée par le préfet de département ou, à Paris, par le préfet de police (VII de l'article 10). Cette décision d'autorisation, qui est motivée et publiée, doit donner lieu à une actualisation de l'AIPD qui est transmise à la CNIL ; renouvelable, sa durée ne peut excéder un mois.
Le VIII de l'article 10 précise que le préfet est « tenu informé chaque semaine des conditions dans lesquelles le traitement est mis en oeuvre » et qu'il lui appartient d'en informer les maires des communes concernées et, au moins tous les trois mois, la CNIL. Il indique également qu'« Il peut suspendre l'autorisation ou y mettre fin à tout moment s'il constate que les conditions ayant justifié sa délivrance ne sont plus réunies ».
Ces conditions de mise en oeuvre ont été précisées par l'article 7 du décret du 28 août 2023, qui distingue deux phases dans la mise en oeuvre du traitement :
- une phase de conception ou d'apprentissage, placée sous la seule responsabilité des services de l'État ;
- une phase d'exploitation, qui a lieu sous la responsabilité du service utilisateur.
Le décret prévoit que l'exploitation peut donner lieu à une nouvelle phase de conception lorsqu' « un besoin est identifié d'améliorer la qualité de la détection des événements prédéterminés » (article 18 du décret).
Il ajoute également plusieurs exigences supplémentaires, notamment en matière d'habilitation et de formation des personnels et en matière de traçabilité des opérations, de droits d'accès, de conservation, et d'effacement des données collectées.
B. UN BILAN CONTRASTÉ
1. Des conditions de mise en oeuvre qui n'ont pas permis de déployer tout le potentiel de l'expérimentation
a) Quatre utilisateurs, une trentaine de manifestations
L'expérimentation a été mise en oeuvre par quatre utilisateurs : la préfecture de police de Paris, la SNCF, la RATP et la ville de Cannes. La SNCF et la RATP n'ont utilisé des solutions de vidéoprotection algorithmique que dans leurs emprises situées en région parisienne.
D'après le comité d'évaluation, l'expérimentation a été mise en oeuvre, tous utilisateurs confondus, à 33 reprises, pour une trentaine de manifestations et dans environ 70 lieux, au moyen d'environ 800 caméras. Son coût global, tous utilisateurs confondus, s'est établi à environ 0,9 million d'euros.
Bilan des déploiements opérationnels pendant l'expérimentation
« Avant les épreuves olympiques, une quinzaine de tests ont été réalisés (cinq par la préfecture de police, cinq par la RATP, quatre par la SNCF et une par la commune de Cannes).
« Ces tests ont concerné 43 lieux (un pour la préfecture de police, 27 pour la RATP, 14 pour la SNCF et un pour la commune de Cannes).
« Pendant les épreuves olympiques, l'expérimentation a concerné 69 lieux, tous situés en Île-de-France (12 pour la préfecture de police, 46 pour la RATP et 11 pour la SNCF) et 68 pendant les Jeux paralympiques (12 pour la préfecture de police, 46 pour la RATP et 10 pour la SNCF).
« Après les épreuves olympiques, et jusqu'au 31 décembre 2024, 16 tests, portant sur 16 événements distincts, ont été réalisés (11 par la préfecture de police, un par la RATP, un par la SNCF et trois par la commune de Cannes). 21 lieux étaient concernés.
« De la première exploitation opérationnelle le 19 avril 2024 (Concert des Black Eyed Peas) à fin décembre 2024, on dénombre des tests à l'occasion de 33 événements différents (14 par la préfecture de police, huit par la RATP, sept par la SNCF et quatre par la commune de Cannes).
« La préfecture de police a utilisé, pour un même test, jusque 190 caméras environ, la RATP et la SNCF jusqu'à 300 chacune et la commune de Cannes. Soit un total de 800 caméras environ. »
Source : rapport du comité d'évaluation
Les données obtenues par les rapporteures correspondent à celles publiées par le comité d'évaluation, à une exception près : elles dénombrent 18 déploiements opérationnels par la préfecture de police de Paris, pour un total de 37 déploiements au titre de l'expérimentation.
S'agissant de la faible participation des collectivités territoriales à l'expérimentation, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité a pointé auprès des rapporteures plusieurs facteurs susceptibles de l'expliquer : « la restriction de l'expérimentation aux seules manifestations sportives, récréatives et culturelles, pour une utilisation ponctuelle et un coût relativement élevé », « la méconnaissance du dispositif et l'absence de communication auprès des collectivités » mais aussi « la nécessité de gagner l'adhésion de la population sur un sujet clivant ».
La ville de Cannes a également mis en avant, au cours des travaux des rapprorteures, le fait que seuls les policiers municipaux aient été autorisés par la loi à mettre en oeuvre ces logiciels, alors même que « dans les communes la quasi-totalité des opérateurs [des systèmes de vidéoprotection] sont des agents de surveillance de la voie publique », ce qui a pu dissuader les communes de prendre part à l'expérimentation. Par conséquent, « un poste informatique dédié à l'exploitation des remontées d'alertes a été installé dans une salle séparée du centre de vidéoprotection, afin d'en limiter l'accès aux seuls policiers municipaux », consommant des effectifs qui auraient eu vocation à assurer la sécurité des manifestations en cause.
b) Un nombre très limité de solutions évaluées
En définitive, seules deux solutions technologiques - le logiciel Cityvision de la société Wintics et le logiciel Videtics Perception de la société Videtics - ont été mises en oeuvre dans le cadre de l'expérimentation, chaque utilisateur n'ayant pu expérimenter qu'une seule solution.
Cela résulte du choix du législateur de conférer à l'État le monopole de la sélection des solutions à mettre en oeuvre et du calendrier très contraint dans laquelle l'expérimentation s'est déroulée.
Faute des capacités et du temps nécessaires au développement en interne d'une solution de vidéoprotection algorithmique, le ministère de l'intérieur n'a eu d'autre choix que d'acquérir les solutions « sur étagère ».
Comme le relève le comité d'évaluation, les choix faits lors de l'élaboration de l'appel d'offres, au mois d'août 202319(*), se sont avérés déterminants pour la mise en oeuvre de l'expérimentation.
D'une part, selon le comité d'évaluation, ont été prises à cette occasion « deux décisions majeures », à savoir la renonciation au traitement algorithmique des images collectées au moyen de drones et, surtout, aux solutions reposant sur l'auto-apprentissage20(*), cette dernière conduisant à exclure a priori les solutions les plus sophistiquées. De ce fait, le comité d'évaluation a estimé que « Les conditions dans lesquelles il peut être recouru à l'intelligence artificielle ont encore été restreintes lors de la définition des clauses techniques du marché. »
Comme les représentants du comité d'évaluation ont pu le souligner lors de leur audition, les solutions reposant sur l'auto-apprentissage présentent une complexité technique et juridique particulière, ce qui explique qu'elles n'aient pas été retenues - un tel choix paraissant d'autant plus justifié compte tenu du calendrier resserré de l'expérimentation.
D'autre part, un allotissement limité à quatre lots et effectué selon des critères géographiques (pour trois des quatre lots) et un critère thématique a mené à la sélection d'un nombre très restreint de solutions.
Les quatre lots, chacun englobant l'acquisition, l'installation et le maintien en condition d'un logiciel, ont été définis comme suit : le lot n° 1 pour l'Île-de-France, le lot n° 2 pour un déploiement dans les régions Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Rhône-Alpes, d'outre-mer et la Corse, le lot n° 3 pour un déploiement « dans une autre région de la France métropolitaine » et le lot n° 4 pour les transports en commun et infrastructures associées.
Si le marché comportait une clause devant permettre une certaine diversification des prestataires retenus21(*), il a abouti à la sélection de trois solutions : celles de la société Wintics au titre des lots n° 1 et n° 4, de la société Videtics pour le lot n° 2 et de la société Chapsvision au titre du lot n° 3, ce dernier n'ayant fait l'objet d'aucune utilisation opérationnelle.
Par conséquent, la préfecture de police, la RATP et la SNCF n'ont pu mettre en oeuvre et évaluer qu'une seule solution, le logiciel Cityvision de la société Wintics, quand la solution Videtics Prevent n'a été expérimentée que par la seule ville de Cannes.
Ces considérations et l'exclusion des traitements reposant sur l'auto-apprentissage doivent conduire à relativiser les jugements sur la performance technique et opérationnelle de la vidéoprotection algorithmique, qui ne portent en réalité que sur ces deux solutions - l'évaluation réalisée par le comité d'évaluation étant principalement centrée sur celle de la société Wintics.
Soulignant, comme d'autres utilisateurs, cette limite de l'expérimentation, la SNCF a indiqué aux rapporteures qu'elle « regrette (...) de ne pas avoir pu évaluer plusieurs solutions technologiques en parallèle afin de pouvoir réaliser de véritables conclusions quant aux performances techniques des traitements mis en oeuvre ».
c) Des conditions de mise en oeuvre contraintes
(1) Un calendrier resserré, des utilisations brèves
Le calendrier resserré de l'expérimentation a été cité par les utilisateurs et par le comité d'évaluation comme l'un des principaux facteurs limitant la portée de l'expérimentation.
Compte tenu des délais tenant à la publication des textes réglementaires et à la passation du marché public national (cf. supra), la première utilisation opérationnelle n'a pu avoir lieu qu'en mars 2024, à l'occasion du concert de Depeche Mode à Paris. La RATP et la SNCF ont mis en oeuvre ce traitement algorithmique pour la première fois respectivement le 20 avril (concert des Black Eyed Peas) et le 21 avril (match du Paris-Saint-Germain et de l'Olympique lyonnais), soit moins de trois mois avant la cérémonie d'ouverture.
À l'exception des jeux Olympiques et Paralympiques et de quelques autres événements (tournoi de Rolland Garros, Festival de Cannes et marchés de Noël des Tuileries et de Cannes), les solutions de vidéoprotection algorithmiques ont été mises en oeuvre pour des durées brèves, n'excédant pas, le plus souvent, un ou deux jours.
En effet, du fait de la rédaction de l'article 10 de la loi « JOP », qui circonscrit précisément l'utilisation de ces solutions aux fins d'assurer la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles, elles n'ont pu être mises en oeuvre que lors de ces manifestations.
Aux dires des utilisateurs, cet emploi sur des durées réduites s'est révélé d'un intérêt parfois limité, notamment au regard de la lourdeur du processus administratif préalable et de la nécessité d'un paramétrage préalable.
Dans le même sens, le comité d'évaluation relève que le calendrier de l'expérimentation « n'a laissé en pratique que quatre mois environ aux opérateurs pour effectuer de premiers tests destinés à calibrer le dispositif avant le début des épreuves olympiques. C'est ce qui explique en partie que pendant les Jeux olympiques, la préfecture de police ait fait le choix d'un déploiement assez limité du traitement, par manque de moyens et d'expérience pour en assurer une mise en oeuvre plus étendue »22(*).
(2) Un paramétrage crucial mais contraint
La phase de paramétrage a été identifiée par l'ensemble des utilisateurs comme décisive pour la performance de ces solutions23(*).
La phase de paramétrage
Au plan technique, l'exploitation opérationnelle des solutions logicielles est systématiquement précédée d'une phase de paramétrage, constituée de deux étapes :
1. une étape de programmation
2. et une étape de calibration.
L'étape de programmation consiste pour chaque caméra à :
- d'une part, déterminer ceux des huit événements pertinents parmi ceux autorisés par le décret n° 2023-828 du 28 août 2023 précité, compte-tenu de l'environnement opérationnel : tous les événements ne sont en effet pas pertinents en fonction de là où se situe la caméra ou des enjeux de sécurité propres à chaque site ;
- d'autre part, définir les zones dans le champ de vision de la caméra - également appelés « polygones » - où l'on souhaite détecter l'un ou plusieurs des événements autorisés par l'expérimentation et, lorsque pertinent (densité importante de personnes notamment), les seuils de détection associés (nombre de personnes dans une zone ou par mètre carré).
L'étape de calibration consiste, ensuite, à vérifier, pour l'ensemble des caméras équipées et également caméra par caméra, la qualité de la programmation initiale. Il s'agit à ce stade d'une activation de la solution en conditions réelles, mais sans aucune exploitation opérationnelle. Cette étape permet d'ajuster si nécessaire la programmation afin de limiter le nombre de fausses alarmes, ainsi que d'affiner les seuils de détection au regard des besoins opérationnels.
Conformément à l'article 7 du décret n° 2023-828 du 28 août 2023, la programmation et la calibration qui constituent les deux étapes itératives du paramétrage des solutions logicielles visé au 3° de l'article 4 du décret précité, sont régies par les dispositions relatives à la phase de conception (cf. chapitre II du décret). Elles s'effectuent ainsi systématiquement sous la supervision d'un agent du ministère de l'intérieur qui est, pour cette phase, responsable de traitement. Contrairement aux phases d'exploitation opérationnelle (cf. chapitre IV du décret), elles ne sont pas soumises à autorisation préalable du préfet compétent.
Source : ministère de l'intérieur, cité par le rapport du comité d'évaluation
Les retours d'expérience tendent à indiquer que cette phase de paramétrage est nécessairement chronophage ; selon la SNCF, interrogée par les rapporteures, « ce travail doit s'effectuer, dans la mesure du possible, sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines afin de pouvoir confronter les traitements algorithmiques à un maximum de situations variées (variation d'affluence, variation de luminosité, conditions météorologiques, présence d'animaux, diversité d'objets et matériels, présence d'agents SNCF en charge de travaux ou de l'entretien, ...) ».
Or la chronologie de mise en oeuvre définie par le décret du 28 août 2023, qui distingue une phase de conception et une phase d'exploitation opérationnelle, s'est avérée peu adaptée à la réalité de l'utilisation des traitements.
Le travail de paramétrage préalable, nécessairement réalisé in situ, a ainsi été regardé comme une composante de la phase de conception, qui relève de la seule responsabilité de l'État et non du service utilisateur, et qui ne peut par conséquent avoir lieu que sous la supervision d'agents du ministère de l'intérieur. Les utilisateurs qui ne sont pas des services de l'État ont tous souligné que cette exigence a fortement contraint le paramétrage des solutions mises en oeuvre.
La ville de Cannes a ainsi relevé auprès des rapporteures que « Des phases de paramétrage beaucoup plus longues auraient été souhaitables pour optimiser le fonctionnement des algorithmes et diminuer significativement le nombre de fausses alertes, notamment lorsque la manifestation ne dure que quelques heures (ex : NRJ Music Awards ou Marathon) et qu'il n'est pas possible de faire des correctifs en cours d'événement. » et que « la présence d'un représentant de l'État tout au long de cette phase de paramétrage n'apporte aucune plus-value » tandis qu'elle « limite fortement la durée du paramétrage ».
La SNCF a également indiqué, dans son retour d'expérience sur l'expérimentation, que la phase de paramétrage « devrait (...) être simplifiée, en positionnant celle-ci sous la responsabilité directe de l'utilisateur final en lieu et place du ministère de l'intérieur, quitte à la distinguer clairement de la phase d'apprentissage. En effet, les travaux de calibration sont sans impact pour les personnes concernées (aucun signalement transmis aux opérateurs vidéo durant cette période), et la réalisation de ceux-ci uniquement en présence d'un représentant du ministère de l'Intérieur dûment désigné et habilité chez l'utilisateur final nécessite une mobilisation collective complexe, ne permettant pas d'effectuer un paramétrage fin et continu tout au long de la période dédiée. »
2. Malgré des performances très variables selon les cas d'usage, un intérêt des services utilisateurs qui demeure
a) Un intérêt de l'expérimentation limité par une présence accrue des forces de l'ordre sur le terrain lors des jeux Olympiques et Paralympiques
Le recours à la vidéoprotection algorithmique présente un intérêt moindre lorsque les moyens humains sur le terrain sont conséquents, comme ce fut le cas lors de la période olympique, qui a vu une mobilisation exceptionnelle de la police et de la gendarmerie nationales.
Pour mémoire, le nombre d'agents des forces de sécurité intérieure déployés en région parisienne durant des jeux Olympiques s'élevait à 30 000 par jour en moyenne, avec des pics à 45 000, par exemple lors de la cérémonie d'ouverture, auxquels s'ajoutaient les 10 000 militaires de l'opération Sentinelle24(*). Or, eu égard à leur durée, les jeux Olympiques et les jeux Paralympiques ont constitué les deux principaux événements ayant permis le déploiement de l'expérimentation.
La présence renforcée des agents sur la voie publique et dans les transports emporte non seulement des effets dissuasifs, mais permet également de mieux détecter les risques pour la sécurité des personnes, diminuant d'autant l'intérêt de signalements obtenus au moyen de l'intelligence artificielle (IA).
Interrogé par les rapporteures, le préfet de police a en effet pu confirmer que : « le recours à la vidéoprotection algorithmique lors des JOP 2024 présente une plus-value nuancée dans la mesure où le niveau exceptionnel de déploiement des forces de sécurité à cette occasion a très largement permis d'assurer la détection et le signalement rapides des éventuels incidents constatés sur le terrain par les effectifs eux-mêmes ».
Dans son rapport, le comité d'évaluation a quant à lui souligné qu'« en ce qui concerne les tests réalisés par la préfecture de police pendant les épreuves olympiques, il y avait un réel intérêt opérationnel que dans certains contextes particuliers, et notamment lorsque l'étendue de la zone à couvrir ne permettait pas d'assurer une présence humaine suffisante. Il en a été ainsi sur le site de Vaires-sur-Marne, en l'absence de patrouilles positionnées en permanence sur une vaste zone sur une île non habitée à proximité du site des épreuves »25(*).
Ce même constat a par exemple conduit la SNCF, lors des JOP, à faire le choix de ne pas déployer le dispositif dans les deux gares desservant le Stade de France, précisément au motif que celles-ci faisaient déjà l'objet d'une forte mobilisation des forces de de sécurité intérieure.
Gares SNCF concernées par l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique durant les JOP
Source : SNCF, réponse au questionnaire adressé par les rapporteures
b) Une évaluation de la performance qui se heurte à des difficultés d'ordre méthodologique
Comme l'a également relevé le rapport du comité d'évaluation, la bonne appréciation de l'efficacité du dispositif est affectée par la difficulté à élaborer des indicateurs pertinents.
Quatre indicateurs ont majoritairement été utilisés dans ce cadre : « vrai positif » et « vrai négatif » d'une part, qui traduisent le comportement espéré et attendu du dispositif ; « faux positif » et « faux négatif » de l'autre, qui traduisent un comportement erroné (voir tableau ci-dessous).
La SNCF a également utilisé, pour ses évaluations techniques, un indicateur de « précision algorithmique », mesurant le rapport entre le nombre de signalements correspondant à un comportement espéré du dispositif (« vrais positifs ») et le nombre total de signalements effectués.
Indicateurs utilisés pour évaluer l'efficacité du dispositif de vidéoprotection algorithmique
Source : Rapport du comité d'évaluation
Plusieurs difficultés ont été identifiées par le comité d'évaluation pour ce qui concerne l'évaluation de la performance des dispositifs.
En premier lieu, les conditions de mise en oeuvre de l'expérimentation n'ont pas permis de lever les difficultés à mesurer les « faux négatifs » et les « vrais négatifs » ou, en d'autres termes, les cas où une absence de signalement correspondait bien à un comportement espéré du dispositif.
En effet, de telles mesures supposent un travail d'analyse approfondi par un agent humain des images collectées sur une certaine période pour identifier les cas où un signalement aurait été attendu mais ne s'est pas produit.
La SNCF a indiqué aux rapporteures que, dans la définition de sa méthodologie d'expérimentation a justement été conçu un indicateur dit « de rappel », complémentaire de la précision algorithmique, visant à évaluer la capacité de l'algorithme à détecter des situations attendues. Cet indicateur n'a cependant pas pu être mesuré durant les différentes expérimentations car il aurait nécessité la réalisation de situations simulées ou le recoupement avec des faits réels ayant dû être à l'origine de signalements, ce que « les conditions d'expérimentation et les délais contraints n'ont cependant pas permis », selon la SNCF.
D'après les informations transmises aux rapporteures, les autres utilisateurs n'ont pas non plus réalisé ce type de test.
À cet égard, les rapporteures ne peuvent que partager le regret émis par le comité d'évaluation qui, selon son rapport, « aurait souhaité que des agents des opérateurs pratiquent des tests en conditions réelles, en reproduisant des situations donnant lieu à des remontées d'alertes (simulation d'abandon d'objet, de départ de feu, ou d'intrusion, ...), afin d'observer si le traitement algorithmique les détectait ou non »26(*).
En deuxième lieu, la distinction entre « vrais positifs » et « faux positifs » peut s'avérer délicate.
En effet, selon une dichotomie proposée par le comité, il convient de distinguer, d'une part, les « faux positifs techniques », qui correspondent à une erreur de l'algorithme et, d'autre part, les « faux positifs opérationnels », qui correspondent à un fonctionnement correct du dispositif mais qui ne présente pas d'intérêt opérationnel.
Ces « faux positifs opérationnels » peuvent par exemple correspondre à des cas où une personne présente dans une zone interdite au public est un agent habilité à y accéder, ou bien où un objet abandonné ne représente aucun danger (ex : un seau d'entretien abandonné).
Un travail de paramétrage approfondi peut éventuellement permettre de réduire le risque de « faux positifs opérationnels » - par exemple, l'identification par l'algorithme d'un objet abandonné à risque, notamment un bagage.
Pour mieux appréhender cet enjeu dans le cadre de l'évaluation, la SNCF a mis au point un « indicateur d'intérêt opérationnel » rapportant le nombre de signalement pertinents d'un point de vue opérationnel au nombre de signalements traités par les opérateurs en temps réel.
En troisième lieu, les conditions de performance technique du dispositif se sont avérées fortement dépendantes de la qualité du travail de calibration, qui suppose un travail important et itératif entre l'opérateur et le prestataire, quoique devant être effectué dans un cadre contraint, exigeant la présence permanente d'un agent du ministère de l'intérieur (voir supra).
Les données transmises aux rapporteures par la SNCF illustrent bien l'impact de la calibration du dispositif sur la « précision algorithmique », en ce que ce travail permet à la fois de diminuer sensiblement le nombre de signalements d'une part, et le taux de « faux positifs » d'autre part.
Impact de la calibration du dispositif de vidéoprotection algorithmique mis en oeuvre par la SNCF en avril 2024 sur le nombre de signalements opérés
Note : seule la ligne rouge, obtenue par retraitement des signalements opérés par une caméra vandalisée rendue dysfonctionnelle, est pertinente pour opérer des comparaisons
Source : SNCF
Impact de la calibration du dispositif de vidéoprotection algorithmique mis en oeuvre par la SNCF durant les jeux Olympiques dans les emprises de la Gare de Lyon pour les cas d'usage « intrusion », « objet abandonné » et « surdensité »
Source : SNCF
c) Une performance très variable selon les cas d'usage
Comme cela a été exposé supra, l'évaluation des dispositifs expérimentés repose essentiellement sur une solution technologique unique, celle proposée par le prestataire Wintics, ainsi que, dans une moindre mesure, celle proposée par Videtics s'agissant des expérimentations conduites par la commune de Cannes. La performance technique évaluée pour les différents cas d'usage ne préjuge donc pas des résultats qui auraient été obtenus en expérimentant d'autres solutions.
De manière générale, l'expérimentation a mis en évidence une performance très variable des dispositifs selon les cas d'usage pour lesquels ils ont été utilisés. Le comité d'évaluation a distingué quatre situations, que les travaux des rapporteures ont permis de corroborer.
Premièrement, les dispositifs se sont avérés « globalement satisfaisants » pour détecter l'intrusion dans une zone non autorisée, la circulation dans un sens non autorisé et la densité trop importante de personnes.
Les résultats transmis par la SNCF et la RATP, qui ont déployé l'expérimentation sur quatre cas d'usage (« intrusion », « objets délaissés », « surdensité » et « mouvements de foule ») l'attestent clairement.
Les signalements relatifs à des intrusions et à une surdensité représentent 91 % des signalements totaux opérés par le dispositif expérimenté par la RATP durant les jeux Olympiques (respectivement 80 % et 15 % des 2 083 signalements traités). Ils donnent lieu à un taux de « vrais positifs » respectivement de 79 % et 88 %.
De même, les signalements relatifs à des intrusions représentent 57 % des signalements totaux opérés par le dispositif expérimenté par la SNCF (1 552 signalements), avec un taux de « vrais positifs » de 74 %. Les signalements liés à une surdensité sont plus rares (28 signalements), mais donnent lieu à un taux de « vrais positifs » de 100 %.
Répartition selon les cas d'usage des signalements opérés par les dispositifs de vidéoprotection algorithmique expérimentés par la SNCF (toutes expérimentations confondues) - en haut - et par la RATP (durant les jeux Olympiques) - en bas
Source : commission des lois du Sénat, d'après les données du comité d'évaluation et les données transmises par la SNCF
Les données collectées par la préfecture de police durant les jeux Paralympiques et transmises aux rapporteures indiquent également une bonne performance pour détecter une surdensité de foule, qui a représenté une large majorité (93 %) des signalements (431), avec un taux élevé de « vrais positifs » (90 %).
Le cas d'usage relatif aux circulations à contresens, expérimenté par la préfecture de police, a également donné lieu à de bons résultats. Durant les jeux Paralympiques, il a donné lieu à 21 signalements, tous « vrais positifs ».
De même, les résultats du dispositif expérimenté par la commune de Cannes durant le Festival de Cannes de 2024, s'appuyant sur la solution développée par Videtics - à l'inverse de la préfecture de police, de la SNCF et de la RATP qui se sont appuyées sur celle développée par Wintics - ne sont relativement probants que pour les cas relatifs à l'intrusion et à la circulation à contresens. Dans ces deux cas, néanmoins, le taux de « faits probants constatés » (la commune de Cannes n'ayant pas utilisé la terminologie « vrais positifs » / « faux positifs ») parmi ces signalements reste inférieur à 40 %.
Signalements opérés par le dispositif expérimenté par la commune de Cannes durant le Festival de Cannes de 2024
Source : commune de Cannes
Deuxièmement, les performances ont été jugées « incertaines » pour détecter les mouvements de foule, qui ont donné lieu à très peu de signalements :
- deux seulement par la SNCF, dont un seul « vrai positif » ;
- aucun par la RATP durant les JOP ;
- deux par la préfecture de police durant les jeux Paralympiques, tous « vrais positifs ».
La SCNF a présenté aux rapporteures un exemple de « faux positif » lié à un mouvement de foule.
Exemple de signalement « faux positif » lié à un mouvement de foule dans le cadre de l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique par la SNCF
Source : SNCF
Troisièmement, les performances se sont avérées « inégales » pour détecter des objets abandonnés ainsi que pour détecter le port d'armes (testé uniquement par la commune de Cannes).
S'agissant des bagages abandonnés, les données remontées par la SNCF et la RATP ont mis en évidence un nombre important de signalements, mais avec un faible taux de « vrais positifs » :
- 23 % seulement des 1 552 signalements opérés par le dispositif expérimenté par le SNCF ;
- 22 % seulement des 1 302 signalements opérés par le dispositif expérimenté par la RATP lors des JOP.
Exemples de signalements « faux positifs » liés à un objet abandonné dans le cadre de l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique par la SNCF
Source : SNCF
Le comité d'évaluation a fait état d'erreurs importantes pour ce cas d'usage, telles que la confusion entre un objet abandonné et des personnes assises ou statiques, notamment des personnes sans domicile fixe.
S'agissant ensuite de la détection du port d'armes, la portée de l'évaluation est limitée par le fait que ce cas d'usage n'a été expérimenté que par la commune de Cannes. Celle-ci a constaté des progrès au fil des expérimentations menées, avec un accroissement des signalements « vrais positifs », qui ont concerné des armes portées par des militaires de l'opération Sentinelle ainsi qu'une arme factice.
Enfin, les performances ont été jugées « très insatisfaisantes » pour détecter des départs de feu et la présence d'une personne au sol à la suite d'une chute.
Expérimenté par la préfecture de police et par la commune de Cannes uniquement, le cas d'usage relatif à la détection de personnes au sol à la suite d'une chute n'a donné lieu à aucun signalement « vrai positif » ou révélant un « fait probant », selon les terminologies utilisées.
Le cas d'usage relatif aux départs de feu, expérimenté par les mêmes services, a également donné lieu à des erreurs très importantes, l'algorithme ayant tendance, selon le comité d'évaluation, à les assimiler à « des feux de voiture, des gyrophares mais aussi, plus généralement, des enseignes lumineuses et des réverbérations sur la voie publique ou les fontaines lors des levers ou couchers de soleil ».
d) Un intérêt opérationnel qui conduit les acteurs de l'expérimentation à plaider en faveur de la pérennisation du dispositif
In fine, les événements détectés par l'IA n'ont donné lieu qu'à un petit nombre d'interventions sur le terrain.
Une seule intervention de la préfecture de police a directement découlé d'un signalement par le dispositif de vidéoprotection algorithmique, pour un cas d'intrusion sur le site de Vaires-sur-Marne, ce qui ne semble pas dû au hasard puisqu'il s'agit précisément du site identifié par le comité d'évaluation pour lequel « la zone à couvrir ne permettait pas d'assurer une présence humaine suffisante » (voir supra).
La RATP a pour sa part fait état de 62 remontées de signalements au poste de contrôle pour une levée de doute complémentaire, dont « quelques-unes » ont entraîné l'intervention de l'exploitant ou des équipes du groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR).
La SNCF a recensé sept interventions pour des cas d'intrusion et plus rarement pour des objets abandonnés.
Le comité d'évaluation a ainsi pu conclure que, « de façon générale, le nombre de situations à risque, ayant nécessité des interventions opérationnelles qui n'auraient pas été détectées sans l'IA, apparaît extrêmement faible au regard des moyens financiers déployés ».
Pour autant, le nombre d'interventions ne saurait constituer la seule mesure de l'efficacité du dispositif, qui repose fondamentalement - et indépendamment de la réponse opérationnelle apportée, qui peut en pratique se limiter à une simple levée de doute - sur la qualité des signalements remontés et l'« aide à la décision » qu'ils sont susceptibles de procurer à l'opérateur.
L'indicateur d'« intérêt opérationnel » mis au point par la SNCF (voir supra), a illustré l'utilité opérationnelle du dispositif reposant sur la solution proposée par Wintics pour agir en cas d'intrusion ou de surdensité de personnes (respectivement 57 % et 100 % de signalements considérés comme pertinents). Celle-ci s'est en revanche avérée très faible s'agissant des signalements liés aux objets abandonnés (10 %). Au total, 357 des 1 012 signalements effectivement traités par les opérateurs vidéo de la SNCF au cours des expérimentations ont été jugés pertinents au plan opérationnel, soit un taux d'« intérêt opérationnel » de 35 %.
Intérêt opérationnel des signalements opérés par le dispositif de vidéoprotection algorithmique expérimenté par la SNCF
Source : commission des lois du Sénat, d'après les données transmises par la SNCF
Exemples de signalements dans le cadre d'expérimentations mises en oeuvre par la SNCF ayant donné lieu à des interventions
Source : SNCF
Logiquement, pour une solution technologique donnée, l'intérêt opérationnel d'un cas d'usage s'est avéré corrélé à la performance technique de la solution.
À cet égard, les rapporteures relèvent que l'ensemble des services utilisateurs interrogés plaident pour la pérennisation de ce dispositif ou, a minima, pour une prolongation de l'expérimentation27(*).
3. Une mise en oeuvre globalement conforme au cadre fixé
La mise en oeuvre de l'expérimentation a fait l'objet d'un contrôle vigilant opéré par la CNIL, sur le fondement du X de l'article 10 de la loi JOP.
Ceux-ci ont concerné le ministère de l'intérieur, les prestataires (Wintics et Videtics) ainsi que la RATP et la SNCF.
La CNIL avait procédé au préalable à une visite dans les locaux de la préfecture de police de Paris lors du concert de Dépêche Mode, dans le cadre duquel des premiers tests ont été mis en oeuvre. Les principales vérifications opérationnelles ont ensuite été menées dans le cadre du tournoi de tennis de Roland Garros.
Au total, six contrôles ont été menés au cours d'expérimentations durant les JOP, complétés de trois contrôles a posteriori ou post-JOP.
Ils ont porté sur la conformité des dispositifs au cadre juridique, les modalités d'information du public, l'existence d'une analyse d'impact ainsi que sur les mesures prises pour garantir la sécurité et la confidentialité des données collectées et traitées. Si ces dossiers sont toujours en cours d'instruction, la CNIL a confirmé aux rapporteures que, d'une manière générale, les contrôles ont permis de constater que « les dispositifs mis en oeuvre étaient conformes, dans leur utilisation, aux cas d'usage prévus par la loi ».
Il convient de noter qu'en amont, la CNIL avait conduit un important travail d'accompagnement juridique auprès de Wintics, Videtics et Chapsvision, complémentaire de celui mené par l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) en matière de cybersécurité. Interrogés sur ce point par les rapporteures, les trois prestataires ont salué l'utilité du rôle joué par la CNIL pour sécuriser juridiquement leurs solutions.
De même, le comité d'évaluation a constaté que les expérimentations mises en oeuvre ont respecté les différentes exigences procédurales, les conditions de fond posées par la loi, ainsi que les exigences de confidentialité des données conservées. Il a également considéré que la conformité du dispositif, par ailleurs soumis aux exigences du règlement général de protection des données28(*) et de la loi « Informatique et libertés »29(*), au nouveau règlement « IA » de l'Union européenne30(*) « paraît pouvoir être admise »31(*).
Le comité a même souligné la prudence des services utilisateurs, relevant que « dans le doute, l'opérateur s'abstenait », ainsi que les « bonnes pratiques » mises en place, tant en matière de confidentialité des données qu'en matière de cybersécurité. Au cours de leurs travaux, les rapporteures ont également pu constater le souci des opérateurs de se conformer strictement au cadre prévu.
Un cas de manquement à la procédure a néanmoins été constaté, la publication de l'arrêté du préfet de police autorisant le traitement pour le début des épreuves olympiques étant intervenue cinq jours après sa mise en oeuvre, alors même que celui-ci avait été signé à temps. La préfecture a regretté ce retard auprès du comité, qui serait dû à un dysfonctionnement interne dans une période de très forte activité.
Dans le cas de l'expérimentation menée à Cannes, le comité d'évaluation a également pointé certaines difficultés lors de la première expérimentation (Festival de Cannes) en ce qui concerne le respect des exigences de confidentialité. Il a par exemple relevé que les agents habilités ne disposaient pas de registres d'activité (logs) personnels, leur attribution n'ayant initialement pas été prévue par le prestataire. Cette difficulté a été corrigée par la suite32(*).
C. UNE EXPÉRIMENTATION À PROLONGER SELON DES MODALITÉS AMÉNAGÉES
1. Les enjeux nouveaux soulevés par la vidéoprotection algorithmique invitent à assumer pleinement et jusqu'au bout la démarche expérimentale
À l'aune de la sensibilité et de la nouveauté des enjeux soulevés par l'utilisation de la vidéoprotection algorithmique, les rapporteures considèrent qu'en la matière, la démarche de l'expérimentation législative doit être assumée pleinement et jusqu'au bout.
Elles considèrent que les résultats de l'expérimentation, dont l'intérêt opérationnel s'avère à ce stade « limité mais réel »33(*) selon les termes du rapport du comité d'évaluation, ne sont pas suffisamment probants pour justifier une pérennisation ou au contraire un abandon, alors même que le dispositif expérimenté « en l'état, ne heurte les libertés publiques ni dans sa conception ni dans sa mise en oeuvre »34(*).
Les rapporteures tiennent à saluer la qualité du rapport d'évaluation qui a été remis au Parlement. Chose rare, l'expérimentation a donc été menée en suivant une méthode véritablement expérimentale, conformément aux objectifs poursuivis par la révision constitutionnelle de 2003, et non pas comme la simple préfiguration d'un dispositif amené à être pérennisé.
Les résultats de l'évaluation comme la sensibilité du sujet justifient le choix d'une approche itérative, faite d'expérimentations successives, d'évaluations et d'interventions du Parlement pour ajuster au mieux l'encadrement du dispositif.
La prolongation de l'expérimentation semble donc bien être la voie à suivre pour respecter pleinement la volonté exprimée par le législateur en 2023 : donner sa chance au dispositif, mais de façon encadrée et en conditionnant toute pérennisation à la démonstration de son efficacité et à l'absence d'atteinte aux libertés publiques.
Proposition n° 1 : Prolonger l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique avant d'envisager toute pérennisation.
2. Des aménagements à prévoir pour exploiter pleinement les potentialités de l'expérimentation, dans le respect de ses principes fondamentaux
Plusieurs aménagements pourraient être opérés afin de pouvoir véritablement évaluer l'intérêt de la vidéoprotection algorithmique : sans remettre en cause les principes fondamentaux de l'expérimentation, ces aménagements devraient permettre d'évaluer un panel plus large de solutions, dans des conditions de mise en oeuvre moins contraintes.
a) Des principes fondamentaux à conforter
Eu égard aux enjeux pour les libertés publiques, les principes fondamentaux de l'expérimentation doivent impérativement être confortés, au premier rang desquels :
- l'interdiction du recours à la biométrie et de la reconnaissance faciale ;
- la « primauté humaine », qui veut que les traitements expérimentés demeurent en permanence sous le contrôle des personnes chargées de leur mise en oeuvre et ne peuvent fonder, par eux-mêmes, aucune décision individuelle et aucun acte de poursuite ;
- la limitation du dispositif à des cas d'usage prédéterminés liés à des risques pour la sécurité des personnes ;
- des exigences strictes en matière de sécurité et de conservation des données ;
- le contrôle par l'État et la CNIL des expérimentations.
b) Des aménagements à envisager
(1) Un déploiement au-delà des seules manifestations sportives, récréatives ou culturelles
Le critère tiré des manifestations sportives, récréatives ou culturelles a été identifié comme un facteur limitant la portée de l'expérimentation, compte tenu notamment de la brièveté de ces manifestations et du fait qu'elles coïncident souvent avec une forte mobilisation des forces de l'ordre.
La fin des jeux Olympiques et Paralympiques et l'absence de manifestations d'une ampleur comparable pendant les deux années à venir conduit également à interroger le maintien de ce critère. La possibilité d'expérimenter les techniques de vidéoprotection algorithmique en dehors de ces manifestations devrait toutefois demeurer rigoureusement encadrée.
Les autres critères prévus par l'article 10 de la loi JOP quant aux circonstances de temps et de lieu seraient inchangés : l'expérimentation ne pourrait avoir lieu que dans des zones clairement délimitées, notamment les emprises de transport public (ainsi que leurs abords et les voies les desservant) ou des lieux de rassemblement ouverts au public, et exposées, par l'ampleur de leur fréquentation ou par des circonstances particulières, à des risques d'actes de terrorisme ou d'atteintes graves à la sécurité des personnes.
À titre d'exemple, si la détection d'intrusion dans les zones les plus sensibles des emprises des opérateurs de transport serait permise, il n'en irait pas de même de la surveillance de l'intérieur des véhicules.
Comme dans le cadre des grandes manifestations, la mise en oeuvre de l'expérimentation reposerait sur une autorisation par arrêté préfectoral donnée pour une durée limitée, et au titre de cas d'usage proportionnés au regard de la finalité poursuivie (condition posée au VII du même article).
(2) Donner plus d'autonomie aux utilisateurs dans le choix et le paramétrage des solutions
Une autonomie accrue des services utilisateurs pour le choix et la calibration des solutions technologiques à expérimenter devrait être recherchée.
Ainsi qu'il a été exposé supra, le monopole conféré à l'État pour le développement et l'acquisition des solutions, s'il résultait d'une prudence de bon aloi s'agissant de technologies nouvelles et qui soulèvent de nombreuses questions en matière de libertés publiques, a constitué une contrainte forte pour les utilisateurs.
Sans remise en cause de cette centralisation, la prolongation de l'expérimentation risquerait, pour des raisons tenant notamment au cadre de la commande publique, d'aboutir au même résultat : la mise en oeuvre d'un nombre trop réduit de solutions pour en tirer un jugement éclairé sur la performance et les enjeux de la vidéoprotection algorithmique.
Si le comité d'évaluation, dans son rapport, expose que, « sur la base de l'expérimentation et des leçons qu'on peut en tirer, la question d'une certaine décentralisation se poserait », ses représentants se sont montrés prudents sur les conditions d'un éventuel desserrement de cette contrainte.
La plus grande latitude laissée aux utilisateurs pour le choix des solutions devrait ainsi s'accompagner d'un encadrement rigoureux : dans l'hypothèse où les services utilisateurs seraient autorisés à choisir directement leurs prestataires, chaque utilisation de ces solutions demeurerait autorisée, pour une durée limitée, par le préfet et subordonnée à la présentation d'une attestation de conformité et d'une analyse d'impact dans les conditions prévues par l'article 10 de la loi JOP. En plus des contrôles qu'elle mènerait a posteriori, la CNIL pourrait également se voir confier la responsabilité de vérifier, avant leur mise en oeuvre, la conformité de ces traitements aux exigences légales et réglementaires.
À tout le moins, dans l'hypothèse où un monopole de l'État serait maintenu, la procédure d'allotissement pourrait être revue de façon à permettre aux services utilisateurs d'expérimenter plusieurs solutions différentes et non, comme c'est le cas aujourd'hui, une seule qui leur est imposée à raison de leur localisation géographique ou du fait qu'ils opèrent dans les transports (voir supra).
L'autonomie des services utilisateurs pourrait également être renforcée dans le cadre de la phase de paramétrage, et en particulier lors de la calibration du dispositif. Cela passe par un assouplissement de l'exigence de supervision permanente d'un agent du ministère de l'intérieur, ce qui permettrait au service et au prestataire de conduire ce travail essentiellement technique dans des conditions facilitées, en lui consacrant tout le temps nécessaire. Une telle évolution serait ainsi de nature à renforcer la performance des solutions expérimentées, et par conséquent à améliorer la proportionnalité du dispositif.
En tout état de cause, le paramétrage devrait continuer de faire l'objet d'une vérification avant l'utilisation opérationnelle de la solution, destinée à garantir que celui-ci respecte le cadre légal et réglementaire applicable.
(3) Pour les communes, ne pas limiter les opérateurs aux seuls policiers municipaux
Une extension des personnes habilitées à accéder aux signalements devrait être envisagée afin d'y inclure les agents des communes qui ne sont pas des policiers municipaux.
L'article 10 de la loi « JOP » ne permet l'utilisation des traitements que par « les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale, les services d'incendie et de secours, les services de police municipale et les services internes de sécurité de la SNCF et de la [RATP] ».
Or, ainsi que l'a relevé la ville de Cannes (cf. supra), il s'agit d'une contrainte importante pour les communes dont beaucoup des opérateurs de vidéoprotection ne sont pas des policiers municipaux. Tout en en augmentant le coût, elle diminue fortement l'intérêt opérationnel de l'expérimentation, dès lors que les policiers municipaux ont surtout vocation, lors des grands événements, à en assurer la sécurité sur la voie publique.
Le comité d'évaluation relève qu'il s'agit d'une évolution possible, tout en soulignant que « le procédé en lui-même est susceptible de produire des conséquences pour les libertés. Et la loi a prévu des garanties particulières dans le statut des policiers, qu'ils relèvent de la police ou de la gendarmerie nationales ou des polices municipales, en application de l'article L. 252-2 du code de sécurité intérieure » et que « la qualité administrative et technique des personnels devra être définie soigneusement ».35(*)
Il convient toutefois de souligner que, depuis la loi
n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité
globale préservant les libertés, l'article L. 132-14-1
du code de la sécurité intérieure (CSI) permet aux agents
territoriaux qui n'appartiennent pas aux cadres d'emplois de la police
municipale de visionner les images de la voie publique issues des dispositifs
de vidéoprotection, « dès lors que ce visionnage
ne nécessite pas de leur part d'actes de police
judiciaire ». Cette faculté est subordonnée
à un agrément délivré par le préfet de
département, après enquête administrative
(article R.
114-2 du CSI).
Dans ces conditions, et sous réserve qu'ils soient en nombre limité, nominativement désignés et dûment formés et habilités, il ne paraît pas y avoir d'obstacle de principe à ce que ces agents accèdent aux signalements. Pour les besoins de l'expérimentation, il pourrait être prévu qu'ils demeurent sous la supervision d'un policier municipal « chef de salle ».
Proposition n° 2 : Sans remettre en cause ses principes fondamentaux et garanties juridiques, prévoir des aménagements pour exploiter pleinement les potentialités de l'expérimentation :
- permettre la mise en oeuvre du dispositif, même en l'absence de grandes manifestations sportives, récréatives ou culturelles, en vue de la surveillance de zones clairement délimitées à l'aune de risques sécuritaires importants, pour des cas d'usage strictement proportionnés ;
- étendre le champ des agents autorisés à accéder aux signalements à des agents communaux n'appartenant pas à la police municipale, à condition que ces agents soient en nombre limité, nominativement désignés, dûment formés et habilités, et restent sous la supervision d'un policier municipal ;
- conférer davantage d'autonomie aux services utilisateurs pour le choix et la calibration des solutions technologiques à expérimenter, dans des conditions qui resteraient rigoureusement encadrées et contrôlées par le ministère de l'intérieur ainsi que la CNIL.
(4) Une extension de la liste des cas d'usage ?
Il appartiendra au pouvoir réglementaire de les déterminer, par la voie d'un décret en Conseil d'État pris après avis de la CNIL, les cas d'usage pour lesquels l'expérimentation pourrait être prolongée, ou le cas échéant lancée.
Si la CNIL juge qu'« aucune pérennisation ne devrait être envisagée pour les cas d'usage dont les résultats n'ont pas montré d'efficacité ou d'intérêt opérationnel »36(*), les rapporteures considèrent qu'il pourrait en aller différemment dans le cadre du scénario proposé de prolongation de l'expérimentation. Celle-ci constituerait en effet l'occasion, soit de perfectionner les solutions connues, soit d'en expérimenter de nouvelles afin de donner une nouvelle chance à certains cas d'usage jusqu'ici peu probants, pour autant qu'un intérêt opérationnel le justifie.
Plusieurs services utilisateurs ont évoqué la piste d'une extension future du dispositif à de nouveaux cas d'usage, qui soulèvent cependant un certain nombre de difficultés.
Il peut s'agir, premièrement, de la détection de rixes ou d'actes violents, qui présentent un intérêt opérationnel évident, mais pose plusieurs problèmes selon la CNIL. Au-delà de la question de la possibilité technique de détecter ce type d'événements - ce qui constitue en soi un élément important pour apprécier la proportionnalité du dispositif de vidéoprotection algorithmique - elle relève que « contrairement à la détection de mouvement de foule, de départ de feu ou de franchissement de zone, ils consistent à identifier des événements reliés au comportement d'une ou d'un nombre limité de personnes et sont donc, par essence, plus intrusifs et susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés individuels » et que « cette intrusivité est d'autant plus forte au regard des conséquences possibles pour les personnes (interpellation, poursuites pénales, etc.) ».
Il peut également s'agir de la recherche de personnes, en temps réel ou sur les enregistrements vidéo, par similarités d'apparences (par exemple à partir des vêtements), qui serait limitée aux seuls propriétaires d'objets délaissés, et aux auteurs de crimes ou de délits en flagrance, sans exploitation de données biométriques ou techniques de reconnaissance faciale, et sans lien avec l'identité des personnes concernées.
Sur ce sujet, la CNIL appelle à « la plus grande prudence (...). En effet, le suivi des personnes implique un risque accru d'une surveillance généralisée et pour les droits et libertés fondamentaux des personnes et la préservation de leur anonymat dans l'espace public. À titre accessoire, il peut être noté que l'exclusion de la biométrie (...) n'est pas facile à garantir par conception et de manière systématique pour des systèmes basés sur de l'intelligence artificielle, dont le but est de reconnaître ou de retrouver une personne particulière ». Ainsi, elle considère qu'« au-delà de la reconnaissance faciale, des tests devraient être menés pour vérifier que les systèmes en question ne sont pas en mesure, dans les faits, de reconnaître des caractéristiques, notamment physiques ou comportementales, permettant l'identification unique des personnes »37(*).
Il peut s'agir, enfin, d'actes de vandalisme (sabotage, tags, dégradation de matériels ou mobiliers), voire même d'une extension des cas d'usage au-delà des seuls enjeux de sécurité (gestion des flux, propreté des espaces publics, supervision du stationnement etc.). Sur ce point, eu égard à la sensibilité des enjeux, les rapporteures considèrent que la prolongation de l'expérimentation, selon des modalités aménagées qu'elles appellent de leurs voeux, a vocation à rester centrée sur des finalités liées à la sécurité des personnes.
3. Des garanties à renforcer pour créer les conditions d'un consensus sur l'avenir de l'expérimentation
L'un des objectifs de la prolongation de l'expérimentation serait de créer les conditions d'un consensus sur la suite à donner aux dispositifs testés.
a) Renforcer et harmoniser la formation des agents chargés de son déploiement
En premier lieu, le comité d'évaluation a pointé le caractère insuffisant de la formation des agents habilités à accéder aux signalements. Il s'agit pourtant d'un enjeu important pour permettre aux agents de pleinement s'approprier ces nouveaux outils, de façon à garantir une utilisation des traitements qui soit, d'une part, conforme aux exigences éthiques et juridiques posées par le cadre légal et, d'autre part, pleinement efficace.
Au plan juridique, l'article 15 du décret du 28 août 2023 précité prévoit bien que pour être habilités à accéder aux signalements, les agents des services concernés par l'expérimentation « doivent bénéficier d'une formation en matière de protection des données à caractère personnel adaptée aux missions effectivement confiées ainsi que d'une formation sur le fonctionnement opérationnel et technique du traitement et sa prise en main ».
Le comité d'évaluation38(*) a ainsi relevé :
- d'une part, que dans l'ensemble la formation a été « assez brève sur le plan technique », la prise en main des logiciels s'étant avérée « assez aisée », en dépit de pratiques variables d'un utilisateur à l'autre ;
- d'autre part, qu'hormis la SNCF, les autres utilisateurs n'ont pas intégré de formation spécifique centrée sur les questions éthiques, que le décret n'impose certes pas. En particulier, la préfecture de police a considéré que celles-ci « font partie de la formation de base de tout policier ». Le caractère nouveau des enjeux éthiques soulevés par les technologies concernées aurait pourtant pleinement justifié leur intégration au socle de formation de l'ensemble des agents.
Les rapporteures considèrent donc que le contenu de ces formations, qui conditionnent toute habilitation, doit être renforcé et harmonisé, notamment pour intégrer les enjeux liés aux libertés publiques et à l'éthique.
Proposition n° 3 : Renforcer et harmoniser les formations préalables à l'habilitation des agents chargés de la mise en oeuvre opérationnelle de l'expérimentation.
b) Renforcer significativement l'information des personnes sur la mise en oeuvre de l'expérimentation
Il apparaît également indispensable de renforcer significativement l'information des personnes, point faible de l'expérimentation souligné par le comité d'évaluation.
Le comité d'évaluation fait le constat :
- d'une information sur le dispositif « trop discrète pour garantir sa bonne compréhension » par le public ;
- de l'absence d'organisation de réunions publiques consacrées à l'expérimentation.
Les utilisateurs se sont bien souvent contentés d'utiliser des affichettes de format A3 ou A4, peu lisibles pour les passants.
Ces insuffisantes ont été pointées par la CNCDH et l'association La Quadrature du Net, interrogées par les rapporteures.
La CNCDH a ainsi considéré cette information « très peu lisible voire inaccessible », ce qu'elle juge « d'autant plus problématique que, informés par les médias du déploiement de la vidéosurveillance augmentée dans l'espace public, et alertés régulièrement sur les dérives de la reconnaissance faciale dans des pays totalitaires, la population risque de développer un sentiment de surveillance accrue ».
De même, la Quadrature du Net a constaté que « la disposition et la taille des affiches informatives ne permettaient pas aux personnes concernées de pouvoir facilement les remarquer et lire le texte qu'elles contenaient. En effet, les affiches étaient très petites, placées à des endroits difficilement visibles et le texte était écrit avec une police de caractère dont la taille nécessitait d'être très proche pour pouvoir le lire ». À titre comparatif, elle a observé qu'à l'inverse « les panneaux informant de l'existence de caméras mises en place en application des dispositions [prévues aux articles] L. 251-1 et suivants précitées, du code de la sécurité intérieure sont visibles au premier regard ».
Comparaison des panneaux informant de la présence de caméras de vidéoprotection au titre de l'article L. 251-1 du CSI (à droite) et de la mise en oeuvre de l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique (à gauche) à la station de métro RATP Saint-Denis Porte de Paris
Source : La Quadrature du Net
Ce traitement différencié, paradoxal, explique sans doute le fait, relevé par le comité d'évaluation, que « les remontées du public avaient été particulièrement faibles tout au long de l'expérimentation. Cette constatation se fonde sur le différentiel entre le nombre de demandes, bien plus important, lorsqu'il s'agit de vidéoprotection classique et leur faible taux lors de l'expérimentation »39(*).
À titre d'exemple, la SNCF a reçu onze demandes d'exercice de droits sur la durée totale de l'expérimentation (dont dix demandes de droit d'accès aux enregistrements et une demande d'effacement), et aucune pendant la période olympique.
Les rapporteures considèrent que, dans la perspective d'une prolongation de l'expérimentation, les services utilisateurs devront significativement renforcer leur dispositif d'information des personnes. Cela passe par le recours à des affiches et panneaux plus nombreux, plus lisibles et plus pédagogiques.
L'accès à une information claire constitue un élément essentiel pour créer les conditions d'une meilleure compréhension et d'une plus grande confiance des citoyens vis-à-vis du recours à ces technologies par les autorités publiques, en l'absence desquelles une pérennisation serait fortement problématique.
Proposition n° 4 : Renforcer le dispositif d'information des personnes sur la mise en oeuvre de l'expérimentation.
c) Renforcer et clarifier les conditions d'évaluation du dispositif
Enfin, les conditions d'évaluation du dispositif pourraient encore être renforcées.
En particulier, l'indépendance du comité d'évaluation doit être confortée. En l'état, celle-ci se borne à prévoir l'association de parlementaires à l'évaluation, tandis que l'existence d'un comité ad hoc, présidé par une personnalité indépendante et comportant un collège de personnalités indépendantes (voir I.A., encadré), est prévue par voie réglementaire.
Dans la perspective d'une prolongation de l'expérimentation, les rapporteures considèrent que ces garanties d'indépendance, qui ont fait la force de la présente expérimentation, ont vocation à être posées dans la loi.
Le comité pourrait publier des rapports ou avis intermédiaires, notamment sur la proportionnalité des cas d'usage.
En outre, il conviendrait d'associer tous les acteurs et notamment les utilisateurs à la définition du cadre de mesure de la performance de ces outils.
Les rapporteures ont été étonnées de constater l'absence de méthodologie d'évaluation harmonisée de la mise en oeuvre de l'expérimentation par les utilisateurs. Si la SNCF a mis au point un appareil de mesure de performance satisfaisant doté de nombreux indicateurs (« vrais / faux positifs », « précision algorithmique », « taux de traitement », « intérêt opérationnel »), il n'en va pas de même pour les autres utilisateurs, qui n'ont pas été en mesure de présenter des données consolidées toutes expérimentations confondues. À titre d'exemple, interrogée par les rapporteures sur le nombre de signalements opérés par le dispositif expérimenté et le nombre de faux positifs constatés durant la période des jeux Olympiques, la préfecture de police a indiqué « ne [pas disposer] de cette granularité de données pour la séquence olympique, les forces de l'ordre s'étant insuffisamment approprié l'IA dans cette première phase de déploiement opérationnel ». Une telle réponse témoigne d'une mauvaise appropriation de la démarche expérimentale, qu'il conviendra de corriger dans la perspective d'une éventuelle prolongation.
Le comité pourrait jouer un rôle utile en la matière, en définissant bien en amont avec l'ensemble des utilisateurs une base méthodologique partagée et des indicateurs communs, pour qu'enfin le Parlement puisse se prononcer de façon pleinement éclairée sur l'abandon ou la pérennisation du dispositif.
Proposition n° 5 : Conforter le dispositif d'évaluation de l'expérimentation par un comité ad hoc et dont l'indépendance serait garantie par la loi, qui pourrait publier des avis et rapports intermédiaires. Dans ce cadre, associer davantage et en amont les utilisateurs à la définition des méthodes d'évaluation des techniques expérimentées.
II. LE RECOURS À LA SÉCURITÉ PRIVÉE : UN SUCCÈS INCONTESTABLE
Les rapporteures, dans le cadre de leurs travaux, ont souhaité effectuer une évaluation spécifique du recours à la sécurité privée pour la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Ce volet a en effet suscité d'importantes inquiétudes en amont de l'évènement, du fait du volume inédit d'effectifs à recruter et former dans une filière encore en croissance ainsi que dans des délais excessivement contraints. Alors que les jeux Olympiques et Paralympiques de Londres en 2012 avaient été marqués par la défaillance de la principale entreprise de sécurité privée retenue par les organisateurs, la question de la fiabilité du dispositif était par ailleurs également au coeur des préoccupations.
Pour rappel, la commission avait, dans un rapport d'information sur l'application de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 publié en avril 202440(*), déjà identifié cet enjeu. Les rapporteurs Agnès Canayer et Marie-Pierre de la Gontrie avaient salué les importants progrès réalisés depuis l'été 2023, « du fait des efforts massifs déployés collectivement par le Cojop, l'État, les collectivités territoriales et la filière ». Elles avaient néanmoins insisté sur la nécessité d'intensifier les actions engagées pour confirmer cette dynamique et dissiper les dernières incertitudes. Cinq recommandations d'ordre opérationnel avaient été formulées en ce sens. Celles-ci appelaient notamment à ce que le Cojop achève le plus rapidement possible l'allotissement des marchés publics pour la sécurisation des sites - 3 % n'ayant toujours pas été attribués à la date de publication du rapport - ainsi qu'à mettre en place les dispositifs indispensables à la filière pour atteindre le dimensionnement nécessaire à l'absorption des JOP41(*). La nécessité de prioriser la formation de publics étudiants et de jeunes adultes, singulièrement en Île-de-France, et de poursuivre les efforts entrepris par le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) pour accélérer l'instruction des demandes d'entrée en formation et de délivrance de cartes professionnelles avaient à ce titre été mis en avant.
Six mois après les Jeux, la commission se réjouit de constater que ses recommandations aient été suivies et que ce pari, ambitieux, a été réussi. Les efforts conjugués des organisateurs, des services de l'État, des collectivités territoriales ainsi que de la filière de la sécurité privée ont permis à celle-ci de se hisser à la hauteur de l'évènement. Selon les données publiées par la préfecture de région d'Île-de-France, 25 800 personnes avaient été formées au métier de la sécurité privée mi-juillet 2024 et près de 22 000 recrutements assurés en amont des jeux, soit des résultats supérieurs aux objectifs42(*). Si la crainte de défaillances demeurait présente à l'approche de l'évènement, les travaux menés par les rapporteures montrent que les agents de sécurité privée ont exercé leurs missions avec professionnalisme et efficacité au cours de celui-ci. Les quelques dysfonctionnements constatés, extrêmement marginaux, ont été traités avec une grande réactivité.
La mission d'information souhaite saluer cet important succès collectif qui, d'une part, démontre le savoir-faire de la France pour l'organisation de grands évènements et, d'autre part, est porteur de promesses pour le développement de la filière de la sécurité privée. L'évènement a en effet amorcé une reconfiguration du secteur, avec l'affirmation de nouvelles entreprises, souvent de taille réduite, particulièrement impliquées dans la sécurisation de l'évènement. Il importe par ailleurs de capitaliser sur une réforme réussie des procédures de certification pour poursuivre la montée en puissance de la filière.
A. UNE MOBILISATION EXCEPTIONNELLE QUI A PERMIS DE RÉPONDRE À UN BESOIN HORS NORME
1. En préparation des évènements, une mise en tension ambitieuse de l'ensemble de la chaîne d'acteurs
a) Une définition des besoins et des critères de sélection des entreprises attributaires pertinents
Le comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 (Cojop) a rapidement pris la mesure du défi que représentait l'appel à la sécurité privée, dans des proportions très largement inédites en France, pour la sécurisation des deux évènements. Le contre-exemple londonien a de fait joué un rôle dans cette prise de conscience précoce du Cojop et, plus largement, de l'ensemble des participants à l'organisation. Pour rappel, la défaillance de la principale entreprise retenue par les organisateurs avait conduit à la mobilisation en urgence des forces armées pour pallier les carences de la sécurité privée.
Les auditions des rapporteures ont montré que des leçons avaient été tirées de ce précédent, tant dans la définition des besoins que pour l'établissement de critères de sélection des entreprises attributaires.
S'agissant, en premier lieu, de la définition des besoins, les représentants du Cojop entendus par les rapporteures ont rappelé avoir procédé aux premières études de marché dès le second semestre de l'année 2020. La rédaction des marchés et l'allotissement sont ensuite intervenus au début de l'année 2021, selon une répartition en douze missions et neuf lots d'achats pour chacun des sites concernés. In fine, 550 lots ont fait l'objet d'un appel d'offres et le besoin total exprimé s'est élevé à environ 22 000 agents de sécurité privée.
Si la relative lenteur du processus initial d'attribution desdits lots a suscité quelques inquiétudes43(*), force est de constater que les délais ont pu être tenus. Les derniers lots ont ainsi été contractualisés au mois de juin, sans que cette attribution tardive, quoique inconfortable pour les parties prenantes, n'ait porté finalement à conséquence.
Au total, 54 entreprises se sont vues attribuer un lot directement par le Cojop, lequel a également travaillé avec des entités de livraison et d'organisation évènementielle déjà installées pour la sécurisation de certains sites. Si l'on inclut les sous-traitants, près de 200 entreprises liées à la sécurité privée ont ainsi contribué à la sécurisation des JOP de Paris 2024.
En second lieu, les critères de sélection des entreprises attributaires se sont avérés pertinents. Le choix délibéré et précoce du Cojop, d'une part, de faire appel à un nombre important d'entreprises44(*) et, d'autre part, de les sélectionner sur des critères techniques et opérationnels plutôt que financiers s'est révélé particulièrement judicieux au regard du précédent londonien. La captation par une même entreprise, finalement défaillante, d'une part essentielle des missions de sécurisation des sites avait en effet mis en péril le bon déroulement de l'évènement londonien.
Le Cojop a confirmé que les grandes entreprises de la sécurité privée n'avaient que peu été impliquées dans l'évènement, les « majors » de la filière ayant peu répondu aux appels d'offres. Au-delà des critères de sélection établis par le Cojop visant à favoriser des petites et moyennes structures, ce relatif retrait pourrait s'expliquer par la volonté des « majors » de préserver leurs missions estivales traditionnelles. In fine, 50 % des prestations effectuées pendant les JOP l'ont donc été par des entreprises de sécurité de taille moyenne et 25 % par des petites structures évènementielles qui, selon les termes du Cojop, « se sont dépassées, souvent avec peu d'expérience dans les missions confiées tant dans leur contenu que dans leur volume ».
Si elle a pu sembler contre-intuitive, cette stratégie du Cojop s'est finalement révélée d'une remarquable efficacité. L'appel à la sécurité privée pour les besoins des JOP a ainsi été effectué dans un cadre d'autant plus solide que les besoins ont été correctement définis et que le processus d'attribution des lots a été rigoureux.
b) Des dispositifs d'identification des candidats, de formation et de certification spécialement aménagés pour les deux évènements
Au-delà des choix stratégiques initiaux, la mission d'information souligne que les organisateurs des JOP comme les pouvoirs publics ont fait preuve d'un investissement sans faille pour donner au secteur de la sécurité privée les moyens de faire face à cette mission de sécurisation des JOP, exceptionnelle à plus d'un titre.
La filière a ainsi bénéficié d'un accompagnement matériel et financier sur mesure tout au long de la préparation de l'évènement et à l'ensemble des étapes du processus. Cet appui des pouvoirs publics pour notamment l'identification, la formation ou le recrutement d'agents spécifiquement pour les Jeux a été décisif dans la réussite de ce volet des JOP. La mission d'information salue cet engagement des pouvoirs publics, ceux-ci étant allés bien au-delà de leurs missions traditionnelles de régulation du secteur de la sécurité privée pour garantir le succès de leur contribution aux JOP.
Cet engagement s'est notamment concrétisé par un plan d'action piloté par la préfecture de région d'Île-de-France en lien avec l'opérateur France Travail dès 2022. Ce plan a été le support d'un ambitieux dispositif d'accompagnement de la filière de la sécurité privée autour de quatre objectifs45(*) : assurer une offre de formation suffisante ; rendre ces formations attractives et mobiliser tous les publics qu'elles peuvent intéresser ; amener les entreprises à recruter activement et effectivement ; répondre de manière agile aux besoins des entreprises pendant les Jeux. Il a donné lieu à des réunions hebdomadaires de suivi entre les services de l'État et les acteurs du service public de l'emploi.
S'agissant de l'identification des candidats, l'État s'est pour partie substitué aux entreprises de la filière, lesquelles ont par ailleurs bénéficié d'une prestation d'appui à la gestion de projets délivrée par le Cojop. Les services de l'État ont mis en place un dispositif aussi ambitieux qu'inédit de « sourcing » des candidats potentiels. Plusieurs publics étaient particulièrement ciblés : les demandeurs d'emplois, les étudiants ainsi que les jeunes en insertion ou suivis par les missions locales. À titre d'exemple, plus de 190 000 demandeurs d'emploi ont ainsi été contactés directement par France Travail ou par l'intermédiaire de sociétés spécialisées sollicitées par l'opérateur à cette fin.
En ce qui concerne la formation, un appui matériel et financier conséquent a également été apporté à la filière. L'animation et la dynamisation du dispositif de formation ont constitué l'un des axes clés du plan régional d'action précité, de manière à ce que l'objectif de 25 000 personnes formées puisse être atteint. Six réunions ont notamment été organisées sous l'égide du préfet de région Île-de-France entre octobre 2022 et février 2024 afin de favoriser l'optimisation du calibrage de l'appareil de formation par le développement des liens entre les organismes de formation et les entreprises attributaires. La DRIEETS a en outre mensuellement organisé des séquences de mobilisation des organismes de formation de la branche, afin de faciliter le traitement d'un afflux inédit d'aspirants à la formation. Des conventions ont en outre été conclues avec France Travail pour l'organisation de sessions de formations prioritaires en prévision des JOP.
Au niveau financier, soixante-huit millions d'euros ont été investis par l'État pour renforcer l'attractivité de la filière. Ils ont notamment permis de financer une prime allant de 60046(*) à 2 000 euros, attribuée aux personnes nouvellement formées.
Cette mobilisation sans faille des pouvoirs publics comme de la branche a permis d'atteindre les ambitieux objectifs de 25 000 entrées en formation pour 20 000 recrutements finaux. En termes quantitatifs, 25 800 personnes ont été formées en amont de l'évènement selon la préfecture de la région Île-de-France. En termes qualitatifs, le principal contingent était formé par des demandeurs d'emplois, qui, selon le CNAPS, ont totalisé 20 000 entrées en formation au 20 juillet 2024. On dénombre par ailleurs 3 700 entrées en formation de la part d'étudiants, 1900 de la part de jeunes suivies par les missions locales et uniquement 550 s'agissant des jeunes en insertion professionnelle.
Le succès de cette mise en tension du processus de formation a également reposé sur l'adaptation du cursus de formation aux spécificités des JOP. Pour rappel, une carte professionnelle « surveillance grands évènements » (SGE) a été créée spécifiquement pour les besoins de l'évènement. La branche a en conséquence mis en place une formation ad hoc d'une durée de 106 heures, inférieure à celle de la formation de droit commun (175 heures) et réalisable partiellement en distanciel. Les premières sessions de formation « SGE » se sont tenues au premier semestre 2023.
Enfin, le traitement simplifié et accéléré des demandes d'autorisation d'entrée en formation et de délivrance des cartes professionnelles par le CNAPS a également été déterminant. Un guichet unique a été mis en place au sein de la délégation territoriale de Bordeaux pour traiter les demandes d'entrée en formation ainsi que les demandes de carte professionnelles « SGE ». Le CNAPS a indiqué aux rapporteures que le dispositif s'était étalé sur 72 semaines entre mars 2023 et août 2024, avec deux pics de demandes à l'été 2023 (200 demandes par semaines) et au printemps 2024 (500 demandes par semaine). D'un point de vue quantitatif, 15 307 autorisations d'entrée en formation « SGE » avaient été délivrées au mois d'août 2024, dans des délais unanimement reconnus comme satisfaisants. In fine, 7 234 cartes professionnelles « SGE » ont été délivrées - dont 3 000 entre juin et juillet 2024 -, avec un délai de traitement s'étalant de trois à cinq jours, voire quarante-huit heures dans les six semaines précédant la cérémonie d'ouverture des JO. Le processus a en outre été accéléré, d'une part, par la mise en place d'un téléservice dédié pour les demandes d'entrée en formation et de délivrance de la carte professionnelle et, d'autre part, par une simplification des formalités de dépôt de la demande47(*).
Les organismes de formation doivent à ce titre également être salués pour avoir relevé ce défi capacitaire et assuré la transmission rapide des résultats des formations au CNAPS.
Les rapporteures se félicitent par ailleurs que ce changement de dimension de la filière de la sécurité privée ne se soit pas traduit par une diminution des exigences de recrutement. Les enjeux de sécurité ont fait l'objet d'une attention toute particulière des autorités. Le CNAPS a notamment procédé en amont des JO à un rétro-criblage de l'ensemble des agents de sécurité privée de France, conduisant au déclenchement de 1 382 enquêtes administratives et à la mise à l'écart de 840 agents. Le service national des enquêtes administratives et de sécurité (SNEAS) a quant à lui procédé à un total de 88 396 enquêtes, conduisant à l'émission de 530 avis d'incompatibilité.
c) Un accompagnement au recrutement qui a porté ses fruits
Les pouvoirs publics et le Cojop ont ensuite abondamment soutenu les entreprises attributaires dans leurs actions de recrutement. S'agissant du Cojop, sept personnes étaient spécifiquement affectées à cette tâche. Le comité a par ailleurs financé le recrutement de gestionnaires de projet au sein des entreprises attributaires.
Les services de la préfecture de région Île-de-France et de France Travail ont de leur côté maintenu un dialogue constant et personnalisé avec les entreprises attributaires. Ceux-ci ont précisé au cours de leur audition que cet accompagnement sur mesure s'était notamment traduit par :
- une prise de contact immédiate vis-à-vis des entreprises attributaires : une présentation des services offerts par l'État était effectuée dès la réunion de « kick-off » faisant suite au gain du marché. Un binôme composé d'un conseiller de France Travail et d'un facilitateur de clause sociale a également été affecté à chaque entreprise sélectionnée afin d'assurer un accompagnement au recrutement constant ;
- un suivi régulier de la trajectoire de recrutement : des entretiens ont été organisés avec chaque entreprise sur une base mensuelle - à partir de décembre 2023 - puis bi-mensuelle - à partir de juin 2024 - afin d'évaluer le respect de leur trajectoire de recrutement par les entreprises affectataires ainsi que leur solidité financière. Ce suivi a notamment permis le repérage précoce d'un groupe d'entreprises en difficulté et a justifié le déploiement d'un accompagnement renforcé à leur endroit ;
- un soutien à la montée en charge des dispositifs de ressources humaines : deux journées d'ateliers « formation à recrutement direct » ont par exemple été organisées au cours de l'année 2024. Sur un plan financier, des prestations de conseil en ressources humaines ont par ailleurs été prises en charge par la puissance publique48(*) au bénéfice de 16 entreprises ;
- une mise en relation directe entre les lauréats des formations et les entreprises : à l'instar de l'identification des candidats, l'État s'est largement substitué aux entreprises attributaires pour le recrutement, en les mettant directement en relation avec les lauréats des formations. Ainsi que l'a indiqué le CNAPS aux rapporteurs, « chaque société de sécurité retenue pour les JOP 2024 a été mise en relation avec un responsable d'une agence France travail pour suivre chaque recrutement nécessaire. Des « job dating » ont aussi été organisés par la préfecture de région Ile-de-France. Lors de ces séquences, les candidats ont rencontré les entreprises de sécurité présentes et ont été invités à renseigner leur demande d'accréditation pour travailler sur les sites olympiques ». Près de 1 600 job datings régionaux et nationaux ont ainsi été organisés, France Travail ayant contacté entre 500 et 3 000 personnes formées pour chacun d'entre eux.
Selon la préfecture de la région Île-de-France, 21 339 personnes ont in fine été recrutées par les entreprises attributaires, dont 2 378 pendant les JOP. Ce vivier était composé à 32 % de femmes et présentait un âge moyen de 27 ans. La mobilisation conjointe de l'ensemble des acteurs compétents a ainsi permis de tenir l'objectif ambitieux d'un recrutement massif de nouveaux agents de sécurité privée pour les besoins des JOP.
d) Des ajustements bienvenus du processus d'accréditation
La mission d'information sur l'application de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 précitée avait par ailleurs identifié un enjeu relatif à l'accréditation des agents de sécurité privée par le Cojop. Sa proposition n° 12 appelait à « établir des procédures simplifiées et décentralisées de retrait des accréditations pour les agents de sécurité privée afin de faciliter et limiter le coût des démarches administratives indispensables à leur participation ».
Selon les informations recueillies par les rapporteures, la fluidité du processus d'accréditation aurait effectivement pu être améliorée. Le rythme d'octroi de ces accréditations de même que leurs conditions de retrait a initialement pu susciter des inquiétudes. Ces difficultés ont finalement pu être résorbées, moyennant l'ouverture d'un second point de retrait des accréditations à quelques jours du début de l'évènement. Cet accroc objectivement marginal ne saurait toutefois remettre en cause le constat général très positif entourant le recours à la sécurité privée pour la sécurisation des JOP.
2. Au cours des évènements, une filière de la sécurité privée qui a parfaitement tenu son rôle et qui s'est renforcée
Au cours des JOP, la sécurité privée a ensuite parfaitement tenu son rang. Les rapporteures saluent cet indéniable succès, qui est porteur de nombreuses promesses pour l'avenir de la filière.
Pour rappel, les missions attribuées à la sécurité privée au cours des Jeux ont été fixées par un protocole d'accord entre le Cojop et l'État dont la première version date du 12 janvier 2021. Aux termes de celui-ci, le Cojop était, de façon classique pour un tel évènement, chargé de la sécurisation de l'intérieur des sites et des contrôles de leurs accès.
Le bilan est dans l'ensemble extrêmement satisfaisant, la sécurité privée ayant été au rendez-vous des JOP. D'un point de vue quantitatif, le Cojop a pu s'appuyer sur un nombre suffisant d'effectifs tout au long des évènements. Près de 25 000 agents ont au total travaillé sur la sécurisation des Jeux :
- pour les JO : près de 20 065 agents ont été déployés simultanément lors du pic de la cérémonie d'ouverture et 15 580 en moyenne pendant les épreuves ;
- pour les JOP : 9 654 agents ont été mobilisés en pic et 8 325 en moyenne sur la période.
Ces agents ont procédé au contrôle de douze millions de spectateurs à leur arrivée sur les sites des JOP.
D'un point de vue qualitatif, les contrôles se sont pour l'essentiel déroulés de manière fluide. Si une brève période de rodage a pu être observée lors des premières journées d'épreuve, celle-ci est inhérente à tout grand évènement et a rapidement pris fin.
Les quelques défaillances d'entreprise de sécurité privée signalées aux rapporteurs sont par ailleurs mineures et ont été surmontées sans difficultés. Selon le Cojop, « quelques défaillances capacitaires ont été anticipées par les entreprises et gérées par le centre de commandement Sécurité, avec un impact maîtrisé sur les sites et les opérations ». Les agents qui, de manière non-anticipée, n'ont pas pris le service qui leur avait été affecté ont, quant à eux, été traités par un redéploiement des effectifs mobilisés sur les autres sites. Seules deux interventions de substitution très ponctuelles des forces étatiques ont été recensées.
Le bilan établi par la préfecture de la région Île-de-France est de même tonalité. Le préfet a fait état au cours de son audition de défaillances localisées et ponctuelles sur les sites de Villepinte et de Vaires-sur-Marne. Ces situations ont été résolues par un redimensionnement du dispositif prévu ou un recrutement en urgence d'effectifs supplémentaires. La présence d'agents de la DRIEETS au centre de contrôle du Cojop a notamment permis une réponse immédiate à l'absence inopinée d'agents constatée sur le terrain. À titre d'exemple, 480 candidatures ont été transmises entre le 26 et le 28 juillet pour la sécurisation du site de Vaires-sur-Marne, avec 207 recrutements fermes à la clé.
Des contrôles ont par ailleurs été diligentés par le CNAPS tout au long des évènements. Selon les éléments communiqués par celui-ci, 3 932 agents de sécurité ont été contrôlés sur 87 sites ou évènements. Toutes les équipes présentes en métropole ont été mobilisées sur la période des Jeux afin de renforcer le maillage de ces contrôles. Ceux-ci n'ont révélé qu'un nombre très restreint d'irrégularités. Outre quelques situations marginales d'agents sans carte professionnelle, le CNAPS n'a identifié que quelques « situations de travail en situation irrégulière, d'usurpation d'identité ou d'absence d'accréditation des agents de sécurité », lesquelles ont été signalées, selon les cas, au COJOP ou aux préfectures compétentes.
B. UNE RÉUSSITE PORTEUSE DE PROMESSES POUR LA FILIÈRE
Si le pari était ambitieux, la mobilisation de la sécurité privée pour les besoins des JOP est un indéniable succès. Celui-ci a été rendu possible par une mobilisation sans précédent des services de l'État et des collectivités territoriales, afin de donner à la filière les moyens de faire face à ce défi. La mission d'information tient à saluer le professionnalisme et l'engagement sans faille de l'ensemble des acteurs impliqués, qui atteste du savoir-faire de la France pour l'organisation de très grands évènements.
De ce point de vue, le changement de dimension de la filière de la sécurité privée fait partie intégrante de l'héritage des Jeux. Le vivier d'agents de sécurité a été considérablement rehaussé, du fait du recrutement de nouveaux agents spécifiquement pour les besoins des JOP. Selon le CNAPS, 295 000 personnes sont désormais titulaires d'une carte professionnelle contre 280 000 avant les JOP. Si le nombre total d'entreprises liées à sécurité privée est resté stable (12 000), le secteur a néanmoins été profondément reconfiguré. L'affirmation des entreprises de sécurité privée de taille moyenne comme la montée en compétences de petites structures de l'évènementiel sont en effet des leçons clés des JOP.
Au-delà de ce constat prometteur dans l'ensemble, certains progrès demanderont à être confirmés. Le regain d'attractivité du secteur, notamment auprès des demandeurs d'emploi et des étudiants, fait partie de ces éléments qui ne peuvent encore être considérés comme acquis. À ce titre, le maintien de la carte professionnelle SGE pourrait éventuellement revêtir un intérêt. La mission d'information sera, a minima, attentive à ce que les 7 234 personnes titulaires d'une carte SGE puissent effectivement être orientées vers le certificat complémentaire de compétences permettant l'octroi d'une carte classique.
Au vu de leur efficacité, la prolongation de certains dispositifs prévus spécialement pour les besoins des JOP pourrait en outre être utilement envisagée. C'est par exemple le cas des procédures simplifiées et dématérialisées de délivrance des cartes professionnelles par le CNAPS et des canaux d'échanges mis en place entre le service public de l'emploi et la filière de la sécurité privée. Sur ce point, la mission d'information ne peut que reprendre à son compte la conclusion formulée par le préfet de la région Île-de-France au cours de son audition : « dans l'immédiat, la filière de sécurité privée a gagné en crédibilité grâce à la qualité de ses prestations pendant les Jeux, et à la bonne maîtrise par la grande majorité des entreprises de leurs sous-traitants. Le maintien dans l'avenir d'une proximité entre les entreprises de ce secteur et le service public de l'emploi serait un héritage important, concourant à la qualité des recrutements ultérieurs, et à la moralisation du secteur ».
Au-delà des JOP, le secteur de la sécurité privée demeure confronté à de nombreux défis, au premier rang desquels un déficit d'agents estimé à environ 20 000 personnes par le CNAPS. Le développement et la professionnalisation du secteur demeurent donc des enjeux prioritaires. Si l'important soutien de l'État a permis de surmonter certaines carences, notamment en matière de ressources humaines, celui-ci ne peut en effet se prolonger à l'excès au-delà des JOP. La mission d'information appelle donc la filière à capitaliser sur la dynamique créée par l'évènement pour poursuivre sa montée en puissance, en particulier en prévision de la tenue des jeux Olympiques d'hiver dans les Alpes françaises en 2030.
EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons le rapport de Marie-Pierre de la Gontrie et Françoise Dumont, au titre de notre mission d'information sur le bilan de la mise en oeuvre de la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024 (vidéoprotection intelligente et sécurité privée)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Avec cette mission d'information sur le bilan de la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 - dite « loi JOP » -, notre commission se penche une deuxième fois sur le thème de la sécurisation des Jeux, et nos travaux s'inscrivent dans le droit fil de ceux que j'ai conduits au printemps dernier avec notre collègue Agnès Canayer.
Entretemps, les Jeux ont bien eu lieu et, chacun peut en convenir, ont été un succès à maints égards, et en particulier du point de vue sécuritaire.
Pourquoi une seconde mission ? Deux aspects au moins nous paraissaient justifier une évaluation parlementaire a posteriori : la mise en oeuvre de l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique instituée par la loi JOP et devant prendre fin au 31 mars 2025 ; ensuite, la mobilisation historique de la sécurité privée pour l'organisation des JOP.
Les enjeux liés à la vidéoprotection algorithmique sont nouveaux, complexes et sensibles. J'en présenterai quelques éléments de contexte, avant que Françoise Dumont ne vous présente nos recommandations.
De quoi parle-t-on ? La vidéoprotection algorithmique, cela consiste à appliquer à des images captées par les systèmes de vidéoprotection traditionnels une technologie d'intelligence artificielle (IA), que l'on a entraînée à détecter certains évènements en temps réel. De tels systèmes avaient été mis en oeuvre notamment par la SNCF, la RATP et par plusieurs collectivités locales dans le silence de la loi, jusqu'à ce que la Cnil, dans une position publiée en 2022, n'appelle à un encadrement légal de l'usage de ces technologies à des fins de sécurité publique. Ainsi, l'article 10 de la loi JOP vise-t-il à mettre la vidéoprotection algorithmique au service de l'organisation des Jeux dans des conditions juridiquement sécurisées.
Tout d'abord, le cadre législatif confère à l'expérimentation une finalité et un objet limités : la sécurisation de grandes manifestations sportives, récréatives ou culturelles particulièrement exposées à des risques de terrorisme ou d'atteintes graves à la sécurité des personnes. Cela concerne bien sûr les JOP, mais pas exclusivement. Dans ce cadre, la vidéoprotection algorithmique ne pourrait être utilisée que pour détecter des évènements prédéterminés en lien direct avec cette finalité. Huit « cas d'usage » ont ainsi été définis par voie réglementaire : la présence d'objets abandonnés ; la présence ou l'utilisation d'armes ; la circulation d'une personne ou d'un véhicule dans un sens interdit ; l'intrusion d'une personne ou d'un véhicule dans une zone interdite ; la présence d'une personne au sol à la suite d'une chute ; les mouvements de foule ; une densité trop importante de personnes ; les départs de feux.
La loi a également réservé la faculté de mettre en oeuvre cette expérimentation à un nombre limité d'acteurs : les forces de sécurité intérieure, les services d'incendie et de secours, les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, ainsi que les polices municipales - et à chaque fois, l'autorisation de mettre en oeuvre l'expérimentation doit reposer sur un arrêté préfectoral.
Enfin, la loi a prévu des garanties juridiques indispensables. La première, c'est l'interdiction du recours à la biométrie et à la reconnaissance faciale, qui constitue une ligne rouge absolue. La deuxième, tout aussi importante à notre sens, c'est le principe de « primauté humaine » qui veut que les traitements expérimentés demeurent en permanence sous le contrôle des personnes chargées de leur mise en oeuvre et ne peuvent fonder, par eux-mêmes, aucune décision individuelle ni acte de poursuite. Je rappelle que, dans le cadre de l'expérimentation, le traitement n'a vocation à être utilisé qu'en temps réel. Un monopole de l'État est également prévu pour le choix de la technologie utilisée. Les décrets d'application ont précisé certaines exigences parmi lesquelles une obligation de supervision permanente du ministère de l'intérieur sur la conception des traitements, y compris lors de leur phase de paramétrage et de calibration sur les caméras des services utilisateurs.
Le dispositif est donc strictement encadré. L'un des acteurs que nous avons auditionnés l'a décrit comme l'équivalent d'une simple « tape sur l'épaule » de l'agent, qui permet de lui signaler les images à regarder sur son écran de contrôle.
Pour autant, et bien que les possibilités offertes par la vidéoprotection algorithmique soient indéniablement intéressantes, nous devons nous garder de prendre ses enjeux à la légère.
La Cnil l'a justement souligné, ces technologies emportent un changement de degré et de nature dans la surveillance de la voie publique. Jusqu'ici, cette surveillance était fortement limitée par les capacités d'analyse des personnes placées derrière l'écran de contrôle. Avec la vidéoprotection algorithmique, cette analyse devient généralisée, et permet de détecter des évènements jugés à risques, à l'aune d'une normalité qui ne saurait, par construction, être complètement neutre et qui encourt toujours le risque d'être affectée par certains biais.
Cette observation doit nous conduire à appréhender ces solutions avec la plus grande vigilance. Elle plaide également pour une évaluation rigoureuse de leur efficacité et de l'atteinte qu'elles sont susceptibles de porter aux libertés publiques. C'est un point auquel nous tenions tout particulièrement lors de la loi JOP.
Force est de constater que l'exercice d'évaluation a été ici mené avec le plus grand sérieux par le comité indépendant présidé par Christian Vigouroux, dont nos collègues Nadine Bellurot et Jérôme Durain étaient membres. C'est un motif de satisfaction, d'autant plus que les évaluations que le Gouvernement effectue des expérimentations législatives sont de qualité très variable. Le rapport remis au Parlement est clair, précis, et documenté - il a largement permis d'éclairer nos travaux.
Mme Françoise Dumont, rapporteure. - Disons-le d'emblée : loin de l'ambition initiale, l'expérimentation n'a pas été suffisante pour établir l'intérêt de la vidéoprotection algorithmique.
Deux solutions seulement ont été déployées, et le rapport du « comité Vigouroux » ne traite que d'une seule d'entre elles. De plus, alors que l'expérimentation devait durer deux ans, la mise en oeuvre opérationnelle n'a duré que neuf mois et elle n'a été effectuée que ponctuellement, du fait de la condition tenant à la sécurisation des manifestations sportives, récréatives et culturelles.
Cette portée limitée rend difficile de préconiser la pérennisation ou l'abandon du dispositif. C'est pourquoi, avec ma collègue, nous concluons à l'opportunité de la prolongation de cette expérimentation.
Commençons par l'aspect quantitatif : le comité d'évaluation recense une trentaine d'évènements ayant donné lieu à une utilisation opérationnelle de la vidéoprotection algorithmique - pour des durées très variables, allant d'un ou deux jours à trois semaines pour les JOP ou la sécurisation des marchés de Noël -, dans environ 70 lieux différents et au moyen d'environ 800 caméras.
Quatre utilisateurs se sont lancés dans l'expérimentation : la préfecture de police à Paris, la RATP et la SNCF (celle-ci n'ayant mis en oeuvre l'expérimentation qu'en région parisienne) et la ville de Cannes.
On peut s'interroger sur le faible nombre d'utilisateurs, en particulier de communes ; l'AMF nous a indiqué ces facteurs d'explication : la restriction de l'expérimentation aux seules manifestations sportives, récréatives et culturelles, pour une utilisation ponctuelle et un coût relativement élevé, la méconnaissance du dispositif et l'absence de communication auprès des collectivités mais aussi le caractère clivant de la vidéoprotection algorithmique. La ville de Cannes a également mis en avant que le fait de réserver aux policiers municipaux l'utilisation de ces logiciels, à l'exclusion des autres agents qui utilisent habituellement ces systèmes, entraîne d'importantes difficultés opérationnelles, d'autant que la vocation principale des policiers municipaux, lors de grands évènements, est d'être mobilisés sur la voie publique.
Plusieurs choix ont limité la portée et donc l'intérêt de l'expérimentation.
En premier lieu, la durée effective de l'expérimentation a été limitée par les délais inhérents à la publication des textes réglementaires et à la passation du marché public national - puisque la loi a confié à l'État le monopole de l'acquisition de ces solutions. Ce choix s'est traduit par des délais incompressibles : c'est seulement au printemps 2024, près d'un an après l'adoption de la loi JOP et quelques mois avant le début des Jeux, que les premiers essais ont pu avoir lieu.
En deuxième lieu, et compte tenu de ce calendrier contraint, deux choix ont été faits lors de la passation du marché, que le comité d'évaluation qualifie de « structurants » : exclure le recours à la captation d'images par drone ainsi qu'aux logiciels mettant en oeuvre une IA comportant un apprentissage automatique (ou encore auto-apprenante) ; ce dernier choix a conduit à écarter certaines solutions peut-être plus perfectionnées, qui posent néanmoins des questions juridiques et pratiques plus complexes.
En troisième lieu, le recours à un marché public national - qui procède du monopole conféré à l'État dans le choix des solutions - a fortement limité le nombre de solutions évaluées. L'accord-cadre comportait trois lots géographiques et un lot thématique (transports en commun et infrastructures). Le lot « Île-de-France » et le lot thématique ont été attribués à un même prestataire, la société Wintics : son logiciel a donc été le seul mis en oeuvre par la préfecture de police, la RATP et la SNCF - et en définitive le seul réellement évalué. La ville de Cannes a mis en oeuvre un autre logiciel, celui de la société Videtics. Une troisième société a été attributaire d'un lot qui n'a donné lieu à aucune prestation.
En dernier lieu, les conditions de mise en oeuvre de l'expérimentation ont fortement contraint le paramétrage et le calibrage des solutions. Pour être efficaces, les logiciels requièrent des opérations assez chronophages : ajustement des caméras qui doivent être fixes et parfois redoublées, définition des zones observées, des évènements à prendre en compte et des seuils de détection, etc. - le tout sur une période suffisamment longue pour tenir compte des conditions météorologiques et de luminosité. Or, ce travail de paramétrage préalable, nécessairement réalisé in situ, a été regardé comme relevant de la phase de conception, et donc de la seule responsabilité de l'État - donc sous la supervision directe d'agents du ministère de l'intérieur -, ce qui a eu pour conséquence d'en limiter bien souvent la durée et, avec elle, l'efficacité du dispositif final.
Cette efficacité a été assez contrastée, les performances variant selon les cas d'usage et s'avérant : globalement satisfaisantes pour détecter l'intrusion dans une zone non autorisée, la circulation dans un sens non autorisé et la densité trop importante de personnes ; incertaines pour détecter les mouvements de foule (très peu de signalements) ; inégales pour détecter des objets abandonnés ainsi que le port d'armes à feu (ce dernier cas d'usage n'ayant été testé que par la commune de Cannes) ; très insatisfaisantes pour détecter des départs de feu et la présence d'une personne au sol.
Ce bilan ne porte évidemment que sur les deux solutions mises en oeuvre et évaluées, et principalement sur celle de la solution Wintics ; sa portée doit donc être largement relativisée.
Les outils de vidéoprotection algorithmique ont donné lieu à un nombre réduit d'interventions sur le terrain : on en dénombre par exemple une seule pour la préfecture de police et sept pour la SNCF, principalement pour des cas d'intrusion et plus rarement pour des objets abandonnés. Mais ce nombre d'interventions n'est pas la seule mesure de l'efficacité de ces outils : c'est plutôt la qualité des signalements qu'ils remontent à l'attention de l'opérateur, à qui il appartient d'apprécier la situation et de décider des mesures qu'elle implique.
Enfin, au dire des utilisateurs, l'intérêt de l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique a été limité tout simplement par la mobilisation exceptionnelle des forces de l'ordre à l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques et de certains évènements qui les ont précédés. Cependant, les utilisateurs ont unanimement sollicité la prolongation, voire la pérennisation de ce dispositif, mettant en avant le potentiel de ces technologies.
Conformément à ce qu'avait prévu le législateur, le dispositif a fait l'objet d'un contrôle particulièrement vigilant opéré par la Cnil, qui a diligenté plusieurs opérations de contrôle et qui a constaté que les dispositifs mis en oeuvre étaient conformes à la réglementation. Le comité d'évaluation est parvenu à la même conclusion, s'agissant tant des exigences procédurales (à une seule exception) et des conditions de fond posées par la loi, que des exigences de confidentialité et de conservation des données. Il a jugé, plus généralement, que ce dispositif expérimental « ne heurte les libertés publiques ni dans sa conception ni dans sa mise en oeuvre ». Il a néanmoins relevé que l'information des personnes s'est révélée insuffisante, ses modalités étant souvent trop discrètes - parfois limitée, dans certaines gares, à des affiches au format A4.
Il nous paraît difficile de justifier, à partir d'un tel bilan, une pérennisation ou un abandon de ce dispositif. Nous arrivons à la conclusion qu'il faut aller au bout de la démarche expérimentale qu'avait souhaitée le législateur en 2023.
Nous recommandons donc une prolongation de l'expérimentation - c'est d'ailleurs ce que vient de voter l'Assemblée nationale, à l'initiative du Gouvernement, dans la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports, issue d'une initiative de notre ancien collègue Philipe Tabarot, dont la CMP devrait se tenir début mars.
La sensibilité du sujet et les enjeux de ces technologies vis-à-vis des libertés publiques, nous paraissent justifier le choix d'une approche faite d'expérimentations successives, rigoureusement évaluées, pour ajuster au mieux l'encadrement du dispositif.
Les principes fondamentaux de l'expérimentation doivent être confortés, au premier rang desquels l'interdiction du recours à la biométrie et de la reconnaissance faciale, la « primauté humaine » dans le fonctionnement des dispositifs et une limitation d'utilisation pour des cas d'usage prédéterminés liés à des risques pour la sécurité des personnes.
Plusieurs aménagements devraient toutefois être envisagés pour tirer pleinement profit de l'expérimentation.
Premièrement, et à plus forte raison désormais que les JOP sont terminés, il faut envisager la possibilité de déployer le dispositif sur une période plus longue, en dehors de grands évènements sportifs ou culturels. Les circonstances de mise en oeuvre autorisant le déploiement de ces technologies devraient demeurer rigoureusement encadrées, et concerner des zones clairement délimitées et présentant des risques de sécurité importants, pour des cas d'usage strictement proportionnés.
Deuxièmement, s'agissant des communes participant à l'expérimentation, la condition tenant à ce que les outils ne puissent être mis en oeuvre que par des policiers municipaux pourrait être moins stricte : pourraient participer les agents communaux opérant habituellement les systèmes de vidéoprotection, dûment formés et habilités et sous la supervision d'un policier municipal.
Troisièmement, pour expérimenter un plus grand nombre de solutions, il faudrait que les opérateurs aient plus d'autonomie dans le choix des solutions de vidéoprotection algorithmique, dans des conditions qui resteraient rigoureusement encadrées et contrôlées par le ministère de l'intérieur, la Cnil et l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). L'exigence de supervision permanente par un agent du ministère de l'intérieur au cours de la phase de calibration devrait également être assouplie.
Outre le contrôle par l'État et la Cnil, les aménagements devraient s'accompagner d'un renforcement de certaines garanties, comme l'information des personnes, dont le comité d'évaluation a souligné les insuffisances, et la formation des agents mettant en oeuvre ces signalements, qui devrait être harmonisée. Pour prévenir les difficultés rencontrées par le comité d'évaluation dans la mesure de la performance de ces outils, il conviendrait également d'associer tous les acteurs, et notamment les utilisateurs, à la définition d'une telle méthode.
Si ces mesures sont a priori de niveau réglementaire, la loi devrait consacrer et garantir l'indépendance du comité d'évaluation, dont le rôle est crucial - je salue, à mon tour, la qualité du travail qu'il a réalisé.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Je vous présente la deuxième partie de nos travaux, relative à la mobilisation de la sécurité privée pour la sécurisation des Jeux.
Ce volet avait suscité d'importantes inquiétudes avant l'évènement, du fait du volume inédit d'effectifs à recruter et à former dans des délais contraints, alors que la filière est encore en croissance. L'exemple, ou plutôt le contre-exemple londonien, a également alimenté ces préoccupations - les JO de 2012 à Londres avaient été marqués par la défaillance de la principale entreprise de sécurité privée, conduisant les forces armées à s'y substituer en urgence.
L'importance de l'enjeu nous avait donc déjà conduites, avec Agnès Canayer, à consacrer au sujet de la sécurité privée une part importante de nos travaux d'avril 2024. Nous avions salué les « efforts massifs déployés collectivement par le Cojop, l'État, les collectivités territoriales et la filière », tout en notant qu'un travail important restait à fournir ; 3 % des lots n'avaient ainsi toujours pas été attribués à cette date, tandis que des doutes subsistaient sur la capacité de la filière à être totalement opérationnelle le jour J. Sans être excessivement alarmiste, nous avions donc insisté sur la nécessité d'intensifier les actions engagées pour franchir le « dernier kilomètre ».
Six mois après les Jeux, chacun s'accordera à dire que ce dernier kilomètre a été avalé avec brio, grâce aux efforts conjugués des organisateurs, des services de l'État, des collectivités territoriales ainsi que de la filière de la sécurité privée. Ce travail d'équipe a permis à la filière de la sécurité privée de se hisser à la hauteur de cet évènement planétaire, dont la réussite reposait en partie sur ses épaules.
Les chiffres publiés par le préfet de région Île-de-France parlent d'eux-mêmes : 25 800 personnes ont été formées au métier de la sécurité privée en l'espace de deux ans et près de 22 000 recrutements assurés en amont des jeux, soit des résultats supérieurs aux objectifs. En tout, la sécurisation des jeux a mobilisé plus de 200 entreprises et 27 500 agents de sécurité privée.
Cette réussite a été rendue possible par un accompagnement constant et sur-mesure de l'État. Il s'est en partie substitué à la filière pour identifier les candidats, les former et faciliter leur recrutement.
Si la crainte de défaillances, les fameux « no-show », demeurait présente à l'approche de l'évènement, les agents de sécurité privé ont exercé leurs missions avec professionnalisme et efficacité. Les quelques dysfonctionnements, marginaux, ont été traités avec une grande réactivité. Plus de 2 000 recrutements ont même été opérés pendant les Jeux - presque en temps réel -, afin de s'adapter aux besoins constatés sur le terrain.
Avec Françoise Dumont, nous tenons à saluer cet important succès collectif qui démontre le savoir-faire de la France pour l'organisation de grands évènements. Il est aussi porteur de promesses pour le développement de la filière de la sécurité privée. L'évènement a amorcé une reconfiguration du secteur, avec l'affirmation de nouvelles « petites » entreprises, car certaines grandes entreprises auraient choisi de ne pas candidater, préférant garder leur portefeuille de clients. Il appartiendra à la filière de capitaliser sur ce succès pour poursuivre son développement, dans la mesure où l'État ne pourra maintenir indéfiniment le même niveau d'accompagnement. Les Jeux Olympiques d'hiver de 2030 seront une échéance clé pour confirmer cette montée en puissance de la sécurité privée.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci pour ce travail sérieux et vos propositions pertinentes.
M. Jean-Michel Arnaud. - Les évaluations actuelles sont très importantes, on devra en tirer avantage pour les grands événements à venir, au-delà même des jeux Olympiques d'hiver de 2030.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Effectivement, les JOP de Paris, dont tout le monde redoutait qu'ils se passent mal, ont été un creuset d'expériences très utiles à une échelle plus large.
Mme Corinne Narassiguin. - Bravo et merci à nos rapporteures, leur travail complète très utilement celui de la mission d'information qui avait précédé les JOP. On voit bien que l'héritage des Jeux de 2024 va bien au-delà de l'organisation de grands événements. L'expérience acquise est importante sur de nouvelles techniques en matière de sécurité publique, mais il faudra être très attentifs à la poursuite de l'expérimentation et à son évaluation. Cela vaut aussi pour la sécurité privée, il serait intéressant d'évaluer ce qui a bien fonctionné, pour voir ce qui peut être pérennisé.
Mme Françoise Dumont, rapporteure. - Nous vous proposons ce titre pour notre rapport : « Vidéoprotection algorithmique, sécurité privée : après les JOP, jouons les prolongations. »
Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci. Je mets aux voix les recommandations de nos rapporteures, ainsi que le rapport d'information.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 14 h 30.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes du ministère de l'intérieur
Mme Julie Mercier, directrice
Colonel Barth Olivier, Sous-directeur des acteurs de la sécurité du quotidien et de la stratégie territoriale
Mme Elisabeth Sellos-Cartel, cheffe du bureau de la vidéoprotection et de la sécurité électronique
Comité d'évaluation de l'expérimentation
M. Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d'État, président du comité d'évaluation
M. Benjamin Nguyen, professeur d'informatique, membre du comité d'évaluation
Commission nationale de l'informatique et des libertés
Mme Marie-Laure Denis, présidente
M. Louis Dutheillet de Lamothe, secrétaire général
M. Belaïd Aït Hamouda, auditeur des systèmes d'information au sein de service des contrôles - ressources humaines, santé et affaires publiques
Mme Chirine Berrichi, conseillère pour les questions parlementaires et institutionnelles
Préfecture de la région Île-de-France, préfecture de Paris
M. Marc Guillaume, préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris
M. Gaëtan Rudant, directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS)
Mme Nadine Crinier, directrice régionale France Travail
Mme Emmanuelle Oudéa, chargée de mission emploi, cheffe mission ville
Préfecture de police de Paris
M. Laurent Nuñez, Préfet de police
Mme Juliette de Clermont Tonnerre, conseillère stratégie et relations publiques
Mme Anne-Florence Canton, directrice de l'innovation, de la logistique et des technologies
Mme Aurélie Lebourgeois, chef de la mission Jeux Olympiques au secrétariat général de la zone de défense et de sécurité
SNCF
M. Christophe Bouteille, directeur de la sûreté
M. Bertrand Grynszpan, conseiller du directeur de la sûreté
M. Nicolas Despalles, responsable laboratoire innovation sûreté
Mme Laurence Nion conseillère parlementaire
RATP :
M. Didier Robidoux, directeur de la sûreté
M. Thomas Hartog, directeur des affaires publiques
Conseil national des activités de la sécurité privée
M. David Clavière, directeur
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
- Direction générale de la police nationale (DGPN)
- Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)
- Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS)
- Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)
- Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques d'été de 2024 (COJOP 2024)
- Association des maires de France (AMF)
- Ville de Cannes
- Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH)
- La Quadrature du net
- Groupement des entreprises de sécurité (GES)
- Wintics
- Videtics
- Chapsvision
TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI
Proposition |
Acteurs concernés |
Calendrier prévisionnel |
Support |
Proposition n° 1 - Prolonger l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique avant d'envisager toute pérennisation |
Ministère de l'Intérieur |
2025 |
Loi |
Proposition n° 2 - Sans remettre en cause ses principes fondamentaux et garanties juridiques, prévoir des aménagements pour exploiter pleinement les potentialités de l'expérimentation : - permettre la mise en oeuvre du dispositif, même en l'absence de grandes manifestations sportives, récréatives ou culturelles, en vue de la surveillance de zones clairement délimitées à l'aune de risques sécuritaires importants, pour des cas d'usage strictement proportionnés ; - étendre le champ des agents autorisés à accéder aux signalements à des agents communaux n'appartenant pas à la police municipale, à condition que ces agents soient en nombre limité, nominativement désignés, dûment formés et habilités, et restent sous la supervision d'un policier municipal ; - conférer davantage d'autonomie aux services utilisateurs pour le choix et la calibration des solutions technologiques à expérimenter, dans des conditions qui resteraient rigoureusement encadrées et contrôlées par le ministère de l'intérieur ainsi que la CNIL. |
Ministère de l'Intérieur |
2025 |
Loi |
Proposition n° 3 - Renforcer et harmoniser les formations préalables à l'habilitation des agents chargés de la mise en oeuvre opérationnelle de l'expérimentation |
Ministère de l'Intérieur, services utilisateurs de l'expérimentation (préfecture de police, RATP, SNCF...) |
2025 |
Décret, actions des services utilisateurs de l'expérimentation |
Proposition n° 4 - Renforcer le dispositif d'information des personnes sur la mise en oeuvre de l'expérimentation |
Services utilisateurs de l'expérimentation (préfecture de police, RATP, SNCF...) |
2025 |
Actions des services utilisateurs de l'expérimentation |
Proposition n° 5 - Conforter le dispositif d'évaluation de l'expérimentation par un comité ad hoc et dont l'indépendance serait garantie par la loi, qui pourrait publier des avis et rapports intermédiaires. Dans ce cadre, associer davantage et en amont les utilisateurs à la définition des méthodes d'évaluation des techniques expérimentées. |
Ministère de l'intérieur, comité d'évaluation, services utilisateurs de l'expérimentation (préfecture de police, RATP, SNCF...) |
2025 |
Loi, actions du comité d'évaluation et des services utilisateurs de l'expérimentation |
LE CONTRÔLE EN CLAIR
POUR CONSULTER LA PAGE DE LA MISSION
D'INFORMATION
* 1 Rapport d'information n° 527 (2023-2024) fait par Agnès Canayer et de Marie-Pierre de La Gontrie au nom de la commission des lois du Sénat sur l'application de la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, déposé le 10 avril 2024.
* 2 Voir propositions nos 8 à 12.
* 3 Préfet de la région Île-de-France, « La mobilisation des services de l'État pour l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 », septembre 2024.
* 4 Rapport n° 248 (2022-2023) sur le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions fait par Agnès Canayer au nom de la commission des lois, déposé le 18 janvier 2023.
* 5 Rapport d'information n° 527 (2023-2024) fait par Agnès Canayer et de Marie-Pierre de La Gontrie au nom de la commission des lois du Sénat sur l'application de la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, déposé le 10 avril 2024.
* 6 Parallèlement aux travaux du comité d'évaluation mis en place en application du XI de l'article 10 de la loi du 19 mai 2023.
* 7 Sur cet enjeu sémantique, le rapport du comité d'évaluation de l'expérimentation a relevé que les termes « intelligente » ou « augmentée » appliquée à la vidéoprotection, en raison de leur connotation positive, n'étaient pas adaptés pour désigner un dispositif soumis à l'évaluation. Pour cette même raison, le présent rapport privilégie le terme neutre de vidéoprotection « algorithmique ».
* 8 CNIL, Caméras dites « intelligentes » ou « augmentées » dans les espaces publics, position sur les conditions de déploiement, juillet 2022, p. 9.
* 9 Conseil d'État, avis n° 406383 du 15 décembre 2022.
* 10 Loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions.
* 11 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, p. 26.
* 12 Le rapport n° 248 (2022-2023) fait par Agnès Canayer au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi « JOP » soulignait à cet égard que « l'introduction d'une base législative spécifique pour les usages en matière de sécurité ne conduira pas à interdire de fait tous les autres usages de la vidéoprotection « intelligente » ou « augmentée » qui peuvent être mis en oeuvre sans nécessité d'encadrement par un texte - comme par exemple certains dispositifs à vocation statistique - ou pouvant être autorisés par voie réglementaire. »
* 13 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, p. 20.
* 14 Avis n° 23-181232 publié le 5 janvier 2024 au Bulletin officiel des marchés publics.
* 15 « Assurant qu'à tout instant le traitement ne fonctionne que sous la supervision des personnes qui le mettent en oeuvre ».
* 16 « 1° Lorsque le traitement algorithmique employé repose sur un apprentissage, des garanties sont apportées afin que les données d'apprentissage, de validation et de test choisies soient pertinentes, adéquates et représentatives. Leur traitement doit être loyal et éthique, reposer sur des critères objectifs et permettre d'identifier et de prévenir l'occurrence de biais et d'erreurs. Ces données font l'objet de mesures de sécurisation appropriées ;
« 2° Le traitement comporte un enregistrement automatique des signalements des événements prédéterminés détectés permettant d'assurer la traçabilité de son fonctionnement ;
« 3° Le traitement permet des mesures de contrôle humain et un système de gestion des risques permettant de prévenir et de corriger la survenue de biais éventuels ou de mauvaises utilisations ;
« 4° Les modalités selon lesquelles, à tout instant, le traitement peut être interrompu sont précisées ;
« 5° Le traitement fait l'objet d'une phase de test conduite dans des conditions analogues à celles de son emploi autorisé par le décret mentionné au V, attestée par un rapport de validation.
« Lorsque le traitement est développé ou fourni par un tiers, celui-ci fournit une documentation technique complète et présente des garanties de compétence, de continuité, d'assistance et de contrôle humain en vue notamment de procéder à la correction d'erreurs ou de biais éventuels lors de sa mise en oeuvre et de prévenir leur réitération. Il transmet également une déclaration, dont les modalités sont fixées par décret, des intérêts détenus à cette date et au cours des cinq dernières années. »
* 17 Décret n° 2023-828 du 28 août 2023 relatif aux modalités de mise en oeuvre des traitements algorithmiques sur les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection et de caméras installées sur des aéronefs, pris en application de l'article 10 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions.
* 18 Dans son avis sur le projet de loi du 22 décembre 2022, l'Assemblée générale du Conseil d'État a rappelé que « les dispositions du projet, compte tenu des enjeux que comporte cette première expérimentation du recours à l'intelligence artificielle pour l'assistance au maintien de l'ordre doivent être interprétées comme réservant l'initiative du développement de ces logiciels à l'État sans interdire de les mettre à disposition de services qui le demanderaient, moyennant le cas échéant rémunération ».
* 19 Avis n° 23-111597 publié au BOAMP le 6 août 2023
* 20 Le rapport du comité d'évaluation le définit comme « l'aptitude à améliorer leurs performances en fonction des données collectées, au fur et à mesure de leur utilisation par les opérateurs » ; cela a pour conséquence que les traitements retenus « ont été certes « entraînés » par le prestataire à identifier certaines situations à risque, mais une fois fournis aux opérateurs et mis en place à des fins opérationnelles, ils ne continuent pas de « s'entraîner ». Leurs performances intrinsèques demeurent donc, à partir de ce moment, inchangées. »
* 21 L'avis d'appel à la concurrence précisait qu'« un soumissionnaire ne peut pas être attributaire de rang 1 sur plusieurs lots géographiques (lot 1 à 3) » ; un même prestataire pouvait se voir attribuer un lot géographique et le lot thématique, ce qui s'est effectivement produit.
* 22 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, p. 14.
* 23 La préfecture de police de Paris a ainsi indiqué aux rapporteures que « l'utilisation de l'IA sur une caméra demande un travail fin de paramétrage préalable pour obtenir un résultat optimal ». La SNCF a constaté que « la phase de calibration est une phase cruciale pour garantir la pertinence des signalements remontés et ainsi garantir une exploitation optimale du dispositif par les agents opérationnels. »
* 24 Audition du Préfet de police par la commission des lois de l'Assemblée nationale, 25 septembre 2024.
* 25 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, p. 65.
* 26 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, p. 48.
* 27 Réponses aux questionnaires adressés par les rapporteures à la préfecture de police, à la SNCF, à la RATP et à la commune de Cannes.
* 28 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).
* 29 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
* 30 Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l'intelligence artificielle.
* 31 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, p. 98.
* 32 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, p. 94.
* 33 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, p. 63.
* 34 Idem, p. 92.
* 35 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, p. 108.
* 36 Réponses au questionnaire adressé par les rapporteures.
* 37 Idem.
* 38 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, pp. 44-45.
* 39 Rapport du comité d'évaluation de traitements algorithmiques d'images légalement collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, janvier 2025, p. 87.
* 40 Sénat, rapport d'information n° 527 (2023-2024) d'Agnès Canayer et de Marie-Pierre de la Gontrie sur l'application de la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, 10 avril 2024.
* 41 Voir propositions n° 8 à 12.
* 42 Préfet de la région d'Île-de-France, « La mobilisation des services de l'État pour l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 », septembre 2024.
* 43 Pour rappel, moins de la moitié des lots avaient été attribués à l'été 2023, tandis que 3 % demeuraient encore à attribuer à la fin du mois de mars 2024.
* 44 Au titre des règles établies par les organisateurs, la sécurisation d'un site ne pouvait ainsi être attribuée à plus de 50 % à une même entreprise.
* 45 Préfet de la région d'Île-de-France, « La mobilisation des services de l'État pour l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 », septembre 2024.
* 46 Une prime de 600 euros était attribuée aux personnes ayant suivi la formation de 108 heures (dont 400 euros à la signature du contrat d'embauche par un attributaire) et de 2000 euros pour celles ayant suivi la formation de 175 heures (dont 1 400 euros à la signature).
* 47 Les organismes de formation procédaient à un envoi hebdomadaire d'une liste de candidats certifiés, permettant au CNAPS de traiter immédiatement les demandes (la demande de délivrance ayant formellement été effectuée en même temps que celle de l'entrée en formation).
* 48 Avec la possibilité de prise en charge de 50 % du coût des formations dans la limite de 20 jours et de 15 000 euros hors taxes.