- LISTE DES RECOMMANDATIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION
- AVANT-PROPOS
- I. « LE DRAME ANNUEL » DE
L'ÉLABORATION DE LA CARTE SCOLAIRE
- A. UN NOMBRE D'ÉLÈVES EN BAISSE
TENDANCIELLE DEPUIS 15 ANS
- 1. Une forte baisse du nombre d'enfants à
l'école maternelle et élémentaire
- 2. Un choc démographique qui touche
désormais le collège et à moyen terme le
lycée
- 3. Des perspectives sombres laissant craindre
a minima une situation difficile pour les prochaines années
- 4. Une évolution de la démographie
des enseignants à prendre en compte
- 1. Une forte baisse du nombre d'enfants à
l'école maternelle et élémentaire
- B. UNE PERTE DE CONFIANCE ENTRE LES ACTEURS
- A. UN NOMBRE D'ÉLÈVES EN BAISSE
TENDANCIELLE DEPUIS 15 ANS
- II. PLANIFIER DÈS AUJOURD'HUI LE MAILLAGE
SCOLAIRE DE 2035
- A. CO-BÂTIR LE MAILLAGE TERRITORIAL DE
DEMAIN
- B. INSCRIRE LA RÉUSSITE DES
ÉLÈVES AU CoeUR DU MAILLAGE TERRITORIAL
- 1. Faire de l'enseignement en classe à
niveaux multiples un axe important de la nouvelle formation initiale des
professeurs des écoles
- 2. Trouver l'équilibre nécessaire
entre temps de transport et taille critique de l'établissement
- 3. Accompagner davantage les établissements
scolaires disposant d'une organisation spécifique et les personnels qui
y travaillent
- 1. Faire de l'enseignement en classe à
niveaux multiples un axe important de la nouvelle formation initiale des
professeurs des écoles
- C. ANTICIPER DÈS MAINTENANT LES FUTURS
USAGES DES BÂTIMENTS SCOLAIRES
- A. CO-BÂTIR LE MAILLAGE TERRITORIAL DE
DEMAIN
- I. « LE DRAME ANNUEL » DE
L'ÉLABORATION DE LA CARTE SCOLAIRE
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
LISTE DES RECOMMANDATIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION
La politique éducative territoriale qui inclut une réflexion sur le maillage des établissements scolaires doit répondre à un impératif : garantir à chaque élève la maîtrise des savoirs fondamentaux et la réussite de son parcours scolaire.
Cela suppose de faire de l'école primaire une priorité nationale et d'élaborer un maillage territorial des établissements scolaires - qu'il s'agisse des écoles, collèges ou lycées - avec pour objectif : trouver le bon équilibre entre proximité géographique et qualité de l'offre éducative.
· Définition concertée d'une politique stratégique éducative territoriale
Recommandation n° 1 : Afin de permettre une convergence de vue et d'améliorer l'acceptabilité des modifications de la carte scolaire, renforcer le partage d'informations entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l'éducation nationale. Créer des observatoires des dynamiques scolaires dans les zones urbaines sur le modèle des observatoires des dynamiques rurales. Veiller à un fonctionnement effectif de ces derniers.
Recommandation n° 2 : Afin de penser le maillage des établissements scolaires à moyen terme et de renforcer la transparence dans l'élaboration de la carte scolaire, faire établir par les services déconcentrés de l'éducation nationale, en association avec les observatoires des dynamiques scolaires et rurales, une stratégie éducative territoriale sur six ans qui préciserait notamment les critères et orientations en matière d'ouvertures et de fermetures de classe.
Il peut s'agir par exemple d'une priorité donnée au remplacement, à une politique transversale, une attention particulière pour les écoles en zones rurales ou en éducation prioritaire, ...
Recommandation n° 3 : Afin de donner davantage de sérénité aux équipes pédagogiques et de rétablir la confiance de l'ensemble des partenaires de l'école (enseignants, parents, élus locaux, rectorats), élaborer une carte scolaire pluriannuelle sur trois ans.
· Prise en compte du développement des classes regroupant plusieurs niveaux
Recommandation n° 4 : Afin de prendre en compte l'augmentation du recours aux classes à niveaux multiples, faire de la conduite simultanée de plusieurs niveaux d'enseignement un axe à part entière de la nouvelle formation initiale des enseignants.
Recommandation n° 5 : Afin de garantir le bien-être et la réussite des élèves ainsi que la qualité de vie au travail des équipes pédagogiques, mettre en place un accompagnement et un suivi renforcés pour les écoles de petite taille (notamment celles disposant d'une classe regroupant au moins trois niveaux scolaires) ou disposant d'une organisation spécifique.
· Anticipation des conséquences de l'évolution du maillage scolaire sur le bâti
Recommandation n° 6 : Afin de garantir la réversibilité des bâtiments scolaires :
- anticiper, dès la construction ou à l'occasion d'une rénovation, les possibles changements de destination des locaux en cas de réduction de ses besoins (suppression d'une classe) ou de fermeture de l'établissement ;
- privilégier un mode d'occupation des locaux réaffectés leur permettant de reprendre une fonction scolaire si besoin.
AVANT-PROPOS
La France connaît depuis 15 ans une baisse constante de sa natalité, dont on constate les effets sur le nombre d'élèves scolarisés. La génération 2022 qui entrera en maternelle à la rentrée 2025 compte 143 000 enfants de moins que celle de 2007. Après le 1er degré, la chute des effectifs touche maintenant le collège. Dans quatre ans le lycée sera à son tour concerné.
Dans ce contexte démographique, la révision de la carte scolaire se répète, année après année, et est devenue source de tensions entre l'ensemble des acteurs. Les élus locaux, les enseignants et les parents d'élèves y voient souvent un processus opaque, mené sans concertation et relevant d'une forme de navigation à vue. C'est ainsi que, chaque année en février-mars, les annonces de fermetures de classes suscitent incompréhension et contestation.
Face à ce constat, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport estime nécessaire, pour la meilleure réussite des élèves, que l'élaboration de la carte scolaire résulte d'une réflexion stratégique à moyen terme, ancrée dans la réalité de chaque territoire.
Elle a adopté 6 recommandations visant à définir de manière concertée une politique stratégique éducative territoriale et à en tirer les conséquences tant dans l'accompagnement des enseignants que sur un volet bâtimentaire.
I. « LE DRAME ANNUEL » DE L'ÉLABORATION DE LA CARTE SCOLAIRE
Depuis plusieurs années, les évolutions de la carte scolaire suscitent des tensions très fortes à l'échelle locale en raison des fermetures de classes qu'induit la baisse des effectifs. La récurrence des questions des parlementaires1(*) au Gouvernement tant sur le processus d'élaboration de la carte scolaire que sur les fermetures de classes elles-mêmes ou sur le respect de l'engagement du Président de la République de ne pas fermer d'école sans l'accord du maire témoigne de la sensibilité de cette thématique.
A. UN NOMBRE D'ÉLÈVES EN BAISSE TENDANCIELLE DEPUIS 15 ANS
Le nombre de naissances connait depuis 2010 une forte baisse. Alors qu'en 2006, on dénombrait 829 000 naissances, correspondant à la génération qui a quitté le lycée en juillet 2024, la génération 2022 qui entrera à la maternelle à la rentrée 2025 est beaucoup moins nombreuse puisque seulement 686 000 naissances ont été enregistrées cette année-là.
Cette baisse se répercute mécaniquement sur le nombre d'élèves scolarisés. Le tableau ci-dessous permet de visualiser le nombre d'enfants par génération à différents moments charnières du parcours scolaire.
Année de naissance |
Nb de naissances (milliers) |
Année des 3 ans |
Entrée en CP |
Entrée |
Entrée |
Sortie |
2006 |
829* |
2009 |
2012 |
2017 |
2021 |
2024 |
2010 |
832,1* |
2013 |
2016 |
2021 |
2025 |
2028 |
2014 |
817,4 |
2017 |
2020 |
2025 |
2029 |
2032 |
2018 |
757,3 |
2021 |
2024 |
2029 |
2033 |
2036 |
2023 |
678,3 |
2026 |
2029 |
2034 |
2038 |
2041 |
* hors Mayotte, Source : PLF 2025 avis budgétaire « mission enseignement scolaire ».
1. Une forte baisse du nombre d'enfants à l'école maternelle et élémentaire
Selon les chiffres transmis par la direction de l'évaluation de la performance et de la prospective (DEPP) du ministère de l'éducation nationale, entre 2017 et 2024, le nombre d'élèves scolarisés au primaire a diminué de 483 400 élèves. Cette baisse est particulièrement marquée pour l'école maternelle et devrait encore s'accentuer dans les années à venir. En effet, le nombre d'enfants nés en 2023 et 2024 qui commenceront l'école à partir de la rentrée 2026 est passé sous le seuil des 700 000 naissances ; on en dénombrait environ 830 000 quinze ans plus tôt.
Entre 2024 et 2029, le nombre d'écoliers devrait ainsi baisser de plus de 560 000. En l'espace de 12 ans, soit moins d'une génération scolaire2(*), un million d'élèves en moins fréquenteront les bancs des écoles maternelle, élémentaire et primaire.
Évolution constatée et prévue
des effectifs d'élèves dans
le 1er degré
entre les rentrées scolaires
2017 et 2029 (Source DEPP)
Si tous les territoires sont concernés par la baisse démographique, à l'exception de Mayotte, le Nord et l'Est de la France sont plus particulièrement touchés.
Les dix départements connaissant la plus forte baisse démographique en pré-élémentaire (2017-2024) - Source : DEPP
2. Un choc démographique qui touche désormais le collège et à moyen terme le lycée
Certains départements connaissent déjà une baisse très forte de leurs effectifs de collège, notamment en Guadeloupe et à la Martinique, avec respectivement près des 4 900 et 3 200 collégiens en moins en l'espace de sept ans.
Les dix départements connaissant la plus forte baisse démographique au collège (2017-2024) - Source : DEPP
À l'échelle nationale, les effectifs du collège étaient jusqu'à présent stables, voire en très légère hausse (+ 0,7 %). La rentrée 2024 marque un tournant : pour la première fois, une baisse a été constatée.
À cet égard, les rapporteurs sont frappés par le manque d'anticipation face à cette réalité. Le discours politique se focalise uniquement ces dernières années sur les écoles, alors que les évolutions constatées dans le primaire se retrouvent mécaniquement au collège quelques années plus tard. Si certains départements, notamment ceux qui connaissent déjà une baisse marquée de leurs effectifs et disposent d'établissements avec de petits effectifs, commencent à engager des discussions portant sur les temps de transports ou encore l'organisation scolaire à l'échelle du bassin de vie, cette démarche reste aujourd'hui individuelle.
Selon les prévisions de la DEPP, les effectifs devraient baisser de 2,7 % entre 2024 et 2027. Cette baisse démographique aura des conséquences directes sur les établissements scolaires. Les rapporteurs rappellent que 110 classes de collège ont fermé entre 2017-2024 dans un contexte de stabilité nationale des effectifs.
Face à l'ampleur de la chute démographique à venir - 200 000 collégiens en moins dans les cinq prochaines années - et même si le Gouvernement venait à vouloir profiter de celle-ci pour améliorer le taux d'encadrement des élèves, des fermetures de classes sont à prévoir. Les rapporteurs rappellent que le maillage des collèges est particulièrement dense : entre 1964 et 1969, 1 150 établissements du second degré ont été construits - « 1 par jour » - du fait de l'explosion du nombre de jeunes à scolariser, la hausse de démographie se trouvant accentuée par le prolongement de l'instruction obligatoire de 14 ans à 16 ans. Entre 1958 et 1973, les effectifs des collégiens et des lycéens ont ainsi presque triplé.
Certains collèges seront fragilisés, notamment les plus petits. On dénombre actuellement 711 collèges de moins de 200 élèves, soit 10 % des collèges. 173 d'entre eux accueillent moins de 100 élèves. Ces collèges de petite taille sont d'ailleurs majoritaires dans trois départements : la Creuse (61 % des collèges), le Cantal (58 %) et la Nièvre (53 %).
Comme l'a indiqué l'un des directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) auditionnés par les rapporteurs : « dans le département, nous avons trois collèges dont on sait qu'ils ne tiendront pas à long terme du fait de la baisse démographique. »
Enfin, d'ici 4 ans, soit à partir de 2028, les lycées seront concernés. Il n'existe à ce stade pas de projections de la DEPP au-delà de 2027. Les projections régionales réalisées par l'INSEE permettent toutefois, de prendre conscience de cette situation. À titre d'exemple, la région Hauts-de-France devrait perdre entre 2028 et 2032 plus de 13 000 lycéens.
Cette baisse de la démographie au lycée est à mettre en regard de l'organisation actuelle de la formation au lycée général et technologique avec des options et spécialités. Comme le souligne le rapport d'inspection sur la réforme du lycée, une taille critique est nécessaire pour garantir la présence d'une diversité des spécialités et options : « la mission a pu identifier l'existence d'une taille critique d'établissement nécessaire pour permettre le plein déploiement de la réforme. Selon les avis de certains secrétaires généraux rencontrés, cette taille pourrait être proche d'une capacité de 950 à 1 000 élèves ou de neuf divisions par niveaux. Pour les lycées d'une taille inférieure, il est très difficile de parvenir avec la seule marge d'autonomie à remplir à la fois l'objectif d'accompagnement des élèves, de financement des dédoublements et de proposition d'une offre d'enseignements optionnels »3(*).
3. Des perspectives sombres laissant craindre a minima une situation difficile pour les prochaines années
Les projections démographiques de l'INSEE estiment une poursuite de la baisse du nombre d'enfants en âge d'aller à l'école primaire, au moins jusque 2032, voire 2040 selon les scénarios, suivi d'une légère remontée entre 2038-2050 : le nombre de femmes âgées de 26 à 36 ans serait sur ces années en légère augmentation.
Projection de la population âgée de
six à dix ans suivant des hypothèses
de
fécondité et de migration (2024-2070, base
100 en 2024)
Source : Rapport de la cour des comptes sur la revue
des dépenses en faveur
de la jeunesse, 2024 -Outil de simulation
« Pyramide des âges » de l'Insee.
Tous les territoires urbains comme ruraux seront touchés par la baisse du nombre d'élèves, même si localement des « îlots » pourraient connaître une stabilité voire une hausse des effectifs scolaires.
Afin de mesurer l'ampleur du phénomène qui va toucher l'éducation nationale, les rapporteurs se sont intéressés à plusieurs notes régionales réalisées par l'INSEE sur les effectifs des collégiens et des lycéens. Celles-ci mettent toutes en avant trois points :
- la chute sera brutale à partir de cette année pour le collège et 2028 pour le lycée. Elle sera particulièrement forte entre 2028 et 2040, avant de ralentir ;
- les effectifs pourraient légèrement remonter à l'horizon 2046 ;
- de fortes disparités à l'intérieur de chaque région sont à attendre, avec des territoires particulièrement concernés.
Exemples de prévisions régionales à l'horizon 2040 et 2050 - notes de l'INSEE
Dans l'Eure-et-Loir, alors que le nombre de collégiens a augmenté entre 2011 et 2021, celui-ci va commencer à baisser à partir de 2025 et de manière continue jusqu'à 2040 : entre 2023 et 2040 le nombre de jeunes en âge d'aller au collège dans ce département pourrait se réduire d'un quart. Cette baisse sera relativement uniforme sur l'ensemble de ce territoire - avec un écart allant de - 25,8 % à Dreux et - 22,6 % à Chartres4(*).
Dans la région Hauts-de-France, ce sont 27 % de collégiens en moins qui sont attendus en 2050, soit près de 3 000 élèves en moins chaque année, avec de très fortes variations selon les territoires : si la baisse ne sera « que » de 22 % dans la communauté d'agglomération d'Amiens ou de 10 % à Lille et dans son agglomération, elle pourrait atteindre 34 % sur le littoral ou le nord de l'Aisne et même 41 % dans la région de Calais, avec 140 collégiens de moins chaque année entre 2023-2050 : dit autrement, c'est l'équivalent de 5 classes de 28 élèves en moins chaque année sur une période de 27 ans à Calais et ses environs5(*).
Sur la même période, la région Hauts-de-France devrait perdre 54 900 lycéens, avec là encore des écarts très importants selon les territoires (- 11 % à Lille contre - 39 % à Calais)6(*).
Enfin, dans la région Centre-Val de Loire, le nombre d'enfants de moins de 6 ans devrait baisser de 10 000 entre 2020 et 2040. Sur la même période, le nombre d'élèves en élémentaire baisserait de 25 000, de 21 000 pour les collégiens, et de 21 000 pour les lycéens7(*).
4. Une évolution de la démographie des enseignants à prendre en compte
Les rapporteurs notent le nombre élevé de départs à la retraite dans les corps enseignants dans les années à venir. D'ici 2030, 31 % des postes pourraient être à pourvoir en raison des départs à la retraite, estimés à 330 000 environ.
Sans anticiper les décisions politiques à venir, cette donnée doit être intégrée à toute réflexion sur l'évolution du maillage territorial des établissements scolaires.
B. UNE PERTE DE CONFIANCE ENTRE LES ACTEURS
1. L'élaboration de la carte scolaire : « un drame annuel qui n'a pas grand sens »
L'ensemble des acteurs rencontrés a mis en avant le moment de tension que constitue l'élaboration de la carte scolaire. Les mots choisis sont particulièrement forts, certains élus locaux allant même jusqu'à parler de « traumatisme de la carte scolaire ». Pour reprendre les propos de Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l'éducation nationale, « la France, par son système d'ouverture et de fermeture de classes, s'est mise dans une sorte de drame annuel qui n'a pas grand sens ».
Le conseil départemental de l'éducation nationale (CDEN), dont le rôle initial est d'être consulté et d'émettre des voeux sur toute question relative à l'organisation et au fonctionnement du service public d'enseignement dans le département (art. R. 235-10 du code de l'éducation) et d'être une instance de dialogue entre les différents acteurs - préfecture, rectorat, collectivités territoriales, personnels de l'éducation nationale et usagers -, est devenu pour la carte scolaire une chambre d'enregistrement des décisions prises par le rectorat. Bien souvent ces dernières années, dans un contexte de baisse démographique et de fermeture des classes, les réunions se caractérisent par des débats houleux lors desquels se succèdent des manifestations d'élus locaux, d'enseignants et de parents d'élèves.
Rôle et composition du conseil départemental de l'éducation nationale8(*)
Le conseil départemental de l'éducation nationale (CDEN) a vocation à réunir l'ensemble des acteurs locaux de l'enseignement primaire et du collège. Outre le préfet et le rectorat, il comprend quatre maires, cinq conseillers départementaux et un conseiller régional, dix représentants des personnels de l'éducation nationale, dix représentants des usagers.
Le CDEN est l'instance à l'échelle des territoires d'échanges sur le service public de l'enseignement. Il est notamment consulté sur la répartition des charges de scolarisation en école primaire entre les communes à défaut d'accord entre elles (forfait scolaire), et sur les ouvertures et fermetures de classes dans le primaire.
Pour le collège, il est consulté sur la structure pédagogique des collèges du département ainsi que sur les modalités générales d'attribution des moyens en emplois et dotations financières pour le volet pédagogique, sur le programme prévisionnel des investissements dans ces établissements scolaires ainsi que sur les modalités d'attribution des subventions qui leur sont allouées.
Il est également consulté par la Région sur l'organisation et le fonctionnement des transports scolaires.
De nombreux élus locaux rencontrés par les rapporteurs ont mis en avant l'absence de co-élaboration de la carte scolaire et des décisions unilatérales prises par l'éducation nationale. Quand les élus sont associés, c'est davantage en raison de liens personnels qui ont pu être tissés localement avec l'inspecteur de l'éducation nationale (IEN) de circonscription ou le directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) que d'un processus défini. Outre l'inégalité qu'une telle situation peut créer entre les collectivités territoriales, celle-ci est particulièrement fragile et à rebâtir à chaque mutation ou changement d'équipe municipale. À cet égard, France Urbaine souligne la situation particulière de Nantes, où quatre DASEN se sont succédé en cinq ans.
Les élus locaux auditionnés constatent également une évolution des relations avec l'éducation nationale, à l'image des propos d'Éric Lejoindre, maire du 18e arrondissement de Paris : « le dialogue avec la DASEN et le recteur est courtois, mais descendant et strictement informatif » et de souligner le changement de nature des échanges : « avant on discutait de la réalité scolaire de chaque école. Désormais, le dialogue est plus direct et mathématique ».
Cette situation va au-delà de la perte de confiance : c'est une véritable défiance qui s'est installée entre les acteurs.
2. Une situation démographique qui accentue les tensions entre public et privé dans les territoires en déprise démographique
La déprise démographique est venue accentuer les tensions entre les écoles publiques et les écoles privées sous contrat. En effet, les établissements privés sont actuellement moins touchés que les écoles publiques par la baisse démographique : la diminution du nombre d'élèves scolarisés dans l'enseignement privé sous contrat constatée à la rentrée 2024 a été moins forte que celle prévue par la DEPP. Cela est notamment dû à des effectifs meilleurs que prévus en petite section de maternelle ainsi qu'en 6ème, traduisant un attrait qui reste marqué des familles pour ces établissements, dont beaucoup doivent recourir chaque année à des listes d'attente.
Comme le souligne Philippe Delorme, secrétaire général de l'enseignement catholique (SGEC), « cette situation peut créer des tensions, à la fois dans les grandes agglomérations comme Paris, mais aussi dans des territoires ruraux où il n'y a pas la place pour deux écoles ».
À cet égard, les rapporteurs ont recueilli des témoignages de maires qualifiant de glaciales les relations entre les établissements scolaires publics et privés situés sur leur commune en raison de la concurrence pour l'accueil des élèves.
Dans le même temps, le SGEC tient des propos sévères vis-à-vis du ministère de l'éducation nationale qui chercherait à limiter ses capacités de développement en lui imposant d'une part, de maintenir des moyens dans des écoles qu'il avait prévu de fermer pour des raisons de démographie scolaire et de contraintes financières et, d'autre part, en refusant l'ouverture de nouvelles classes ou le conventionnement de nouveaux établissements dans d'autres endroits.
Ces tensions entre école publique et école privée s'expriment également lorsqu'une commune est contrainte de verser le forfait scolaire pour la scolarisation d'un de ses enfants dans une école privée9(*) alors même que l'école publique de son territoire risque de perdre une classe à un ou deux effectifs près.
II. PLANIFIER DÈS AUJOURD'HUI LE MAILLAGE SCOLAIRE DE 2035
A. CO-BÂTIR LE MAILLAGE TERRITORIAL DE DEMAIN
1. L'urgence d'un partage des informations
L'ensemble des auditions a fait apparaître un constat partagé : il est urgent de mettre fin à une élaboration de la carte scolaire « en silo » et de renforcer le partage d'informations pour permettre l'élaboration d'un diagnostic partagé de la situation scolaire du territoire et de son évolution à court terme.
Or, le rôle des élus locaux est aujourd'hui cantonné à faire remonter les effectifs scolaires. Certaines mairies en ont d'ailleurs tiré les conséquences : à Versailles, les inscriptions ont été avancées à début février pour disposer de plus d'informations possibles au moment du CDEN de fin février/début mars élaborant la carte scolaire.
Lancés par Élisabeth Borne, alors Première ministre, dans le cadre du plan ruralité, les observatoires des dynamiques rurales ont vocation à renforcer les échanges entre les acteurs concernés - rectorat et élus locaux - mais aussi entre les services déconcentrés. Comme le soulignait en avril 2023 Pap Ndiaye, alors ministre de l'éducation nationale, il s'agit « par exemple qu'un maire venant de lancer la rénovation de son école ne découvre pas un mois plus tard qu'une ou des classes vont fermer ». Les rapporteurs partagent la nécessité d'une meilleure coordination entre les services de l'État, et notamment entre les crédits attribués à une commune au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou du fonds vert pour rénover une école et la carte scolaire, soulignée par plusieurs de nos collègues lors de l'examen de ce rapport en commission.
Ces observatoires des dynamiques rurales, qui selon le ministère de l'éducation nationale sont des instances de dialogue et de coordination en amont d'un conseil départemental de l'éducation nationale, ont été mis en place à la rentrée 2023-2024. Co-présidé par le préfet et l'inspecteur d'académie, il a vocation à « partager avec les élus locaux et en lien avec les autres services de l'État, une vision anticipée de ce que pourraient être les ouvertures ou les fermetures de classes en zone rurale. Cette instance doit en outre favoriser la cohérence des politiques publiques en termes d'aménagement du territoire éducatif en partageant une visibilité à moyen terme sur les évolutions démographiques attendues dans ces territoires ruraux et leurs implications potentielles en termes de carte scolaire »10(*).
Les appréciations sur ces observatoires varient selon les élus locaux rencontrés par les rapporteurs. Jean-Paul Carteret, premier vice-président de l'association des maires ruraux de France (AMRF), a indiqué qu'à la question posée lors de leur assemblée générale sur la mise en place de ces observatoires, un tiers des mains se sont levées pour indiquer une absence de mise en oeuvre ou, à tout le moins, l'absence de convocation cette année.
Dans certains territoires où ces observatoires ont été mis en place, ils sont perçus par les élus locaux, davantage comme des chambres d'enregistrement permettant à l'éducation nationale de justifier les suppressions de classe. D'autres élus locaux saluent au contraire cette initiative qui a permis de renouer le dialogue avec le préfet et le rectorat.
Les rapporteurs appellent à une mise en oeuvre effective de ces observatoires, non seulement dans la forme, mais aussi dans les objectifs qu'ils doivent poursuivre.
Ils estiment également nécessaire que cette démarche soit étendue aux territoires urbains qui eux aussi connaissent de fortes variations de démographie scolaire.
Par ailleurs, les rapporteurs souhaitent un meilleur partage des informations. Les élus locaux ont une connaissance fine de leurs territoires et de leurs dynamiques.
C'est le cas par exemple des projets de construction ou de réhabilitation de logements. D'une part, l'éducation nationale n'est souvent pas associée en amont lors des projets de construction de nouveaux quartiers.
D'autre part, les prévisions d'occupation ne sont pas les mêmes. Notre collègue Béatrice Gosselin indique ainsi que lors de la construction d'un nouveau lotissement, l'éducation nationale l'intégrait dans ses prévisions sur le principe d'un enfant en âge scolaire par pavillon. Or, si cette moyenne est sans doute vraie à l'échelle nationale, elle ne tient pas compte de la réalité à l'échelle territoriale et des cycles d'occupation des maisons. Le maire est le mieux à même de connaître la future population qui sera amenée à y habiter à court terme.
Bien qu'il s'agisse d'un cas particulier, la comptabilisation de la population en âge scolaire du 12e arrondissement de Paris illustre de manière symptomatique les divergences entre les statistiques des effectifs de l'éducation nationale à partir desquels la carte scolaire est élaborée et la réalité scolaire. En effet, chaque année, les écoles de l'arrondissement accueillent des enfants des forains de la Foire du Trône à partir de mars, qui ne sont pas inclus dans les effectifs de l'année en cours mais viennent pourtant grossir les classes.
Certaines villes disposent d'ailleurs d'une expertise particulière. La ville de Lyon a recours à plusieurs prévisionnistes. Quant à la ville de Versailles, ses services disposent d'indicateurs spécifiques sur le taux de natalité - et de l'autre côté du spectre sur celui du vieillissement. Or, Claire Chagnaud-Forain, adjointe au maire de Versailles, regrette que ces informations ne soient pas partagées avec l'éducation nationale et intégrées par celle-ci.
L'une des personnes auditionnées a indiqué sous forme de boutade qu'il existait trois chiffres des effectifs scolaires prévisionnels pour l'année à venir : celui transmis par les directeurs d'école, celui transmis par les mairies et celui donné par le rectorat. Elle a précisé que dans neuf cas sur dix, celui des directeurs d'école était celui qui s'approchait le plus des effectifs constatés le jour de la rentrée scolaire du fait de leur connaissance des familles et des fratries, ou les projets de déménagement, suivi par celui des collectivités territoriales.
Ces écarts dans les chiffres peuvent avoir des conséquences importantes. Le maire du 18e arrondissement de Paris a indiqué que le nombre d'inscriptions dans ses écoles au printemps 2025 est beaucoup plus important que celui prévu par le rectorat et pris en compte dans l'élaboration de la carte scolaire : « depuis le mois d'avril, nous savons que le rectorat devra rouvrir quatre classes dans trois écoles ». Se pose la question de savoir dans quelles conditions seront réouvertes ces classes : via le maintien de l'enseignant actuellement en place dans le cas où il n'a pas déjà été affecté sur un autre poste, le recours à des contractuels, via un puisement sur le vivier des remplaçants, ou encore via une modification de la carte scolaire parisienne touchant alors d'autres écoles.
Recommandation n° 1 : Afin de permettre une convergence de vue et d'améliorer l'acceptabilité des modifications de la carte scolaire, renforcer le partage d'informations entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l'éducation nationale. Créer des observatoires des dynamiques scolaires dans les zones urbaines sur le modèle des observatoires des dynamiques rurales. Veiller à un fonctionnement effectif de ces derniers.
De manière plus générale, c'est la co-construction du service public de l'éducation nationale qui est à revoir. En effet, si le ministère de l'éducation nationale est compétent sur les programmes scolaires, le recrutement et la gestion des équipes pédagogiques et administratives, les collectivités territoriales sont responsables du bâti scolaire ainsi que de l'équipement des établissements scolaires. Or, trop souvent, le ministère annonce des décisions qui, dans les faits, ont des conséquences directes sur l'exercice par les collectivités territoriales de leurs compétences. C'est notamment le cas du dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 où dans certaines écoles les communes ont dû en quelques mois « pousser les murs » pour permettre la création d'une ou plusieurs classes supplémentaires. Il en est de même pour l'équipement numérique des salles de cours ou des élèves par les collectivités territoriales, pour lequel celles-ci ne disposent d'aucun retour sur leur utilisation effective.
2. La nécessité d'une meilleure connaissance des objectifs de l'éducation nationale à l'échelle territoriale
L'éducation nationale fonctionne de manière cloisonnée. L'élaboration de la carte scolaire est perçue par les élus locaux comme étant uniquement à la main de l'éducation nationale et conduite de manière opaque, ou sans autre critère que celui de la démographie.
L'approche uniquement démographique pour la définition du nombre d'ETP ouvert dans le budget a également été dénoncée par la commission de la culture lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025. Le nombre d'ETP supprimés dans le primaire public dans le texte initial répondait davantage à une logique mathématique qu'à une réflexion sur l'organisation du maillage territorial scolaire : les services statistiques du ministère de l'éducation nationale avaient prévu une diminution de 74 258 élèves au primaire entre les rentrées 2024 et 2025. Cela correspond à 3 155 classes de 24 élèves en moins - soit exactement le nombre d'ETP dont la suppression était prévue dans la version initiale du budget.
Lors de son audition, Claire Chagnaud-Forain, adjointe au maire de Versailles, a dressé le constat d'une élaboration « sans processus ni organisation, et en l'absence de toute norme ».
La définition de la carte scolaire pour 2025 a été symptomatique d'un manque de dialogue entre l'éducation nationale et les collectivités locales - en raison des attentes de celles-ci après l'annonce de la non-suppression des 4 000 postes.
Comme l'a souligné Frédéric Leturque, co-président de la commission « éducation » de l'Association des maires de France (AMF), « en octobre dernier nous nous attendions à une rentrée 2025 difficile avec l'annonce de la suppression de 4 000 postes ; d'où notre grand bonheur lorsque le gouvernement est revenu sur cette décision. Et puis arrive la carte scolaire et le couperet est tombé dans beaucoup de départements de manière aussi violente que les années précédentes » ; et de conclure sans appel : « au niveau de la façon dont on reçoit ces mesures, c'est difficile de faire pire ». Les élus rencontrés ont tous fait part de leur incompréhension sur la carte scolaire proposée dans leur département, notamment au regard des annonces budgétaires de non-suppressions de postes.
Les choix des recteurs d'académie ou des DASEN d'utiliser certains de ces postes pour des politiques éducatives transversales expliquent un différentiel parfois important entre l'annonce politique de non-suppression, la baisse des effectifs de dotation pour la rentrée 2025 et le nombre de classes supprimées. À Paris, le nombre d'ETP est en baisse de 110 pour la rentrée 2025. Or, 176 classes font l'objet d'une fermeture pour 22 ouvertures, soit l'équivalent de 154 ETP. Aucun élément d'information n'a été communiqué aux équipes pédagogiques et aux élus locaux pour expliquer cette différence de 44 ETP.
Les rapporteurs ne remettent pas en cause cette prérogative du recteur qui est de piloter les politiques éducatives en tenant compte des moyens attribués par l'administration centrale. Bernard Beignier, ancien recteur d'Aix-Marseille puis de Paris, compare ce rôle à celui d'un metteur en scène qui dispose d'une certaine liberté pour monter une pièce dont le texte est imposé. À titre d'exemple, en Mayenne, le DASEN a fait le choix, dans le cadre de la convention signée avec le département, de mettre en place un réseau de « titulaires remplaçants ruralité » apprécié par les écoles qui en bénéficient11(*).
Toutefois, ils appellent à plus de transparence et de prévisibilité dans les axes de pilotage de la politique éducative à l'échelle des territoires. Cette objectivation des critères ainsi qu'une projection à moyen terme sont de nature à renforcer l'acceptabilité des mesures de la carte scolaire.
Aussi, et sans remettre en cause les priorités nationales ou académiques de politiques éducatives, ils appellent à la présentation de manière périodique - par exemple tous les 6 ans, soit le mandat d'un maire - des grands axes de politiques éducatives territoriales sur lesquels sont ensuite définies les ouvertures et fermetures de classe. Le mandat local est en effet une temporalité structurante pour lancer des projets d'investissement importants : rénovation énergétique de l'école, regroupement pédagogique, école du socle, ...
L'obligation de rénovation
énergétique des bâtiments publics,
un investissement
conséquent pour les bâtiments scolaires
Le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire fixe un objectif de neutralité carbone en 2050 pour les bâtiments publics de plus de 1 000 mètres carrés. La majorité des collèges et des lycées sont concernés, tout comme environ 40 % des écoles (en moyenne les écoles de 6 classes et plus).
Or ces travaux ont un coût important : la mission d'information sur le bâti scolaire à l'épreuve de la transition écologique12(*) l'évalue à 1 100 à 1 700 euros du mètre carré pour atteindre l'objectif de 2050 visant une réduction de 60 % de la consommation finale.
Recommandation n° 2 : Afin de penser le maillage des établissements scolaires à moyen terme et de renforcer la transparence dans l'élaboration de la carte scolaire, faire établir par les services déconcentrés de l'éducation nationale, en association avec les observatoires des dynamiques scolaires et rurales, une stratégie éducative territoriale sur six ans qui préciserait notamment les critères et orientations en matière d'ouvertures et de fermetures de classe.
3. Une demande accrue de prévisibilité dans l'évolution du maillage territorial
Qu'il s'agisse d'une fermeture d'établissement scolaire, d'un regroupement pédagogique ou d'une nouvelle carte scolaire, ces évolutions ont des conséquences parfois lourdes sur les élèves, l'organisation familiale ainsi que sur les communes concernées et doivent donc être accompagnées et anticipées.
En avril 2023, dans le cadre du plan France ruralités, Élisabeth Borne, alors Première ministre et Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale, ont indiqué envisager une carte scolaire pluriannuelle sur 3 ans.
Le 8 avril dernier, David Lisnard, président de l'association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, Élisabeth Borne, ministre de l'éducation nationale, et Marie Barsacq, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative, ont signé un protocole d'accord relatif à l'école. Celui-ci prévoit pour l'élaboration de la carte scolaire, d'une part, une concertation renforcée avec les maires afin de tenir compte des spécificités de chaque territoire et de chaque école et, d'autre part, le partage par les services de l'éducation nationale « d'une projection à trois ans sur l'évolution des effectifs scolaires ».
Pour les rapporteurs, ce partage d'informations s'impose. Toutefois, ils estiment nécessaire d'aller plus loin en prévoyant l'élaboration d'une carte scolaire sur trois ans, avec le cas échéant, à la marge, des modifications en cas d'évolution forte et non prévue des effectifs, tant à la hausse qu'à la baisse.
Bernard Beignier, ancien recteur, estime qu'il n'est pas nécessaire de remettre à plat tous les ans la carte scolaire : « on peut raisonnablement dire à des élus qu'il n'y a pas de raisons que les prévisions démographiques varient fortement dans les trois ans à venir ou si c'est le cas les services du ministère reviendront rapidement vers eux. Il faut qu'un élu puisse dire à sa population que la carte scolaire est stable pendant trois ans ».
Cette prévisibilité est importante pour les familles, les élus locaux mais aussi pour les équipes pédagogiques. La capacité de se projeter à moyen terme participe à la qualité de vie au travail des enseignants et à l'attractivité des postes. Certains d'entre eux se retrouvent plusieurs années de suite dans un poste menacé et potentiellement soumis au mouvement de mutation avec les implications que cela peut avoir sur leur vie personnelle. Les rapporteurs rappellent que la fermeture d'une classe peut concerner plusieurs enseignants, notamment si celle-ci entraîne un changement du temps de décharge du directeur d'école. Les conséquences de la fermeture d'une classe se répercutent sur toute l'école. Il s'agit, pour reprendre les propos de l'une des personnes auditionnées, « de mettre fin aux détestables mois de mai et juin » pour les enseignants.
Recommandation n° 3 : Afin de donner davantage de sérénité aux équipes pédagogiques et de rétablir la confiance de l'ensemble des partenaires de l'école (enseignants, parents, élus locaux, rectorats), élaborer une carte scolaire pluriannuelle sur trois ans.
B. INSCRIRE LA RÉUSSITE DES ÉLÈVES AU CoeUR DU MAILLAGE TERRITORIAL
1. Faire de l'enseignement en classe à niveaux multiples un axe important de la nouvelle formation initiale des professeurs des écoles
Les classes à niveaux multiples ne sont plus - depuis de nombreuses années - limitées aux écoles rurales. En France, neuf écoles sur dix ont au moins une classe regroupant des élèves de différents niveaux d'enseignement.
Ces classes représentent près de la moitié des classes (44 %) et accueillent près de la moitié des élèves du primaire (45 %)13(*). Cette proportion atteint 70 à 75 % dans certains départements.
Proportion de classes à niveaux multiples
par département ( %)
(DEPP, note 23.39)
Les classes à plusieurs niveaux sont devenues dans tous les départements une organisation pédagogique courante des écoles. La baisse démographique et ses conséquences en termes de fermeture de classe sont de nature à accentuer cette modalité d'organisation.
Aussi, les rapporteurs souhaitent que la conduite simultanée de deux niveaux d'enseignement soit l'un des axes importants de la nouvelle formation initiale des enseignants qui entrera en vigueur à la rentrée 2026. Ils rappellent également la volonté de la commission que les futurs enseignants suivent un stage pratique dans une classe à niveaux multiples14(*) au cours de leur formation.
Recommandation n° 4 : Afin de prendre en compte l'augmentation du recours aux classes à niveaux multiples, faire de la conduite simultanée de plusieurs niveaux d'enseignement un axe à part entière de la nouvelle formation initiale des enseignants.
2. Trouver l'équilibre nécessaire entre temps de transport et taille critique de l'établissement
Pour les rapporteurs, le maillage territorial scolaire doit être élaboré avec un impératif : la réussite des élèves.
Aussi, au regard du manque d'ambition scolaire par manque d'émulation mais aussi pour lutter contre toute assignation à résidence, le maintien d'un établissement scolaire avec de très faibles effectifs peut se poser.
Les rapporteurs soulignent également la situation particulière de l'enseignant d'une classe unique, seul adulte présent dans l'établissement scolaire que ce soit en cas d'incident ou d'accident, ainsi que sa solitude pédagogique : il ne peut pas confronter son point de vue et échanger avec un collègue sur une difficulté rencontrée par un élève dans ses apprentissages ou au quotidien avec la classe. Les rapporteurs notent d'ailleurs que le groupe de travail « pour une école cantalienne de qualité accessible à tous »15(*) regroupant l'ensemble des acteurs de l'école estime que « l'isolement est une difficulté reconnue comme majeure pour les élèves comme pour les enseignants. Aussi le groupe souhaite qu'aucune école ne fonctionne avec un seul enseignant ».
À la rentrée 2021, 7,2 % des écoles primaires et élémentaires ont une classe unique, leur nombre étant en forte diminution depuis les années 1970 (29,5 % des écoles étaient alors à classe unique)16(*).
Les rapporteurs sont convaincus que la fermeture d'une école n'est pas la mort d'une commune. En revanche, certains territoires ne doivent pas forcément devenir des « déserts scolaires ». L'important est de pouvoir scolariser les enfants à proximité, même si ce n'est pas dans leur commune de résidence.
Un maillage scolaire dense issu des grandes lois
visant à renforcer
la scolarisation des enfants
La France se caractérise par un maillage d'établissements scolaires particulièrement dense. Celui-ci est le résultat de l'histoire de notre pays et de sa politique de scolarisation des enfants, notamment en milieu rural. L'ordonnance du 29 février 1816 impose à toutes les communes de pourvoir à ce que les enfants reçoivent l'instruction primaire et à ce que les enfants indigents la reçoivent gratuitement. Le maillage communal est réalisé dès 1863, tandis que le maillage infra-territorial à l'échelle du hameau se développe à partir de 1863 et entre dans la loi en 1883 avec l'école de hameau.
La loi Goblet de 1886 prévoit que toute commune doit être pourvue au moins d'une école primaire publique. Le décret du 7 avril 1887 rend obligatoire la création d'une école de hameau, dès lors que celui-ci accueille 20 élèves, même contre l'avis des communes. Le tissu scolaire est ainsi à son maximum au début du XXe siècle. Cette représentation du maillage territorial scolaire qui correspond au nombre d'élèves et aux difficultés de transport d'il y a 140 ans imprègne encore fortement les discussions sur la carte scolaire.
Or, depuis le début du XXe siècle, un certain nombre de départements ruraux connaissent une baisse du nombre de leurs élèves, ainsi que la fermeture de premières écoles.
La loi du 12 février 1933 transformant les écoles spéciales rurales en écoles mixtes à une ou deux classes conduit à la fermeture de 3 000 écoles. Le IXe décret-loi du 30 octobre 1935 prévoit la fermeture des écoles de moins de 6 élèves. La circulaire n° 75-120 du 12 mars 1975 abaisse le seuil de fermeture des écoles à classe unique de 16 élèves à 12 élèves. Il est à nouveau abaissé par la circulaire du 16 décembre 1977 à 9 élèves.
10 départements ont moins d'élèves en 2023 qu'en 1833 : les Hautes-Alpes, les Ardennes, l'Aube, le Jura, la Haute-Marne, la Meuse, la Haute-Saône, la Somme, les Vosges et l'Yonne.
Il convient ainsi de trouver le bon équilibre proximité géographique, et taille de l'établissement, au regard notamment de la possibilité de maintenir une émulation entre élèves, de porter une véritable ambition scolaire pour ceux-ci et d'assurer la qualité de l'offre éducative.
La question du temps de transport tout comme les conditions - notamment climatiques - dans lequel il se déroule, doivent aussi être prises en compte au regard de l'âge des enfants.
Ainsi au regard de la distance entre deux collèges en zone très rurale, même avec de petits effectifs, ceux-ci doivent être maintenus si le temps de transport pour les élèves augmente significativement en cas de fermeture de l'un d'eux.
En 2018, 33 % des écoliers ruraux de 3 à 10 ans étaient scolarisés en dehors de leur commune de résidence et parcourent en moyenne 9,5 kilomètres. Quant aux collégiens, les trois quarts des jeunes ruraux sont scolarisés dans un établissement qui n'est pas situé dans leur commune de résidence et parcourent en moyenne 11 kilomètres. Cette distance atteint en moyenne 13,9 kilomètres pour les communes rurales très peu denses17(*). Toutefois, ces données recouvrent des réalités territoriales différentes, notamment en raison de la géographie : parcourir 14 kilomètres en plaine prend moins de temps qu'en zone de montagne.
Il n'existe actuellement pas d'études du ministère de l'éducation nationale sur le temps de transport et ses conséquences sur les résultats scolaires des enfants. Toutefois, les acteurs auditionnés s'accordent pour considérer qu'un temps de transport pour un collégien ne doit pas excéder 30 à 35 minutes par trajet.
L'indice d'éloignement des
collèges : une évolution
de la méthodologie de
calcul bienvenue
Depuis 2018, la DEPP calcule l'indice d'éloignement des collèges, constitué de différentes variables telles que la distance entre la résidence des élèves et le collège, la densité de collège dans un rayon défini, la distance à la Segpa, l'Ulis, l'Upe2a, la section sportive, la section linguistique la plus proche, mais aussi intégrant une variable de nature sportive et culturelle, à savoir la distance au gymnase, à la piscine, au cinéma, au théâtre ou à la bibliothèque la plus proche.
En 2022 est intervenue une évolution dans le calcul de ces variables : la notion de durée routière s'est substituée à la distance « à vol d'oiseau ».
Les rapporteurs saluent cette évolution du mode de calcul qui correspond à la réalité quotidienne des collégiens, particulièrement pour les zones de montagne. Ainsi dans l'exemple donné dans le rapport de la DEPP justifiant ce changement de calcul, la distance entre le village de Granile et Nice passe de 20 kilomètres à vol d'oiseau à 40 kilomètres soit 45 minutes par la route18(*).
Outre des collèges situés en Guyane et sur les îles du Ponant, les établissements scolaires disposant de l'indice d'éloignement les plus élevés sont situés à la Guadeloupe, dans les Alpes-Maritimes, en Haute-Provence et en Corse.
Les rapporteurs ont également la conviction que les limites administratives des collectivités territoriales ne doivent pas constituer des frontières infranchissables pour la carte scolaire, notamment pour les collèges, lorsque la situation géographique le justifie. C'est le parti pris par le DASEN pour le collège de La Chaise-Dieu en Haute-Loire, qui y a facilité la scolarisation des élèves du département voisin. De même, à Valréas dans le sud de la Drôme, territoire pour lequel Bernard Beignier a indiqué aux rapporteurs avoir travaillé avec ses équipes pour faciliter les dérogations avec le département voisin des Bouches-du-Rhône.
Par ailleurs, près d'un enfant sur cinq se rend dans son établissement scolaire en transport scolaire. Or, il s'agit d'une compétence dont les régions se sont saisies à la suite de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Lors de son audition, Jérôme Dumont, président du conseil départemental de la Meuse et président de la commission « éducation » de l'Assemblée des départements de France (ADF), a souligné la difficulté d'élaborer la carte scolaire des collèges sans la compétence transports : certaines régions imposent la présence d'au moins 20 élèves pour ouvrir une ligne de ramassage scolaire. Cette imbrication d'acteurs plaide pour un partage d'informations et une concertation renforcée entre l'ensemble des acteurs du service public de l'éducation.
3. Accompagner davantage les établissements scolaires disposant d'une organisation spécifique et les personnels qui y travaillent
Les travaux des rapporteurs ont porté sur des établissements disposant d'une organisation spécifique. C'est notamment le cas d'écoles du socle qui regroupent au sein d'un même établissement cycle du primaire et collège, ou encore du collège des Îles du Ponant.
Le collège des îles du Ponant
Les enfants des îles de Batz, Ouessant, Molène, Sein, Groix, Houat-Hoëdic étaient jusqu'en 1974 scolarisés sur le continent, en internat à partir du collège. À la suite d'une tempête à la veille des vacances de Noël en 1974, ne leur permettant pas de rentrer chez eux, est né le collège public des îles du Ponant. Il s'agit d'un établissement scolaire dont le siège administratif se situe à Brest, et qui possède une antenne sur chacune des îles pour accueillir les élèves - souvent dans le même bâtiment que les élèves de l'école primaire.
Les enseignants se déplacent sur les différentes îles, les emplois du temps variant en fonction des marées et des horaires des bateaux. Les cours sont également assurés en visioconférence, avec un système de roulement de la présence de l'enseignant entre les îles. Des projets communs réunissent les élèves de ces îles d'un même niveau.
Le rectorat s'est engagé à maintenir chacune des antennes ouvertes tant qu'il reste un enfant à scolariser.
Pour les rapporteurs, l'école du socle ne doit pas uniquement répondre à une problématique démographique réunissant sur un même site un nombre plus important d'enfants, mais a tout son intérêt lorsqu'elle apporte une valeur ajoutée dans les apprentissages des élèves.
À cet égard, la mise en oeuvre de l'école du socle à Jussey jusqu'à l'année dernière en est un exemple intéressant puisqu'elle visait à faciliter la liaison « CM2-6ème » en créant des moments de vie commune entre les élèves du cours moyens et ceux du collège. Outre l'accès aux équipements du collège (CDI, laboratoire de SVT), la dernière heure de cours des CM1 et des CM2 se passait au collège en lien avec les enseignants du second degré.
Si cette expérimentation a été encouragée et accompagnée par l'académie lors de son lancement et jusqu'à l'année scolaire 2023-2024, la fin des dotations spécifiques accordées à l'établissement a remis partiellement en cause ce dispositif pédagogique - les infrastructures du collège restant toutefois ouvertes aux écoliers. Les rapporteurs regrettent cet abandon du soutien de ce projet qui porte pourtant ses fruits : les résultats aux évaluations nationales de collège ainsi qu'au diplôme national du brevet sont en augmentation.
Pour sa part, le DASEN de la Vienne a indiqué que les écoles du socle présentes dans sa circonscription permettent des interventions des enseignants du second degré, en sciences par exemple, dans le cycle 3 (CM1-CM2) et inversement, une intervention des enseignants du primaire au collège pour le renforcement des enseignants fondamentaux.
De manière générale, les rapporteurs appellent à mettre en place un suivi renforcé des établissements scolaires présentant une organisation atypique ou de petite taille. Ils pensent notamment aux écoles regroupant plus de trois niveaux scolaires au sein d'une même classe. Pour celles-ci, une formation spécifique et un accompagnement renforcé de l'enseignant par l'IEN de circonscription sont nécessaires dès la première année.
Ce suivi renforcé de ces établissements atypiques doit aussi permettre de s'assurer que cette organisation pédagogique particulière se fasse dans l'intérêt des élèves, dans la recherche d'un équilibre entre réussite scolaire des élèves et établissements de proximité, au nom de l'égalité des chances.
Recommandation n° 5 : Afin de garantir le bien-être et la réussite des élèves ainsi que la qualité de vie au travail des équipes pédagogiques, mettre en place un accompagnement et un suivi renforcés pour les écoles de petite taille (notamment celles disposant d'une classe regroupant au moins trois niveaux scolaires) ou disposant d'une organisation spécifique.
C. ANTICIPER DÈS MAINTENANT LES FUTURS USAGES DES BÂTIMENTS SCOLAIRES
La baisse démographique impose dès à présent de se pencher sur le devenir des établissements scolaires au regard de l'évolution démographique.
Aussi, les rapporteurs appellent les collectivités territoriales lors de la construction de nouveaux établissements scolaires ou de rénovation d'ampleur de ceux-ci à y intégrer la possibilité d'une réversibilité partielle ou totale des locaux.
Les élus locaux auditionnés par les rapporteurs ont mentionné plusieurs reconversions d'anciens établissements scolaires qui ont fermé : utilisation par des associations, transformation des logements de fonction en logements sociaux, transformation en cuisine centrale pour les écoles de la commune ou encore utilisation par un autre niveau d'enseignement, par exemple de formation supérieure où le nombre d'étudiants va continuer à augmenter ces prochaines années du fait de l'évolution démographique.
Les rapporteurs appellent à avoir une vigilance particulière des élus locaux quant à la vente de ces locaux, notamment dans les zones d'habitation denses - au risque d'être confrontés à une situation compliquée de bâti scolaire en cas de remontées des effectifs.
Les modèles statistiques prévoient, après une longue période de baisse démographique, une hausse à partir de 2036, ce qui correspond à l'arrivée des générations plus nombreuses du début des années 2000 à avoir des enfants en âge scolaire.
D'autre part, dans les métropoles, on observe un cycle de renouvellement des habitants d'une ville, d'un quartier, avec le départ des familles qui s'agrandissent et l'arrivée de jeunes couples. L'évolution des prix immobiliers y participe : Éric Lejoindre, maire du 18e arrondissement de Paris, a ainsi souligné que le nombre de personnes quittant Paris évolue peu depuis 30 ou 40 ans. En revanche, le nombre de personnes s'y installant baisse, en raison du coût financier du logement.
Aussi, les rapporteurs estiment nécessaire de conserver des écoles appelées à fermer dans l'éventualité d'une nouvelle ouverture à long terme. Toutefois, afin d'éviter que le bâtiment ne se dégrade et pour réduire l'effet négatif d'une telle fermeture sur la vie du quartier ou de la commune, ils appellent à une utilisation de ces bâtiments, mais selon des modes d'occupation leur permettant dans un délai d'un ou deux ans de reprendre une fonction scolaire.
Recommandation n° 6 : Afin de garantir la réversibilité des bâtiments scolaires :
- anticiper, dès la construction ou à l'occasion d'une rénovation, les possibles changements de destination des locaux en cas de réduction de ses besoins (suppression d'une classe) ou de fermeture de l'établissement ;
- privilégier un mode d'occupation des locaux réaffectés leur permettant de reprendre une fonction scolaire si besoin.
EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 18 JUIN 2025
___________
M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen du rapport préparé par Jacques Grosperrin, Annick Billon et Colombe Brossel consacré au maillage territorial des établissements scolaires.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Cette mission d'information est partie d'un constat que j'avais dressé dans l'avis budgétaire sur les crédits de l'enseignement scolaire en novembre dernier, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2025. Alors que l'évolution de la démographie scolaire s'inscrit dans le temps long, l'élaboration de la carte scolaire est restée ancrée dans un processus qui se répète inlassablement de la même manière, année après année.
Or notre maillage territorial, ou la représentation que nous nous en faisons, reste marqué pour le primaire par les grandes lois sur l'école de la fin du XIXe siècle, et pour le collège par la période des années 1960 avec la « construction d'un collège par jour ».
Toutefois, la démographie scolaire est tout autre. Quelques chiffres permettent de mesurer l'ampleur de cette déprise.
La génération 2022 qui entrera en maternelle en septembre compte 143 000 enfants de moins que celle de 2007. Entre 2017 et 2029, ce sera un million d'enfants en moins qui fréquentera les bancs du primaire. La baisse du nombre d'élèves en écoles maternelle et élémentaire va continuer à s'accélérer ces prochaines années.
Après le premier degré, la chute des effectifs touche désormais le collège. On comptera ainsi 200 000 collégiens de moins dans les cinq prochaines années. Certains collèges, notamment ceux aux effectifs les plus petits, seront fragilisés. Un directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) que nous avons auditionné nous a indiqué que, dans son territoire, trois collèges risquaient de disparaître du fait de la baisse démographique. À cet égard, je note que les conséquences de la baisse démographique sur le collège restent très peu anticipées.
Enfin, mécaniquement, dans quatre ans, ce sont les lycées qui seront touchés.
Je rappelle le constat dressé dans une précédente mission d'information sur le bilan des mesures éducatives du premier quinquennat par Annick Billon, Max Brisson et Marie-Pierre Monier : pour mettre en oeuvre la réforme du lycée dans de bonnes conditions et proposer une diversité d'options ou d'accompagnements des élèves et d'heures d'orientation, un seuil critique existe. Il est fixé à 900 ou 1 000 lycéens minimum.
Il convient de tirer les conséquences de l'existence de ce seuil. Cela implique de revoir le maillage territorial ; de revoir les modalités d'attribution de la dotation horaire globale ; d'acter que les lycées ne proposent pas toutes les options.
Mme Annick Billon, rapporteure. - La situation démographique va continuer à se dégrader, selon les prévisions de l'Insee, au moins jusqu'en 2032, voire 2040, selon les scénarios. Tous les territoires seront touchés, ruraux comme urbains, même si localement des îlots de vitalité démographique peuvent subsister. Surtout, de grandes disparités pourraient être constatées à l'intérieur d'un même territoire.
Nous nous sommes penchés sur les notes régionales de l'Insee. Dans la région Hauts-de-France, ce sont 27 % de collégiens en moins qui sont attendus en 2050, soit près de 3 000 élèves en moins chaque année, avec de très fortes variations selon les territoires. Si la baisse ne dépasserait pas 10 % à Lille, elle pourrait atteindre 41 % dans la région de Calais, soit 140 collégiens de moins chaque année entre 2023 et 2050. Dit autrement, c'est l'équivalent de 5 classes de 28 élèves en moins chaque année sur une période de vingt-sept ans à Calais et dans ses environs.
Dans la région Centre-Val de Loire, en l'espace de vingt ans (2020-2040), le nombre d'élèves en élémentaire baisserait de 25 000, de 21 000 pour les collégiens et de 21 000 également pour les lycéens.
Dans ce contexte, l'élaboration annuelle de la carte scolaire est devenue un moment de tension. La coopération entre les élus locaux et les services déconcentrés de l'éducation nationale relève davantage de liens personnels qui ont pu être tissés sur le terrain que d'un processus défini. Il en résulte une grande fragilité, puisque cette association est à rebâtir à chaque mutation ou changement d'équipe municipale ou départementale pour les collèges.
Par ailleurs, de nombreux élus ont constaté une dégradation de leurs relations avec l'éducation nationale. Si auparavant, il était possible de discuter de la situation de chaque établissement scolaire, aujourd'hui les échanges sont davantage descendants, se limitant à une simple information des décisions prises par l'éducation nationale.
Mme Colombe Brossel, rapporteure. - De ce constat sont issues nos recommandations qui doivent répondre à un impératif : garantir à chaque élève la maîtrise des savoirs fondamentaux et la réussite de son parcours scolaire.
Cela suppose de refaire de l'école primaire une priorité nationale, notamment du point de vue budgétaire, et d'élaborer un maillage territorial des établissements scolaires, qu'il s'agisse des écoles, collèges ou lycées, avec pour objectif la recherche du bon équilibre entre proximité géographique et qualité de l'offre éducative.
Le maillage territorial scolaire doit s'inscrire dans une stratégie éducative locale partagée par l'ensemble des acteurs, notamment les élus locaux qui connaissent mieux que quiconque leur territoire. De là résultent nos trois premières recommandations.
Il est urgent de renforcer le partage d'informations. La carte scolaire est actuellement préparée par l'éducation nationale « en silo ». Le rôle des élus locaux est cantonné à la remontée des effectifs scolaires. Certaines mairies en ont tiré les conséquences. À Versailles par exemple, les inscriptions ont lieu dès le début du mois de février pour disposer des chiffres les plus précis possible au moment de la réunion du comité départemental de l'éducation nationale de fin février ou début mars actant la carte scolaire. Les élus locaux ont une connaissance fine de leurs territoires et de leurs dynamiques. Je pense, par exemple, aux projets de construction, mais aussi aux transformations de la vie de quartier qu'ils vivent au quotidien.
Par ailleurs, certaines villes se sont dotées d'outils statistiques. La Ville de Lyon dispose de plusieurs prévisionnistes et la Ville de Paris d'un service de la prévision scolaire.
Les écarts entre les prévisions d'effectifs de l'éducation nationale et le nombre d'élèves réellement présents le jour de la rentrée peuvent être importants. Le maire du 18e arrondissement de Paris que nous avons auditionné a ainsi indiqué savoir depuis le mois d'avril que le rectorat devra rouvrir quatre classes dans trois écoles de son arrondissement, en raison de cet écart. Cet exemple montre la nécessité d'impliquer les élus qui doivent être associés non seulement pour ce qu'ils représentent, mais aussi dans l'intérêt de tous, pour leur connaissance du terrain. L'éducation nationale s'éviterait ainsi quelques écueils et mouvements précipités.
Dans cet esprit, les observatoires des dynamiques rurales, annoncés dans le cadre du plan France Ruralités en 2023, visaient à mettre autour de la table l'ensemble des acteurs.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Les appréciations sur ce dispositif varient. Dans un certain nombre de territoires ruraux, ces observatoires n'ont pas encore été mis en place. Le premier vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) nous indiquait ainsi qu'environ un tiers d'entre eux n'était pas opérationnel. Certains élus les considèrent également davantage comme une chambre d'enregistrement permettant à l'éducation nationale de justifier les suppressions de classe. D'autres élus, au contraire, saluent cette initiative qui a permis de renouer le dialogue avec le préfet et le rectorat.
De ce constat découle notre première recommandation. Il faut renforcer le partage d'informations entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés dans un double objectif : créer une convergence de vues, mais aussi renforcer l'acceptabilité des modifications de la carte scolaire.
De plus, nous sommes favorables à ce que les observatoires des dynamiques rurales, en changeant leur nom, soient également installés dans les zones urbaines. En effet, les villes sont aussi concernées par de fortes variations des effectifs scolaires. Colombe Brossel peut en témoigner pour Paris.
Cette concertation doit permettre de dégager une stratégie éducative partagée à l'échelle du territoire. L'élaboration de la carte scolaire pour 2025 est sans doute l'exemple le plus marquant du manque de coconstruction de la carte scolaire. Vous le savez, le projet de loi de finances pour 2025 prévoyait initialement la suppression de 4 000 postes d'enseignants. Nous nous sommes battus pour réduire ce chiffre, notamment dans les territoires ruraux. Finalement, le Gouvernement est revenu sur l'intégralité des suppressions de poste. Les élus s'attendaient à une certaine stabilité de la carte scolaire. Or, dans de nombreux départements, le couperet est tombé de manière aussi violente que les années précédentes. Cela a suscité beaucoup de colère et d'incompréhension.
Ces écarts s'expliquent par des choix académiques faits en faveur d'autres politiques. Il ne s'agit pas pour nous de remettre en cause cette prérogative du recteur ou du Dasen qui est de piloter les politiques éducatives en tenant compte des moyens attribués par l'administration centrale. En revanche, il nous semble indispensable que les élus locaux disposent de plus de transparence et de prévisibilité dans les axes de pilotage : par exemple, une priorité donnée au renforcement des brigades de remplacement, à l'école en zone rurale ou à l'éducation prioritaire.
L'opacité des critères de définition de la carte scolaire, au-delà du strict critère démographique contribue à alimenter les tensions. Il en est de même d'une application strictement mathématique de la fermeture d'une classe au regard du nombre d'élèves, sans tenir compte de la spécificité de l'établissement scolaire.
La définition de cette politique stratégique restera une prérogative de l'éducation nationale, après discussion au sein des observatoires des dynamiques territoriales ou scolaires. Cette stratégie préciserait notamment les critères et les orientations en matière d'ouverture et de fermeture de classe. Nous vous proposons que cette stratégie couvre une période de six ans, soit le mandat d'un maire. Le mandat local est une temporalité structurante pour lancer des projets d'investissement importants : cette prévisibilité à moyen terme est essentielle.
Mme Annick Billon, rapporteure. - J'en arrive à la carte scolaire. Il faut impérativement sortir du drame annuel que constitue son élaboration, à la fois pour les élus locaux et les parents d'élèves, mais aussi pour les enseignants. Parmi ces derniers, certains voient leur poste menacé plusieurs années de suite, et donc potentiellement soumis au mouvement, avant d'apprendre quelques mois plus tard que leur classe n'est pas supprimée ; ou pire, ils apprennent la suppression de leur poste en juin, voire au moment de la rentrée scolaire.
Le protocole d'accord signé entre l'AMF et le ministère de l'éducation nationale en avril 2025 prévoit le partage d'une projection à trois ans sur l'évolution des effectifs scolaires. Nous vous proposons d'aller plus loin et d'élaborer une carte pluriannuelle sur trois ans. Comme nous l'a indiqué Bernard Beignier, ancien recteur d'Aix-Marseille puis de Paris, « il faut qu'un élu puisse dire à sa population que la carte scolaire est stable pendant trois ans ». Dans notre esprit, cette carte pluriannuelle est élaborée en cohérence avec les axes de stratégie éducative territoriale couvrant une période de six ans.
Trois points doivent être mis en avant dans l'élaboration de la carte scolaire et sont à concilier.
Comme nous l'avons dit en introduction, le maillage territorial doit être élaboré avec un impératif : la réussite des élèves. Aussi, au regard du manque d'ambition scolaire par défaut d'émulation, mais aussi pour lutter contre toute assignation à résidence, le maintien d'un établissement scolaire à très faible effectif peut se poser. La fin d'une école n'est pas forcément la fin d'une commune. En revanche, les bassins de vie ne doivent pas devenir des déserts scolaires. Il s'agit de trouver le bon équilibre entre proximité géographique, qualité de l'offre éducative et ambition pour les élèves.
Nous avons constaté un consensus pour considérer que le temps de transport d'un collégien ne doit pas excéder trente à trente-cinq minutes par trajet.
Une difficulté nous a toutefois été signalée dans certains départements pour l'élaboration de la carte scolaire des collèges : certaines régions, qui ont la compétence du transport scolaire, demandent la présence d'au moins vingt élèves pour ouvrir une ligne de transport scolaire. Là encore, la concertation renforcée entre l'ensemble des acteurs du service public de l'éducation est essentielle.
Parce que le maillage des établissements scolaires doit se faire au service des élèves et de l'égalité des chances, il nous paraît essentiel d'avoir un accompagnement, un suivi et un contrôle renforcés pour les enseignants des établissements scolaires à l'organisation atypique ou de petite taille. Cela vaudrait ainsi pour les écoles dont les classes regroupent plus de trois niveaux scolaires - par exemple une classe unique pour les trois niveaux de maternelle, ou encore une classe regroupant des CE2, CM1 et CM2.
Nous estimons nécessaire que l'enseignant concerné bénéficie dès la première année d'un accompagnement spécifique par son inspecteur de l'éducation nationale (IEN) de circonscription. Il en est de même pour les enseignants du second degré avec leur inspecteur pédagogique.
Mme Colombe Brossel, rapporteure. - Ce sujet nous amène à la question de la formation des enseignants, notamment leur formation initiale.
Les classes à plusieurs niveaux ne sont plus l'apanage des écoles rurales. Désormais, neuf écoles sur dix ont au moins une classe à plusieurs niveaux et près d'un élève sur deux est scolarisé dans une telle classe. La baisse démographique et ses conséquences sur la fermeture de classes vont accentuer cette pratique pédagogique. Il nous semble indispensable de faire de la conduite simultanée de plusieurs niveaux d'enseignement un axe à part entière de la nouvelle formation initiale des enseignants.
J'en viens maintenant au volet « bâti scolaire » du maillage territorial. Il faut dès à présent se pencher sur le devenir des établissements scolaires. Nous appelons les élus locaux, lors de la construction de nouveaux bâtiments scolaires, ou de travaux de rénovation, à anticiper les possibles changements d'utilisation du local ou la réduction des besoins : par exemple, une salle libérée à la suite d'une fermeture de classe peut servir à l'installation d'autres activités ou d'autres services publics, comme celui de la petite enfance.
Il faut également envisager la possibilité de faire varier les volumes facilement en déplaçant les cloisons, ce qui nécessite de penser en amont un certain nombre d'aménagements, comme le positionnement des réseaux d'approvisionnement.
Nous appelons également à la plus grande prudence, notamment dans les zones densément peuplées, quant à la vente trop hâtive de ces bâtiments ou une transformation définitive ne permettant plus leur réemploi pour une fonction scolaire.
Les modèles statistiques prévoient une remontée des effectifs à partir de 2036, correspondant à l'âge scolaire des enfants des générations plus nombreuses des années 2000. En outre, différents scénarios peuvent advenir, comme une baisse des prix de l'immobilier favorisant l'arrivée de jeunes couples empêchés pour l'instant d'accéder à certains quartiers en raison du coût du logement. C'est pourquoi les modes d'utilisation choisis pour les anciens bâtiments scolaires doivent permettre leur réutilisation scolaire dans un délai rapide d'un ou deux ans.
Mes chers collègues, nos six recommandations visent un même objectif : développer une vision partagée de ce que nous voulons pour l'école et l'inscrire dans le temps long.
Mme Monique de Marco. - Ce travail me semble incomplet par rapport aux auditions auxquelles j'ai participé, même si j'en comprends la logique.
Pour moi, le maillage scolaire ne se résume pas à un réseau d'établissements, mais doit constituer l'ossature de l'égalité républicaine. C'est par une école de proximité que nous garantissons l'accès à un enseignement de qualité, quel que soit le lieu de vie.
C'est aussi un pilier de l'aménagement du territoire. Depuis plusieurs années, on constate une tendance inquiétante à la fermeture de classes en zone rurale, qu'il s'agisse de classes uniques ou de petits collèges de proximité, justifiée par des considérations budgétaires et par la baisse démographique.
Il ne s'agit pas pour moi de nier la réalité des contraintes ni le fait que l'école a un coût, mais il s'agit d'un investissement dans l'avenir. L'école mérite donc une politique volontariste, concertée avec les élus locaux, les enseignants et les parents.
La ruralité est un sujet qui m'intéresse particulièrement, mon département comptant de nombreuses écoles en milieu rural. Chaque année, des maires me sollicitent, inquiets face à la perspective d'une fermeture de classe. Lors de son audition, le représentant de l'AMRF nous a dit qu'il s'agissait pour les maires d'un « cri du coeur », car la fermeture d'une classe était la première étape vers la fermeture de l'école. Or l'école est un lieu de vie dans une commune.
Le président Lafon, dans son rapport d'octobre 2019 intitulé Les nouveaux territoires de l'éducation, expliquait que « les sénateurs ont le souci du maintien d'une offre scolaire de proximité et du maintien du maillage des écoles sur les territoires ». C'est là un élément très important que je ne retrouve pas dans les recommandations de votre rapport.
Pourtant, fermer des classes en zone rurale revient à renforcer les inégalités dont sont souvent victimes les jeunes ruraux et qui ont été largement documentées dans le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), publié en février 2025. À résultats égaux, les élèves issus des territoires ruraux sont moins nombreux que ceux qui sont issus de territoires urbains, dans les filières générales et dans l'enseignement supérieur. En outre, les jeunes ruraux sont 28 % en moyenne à obtenir un diplôme du supérieur contre 39 % en milieu urbain. Le taux de non-poursuite des études est estimé à 23,6 % en milieu rural contre 15 % pour la moyenne nationale.
Le rapport de la Cour des comptes sur la politique d'éducation prioritaire publié il y a quelques semaines souligne également le manque de prise en compte des territoires ruraux. Pour un indice de position sociale (IPS) égal, on constate que les zones rurales sont deux fois moins classées en éducation prioritaire que les quartiers urbains. De même, les territoires éducatifs ruraux bénéficient d'une enveloppe de seulement 6,3 millions d'euros, contre 100 millions d'euros pour les cités éducatives.
Les recommandations de votre rapport ne correspondent pas, à mon sens, aux objectifs qui avaient été fixés dans le cadre de cette mission d'information. Elles auraient dû être plus fortes. En effet, il ne s'agit pas simplement de renforcer l'acceptabilité des modifications de la carte scolaire, mais d'éviter la fermeture de classes et d'écoles.
La recommandation n° 1 vise à « transformer les observatoires des dynamiques rurales en observatoires des dynamiques scolaires couvrant également les zones urbaines ». Or vous avez rappelé que ces observatoires étaient très peu nombreux à avoir été mis en place et qu'un tiers d'entre eux seulement fonctionnait, de sorte que vous avez considéré, en définitive, que mieux valait les rassembler en un seul observatoire des dynamiques scolaires couvrant également les zones urbaines. À vous entendre, j'ai eu l'impression qu'il n'y aurait plus d'observatoires des dynamiques rurales et qu'on les remplacerait par une structure plus globale. Mais peut-être ai-je mal compris... Quoi qu'il en soit, il faudrait revoir la rédaction de votre recommandation.
Je souscris à vos autres propositions, notamment celle qui porte sur la nécessité d'une carte scolaire pluriannuelle sur trois ans.
En revanche, je ne comprends pas le sens de la recommandation n° 5, qu'il faudrait sans doute développer ou rédiger autrement.
En l'état, je m'abstiendrai sur vos recommandations. Nous pourrions en rediscuter et ajouter des points complémentaires.
M. Max Brisson. - Ce rapport était attendu et les rapporteurs partaient d'une page quasiment blanche, de sorte qu'ils ne pouvaient écrire que des choses fortes et justes. L'école est certainement, parmi toutes les administrations de l'État, celle qui a le moins réfléchi à sa présence dans les territoires, à l'exception de l'éducation prioritaire.
Vos recommandations s'inscrivent dans le champ de la responsabilité, si bien que n'y figurent pas les mots de « moratoire », d'« interdiction de fermeture de classe » ou d'« interdiction de fermeture d'école ». Vous avez évité de tomber dans la démagogie.
La France, historiquement, a fait un choix qui est une exception en Europe, en conservant un grand nombre d'écoles. Dès lors que notre pays compte bien plus de communes que les autres pays d'Europe, il compte aussi bien plus d'écoles. Par conséquent, nous ne sommes pas dans une période forte de fermetures d'école, comme dans les années 1970 ou 1980, lorsque sont apparus les regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) avec des fermetures d'école en vrac, ou du moins très nombreuses. Malgré cela, la France a conservé un nombre très élevé d'écoles.
D'où les réflexions qui surgissent aujourd'hui : faut-il s'interroger sur le nombre élevé de nos écoles ? Et si oui, quels sont les facteurs d'interrogation ?
Si je dois exprimer un regret, je dirais que votre approche est essentiellement démographique. Il me semble en effet que la réflexion sur le maillage territorial de l'école doit aussi avoir une portée pédagogique. On doit s'interroger sur la solitude pédagogique dans les écoles. Il y a une offre pédagogique territoriale à construire, sur laquelle nous devons nous interroger. Nous devons notamment engager une réflexion sur le lien entre le collège et l'école primaire, le fossé entre ces deux niveaux étant la grande faiblesse de notre système scolaire. La construction du cycle 3 a échoué, creusant cet écart qui est largement à l'origine du décrochage scolaire et des difficultés du collège.
S'ajoute à cela une dimension de politique publique et d'attractivité du territoire, car il n'y a pas de territoire attractif sans une offre scolaire digne de ce nom. La réflexion sur le maillage territorial de l'école doit prendre cette donnée en compte. Les collectivités territoriales sont parfaitement compétentes pour développer cette politique d'attractivité territoriale.
Enfin, il faut veiller à la cohérence et à la qualité de l'offre pédagogique.
Vous souhaitez que l'on ouvre les livres et que l'on partage les informations. Autrement dit, vous souhaitez impliquer chacun avec ce qu'il sait - le maire ou l'intercommunalité dans sa connaissance des projets d'urbanisme, de la prospective d'urbanisme et de la prospective démographique - et l'éducation nationale avec ce qu'elle sait sur la remontée des cohortes et l'organisation pédagogique. Certes, il faut inciter au dialogue et à la concertation, même si la politique de l'éducation nationale est de donner des informations, mais certainement pas de les partager et encore moins de les construire ensemble. Je serais allé beaucoup plus loin que vous en ce sens.
Les collectivités territoriales doivent être associées dans un véritable copartage de la construction d'une carte scolaire pluriannuelle, valable pour un mandat de six ans, avec une possibilité de révision à mi-parcours. Cette coconstruction est essentielle, sachant que l'affectation des moyens revient ensuite à l'État, puisqu'il s'agit de fonctionnaires d'État.
En tout cas, vous avez ouvert une piste qui mérite que l'on continue de la travailler.
Quelques interrogations subsistent : vous n'avez rien dit des RPI. Faut-il les transformer en école ? Faut-il leur donner une personnalité morale ? Faut-il les prendre en compte pour ce qu'ils sont en réalité, souvent en s'appuyant sur des syndicats intercommunaux scolaires, mais qui n'est pas traduit dans le code de l'éducation ?
Je suis aussi un farouche partisan de la compétence communale en matière scolaire. Il convient de s'interroger sur le rôle des intercommunalités, voire du département, dans le travail de co-construction que j'ai évoqué. La sectorisation des collèges est notamment un enjeu important.
Ma seule réticence porte sur la recommandation n° 5. Tel qu'elle est rédigée, elle laisse entendre que, dans les écoles à classe unique ou à deux classes, avec regroupement de niveaux, il y aurait un problème pédagogique. Or je ne le crois pas. Toutes les études montrent le contraire. Comme l'a dit Monique de Marco, il peut y avoir une difficulté concernant la poursuite des études, liée à l'enfermement géographique. Néanmoins, le terme de « contrôle » que vous employez me pose problème pour son aspect stigmatisant, alors que ces écoles sont dans une bonne moyenne pour ce qui est des résultats des élèves. Sans doute faudrait-il revoir la rédaction de cette recommandation n° 5.
En revanche, je souscris à l'idée qu'il faudrait une formation spécifique pour enseigner dans ces classes à multiniveaux. Quand les instituteurs sortaient de l'École normale, ils avaient été préparés à prendre en charge ce type de classe, car la grande majorité des écoles de France étaient à classe unique. Aujourd'hui, les professeurs des écoles ne le sont plus, ce qui me conduit à penser que l'université n'est pas forcément le meilleur endroit pour former les professeurs des écoles - c'est là un avis éminemment personnel.
Mme Laure Darcos. - Notre commission est très attachée au maillage territorial des écoles. En cette période d'annonces sanglantes de fermetures de classe en zone rurale, j'aurais souhaité qu'un lien soit établi avec les travaux financés grâce à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) dans l'année qui précède une éventuelle fermeture de classe, voire une fermeture d'école. Sous le ministère de Jean-Michel Blanquer, nous avions tenté dans mon département de l'Essonne d'éviter une fermeture d'école en avançant cet argument, sur l'avis d'un maire. En effet, il est légitime que quand l'argent public est attribué pour financer la rénovation thermique ou énergétique d'une école, l'établissement ne soit pas ensuite immédiatement fermé, et ce malgré la logique liée aux effectifs.
Mme Marie-Pierre Monier. - Ce rapport d'information aboutit à des constats consensuels, alors que les clivages politiques et territoriaux sur le sujet conduisent souvent à des discours qui s'entrechoquent. C'est la preuve que la Haute Assemblée a, encore une fois, su mener un travail transpartisan et constructif.
Il était d'autant plus essentiel d'y parvenir que nous connaissons le caractère hautement sensible des problématiques liées à la carte scolaire et l'attention que suscite le sujet dans la diversité de nos territoires. J'en veux pour preuve les nombreuses interventions de nos collègues issus de toutes les travées, lors des séances de questions d'actualité au Gouvernement (QAG), durant le premier semestre de la session. Nos collègues se font alors les porte-voix des inquiétudes et de la mobilisation des élus locaux ainsi que de l'ensemble de la communauté éducative.
Si nous devons veiller à ne jamais opposer les territoires entre eux, nous sommes très conscients, en ruralité, de l'impact délétère sur la vitalité de nos petites communes que représente la disparition d'une classe, voire d'un établissement scolaire, vécue comme un éloignement supplémentaire de nos services publics dans des zones où la mobilité est un enjeu plus fort que dans les territoires urbains.
Ces fermetures sont vécues d'autant plus douloureusement qu'elles semblent tomber du jour au lendemain, ou en tout cas sans concertation préalable. La question que nous avons posée lors de la dernière séance de QAG l'a bien montré.
Je souhaite saluer tout particulièrement les trois premières recommandations du rapport qui visent à donner plus de visibilité à l'ensemble des partenaires scolaires en élaborant une carte scolaire pluriannuelle sur trois ans. Tout le monde en tirera bénéfice, même les communes en termes d'investissement. Il faut donc soutenir cette mesure et j'encourage mes collègues à le faire de manière transpartisane.
Il faut aussi objectiver les critères en matière d'ouverture et de fermeture de classe. En effet, une transparence accrue sera le gage d'une plus grande acceptabilité des décisions.
Enfin, il convient de renforcer le partage d'informations entre les collectivités et les services de l'État pour mettre fin aux approches cloisonnées et davantage mettre en valeur la connaissance très fine que les élus locaux ont de leur territoire. Il est essentiel d'en finir avec la verticalité et de privilégier le dialogue.
La recommandation n° 4 visant à intégrer la conduite simultanée de deux niveaux d'enseignement dans les axes de la formation initiale des enseignants me paraît très pertinente pour mieux accompagner à l'avenir ceux qui sont confrontés à cette configuration.
Si la baisse démographique se poursuit, il y aura sans doute de plus en plus de classes à niveau multiple. Il faut absolument en tenir compte dans la formation des enseignants, voire l'intégrer dans leur formation initiale, ce qui permettra d'associer à cette dynamique des personnels éducatifs déjà en poste.
La recommandation n° 6 visant à améliorer la réversibilité des bâtiments scolaires s'inscrit dans une démarche louable. Gardons en tête qu'il s'agira pour les collectivités, qui sont compétentes en matière de bâti scolaire, d'un nouveau défi, à l'heure où celui de la rénovation thermique est déjà compliqué à relever faute de moyens financiers suffisants. En effet, les aides que sont la DETR, la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou le fonds vert ont diminué.
Pour conclure, je vous invite, mes chers collègues, à voir le verre à moitié plein en ce qui concerne l'évolution à la baisse du nombre d'élèves. Il s'agit en réalité d'une opportunité unique pour améliorer le taux d'encadrement et pour mieux accueillir l'ensemble des élèves dans leur diversité, sous réserve, bien évidemment, de renoncer à une démarche arithmétique et comptable. Je vous encourage donc, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, à ne pas accepter les suppressions de poste.
Mme Sonia de La Provôté. - Ce rapport aborde un sujet qui nous occupe tous les ans, à la même période. Il s'agit en quelque sorte de la pièce de théâtre annuelle de l'éducation nationale : on est dans le théâtre de boulevard où l'on claque les portes et l'on s'exclame. Il nous faut réussir à calmer le jeu en ce qui concerne les décisions d'organisation de l'école dans les territoires et à obtenir davantage de transparence.
Les décisions sont globalement arithmétiques et collectives, relevant d'une logique de gestion de masse des ressources humaines, celles-ci étant en réalité réduites à ceux qui sont présents sur le terrain. Or l'éducation nationale recouvre un champ bien plus large, pour ce qui est du personnel. Compte tenu de notre place dans les classements internationaux, sans doute devrions-nous aussi nous pencher sur le destin des personnels de l'éducation nationale qui ne sont pas sur le terrain, tout en faisant en sorte d'augmenter le nombre de ceux qui y sont.
Cette gestion collective tend vers un sujet qui est éminemment individuel, à savoir la réussite de tous les élèves, telle que la voulait Jules Ferry, chacun devant trouver la voie de sa propre réussite dans la République. Or cette question n'est pas tellement évoquée quand on parle d'éducation ou même d'« école de la confiance ».
Ainsi, on a du mal à utiliser les évaluations nationales au service de la réussite de l'enfant, considérant plutôt qu'elles servent à évaluer les professeurs et leurs carences. Pourtant, ces évaluations devraient surtout permettre de développer les meilleurs moyens possibles pour accompagner l'enfant.
La carte scolaire est donc, comme l'a dit Monique de Marco, au coeur de l'équité républicaine.
La notion de transparence est également essentielle. Nous n'obtenons jamais de diagnostic partagé sur les effectifs et les besoins. Parce que les critères ne sont pas transparents, on ne sait jamais très bien ce que l'on évalue, de sorte que l'inspecteur, à la rentrée, en est réduit à compter les moutons comme le berger ou la bergère pour vérifier qu'il ne manque personne dans la classe ou qu'il n'y a pas trop d'élèves. On ne saurait résumer la politique d'arbitrage et de gestion de l'école à ce seul moment. Pourtant, c'est un peu ce que l'on fait.
Le rapport aborde à juste titre la problématique de la prévisibilité. Les collectivités se heurtent à chaque fois au même problème : comment faire pour accueillir des personnes qui arriveront à l'avenir si l'on ferme l'école ? La planification jusqu'à preuve du contraire s'impose aux collectivités ; elle devrait s'imposer à l'éducation nationale comme à toutes les politiques publiques. C'est une forme de gestion logique de l'aménagement du territoire.
Des réouvertures de classe sont prévues, des fermetures sont confirmées et d'autres qui n'étaient pas prévues interviendront aussi. Au bout du bout, tout semble se faire par la larme ou le charme. La carte scolaire ne peut pas fonctionner ainsi.
Je voterai vos recommandations avec, toutefois, la même réserve que mes collègues sur la recommandation n° 5. La classe unique n'est pas forcément ce que l'on fait de pire. Les évaluations nationales montrent que ce n'est pas là que sont les problèmes. Un examen plus précis et plus fin permettrait d'aborder les questions qualitatives en leur donnant la même importance qu'aux questions quantitatives : on se rendrait compte alors que les poncifs d'un certain nombre d'experts de la pédagogie, datant d'il y a vingt ans, ne correspondent plus à la réalité du terrain.
Mme Laurence Garnier. - Le département de la Loire-Atlantique a longtemps été préservé, du fait de son dynamisme démographique, des fermetures de classe. Je vous écoutais alors en parler sans me sentir concernée. Toutefois, depuis l'année dernière ou il y a deux ans, bien que la démographie continue à augmenter en Loire-Atlantique, l'évolution du prix du foncier et d'autres facteurs ont eu pour effet que les familles qui arrivent ont des enfants plus âgés qu'auparavant, de sorte que ceux-ci vont plutôt au collège ou au lycée.
Je souscris à ce qui a été dit précédemment sur la nécessité d'une prévisibilité à trois ans ou à six ans. En Loire-Atlantique, il y a eu quelques ratés au début, les maires apprenant par la presse les fermetures de classe. Depuis, nous avons travaillé avec le rectorat et les IEN pour construire un lien privilégié, territoire par territoire et secteur par secteur. Il est toujours préférable d'être informé correctement d'une mauvaise nouvelle plutôt que de l'apprendre en ouvrant son journal le matin. La communication joue donc un rôle important.
Il est difficile pour un maire d'apprendre que son école va fermer alors qu'il vient à peine de couper le ruban d'inauguration de l'extension du bâtiment de cette école. L'enjeu est d'ordre démocratique, car nos concitoyens ne comprennent pas de telles contradictions. Je souscris d'ailleurs à ce qu'a dit Laure Darcos sur la nécessaire corrélation à établir avec l'attribution de crédits de DETR, car personne ne doit avoir le sentiment que ces crédits sont gâchés ou auraient pu être utilisés différemment.
Je voulais aussi vous interroger sur la carte scolaire des enfants à besoins éducatifs particuliers et sur les unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis). Là encore, les enjeux de maillage territorial en milieu rural sont importants. Certains élus tiennent à leur classe Ulis sans toujours parvenir à la maintenir.
Enfin, je remercie Annick Billon d'avoir mis en avant le fait que la fermeture d'une classe, et parfois celle d'une école, ne conduit pas forcément à un désert scolaire dans le bassin de vie concerné, même si une telle mesure suscite des interrogations. Les effectifs scolaires sont en nette diminution, alors que parallèlement ceux des seniors, voire des très seniors, augmentent. Il va bien falloir faire face aux besoins générés par un vieillissement massif de la population française et faire basculer un certain nombre de curseurs budgétaires des uns vers les autres. Cela doit se préparer, bien évidemment, de manière intelligente, mais il faut l'entendre.
En outre, nous devons faire de la pédagogie. Un maire de Loire-Atlantique, dans le secteur très rural de Châteaubriant, m'a sollicitée au sujet d'une fermeture de classe dans sa commune. Une fois cette fermeture actée, il aurait dix-neuf élèves par classe. Je considère que l'on ne peut pas tout défendre. Je suis une élue urbaine et j'ai expliqué à ce maire que les élèves nantais étaient beaucoup plus nombreux dans des classes de secteur pédagogique particulier et de quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Grâce à cette pédagogie, il a fini par comprendre qu'un effectif de dix-neuf élèves par classe pouvait offrir des conditions d'enseignement très correctes dans son école. Il faut défendre ce type d'argument et arrêter de considérer qu'une fermeture de classe est forcément dénuée de sens et n'est jamais fondée démographiquement.
Enfin, Monique de Marco a comparé la réussite des élèves en zone urbaine et en zone rurale. En réalité, à l'intérieur des zones urbaines elles-mêmes, il existe des écarts colossaux. Ainsi, dans les QPV, des collèges et des lycées connaissent des difficultés pédagogiques lourdes et les élèves ne sont pas nombreux à accéder aux études supérieures, alors que dans les grands lycées du centre-ville, on constate une excellence éducative qui vient grossir les rangs de l'enseignement supérieur. Les clivages sont donc au moins aussi importants, voire davantage, au sein des zones urbaines, qu'entre les zones rurales et les zones urbaines.
Mme Marie-Jeanne Bellamy. - Il est essentiel d'associer les communes, les communautés de communes et le département à l'élaboration de la carte scolaire, l'enjeu dans le temps étant de maintenir les collèges, après les écoles.
Mon département de la Vienne doit avoir un temps d'avance, car cela fait longtemps que nous favorisons une prévisibilité sur trois ans. Quand j'étais présidente de l'Association des maires de la Vienne, je travaillais avec l'éducation nationale qui avait passé une convention avec le département visant à établir une projection sur trois ans. Pourquoi, en effet, ne pas le faire sur six ans ?
Un travail de terrain est en cours dans notre département qui associe le préfet et l'éducation nationale. Il s'agit de demander à chaque élu comment il se projette dans l'avenir en ce qui concerne l'école. Un courrier leur est envoyé avec un certain nombre de préconisations. Celle qui incitait à prévoir pour l'école primaire des pôles scolaires avec un seuil de 120 élèves n'a pas manqué de choquer. Les maires sont conscients que les campagnes se vident, mais ils constatent aussi que de nombreux enfants ne sont pas scolarisés dans la commune, ce qui les inquiète. Ils suggèrent une forme de sectorisation comme dans les villes, qui consisterait à privilégier l'école primaire de la commune où résident les enfants.
Le temps de transport scolaire ne doit pas excéder trente minutes. Cela me semble important. L'essentiel est de s'adapter à chaque territoire en évitant toute généralisation. Veillons aussi à ne pas opposer les écoles urbaines et rurales. Un élève qui fréquente une école primaire dans une zone rurale n'apprend pas moins bien qu'un autre. Il faut en finir avec une telle idée.
Mme Béatrice Gosselin. - Il est vrai que dans les zones où la population est plus dense, au nom d'un équilibre comptable, on n'hésite pas à surcharger certaines classes pour en décharger d'autres dans des secteurs moins favorisés. Je comprends cette logique, mais elle pose un réel problème quand les enfants se retrouvent à vingt-neuf ou trente par classe. Il faut trouver un juste milieu et fixer un seuil à ne pas dépasser.
La semaine dernière, j'ai appris que deux enfants scolarisés avaient besoin de passer en classe Ulis, pour la sixième. Or la seule qui est ouverte se trouve à cinquante kilomètres de chez eux. On leur a proposé de redoubler leur CM2 ou bien d'aller dans une sixième classique. Telles sont les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. La logique est comptable au lieu d'être centrée sur le bien de l'enfant.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avec ce rapport, nous avons surtout souhaité vous proposer une méthode, car nous nous sommes rendu compte qu'il y avait autant de situations que de territoires. Je suis un fervent défenseur de l'école du socle, mais j'ai observé qu'il n'y avait pas que cela. Il y a aussi une logique qui se construit au niveau du territoire, et c'est en ce sens que Jean-Paul Carteret parle des « petites centralités ». Il aurait été difficile de proposer autant de solutions qu'il y a de territoires, d'où notre idée de définir une méthode.
Madame de Marco, on pourrait considérer que cela ne pose pas de problème de fermer une école à Paris, car il y en a une autre à 300 mètres ou à 500 mètres. Mais en réalité, d'autres difficultés surgissent. Je suis sénateur du Doubs, un département rural, mais cela ne m'empêche pas de défendre aussi les territoires urbains qui sont également touchés par les fermetures de classe, dans des conditions qui ne sont pas les mêmes que dans la ruralité. Ainsi, le temps de transport pour des élèves parisiens peut dépasser les trente minutes.
Voici quelques éléments pour répondre à vos différentes interventions.
Ce rapport était en effet très attendu. Il y a un grand nombre d'écoles en France, ce qui est sans doute lié à une spécificité démographique. Nous avons recommandé de renforcer le partage d'informations entre les collectivités locales et les services déconcentrés parce que nous ne voulons pas d'une logique uniquement comptable. Dans le rapport, nous mentionnons la suggestion d'un recteur visant à réunir le préfet d'arrondissement, le Dasen, les élus départementaux, ceux de la région, de l'intercommunalité, les parents d'élèves, les professeurs et les chefs d'établissement, afin de coconstruire la carte scolaire, l'idée étant surtout que celle-ci ne soit pas imposée d'en haut. C'est la méthode qui est importante.
Nous proposons la définition d'une stratégie locale éducative sur six ans, ce qui correspond au mandat du maire. C'est dans ce cadre que s'inscrirait la carte pluriannuelle sur trois ans.
Le psychodrame de la carte scolaire, toujours à la même période, est en effet à éviter.
J'entends les remarques que les uns et les autres ont pu faire sur la notion de « contrôle ». Nous avons surtout voulu souligner qu'il existait plusieurs types d'évaluation. Le terme de « contrôle » vise à suggérer non pas une sanction, mais la présence d'un accompagnement. Nous pourrons toutefois revoir la rédaction de la recommandation n° 5.
La classe unique crée un « effet maître » fort. Le ministre Blanquer nous a dit que certaines d'entre elles qui comportent trois ou quatre niveaux fonctionnaient très bien.
L'objectif de notre rapport est de redonner la parole aux acteurs locaux, afin qu'ils coconstruisent la carte scolaire dans une logique qui ne sera plus descendante.
Je voudrais vous citer l'exemple du collège des îles du Ponant, dont le site administratif se trouve à Brest et qui compte soixante élèves, dont deux sur l'île de Batz, deux sur l'île de Sein, cinq sur l'île de Groix, etc. Il a été créé parce qu'auparavant les élèves, scolarisés sur le continent, ne pouvaient pas rentrer chez eux lors des vacances de Noël dans les années 1970 en raison de grandes tempêtes. Les professeurs prennent le bateau pour aller faire cours à deux élèves. C'est dans ce type de situation que l'école du socle a du sens.
Pour en revenir à votre propos, il semble en effet que l'on préserve certains territoires et que l'on en surcharge d'autres.
Tout le sens de notre travail a été de définir une méthode pour éviter que des décisions nous soient imposées d'en haut.
Mme Annick Billon, rapporteure. - Notre rapport ne va pas assez loin, selon certains d'entre vous. Nous avons voulu être non seulement lucides dans le contexte budgétaire que nous connaissons, mais aussi très attentifs à l'intérêt de l'élève. Ainsi, en privilégiant la formation ou l'accompagnement - ce terme est sans doute préférable à celui de « contrôle » - dans la recommandation n° 5, nous visions surtout les petites écoles qui affichent souvent de très bons résultats, mais dont les élèves se heurtent à des difficultés pour réussir leurs études supérieures ou bien leur orientation, comme s'ils étaient victimes d'un système d'assignation à résidence. Nous pourrons réécrire cette recommandation, car il ne s'agissait en aucun cas d'établir un contrôle des enseignants, mais de prendre en compte l'intérêt de l'enfant.
Mon collègue Jacques Grosperrin vient de mentionner le collège des îles du Ponant. C'est un exemple qui montre que même si l'école fonctionne, l'assignation à résidence est un phénomène réel. Cela nous a été confirmé lors des auditions.
Pour ce qui est des observatoires des dynamiques rurales qui deviendraient des observatoires des dynamiques scolaires, il faut rappeler qu'ils sont tous différents selon les territoires. Il nous a donc paru plus logique de développer des observatoires des dynamiques scolaires qui seront propres à chaque territoire, qu'il s'agisse du Doubs, de la Vendée ou de Paris. Nous souhaitons développer cet outil et veiller à son fonctionnement effectif. En effet, quand il est utilisé, il favorise de manière efficace le partage d'informations, la concertation et l'anticipation.
Nous n'avons pas souhaité remettre en question les RPI, car ils représentent une réponse du terrain à une problématique spécifique. L'éducation nationale et les collectivités territoriales les accompagnent. Dès lors que l'outil fonctionne et a fait ses preuves, il n'y a pas de raison d'intervenir dans son organisation.
Dans les réunions d'attribution de la DETR, quand il y a des décisions concernant l'accompagnement des écoles, les intercommunalités jouent un rôle très important. Cela varie sans doute en fonction des départements : dès lors que la commission ETR joue son rôle d'anticipation, il n'y a pas de problème.
Quant aux critères d'ouverture ou de fermeture d'école, ils varient d'un observatoire à l'autre. Nous devons veiller à conserver une certaine souplesse et ne pas figer ces critères dans le marbre, alors qu'ils sont appelés à évoluer. En 2016, le rapport Duran portait déjà sur les fermetures d'école. Or la situation de l'école a bien évolué depuis. Il est donc difficile de figer des critères.
Nous pourrons modifier les deux recommandations qui vous ont posé problème, en supprimant notamment le mot « contrôle » dans la recommandation n° 4 pour le remplacer par « accompagnement et suivi ». Dans la recommandation n° 1, nous pourrions aussi remplacer l'expression « transformer les observatoires des dynamiques rurales » par « créer également dans les zones urbaines des observatoires des dynamiques scolaires ».
Mme Monique de Marco. - C'est surtout le remplacement des observatoires des dynamiques rurales qui me gêne.
Mme Annick Billon, rapporteure. - Il faut retenir que ces observatoires sont un outil dynamique qui fonctionne bien dans certains endroits et moins bien dans d'autres. Cela dépend des acteurs qui y exercent. Dès lors que les problématiques sont identifiées, il revient à chaque territoire d'y répondre.
Enfin, sur les élèves à besoins particuliers, dans la mesure où ils sont intégrés en milieu ordinaire scolaire, ils font partie des effectifs.
Mme Colombe Brossel, rapporteure. - À l'issue des auditions d'un certain nombre de maires, il est apparu que le partage d'informations, la transmission et la co-construction étaient des éléments nécessaires dans tous les territoires. L'idée est de faire en sorte de les développer à cette échelle.
Ce rapport tente de défendre une position à la fois simple et compliquée selon laquelle il n'y a pas de solution magique. Or nous sommes confrontés, quel que soit notre territoire, au fait que les services de l'éducation nationale nous imposent de jouer sur le levier démographique, alors que c'est la réussite des enfants qui nous intéresse.
Nous connaissons bien l'éducation nationale dans sa dimension territoriale. Rendre obligatoire le partage d'informations, dans la clarté et en se donnant du temps, ne paraît sans doute pas très révolutionnaire sur le papier. Mais si nous parvenons à mettre en oeuvre cette recommandation, nous aurons fait quelque chose de révolutionnaire. Je crois à la politique des petits pas qui change les choses.
Enfin, nous avons été extrêmement frappés de constater la défiance qui existe aujourd'hui entre les élus locaux et les services de l'éducation nationale. C'est un constat que nous avons partagé avec nos interlocuteurs. La situation n'était pas la même il y a cinq ou dix ans, ou du moins pas à un tel niveau. On savait encore se mettre autour d'une table pour discuter. Aujourd'hui, la défiance est devenue un facteur bloquant.
M. Laurent Lafon, président. - Les rapporteurs nous ont donc proposé deux modifications de rédaction. Dans la recommandation n° 1, plutôt que de parler de la transformation des observatoires, on écrira : « créer également dans les zones urbaines des observatoires des dynamiques scolaires ». Dans la recommandation n° 4, pour éviter une mauvaise interprétation du mot « contrôle », on écrira : « mettre en place un accompagnement et un suivi pour les écoles de petite taille ».
Ces propositions de modification sont adoptées.
Mme Monique de Marco. - Nous soutenons toutes les recommandations, mais nous nous abstiendrons sur le rapport, qui ne nous semble pas assez ambitieux.
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.
La commission adopte le rapport d'information ainsi modifié et en autorise la publication.
LISTE DES
PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
MARDI 18 MARS 2025
Ministère de l'Éducation nationale - Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) : Mme Magda TOMASINI, directrice.
MARDI 25 MARS 2025
- Association des maires ruraux de France : M. Jean-Paul CARTERET, vice-président national, président de l'AMRF de Haute-Saône (70) et maire de Lavoncourt.
- Association France urbaine : Mme Claire CHAGNAUD-FORAIN, adjointe au maire de Versailles déléguée à l'enseignement, aux activités périscolaires et à la restauration.
JEUDI 27 MARS 2025
Secrétariat général de l'enseignement catholique (SGEC) : M. Philippe DELORME, secrétaire général.
MARDI 1ER AVRIL 2025
Ø Table ronde des directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) :
- Direction académique de la Haute-Saône : Mme Catherine RIDARD, directrice,
- Direction académique des Alpes-de-Haute-Provence : Mme Véronique BLUA, directrice,
- Direction académique des Hautes-Alpes : M. Aymeric MEISS, directeur,
- Direction académique de la Vienne : MM. Frédéric ARTAUD, directeur adjoint en charge du premier degré, et Serge GRÉVOUL, secrétaire général,
- Direction académique de la Mayenne : MM. Fabien AUDY, directeur, Laurent DRAULT, directeur adjoint en charge du premier degré, Marc VAULÉON, secrétaire général.
Ø Assemblée des départements de France : M. Jérôme DUMONT, président de la commission « éducation », président du conseil départemental de la Meuse.
VENDREDI 4 AVRIL 2025
Ø Table ronde des associations de parents d'élèves :
- PEEP : Mme Christine MESSIÉ, présidente,
- FCPE : M. Grégoire ENSEL, vice-président, Mme Adeline NEDEY, secrétaire générale adjointe,
- APEL : Mme Hélène LAUBIGNAT, présidente nationale, M. Paul VITART, vice-président national.
Ø Table ronde des syndicats des personnels de l'éducation nationale :
- CFDT éducation, formation, recherche publiques (EFRP) : M. Laurent KAUFMANN, secrétaire fédéral et principal, Mme Caroline BRISEDOUX, secrétaire nationale,
- UNSA Éducation : Mme Béatrice LAURENT, secrétaire nationale éducation et culture,
- SNALC : M. Christophe GRUSON, secrétaire national chargé du premier degré, Mme Véronique MOUHOT, élu du personnel
- FSU : M. Daniel LE CAM, Mmes Sandrine MONIER, et Anne-Sophie LEGRAND, secrétaires nationaux,
- ID-Force Ouvrière : Mme Agnès PROUTEAU, conseillère technique auprès du secrétaire général.
MARDI 29 AVRIL 2025
M. Jean-Michel BLANQUER, ancien ministre de l'éducation nationale.
MARDI 6 MAI 2025
- Association des Maires de France (AMF) : MM. Christian MONTIN, président de l'association des maires du Cantal et maire de Marcolès, Frédéric LETURQUE, co-président de la commission « éducation ».
- M. Jean-Pierre MELON, maire de l'Isle-Jourdain (86).
- M. Éric LEJOINDRE, maire du 18e arrondissement de Paris.
MARDI 13 MAI 2025
Académie de Paris : M. Bernard BEIGNIER, ancien recteur.
MERCREDI 14 MAI 2025
Audition commune de directeurs d'établissements scolaires :
- Mme Lydie GALLICE, directrice de l'école élémentaire de Serres (05),
- Mme Murielle HARTEREAU, principale du collège public des Îles du Ponant (29).
MARDI 20 MAI 2025
- Mme Émilie KUCHEL, présidente du réseau français des villes éducatrices, adjointe au maire de Brest.
- M. Olivier RIETMANN, sénateur de la Haute-Saône, ancien maire de Jussey.
M. Samuel ROUZET, directeur académique des services de l'éducation nationale du Doubs.
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Ø Commune de l'Île d'Yeu
Ø Commune de l'Île-aux-Moines
Ø Commune de Ouessant
Ø Commune de Sauzon - Belle-Île-en-Mer
Ø Commune de l'Île-Molène
* 1 Sur les seuls six derniers mois, ce sont 22 questions écrites et orales qui ont été posées par des sénateurs de tous les groupes politiques sur le sujet de la carte scolaire.
* 2 Entre 2017 et 2029.
* 3 Évaluation de la mise en oeuvre des enseignements optionnels au sein du nouveau lycée général et technologique, IGÉSR n° 2021-106, juin 2021.
* 4 Insee Analyses Centre-Val de Loire, note n° 105 parue le 4 décembre 2023.
* 5 Insee Analyses Hauts-de-France, note n° 186, 28 janvier 2025.
* 6 Insee Analyses Hauts-de-France, note n° 187, 28 janvier 2025.
* 7 Insee flash Centre-Val de Loire, note n° 83, 12 septembre 2024.
* 8 Articles R 235-1 et suivants du code de l'éducation.
* 9 Les articles L. 442-5 et L. 442-5-1 du code de l'éducation définissent les modalités de participation des communes à la scolarisation dans une école privée d'un enfant résidant sur leur territoire. Le montant du forfait doit être équivalent au coût des classes correspondantes de l'enseignement public, sans pouvoir le dépasser. Lorsque l'école privée est située dans une autre commune, la contribution est obligatoire lorsqu'elle aurait également été due si cet élève avait été scolarisé dans une des écoles publiques de la commune d'accueil (obligation professionnelle des parents lorsque la commune de résidence n'assure pas directement ou indirectement un service de restauration, présence de la fratrie dans un établissement scolaire de la même commune, raisons médicales, enseignement en langue régionale en cas d'absence d'école dispensant un enseignement de langue régionale sur le territoire de la commune de résidence).
* 10 Réponse du Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse du 25 avril 2024 à la question d'Anne-Marie Nédélec.
* 11 Il s'agit d'enseignants à 50 % ou à temps plein, qui interviennent sur une ou deux écoles, soit pour un renfort dans les classes en plus de l'enseignant déjà présent, soit pour alléger les effectifs quelques jours par semaine en « ouvrant temporairement » une classe.
* 12 « Transition écologique du bâti scolaire : mieux accompagner les élus locaux », Rapport d'information n° 800 (2022-2023), Jean-Marie Mizzon, président, Nadège Havet, rapporteure.
* 13 Un recours très répandu aux classes à niveaux multiples dans les écoles, note n° 23.39, DEPP, septembre 2023.
* 14 « Formation initiale et continuée des professeurs : au-delà des effets d'annonce, bâtir sur la durée une formation de qualité fondée sur la simultanéité des apprentissages académiques et des pratiques professionnelles », Max Brisson, Annick Billon, rapport d'information n° 683, 2023-2024.
* 15 Ce groupe de travail est constitué de l'association des maires du Cantal, de la FCPE, du directeur départemental de l'éducation nationale, de la FSU, de l'UNSA, de la CGT et de la FAL (février 2025).
* 16 Un recours très répandu aux classes à niveaux multiples dans les écoles, note n° 23.39, DEPP, septembre 2023.
* 17 Entre ville et campagne, les parcours des enfants qui grandissent en zone rurale, Insee, 18 janvier 2022.
* 18 Indice d'éloignement des collèges, actualisation 2022, Document de travail n° 2023-M02, DEPP, novembre 2023.