II. LES PROTÉINES AU CoeUR DE L'ENJEU DE RÉDUCTION DE L'EMPREINTE ENVIRONNEMENTALE DE L'ALIMENTATION

A. UN CONTEXTE DE PROGRESSION DE LA DEMANDE ALIMENTAIRE

La réflexion sur les protéines dans l'alimentation est indissociable de celle sur les quantités de nourriture nécessaires pour nourrir l'ensemble des habitants de la planète. Les craintes de pénuries alimentaires se cristallisent sur la question des protéines, l'enrichissement des régimes en protéines animales mettant en tension le système de production alimentaire à l'échelle mondiale dans un contexte de croissance démographique.

1. Les perspectives de hausse des besoins alimentaires mondiaux

La demande mondiale de nourriture est en augmentation constante, même si le rythme de cette augmentation tend à se ralentir. Le dernier rapport conjoint de la FAO et de l'OCDE sur les perspectives de l'agriculture pour la période 2023-203238(*) prévoit une hausse de la production agricole de l'ordre de 1,4 % par an pour répondre à cette demande, soit 15 % sur la prochaine décennie.

Une étude de l'Inrae menée en collaboration avec l'université du Minnesota39(*) retient pour sa part une estimation d'augmentation des besoins alimentaires mondiaux de l'ordre de + 35 à 60 % d'ici à 2050.

Plusieurs facteurs expliquent cette tendance à la hausse de la demande alimentaire :

la croissance démographique mondiale est l'un d'entre eux, la population mondiale devant passer de 7,9 milliards d'habitants en 2022 à 8,6 milliards d'habitants en 2032, soit une hausse de 0,8 % par an (contre 1,1 % par an durant la précédente décennie) et pouvant atteindre 9 milliards d'habitants en 2050 ;

la progression du niveau de vie moyen mondial devrait aussi jouer en faveur d'une demande alimentaire croissante. Le revenu par habitant devrait progresser à un rythme annuel de 1,7 %. Cette augmentation sera plus rapide dans les pays à revenu intermédiaire, notamment en Asie, où l'élévation du niveau de vie pourrait pousser vers le haut la demande alimentaire.

La progression de la demande globale s'inscrit dans un contexte de transformation des catégories de denrées recherchées par les consommateurs. La demande devrait ainsi être plus forte pour les denrées davantage valorisées comme la viande, le lait et le poisson, dessinant une convergence vers les modèles alimentaires des pays à revenus élevés, où la protéine animale est dominante dans les rations alimentaires.

Le rapport de la FAO et de l'OCDE estime ainsi que la consommation de protéines par habitant devrait augmenter à l'échelle mondiale pour atteindre 88,4 grammes par jour en 2032, au lieu de 83,9 grammes par jour durant la décennie précédente.

Des différences régionales dans la composition des sources de protéines persisteront : l'Afrique subsaharienne, le Proche-Orient et l'Afrique du Nord devraient rester fortement tributaires des protéines d'origine végétale. À l'inverse, les protéines d'origine animale continueront de représenter l'essentiel de la consommation de protéines dans les régions à revenu élevé d'Amérique du Nord, d'Europe et d'Asie centrale.

Environ les deux tiers de la viande devraient être consommés par un tiers de la population mondiale en 2032. La croissance de la consommation de protéines animales devrait être particulièrement prononcée en Asie et en Amérique latine et Caraïbes, où la disponibilité quotidienne de viande et de poisson par habitant devrait augmenter respectivement de 11 à 13 % et de 6 à 14 %. Le rapport prévoit aussi une augmentation à l'horizon 2032 de la consommation par habitant en Chine de 12 % pour la viande et de 14 % pour le poisson.

Globalement, la consommation mondiale moyenne de viande devrait augmenter de 2,5 % en une décennie, soit une hausse de 0,7 kg/habitant/an pour atteindre 29,5 kg/an d'ici 2032.

L'essentiel de cette hausse se situera dans les pays à revenu intermédiaire.

2. Des tensions probables sur l'approvisionnement alimentaire

Face à cette hausse de la demande, les capacités de production pourraient ne pas suivre, entraînant une inflation des prix des matières premières agricoles. Les gains de productivité en agriculture tendent en effet à se tasser, les rendements sont affectés par le changement climatique, et il est difficile de mobiliser de nouvelles surfaces pouvant être mises en culture. Une alimentation abondante, riche en protéines animales pourrait ainsi n'être tout simplement pas possible à l'échelle de la planète.

a) Une difficulté : la stagnation des rendements agricoles

La pression sur le système agricole pour produire suffisamment de nourriture est accentuée par la stagnation globale des rendements agricoles. La « révolution verte » engagée après la Seconde Guerre mondiale, marquée par la mécanisation, l'utilisation d'engrais et de pesticides et l'amélioration variétale a permis des hausses spectaculaires de rendements. Mais cette progression est désormais terminée. On assiste dans certaines régions et pour certaines cultures à une stagnation voire une baisse des rendements.

Il n'existe pas de chiffres consolidés à l'échelle mondiale permettant de quantifier précisément ce phénomène.

En France, on constate depuis 10 ans une stagnation des rendements du blé, comme le montrent les chiffres publiés chaque année par l'institut technique agricole du végétal Arvalis et l'interprofession Intercéréales40(*) :

Il en va de même pour d'autres productions végétales. Les régions intensives voient leur production stagner. Une analyse des tendances mondiales et régionales des rendements réalisée par l'Université de l'Illinois41(*) montre que certaines régions commencent à connaître un déclin de production à l'hectare et que la plupart des productions voient une baisse du taux d'augmentation de leurs rendements, les orientant vers un « plateau de rendement ».

Plusieurs raisons peuvent être avancées. Le réchauffement climatique et les sécheresses pèsent négativement sur les rendements (alors que l'augmentation du taux de CO2, à l'inverse, favorise la photosynthèse). Il en va de même de l'érosion des sols, liée à leur texture, à l'insuffisance des couverts végétaux, à la pente et aux effets de l'eau et du vent. Les nouvelles terres mises en culture sont bien souvent moins fertiles que celles déjà exploitées, ce qui contribue certainement à la baisse des rendements moyens.

La recherche génétique pour faire émerger de nouvelles variétés a peut-être elle aussi atteint ses limites sur les espèces les plus cultivées. L'utilisation d'engrais de synthèse et de produits phytopharmaceutiques permet aujourd'hui plutôt de maintenir les rendements que de les augmenter.

S'il est difficilement envisageable de compter sur des augmentations massives de rendements pour augmenter la production végétale, des marges de progrès existent cependant dans les pays qui n'ont pas achevé leur « révolution verte ». L'étude de l'Inrae menée en collaboration avec l'université du Minnesota indique ainsi que les cultures de maïs, manioc et sorgho ont des rendements réels très inférieurs à ce qu'ils pourraient atteindre en améliorant les conditions d'exploitation.

La même étude souligne en revanche que pour le riz, une céréale cruciale dans l'alimentation mondiale et dont les conditions de production sont à maturité un peu partout, plus de 80 % des surfaces cultivées actuellement « pourraient connaître une stagnation des rendements, principalement en Asie ».

b) La concurrence des productions alimentaires avec d'autres usages

La crainte de pénuries alimentaires est renforcée par la crainte de voir les capacités de production en agriculture réduites par une utilisation plus rentable des terres à des fins autres que la production de nourriture.

À l'échelle mondiale, environ 4 % des terres agricoles sont d'ores et déjà utilisées pour des cultures non alimentaires, telles que les biocarburants ou les textiles (coton, lin).

La demande croissante en énergie renouvelable fait peser une pression supplémentaire sur l'usage des terres. La progression de la demande en matériaux biosourcés conduit aux mêmes conséquences.

Par ailleurs, l'urbanisation empiète sur les terres agricoles, souvent des terres arables très productives à proximité des espaces déjà urbanisés, réduisant le potentiel de production alimentaire ou poussant à grignoter sur la forêt pour compenser la perte de surfaces agricoles.

c) Le gaspillage alimentaire

Le gaspillage alimentaire accentue le déséquilibre entre l'offre et la demande alimentaire. À l'échelle mondiale, il est massif.

Selon le rapport conjoint de la FAO et de l'OCDE, le gaspillage alimentaire serait de 14 % entre la récolte et l'arrivée des produits en magasin. Une perte additionnelle de 17 % interviendrait en magasin ou à l'échelle des ménages : près d'un tiers de la nourriture produite n'est donc pas consommée.

Les fruits et légumes contribuent pour plus de la moitié aux pertes à l'étape de la distribution (en magasin)42(*). Mais les produits riches en protéines comme les produits laitiers, la viande et le poisson, périssables et donc sensibles aux conditions de conservation, sont susceptibles de ne pas aller eux aussi jusqu'à l'étape de la consommation finale.

Le coût économique de ce gaspillage avoisine les 1 000 milliards de dollars par an.

En France, les déchets alimentaires représentent 9,4 millions de tonnes, dont 4 millions de tonnes correspondant au gâchis alimentaire43(*). Celui-ci a été défini par la loi Agec du 10 février 2020 comme « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à une étape de la chaîne alimentaire est perdue, jetée ou dégradée ».

La loi fixe comme objectif une réduction de 50 % du gaspillage alimentaire dans les domaines de la consommation, de la production, de la transformation et de la restauration commerciale.

Une partie de la réponse à la hausse de la demande de produits alimentaires pourrait donc passer par l'optimisation de l'utilisation de ce qui est déjà produit, en réduisant le gaspillage à chacune des étapes : collecte, stockage, transformation, distribution et conservation par la restauration commerciale et par les ménages.

Source : Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire


* 38 OECD/FAO (2023), OECD-FAO Agricultural Outlook 2023-2032, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/08801ab7-en

* 39 Gerber, J.S., Ray, D.K., Makowski, D. et al., « Global spatially explicit yield gap time trends reveal regions at risk of future crop yield stagnation », Nat Food, 2024 ; https://doi.org/10.1038/s43016-023-00913-8 - voir aussi https://www.inrae.fr/actualites/optimiser-rendements-agricoles-lechelle-mondiale-repondre-demande-alimentaire-croissante

* 40  https://www.arvalis.fr/infos-techniques/rendement-du-ble-tendre-les-premieres-estimations-en-forte-baisse

* 41 Zulauf, C., G. Schnitkey, N. Paulson and J. Colussi, « World and Regional Trend Crop Yields in an Era of Climate Change. », farmdoc daily (13):221, Department of Agricultural and Consumer Economics, University of Illinois at Urbana-Champaign, December 6, 2023 - https://farmdocdaily.illinois.edu/2023/12/world-and-regional-trend-crop-yields-in-an-era-of-climate-change.html

* 42 Pour une analyse détaillée sur le gâchis alimentaire, voir le Food Waste Index Report de la FAO : https://www.fao.org/family-farming/detail/fr/c/1681058/

* 43  https://economie-circulaire.ademe.fr/gaspillage-alimentaire

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