N° 1531

 

N° 708

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2024 - 2025

Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 5 juin 2025

 

le 5 juin 2025

     

RAPPORT

au nom de

L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

sur

Protéines et alimentation

par

M. Philippe BOLO, député
et M. Arnaud BAZIN, sénateur

VERSION PROVISOIRE

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Premier vice-président de l'Office

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Stéphane PIEDNOIR,

Président de l'Office

     

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur

Premier vice-président

M. Pierre HENRIET, député

Vice-présidents

M. Jean-Luc FUGIT, député

M. Gérard LESEUL, député

M. Alexandre SABATOU, député

Mme Florence LASSARADE, sénatrice

Mme Anne-Catherine LOISIER, sénatrice

M. David ROS, sénateur

   

DÉPUTÉS

SÉNATEURS

M. Alexandre ALLEGRET-PILOT

M. Maxime AMBLARD

M. Philippe BOLO

M. Éric BOTHOREL

M. Joël BRUNEAU

M. François-Xavier CECCOLI

M. Maxime LAISNEY

Mme Mereana REID ARBELOT

M. Arnaud SAINT-MARTIN

M. Emeric SALMON

M. Jean-Philippe TANGUY

Mme Mélanie THOMIN

M. Stéphane VOJETTA

Mme Dominique VOYNET

M. Arnaud BAZIN

Mme Martine BERTHET

Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP

M. Patrick CHAIZE

M. André GUIOL

M. Ludovic HAYE

M. Olivier HENNO

Mme Sonia de LA PROVÔTÉ

M. Pierre MÉDEVIELLE

Mme Corinne NARASSIGUIN

M. Pierre OUZOULIAS

M. Daniel SALMON

M. Bruno SIDO

M. Michaël WEBER

AVANT-PROPOS

En octobre 2023, le Président de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a saisi l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques d'une demande d'étude consacrée aux protéines dans l'alimentation, visant à éclairer les débats sur les questions de transitions, de souveraineté alimentaire, ainsi que les opportunités et les menaces à connaître pour aider aux prises de décisions législatives.

Ces travaux ont été menés sur une période longue, afin d'entendre une multitude d'interlocuteurs, y compris ceux de l'écosystème des protéines alternatives, qui connaît un foisonnement d'initiatives depuis quelques années.

Les protéines jouent un rôle essentiel dans l'alimentation. Disposer de protéines en quantité et en qualité suffisantes est nécessaire pour nourrir les humains ainsi que les animaux qui entrent dans la chaîne alimentaire globale.

Définir le bon niveau et la bonne manière de fournir des protéines à l'ensemble de la population est une question complexe. D'abord parce que les aliments que nous consommons ne se résument pas à leur composition en protéines. Celles-ci ne sont que l'un de leurs composants avec les lipides, les glucides, mais aussi les minéraux ou encore les vitamines. Ensuite car les enjeux quantitatifs et qualitatifs sont imbriqués : il n'y a pas de « bonne protéine » en soi.

S'intéresser à la question des protéines conduit à s'interroger sur l'impact qu'elles peuvent avoir sur la santé humaine. De ce point de vue, la consommation de protéines dans les pays développés excède les besoins physiologiques et la part des protéines animales est assez élevée puisqu'elles assurent environ deux tiers des apports alors que les recommandations nutritionnelles généralement admises s'établissent à environ 50/50 entre protéines animales et protéines végétales.

Une large part des productions végétales est mobilisée pour les animaux. Selon la FAO, environ 40 % des terres arables mondiales sont utilisées pour produire des aliments pour animaux. En comptant les prairies, ce sont environ 70 % des terres agricoles qui sont directement ou indirectement consacrées à l'élevage. À l'échelle mondiale, une progression même modérée de la consommation de protéines animales combinée à la croissance démographique constitue donc un défi majeur. On peut légitimement douter de la soutenabilité d'une augmentation de la consommation de protéines animales.

En outre, l'impact environnemental de l'élevage constitue une source de préoccupation. Si les ruminants assurent la valorisation des prairies et de vastes territoires peu propices à une mise en culture, l'élevage est aussi un émetteur de gaz à effet de serre (GES). Les multiples formes d'élevage ont des impacts différenciés sur l'environnement, mais globalement, l'enjeu climatique est un second facteur critique de la réflexion sur le bon niveau d'approvisionnement en protéines dans l'alimentation.

La technologie peut venir au secours de la réflexion sur les protéines dans l'alimentation, dans la mesure où l'on peut diversifier les sources d'apport, en recourant à des vecteurs connus, comme les insectes, mais aussi en innovant, à travers la fermentation de précision ou encore la culture cellulaire. La technologie permet aussi d'enrichir les apports nutritionnels des sources végétales de protéines, pour mieux répondre aux besoins des consommateurs.

Il convient enfin de questionner les leviers de transformation des habitudes de consommation alimentaire et la faisabilité d'une transition alimentaire qui rééquilibrerait la part des protéines animales par rapport aux protéines végétales et qui répondrait à la fois à l'objectif d'une alimentation saine et bénéfique à la santé des populations, et à celui d'une moindre pression sur l'environnement et les milieux naturels, tout en étant socialement et économiquement acceptable pour l'ensemble des parties prenantes, y compris les agriculteurs.

I. LES PROTÉINES, COMPOSANT ESSENTIEL D'UN « ÉQUILIBRE ALIMENTAIRE » POUVANT RÉSULTER DE MULTIPLES COMBINAISONS

A. DES BESOINS D'APPORTS PROTÉIQUES DANS L'ALIMENTATION LARGEMENT COUVERTS

1. Les protéines, composant essentiel de l'alimentation
a) Définition des protéines et rôle dans l'organisme

Les protéines sont des macromolécules que l'on trouve dans les cellules mais aussi en dehors (les hormones, par exemple, sont excrétées par les cellules pour agir sur d'autres cellules) qui comprennent des chaînes d'acides aminés (structure de type H2N-HC-COOH) dont la séquence en acide aminé est dictée par le gène codant la protéine en question.

Les protéines sont impliquées dans toutes les grandes fonctions physiologiques en raison de leur structure tridimensionnelle. En effet, pour prendre leur forme finale, de nombreuses protéines passent par une phase de « modifications post-transcriptionnelles », pendant laquelle elles subissent des modifications après avoir été synthétisées. Ces modifications leur permettent de se « plier » de la bonne manière pour remplir leurs fonctions.

Celles-ci sont variées au sein de la cellule ou de l'organisme :

- certaines protéines ont des fonctions enzymatiques, c'est-à-dire catalysent des réactions chimiques dans l'organisme (polymérases) ;

- d'autres ont des fonctions structurales (actine, kératine, collagène) ;

- d'autres un rôle hormonal (insuline, hormone de croissance) ;

- d'autres encore un rôle moteur (myosine) ou de transport (hémoglobine, qui transporte l'oxygène).

Les protéines sont indispensables à la croissance, au renouvellement des tissus et au maintien des fonctions des organismes vivants.

Le corps humain rassemble 10 000 types de protéines différents. Les protéines représentent environ 10 kg sur un poids total d'un adulte de 70 kg. Environ 40 % d'entre elles sont stockées dans nos muscles.

Les protéines apportées par l'alimentation sont dégradées en acides aminés (protéolyse) puis synthétisées par l'organisme en recomposant les acides aminés (protéosynthèse) disponibles dans le cadre d'un processus continu représentant de l'ordre de 250 à 300 grammes de protéines par jour, soit un peu plus de 2,5 % de la masse protéique totale.

Ainsi les protéines sont en renouvellement constant dans l'organisme.

Illustration : la trypsine, une enzyme protéolytique sécrétée par le pancréas pour la digestion

 
 

Source : https://proteopedia.org/wiki/index.php/Trypsin

Les organismes vivants ne disposant pas de stocks d'acides aminés, ceux-ci ne peuvent être apportés que par l'alimentation. Pour que ce processus fonctionne, il convient que l'organisme reçoive une quantité suffisante de protéines à travers l'alimentation. L'apport nutritionnel conseillé (ANC) en protéines est évalué à 0,83 g/kg/jour pour un adulte en bonne santé.

Outre le besoin relevant de la fabrication d'autres protéines, celles-ci ont aussi un rôle en matière d'apport d'énergie à l'organisme, comme les glucides et les lipides.

En raison de leur effet élevé de satiété, les protéines apportées par l'alimentation sont particulièrement bénéfiques pour les personnes souffrant d'obésité ou atteintes de diabète. L'enrichissement de leur régime en protéines permet de limiter les autres catégories d'apports énergétiques.

Les protéines fournies par l'alimentation peuvent être d'origine animale (viande, lait, fromages, beurre, poissons, oeufs) ou végétale (légumes secs, pâtes et blé complet, riz complet, soja, fruits secs comme les noisettes et les amandes, levure, légumes).

La couverture des besoins en énergie

L'OMS définit les besoins énergétiques comme « la quantité d'énergie nécessaire pour compenser les dépenses et assurer une taille et une composition corporelle compatibles avec le maintien à long terme d'une bonne santé et d'une activité physique adaptée au contexte économique et social ». Ces besoins sont couverts par les macronutriments : lipides, glucides et protéines.

On considère que les besoins énergétiques exprimés en France sont de l'ordre de 2 500 à 2 700 kcal/jour pour les hommes et 2 000 à 2 200 kcal/jour pour les femmes. Les adolescents ont besoin d'un peu plus d'apports énergétiques, de l'ordre de 3 000 kcal/jour.

Les lipides fournissent 9 kcal par gramme tandis que les glucides et les protéines apportent 4 kcal par gramme.

L'équilibre recommandé entre ces trois macronutriments pour des apports en énergie s'établit ainsi :

- 45-50 % pour les glucides ;

- 35-40 % pour les lipides ;

- 15 % pour les protéines.

b) La place des protéines parmi les autres composants de l'alimentation

Les êtres humains, comme les animaux, ont besoin de s'alimenter pour assurer leur croissance et entretenir leur organisme. Outre les protéines, les nutriments nécessaires pour vivre peuvent être classés dans les catégories suivantes :

· Les glucides

Il existe plusieurs types de glucides (anciennement appelés hydrates de carbone du fait de leur composition moléculaire)1(*) que nous pouvons trouver dans notre alimentation : la cellulose (présente dans les cellules végétales), l'amidon (présent dans le tapioca, les céréales, les légumineuses, les tubercules, les oeufs...), les sucres (présents dans le miel, les fruits frais, les fruits secs, les sucres raffinés tirés de la betterave ou de la canne...). La teneur des aliments en glucides est variable.

Les glucides sont des assemblages de monosaccharides (glucose, fructose...). On retrouve à la fois des monosaccharides et des glucides plus « complexes » dans notre alimentation.

Selon l'Anses, un glucide est un polyalcool comportant une fonction aldéhydique (fonction pseudo-aldéhydique, car l'oxygène de l'aldéhyde est impliqué dans la forme cyclique de l'ose) ou cétonique. À quelques exceptions près, la formule brute des glucides est (CH2O)n avec n = 32(*).

Leur fonction consiste principalement à apporter l'énergie indispensable au bon fonctionnement de l'organisme. Les glucides représentent en général plus de 50 % des apports totaux recommandés en énergie.

L'index glycémique des aliments indique la vitesse à laquelle les monosaccharides contenus dans les glucides passent dans le sang, permettant de distinguer les sucres rapides (chocolat, miel, céréales raffinées) et les sucres lents.

Parmi les glucides, les fibres, provenant de céréales, de légumineuses de légumes ou de fruits, ne sont pas digérées ni absorbées par l'intestin grêle. Contrairement aux glucides digestibles (comme l'amidon et les sucres), les fibres alimentaires ne fournissent pas directement d'énergie à l'organisme. Cependant, leur rôle dans le maintien d'une bonne santé est primordial.

· Les lipides

Les lipides regroupent l'ensemble des corps gras.

Du point de vue chimique, les lipides sont principalement composés d'atomes de carbone (C), d'hydrogène (H) et d'oxygène (O), mais certains peuvent également contenir du phosphore (P) ou de l'azote (N).

Les principales sources de lipides sont les huiles et graisses végétales, les fruits oléagineux (amandes, noisettes, arachides, noix), le beurre, la crème, les olives, les oeufs, le fromage.

Ils sont considérés comme aliments « réchauffeurs », car ils véhiculent les vitamines liposolubles : A, D, E et K. Mais ils sont aussi une source d'énergie pour l'organisme. Ils sont également un constituant des membranes cellulaires et peuvent jouer un rôle de précurseur d'hormones.

Au sein des lipides, il faut distinguer les acides gras saturés des acides gras insaturés (acide gras linolénique, acide gras alphalinolénique).

Les acides gras saturés (AGS) ne possèdent aucune double liaison entre leurs atomes de carbone. Ils sont généralement solides à température ambiante et se trouvent principalement dans les graisses animales (beurre, saindoux, viandes grasses) et certaines huiles végétales (huile de coco, huile de palme). Ils sont globalement surconsommés car présents dans de nombreux aliments industriels de type biscuits, huiles de friture, pâtisseries, produits de grignotage.

Les acides gras insaturés (AGI) possèdent à l'inverse une ou plusieurs doubles liaisons entre leurs atomes de carbone. Ils sont généralement liquides à température ambiante et se trouvent principalement dans les huiles végétales et les poissons. Parmi les AGI, on distingue les acides gras monoinsaturés (AGMI), qui ne possèdent qu'une seule double liaison (acide oléique, que l'on retrouve par exemple dans l'huile d'olive) des acides gras polyinsaturés (AGPI) qui possèdent plusieurs doubles liaisons, et des acides gras trans (AGT), dont la configuration autour de la double liaison est dite « trans ». Ces derniers sont prisés de l'industrie agroalimentaire car leur configuration les rend plus stables, avec une température de fusion élevée.

La consommation d'AGMI permet de réduire le cholestérol LDL (qui est le « mauvais » cholestérol, augmentant les risques cardiovasculaires). Les AGMI peuvent aussi jouer un rôle dans la régulation de la glycémie et l'amélioration de la sensibilité à l'insuline et ont également des propriétés anti-inflammatoires.

Les AGPI oméga-3 et oméga-6 sont dits essentiels. L'organisme étant incapable de les synthétiser, ils doivent être présents dans une alimentation saine. Ils ont un rôle important dans la santé cardiovasculaire, le développement cérébral et la réponse inflammatoire.

En revanche, les AGT, produits naturellement en petites quantités dans l'estomac des ruminants, mais dont la majorité provient de processus industriels d'hydrogénation partielle des huiles végétales, doivent être consommés avec modération car ils ont des effets néfastes sur la santé cardiovasculaire.

· Les minéraux et oligoéléments

Les minéraux sont des éléments chimiques inorganiques essentiels au bon fonctionnement de l'organisme. Contrairement aux macronutriments, ils ne fournissent pas d'énergie, mais ils sont indispensables à de nombreux processus physiologiques vitaux. Ils doivent être apportés par l'alimentation car le corps humain ne peut pas les synthétiser.

Les minéraux jouent des rôles cruciaux : le calcium et le phosphore sont importants pour les os et les dents, le sodium, le potassium et le chlorure pour la pression osmotique et la transmission nerveuse, le magnésium pour l'activité enzymatique, le fer pour le transport de l'oxygène dans le sang, l'iode pour le métabolisme.

Pour chacun d'eux, l'Anses définit des besoins nutritionnels moyens (BNM), des références nutritionnelles pour la population (RNP) ou encore des apports satisfaisants (AS)3(*) qui doivent être fournis par l'alimentation pour les différents groupes de population (des nourrissons aux adultes, en passant par les enfants, les adolescents, les femmes enceintes et les personnes âgées).

On peut distinguer les minéraux majeurs (sodium, sélénium, phosphore, calcium, magnésium, potassium, chlorure) qui sont nécessaires en quantité relativement importante4(*), des autres minéraux, dont les quantités nécessaires sont plus basses, mais qui sont tout aussi indispensables aux diverses fonctions de l'organisme. Ils sont parfois qualifiés d'oligoéléments : fer, zinc, cuivre, manganèse, fluor, iode, sélénium, chrome, molybdène, cobalt.

Parmi les minéraux, la question du sodium est sensible. Les besoins nutritionnels des adultes sont estimés à 1,5 gramme par jour. Or, 1 gramme de sel apporte près de 0,4 gramme de sodium. Aujourd'hui, la consommation est largement excédentaire puisque l'on est à 7 à 9 grammes de sel ingérés par jour, soit 3,2 grammes de sodium. Or, la surconsommation de sel augmente la tension artérielle et peut favoriser des cancers gastriques. C'est pourquoi les recommandations du programme national nutrition santé (PNNS) visent à réduire la teneur en sel des aliments.

· Les vitamines

À l'inverse des minéraux, les vitamines sont des substances organiques. Elles sont nécessaires en petites quantités pour le métabolisme de l'organisme, en agissant principalement comme coenzyme ou cofacteurs des réactions métaboliques.

Ne pouvant pas être synthétisées en quantité suffisante par le corps humain (à quelques exceptions près, comme la vitamine D sous l'effet du soleil ou la vitamine K par le microbiote intestinal5(*)), elles doivent donc être apportées par l'alimentation.

Les vitamines liposolubles (vitamines A, D, E et K) sont stockées dans les tissus adipeux et le foie, tandis que les vitamines hydrosolubles (vitamines B et C) ne sont généralement pas stockées en grande quantité dans l'organisme. Leur excès est éliminé par les urines.

Comme pour les minéraux, les BNM, RNP ou AS sont définis par l'Anses. Les carences en vitamines peuvent être compensées par des compléments alimentaires.

· L'eau

Il convient de mentionner l'eau parmi les besoins nutritionnels. L'organisme est constitué d'eau aux deux tiers. Véhicule naturel des sels minéraux et des produits d'excrétion, l'eau est indispensable au bon fonctionnement de l'organisme, à la régulation de la température corporelle et à la circulation des minéraux.

Les besoins en eau, qui sont de l'ordre de deux litres par jour, sont couverts sous forme liquide, mais aussi à travers la consommation des aliments solides, notamment les fruits et les légumes.

2. Les besoins quantitatifs en protéines largement couverts
a) Les recommandations d'apports en protéines dans l'alimentation
(1) Les besoins quantitatifs en population générale

On a longtemps considéré qu'une alimentation riche en protéines était bénéfique pour la santé. Mais les recommandations nutritionnelles fondées sur des évaluations scientifiques sérieuses ne sont apparues que relativement récemment.

En 1985, la FAO et l'OMS, sous l'égide de l'ONU ont émis des recommandations d'apports en protéines par l'alimentation à 0,75 gramme par kilogramme de poids corporel et par jour pour un adulte en bonne santé, soit bien moins que ce qui était imaginé jusqu'alors.

L'apport nutritionnel recommandé (ANR) a été réévalué par la FAO et l'OMS à 0,83 gramme par kilogramme de poids corporel et par jour, soit 58 grammes de protéines par jour pour un individu de 70 kg pour tenir compte de la variabilité inter-individuelle et des écarts de résultats des différentes études sur lesquelles se fondait cette évaluation.

Les besoins sont les mêmes pour les hommes et les femmes et cette recommandation vaut pour toutes les tranches d'âge adulte en bonne santé.

Ces apports en protéines sont destinés :

 À assurer le renouvellement des protéines nécessaires aux différentes fonctions du corps, en permettant le renouvellement de 2,5 % environ de la masse protéique chaque jour. Il s'agit là d'une fonction de maintenance.

2° À apporter de l'énergie, en complément des autres macronutriments, lipides et glucides.

En 2007, l'Afssa6(*), prédécesseur de l'Anses, puis en 2012, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)7(*) ont adopté la même recommandation8(*) de 0,83 gramme par kilogramme de poids corporel et par jour. Ce chiffre est donc largement consensuel.

(2) Les besoins quantitatifs de certaines populations

Les besoins d'apports en protéines peuvent différer pour certaines populations par rapport à ceux pour l'adulte en bonne santé de moins de 60 ans, précédemment définis.

 Pour les nourrissons, dont les besoins nutritionnels sont destinés à la fois à l'entretien et à la croissance, l'apport nutritionnel conseillé (ANC) en protéines est plus élevé : 1,8 g/kg de poids corporel/jour durant le premier mois, puis 1,1 g/kg de poids corporel/jour jusqu'à 12 mois9(*).

 Pour les enfants et adolescents, les besoins sont un peu supérieurs aux adultes, de l'ordre de 0,91 g/kg de poids corporel.

 Des besoins d'apports en protéines plus élevés sont aussi retenus pour les femmes enceintes et durant l'allaitement, avec des recommandations à 1 g/kg de poids corporel/jour pendant la grossesse et 1,3 g/kg de poids corporel/jour durant l'allaitement.

 Des besoins plus importants sont également retenus pour les sportifs avec des recommandations entre 1 et 2 g/kg de poids corporel/jour. L'exercice physique accélère en effet la synthèse protéique, justifiant des apports plus élevés.

 Pour les personnes de plus de 65 ans, l'apport nutritionnel conseillé (ANC) de 0,83 g/kg de poids corporel peut s'avérer insuffisant. En effet, l'avancée dans l'âge se caractérise par un déclin de la masse et de la force du tissu musculaire, appelée sarcopénie, qui résulte d'une diminution de la synthèse et d'une augmentation de la dégradation des protéines tissulaires. Il convient donc de relever les apports à 1 à 1,2 g/kg de poids corporel/jour. Un apport protéique supplémentaire peut en outre être bénéfique pour la densité osseuse, qui est un autre problème rencontré par le sujet âgé.

Toutefois, selon Dominique Dardevet10(*), chercheur à l'Inrae, la stratégie de retardement de la sarcopénie ne passe pas seulement par une augmentation des quantités de protéines, mais aussi par le choix d'aliments contenant en abondance de la leucine (comme le lactosérum), acide aminé qui stimule la synthèse des protéines musculaires, par l'adoption d'un rythme adapté de repas ou encore par une attention aux autres produits alimentaires consommés en même temps.

 Pour des personnes atteintes de certaines maladies (diabète, troubles cataboliques, maladies rénales ou hépatiques), les apports en protéines doivent être modulés, à la hausse ou à la baisse.

b) Une consommation de protéines qui excède largement les besoins
(1) Des recommandations nutritionnelles largement atteintes

La consommation de protéines dans les pays développés excède largement les besoins. En France, on consomme 1,4 g/kg de poids corporel de protéines, soit presque deux fois la recommandation nutritionnelle. 85 % de la population consomme une quantité supérieure à l'apport nutritionnel recommandé.

Il y a une grande hétérogénéité des consommations entre individus, les hommes consommant nettement plus de protéines que les femmes. La distribution des apports protéiques chez les adultes, à poids équivalent, avait été mise en évidence dans le rapport de l'Afssa de 2007 :

Distribution des apports protéiques en g/kg/j chez les adultes

Source : Afssa

Le rapport de l'Afssa de 2007 ne fixait pas de limite supérieure de sécurité pour l'apport protéique. Il indiquait qu'il était difficile de définir un plafond mais que celui-ci pourrait correspondre à la capacité maximale d'adaptation de l'uréogenèse (excrétion de l'ammoniac issu de la dégradation des acides aminés) qui se situe chez l'adulte à environ 22 mg d'azote uréique par heure et par kg de poids corporel. Cette production d'urée correspondrait à une absorption quotidienne de 3,5 g/kg de poids corporel de protéines, au-delà de laquelle le foie ne pourrait plus synthétiser l'urée. Le rapport indiquait que des apports entre 2,2 et 3,5 g/kg de poids corporel pourraient être considérés comme élevés. Au-delà de 3,5 g/kg, ils seraient très élevés.

Une telle consommation quotidienne (et non exceptionnelle) résulterait probablement d'une surconsommation alimentaire générale, les apports excessifs ne concernant pas que les protéines mais également l'ensemble des autres macronutriments.

Si des quantités de protéines supérieures aux seuils recommandés ne paraissent pas procurer d'avantages pour la santé, des apports bien au-delà des seuils raisonnables peuvent avoir des effets négatifs. La surconsommation de protéines est ainsi associée à une hausse de la prévalence des diabètes de type 2 (les protéines stimulant la sécrétion d'insuline et conduisant à des phénomènes de résistance à l'insuline). La surconsommation de protéines riches en leucine (essentiellement, les protéines animales) favorise également la suractivation du complexe « mTOR » des macrophages, qui est corrélée avec une accélération de la formation de plaques d'athérosclérose et pourrait engendrer une augmentation du risque cardiovasculaire11(*).

(2) La prépondérance des protéines d'origine animale

Cette consommation largement suffisante dans les pays développés pour couvrir les besoins quantitatifs en protéines présente une autre caractéristique : les sources de protéines sont principalement des protéines animales.

En France, les deux tiers de l'apport protéique de notre alimentation sont constitués de protéines animales12(*), contre un tiers de protéines végétales, alors que la FAO et l'OMS recommandent un ratio optimal équilibré avec 50 % de protéines animales et 50 % de protéines végétales. Ce ratio 2/3 de protéines animales et 1/3 de protéines végétales s'observe dans la plupart des pays développés hors Asie.

La troisième étude sur les consommations et les habitudes alimentaires de la population française, dite INCA3, réalisée par l'Anses et publiée en 2017, montre que les protéines animales restent prépondérantes mais que la part des aliments d'origine végétale progresse13(*).

Les protéines animales que nous consommons proviennent à la fois de la viande rouge - boeuf, porc, agneau (20 à 21 % des apports totaux de protéines) -, de la volaille (11 à 12 %), des produits laitiers (18 à 20 %), des oeufs (4 à 5 %) et des poissons et fruits de mer (6 %).

Les protéines végétales que nous consommons proviennent pour leur part essentiellement des céréales (50 à 60 % des protéines végétales consommées), et plus marginalement des fruits et légumes, qui ont une faible teneur en protéines (5 à 10 % des apports), des oléagineux (5 à 10 %) et des légumineuses (un peu plus de 10 %).

Bien que riches en protéines, les légumineuses (appelés aussi légumes secs : lentilles, haricots, fèves, pois chiche...) ont connu une division par quatre de leur consommation entre les années 2000 et les années 2020, s'établissant à 1,7 kg/personne/an contre 3,9 kg/personne/an en moyenne européenne14(*).

(3) Des profils de consommation divergents de par le monde

Le modèle de consommation des protéines n'est pas le même selon les pays : les quantités de protéines et la part des protéines animales sont très disparates. Les habitudes alimentaires varient en effet en fonction des revenus, mais aussi d'une culture à l'autre : la part des protéines végétales dans l'alimentation est bien plus élevée en Inde, en Chine, au Japon mais aussi en Afrique.

Consommations quotidiennes moyennes de protéines dans le monde en g/kg de poids corporel

Source : FAO - FAOSTAT, données 2020-2022

Les types de protéines animales et végétales consommées varient aussi selon les zones géographiques, et notamment en fonction de la disponibilité alimentaire. L'Asie et l'Océanie consomment davantage de produits de la mer que la moyenne. L'Europe et dans une moindre mesure l'Amérique du Nord consomment pour leur part davantage de produits laitiers, notamment sous forme de fromages, comme le montre l'illustration ci-après15(*) :

3. La prise en compte de la dimension qualitative des protéines
a) Les acides aminés essentiels
(1) La notion d'acides aminés essentiels

Chaque protéine est constituée d'un assemblage d'acides aminés, en nombre et dans un ordre qui diffèrent d'une protéine à une autre et qui déterminent ainsi leurs caractéristiques et leurs propriétés.

La taille des protéines est variable, allant d'un assemblage de quelques acides aminés (peptides) à plus d'un millier (comme par exemple l'albumine, composée de 585 acides aminés, fabriquée par le foie, présente dans le sang et les tissus, dont la fonction de transport dans le corps facilite la diffusion des vitamines, hormones et enzymes et qui joue un rôle de régulateur de l'équilibre hydrique du sang).

Il existe environ 500 acides aminés dans la nature, mais seulement 20 d'entre eux sont utilisés par le corps pour fabriquer des protéines. On distingue deux grandes catégories d'acides aminés : les acides aminés dits « essentiels » et ceux dits « non essentiels ».

 Les acides aminés « non essentiels » sont ceux que l'organisme peut produire à partir d'autres molécules présentes dans le corps : glucose ou autres acides aminés (ainsi, le foie peut utiliser le pyruvate, dérivé du glucose, auquel il ajoute un groupe amine grâce à l'action d'une enzyme pour former certains acides aminés comme l'alanine).

 Les acides aminés « essentiels » appelés aussi acides aminés « indispensables » sont ceux que l'organisme ne peut pas produire de lui-même et qui doivent impérativement être apportés par l'alimentation. Ils sont au nombre de huit : le tryptophane, la lysine, la méthionine, la phénylalanine, la thréonine, la valine, la leucine, l'isoleucine. Par ailleurs, l'histidine ainsi que l'arginine sont considérées comme indispensables pour les enfants.

Le tableau ci-après dresse la liste des acides aminés en précisant leur classement :

Acides aminés

Code international

Code international simplifié

Caractère essentiel
de l'acide aminé (E)

Alanine

ALA

A

 

Arginine

ARG

R

E pour les enfants

Asparagine

ASN

N

 

Acide aspartique

ASP

D

 

Asparagine ou acide aspartique

ASX

B

 

Cystéine

CYS

C

 

Acide glutamique ou glutamate

GLU

E

 

Glutamine

GLN

Q

 

Glutamine ou acide glutamique

GLX

Z

 

Glycine

GLY

G

 

Histidine

HIS

H

E pour les enfants

Isoleucine

ILE

I

E

Leucine

LEU

L

E

Lysine

LYS

K

E

Méthionine

MET

M

E, à la source des acides aminés soufrés

Phénylalanine

PHE

F

E, disposant d'un cycle aromatique

Proline

PRO

P

 

Sérine

SER

S

 

Thréonine

THR

T

E

Tryptophane

TRY

W

E

Tyrosine

TYR

Y

 

Valine

VAL

V

E

L'alimentation doit donc contenir non seulement une quantité suffisante de protéines, mais aussi apporter ces acides aminés essentiels, faute de quoi le corps n'aura pas la possibilité de fabriquer correctement les différentes catégories de protéines indispensables au métabolisme.

Les limites de la distinction entre acides aminés essentiels et non essentiels

Le classement des acides aminés dans ces deux catégories doit être observé avec du recul.

En effet, certains acides aminés classés comme non essentiels, peuvent le devenir dans certaines circonstances et donc nécessiter des apports extérieurs plus importants par l'alimentation si l'organisme n'est plus capable d'en effectuer la synthèse. Ainsi, la glutamine est un acide aminé abondant dans le corps humain. Environ 60 % des acides aminés qui composent les muscles sont de la glutamine et on en trouve dans de nombreux aliments. On considère donc la glutamine comme devant être classée dans les acides aminés non essentiels. Or, en cas d'infection, les apports extérieurs en glutamine par l'alimentation doivent être renforcés car les cellules immunitaires (lymphocytes T et macrophages) en font une très grande consommation pour se multiplier.

Par ailleurs, ce classement ne tient pas compte des interactions métaboliques. Or certains acides aminés dépendent d'autres pour être synthétisés. Une carence en un acide aminé essentiel peut ainsi limiter la synthèse d'acides aminés non essentiels, qui de ce fait le deviennent à leur tour.

Les acides aminés non essentiels ont des fonctions indispensables et il convient de veiller tout autant que pour les acides aminés essentiels, à ce que les apports soient suffisants pour maintenir un bon état de santé.

(2) Un classement de la qualité des protéines apportées par l'alimentation selon leur teneur en acides aminés essentiels

La teneur des protéines alimentaires en acides aminés (souvent exprimée en mg/g de protéine) est très diverse selon les aliments, qui peuvent donc être classés selon la qualité du profil en acides aminés essentiels qu'ils contiennent.

Un indice chimique (IC) ou score chimique16(*) de chaque protéine peut ainsi être calculé pour mesurer la qualité de cette dernière, en le rapportant à un profil de référence qui correspondrait à une protéine « idéale » apportant l'ensemble des acides aminés essentiels en quantité suffisante. Il se présente sous forme d'un ratio :

Établir le profil de référence n'est pas évident. Il a fait l'objet d'évolutions dans le temps.

Il faut en effet d'abord définir des valeurs de besoins en acides aminés. Ces valeurs ont été définies par un groupe d'experts de la FAO et de l'OMS en 1985 et réactualisées en 2007. Le rapport de l'Afssa de 2007 propose de fixer des valeurs cibles de besoins pour chaque acide aminé essentiel.

Propositions de l'Afssa concernant les besoins en acides aminés indispensables chez l'adulte

Les travaux du comité conjoint FAO/OMS de 2007 retiennent des valeurs légèrement différentes mais finalement assez proches des besoins en acides aminés définis par l'Afssa17(*) :

L'exercice de classement de la qualité des protéines se poursuit par l'identification d'une protéine idéale, qui apporterait la totalité des acides aminés indispensables nécessaires. Or, la proportion de chaque acide aminé au sein des protéines est très différente d'un aliment à l'autre.

Pour chaque aliment, il faut donc identifier l'acide aminé indispensable limitant, qui sera le premier à manquer au cours des réactions métaboliques.

L'acide aminé limitant est celui dont le ratio est le plus faible par rapport à la valeur de référence. Ce ratio est le score chimique. Un score chimique d'au moins 1 (ou 100 %) signifie que la protéine contient tous les acides aminés essentiels en quantité suffisante selon le profil de référence. Un score inférieur à 1 indique qu'au moins un acide aminé est présent en quantité insuffisante, ce qui limite la valeur nutritionnelle de la protéine.

On peut appliquer cette méthode à chaque protéine spécifique. Si l'on évalue un aliment source de plusieurs types de protéines, le score chimique prend en compte l'ensemble des protéines présentes dans l'aliment. La lysine et la méthionine sont les deux acides aminés limitants principaux des aliments végétaux, la première étant en très faible quantité dans les céréales, graines oléagineuses et fruits à coque et la seconde en très faible quantité dans les légumineuses. En revanche, le soja a un profil plus complet.

b) La prise en compte des multiples déterminants de la qualité des protéines à travers les indicateurs PDCAAS puis DIAAS
(1) L'indicateur PDCAAS

La teneur en acide aminé n'est pas le seul facteur à prendre en compte pour mesurer la qualité d'une protéine. L'efficacité de l'assimilation des protéines doit en effet entrer dans l'équation car elle détermine la quantité des acides aminés qui pourront effectivement être disponibles pour la synthèse protéique chez l'individu. Il convient de prendre en compte la digestibilité des protéines.

C'est pourquoi la FAO et l'OMS ont mis en oeuvre à partir de 1991 une mesure de la qualité nutritionnelle de l'apport protéique à travers un indicateur dénommé PDCAAS (Protein Digestibility Corrected Amino Acid Score). Le PDCAAS s'appuie sur l'indice chimique (IC) défini précédemment, corrigé de la digestibilité.

La digestibilité est mesurée en déterminant la proportion de protéines ingérées qui est absorbée par le corps. Elle est mesurée au niveau fécal. Elle est exprimée en pourcentage et peut être mesurée par des études in vivo chez l'animal (comme le rat) ou chez l'humain. Cela décrit la quantité de protéines d'un aliment réellement utilisable par l'organisme selon la formule suivante :

Le PDCAAS est un pourcentage. Si ce pourcentage est supérieur à 100 %, il est ramené à 100 %. Son interprétation est la même que celle de l'indice chimique (IC).

(2) L'indicateur DIAAS

Il a été reproché à l'indicateur PDCAAS de mal prendre en compte l'absorption des acides aminés des protéines dans la digestion. En effet, les acides aminés qui migrent par le tractus gastro-intestinal au-delà de l'intestin grêle (dépassant l'iléon) seront en grande partie perdus pour la synthèse des protéines. Or, ces pertes digestives ne sont pas prises en compte par le PDCAAS.

Par ailleurs, certains acides aminés peuvent être perdus du fait de facteurs antinutritionnels présents dans les aliments. Par exemple, les phytates (ou acide phytique) présents dans les céréales complètes ou les légumineuses peuvent inhiber l'activité des enzymes protéolytiques, ce qui limitera l'absorption de la lysine.

Enfin, le PDCAAS fournit un score global pour chaque protéine : tout déficit dans l'un des acides aminés essentiels, même si les autres sont surabondants, pénalise le classement de la protéine.

Cela a conduit la FAO à proposer en 2013 un nouvel indicateur de la qualité nutritionnelle des apports protéique, le DIAAS (Digestible Indispensable Amino Acid Score).

La méthode de calcul de ce score est similaire à celle du PDCAAS. Le coefficient de digestibilité de la protéine est remplacé par un coefficient spécifique pour chaque acide aminé. Pour chaque acide aminé essentiel, on calcule la valeur du DIAAS selon la formule suivante :

Le DIAAS est alors la valeur minimale obtenue pour chaque acide aminé de la protéine.

c) Les limites des indicateurs d'évaluation de la qualité des protéines
(1) Les biais méthodologiques des indicateurs PDCAAS et DIAAS

L'utilisation des indicateurs PDCAAS et DIAAS permet de classer les différentes sources de protéines selon la qualité et non pas seulement la quantité des apports en acides aminés essentiels, mais cette approche rencontre certaines limites.

Un article paru dans les cahiers de nutrition et de diététique en 202118(*) les décrit de manière pertinente :

d'abord, les résultats obtenus sont sensibles au profil de référence retenu. Les experts de la FAO retiennent trois profils pour lesquels les besoins en acides aminés essentiels sont différents : les nourrissons (moins de 6 mois), les enfants de 6 mois à 3 ans, et les personnes de 3 ans et plus (enfants, adolescents, adultes). Or, les besoins sont bien plus importants pour les deux premières catégories, ce qui conduit à dégrader les scores des légumineuses (lupin, pois, soja) mais aussi des protéines de lactosérum, qui sont d'origine animale ;

ensuite, le calcul des indicateurs PDCAAS et DIAAS nécessite, outre l'identification de la quantité de protéines présentes dans l'aliment, ce qui est assez facile, celle de la quantité de chaque acide aminé par protéine. Cela passe par l'application d'un facteur de conversion de l'azote en protéines et l'évaluation du poids moléculaire des acides aminés. Comme les protéines contiennent 16 % d'azote, on peut procéder simplement en appliquant un facteur de conversion de 6,25. Or, toutes les protéines n'ont pas le même pourcentage d'azote puisque leur profil en acides aminés est variable et que tous les acides aminés n'ont pas le même nombre d'atomes d'azote. En outre, les aliments contiennent aussi de l'azote non inclus dans les protéines. Une méthode plus précise consiste à peser chaque acide aminé présent dans les protéines de l'aliment examiné mais elle est rarement mise en pratique. Il y a donc une incertitude sur les quantités de chaque acide aminé présentes dans chaque protéine ;

enfin, les modèles, qui reposent beaucoup sur des études chez l'animal, et les méthodes pour calculer la digestibilité sont également questionnés, la méthode du double traceur, récente, apportant cependant davantage de fiabilité et facilitant les études chez l'Homme19(*).

(2) Des indicateurs de qualité des protéines éloignés des conditions réelles de leur consommation

Une autre limite des indicateurs d'évaluation de la qualité des protéines PDCAAS et DIAAS tient au caractère très théorique de l'exercice.

Il conduit à analyser les protéines de manière isolée, sans prendre en compte la diversité des apports par la combinaison d'aliments et les compensations pouvant être apportées par l'existence d'acides aminés essentiels en quantité plus que suffisante dans les aliments contenus dans cette combinaison.

Concrètement, le score DIAAS du blé utilisé dans les farines à pain est très faible sur la lysine (score de 0,43 soit largement inférieur à 1 dans la protéine de référence définie par l'OMS en 2007), mais bien supérieur à 1 sur les acides aminés soufrés (méthionine, avec un score de 1,76). Ce score est également supérieur à 1 pour tous les autres acides aminés essentiels. En sens inverse, le score DIAAS d'une légumineuse comme les lentilles vertes sera inférieur à 1 sur la méthionine mais largement supérieur à 1 (1,55) sur la lysine. Ainsi, en combinant blé et lentilles, on est très largement au-dessus des besoins en acides aminés essentiels.

Une autre difficulté tient à la teneur en protéines d'un aliment qui peut changer selon la variété utilisée en ce qui concerne les végétaux, ou encore selon le mode de transformation (cuisson, raffinage). La préparation des aliments n'est pas neutre du point de vue des apports nutritionnels. À titre d'exemple, on peut noter que la glycation de la lysine (dite réaction de Maillard) peut intervenir lors d'une cuisson des aliments à haute température : la lysine contenue dans les aliments cuits réagit avec les sucres réducteurs et forme de la lysinoalanine ou de la fructoselysine, qui ne sont pas digestibles, rendant la lysine indisponible pour l'organisme.

Les aliments d'origine végétale contiennent fréquemment des substances comme des tannins, des phytates ou des inhibiteurs de la trypsine qui limitent la biodisponibilité de leurs protéines. La biodisponibilité désigne la part d'un nutriment présent dans un aliment réellement assimilé par l'organisme. Plus les pertes sont importantes, plus la biodisponibilité est faible. Il existe des techniques pour contourner cette difficulté et améliorer la digestibilité des protéines végétales : trempage long pour les légumineuses et céréales complètes, cuisson, mais aussi fermentation longue ou germination.


* 1 La dénomination « hydrate de carbone » est historique, mais inexacte. En effet, ce ne sont pas des hydrates d'une chaîne carbonée, le groupe H2O n'étant pas présent sous cette forme. Les glucides sont maintenant définis comme étant des molécules organiques qui contiennent un groupe carbonyle (un atome de carbone lié à un atome d'oxygène par une double liaison ; =O) et au moins deux groupes hydroxyle (un atome de carbone lié à un couple d'atomes d'oxygène et hydrogène liés par une liaison simple ; C-OH).

* 2 Anses 2016, Actualisation des repères du PNNS : établissement de recommandations d'apport de sucres, https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2012SA0186Ra.pdf

* 3  https://www.anses.fr/fr/content/les-references-nutritionnelles-en-vitamines-et-mineraux

* 4 L'Anses recommande des apports de phosphore de 550 mg/jour pour les adultes. Pour le magnésium, les recommandations sont de 300 à 380 mg/jour. En revanche, pour le cuivre, un apport de 1,5 à 1,9 mg/jour est suffisant. Pour le fluor, les apports recommandés pour les adultes vont de 2,9 à 3,4 mg/jour.

* 5 Voir la note scientifique de l'OPECST de février 2022 sur le microbiote intestinal : https://www.senat.fr/fileadmin/import/files/fileadmin/Fichiers/Images/opecst/quatre_pages/OPECST_2022_0033_Note_Microbiote_intestinal.pdf

* 6 Afssa, Apport en protéines, consommation, qualité, besoins et recommandations, rapport publié en 2007. Accessible sur https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT-Ra-Proteines.pdf (rapport complet) et https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT-Sy-Proteines.pdf (synthèse du rapport).

* 7  https://www.efsa.europa.eu/en/efsajournal/pub/2557

* 8 L'EFSA fixe la recommandation, appelée « population reference intake » (PRI) à 0,83 g/kg de poids corporel en estimant que le besoin moyen en protéines ingérées pour maintenir le bilan azoté d'un adulte est de 0,66 g/kg de poids corporel, en estimant à 47 % l'efficacité de l'utilisation des protéines et en visant à ce que cette recommandation convienne à 97,5 % de la population.

* 9 Voir le rapport de l'Afssa de 2007, p. 154 et suivantes.

* 10  https://hal.science/hal-03455895v1/

* 11 Voir notamment une étude du Dr Juneau, un cardiologue canadien :
https://observatoireprevention.org/2024/05/30/un-apport-trop-eleve-en-proteines-pourrait-augmenter-le-risque-daccidents-cardiovasculaires/

* 12 Voir les travaux du Consortium de valorisation thématique d'AllEnvi de 2015 « Protéines végétales et alimentation » : https://allenvi-solutions.fr/thematique/proteines-vegetales/

* 13  https://www.anses.fr/fr/content/inca-3-evolution-des-habitudes-et-modes-de-consommation-de-nouveaux-enjeux-en-mati%C3%A8re-de
Pour plus d'informations sur les apports nutritionnels, voir l'état des lieux figurant à l'annexe n° 2 du PNNS 2019-2023 :
https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/annexe_pnns4_alimentation.pdf

* 14 Ministère de l'agriculture et de l'alimentation, La stratégie nationale des protéines végétales, 1er décembre 2020 : https://agriculture.gouv.fr/dossier-de-presse-la-strategie-nationale-proteines-vegetales

* 15  https://www.visualcapitalist.com/visualizing-daily-protein-sources-by-region/

* 16 On parle d'AAS dans la littérature scientifique en langue anglaise (amino acid score).

* 17  https://iris.who.int/handle/10665/43411

* 18  https://hal.inrae.fr/hal-03295555/document - Romain Tessier, Juliane Calvez, Claire C. Gaudichon, « Les “ dessous ” du PD-CAAS et du DIAAS, deux critères en apparence simples de qualité nutritionnelle des protéines », Cahiers de Nutrition et de Diététique, 2021, 56 (2), pp. 102-110. 10.1016/j.cnd.2021.02.002. hal-03295555.

* 19  https://www.iaea.org/fr/newscenter/news/base-de-donnees-sur-la-qualite-des-proteines

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