B. LES AUTRES FINANCEMENTS PUBLICS : DES MANNES SOUVENT PEU CONNUES ET PARFOIS INSUFFISAMMENT EXPLOITÉES

1. Les collectivités territoriales : une contribution substantielle, mais mal connue
a) Les collectivités territoriales contribuent significativement au financement de la lutte contre les violences faites aux femmes

Les associations du champ des droits des femmes perçoivent également des financements de la part des collectivités territoriales. Ce co-financement est prévu dans la doctrine de l'administration de l'État, qui indique que « le programme 137 [a] vocation à faire « effet levier », la plupart des dispositifs sont cofinancés. Cela peut être par plusieurs programmes budgétaires de l'État dans un cadre interministériel (...), mais également par des collectivités (régions, départements, métropoles, municipalités). »

À titre d'exemple, en 2022, les collectivités territoriales étaient à la source de 29,8 % des crédits alloués aux Centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), l'État représentant pour sa part 39,8 % de leurs ressources. De même, les collectivités territoriales sont souvent impliquées dans les démarches « d'aller vers » tels que les dispositifs itinérants. Ces dispositifs sont ainsi co-financés à l'échelle régionale ou départementale, en complément des crédits du programme 137, dont la part du financement est estimée par l'administration à 45 % en moyenne du coût d'un projet.

Les dispositifs d'accueil, d'écoute et d'orientation des femmes victimes de violences - c'est-à-dire les accueils de jours (AJ) et les lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO) - sont soutenus sur le programme 137 mais également, lorsqu'ils sont implantés localement par d'autres programmes du budget de l'État52(*) et par des collectivités territoriales.

Comme les rapporteurs spéciaux d'alors l'avaient souligné dans un récent rapport53(*), la mobilisation par les associations de co-financements des collectivités territoriales peut constituer une solution pour raffermir la situation financière des associations. Encore faut-il que les démarches administratives permettant d'obtenir de tels financements ne placent pas les associations dans des difficultés insurmontables, et que la contribution des collectivités au redressement des comptes publics leur laisse suffisamment de marges pour ce faire.

Recommandation : Développer la contribution des collectivités territoriales au financement de solutions locales concourant à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment en les associant, dans le respect de leur autonomie, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des justificatifs lorsqu'ils existent

b) Si les collectivités territoriales produisent leur propre documentation, il n'existe à ce jour aucune recension leur contribution d'ensemble à la lutte contre les violences faites aux femmes

La DGCS a, à plusieurs reprises, indiqué ne pas disposer « d'éléments formalisés pouvant faire état d'une estimation globale de la part des financements des collectivités territoriales à la lutte contre les violences faites aux femmes. »

Une documentation vaste existe pourtant : en effet, aux termes de l'article 61 de la loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes54(*), les communes de plus de 20 000 habitants, les EPCI, les départements et les régions doivent présenter chaque année, préalablement aux débats sur le projet de budget, un rapport sur la situation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes intéressant le fonctionnement de la collectivité. La DGCS indique toutefois qu'à ce stade, aucun recensement exhaustif n'a été réalisé par le direction générale des collectivités locales (DGCL).

En outre, dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER), les régions doivent faire figurer des diagnostics régionaux, dont un axe est consacré à l'égalité femmes-hommes et alimenté par les contributions des directrices et directeurs régionaux aux droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (DRDFE). Il en va de même dans les contrats de convergence et de transformation (CCT), qui sont l'équivalent des CPER pour les 5 départements et régions d'Outre-mer. Si des recensions exhaustives se font attendre, l'administration a indiqué souhaiter disposer, à terme, d'une vision plus précise des crédits des collectivités territoriales participant aux politiques publiques relevant des CPER, notamment la lutte contre les violences faites aux femmes.

Enfin, il convient de mentionner l'initiative de certaines collectivités qui se sont précocement engagées dans la mise en oeuvre de la budgétisation intégrant l'égalité (BIE) à leur échelle : c'est notamment le cas de la commune de Strasbourg et de la Ville de Paris. Toutefois, cet engagement restant une simple faculté, aucune recension d'ensemble n'est produite par les services de l'État. Il conviendrait, lorsque les travaux sur la BIE auront acquis une plus grande maturité s'agissant du budget de l'État, d'en étendre la logique à l'ensemble des grandes collectivités sur le modèle du « budget vert » désormais utilisée tant par l'État que les collectivités.

Recommandation : Mener à bien les recensions des documents permettant de mesurer la contribution des collectivités territoriales à la promotion de l'égalité femmes-hommes et à la lutte contre les violences faites aux femmes ; à terme, étendre la budgétisation intégrant l'égalité à toutes les grandes collectivités

c) Une contribution des collectivités mieux connue s'agissant de l'égalité professionnelle

La DGCL a indiqué que l'absence de recensement des rapports de situation comparée remis par les collectivités en application de l'article 61 de la loi de 2014 résultait des « évolutions du cadre législatif et réglementaire », les bilans sociaux ayant en effet été remplacés par les rapports sociaux uniques (RSU).

Ces derniers permettent de recenser les données ayant trait à l'égalité professionnelle dans la fonction publique territoriale55(*). Il en existe une synthèse nationale réalisée conjointement par la DGCL et le conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CNFPT)56(*).

En outre, l'index « égalité professionnelle » a été décliné dans la fonction publique, et notamment dans la fonction publique territoriale57(*). Le dispositif prévoit une publication des actions mises en oeuvre pour supprimer les écarts de rémunération, ainsi qu'une publication des objectifs de progression lorsque la note obtenue est inférieure à 75 %. Selon la SDFE, les recensements effectués par les services des préfectures font ressortir que 85 % des collectivités territoriales ont atteint la cible de 75 points sur 100 et que 59 % de celles n'ayant pas atteint cette cible ont transmis leurs objectifs de progression.

2. Les fonds européens : une mobilisation à développer

Il existe divers fonds européens pouvant être mobilisés pour la lutte contre les violences faites aux femmes. L'administration a d'ailleurs indiqué aux rapporteurs que certaines associations porteuses de dispositifs soutenus sur le programme 137 mobilisent également des crédits européens pour financer des actions contribuant à la lutte contre les violences faites aux femmes.

Les fonds européens mobilisables dans la lutte contre les
violences faites aux femmes

- le programme Daphné, principal fonds européen dédié à la lutte contre les violences faites aux femmes : ce fonds est désormais intégré au programme « Citoyens, égalité, droits et valeurs » (CERV). Ce programme vise à protéger et promouvoir les droits fondamentaux dans l'Union européenne, avec une enveloppe budgétaire totale de 1,56 milliard d'euros sur la période 2021-2027, dont une part significative est dédiée à la lutte contre les violences de genre. Le volet Daphné finance des projets transnationaux de prévention, de sensibilisation et d'assistance aux victimes de violences (femmes, enfants ou autres groupes à risque). Le budget d'un projet financé par le volet Daphné peut aller de 75 000 à 2 millions d'euros ;

- le programme Justice, qui vise à soutenir la coopération judiciaire en matière civile et pénale, la formation des juges et des autres praticiens du droit, un accès effectif à la justice pour les citoyens et les entreprises et la protection des victimes et de leurs droits, dont les femmes victimes de violences. Son budget total s'élève à 305 millions d'euros pour la période 2021-2027. Le budget d'un projet financé par le programme Justice peut aller de 100 000 à 800 000 euros ;

- le Fonds social européen (FSE+), en particulier sur les priorités de promotion de l'intégration sociale des personnes les plus vulnérables (Priorité 1 - Objectif spécifique L) et de promotion de l'égalité des chances et de la non-discrimination (Priorité 1 - Objectif spécifique H), pour soutenir l'intégration sociale des femmes victimes de violences ;

- le Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI), lorsqu'il s'agit des femmes migrantes.

Source : SDFE

Ainsi, la Fédération nationale des centres d'information pour les droits des femmes et des familles (FN-CIDFF) a bénéficié de financements européens pour des actions de lutte contre les violences : 9 258 euros en 2019 au titre du FAMI, 8 000 euros en 2020 au titre du même fonds et 41 704 euros en 2023 au titre du FSE+ en 2023. Elle a également sollicité, en 2025, un financement dans le cadre du programme « Daphné 2025 » pour un projet prévu en 2026 et 2027.

D'autres associations se sont engagées dans une dynamique proactive en vue de bénéficier également de fonds européens. La Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF) a constitué en 2025 un consortium avec la Région Île-de-France pour répondre à un appel à projets du programme CERV autour d'un projet portant sur la situation des femmes en milieu rural. La FNSF, envisage par ailleurs de renforcer sa mobilisation sur les appels à projets européens dans les années à venir.

L'association En avant toute(s) a répondu, en 2024, à un appel à projets européen mais n'a pas été retenue. L'association a renouvelé sa candidature cette année dans le cadre du programme CERV, avec un projet visant à développer ses actions de prévention. Le montant sollicité est de 177 000 euros sur deux ans. Si ce projet est retenu, En avant toute(s) prévoit de structurer davantage son action à l'échelle européenne et d'envisager des candidatures à des programmes plus ambitieux, tels qu'Horizon Europe.

Les rapporteurs spéciaux considèrent que la mobilisation des fonds européens, insuffisamment développée en France, devrait être une priorité à l'heure où les finances publiques de notre pays sont particulièrement contraintes. Une telle mobilisation s'intègrerait parfaitement à la logique de la Commission européenne qui requiert de plus en plus que les programmes financés par ses fonds incluent une dimension d'égalité.

Ainsi, il apparaît possible de mobiliser, de manière indirecte, des fonds qui ne sont pas spécifiquement dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes dès lors que ces programmes peuvent incidemment y contribuer. À titre d'exemple, il apparaît possible de financer une prise en charge médico-sociale des femmes victimes de violences par le biais du programme « EU4Health ».

Ils relèvent toutefois que la mobilisation de ces fonds risque de s'avérer difficile : ils savent en particulier le dimensionnement restreint du FSE +, déjà fortement sollicité dans le cadre de l'aide alimentaire58(*). Ces difficultés seront particulièrement importantes pour les associations, qui n'ont pas nécessairement les moyens humains suffisants pour répondre aux appels à projets européens, a fortiori lorsque l'on connait le caractère parfois tatillon des contrôles et des audits européens59(*).

Pour cette raison, il apparaît préférable que l'administration propose elle-même des projets dans le cadre de ces fonds, éventuellement en parallèle des associations et en tout état de cause en concertation avec elles - un peu de la même manière que FranceAgriMer reçoit et répartit les fonds européens destinés à l'aide alimentaire. La DGCS a indiqué avoir « pour ambition de proposer des projets dans le cadre des fonds existants », ce dont les rapporteurs spéciaux se félicitent.

Recommandation : Développer le recours aux fonds européens, y compris de manière indirecte, pour le financement d'action de lutte contre les violences faites aux femmes


* 52 Par exemple le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ».

* 53 «  Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport d'information fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, n° 757 (session 2022-2023) - 21 juin 2023.

* 54 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 55 Les indicateurs à renseigner sont fixés par l'arrêté du 10 décembre 2021 fixant pour la fonction publique territoriale la liste des indicateurs contenus dans la base de données sociales

* 56 Voir par exemple la synthèse de novembre 2024 sur les RSU 2022.

* 57 Décret n° 2024-801 du 13 juillet 2024 relatif à la mesure et à la réduction des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans la fonction publique territoriale.

* 58 Annexe n° 30 au rapport général n° 144 (2024-2025) fait par MM. Arnaud Bazin et Pierre Barros au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2025.

* 59 Ibid.

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