B. DES POLITIQUES PUBLIQUES ENCORE LOIN DES OBJECTIFS FIXÉS PAR LA LOI DE 2005

1. L'accessibilité : un objectif ignoré

Les principes d'inclusion et d'accessibilité, qui sont au coeur de l'esprit de la loi du 11 février 2005 - la compensation ne devant intervenir qu'en seconde intention - sont les grands oubliés de la politique du handicap dans les outre-mer.

a) Une offre de transport en commun quasi-inexistante

De manière unanime, l'absence, ou au mieux l'insuffisance de l'offre de transport en commun dans les outre-mer, tous territoires confondus, a été pointée comme le principal obstacle à une véritable inclusion des personnes en situation de handicap dans les outre-mer.

Sans voiture ou sans la possibilité de conduire son véhicule personnel, tout est compliqué, pour les personnes valides ou pour celles en situation de handicap.

Cette carence est aggravée par des aménagements urbains eux aussi rarement adaptés : absence de trottoirs très souvent comme à Saint-Martin, stationnement anarchique, incohérence des parcours...

Tous les professionnels rencontrés évoquent le quotidien impossible de parents ou de personnes handicapées : des parents qui partent à 5 heures du matin pour conduire leur enfant à l'Unité d'enseignement maternelle autisme (UEMA), des travailleurs handicapés qui doivent faire deux heures de bus avec trois changements pour se rendre à l'établissement et service d'accompagnement par le travail (ESAT)...

La solidarité familiale et le réseau associatif pallient partiellement ces situations, mais au prix d'un épuisement physique et moral important.

b) Un bâti et des infrastructures rarement aux normes

À l'image du réseau routier et de la voirie, de nombreux équipements ne répondent pas toujours aux exigences.

Au collège des Saintes, l'ascenseur est en panne. À l'école maternelle Raymonde Bambuck de Pointe-à-Pitre, les accès sont compliqués. Les mises aux normes tardent dans l'ensemble du bâti.

En matière de logement, le déficit de logements adaptés est aussi partout dénoncé. Cette difficulté, qui s'ajoute au problème du transport, rend impossible l'organisation de la vie quotidienne : logements éloignés du lieu de travail, mal desservis...

Parfois, même avec la meilleure volonté, il est difficile d'adapter son logement. Ségolène Meunier, directrice de la MDPH de Mayotte, rapporte que jusqu'à très récemment, l'attribution de la prestation de compensation du handicap (PCH) se limitait essentiellement à l'aide humaine, tout simplement par manque de professionnels compétents pour évaluer les besoins en aide technique ou en aménagement du logement, par exemple. L'arrivée récente d'un ergothérapeute au sein de la MDPH a permis d'élargir le champ des prestations offertes.

Face à l'insuffisance de l'offre, la plupart des personnes en situation de handicap sont contraintes d'accepter des logements inadaptés. Sabrina Tionohoué, élue déléguée du Conseil départemental de La Réunion aux politiques inclusives des personnes en situation de handicap et à la vie éducative, reconnaît que sur 40 000 demandes de logement en attente, de nombreuses personnes en situation de handicap se retrouvent contraintes d'accepter des logements inadaptés. Le Département intensifie son action via l'aide à l'amélioration de l'habitat, avec pour ambition de porter de 3 000 à plus de 4 000 le nombre d'adaptations réalisées chaque année.

En Guyane et encore plus à Mayotte, une part importante de la population réside dans des habitats informels ou indignes. Ce mal-logement frappe encore plus durement les personnes en situation de handicap.

Quant aux solutions domotiques, la fracture numérique dans les outre-mer rend ces solutions encore plus hypothétiques.

c) Les contraintes de la double insularité

La double ou triple insularité de certains territoires ou, dans le cas de la Guyane, les distances et l'absence de réseau routier se surajoutent aux contraintes précitées.

Elle rend les déplacements compliqués, onéreux (jusqu'à plusieurs centaines d'euros pour un aller-retour en avion), aléatoires (selon l'état de la mer, les conditions aéronautiques), fatiguant (une traversée du canal des Saintes peut être éprouvante) et longs (pour se rendre à un rendez-vous médical en Grande-Terre, il faut bien souvent prendre sa journée entière).

Ces contraintes pèsent sur les familles, les personnes en situation de handicap, mais aussi les professionnels.

2. Une offre médico-sociale insuffisante, mais une meilleure prise en charge à domicile
a) Un déficit d'ensemble avec des extrêmes dramatiques dans certains territoires

L'observatoire de l'offre10(*) permet d'obtenir le ratio entre le nombre de places disponibles par habitant concerné par l'offre dans le territoire et au niveau national. Si les données utilisées pour calculer ces ratios doivent être prises avec prudence, compte tenu de la fiabilité médiocre des données ultramarines, elles permettent néanmoins de dresser le tableau général de la situation.

La lecture de ces radars laisse percevoir instantanément le retard immense des outre-mer, quand bien même ils devraient être corrigés des imprécisions statistiques. À l'exception de La Réunion et des services aux enfants handicapés qui sont plus développés, les retards par rapport à l'Hexagone sont massifs.

Toutefois, une enquête qualitative a été réalisée auprès de plusieurs MDPH, ARS et collectivités d'outre-mer dans le cadre d'un rapport de stage de direction effectué à la CNSA.

Chaque DROM présente des enjeux spécifiques liés à sa situation géographique, son développement économique et ses infrastructures.

Par exemple, Mayotte fait face à une forte pénurie d'ESMS. Patrick Boutié, directeur de l'offre de soins et de l'autonomie de l'ARS de Mayotte, estime que le taux d'équipement est cinq à dix fois inférieur à la moyenne nationale. On rappellera aussi que l'ARS de Mayotte n'a été créée qu'en 2020.

Les établissements et les services sociaux et médico-sociaux (ESMS) présents à Mayotte fonctionnent principalement avec des modes d'accueil de jour et/ou des équipes mobiles en intervention.

Très peu d'établissements offrent des situations d'hébergement auprès de nos publics en situation de handicap : ne le font que trois établissements médico-sociaux, deux établissements pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP) et une maison d'accueil spécialisée (MAS), d'environ 10 places chacun, soit 30 places d'hébergement au maximum sur le territoire.

La Guyane, quant à elle, doit composer avec de fortes disparités d'accessibilité entre les zones urbaines et les zones isolées. Le constat global reste néanmoins similaire à celui de Mayotte, avec un fort déficit d'offre médico-sociale. Alexandre Boichon, directeur de l'autonomie de l'ARS Guyane, souligne « l'inadéquation criante entre l'offre actuelle et les besoins du territoire ». Pour les moins de 20 ans, la Guyane compte environ 7,6 places en établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour 1 000 habitants, contre 10,6 au niveau national. Pour les adultes, ce taux chute à 4,1 pour 1 000, alors qu'il atteint 10,5 dans l'Hexagone.

Ces écarts, déjà préoccupants, doivent être analysés à la lumière de plusieurs facteurs aggravants : sous-détection massive des situations de handicap, absence de caractérisation précise du taux de handicap, prévalence probable des déficiences intellectuelles et des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, souvent liés à des expositions environnementales...

La Guadeloupe et la Martinique disposent d'un réseau plus structuré, mais confronté à des difficultés de financement et de ressources humaines. La Réunion, bien qu'ayant une organisation plus proche de celle de l'Hexagone, connaît également des contraintes budgétaires et de recrutement qui limitent son offre de services.

À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, jusqu'à il y a deux ans, il n'y avait rien, mis à part un Sessad et une CAMSP pour les enfants et un SAMSAH. L'IME a été créée il y a moins de deux ans pour 12 places autorisés à terme (7 actuellement). Aucune MAS (un appel à projet est en cours pour 2 accueils de jour et 2 places hors les murs). Pas de CMPP non plus, pas d'UEMA.

Ces carences sur les îles du Nord ont parfois obligé les associations, comme l'association Handi Relais à Saint-Barthélemy, à aller au-delà de leurs missions normales pour financer des actions grâce aux dons reçus, comme des tickets répits.

b) Le drame des adultes et jeunes adultes

Si l'offre pour les enfants est encore perfectible, elle a connu des progrès importants ces dernières années.

En revanche, les progrès restent très en deçà des besoins pour les jeunes adultes et les adultes, avec un effet de goulot d'étranglement à la sortie des dispositifs pour enfants. Beaucoup de jeunes adultes se retrouvent sans solutions stables, lorsqu'ils ont épuisé toutes les souplesses offertes par l'amendement Creton.

Les déséquilibres majeurs de l'offre médico-sociale sur les territoires et à l'échelle des bassins de vie deviennent alors synonymes de rupture de parcours qui laissent démunis les personnes handicapées, les parents et les proches. On observe une rupture de parcours pour les jeunes majeurs entre 18 et 25 ans, qui ne peuvent ni rester dans les structures pour enfants ni accéder aux établissements pour adultes, faute de places disponibles.

En Guadeloupe, l'offre d'hébergement pour les adultes handicapés se limite à 50 places en foyers d'accueil médicalisés (FAM) et 525 en foyers de vie, ce qui est insuffisant pour couvrir les besoins du territoire. Le vieillissement des personnes en situation de handicap impose d'adapter les structures existantes et de créer des passerelles entre établissements.

Cette problématique des ruptures de parcours est encore davantage présente en Guyane : après 18 ans, de nombreux jeunes isolés ne sont plus suivis par l'aide sociale à l'enfance (ASE), ni par la MDPH.

Toujours en Guyane, le déficit est particulièrement marqué. Le taux d'équipement pour les adultes handicapés n'est que de 3,7 places pour 1 000 habitants, contre 9,3 dans l'Hexagone. Le territoire figure parmi les moins dotés en établissements spécialisés. De manière générale, l'offre d'hébergement pour les adultes est près de quatre fois inférieure à la moyenne nationale.

Pour Blaise Joseph-François, directeur général de l'Adapei Guyane, les efforts réalisés dans le secteur de l'enfance ont permis des avancées notables ces dernières années. Toutefois, le secteur adulte se trouve aujourd'hui en situation de saturation. Les enfants accompagnés jusqu'à 25 ans dans le cadre de l'amendement Creton se retrouvent sans solution à leur sortie. Certaines structures les maintiennent jusqu'à 28 ans faute d'alternative.

Même cri d'alarme à La Réunion. Pour Claude Brard, présidente de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) de La Réunion, l'amendement Creton soulève des enjeux majeurs à La Réunion, tant pour les jeunes adultes concernés que pour leurs familles et les établissements médico-sociaux. D'un point de vue individuel, il est difficile pour une personne de près de 30 ans d'évoluer dans un établissement conçu pour des enfants. Les activités et le cadre ne sont pas adaptés à son âge, et progressivement, le temps d'accompagnement se réduit. Sous la pression des structures médico-sociales, les familles doivent souvent prendre le relais, réorganisant leur quotidien et, bien souvent, leur vie professionnelle. Cette contrainte pèse d'autant plus lourdement dans un contexte où de nombreuses familles sont monoparentales, avec un aidant principal - souvent la mère - assumant seul cette charge.

Un autre phénomène préoccupant réside dans l'accumulation des responsabilités pour ces aidants, notamment lorsqu'ils doivent également s'occuper de parents vieillissants en perte d'autonomie. Cette double charge génère une détresse profonde et met en évidence l'urgence de solutions adaptées.

Les établissements médico-sociaux font également face à des dilemmes éthiques majeurs. Tant que de jeunes adultes en amendement Creton occupent des places, l'accès des enfants à une éducation précoce est limité, générant des tensions avec l'Éducation nationale. Le nombre de jeunes majeurs en amendement Creton a progressé de 146 % en dix ans, mobilisant désormais un quart des places en IME. Ces enfants, faute de solution adaptée, restent dans des structures ordinaires qui ne peuvent répondre pleinement à leurs besoins, amplifiant les inégalités d'accès à un accompagnement approprié.

À Mayotte, l'offre médico-sociale pour les adultes est presque nulle. Le territoire ne dispose que de 12 places en MAS.

Face à ces défis, la réponse doit être à la fois quantitative (augmentation du nombre de places) et qualitative (diversification de l'offre, accompagnement hors les murs, décloisonnement des parcours).

c) Un retard compensé pour partie par une meilleure prise en charge à domicile et un essor de l'accueil familial

Le déficit de l'offre médico-sociale dans les outre-mer est partiellement compensé par une offre de services à domicile plus développée, ainsi que par le développant de l'accueil familial.

Cette spécificité, qui répond à la fois à une préférence culturelle - plus forte solidarité familiale - et à une contrainte - un manque de places en ESMS, fait qu'à cet égard, les outre-mer sont parfois précurseurs par rapport aux nouvelles orientations de la politique du handicap. Le temps n'est plus à de grandes structures médico-sociales, mais à un accompagnement plus personnalisé avec une offre de services évolutives.

L'accueil familial est un dispositif développé dans les territoires ultramarins. Il fait face aux mêmes enjeux de perte d'attractivité liée au statut que sur l'Hexagone mais il répond à un besoin en termes d'offre et y est sensiblement plus développé.

Le territoire de La Réunion est particulièrement actif sur le sujet de l'accueil familial avec un nombre important d'accueillants, comme l'a confirmé Nathalie Anoumby, directrice générale des services adjointe, en charge du pôle solidarités, du déplacement de La Réunion. En décembre 2022, on recense 696 familles d'accueil pour 1 600 places. Entre 2015 et 2022, le nombre de places en accueil familial augmente de 37,34 % soit 344 places supplémentaires.

La Martinique, la Guyane et La Réunion perçoivent des financements de la CNSA à ce titre dans le cadre d'un appel à manifestation d'intérêt 2023-2026.

La Guadeloupe a aussi une offre d'accueillants familiaux très développés. Surtout centrée sur les personnes âgées, cette offre doit s'étendre aux personnes en situation de handicap. Sur 243 accueillants familiaux agréées, 40 le sont pour les personnes handicapées. Le département de la Guadeloupe a indiqué à votre mission vouloir aller plus loin, pour tendre vers un tiers des solutions de placement en accueil familial.

3. L'école pour tous progresse
a) Des progrès, mais des failles subsistent

Depuis plusieurs années, les rectorats des académies ultramarines se sont emparés de l'objectif d'une école pour tous.

Si des manques existent encore, notamment à La Réunion, les efforts accomplis ont été considérables, en particulier pour le recrutement d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). Les personnes auditionnées et rencontrées ont souligné l'engagement de l'Éducation nationale et sa réactivité pour se rapprocher des objectifs.

Les MDPH relèvent dans l'ensemble la bonne fluidité des échanges avec les rectorats.

À La Réunion, 9 500 élèves en situation de handicap sont identifiés, soit une augmentation annuelle de 10 % depuis cinq ans. Les AESH sont au nombre de 3 000, soit 12 à 13 % de la masse salariale académique.

En Guadeloupe par exemple, l'Académie compte 1 200 AESH pour une population scolaire total de 83 000 élèves par exemple. Cet effort intervient par ailleurs dans un contexte de forte hausse du nombre d'élèves notifiés par la MDPH. Même en Guadeloupe, où la population scolaire globale diminue pourtant, la hausse a été de 12 % cette année.

Sylviane Erepmoc, inspectrice de l'Éducation nationale, membre de l'équipe de circonscription École inclusive, pôle adaptation scolaire, du Rectorat de Guyane, a fait part d'une situation plus mitigée.

En 2019, l'ensemble des niveaux, du premier au second degré, comptait 2 228 élèves bénéficiant d'une notification de la CDAPH. En mars 2025, cet effectif s'élève à 2 998 élèves disposant d'une notification d'accompagnement par un accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) ou d'une orientation vers un dispositif unité localisée pour l'inclusion scolaire (Ulis). Cette progression représente une augmentation de plus de 25 % de la population scolaire concernée.

La mise en oeuvre de ces notifications se heurte à des obstacles persistants. Sur 2 820 élèves notifiés pour une scolarisation en Ulis, seuls 1 545 disposent effectivement de cette orientation. Par ailleurs, entre septembre 2019 et mars 2025, les effectifs d'AESH ont ainsi progressé de 20,95 %.

Par ailleurs, les délais de traitement des demandes et des évaluations par les MDPH font que trop d'enfants demeurent non notifiés. Par ailleurs, les solutions proposées à la suite des notifications ne sont pas mises en oeuvre comme elles le devraient.

À Saint-Barthélemy, les petits effectifs contraignent la création d'UEMA ou d'une Segpa. L'IME très récemment créé n'a toujours pas d'enseignant. Un appel à candidature a été lancé pour la rentrée prochaine.

À La Réunion par exemple, à la rentrée 2024, 2 000 élèves n'ont pas pu faire leur rentrée faute de solutions adaptées sur un total d'environ 9 500. C'est près d'un enfant en situation de handicap sur cinq.

Rostane Mehdi, recteur de l'académie de La Réunion, convient que la situation est très insatisfaisante : « Force est de constater que l'organisation actuelle des dispositifs inclusifs souffre d'incohérences manifestes. Des enfants sans besoin avéré d'accompagnement spécialisé occupent des places dans les structures dédiées, tandis que des centaines d'élèves exprimant un réel besoin restent sans solution adaptée et se retrouvent en classe ordinaire, générant des situations de tension dont la fréquence suscite une véritable inquiétude. Il semble essentiel d'engager une refonte complète du dispositif ».

Dans le même temps, les demandes augmentent rapidement : 9 500 élèves en situation de handicap identifiés sur ce territoire, soit une augmentation annuelle de 10 % depuis cinq ans.

Ce manque de moyens est reconnu par le ministère. En partenariat avec l'ARS, la création d'un IME supplémentaire, indispensable pour accueillir les élèves ne pouvant évoluer en milieu ordinaire, est à l'étude. Par ailleurs, la direction générale de l'enseignement scolaire a validé des moyens renforcés pour la prochaine rentrée : 28 nouveaux équivalent temps plein (ETP) d'enseignants spécialisés, 28 éducateurs mis à disposition par l'ARS, un budget de 7,9 millions d'euros consacré par l'ARS à l'école inclusive et 10 ETP supplémentaires financés par l'académie.

Par ailleurs, les communes ne sont pas toujours assez associées aux dispositifs. Le positionnement des ATSEM est notamment sujet à débat. Les maires de La Réunion ont fait part de leurs difficultés. Les ATSEM et les animateurs périscolaires n'ont pas toujours accès à une formation adaptée. Faute de formation, ils sont souvent démunis face à la complexité des situations.

Par ailleurs, sur le temps de la pause méridienne, les ATSEM se retrouvent bien souvent à gérer des élèves pour lesquels ils n'ont pas les outils. Le déploiement des AESH sur ce temps est un enjeu fort comme dans l'Hexagone. L'adoption de loi n° 2024-475 du 27 mai 2024 visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien, à l'initiative du Sénat, doit normalement remédier à cette charge budgétaire pour les communes. Sur ces questions, la délégation partage entièrement les conclusions des travaux de la commission de la culture du Sénat11(*).

b) La poursuite des études dans l'Hexagone : le parcours d'obstacle des étudiants ultramarins handicapés

La réussite de l'école pour tous est un premier enjeu. Mais le parcours scolaire ne doit pas s'arrêter là pour les jeunes ultramarins en situation de handicap qui souhaitent faire des études supérieures.

Par choix ou parce que les filières n'existent pas sur leur territoire, les étudiants ultramarins handicapés sont amenés à poursuivre leurs études dans une université ou une école située dans l'Hexagone.

Or, les obstacles multiples sont de nature à dissuader ou décourager les étudiants, ou à les placer dans une situation qui ne favorise pas la réussite de leur année.

L'obtention de chiffres est difficile. L'accès à des études supérieures, voire d'excellence dans l'Hexagone, semble être une étape des parcours de vie négligée ou impensée pour les jeunes ultramarins en situation de handicap.

Sans que les données soient réellement consolidées, l'audition du CROUS de Paris fait ressortir par exemple que sur 1 114 ultramarins boursiers dépendant du CROUS de Paris pour l'année universitaire en cours, seule 20 sont en situation de handicap, soit moins de 2 %. Ce chiffre est faible par rapport à la prévalence moyenne des personnes en situation de handicap dans la population générale ultramarine.

Pourtant, le CROUS de Paris dispose d'une mission handicap dédiée et fait office de MDPH. Les bourses aux étudiants ultramarins handicapés sont renforcées : 12 mois sur 12 au lieu de 10 (l'éloignement ne permet pas toujours de rentrer l'été), droit à bourse jusqu'à 10 ans, points supplémentaires...

L'obtention d'un logement adapté est l'un des principaux obstacles rencontrés, bien que les étudiants handicapés soient prioritaires pour le CROUS de Paris. Il n'est toutefois pas propre aux étudiants ultramarins.

En revanche, la mission handicap du CROUS déplore les freins au suivi et au transfert des dossiers administratifs entre les MDPH. Bien souvent, il est impossible ou très compliqué d'avoir un référent bien identifié et stable pour assurer le transfert de ces dossiers toujours complexes. Les délais sont longs. Cela vaut aussi pour les CAF. Il est arrivé qu'un dossier prenne six mois pendant lesquels l'AAH n'est pas versée.

Un autre détail important. Si l'étudiant bénéficie d'une prise en charge de son aller/retour une fois par an (deux la première année), tel n'est pas le cas pour un parent accompagnateur. Or, l'installation dans un nouveau lieu de vie est un vrai défi et la non prise en charge du billet peut être un frein supplémentaire pour les familles modestes.

Les difficultés sont encore décuplées pour les étudiants originaires des collectivités du Pacifique. En effet, celles-ci exercent la compétence Handicap selon les règles de leur propre législation locale. Il n'existe pas de MDPH et leur système d'évaluation et de reconnaissance du handicap est différent. Un étudiant ne pourra pas simplement transférer son dossier, mais devra en refaire un.

4. L'insertion professionnelle : des résultats très médiocres
a) Une obligation d'emploi non respectée

Aujourd'hui, toute structure employant au moins 20 agents ou salariés est soumise à l'obligation de compter 6 % de personnes en situation de handicap dans ses effectifs. Cette règle s'applique à l'ensemble des territoires ultramarins, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, où le droit du travail relève des compétences propres de ces collectivités.

Toutefois, cette obligation demeure inégalement respectée : dans la majorité des territoires ultramarins, le taux requis n'est pas atteint. Seules la Martinique (6,49 %) et La Réunion (6,3 %) atteignent l'objectif légal dans le secteur public. Ce dernier parvient d'ailleurs, de manière générale, à mieux se conformer à la réglementation que le secteur privé, qui peine encore à remplir ses obligations. Par ailleurs, le manque de données fiables, souvent partielles ou hétérogènes selon les territoires, complique l'analyse précise de la situation et rend la cartographie de l'emploi des personnes en situation de handicap difficile à établir.

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont ainsi adopté leurs propres dispositifs d'obligation d'emploi des personnes en situation de handicap, qui restent toutefois inspirés du modèle national. À Wallis-et-Futuna, aucune obligation légale d'emploi des personnes en situation de handicap n'existe. Le code du travail local, très succinct, ne prévoit aucune disposition à ce sujet.

En Nouvelle-Calédonie, depuis 2009, l'embauche de travailleurs handicapés est une obligation légale aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Les employeurs de plus de 20 salariés ou agents ont l'obligation d'employer des personnes en situation de handicap dans une proportion minimum de 2,5 % de leur effectif total12(*).

En Polynésie française, l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés est mise en place depuis 200713(*). À titre transitoire, l'article LP. 5312-35 fixait un taux d `obligation de travailleurs handicapés à 2 %, pour les années 2007 et 2008. Toutefois, en raison de différents facteurs (difficulté à recruter, formation non adéquate, situation économique, etc.), cette mesure a été prolongée à plusieurs reprises.

Aujourd'hui, les entreprises entre 25 et 49 salariés doivent employer au moins un travailleur handicapé à temps partiel équivalant à 50 % d'un temps plein. Pour les entreprises de 50 salariés et plus, le taux obligatoire est fixé à 2 % de l'effectif total, pouvant être relevé par arrêté du Conseil des ministres jusqu'à un maximum de 4 %14(*). L'objectif pour l'administration est d'atteindre un taux d'emploi de 4 % en 2028.

En cas de non-respect, l'employeur est contraint de verser une contribution financière. En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie le principe est le même15(*).

Enfin à Mayotte, jusqu'en 2018, l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés se limitait à un taux de 2 %. Ce n'est qu'avec le décret n°2018-1337 du 28 décembre 2018, relatif à l'extension et à l'adaptation de la partie réglementaire du code du travail à Mayotte, que le cadre a été aligné sur le droit commun. Ainsi, depuis 2022, les entreprises mahoraises sont soumises à l'obligation de compter 6 % de personnes en situation de handicap dans leur effectif.

Comparatif indicatif du taux d'emploi des personnes en situation de handicap, en 2023

 

Privé

Public

Obligation d'emploi

6 %

National

3,5 %

5,66 %

Martinique

1,77 %

6,49 %

Guyane

1,6 %

4 %

Mayotte

0,7 %

(2024)

2,3 %

(2024)

Guadeloupe

2,6 %

(2018)

3,32 %

La Réunion

2,4 %

(2022)

6,3 %

Saint-Pierre-et-Miquelon

n.d

n.d

Saint-Barthélemy

17 personnes en emploi en 2025

Saint-Martin

En 2024, 94 demandeurs d'emploi sont bénéficiaires de l'obligation d'emploi (OETH)16(*)

Obligation d'emploi

Polynésie française

Au moins 1 travailleur handicapé pour les entreprises ayant entre 25 et 50 salariés

Au-delà de 50 salariés le taux est de 2 %

Polynésie française17(*)

1,68 % (2021)

Environ 1,5 % (2022)18(*)

Obligation d'emploi Nouvelle-Calédonie

À partir de 20 salariés/agents le taux est de 2,5 % de l'effectif total

Nouvelle-Calédonie

Sur 4 500 personnes reconnues en situation de handicap aptes au travail seul 600 exercent une activité professionnelle (taux d'insertion de 13 %)

b) Un manque de structures et d'accompagnement de l'insertion professionnelle

En 2025, on compte 20 entreprises adaptées dans les territoires ultramarins, dont la plus grande partie à La Réunion.

Il est à noter que la première entreprise adaptée de travail temporaire outre-mer est implantée à La Réunion depuis 2023 et connait une croissance régulière.

Aucune entreprise adaptée en établissement pénitentiaire n'est implantée dans les outre-mer. Néanmoins un projet est en maturation de longue date en Guadeloupe en lien avec le centre pénitentiaire de Baie-Mahault.

Enfin, les contrats à durée déterminée (CCD) dit « tremplin »19(*) restent anecdotiques. Dix entreprises adaptées mettent en oeuvre le CDD tremplin dans les outre-mer, ce qui représente 19 salariés en 2025.

Pour ce qui relève du secteur médico-social, de nombreuses structures seraient susceptibles d'offrir aux jeunes adultes et aux travailleurs en situation de handicap des possibilités d'insertion professionnelle : les établissements et services de réadaptation professionnelle (ESRP), les établissements et services de préorientation (ESPO), les plateformes d'emploi accompagné et les établissements et services d'aide par le travail (ESAT).

Toutefois, l'offre de places reste beaucoup trop réduite.

Le taux d'équipement en ESAT pour 1 000 habitants est de 3,6 dans l'Hexagone, mais seulement de 3,2 en Guadeloupe, 3 en Martinique, 2,2 à La Réunion, 1,2 en Guyane et 0 à Mayotte.

Un moratoire national sur le nombre de places en ESAT bloque depuis des années le rattrapage indispensable. Il a toutefois été levé en ce début d'année. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 devrait prévoir un financement de 16 millions d'euros pour créer de nouvelles places en ESAT dans les outre-mer. Ce sont environ 950 places qui devraient ainsi être crées outre-mer dans les quatre prochaines années.

S'agissant des ESRP, la mission a pu visiter celui de Guadeloupe aux Abymes. Les demandes d'extension de places sont exprimées depuis des années, mais les autorisations tardent.

Les plateformes d'emploi accompagné, qui obtiennent de bons résultats (58 % des personnes sans emploi à l'entrée du dispositif ont trouvé un emploi dans ce cadre, dont la moitié en moins de six mois) sont elles aussi trop peu développées outre-mer, sauf à La Réunion. Au niveau national, 10 200 personnes sont accompagnées dans ce cadre. Au niveau des outre-mer, ce sont 231 personnes qui sont accompagnées à La Réunion, 76 en Martinique, 65 en Guadeloupe et 46 en Guyane. Pour la majorité d'entre elles, ces personnes sont sans emploi au moment d'entrer dans le dispositif.

5. Le handisport, un potentiel encore trop peu exploité

Les Jeux paralympiques de Paris ont laissé espérer un effort formidable de la pratique parasportive. Malheureusement, un an après, comme dans l'Hexagone, le souffle est retombé.

Les auditions ont mis en lumière une pratique du handisport et du sport adapté en retrait dans les outre-mer par rapport à la pratique sportive ordinaire. Ce décalage a pu se refléter dans le haut niveau, où la sur-représentation des ultramarins est moins affirmée que chez les valides.

La Fédération française handisport (FFH) et la Fédération française de sport adapté (FFSA) ont fourni quelques données d'ensemble.

Gaël Rivière, Réunionnais, médaillé d'or paralympique et président de la FFH, indique ainsi que « la Fédération française handisport compte actuellement cinq comités locaux de développement au sein de La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie. Le nombre de licenciés varie considérablement selon les territoires : La Réunion en tête avec 200 licenciés, suivie de la Martinique avec 149, la Nouvelle-Calédonie avec 99, la Guadeloupe avec 67, et la Guyane avec 8 ».

Ces chiffres ne reflètent pas l'intégralité de la pratique sportive, car de nombreuses activités se déroulent sans que les participants ne soient nécessairement licenciés. Il convient de noter que la prise de licence est souvent liée à la perspective de compétition. Or, l'offre compétitive dans les territoires ultramarins demeure limitée. Au total, les licenciés ultramarins représentent environ 2 % de l'ensemble des licenciés de la FFH.

Cédrick Plaideur, membre élu au comité directeur de la FFSA et Guadeloupéen, dresse aussi un paysage ultramarin du sport adapté en retrait : « Dans l'Hexagone, nous comptons plus de 65 000 licenciés, un chiffre relativement stable d'une année à l'autre, 1 250 associations, et une offre sportive diversifiée comprenant 21 disciplines. Le maillage associatif y est structuré, avec un volume de licences dense, mais proportionnel à la superficie du territoire et à sa population. En outre-mer, si l'on inclut la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et La Réunion, nous recensons en moyenne 450 licenciés bénéficiant de l'accompagnement d'un cadre fédéral, 35 associations dont trois ligues, un comité départemental et 31 associations affiliées. L'offre sportive y est plus limitée, avec environ huit disciplines en moyenne. »

Ce faible essor du handisport s'explique largement par les retards généraux de l'accessibilité outre-mer : transport, accessibilité des infrastructures...

Beaucoup repose sur la bonne volonté d'associations comme l'association Handynamique à Saint-Martin ou Handi-Relais à Saint-Barthélemy.


* 10  https://data-autonomie.cnsa.fr/pages/observatoire/

* 11 Rapport d'information n° 568 (2022-2023), déposé le 3 mai 2023. Consultable ici : https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-568-notice.html

* 12 Article 7 de la délibération n° 457 du 8 janvier 2009 relative à l'emploi des personnes en situation de handicap au sein des fonctions publiques de la Nouvelle-Calédonie et de leurs établissements publics ; article R. 473-1 du code du travail de la Nouvelle-Calédonie, livre IV, relatif à l'emploi.

* 13 Par la loi du pays n° 2007-2 du 16 avril 2007 modifiée relative à l'emploi des travailleurs handicapés, insérée dans le code du travail sous les articles LP. 5310-1 et suivant.

* 14 Articles LP. 5312-4 et suivants du code du travail et Loi du pays n° 2024-32 du 10 décembre 2024.

* 15 Pour la Polynésie française (article LP. 5312-22 du code du travail).

* 16 Obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH).

* 17 Données de la direction du travail de Polynésie française.

* 18 Taux calculé par rapport à ces données : « En 2022, les services de l'administration comptaient 5 162 fonctionnaires dont 82 reconnus travailleurs handicapés, soit un taux de 1,85 %. La même année, les établissements publics administratifs comptaient 2 464 fonctionnaires dont 32 reconnus travailleurs handicapés, soit un taux de 1,61 %. ».

* 19 Le contrat à durée déterminée (CDD) dit « tremplin » est conclu entre une entreprise adaptée (EA) et une personne en situation de handicap. Il est destiné à favoriser son insertion professionnelle durable, notamment en dehors du secteur protégé. C'est une expérimentation initiée par l'État dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Ce dispositif, prévu jusqu'au 31 décembre 2023, a finalement été pérennisé le 1er janvier 2024.

Ce contrat doit permettre de construire un parcours individualisé durant lequel le salarié pourra acquérir une expérience professionnelle, bénéficier d'une formation et de mesures d'accompagnement afin de faciliter sa transition professionnelle vers les autres employeurs privés ou publics. Le CDD tremplin prévoit un accompagnement renforcé dans le but d'encourager la réalisation d'un projet professionnel et la valorisation des compétences acquises durant la formation.

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