N° 723

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juin 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la contractualisation
à la
performance dans l'enseignement supérieur,

Par Mme Vanina PAOLI-GAGIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet,
MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre,
Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek,
Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Les contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) lancés en mars 2023 sont des contrats bilatéraux et conclus pour trois ans entre les établissements d'enseignement supérieur et l'État. Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial des crédits de l'enseignement supérieur, a présenté le 11 juin 2025 ses travaux sur les COMP et sur les perspectives de prise en compte de la performance dans l'enseignement supérieur.

I. LES CONTRATS D'OBJECTIFS, DE MOYENS ET DE PERFORMANCE 2023-2026 : UN EXERCICE UTILE, DES RÉSULTATS MODESTES

A. UNE IDÉE AMBITIEUSE : RÉINTRODUIRE UNE GESTION À LA PERFORMANCE DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

La mise en place des COMP s'étale sur la période 2023-2026, l'objectif initial étant un déploiement expérimental du dispositif en trois vagues d'établissements. Le dispositif était conçu comme une « nouvelle étape » dans les relations entre le ministère et ses opérateurs. Les COMP contiennent un volet budgétaire, permettant à l'État de participer au financement de certaines des actions contractualisées sur les priorités stratégiques des établissements.

Nombre d'établissements d'enseignement supérieur
ayant conclu ou négociant actuellement un COMP

Source : commission des finances

L'impression générale qui se dégage des établissements de la première vague a été celle d'un déploiement dans l'urgence, ayant mis sous tension les équipes des établissements comme celles des rectorats. Toutefois, les ajustements entre 2023 et 2025 auront indéniablement contribué à améliorer la procédure et la cohérence des contrats.

Les COMP devaient contribuer à la revalorisation du rôle des rectorats. Dans la majeure partie des cas, les rectorats ont bien joué un rôle de conseil auprès des établissements, notamment sur la pertinence des indicateurs choisis, mais les décisions sont restées concentrées en administration centrale (qui définit les cibles, les objectifs et les financements associés). Il est vrai que la relative faiblesse des moyens des rectorats sur l'enseignement supérieur et le dimensionnement des équipes ne leur permettent guère pour l'instant que d'avoir un rôle autre que de « premier niveau ».

B. LE CONTENU DES CONTRATS : UN LARGE ÉVENTAIL DE PROJETS DIVERSEMENT PERTINENTS

Le pilotage des COMP se voulait innovant en priorisant la contractualisation autour de six objectifs nationaux, renforçant le pilotage du ministère autours d'orientations prioritaires. Après examen des contrats des deux premières vagues, les 6 objectifs ne revêtent pas tous la même portée.

1. Une réelle plus-value de l'axe « formation »

Les établissements comme le ministère s'accordent sur l'intérêt de l'axe « Formation ». Sur ce point, les COMP ont pu constituer un prolongement des dispositifs de la loi « Orientation et réussite des étudiants », en y intégrant une notion de performance. Au total, 204 formations devraient être transformées pour la seule vague 2.

2. Des projets trop peu transformants ou souvent anecdotiques

L'axe « Pilotage et gestion » a pu constituer un levier d'amélioration structurant. Les fonctions supports, qui représentent les très grandes masses financières, doivent néanmoins être davantage au coeur de la réflexion stratégique. La vertu des COMP est certes d'avoir inscrit ces enjeux dans un dialogue de haut niveau mais il serait souhaitable que ce soit davantage le cas à l'avenir.

L'axe « Transition écologique », faisant figure de passage obligé de l'action publique, a davantage permis aux établissements de valoriser en opportunité les actions qu'ils menaient déjà. Sans remettre en cause l'intérêt théorique de cet objectif, il apparaît que les projets de cet axe sont moins structurants (par exemple construction d'abris à vélo ou de panneaux photovoltaïques, qui ne devraient pas relever du niveau d'un contrat avec l'État). Les actions dédiées à la réussite et au bien-être des étudiants paraissent également pour certaines anecdotiques (construction d'une maison des associations ou d'une maison des étudiants, achat d'un véhicule de type « Doctobus », etc.). Enfin, l'axe « Recherche » rejoint les enjeux liés au développement des ressources propres des établissements et à l'accroissement du taux de financement européen de projets de recherche français. À cet égard, il constitue une des pistes intéressantes des COMP, malgré la faible association des organismes de recherche.

3. Une réflexion encore inaboutie autour de la définition de la « signature » des établissements

L'examen des axes « Signature », c'est-à-dire de l'axe laissé au libre choix de l'établissement et qui doit refléter ses priorités stratégiques, révèle qu'in fine, peu d'entre eux ont été capables de mettre en place un objectif relevant véritablement de la stratégie de l'établissement, réalisable et assorti d'indicateurs crédibles. Nombre de signatures demeurent assez pauvres sur le plan stratégique, mobilisant des concepts vagues et peu adaptés à une contractualisation à la performance.

C. DES FINANCEMENTS RÉDUITS EN VOLUME, UN EFFET DE LEVIER NOTABLE MAIS DIFFICILEMENT CHIFFRABLE

Les moyens alloués aux COMP représentent pour chacun des établissements concernés entre 0,62 % et 1 % de leur subvention pour charge de service public. Pour autant, les débats sur le caractère très limité de cette proportion reflètent une forme de quiproquo sur les montants du COMP. Les financements COMP n'ont en effet pas vocation à couvrir l'intégralité des projets décrits dans le contrat, mais à assurer l'amorçage. Ils ont pour objectif principal de financer des projets qui n'émargent pas au socle de la subvention pour charges de service public (SCSP) mais qui ne peuvent être intégralement financés par des appels à projet classiques. Le ministère annonçait initialement un budget de 100 millions d'euros pour chacune des trois vagues. Celui-ci a été en réalité légèrement supérieur pour la première et inférieur pour la deuxième.

Origine des crédits accordés dans le cadre des COMP

(en millions d'euros)

Ligne budgétaire

Montant annuel

Crédits spécifiques COMP

35

Ligne « dialogue contractuel » des crédits accordés dans le cadre de la LPR

30 à 50

Redéploiement des crédits prévus pour le dialogue stratégique et de gestion (DSG)

35

Source : commission des finances

Si l'effet levier des COMP est reconnu par les établissements comme le ministère, il est difficile de le chiffrer, en particulier leur capacité à mobiliser des financements extérieurs aux ressources des établissements, notamment les autres sources de financement de l'État (France 2030, Agence nationale de la recherche). L'inscription des actions figurant dans les COMP au sein d'un modèle économique plus large est quasiment inexistante : leur coût n'est quasiment jamais évoqué dans les contrats, pas plus que leur impact sur la performance de l'établissement. Les prochains COMP doivent rassembler les différentes contractualisations, en particulier avec les organismes nationaux de recherche et les collectivités territoriales.

II. UN SUIVI COMPLEXE DES COMP QUI COMPROMET L'OBJECTIF D'UNE RÉELLE CONDITIONNALITÉ DES FINANCEMENTS

A. UN NOMBRE D'INDICATEURS DÉLIRANT ET DONC CONTREPRODUCTIF

L'atteinte des objectifs du COMP doit théoriquement être quantifiable par des indicateurs et des jalons associés. En mars 2025, on dénombrait 850 indicateurs. Le nombre d'indicateurs peut varier du simple au double selon les établissements, sans qu'il n'y ait de corrélation directe avec leur taille ou avec les moyens accordés.

Nombre total d'indicateurs par objectif début 2025

(Ensemble des COMP vagues 1 et 2)

Source : commission des finances

Ce foisonnement, loin d'être un gage de qualité, rend extrêmement complexe leur consolidation au niveau national et, in fine, quasi impossible leur suivi par le ministère. Le « sur-mesure » attendu par les établissements se heurte à la nécessité de piloter au niveau national et engendre la multiplication d'indicateurs « anecdotiques », qui semblent davantage relever de la gestion interne de l'établissement que de la contractualisation avec l'État.

B. UN RETARD À CRAINDRE DANS L'EXÉCUTION DES CONTRATS

Il est fréquent, pour ne pas dire systématique, que les cibles chiffrées figurant dans les COMP ne fassent l'objet d'aucune justification quant à leur niveau ou leur méthode de calcul. Il ressort donc de l'analyse des contrats une impression générale de fixation arbitraire ou factice d'un grand nombre de cibles ou de jalons.

Par ailleurs, les contrats ne s'étalent que sur trois ans. Or les projets les plus structurants pour les universités appellent fréquemment un déploiement sur un temps plus long : rénovation énergétique des bâtiments, évaluation de l'impact d'une modification de la maquette d'une formation sur l'insertion professionnelle des étudiants... Le ministère a donc constaté des taux d'exécution très faibles, liés à une insuffisante capacité des établissements à mettre en oeuvre l'ensemble des actions dans les délais.

À l'avenir, une revoyure à 3 ans au sein de contrats de cinq ans, permettant au ministère de s'assurer de la bonne exécution des projets, permettrait de concilier la nécessité d'un suivi continu avec un rythme plus adapté de déploiement des contrats.

C. DES QUESTIONS AUTOUR DE LA CONDITIONNALITÉ DES FINANCEMENTS QUI RESTENT EN SUSPENS

Faute d'outil informatique dédié à la gestion du COMP, le travail de suivi repose encore sur un système artisanal, excessivement chronophage et consommateur d'énergie, pour les équipes des établissements comme celles des rectorats et de l'administration centrale. L'innovation de rupture des COMP résidait dans la possibilité théorique pour le ministère de « reprendre » des financements en cas de non-atteinte des objectifs figurant dans les contrats.

Le ministère ne semble pas s'être pleinement donné les moyens de mettre en place une conditionnalité effective des financements. Rien n'a été précisé sur les conditions pratiques de cette reprise lors du lancement des COMP. Un bilan intermédiaire a bien eu lieu pour la première vague. Pour autant, les dates des bilans intermédiaires de la vague 2 ne sont pas encore connues, alors même que la deuxième année de ces contrats est déjà bien avancée.

Les facteurs qui rendent peu crédible la conditionnalité des financements sont nombreux : inadaptation des indicateurs et des cibles ; temporalité trop courte des contrats ; absence de système formalisé de suivi des indicateurs ; moyens trop limités des rectorats. S'y ajoutent enfin les incertitudes sur l'articulation des COMP et de la prochaine génération de contrats.

III. LE FUTUR DES COMP : UNE EXTENSION PRÉCIPITÉE ET DES INTERROGATIONS PERSISTANTES

Le ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche a annoncé le 8 avril 2025 le déploiement de nouveaux COMP à partir de 2026, portant sur « l'intégralité de la subvention pour charges de services public » (SCSP).

Alors que les précédentes vagues de COMP n'ont pas toutes été déployées, que le ministère n'a pas lancé d'évaluation des COMP, il n'apparaissait pas nécessairement opportun de réformer intégralement le dispositif avant d'avoir disposé d'un retour d'expérience sur ses modalités actuelles. Alors que le cadre des COMP est mouvant depuis 3 ans, une nouvelle transformation, plus ambitieuse encore, pourrait devenir contre-productive.

L'analyse des COMP des vagues 1 et 2 souligne l'hétérogénéité des contrats et incite à s'interroger sur l'inégale maturité des établissements d'enseignement supérieur et la difficulté de certains à contractualiser autour de leur stratégie d'établissement.

La part libre d'emploi de la SCSP est le plus souvent réduite, les dépenses contraintes (fonctionnement et personnel) constituant l'essentiel des dépenses des établissements. Par conséquent, le ministère indique que les montants des prochains COMP ne pourront en réalité pas aller bien au-delà des montants actuellement contractualisés. Dans le contexte budgétaire contraint qui sera celui des prochaines années et alors que des hausses de crédits semblent difficilement envisageables en 2026, le lancement des COMP « nouvelle formule » à moyens constants paraît difficile.

Il n'est en outre pas réaliste d'envisager que les rectorats aient un rôle d'arbitrage budgétaire sur l'ensemble de la SCSP. Le rapporteur spécial partage la volonté, exprimée par la plupart des recteurs, que les rectorats disposent d'un rôle pleinement assumé dans le dialogue stratégique et dans l'allocation territorialisée des moyens. Une liberté accordée aux recteurs sur une portion réduite des financements irait dans le sens d'une plus grande responsabilisation des rectorats, tout en demeurant raisonnable à l'échelle de leurs moyens actuels.

IV. ÉQUITÉ, TRANSPARENCE, EFFICIENCE : LES GAINS À ATTENDRE DE LA REFONTE TOUJOURS REPOUSSÉE DU SYSTÈME D'ALLOCATION DES MOYENS À L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

La refonte de l'allocation des moyens était initialement partie intégrante de la rénovation du pilotage de l'enseignement : la création d'un nouveau modèle d'allocation des moyens était présentée comme le pendant des COMP. Alors que le montant total des SCSP versées aux établissements d'enseignement supérieur a augmenté de 2,5 milliards d'euros (+ 21 %) depuis la fin du modèle SYMPA en 2014, et dans le contexte fortement contraint des finances publiques, il n'est pas possible de renoncer à trouver un mode d'allocation des ressources adapté aux enjeux actuels de l'enseignement supérieur.

Évolution de la subvention pour charges de service public (SCSP)
versée aux établissements d'enseignement supérieur

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Il est regrettable que le ministère ait renoncé à court terme à la refonte de l'allocation des moyens, sans laquelle la contractualisation ne peut avoir de rôle aussi transformant. La contractualisation à l'échelle de la SCSP ne permettra pas un rattrapage des établissements les moins dotés. Le maintien de la sédimentation actuelle des moyens constitue le principal obstacle aux « COMP à 100 % », alors que le ministère n'est plus en capacité d'indiquer le mode de calcul de la dotation des établissements et que les établissements ne comprennent plus les notifications de leur SCSP.

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