EXAMEN EN COMMISSION

Audition de Mme Anne Duisabeau, présidente de France Bois Forêt, MM. Jean-Pascal Archimbaud, président de la Fédération nationale
du bois, et Mathieu Fleury, président du Comité interprofessionnel
du bois-énergie (Cibe)
(Mercredi 30 avril 2025)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir ce matin : Anne Duisabeau, présidente de l'interprofession France Bois Forêt, forte d'une carrière dans les entreprises de panneaux en bois ; Jean-Pascal Archimbaud, président de la Fédération nationale du bois, qui rassemble les entreprises de la première transformation et président du groupe Archimbaud, producteur de palettes et de granulés dans les Deux-Sèvres ; et Mathieu Fleury, président du Comité interprofessionnel du bois énergie (Cibe), organisme compétent pour le chauffage collectif et industriel - je rappelle que deux tiers du bois récolté en France sont utilisés en bois énergie, en comptant les coproduits et l'autoconsommation.

Votre venue inaugure les travaux de la mission d'information sur la compétitivité de la filière forêt-bois. Par « compétitivité », il faut bien sûr entendre l'ambition de mener de front la création de valeur et la décarbonation sans jamais sacrifier l'une à l'autre, dans l'esprit du rapport Draghi. La filière forêt-bois se prête pleinement à cette logique en tant que puits de carbone, d'une part, et parce qu'elle fait face au défi de l'adaptation au changement climatique, d'autre part.

Nos collègues Anne-Catherine Loisier, du groupe Union Centriste, et Serge Mérillou, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, seront les rapporteurs de cette mission.

Ils essaieront de résoudre un paradoxe bien connu : la France dispose d'une ressource forestière abondante et croissante, avec plus de 17 millions d'hectares de forêt, contre 11 millions d'hectares en Allemagne, mais la filière française bois-forêt affiche un déficit commercial chronique de 7 milliards d'euros par an, quand l'Allemagne, elle, dégage un excédent de 3 milliards d'euros.

Nous connaissons tous le constat d'une mauvaise valorisation de la ressource : « on exporte des grumes, on importe des meubles ». Malgré les recommandations de nombreux rapports sur la gestion plus dynamique de la forêt privée, la solidarité accrue des maillons de la filière, l'allongement de la durée de vie des produits bois, l'adaptation de l'outil de transformation aux essences d'avenir, ou la bonne valorisation des coproduits, les résultats sur la balance commerciale tardent à se concrétiser.

Madame la présidente, messieurs les présidents, quels sont selon vous les leviers prioritaires à activer et les verrous majeurs à lever pour renforcer la compétitivité de la filière forêt-bois ? Pourriez-vous les classer par ordre d'importance et nous aider à distinguer l'essentiel de l'accessoire ?

Il nous a paru opportun, en cette année 2025, de dresser le bilan des politiques publiques conduites en faveur de la filière, au terme de cinq années marquées par une mobilisation financière inédite dans le cadre de France Relance, de France 2030 et de la planification écologique, lointains héritiers du Fonds forestier national.

L'année 2024 a aussi été marquée par les jeux Olympiques de Paris et la réouverture au public de Notre-Dame de Paris, deux événements mondiaux qui devaient être des vitrines pour le matériau bois, à travers la charpente de la cathédrale et le village olympique.

Enfin, alors que l'actualité politique des derniers temps risque de nous enfermer dans le court-termisme, cette mission d'information sur la forêt et la filière bois, qui s'inscrivent par nature dans le temps long, peut nous aider à retrouver le sens de la durée.

Je vous donne sans plus tarder la parole, après quoi la parole sera donnée aux rapporteurs pour de premières questions puis aux autres sénateurs de la commission.

Je rappelle que cette table ronde est retransmise en direct sur le site du Sénat.

Mme Anne Duisabeau, présidente de l'interprofession France Bois Forêt. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, en préambule, planter rapidement le décor et rappeler quelques chiffres concernant notre filière. Aujourd'hui, la filière bois française emploie 419 000 personnes, soit à peu près autant que la filière automobile française. Elle demeure pourtant peu visible, alors même qu'elle constitue un atout majeur pour la structuration des territoires. Il est évident que la transformation du bois ne se fait pas place de la Concorde, à Paris. Elle s'inscrit dans une dynamique territoriale concrète, ce qui, dans le contexte actuel, revêt une importance capitale pour notre pays.

Deuxième élément : la filière génère une valeur ajoutée considérable, de l'ordre de 30 milliards d'euros, en progression constante ces dernières années. Les politiques publiques, en particulier les investissements industriels soutenus par l'État, ont permis d'accroître cette valeur ajoutée de près de 3 milliards d'euros.

Mme la présidente a évoqué tout à l'heure le déficit chronique de notre balance commerciale. Lorsqu'on l'analyse en détail, ce déficit tient essentiellement à deux postes : le meuble, d'une part, et la papeterie, d'autre part. Le secteur du meuble, profondément transformé au cours des vingt dernières années, a connu une réindustrialisation marquée en Europe centrale. Aujourd'hui, les importations proviennent à la fois d'Europe et du grand export. Le déficit y est structurel et spécifique. Quant à la papeterie, elle demeure également très déficitaire en matière de commerce extérieur.

Si l'on se concentre sur la transformation du bois en France - c'est-à-dire la scierie et la valorisation des bois d'oeuvre -, l'évolution est positive depuis cinq à six ans. La balance commerciale s'est améliorée de 1,7 milliard d'euros, signe clair d'un mouvement de réindustrialisation de la scierie en France.

Ce redressement repose sur deux leviers principaux.

Le premier, c'est la valorisation du bois. La forêt française, morcelée et à 75 % privée, présente une grande diversité d'essences. Son principal défi réside dans la mobilisation du bois. Tout investissement, petit ou grand, nécessite une ressource disponible, stable et sécurisée sur quinze à vingt ans. Il est impossible de s'engager sur l'avenir sans visibilité sur l'approvisionnement. La massification de la ressource constitue donc un enjeu stratégique.

Le second levier, ce sont les débouchés et l'évolution des cadres réglementaires. Ce qui tire aujourd'hui la forêt française, c'est bien sûr le bois d'oeuvre, destiné en priorité à la construction. Ce segment a profondément évolué ces quinze dernières années. Les premières transformations françaises produisaient des matériaux peu élaborés, à faible valeur ajoutée. Notamment grâce aux investissements massifs dans le séchage, les produits sont désormais bien plus finis, compétitifs et au niveau de ceux de nos partenaires autrichiens et allemands.

Un exemple concret : le CLT (panneaux de bois lamellés croisés), un produit à forte valeur ajoutée destiné à la construction bois. Pour la première fois, les importations de bois autrichien ont reculé de plus de 24 % en France. Cela prouve que, en l'espace de dix ans, nous avons su bâtir une filière compétitive.

Cette dynamique positive s'incarne également dans des réalisations emblématiques. Mme la présidente l'a rappelé, la filière a été fortement mobilisée pour la reconstruction de la charpente de Notre-Dame, un chantier mené en cinq ans. Ce projet a nécessité une coordination rigoureuse et un engagement collectif, démontrant que la filière est désormais structurée, professionnelle et apte à tenir ses engagements.

Certes, des progrès restent à accomplir, mais la dynamique est enclenchée, et c'est ce qui compte aujourd'hui.

Je voulais poser ces éléments de contexte avant de céder la parole à mes deux compagnons de route, qui vous parleront plus précisément de la scierie française et de l'activité bois énergie.

Je tiens à rappeler que la filière bois ne se résume pas à la seule scierie, ni au bois énergie ni à la papeterie, pris isolément. La filière est une chaîne de valeur intégrée, composée de maillons successifs. Un morceau de bois, dès son entrée dans la chaîne, peut alimenter de multiples marchés.

Il y a deux ans, France Bois Forêt a lancé, en partenariat avec d'autres acteurs de la filière et le cabinet Carbone 4, une étude visant à cartographier les flux de bois au sein de la filière. Ce travail, très illustratif, met en lumière les liens étroits entre les différents segments. Il n'existe pas, d'un côté, le bois énergie, et de l'autre, la scierie : tout est lié. Une intervention sur un segment a des répercussions sur l'ensemble de la chaîne.

Autre difficulté majeure : la ressource bois est, par nature, finie. Certes, elle est renouvelable, mais chacun connaît le temps long de la forêt. Une plantation effectuée aujourd'hui ne produira ses effets que dans trente, quarante, voire cent ans pour certaines essences comme le chêne. L'industrie, elle, fonctionne sur un horizon de dix à quinze ans. Ce décalage de temporalités impose une capacité d'anticipation à très long terme.

Le bois exploité aujourd'hui est issu d'arbres plantés il y a cinquante ou soixante ans. L'outil industriel actuel répond donc à des choix passés. Les décisions prises aujourd'hui en matière de replantation ou de gestion forestière ne porteront leurs fruits que dans plusieurs décennies. Les règles mises en oeuvre aujourd'hui s'appliquent à une réalité héritée, qu'elles ne peuvent transformer que pour le futur.

C'est une donnée que nul ne peut ignorer : nous ne disposons pas d'une marge de manoeuvre infinie. On ne compense pas une pénurie de matière en achetant dix machines supplémentaires. Sans matière mobilisable, l'outil industriel reste à l'arrêt. C'est là un point capital qu'il convient de garder à l'esprit.

M. Jean-Pascal Archimbaud, président de la Fédération nationale du bois. - Je commencerai par un bref rappel historique, afin de mieux comprendre d'où nous venons. Quant à savoir où nous allons... cela reste à déterminer.

La Fédération nationale du bois a été créée juste après la Seconde Guerre mondiale, à l'époque de la reconstruction de la France. Il fallait alors reconstruire les chemins de fer, les bâtiments détruits, et mobiliser du bois en quantité importante. À cette époque, chaque commune comptait une petite scierie. Avec le temps, ces scieries communales sont devenues cantonales, puis départementales, et, aujourd'hui, quasiment régionales. Nous avons donc connu une forme de concentration, à l'image de celle observée dans le secteur agricole, où l'on est passé de dix hectares à vingt hectares, avant d'assister à une croissance exponentielle. Cette évolution nous confronte aujourd'hui à certaines difficultés : les usines, devenues très importantes, ne trouvent plus localement les ressources nécessaires à leur fonctionnement et se retrouvent, dans certains cas, dans une impasse.

Il convient également de rappeler qu'après la Seconde Guerre mondiale, le Fonds forestier national a été créé pour reboiser une partie du territoire en résineux. La France était alors très pauvre en résineux, contrairement à nos voisins et amis allemands. Pour mener à bien ce reboisement, on fit appel à des prisonniers allemands. À Verdun, par exemple, des plants autrichiens furent mis en terre par des Allemands. Résultat : un siècle plus tard, la forêt est détruite, ces plants étant inadaptés aux conditions locales.

L'évolution de la filière a également été marquée par un tournant politique important en 1981. Une grande partie de l'industrie du bois, alors moribonde à la suite des chocs pétroliers, a été nationalisée. On a ainsi créé, sous l'égide de Saint-Gobain, une filière bois qui regroupait l'essentiel des grandes industries de transformation, notamment les papeteries - celles de Facture et de Tartas - et les usines de panneaux. Ces dernières furent réunies sous l'enseigne ROL, acronyme de Rougier, Océan, Landex. On a ainsi créé un « monstre », qui a tenu quelques années. Mais le système s'est révélé non viable, et, à terme, l'ensemble de nos industries a été cédé à des groupes étrangers.

La branche papetière a ainsi été vendue à un petit groupe irlandais, Smurfit, qui est devenu aujourd'hui un leader européen du papier-carton. Les usines de panneaux ont été partiellement cédées à un industriel autrichien, Egger, aujourd'hui également leader européen, tandis que l'autre partie a été vendue à son voisin autrichien, Kronospan, devenu lui aussi un géant du secteur. Ainsi, nous avons perdu la maîtrise d'une part essentielle de notre industrie lourde de transformation du bois, celle qui valorise les bois de trituration, les bois secondaires et les plaquettes de scierie.

Jusqu'aux années 2000, un certain équilibre régnait entre les scieries de feuillus et celles de résineux. Puis, les volumes importants de résineux plantés après-guerre sont arrivés à maturité, et de grandes scieries de l'Est de la France se sont équipées de machines industrielles allemandes leur permettant de traiter des quantités industrielles de bois.

Parallèlement, le bois feuillu, historiquement utilisé pour l'ameublement et le parquet, a vu ses débouchés se réduire, notamment sous l'effet d'un basculement vers des produits composites. Le meuble, autrefois constitué de bois massif, s'est transformé : on y trouve désormais de moins en moins de bois, remplacé par du verre, de l'aluminium ou du plastique.

Ce bouleversement du marché a conduit à un rétrécissement des débouchés, et nos outils industriels ont dû s'adapter à la pression de la compétitivité, de la productivité et aux exigences environnementales.

Les contraintes pesant sur nos entreprises industrielles sont nombreuses. La plupart des sites sont classés. Bien entendu, ces installations font du bruit, génèrent de la poussière, provoquent des nuisances et suscitent des plaintes, voire des fermetures administratives. Le cas typique : une petite scierie installée au coeur d'un village, puis encerclée par un lotissement. La poussière dérange, les plaintes affluent, et la scierie finit par fermer ou par déménager - un déplacement qui n'est pas toujours simple à opérer.

Voilà donc, en quelque sorte, un aperçu de notre filière de deuxième transformation, vue dans le rétroviseur. Quant à l'avenir, il faudrait sans doute revenir à un meilleur équilibre entre feuillus et résineux. Le feuillu, en particulier, pose problème. Depuis une dizaine d'années, nous exportons massivement nos grumes à l'étranger, pour les réimporter sous forme de produits finis.

M. Mathieu Fleury, président du Comité interprofessionnel du bois énergie (Cibe). - Je suis président du Comité interprofessionnel du bois énergie (Cibe), un organisme créé voilà une vingtaine d'années pour structurer une filière alors naissante. J'interviendrai plus spécifiquement sur le développement de cette jeune filière.

Le Cibe regroupe les chaufferies collectives et industrielles. Nous parlons ici de bois déchiqueté, de produits connexes de scierie, de broyats d'emballages, de tous les sous-produits issus de l'entretien des milieux naturels, des industries, et de notre propre consommation : les palettes, par exemple. Cette activité économique valorise les ressources locales, au plus près des territoires.

Aujourd'hui, dans 8 000 installations de toute taille réparties sur l'ensemble du territoire national, cette ressource trouve un débouché. Elle se substitue aux usages industriels plus anciens, à une époque où l'industrie du papier et celle du panneau ne sont plus dans une dynamique de croissance.

Le bois énergie a donc pris le relais en matière de valorisation de ces produits secondaires. Les scieries ont pu développer des unités de granulation, qui améliorent les rendements énergétiques, la qualité de l'air des installations de chauffage domestique et collectif et densifient une matière initialement peu dense, bien moins que les combustibles fossiles, pour l'acheminer au plus près des lieux de consommation.

Il faut rappeler que le bois ne pousse pas là où vivent les hommes ni là où s'installent les industries. La logistique reste un enjeu. À ce titre, il y a lieu de regretter l'abandon progressif du fret ferroviaire. Dans les grandes industries papetières, les flux étaient historiquement organisés par train. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il faudra pourtant remettre en place ces chaînes logistiques pour que le bois atteigne efficacement les lieux de consommation.

Sur le plan de la compétitivité, si l'on considère ensemble le chauffage collectif, le chauffage industriel et le chauffage domestique, c'est l'équivalent de 6 milliards d'euros que nous n'achetons pas chaque année à l'étranger en produits pétroliers. Ce sont 3 milliards d'euros réinjectés dans nos territoires, dans des circuits économiques courts, créateurs d'emplois locaux.

Le bois énergie, dans sa composante de chaufferie collective et industrielle, représente à lui seul 10 % des emplois de la filière forêt-bois. Ce sont environ 40 000 emplois créés ces vingt dernières années. Il s'agit d'emplois liés à l'entretien et à l'exploitation des forêts, à la gestion des chaufferies, à la maintenance des installations, qui, contrairement aux systèmes à bouton pression, comme le fioul ou le gaz, exigent de la technicité et de la main-d'oeuvre. Ce sont également des emplois pour la fabrication des chaudières, pour les bureaux d'études, pour tout un ensemble d'activités industrielles et de services.

Je souhaite également revenir sur des événements plus récents. Lors de la crise énergétique, l'État a engagé 65 milliards d'euros dans les boucliers tarifaires. Pendant cette période, la filière bois a pleinement joué son rôle. Elle a garanti la stabilité des prix et apporté une réponse compétitive aux besoins énergétiques des industriels et des usagers des réseaux de chaleur.

Certes, le bois n'est pas toujours l'énergie la moins chère à l'instant t, mais sur le temps long, il demeure, de manière incontestable, la solution la plus compétitive. Or la filière bois ne peut se concevoir que dans une logique de temps long. On ne lance pas un projet bois énergie simplement parce que le gaz est momentanément à 120 ou 200 euros le mégawattheure, alors qu'il tombera peut-être à 30 mégawattheures le mois suivant. Ce type de projet requiert une vision durable.

Le bois énergie permet aux industries, aux réseaux de chaleur, aux habitants, d'accéder à une énergie stable, compétitive et ancrée dans le territoire. Il convient de rappeler que ces réseaux de chaleur desservent les logements sociaux, les hôpitaux, les collèges, les lycées. En valorisant une ressource locale, nous offrons à l'ensemble de la collectivité un prix de la chaleur maîtrisé sur le long terme.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la mission d'information sur la compétitivité de la filière forêt-bois. - Je me réjouis que nous puissions, ce matin, concentrer notre attention sur l'aval de la filière bois. Jusqu'à présent, nous avons reçu à plusieurs reprises l'Office national des forêts (ONF), ainsi qu'un certain nombre d'acteurs de l'amont, mais, à ma connaissance, ce n'était pas encore le cas pour l'aval.

Comme l'a justement souligné Mme la présidente de France Bois Forêt, l'amont et l'aval sont naturellement étroitement liés. Je tiens à insister sur le fait que cette filière est très présente sur l'ensemble de nos territoires. Elle représente 420 000 emplois et maintient une activité structurante en matière d'aménagement du territoire, grâce à un maillage local dense. Elle permet à de nombreux villages et espaces ruraux de conserver une dynamique : elle offre des perspectives aux jeunes professionnels, permet de maintenir des familles sur place et participe à l'entretien de nos campagnes. Je pense notamment aux entreprises de travaux forestiers, qui connaissent actuellement beaucoup de difficultés.

Il ressort des interventions précédentes qu'une hiérarchie des usages s'impose naturellement pour les matériaux bois. En priorité, le bois de grume est destiné à des usages longs : la construction, le mobilier. Ensuite, les sections les plus petites issues de la même grume peuvent être valorisées, par exemple pour fabriquer des palettes. On parle peu des palettes, et pourtant elles jouent un rôle central dans le transport mondial, notamment maritime. La crise sanitaire liée à la covid l'a démontré : sans palette, les chaînes logistiques internationales se retrouvent paralysées.

Le bois, c'est donc à la fois la maison, la charpente, la palette, le carton, la papeterie. En dernier recours, lorsque le matériau ne peut plus être transformé, il devient bois énergie : c'est la première énergie renouvelable (EnR) en France. Un foyer sur quatre y recourt aujourd'hui pour se chauffer. Grâce aux avancées technologiques, les émissions de particules et les nuisances environnementales ont pu être significativement réduites.

Notre industrie du bois a souffert d'un manque d'investissement pendant plusieurs années. Pendant ce temps, nos voisins allemands et autrichiens continuaient à innover et à moderniser leurs outils de production. Résultat : ces dernières années, de nombreuses industries venues d'Allemagne et d'Autriche se sont implantées en France. Élue locale, j'ai moi-même été témoin de ce mouvement. Si nous disposons d'une ressource abondante, de qualité, nous n'avions pas, en revanche, un tissu industriel suffisamment solide pour la transformer.

Aujourd'hui, cette ressource est convoitée. Elle est sous tension. Tout le monde la réclame, dans un contexte de transition écologique et énergétique. Le bois est recherché à la fois pour ses qualités de matériau renouvelable, pour son excellent bilan carbone, mais aussi pour le bois énergie, sans parler des projets portés par le ministre de l'industrie pour décarboner une partie de l'appareil productif grâce à la biomasse.

Cette situation engendre un conflit d'usage qui doit nous interpeller, car qui dit conflit d'usage, dit tension sur la ressource, et, partant, hausse des prix.

Pour conclure, j'aimerais, madame, messieurs, que vous nous éclairiez sur les trois grands domaines d'usage du bois - bois construction, bois matériau au sens large, bois énergie. Quels défis identifiez-vous pour chacun de ces secteurs ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés ? Et quelles préconisations formulez-vous quant à l'évolution de vos activités ?

M. Serge Mérillou, rapporteur de la mission d'information sur la compétitivité de la filière forêt-bois. - Je suis originaire d'un département et d'une région - la Dordogne, en Nouvelle-Aquitaine -, où la forêt occupe une place centrale et où l'industrie du bois joue un rôle majeur en matière d'emploi. C'est aussi une région où les projets de biomasse se multiplient. L'ampleur de certains d'entre eux m'a d'ailleurs quelque peu surpris, compte tenu du contexte actuel de tension sur la ressource en biomasse, qu'elle soit forestière ou non.

Je souhaiterais connaître votre regard sur ces projets, en particulier les projets de pyrogazéification, qui soulèvent encore davantage d'interrogations. Comment garantir, dans ce cadre, que la valorisation énergétique ne se fasse pas au détriment d'une transformation locale, génératrice de davantage de valeur ajoutée pour nos territoires ruraux, qui doivent rester au coeur d'une transition écologique juste et orientée vers les populations locales ?

Plus largement, quelles sont vos réflexions sur la hiérarchie des usages - ce que l'on appelle parfois la « cascade des usages » -, et sur l'objectif, unanimement reconnu dans les différents rapports, d'allonger la durée de vie des produits bois ? Il y aura toujours des coproduits à valoriser sous forme de bois énergie, mais il reste préférable, tant du point de vue économique qu'environnemental, que cette valorisation intervienne en dernier recours.

Faut-il, selon vous, envisager de recourir à des outils contractuels ou réglementaires pour encadrer plus fermement cette hiérarchie des usages, afin de sanctuariser les usages de long terme du bois et de réserver aux usages énergétiques ce qui relève véritablement du coproduit ou du rebut ?

La meilleure valorisation des coproduits, par exemple pour la fabrication de panneaux isolants, constitue avant tout un défi d'ingénierie. Encore faut-il que la puissance publique définisse un cadre incitatif adapté, notamment par le biais des financements publics. Est-ce, selon vous, suffisamment le cas ? Ce cadre est-il aujourd'hui à la hauteur non seulement pour encourager l'innovation industrielle, mais aussi pour structurer des filières locales résilientes, capables de résister aux aléas climatiques et aux pressions économiques internationales ?

Toutes ces questions renvoient aux trajectoires de mobilisation du bois à l'horizon 2035-2050, car, nous le savons, nous travaillons sur un temps long. Les trois scénarios les plus récents - ceux du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), de Carbone 4 pour France Bois Forêt, et de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), avec l'Institut technologique Forêt Cellulose Bois-construction Ameublement (FCBA) - prévoient, à des degrés divers, une augmentation des prélèvements. Il s'agit d'adapter la forêt au changement climatique, de produire davantage de bois d'oeuvre et, ainsi, de stocker plus de carbone.

Mais encore faut-il que chaque segment de la filière progresse au même rythme. Ces scénarios impliquent également une augmentation du volume de coproduits, qu'il faudra bien valoriser, y compris sous forme de bois énergie. Comment la filière que vous représentez se prépare-t-elle à ces trajectoires ? Y a-t-il des maillons faibles dans la filière qu'il faudrait renforcer ? La forêt s'inscrit dans un temps long, alors que l'urgence climatique, elle, s'accélère. Comment comptez-vous piloter son développement, sans répéter les erreurs du passé, en pensant le renouvellement des peuplements forestiers à l'horizon 2050 et au-delà ?

Mme Anne Duisabeau. - Je souhaite d'abord revenir sur la modélisation des flux réalisée dans le cadre de l'étude menée par le cabinet Carbone 4, lancée voilà deux ans. Celle-ci a permis de réaliser un bouclage matière. Vous l'avez tous rappelé, la ressource en bois disponible est aujourd'hui finie. Il y a certes un stock, c'est-à-dire la forêt, mais, à un instant donné, sa capacité de production reste limitée. Nous ne multiplierons pas par deux notre consommation de bois, car la forêt actuelle est le fruit d'événements survenus voilà quinze ou vingt ans. Les marges de manoeuvre concernent non plus le présent, mais bien l'avenir. À présent, il faut faire avec ce que l'on a sur pied. La manière dont cette ressource est mobilisée devient donc essentielle.

L'étude Carbone 4 montre que le bois constitue un matériau idéal pour le stockage du carbone. C'est une évidence : la filière bois a un rôle stratégique à jouer dans la transition énergétique. L'enjeu consiste désormais à engager une gestion dynamique de cette filière, car la forêt sera de plus en plus soumise à des aléas : incendies dans le Sud-Ouest, pullulations de scolytes dans l'Est ... Autant d'événements difficiles à anticiper, mais face auxquels il faut être capables de réagir rapidement. Cela suppose la mise en place de cellules de crise, l'activation de leviers d'optimisation, et surtout d'éviter de laisser le bois dépérir sur pied, libérant ainsi inutilement du carbone dans l'atmosphère. C'est dans cette optique que des dispositifs sont en cours de lancement. Le travail s'organise en filière, en communauté, mais sur des bases locales, car les événements auxquels nous faisons face restent le plus souvent géographiquement circonscrits.

La gestion dynamique suppose également de considérer le stock forestier existant comme une opportunité. Le transformer en bois de construction, l'intégrer dans des poutres, des charpentes, des structures visibles ou invisibles, c'est prolonger le stockage du carbone dans le temps. Une charpente ne se change pas tous les week-ends ; elle est là pour trente, quarante, cinquante, parfois soixante ans. Ce stockage vient en compensation de la baisse de performance du puits de carbone forestier.

Chacun le sait, la forêt subit des attaques, sa croissance ralentit et la situation s'impose désormais à nous. Des efforts sont entrepris pour renouveler les peuplements, adapter les plantations, moderniser les méthodes de récolte. La stratégie de la filière repose aussi sur un changement des usages : en dix à quinze ans, il devient possible de faire évoluer les mentalités. Une porte en bois stocke du carbone pendant vingt à trente ans. Il s'agit ni plus ni moins de créer un second stock carbone au sein même des habitations.

Aujourd'hui, en France, la part du bois dans la construction s'élève à 6 % ou 7 %. Je ne dis pas qu'il faut construire uniquement en bois. Nous défendrons toujours une approche multimatériaux, qui intègre également les efforts réalisés dans d'autres filières, comme le béton, dont l'empreinte carbone est également en diminution. Pour autant, en quinze ans, la France pourrait atteindre les niveaux observés en Allemagne ou en Autriche, où le bois représente 21 % dans la construction.

Cette ambition nécessite bien sûr de la ressource. C'est pourquoi notre scénario prévoit une hausse progressive des prélèvements. Il ne s'agit pas, bien entendu, de raser la forêt française. Tel n'est pas, et n'a jamais été l'objectif. La filière comme l'industrie ont démontré depuis trente ou quarante ans leur extrême vigilance quant à la préservation de la ressource. Preuve en est, la surface forestière française s'étend aujourd'hui sur 17,5 millions d'hectares et le volume de bois sur pied a augmenté de 50 % en trente ans. Il n'y a pas de déforestation. Il y a, en revanche, une dégradation, due au changement climatique, qui rend la situation plus instable.

C'est pourquoi il faut miser sur des cycles courts, produire des biens durables, réutilisables, capables de créer ce second stock carbone. C'est cette trajectoire que nous avons amorcée avec l'État depuis six ou sept ans : investir dans l'industrie, valoriser les produits, augmenter la valeur ajoutée, transformer sur place, structurer des filières locales. Autant de leviers pour faire des territoires les piliers d'un développement cohérent et résilient.

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Plusieurs interventions ont porté sur la hiérarchie des usages. Lorsque l'on entre dans une forêt et que l'on y coupe un arbre, la première chose à faire est de valoriser le tronc, ou du moins la partie principale, en bois de sciage. Ce sciage permet de produire pour moitié des planches, et pour l'autre moitié des sous-produits : écorces, plaquettes, sciures, qui représentent environ 50 % du volume initial. Autrefois, ces sous-produits allaient à la fabrication de panneaux ou de papier. Aujourd'hui, la plupart des scieries les valorisent en granulés de bois. C'est une excellente chose : cela permet une utilisation sur site, évite des transports inutiles et simplifie le stockage.

Quant au bois transformé en planche, on le retrouve très souvent dans des panneaux de particules. Le bois de sciage est broyé, réutilisé dans ce que l'on appelle les panneaux de process, ce qui lui donne une seconde vie. Et ce recyclage peut être répété plusieurs fois.

Enfin, l'énergie constitue le dernier niveau dans cette hiérarchie. Elle arrive après tous les autres usages industriels. On y recourt notamment avec le bois issu des rémanents de coupe, des travaux d'amélioration des peuplements, ou encore des catastrophes naturelles.

Je travaille dans le secteur depuis une trentaine d'années. J'ai connu trois tempêtes majeures et un premier grand incendie. Après une tempête majeure, il nous faut parfois stocker le bois durant sept ans. En trente ans d'activité, environ 30 % du bois que nous avons utilisé provenait d'événements climatiques extrêmes. Nous sommes désormais très bien organisés pour faire face à ces situations : dépérissements, accidents naturels, etc.

La clé est d'intervenir vite. Aussi, l'État doit nous aider à déplacer les masses. Lorsqu'un accident survient dans une région, un afflux massif de bois sature le marché local, les prix chutent et cela perturbe tout le secteur. Pour rééquilibrer, il est impératif de déplacer les stocks vers d'autres zones. Cela a été très bien fait après la tempête Klaus. À l'époque, des trains, des bateaux, des convois entiers de bois ont été réacheminés vers d'autres régions, permettant aux forêts de ces zones d'épargner leur propre ressource sur pied et de laisser les arbres continuer à croître. Le marché s'est ainsi stabilisé.

En ce qui concerne la pyrogazéification, le principe est simple : il s'agit non pas de brûler le bois, mais de le chauffer pour en extraire les gaz, puis de séparer l'hydrogène et le dioxyde de carbone. Nous avons développé un petit dispositif de pyrolyse permettant de produire de l'hydrogène à partir de granulés de bois. On introduit une tonne de bois et on obtient 80 kilogrammes d'hydrogène pur, utilisable dans des piles à combustible. Ce système fonctionne très bien. Nous envisageons d'ailleurs de l'utiliser en interne pour devenir entièrement autonomes sur le plan énergétique.

Aujourd'hui, nous transformons chaque année environ 500 000 mètres cubes de bois dans nos usines, que nous devons sécher. Cela représente quelque 250 000 tonnes d'eau à évaporer, soit un volume considérable. Pour cela, nous utilisons nos propres sous-produits. Grâce à des turbines à vapeur, nous produisons notre électricité. Nous sommes donc autonomes. Demain, nous irons plus loin encore : avec une partie de nos sous-produits, nous fabriquerons nos propres carburants pour alimenter nos camions, nos engins, bref tout ce que nous n'aurons pas pu passer à l'électrique.

Notre filière est donc aujourd'hui complètement autonome en énergie. Aucune autre filière industrielle n'en est capable. Même l'agriculture ne l'est plus. Je ne connais pas beaucoup d'exploitations agricoles capables d'assurer elles-mêmes toute leur production énergétique, de la graine au produit fini.

Il a également été question des carburants d'aviation durables, ou SAF (Sustainable Aviation Fuels). Il s'agit des futurs carburants destinés à l'aviation. Le procédé consiste à gazéifier du bois, extraire l'hydrogène et le dioxyde de carbone, puis à recombiner ces éléments pour former un hydrocarbure liquide, miscible avec les carburants fossiles. On pourrait ainsi continuer à faire voler les avions.

L'idée mérite d'être explorée et il ne faut pas s'opposer à l'innovation, mais, pour l'instant, ces projets ne sont pas tous aboutis. Cela fait dix ans que nous travaillons sur le sujet. Nous avons réussi à faire fonctionner un petit modèle, mais les mégaprojets annoncés, notamment dans le Sud-Ouest, ne sont pas encore totalement opérationnels. Il reste des incertitudes sur la qualité des carburants produits. Et pour l'aviation, on ne peut se permettre aucune erreur.

Autre point : les usines de granulés. Le secteur du bois énergie attire, depuis une dizaine d'années, de nombreuses convoitises extérieures à notre profession. On a vu arriver des fonds d'investissement, des promoteurs qui ont bâti des modèles économiques en tablant sur un prix de vente élevé de la tonne de granulés. Ils s'implantent dans une région, obtiennent des autorisations d'exploitation, obtiennent un prêt vert de la banque puis rasent la zone autour de leur usine.

Certaines usines ont été implantées dans des zones sans bois, au milieu de champs de betteraves. On s'interroge : pourquoi de tels projets ? La moitié provient de produits déjà passés par des scieries. Nous ne sommes pas toujours d'accord avec ces projets, qui sont pourtant subventionnés. Certaines installations suscitent des mobilisations locales importantes. Face à cela, nous évitons les polémiques, mais les questions sont légitimes.

J'ajoute une remarque sur l'innovation. L'innovation ne naît pas toujours de grands programmes financés à coups de centaines de millions d'euros. Elle vient souvent d'erreurs, d'observations, d'adaptation, de bon sens. Dans notre métier, nous avons encore ce bon sens paysan. Et je fais plus confiance au bon sens paysan qu'aux discours de certains grands docteurs des institutions.

Enfin, un dernier sujet mérite réflexion : la déprise agricole. Selon des rapports publiés en 2023, quelque 20 000 hectares devraient sortir de l'agriculture dans les prochaines années. Ce serait une excellente chose que d'y planter des arbres.

Mme Anne Duisabeau. - Sur le conflit d'usage, vous l'avez bien compris, la filière bois valorise d'abord la matière en tant que matériau. Ensuite, au fil des transformations successives, elle cherche à en tirer le meilleur parti, jusqu'à aboutir à une valorisation énergétique lorsque plus aucun autre usage n'est possible.

Le SAF suscite une vive inquiétude au sein de notre filière. La ressource étant limitée, l'organisation actuelle fonctionne selon un équilibre précis, et les avancées techniques viendront en leur temps. En revanche, une chose est claire : le développement de nouvelles filières ne saurait se faire au détriment des filières existantes. Toute ouverture vers de nouveaux usages doit donc se faire avec discernement, en évitant toute concurrence directe. Vous avez évoqué le terme de « compétition des usages ». De notre point de vue, il s'agit plutôt d'une succession logique de maillons. Il n'existe pas de conflit intrinsèque ; certains souhaiteraient en créer un, mais, en réalité, il n'y en a pas.

Toutefois, si l'État devait créer un nouvel appel d'air au moyen de subventions massives, dans un modèle de compétition totalement différent, les équilibres seraient bouleversés. La valeur d'une planche de bois n'a rien à voir avec celle d'un combustible destiné à l'aviation. Ce type de dispositif reviendrait à transférer du pouvoir d'achat d'un secteur vers un autre, sans considération pour la réalité du terrain.

Il ne faut pas imaginer que l'on puisse engager des chaînes de production sur quatre-vingts ans pour produire du carburant destiné à faire voler des avions sans conséquence. Cela créerait une distorsion de valeur sur le marché, provoquerait des tensions et ferait mécaniquement chuter la compétitivité de toute la filière.

Nous avons donc, sur ce sujet, une position très ferme. Le législateur fixe les orientations, indique des directions, mais comment garantit-il, dans un système contraint par la rareté de la ressource, que les autres filières continueront à fonctionner ? Voilà la vraie question.

M. Mathieu Fleury. - On parle souvent de hiérarchisation ou de compétition des usages. En réalité, il s'agit plutôt d'une articulation des usages. Chacun se respecte, et les valeurs économiques ne sont pas comparables : le bois énergie, acheté sur pied en forêt, n'a rien à voir avec le bois acheté par les scieries sous forme de mètres cubes entrant dans leurs usines. Chacun travaille à sa façon, que ce soit pour le bois énergie ou pour les scieries. Aujourd'hui, une intelligence collective territoriale prévaut, sans conflit ni hiérarchie imposée : le marché régule naturellement.

L'équilibre est rompu dès lors qu'un nouvel opérateur, régi par des règles différentes et créant une valeur ajoutée fortement subventionnée, entre dans le jeu. C'est notamment le cas pour la filière des carburants aéronautiques durables (SAF). Un tel schéma présente un risque réel de perturbation et de conflits entre les différents débouchés du bois.

Sur le sujet de la pyrogazéification, il convient de s'interroger. Des objectifs très ambitieux ont été fixés en matière de développement de gaz renouvelable, et il a été demandé à Gaz réseau distribution France (GRDF) et à GRTgaz de porter cette croissance d'injection dans le réseau. Leur réponse s'est appuyée sur les méthaniseurs agricoles, mais aussi sur la pyrogazéification, présentée comme une solution miracle. Ils annoncent 50 térawattheures injectés à l'horizon 2030, alors même qu'aucun démonstrateur industriel ne fonctionne à ce jour.

En Normandie, le projet Salamandre, porté par le groupe Engie, visait un modèle industriel à 50 000 tonnes de biomasse ; il a été abandonné. On est encore loin des usines industrielles traitant plusieurs millions de tonnes de bois. Nous nous faisons collectivement peur pour rien.

Ce contexte interroge aussi le modèle de financement de GRDF et GRTgaz, rémunérés partiellement par des primes fixes pour l'entretien du réseau, mais aussi au volume de molécules circulant dans celui-ci. Ne faudrait-il pas revoir ce mode de financement pour éviter une course à la croissance sans lien avec la réalité du gaz renouvelable disponible ? Cette question mérite un examen sérieux.

S'agissant de l'accompagnement des filières, je tiens à saluer l'action du programme Biomasse chaleur pour l'industrie du bois (BCIB). Il permet de créer de la valeur ajoutée directement dans les scieries, en installant notamment des outils pour sécher le bois au plus près de la ressource. Ces unités se développent et tirent l'ensemble de la filière vers le haut. Quand les scieries fonctionnent, toute la filière suit.

Le bois énergie ne peut fonctionner seul. Aujourd'hui, 50 % du bois énergie provient des forêts. Le reste vient du bocage, des bois en fin de vie, des produits connexes. Lorsqu'on coupe un arbre destiné à une scierie, notamment un feuillu, 40 % du volume est constitué de houppiers utilisés pour le bois énergie, en bûches notamment. Sans abattage pour les scieries, cette ressource disparaît. Par ailleurs, pour faire croître les arbres, il faut éclaircir, créer des cloisonnements, ce qui génère du bois d'industrie et du bois énergie.

Je salue également les efforts accomplis via le fonds chaleur, souvent salué par la Cour des comptes. C'est l'une des méthodes les plus efficaces et les moins coûteuses pour développer les énergies renouvelables. En 2024, 800 millions d'euros d'aides ont été maintenus, contre 1,3 milliard d'euros sollicités et déjà mobilisables sur les territoires. Il serait préjudiciable de briser cette dynamique.

Si des ajustements doivent être faits, alors qu'ils soient cohérents. On ne peut supprimer les aides au chauffage au bois, pourtant performant et en forte amélioration ces quinze dernières années, tout en les maintenant pour les pompes à chaleur. Si les aides sont supprimées, alors qu'elles le soient pour tous les types de chauffage individuel. Favoriser uniquement l'électricité au nom de la relance du nucléaire serait une erreur magistrale. Le signal envoyé serait négatif. Dire que l'on arrête le bois énergie reviendrait à affirmer que cette filière est mauvaise, alors qu'elle chauffe 8 millions de foyers, qu'elle représente l'énergie la plus résiliente et la moins chère du marché, et qu'elle offre de véritables perspectives. Le fonds chaleur a permis de garantir la visibilité du secteur et de préserver sa compétitivité.

Je rappelle que le bouclier tarifaire sur le gaz a coûté 64 milliards d'euros à la collectivité. Face à cela, les 800 millions d'euros du fonds chaleur apparaissent dérisoires.

Enfin, rappelons que les chaufferies collectives et industrielles à bois énergie sont nées dans les industries du bois. Les premières chaudières ont été installées dans les scieries pour sécher les grumes. Cette logique garde tout son sens et doit être développée, pérennisée, renforcée. Elle favorise des produits à plus forte valeur ajoutée et soutient une filière bois en bonne santé. Elle s'étend à présent à l'industrie agroalimentaire, ce qui est tout aussi pertinent.

En revanche, les carburants aéronautiques durables (SAF) posent question. L'étude menée par le cabinet Carbone 4 l'affirme : ce n'est pas une voie pertinente. Au regard des besoins colossaux de l'aviation en kérosène, il serait absurde de mobiliser la forêt. Notre contribution y serait anecdotique. Il faut faire preuve de lucidité et écarter collectivement cette option.

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Je regarde, avec une certaine admiration mêlée de perplexité, ce tableau, sur le mur de cette salle, et cette photographie d'un paysage rural vidé de ses villages, de ses repères humains, entièrement transformé pour produire de l'énergie. On y voit des éoliennes produisant de l'électricité et des champs de colza destinés à la fabrication de biofuel. Ces paysages se multiplient aujourd'hui.

En Poitou-Charentes, nous militons pour reconstituer des linéaires de haies, pour recréer du bocage. Nous avons l'impression que le monde du bois et le monde agricole sont pris dans une spirale d'industrialisation.

Il y a soixante-dix ans, dans les Deux-Sèvres, il n'y avait pas de forêt structurée. On utilisait les arbres du bocage pour se chauffer, pour la construction. Ce débat mérite d'être remis sur la table. Il faut aussi replacer les populations au coeur des enjeux, car les ruraux, aujourd'hui, ne se reconnaissent plus dans ces paysages déshumanisés.

M. Matthieu Fleury. - On parle de ressource abondante, mais s'il n'y a plus d'entreprise ni de gens pour aller ramasser le bois, on ne sera pas plus avancé...

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez parlé des haies, nous y sommes très sensibles ici - nous avons examiné une proposition de loi sur les haies, présentée par notre collègue Daniel Salmon.

M. Yannick Jadot. - Vous rappelez l'accélération de la demande de bois, qui est positive, qu'en est-il de la construction ? Le PLU bioclimatique de Paris prévoit l'usage de beaucoup de bois, allez-vous pouvoir répondre à cette demande ?

Ensuite, il y a les contraintes d'adaptation de l'offre, car la forêt soumise au dérèglement climatique change plus vite qu'on ne l'imaginait, il y a beaucoup d'efforts à faire.

Enfin, une question sur la communication autour de vos métiers. Je suis surpris d'entendre dire qu'en France, on fait surtout des coupes rases, ou qu'on couperait le bois pour l'expédier en Chine ou en faire du bois énergie : vous avez un bon ancrage territorial, vos pratiques sont très éloignées de ces caricatures - n'y a-t-il pas ici un problème de communication ?

M. Franck Montaugé. - L'exploration par satellite de la surface du globe permet de s'intéresser à ce qui se passe dans le sol et il semble, sous réserve de confirmation scientifique, que notre sol perde de sa capacité de séquestration du carbone, et que cela aurait à voir avec la partie forestière du territoire : le confirmez-vous ? Quels en sont les facteurs d'explication - et quels liens avec la gestion de la forêt ?

Lorsqu'on parle de bois énergie, on laisse de côté l'utilisation qui pourrait être faite de biogaz pour l'équilibrage du système de production-consommation d'électricité. Aujourd'hui, on utilise du gaz naturel, du méthane, pour faire fonctionner les centrales dites marginales qui dictent, par ailleurs, le prix du marché de gros, et ce gaz naturel est importé. Cela nous prive de toute souveraineté. J'ai toujours pensé que la biomasse utilisée sous forme de biogaz pourrait faire tourner ces centrales, nous faisant gagner en souveraineté tout en diminuant le prix du marché. On m'a toujours répondu que la biomasse était insuffisante pour le faire, et que c'était la raison pour laquelle on ne l'utilisait pas à ce type d'emploi - cette réponse ne me convainc pas. L'étude de Carbone 4 ne mentionne pas cet aspect : qu'en pensez-vous ?

M. Daniel Gremillet. - L'évolution de la ressource forestière va dépendre des essences en forêt : l'industrie du bois sera-t-elle en mesure de s'adapter - par exemple pour scier le hêtre qu'on utilise désormais pour les charpentes, alors qu'on utilisait surtout du chêne jusqu'à encore récemment ?

Je partage votre analyse sur le monde des scieurs. Dans le massif des Vosges, je connais une petite scierie en pleine forêt, dont l'unique voisin... se plaint du bruit qu'elle fait : la scierie était là avant que le propriétaire de la maison ne s'installe, mais il se plaint du bruit... ce n'est pas raisonnable.

Le recyclage, ensuite, connaît un véritable essor, on redonne vie à du matériau qu'on envoyait hier à la chaudière, la déconstruction est un gisement de ressources pour les panneautiers qui va aussi valoriser la filière.

Sur le dossier énergétique, il faut être prudent, parce que quand on réutilisera beaucoup de bois, il n'en restera pas beaucoup pour l'énergie. Cependant, il y a l'effet du prix, on l'a vu pendant la crise sanitaire, où le prix des granulés bois s'était envolé, alors qu'on a de la ressource et que des granulés canadiens étaient apparus bien moins chers, cela a perturbé bien des gens - on y a vu de la spéculation, il faut faire attention.

Comment utiliser davantage les bois dépérissant ? Certains bois restent utilisables, des expériences l'ont montré pour du lamellé-collé.

Que pensez-vous, enfin, de la chimie verte forestière ?

Mme Anne Duisabeau. - L'usage du bois dans la construction se développe ces dernières décennies, et le marché de la réhabilitation connaît aussi un véritable essor, avec en particulier l'adaptation des logements collectifs au changement climatique, notre filière a développé des systèmes d'isolation pour répondre à ce défi. Nous avons prouvé la fiabilité et le professionnalisme de la filière dans les jeux Olympiques de Paris. Nous avons construit des bâtiments emblématiques, nous avons tenu les délais, montré l'industrialisation, l'usage du bois en structure - par exemple au village des athlètes. La réglementation RE2020 va donner de la visibilité à la construction bois, elle est évolutive avec des seuils 2025, 2028, 2031, des obligations en matière de construction, c'est le moteur pour l'usage du bois dans la construction française.

Le ministère du logement a lancé une mission sur l'impact économique de la construction bois, c'est un sujet sociétal important. Les évolutions en cours ne sont pas liées seulement à la réglementation, l'enjeu n'est pas de mettre un peu de bois sur les murs pour les isoler, mais de construire désormais en intégrant le bois, donc construire différemment et non plus seulement à partir d'une structure en béton comme on sait si bien le faire - cela suppose de former les professionnels, cela va prendre des années, de grandes entreprises comme Vinci ont déjà commencé et nous travaillons avec elles.

Sur la communication, nous sommes victimes d'imprécisions sur nos pratiques et même de fausses informations. Nous avons lancé cette année une campagne de communication filière pour montrer qui nous sommes.

Il nous est apparu très important de rapprocher notre filière et nos industries de la société. Aujourd'hui, tout le monde aime les poutres dans son salon, dans sa maison, mais personne n'aime couper un arbre et personne ne fait le lien entre cet arbre qu'il faut couper parce qu'il arrive à maturité, et la poutre qu'il aime voir. Nous sommes dans de la sylviculture, nous dépendons de décisions prises il y a 30 ou 40 ans, et quand il y a des coupes rases, cela correspond à un mode de sylviculture qui n'a plus cours mais qui existait par le passé, nous devons couper les arbres qui arrivent à maturité en même temps - cependant, ces coupes rases ne représentent que 2 % de l'ensemble, c'est très faible, cela retient l'attention de réseaux sociaux mais c'est très marginal. L'industrie française n'est pas alimentée par des coupes rases, c'est un fait.

Les évolutions climatiques dégradent la forêt et nous obligent à nous adapter, nous le faisons. La forêt a été plantée par Colbert il y a plus de 300 ans, elle a eu de mauvais passages, mais on a repris la main et désormais elle croît, elle embellit ; le forestier d'aujourd'hui sait très bien que la forêt est un patrimoine qu'il transmettra, qu'il travaille aujourd'hui pour les générations futures. Nous sommes sur des schémas de longue durée et l'industrie n'a pas intérêt à raser la forêt française, sachant que l'investissement porte sur des décennies ; on nous accuse d'une gestion qui ne serait pas patrimoniale, alors qu'elle l'est : si nous voulons pérenniser nos produits, nos débouchés, et que notre pays arrive à la neutralité carbone en 2050, un objectif où la filière bois dans la construction a tout son rôle à jouer, nous devons nous assurer de la ressource, dans la durée. Nos décisions d'aujourd'hui auront un impact sur le climat en 2070, en 2080 et ce qu'on peut faire également, c'est mettre plus de bois dans notre vie autour de nous, parce que c'est un matériau qui stocke le carbone et qui a une capacité de substitution forte par rapport à d'autres produits issus de procédés industriels qui, eux, libèrent du carbone. C'est tout cela que nous allons faire passer dans notre campagne de communication, qui va durer toute cette année.

Nous travaillons aussi sur l'attractivité des métiers du bois. Nous avons créé 35 000 emplois en sept ans, nous voulons en créer autant dans les cinq prochaines années. La pénibilité de nos métiers est souvent mise en avant, nous travaillons avec un programme que nous avons appelé Very Wood Métiers sur la connaissance de ces métiers, qui comprend aussi un objectif de féminisation.

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Notre ressource en bois est et restera suffisante pour les besoins dans la construction puisque dans tous les cas, on ne construira jamais entièrement en bois - le bois a comme défaut de brûler, donc il faut être prudent et on aura toujours un mélange entre des matériaux minéraux et des matériaux combustibles.

Dans la société de communication où nous vivons, bien des messages sur les réseaux sociaux sont caricaturaux, ils sont faits pour choquer et nous ne l'avons pas anticipé, nous vivions sur le temps long où la communication était plus naturelle. Des gens disent qu'on ne fait que des coupes rases, ce n'est pas vrai - mais il y a des coupes rases, dans les parcelles qui ont été plantées pour qu'il y en ait, comme cela s'est fait par le passé et il faut le faire, ou bien on aura encore plus de bois dépérissant. Il y a aussi le cas de petites parcelles où l'on va moins facilement qu'avant, elles ont été plantées quand le matériel était plus petit, c'est aussi un problème.

Les photos satellites, ensuite, sont effectivement très puissantes, on peut aujourd'hui reconnaître les essences d'une façon très précise et on peut recoller le cadastre - nous aimerions d'ailleurs que les entreprises puissent accéder plus librement au cadastre, l'accès n'a été étendu qu'aux coopératives et aux experts forestiers. Quant aux mesures sur la capacité de séquestration de carbone par le sol, je n'ai jamais compris comment elles étaient faites. La moitié de la masse d'un arbre se trouve dans les racines et quand on le coupe, on ne retire que la partie du tronc, les feuilles et les petites branches sont laissées en forêt - cela compte dans le calcul du carbone, me semble-t-il.

Sur la partie énergie, ensuite, injecter de la biomasse sous forme de gaz dans les réseaux, c'est une bonne idée, de même que la méthaniser ; cependant, le faire pour, ensuite, retransformer cette biomasse en chauffage, c'est une mauvaise idée, car le rendement est mauvais : mieux vaut prendre le bois, le déshydrater, le granuler, pour le brûler.

M. Franck Montaugé. - Cela dépend de comment vous le faites...

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Attention, c'est un problème de rendement. Quand vous fabriquez de l'électricité avec une turbine à vapeur, le rendement est de 25 à 30 %, donc avec 100 % d'énergie thermique, vous n'extrayez que 25 % d'électricité. Si cette électricité est utilisée pour refaire du chauffage derrière, c'est une très mauvaise idée. C'est de la physique élémentaire...

M. Franck Montaugé. - Le pouvoir calorifique supérieur (PCS) n'est pas comparable...

Mme Anne Duisabeau. - Les étapes de transformation de la matière ont chacune une efficacité propre et si les pertes sont trop importantes, les rendements ne suffisent plus. Les procédés existent pour transformer un gaz, la technique est là, mais quand la rentabilité devient trop faible, ce n'est pas utilisable.

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Il faut évidemment prendre en compte les rendements. Produire du gaz pour fabriquer de l'électricité, qui servira ensuite au chauffage en période froide, puisqu'il faudra la stocker pour alimenter les turbines lorsque les éoliennes ne fonctionneront pas, ça peut être une bonne idée, mais qui ne fonctionne pas. Mieux vaut utiliser de la biomasse que l'on stockera, puis que l'on utilisera lors des pointes de froid, avec des délestages sur les réseaux électriques.

M. Franck Montaugé. - C'est aussi un choix politique, pas seulement une question de physique...

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Les réseaux électriques ne supporteraient pas la demande d'électricité dont nous aurions besoin - nous ne sommes pas d'accord sur le sujet, manifestement.

Mme Anne Duisabeau. - La question de fond concernant l'étude Carbone 4, c'est qu'elle est devenue un outil de simulation de la filière. Vous dites que le bois énergie n'a pas été pris en compte, mais il l'a été ; en revanche, la gazéification ne l'a pas été, parce que le modèle de Carbone 4 a été construit sur les chiffres de 2017 et 2018, quand la gazéification était anecdotique dans notre pays. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, la gazéification peut être prise en compte pour évaluer son impact dans la valeur ajoutée, mais elle n'est pas dans Carbone 4.

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Un mot sur le prix du granulé. Il est influencé par une consommation importante au Royaume-Uni : les Britanniques consomment 8 millions de tonnes de granulés pour fabriquer de l'électricité, depuis qu'ils en utilisent dans leurs anciennes centrales à charbon - c'est le cas aussi de compagnies belges et allemandes. La Russie nous fournissait du gaz, mais aussi des granulés ; lorsque cet approvisionnement a été coupé, le prix de l'électricité s'est envolé, pour atteindre jusqu'à 1 000 euros le mégawattheure, les Anglais et les Allemands se sont mis à acheter des granulés à n'importe quel prix, et il y a eu un temps, assez court, une envolée folle du prix des granulés. Cela a été un problème - Paris est chauffé avec des granulés de bois : 180 000 tonnes sont nécessaires pour chauffer Paris, intégralement importées de l'étranger via le port de Rouen et une ligne ferroviaire chez CPCU à Saint-Ouen, entreprise qui a dû acheter très cher son granulé pendant cette crise, l'idée étant qu'il n'y avait plus de gaz et que sans granulés, on ne pourrait plus chauffer la capitale.

Ce n'est donc pas nous qui avons fait le prix du marché ; nous aurions pu vendre nos granulés plus chers aux Britanniques ou aux Allemands, nous ne l'avons pas fait. Du reste, la fièvre est vite retombée, et les prix avec elle, ils sont même très bas aujourd'hui.

M. Matthieu Fleury. - La communication est essentielle, nous ne sommes pas visibles, ni audibles : nous avons vécu cachés et heureux pendant de longues années, il est temps que nous sortions du bois.

Il faut rétablir un lien entre la société et nos métiers, parce que l'exode rural est passé par là et qu'aujourd'hui, presque plus personne ne prend sa tronçonneuse pour faire du bois énergie ou du bois d'oeuvre. Le contact avec la forêt productrice, avec le bocage producteur, a disparu : il nous faut le recréer de diverses manières.

France Bois Forêt va engager un vaste plan de communication, c'est urgent - cela montre qu'on a pris conscience du sujet. Il y a aussi les interprofessions locales sur les territoires qui font ce travail quotidien pour diffuser les usages du bois et faire le lien avec l'arbre.

Sur le stockage du carbone dans les sols, les études scientifiques montrent effectivement une dégradation, liée aux aléas climatiques, au stress hydrique de ces dernières années sur les massifs forestiers, donc à une croissance moindre, aux maladies comme les scolytes, l'encre du châtaignier ou la chalarose du frêne. Nous avons de la chance, en France, d'avoir des équipes de chercheurs qui essaient de modéliser les évolutions, pour identifier les essences qui résisteront mieux au changement climatique, il y a une forme de pari puisqu'on ne sait pas avec quelle vitesse le changement climatique va s'opérer sur notre territoire.

Le sujet du recyclage est déjà largement abordé, les usines sortent de terre, nous valorisons au mieux le recyclage du bois dans le panneau et en envoyant les résidus dans des chaudières, qui vont produire leur propre électricité. Nous sommes sur des modèles très intégrés ; ils ne sont pas complètement opérationnels, mais ils le seront d'ici quelques mois, et alors la filière valorisera le moindre petit morceau de bois sur notre territoire et nous serons un modèle d'économie circulaire. Il faut que nous sachions le communiquer et diffuser cette culture du recyclage, ce modèle du zéro perte et de la diversité de notre filière.

La chimie verte, c'est un vrai sujet, il est devant nous. La chimie est le premier consommateur de produits pétroliers, que le bois ne saurait remplacer entièrement, c'est évident ; mais l'arbre peut faire beaucoup, en particulier la forêt tropicale, dont le feuillage contient des molécules extrêmement recherchées dans la pharmacie, c'est une piste à explorer, d'autant que nous serons plus compétitifs en la matière que sur la production de palettes...

Mme Annick Jacquemet. - Dans le cadre d'une mission d'information sur l'avenir de la filière automobile, j'ai visité un équipementier dans mon département qui m'a dit que, pour éviter la taxe carbone, il avait choisi de planter des arbres... au Brésil, et il m'a demandé pourquoi le mécanisme de compensation ne lui permettait pas d'en planter plutôt en France : avez-vous la réponse ?

Les forêts dans le département du Doubs et plus largement en Bourgogne-Franche-Comté, sont décimées par le scolyte. Il faudra replanter, mais on ne sait pas encore avec quelles essences, l'Office national des forêts (ONF) fait des essais. M. Archimbaud nous a donné l'exemple des forêts replantées par les Allemands avec des pins autrichiens, on se rend compte après 80 ans que ces pins ne sont pas adaptés : il ne faudrait pas faire la même erreur dans notre département. Quelle est votre approche sur le sujet ?

Enfin, une scierie proche de chez moi voulait installer des panneaux photovoltaïques sur ses bâtiments, mais son assureur refuse alors de couvrir le risque : avez-vous un conseil en la matière ?

Mme Marie-Lise Housseau. - Dans le Tarn, où il y avait beaucoup de feuillus, des résineux ont été plantés après la deuxième guerre, mais les scieries ont perdu de l'activité faute de débouchés : Revel, ville du meuble d'art, a perdu la plupart de ses emplois dans cette spécialité, avec l'effondrement de cette filière d'ameublement d'art. Nous sommes envahis de panneaux de particules, de medium, d'Ikea, de même que dans la menuiserie, le lobbying du PVC est partout - je l'ai expérimenté lorsque j'avais déposé un amendement pour valoriser les menuiseries de fenêtre en bois : j'avais aussitôt été assaillie par les lobbyistes du PVC qui me présentaient toutes les qualités environnementales de cette filière, sans mentionner, bien sûr, le fait que le PVC ne stocke pas le carbone...

Cependant, les métiers du bois attirent les jeunes, notre lycée professionnel fait le plein, nous avons les compétences en matière de design : pensez-vous qu'il y a toujours une place pour une filière de l'ameublement français ? Est-ce que vous avez des entreprises de cette filière parmi vos adhérents ?

M. Alain Chatillon. - Revel comptait une trentaine d'entreprises d'ameublement d'art il y a quelques décennies encore, j'y ai créé en 2012 le lycée des métiers d'art du bois, 200 jeunes en sortent et c'est un succès, nous mettons en place une pépinière d'entreprises pour soutenir l'installation de jeunes : nous continuons à agir pour cette filière passionnante.

M. Gilbert Favreau. - Un scieur de mon département, les Deux-Sèvres, m'a interpellé sur la responsabilité élargie des producteurs (REP) : il estime, en tant que scieur, ne pas produire de déchets, et donc que l'application de la REP à son activité ne se justifie pas - qu'en pensez-vous ?

Mme Anne Duisabeau. - L'État met en place des labels bas carbone pour planter en France, des systèmes qui permettent, avec un financement privé, de replanter des arbres en forêt pour compenser les émissions de carbone : pas besoin de planter au Brésil, c'est possible en France, il faut se rapprocher de nous pour une information plus juste.

L'installation de panneaux photovoltaïques sur les toits empêche les pompiers d'intervenir s'il y a un incendie dans le bâtiment, donc l'assurance ne couvre pas : cela concerne tous les bâtiments, pas seulement les scieries. C'est un problème puisque sans assurance, une entreprise ne peut pas emprunter. Notre filière a besoin d'investissements, on ne pourra pas avancer sans régler la partie assurancielle - la question se pose aussi pour la forêt, par exemple sur la responsabilité du propriétaire pour les dégâts causés par des branches qui tombent. L'assurance se désengage de pans entiers de l'activité, alors que le changement climatique accentue les risques, c'est un vrai problème dans nos métiers.

La filière française de l'ameublement d'art est bien vivante, elle croît et s'embellit. Le bois massif est plus onéreux que le panneau, c'est un sujet quand le pouvoir d'achat baisse et qu'il devient difficile d'acheter un meuble massif chêne ou merisier, les gens achètent dans de grandes surfaces des meubles tout-venant qui auront une durée de vie moins importante, mais qui correspond à la mobilité et aux modes de vie d'aujourd'hui. Le bois massif a son avenir, mais comme un produit haut de gamme, c'est une niche qui a ses contraintes de coût mais qui a aussi ses réussites.

Mme Marie-Lise Housseau. - On le voit avec les meubles portugais.

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Oui, mais les meubles portugais sont faits à partir d'arbres du Brésil, qui est une ancienne colonie portugaise et qui dispose d'un potentiel forestier énorme, il y a dans le nord du Brésil plus de 200 millions d'hectares de pâturage pauvre que les autorités cherchent à reconvertir dans l'agroforesterie. Nous-mêmes, nous avons une entreprise au Brésil, j'étais à Sao Paulo il y a quelques mois, on m'y a interrogé sur des méthodes qu'utilisaient nos arrière-grands-parents...

Les panneaux photovoltaïques sur les bâtiments posent un problème sérieux ; les pompiers ne peuvent pas arroser un matériel électrique en cas d'incendie, parce qu'ils risquent de s'électrocuter, on ne peut pas déconnecter la production électrique de panneaux posés sur un toit - donc les assureurs ne couvrent pas le risque sur ce qui se trouve dans le bâtiment, c'est vrai dans tous les domaines d'activité.

Dans le Tarn, effectivement, il faut considérer les cycles : on a beaucoup planté après la guerre, on a installé des scieries, ces arbres ont été coupés et comme il n'y a pas eu assez de replantations, l'activité a diminué. Il y a des zones, aussi, où l'on a planté des arbres sans penser à ce qu'on allait en faire, et où personne n'est très motivé pour aller implanter une scierie sachant que l'activité ne durera pas plus de dix ans - surtout si c'est sur des essences comme le pin douglas, qui est fort critiquée.

Concernant la sensibilisation à la forêt, je crois qu'il faut commencer très tôt, sensibiliser les enfants à aller dans la forêt, à couper un arbre, à le débiter - en intégrant d'emblée toute la chaîne. C'est comparable à ce qui se passe pour la formation en cuisine, aujourd'hui un cuisiner doit s'intéresser à la manière dont on cultive les plantes qu'il cuisine ou à la manière dont on élève les animaux qu'il utilisera, il faut intégrer cette formation à la forêt dès le plus jeune âge.

Mme Anne Duisabeau. - La REP vient d'une réglementation européenne et concerne toute la filière, mais il ne s'applique qu'en France pour la partie sciage. L'intention est bonne, puisque ce levier financier incite à recycler le bois et à le réutiliser, mais il a un coût, qui pénalise le bois par rapport à d'autres matériaux, c'est une perte de compétitivité dommageable.

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Le bois n'a rien à faire dans la REP. Cette taxe a été mise en place pour recycler des matériaux polluants, comme le plastique - on en arrive à ce que le bois finance le recyclage du plastique, c'est absurde. Mon arrière-grand-père, qui était menuisier, a fabriqué des fenêtres en bois il y a un siècle, mes enfants vont devoir payer une taxe pour que des industries du plastique reposent des fenêtres en PVC - les taxes défavorisent le bois. Est-ce que le bois pollue la nature ? Non, il se dégrade tout seul, il est tout à fait recyclé. En réalité, nous n'avons pas besoin de subventions pour faire fonctionner notre recyclage, nous y parvenons très bien. Pourquoi aller mettre de l'argent dans un système pour exporter nos déchets de bois en Finlande ou au Portugal... ceci pour fabriquer des panneaux et importer des meubles en France ? Cela n'a aucun sens.

M. Daniel Salmon. - Dès qu'on parle de bois, il y a de l'émotion, car avec le bois il y a l'arbre, la haie, la forêt, c'est ce qui accompagne l'humanité depuis la nuit des temps et ce qui accompagne chacun de nous, du berceau au cercueil... Le citoyen est désormais éloigné des réalités, on en a fait un citoyen hors sol qui ne comprend plus grand-chose aux flux dont il bénéficie, il faut le reconnecter. Il y a effectivement une sorte de sacralisation de l'arbre, parce qu'il abrite de la biodiversité, nous procure des aménités, on voit tout ce qu'il nous donne aussi quand il disparaît du paysage ; cependant, nous en avons besoin pour la construction et pour bien d'autres choses, dont l'énergie.

Les petits propriétaires forestiers sont très nombreux. Nous avons adopté il y a deux ans une loi pour que les experts forestiers accèdent aux données cadastrales : a-t-elle facilité leur capacité d'intervention auprès de propriétaires trop dispersés, pour des actions à plus grande échelle ?

Pour le séchage du bois, on parle du photovoltaïque, il y a aussi le solaire thermique, c'est le grand oublié, alors qu'il peut être utile quand nous avons besoin de sécher beaucoup de bois : qu'en pensez-vous ?

Qu'en est-il, de même, du risque incendie, qui ne peut être qu'affecté par l'usage plus important du bois dans la construction ?

Je vous rejoins sur la REP, le mécanisme est déséquilibré, les palets bretons en bois se retrouvent à devoir payer pour des pièces en plastique fabriquées en Chine, il faut changer ces mécanismes.

M. Philippe Grosvalet. - Dans un monde où tout s'accélère, nous avons la chance d'avoir un Office national des forêts (ONF), qui développe des pépinières expérimentales pour rechercher les effets du réchauffement climatique sur les feuillus de plaine, c'est extrêmement important pour savoir quels seront ceux qui tiendront dans les conditions climatiques à venir - l'une de ces pépinières est en Loire-Atlantique. Or, l'ONF subit des coupes sombres, il serait menacé : quelles sont vos relations avec lui, comment le soutenez-vous ?

Mme Micheline Jacques. - À Nuku Hiva, dans l'archipel des Marquises, une forêt de pins caraïbes a été plantée dans les années 1980, elle arrive à maturité et elle est donc prête à être exploitée ; malheureusement, ces pins ne correspondent plus aux normes de construction apparues depuis, c'est un problème. Il se pose aussi pour le bois en Guyane, la filière forestière a un grand besoin d'être structurée. Quelles sont vos relations avec les forestiers de Guyane, de Polynésie, des Antilles ? En Guadeloupe, on a installé des usines de production d'énergie à base de bagasse de canne à sucre, mais il n'y a toujours pas d'agrément pour que cette biomasse remplace le charbon, c'est plus que surprenant : qu'en pensez-vous ?

M. Pierre Cuypers. - Une question sur la réutilisation des traverses de chemin de fer : avant, on pouvait les réutiliser, c'est désormais interdit - comment les recyclez-vous ?

M. Lucien Stanzione. - Quelle est votre position sur l'exploitation de la forêt en Guyane, qui est le premier département forestier de France ?

Mme Anne Duisabeau. - La propriété forestière est excessivement morcelée, ce qui en complique la gestion « massifiée » telle qu'elle a désormais cours et qui est un facteur de compétitivité - à ce titre, l'ouverture du cadastre aux experts forestiers marque un progrès.

En tant que filière, nous soutenons pleinement l'ONF, il est adhérent à France Bois Forêt et fait partie du premier collège, avec notamment les propriétaires forestiers, nous soutenons en particulier ses pépinières expérimentales et la sélection des essences de demain.

Le séchage par solaire thermique n'a pas le même niveau de compétitivité que les procédés que nous utilisons, c'est une limite.

Enfin, la réutilisation des traverses est compliquée, elles sont brûlées dans des chaudières particulières, dites de classe 2, elles sont un déchet bois dangereux.

M. Jean-Pascal Archimbaud. - On devrait autoriser plutôt qu'interdire la réutilisation des traverses, c'est un produit stable, imputrescible, qui dégage effectivement des gaz polluants quand on le brûle, mais qui peut être utilisé.

M. Daniel Salmon. - Attention, cependant, on en arrive à trouver dans les cours d'école des taux d'arsenic supérieurs à ceux qui sont mortels pour les rats... On peut utiliser ces matériaux, mais avec prudence, en les noyant par exemple dans le béton...

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Il faudrait élargir davantage l'accès au cadastre. Lorsque nous gérons nos propres exploitations forestières, nous sommes contraints de recourir à des artifices pour obtenir nos numéros de parcelles, c'est une complication, même si nous comprenons qu'il faille protéger les données.

Nos relations avec l'ONF sont excellentes. L'office joue un rôle essentiel pour l'ouverture de la forêt au public, sur tout le territoire, en particulier sur le littoral.

Les capacités futures qu'aura l'offre de répondre à la demande, dépendent de ce que nous faisons aujourd'hui et les choses sont très claires : il faut planter, planter, planter. Le débat entre la monoculture et la mixité des essences est secondaire. Dans les Landes, nous ne créerons jamais de forêts cultivées à sous-étage, ce n'est pas possible. En Bretagne, des reboisements ont été réalisés dans des vallons, c'est une réussite, cela donne un très beau maillage, il a changé le paysage de la région. Quant aux haies, les choses ne vont pas assez vite, on parle depuis deux décennies de replanter des kilomètres de haies mais sans poser la question de la rentabilité. Aujourd'hui, plutôt que de mettre des hectares et des hectares de culture en jachère, mieux vaudrait consacrer aux arbres des bandes de terre le long des chemins ruraux, quitte à indemniser l'agriculteur pour perte de récolte - alors qu'aujourd'hui, on lui a fait tout retirer et il laboure jusqu'aux chemins, pour cultiver des plantes qui ne sont pas toujours bien utilisées.

Nous avons des contacts avec les forestiers aux Marquises, comme dans les autres territoires ultramarins, je crois qu'il faut laisser l'usage de leur bois aux habitants de ces territoires. En réalité, les normes françaises ne sont guère adaptées à la construction locale faite dans les usages de l'art avec de la ressource locale.

Mme Micheline Jacques. - Mais alors, nos maisons ne sont pas couvertes par les assurances, en particulier contre le risque sismique...

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Il faut faire comme un charpentier qui calcule sa charpente. Il construit une maison, elle s'écroule ; il en construit une deuxième, elle ne s'écroule pas, et c'est cette façon de faire qu'il emploie par la suite, quand il a trouvé la bonne solution pour construire la maison qui résiste.

Mme Anne Duisabeau. - Ce problème de validation des essences va s'étendre puisque le développement de l'utilisation des feuillus va nous contraindre à modéliser et à évaluer ces bois sur leur qualité physique et technique dans les usages.

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Si l'on doit détailler l'analyse jusqu'à telle ou telle essence très particulière qu'on ne trouve que dans une seule région, on ne va pas y arriver...

Mme Micheline Jacques. - C'est bien pourquoi nous avons un problème à régler.

M. Jean-Pascal Archimbaud. - Exploiter la forêt guyanaise, cela me paraît une mauvaise idée. Qu'on en utilise localement des ressources, d'accord, mais pourquoi aller au-delà, en détruisant cette réserve écologique importante, alors que nous pouvons faire du bois ailleurs ? En plus, le bois de Guyane ne flotte pas, ce qui pose des problèmes évidents d'acheminement.

Quant au remplacement du charbon en Guadeloupe, le modèle est celui qui a été mis en place en Martinique et à La Réunion, où l'entreprise Albioma a installé des usines de production d'électricité qui tournent avec des granulés... d'importation : aucun granulé ne vient d'Europe, tous proviennent des États-Unis, du Canada, du Vietnam ou d'Australie. Albioma étant une entreprise dont les capitaux sont américains, on pouvait s'attendre à ce qu'elle achète plutôt des granulés américains...

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour toutes ces informations et pour votre disponibilité.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Examen en commission
(Mercredi 9 juillet 2025)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'invite Mme Anne-Catherine Loisier et M. Serge Mérillou à nous présenter leur rapport sur la compétitivité de la filière bois française.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Madame la présidente, je vous remercie de nous avoir confié la rédaction de ce rapport, pour lequel nous avons réalisé un important travail et auditionné une soixantaine de personnes.

Mes chers collègues, dans les travaux de notre commission sur les contraintes à lever pour redresser notre économie, nous avions exploré l'agriculture, l'énergie, et nous explorerons bientôt l'automobile et le logement. Nous ne nous étions pas encore penchés sur la compétitivité de la filière bois.

Discrète mais stratégique, cette filière représente 440 000 emplois, soit davantage que l'industrie automobile, et irrigue l'ensemble du territoire. Comme les filières industrielles que j'ai citées, la filière bois va au-devant de grandes mutations. Elle pèse à elle seule pour 10 % du déficit commercial de notre pays, soit 8,5 milliards d'euros, tandis que l'agriculture et l'agroalimentaire, pourtant jugés en difficulté, restent excédentaires à hauteur de 5 milliards d'euros.

Un rapport sénatorial de 2015 évoquait, sur ce point, un « modèle de pays en développement » : la France, riche de 17,5 millions d'hectares de forêts métropolitaines - auxquels s'ajoutent 8 millions d'hectares en Guyane - exporte sa matière première pour la voir revenir sous forme de produits finis - je pense notamment à l'ameublement et au parquet.

Comment une forêt plus étendue que celle de l'Allemagne peut-elle générer un déficit aussi important ? Comment optimiser la valorisation de la ressource bois issue de nos forêts au bénéfice de notre économie ? Ce sont les questions auxquelles nous avons voulu répondre, et qui nous conduisent à formuler vingt-quatre recommandations.

M. Serge Mérillou, rapporteur. - Mes chers collègues, trois partis pris ont guidé notre démarche.

Premièrement, nous avons centré notre approche sur l'économie de la filière bois, c'est-à-dire essentiellement l'aval, alors que nous avons pour habitude de parler beaucoup de l'amont. Le point de vue que nous adoptons est donc, en quelque sorte, celui des transformateurs de bois.

Deuxièmement, nous croyons que le bois, matériau bas carbone, est un levier pour réconcilier écologie et économie. L'optimisation du rendement matière est à la fois une exigence environnementale, pour allonger la durée de vie des produits bois, et un défi de compétitivité, pour créer plus de valeur ajoutée, qui doit tous nous mobiliser.

Troisièmement, nous avons préféré une approche ciblée à un énième rapport global. Ainsi, cinq produits emblématiques nous ont servi de portes d'entrée.

Le rapport est structuré en quatre parties. Nous présentons, tout d'abord, ces cinq produits. Ensuite, nous revenons sur les défis transversaux de la première transformation. Nous abordons, pour suivre, la question du bouclage biomasse, qui agite toute la filière, avant de conclure sur les leviers de mobilisation du bois en forêt.

Je commence donc par notre première partie et notre approche par produit.

Le premier produit est la façade et le mur à ossature bois. Le bois d'oeuvre charpente toute la filière par sa forte valeur ajoutée. Or la France accusait un retard important sur le volume de bois séché et sur les bois techniques par rapport à l'Allemagne ou à l'Autriche. Avec l'accent mis sur le triptyque scier-sécher-transformer, nous avons rattrapé une petite partie du chemin depuis 2020. À titre d'exemple, la première usine de lamibois de France est en train de sortir de terre en Haute-Loire. La part de bois dans la construction neuve reste cependant faible - moins de 7 % -, freinée non tant par le coût que par un manque d'acculturation des maîtres d'ouvrage.

Nous recommandons notamment de faciliter la reconnaissance des solutions d'effet équivalent aux normes incendie, un dossier qui nous a fait prendre du retard.

Nous voudrions aussi encourager les collectivités à bonifier les isolants biosourcés en complément de MaPrimeRénov', ce que préconisait déjà le rapport de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique de Guillaume Gontard et Dominique Estrosi Sassone. À terme, il faudra sans doute élargir la réglementation environnementale 2020 (RE2020) à la rénovation, car 80 % de la ville de demain est déjà construite.

J'en viens au deuxième produit, l'ameublement et le parquet. Plus de 3 milliards des 8,5 milliards d'euros de déficit proviennent du seul ameublement. La part du meuble français sur notre marché est passée de 77 % à 37 % en vingt-cinq ans. Ce recul s'amplifie aujourd'hui avec la « fast déco » importée à bas coût. Nous préconisons des mesures d'urgence pour temporiser - frais de 2 euros par colis, contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), communication négative sur les non-conformités constatées - et surtout le recours à la réglementation antidumping européenne, qui devrait devenir plus automatique, pour riposter.

Le troisième produit est la palette, segment où la France est bien positionnée. Elle constitue aussi un bon levier de diversification pour les scieries et un vecteur de contrôle de la chaîne logistique pour notre industrie.

Concernant le quatrième produit, le papier pour carton ondulé, la papeterie est le premier poste de déficit bois, à hauteur de 4 milliards d'euros. L'exemple du site de production Blue Paper à Strasbourg, que nous avons visité avec Anne-Catherine Loisier, montre qu'il est possible de maintenir ce type de site en France. Mais dans ce secteur, très internationalisé, les arbitrages dépendent beaucoup des coûts de production, et notamment du coût de l'énergie. Le cadre post-Arenh, c'est-à-dire après l'instauration du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, sera donc déterminant.

J'en viens enfin au cinquième et dernier produit, les granulés bois. Trois fois moins chers que l'électricité, ils sont une solution réaliste de transition énergétique, notamment dans les zones non raccordées au gaz et pour remplacer des foyers peu performants à des fins d'amélioration de la qualité de l'air. Une meilleure reconnaissance des projets respectant ces deux conditions dans MaPrimeRénov' nous paraîtrait bienvenue.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - J'en viens au deuxième volet, celui des défis transversaux de la première transformation.

Le bois souffre des maux classiques de l'industrie française : fiscalité peu incitative, voire discriminante, et charges sociales élevées. Un basculement vers une fiscalité plus environnementale bénéficierait à ce matériau. Une taxe carbone aux frontières permettrait aussi de limiter l'importation de produits beaucoup plus émissifs, à l'instar du parquet transformé en Chine, qui émet quatorze fois plus de CO2 que celui qui est transformé en France.

La question des compétences est également cruciale. Il y a pénurie dans les métiers du bois, mais aussi, et surtout, dans la maintenance et l'électromécanique. Les propositions du rapport Bozio-Wasmer sur la « désmicardisation », dont les syndicats nous ont parlé la semaine dernière, devraient permettre de mieux cibler les exonérations sur l'emploi intermédiaire et donc industriel.

Plus spécifiques à la filière, deux grands types de normes entravent ou risquent d'entraver la compétitivité du bois français.

Tout d'abord, sur la traçabilité, le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE), entrera en vigueur le 30 décembre 2025. La France continue seule contre vingt-quatre États membres à le défendre, car il s'agissait d'une mesure miroir adoptée sous présidence française de l'Union européenne. Une proposition de résolution européenne discutée aujourd'hui même au Parlement européen vise à créer une catégorie « risque nul » réservée aux pays européens. En effet, le Brésil et d'autres pays d'Amérique du Sud sont classés en « risque standard ». Or ce différentiel très faible entre eux et nous sera préjudiciable à nombre de pays européens, notamment la France. Alors qu'il s'agissait de lutter contre la déforestation importée et l'huile de palme, nous risquons d'imposer plus de contraintes à nos entreprises : nous marchons sur la tête... En effet, 100 % de nos entreprises seront assujetties à ces normes, mais seules les filières exportatrices des États tiers le seront. L'incidence sur la compétitivité de nos productions sera majeure. Sans rouvrir le texte en tant que tel pour ne pas créer d'insécurité juridique, nous formulons donc quatre propositions d'aménagement de ce règlement, en complément de la motion discutée aujourd'hui.

Ensuite, il existe des normes sur le bois en fin de vie, qui représente une ressource importante en volume pour satisfaire aux nombreuses demandes. Nous sommes les seuls au monde à avoir soumis le bois à la responsabilité élargie du producteur (REP) du bâtiment. Nous espérons que les amendements que j'ai fait adopter en séance au Sénat sur l'écocontribution réduiront ce poids qui met en difficulté nos producteurs.

Au-delà de ces deux dossiers, il y a les normes du quotidien, qui imposent parfois une forme de harcèlement administratif à certaines de nos industries. Je pense par exemple aux murs coupe-feu exigés par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). D'expérience, des rendez-vous territoriaux de simplification, sous l'égide des préfets, et en présence des élus locaux, pourraient aplanir bien des difficultés.

Le sujet de l'assurabilité devient existentiel pour les scieries. Certaines ne sont aujourd'hui que partiellement assurées : c'est une véritable épée de Damoclès qui pèse sur leur activité au quotidien. Pour les grands groupes, des captives, formes d'autoassurance, peuvent exister et pourraient être accompagnées par les pouvoirs publics. Mais pour les petites et moyennes entreprises (PME), il faudrait faire reconnaître aux assureurs la validité de solutions alternatives au sprinklage, de moindre envergure et donc moins coûteuses, comme les détecteurs de fumée précoces.

Enfin, la modernisation des outils industriels est essentielle. Les appels à projets France 2030 centrés sur l'industrie du bois ont permis, avec 500 millions d'euros d'argent public, de générer 2 milliards d'euros d'investissements privés et de créer 3 000 emplois en l'espace de trois ans. Ce fort effet de levier témoigne d'un besoin d'investissements majeur dans cette industrie et justifie la poursuite du dispositif.

Dans un contexte budgétaire contraint, à défaut, une alternative serait la provision pour investissement, sur le modèle allemand. L'ensemble des acteurs pousse fortement en ce sens. Elle préserverait une dynamique d'investissement, pour les grandes comme pour les petites scieries, lesquelles sont souvent hors d'atteinte des appels à projets, avec des critères beaucoup plus simples. Bercy freinera mais, en fin de compte, la provision pour investissement, grâce à son effet de levier, ne fera que reporter les recettes. Pour nous, c'est un élément essentiel pour que la filière poursuive sa modernisation.

J'en viens au troisième volet de notre rapport, qui concerne le bouclage biomasse.

Le principe européen de « cascade des usages » correspond d'abord à un bon usage économique de la ressource. Naturellement, la charpente est mieux payée que la palette, elle-même mieux payée que le bois de chauffage. Dans la transposition de la directive dite RED III du 18 octobre 2023, nous préconisons donc de ne pas aller au-delà de ce que font nos voisins. Si nous imposons des contraintes supplémentaires, nos industries auront du mal à résister.

Si l'essor du bois-énergie prive d'approvisionnement d'autres usages, il faut plutôt agir sur le signal-prix. Par exemple, nous pourrions rééquilibrer, dans l'ensemble des appels à projets bénéficiant au bois, le financement qui va aux usages « matière » : il n'est aujourd'hui que de 25 %, en raison notamment du poids de l'appel à projets « biomasse chaleur pour l'industrie, l'agriculture et le tertiaire » (BCIAT), qui subventionne des unités de biomasse pour décarboner l'industrie. Nous préconisons de rééquilibrer ces financements publics et de tendre à 50 % afin d'éviter que l'usage pour le bois-énergie ne soit mieux rémunéré qu'un usage long.

Par ailleurs, nous demandons de faire preuve de vigilance sur certains appels d'air qui devraient être objectivés et mieux encadrés, en se penchant mieux sur la question des volumes dans le temps. Ainsi, la centrale de Gardanne doit être accompagnée en douceur vers l'arrêt de son activité dans huit ans. Il faut être clair quant au fait que la filière ne pourra durablement fournir les volumes suffisants pour les carburants d'aviation durables, dits SAF (Sustainable Aviation Fuel), à base de bois, au-delà de 2030. Enfin, le choix de décarboner certains des cinquante plus grands sites industriels par la biomasse solide doit être envisagé au cas par cas. Il faut bien faire la part des choses.

Les cellules régionales biomasse doivent être renforcées, et leur expertise consolidée. La régulation des projets nouveaux, en lien avec les professionnels des territoires, par des avis conformes de ces cellules sur les décisions du préfet portant sur les plans d'approvisionnement, permettrait à la fois de sécuriser la filière et de valoriser les usages matière, plus créateurs de valeur.

Enfin, la très ambitieuse trajectoire d'augmentation de 12 millions de mètres cube par an du programme national de la forêt et du bois, élaboré en 2016, n'a pas été respectée, pour plusieurs raisons. Elle doit donc être réajustée. Plutôt qu'un volume de bois à sortir de forêt, il serait plus pertinent de se fixer des objectifs de volume de bois d'oeuvre - sciage, déroulage - et de bois d'industrie transformé sur le territoire national et donc générateur de valeur ajoutée. L'acceptabilité sociétale de l'exploitation du bois et de la transformation du bois en sera renforcée.

M. Serge Mérillou, rapporteur. - J'en viens au dernier axe de ce rapport. Une fois qu'une trajectoire plus réaliste et pertinente de mobilisation est adoptée, comment atteindre l'objectif et valoriser mieux le bois de nos forêts ?

Contrairement aux idées reçues, la France n'est pas le grenier à bois de l'Europe. La forêt allemande, qui est deux fois plus dense, connaît trois cycles de récolte quand la France n'en connaît qu'un, car elle est plus résineuse. Elle est par ailleurs plus adaptée aux prérequis de l'industrie.

L'exploitation y est plus facile, car la forêt allemande est une forêt de plantation en plaine. En France, seulement 13 % de la surface est issue de plantations, et la géographie physique ou encore la desserte compliquent la donne.

Les entreprises de travaux forestiers, qui sont plus fragiles en France, car plus isolées, souffrent d'une saisonnalité accrue, avec les intempéries en automne et la nidification au printemps. Les missions interservices de l'eau et de la nature (Misen), sous l'autorité du préfet, pourraient contribuer à limiter les risques d'infraction sur les chantiers, en définissant avec les professionnels des cahiers des charges a priori.

Sur le terrain, deux freins organisationnels subsistent.

Le premier, bien connu, est le morcellement de la propriété : il faut encourager la gestion collective, via les coopératives ou les experts forestiers, par une bonification à leur avantage du dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement (Defi) « travaux » et par une meilleure coordination entre l'Office national des forêts (ONF) et les gestionnaires privés par massif, plutôt que d'entreprendre un hypothétique remembrement forestier, qui serait trop long et coûteux.

Le second est le manque de contractualisation : en sécurisant les flux, la vente de bois façonné « bord de route », trié en lots homogènes, permettrait à nos scieries, sur le modèle de l'Allemagne, de se concentrer sur leur coeur de métier, à savoir la transformation, et par ailleurs de limiter l'export de nos meilleurs chênes.

Reste enfin le sujet de l'adaptation au changement climatique.

Les crédits en faveur de la planification écologique pour la forêt, dont fait partie le plan de renouvellement forestier, doivent être maintenus à 130 millions d'euros pour donner de la visibilité aux parties prenantes. Dans les forêts scolytées, notamment communales, l'absence de renouvellement forestier est d'autant plus regrettable que les coupes et replantations sont bénéfiques même à très court terme du point de vue du puits de carbone. Certaines lignes du plan, peu coûteuses, mais éminemment stratégiques, doivent être sanctuarisées : je pense en particulier au soutien à la filière graines et plants et aux mesures en faveur de l'aval.

Surtout, il faut cesser de vouloir adapter la forêt à l'industrie. C'est à l'industrie de s'adapter à la forêt. Cela implique, tout d'abord, la mise en oeuvre rapide du plan « Scolytes et bois de crise », pour faciliter le stockage et le transport face à des afflux qui seront de plus en plus imprévisibles avec la multiplication des coupes accidentelles et sanitaires. Ensuite, il faut soutenir les efforts de recherche et développement pour transformer les gros et très gros bois, car notre forêt vieillit, et mieux valoriser les essences dites « secondaires », car notre forêt est diversifiée et va l'être de plus en plus.

En ce sens, le maillage français de petites scieries de feuillus, certes aujourd'hui peu compétitives, est peut-être bien adapté à la forêt de demain, car il est plus flexible que les grandes unités industrielles allemandes. Il nous semble donc raisonnable de maintenir un équilibre entre grandes scieries industrielles et scieries de service, de proximité, sûrement plus orientées sur les feuillus et une diversité d'usages.

On connaît l'importance de la forêt dans l'adaptation au changement climatique : mais celle-ci contribue également à l'atténuation et à la politique de préservation de la biodiversité. À ce titre, la gestion durable, pour peu qu'elle soit accompagnée de quelques mesures de financement novatrices, par exemple européennes, à l'exemple des mesures agroenvironnementales et climatiques de la politique agricole commune, pourrait encourager ceux qui s'y engagent.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Pour conclure ce rapport sur une note d'espoir, nous croyons que la filière bois française bénéficie de deux atouts phares.

Tout d'abord, elle dispose d'une forêt d'une richesse exceptionnelle et d'un matériau unique pour son potentiel de création de valeur et de décarbonation, et qui, sous ses multiples formes, ne demande qu'à être davantage valorisée sur le territoire national.

Ensuite, nous avons la chance d'avoir des acteurs économiques engagés, qui prennent des risques, et qui ne demandent que deux choses : être aidés pour investir et se moderniser et ne pas être entravés dans leur activé par une couche supplémentaire de normes administratives, plus contraignante que celles auxquelles doivent se soumettre leurs voisins européens.

Depuis 2020 puis, grâce, notamment, aux Assises de la forêt et du bois de 2022, un élan a été donné, notamment du point de vue des financements publics. Mais l'ensemble des acteurs entendus nous ont fait part d'une demande de cohérence et de continuité. La forêt est un investissement à long terme : l'effort a commencé il y a quelques années. Chers collègues, continuons à soutenir cette forêt pleine d'avenir !

M. Daniel Gremillet. - Je remercie les rapporteurs pour ce travail, dont je partage les conclusions.

Je vous rejoins totalement sur la recommandation n° 8 : nous formons trop de personnes sur la dimension environnementale de la forêt, mais nous manquons terriblement de compétences pour ce qui est de la production et de la connaissance du matériau, tant dans les exploitations forestières que dans les entreprises. Il est essentiel d'y remédier : sans cela, tous les moyens investis dans la forêt - qui ont atteint un niveau bien supérieur à tout ce que nous avions connu les années précédentes - se solderont par un gâchis monstrueux. Il ne suffit pas de planter : il faut aussi que des hommes et des femmes soient formés en sylviculture et en transformation du bois.

Sur la REP, je vous rejoins également : il y a une forme de distorsion concernant l'utilisation du bois dans le paysage normatif français par rapport à nos concurrents européens, notamment allemands.

La contractualisation, sur laquelle vous insistez dans la recommandation n° 20, est en effet clé. La spéculation ne peut apporter une réponse pour valoriser le bois : en temps de crise, ce ne sont pas les Chinois, mais bien les entreprises locales, qui soutiennent la filière. Il faut que tout le monde l'entende.

Concernant la recommandation n° 21, n'aurions-nous pas intérêt à confier la compétence de définir les cahiers des charges pour la réduction des risques d'infraction au code de l'environnement aux préfets de département ? L'échelle régionale me paraît en effet trop vaste pour embrasser la réalité de chaque territoire.

Quant à la recommandation n° 24, à laquelle je souscris, je vous propose d'instaurer, dans nos différentes régions, en lien avec les entreprises et les collectivités, des aires de stockage. Lors de la tempête de 1999, nous avions financé des aires de stockage. Mais lorsque le bois qui y était conservé a été transformé, elles ont été détruites. La région Grand Est, dont je suis vice-président sur les questions agricoles et forestières, a créé des aires de stockage qui ont vocation à durer, en lien avec les entreprises. Cela permet d'utiliser en priorité les bois malades ou provenant des dégâts d'une tempête.

Enfin, il y aurait beaucoup à gagner à développer une véritable politique sanitaire de la forêt, comme celle qui existe pour l'élevage. Les scolytes en sont l'éternel exemple : une intervention précoce aurait permis d'éviter la propagation de la maladie, sachant que de nouvelles attaques se profilent désormais. Il y a soixante ans, lorsqu'un arbre était attaqué par le bostryche, le préfet ordonnait qu'il soit coupé et brûlé : c'est ainsi que la propagation des scolytes a été évitée.

Mme Marie-Lise Housseau. - Nous pouvons sans doute faire mieux sur la communication, un aspect que ne semble pas traiter votre rapport. Il faudrait communiquer sur le fait que la forêt est aussi un outil de production. Dans mon département, les coupes font l'objet de nombreuses critiques, au motif qu'elles dévasteraient les paysages. Les forestiers en viennent parfois à interdire l'accès aux massifs. Il faudrait donc rappeler que la forêt sert à produire du bois.

Je crois par ailleurs qu'aujourd'hui, le plus gros risque qui menace la forêt, ce sont les incendies, et plus seulement sur le pourtour méditerranéen. Or les forêts ne sont pas suffisamment équipées pour répondre à ce risque.

Mme Micheline Jacques. - Je sais l'attachement que porte Anne-Catherine Loisier à la forêt ultramarine, notamment guyanaise. Nous proposerons à la délégation aux outre-mer, que je préside, de travailler sur l'exploitation de cette forêt, à la rentrée.

Plus largement - pardonnez-moi si ma question n'est pas pertinente -, j'aimerais savoir si l'on parvient à valoriser le bois abîmé par les incendies ?

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Monsieur Gremillet, je suis d'accord avec vous sur la recommandation n° 21. Il est dans la logique des choses de confier à chaque préfet de département la définition du cahier des charges.

Concernant les aires de stockage, il est en effet dommage qu'elles soient seulement construites en période de crise puis abandonnées.

La politique sanitaire de la forêt commence à se mettre en place. Dans mon département, par exemple, les acteurs commencent à travailler en réseau pour détecter les cas de scolyte sur les sapins de Douglas.

Concernant l'acceptabilité de la production, plutôt que de continuer sur un objectif national de prélèvement de bois de nos forêts, nous proposons de fixer des objectifs en bois d'oeuvre, bois d'industrie et, accessoirement en bois-énergie : c'est ainsi que les personnes qui fréquentent les forêts comprendront l'usage économique et sociétal qui est fait du bois prélevé.

Sur le volet incendie, j'invite notre collègue à se pencher sur la loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, issue des travaux de notre commission et de ceux de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et que j'avais rapportée avec MM. Rietmann et Martin, sous la présidence de M. Bacci. Ce texte très complet porte à la fois sur le volet assurantiel, sur la gestion forestière - diversification des essences -, sur le débroussaillement, et traite de l'usage des bois issus des parcelles incendiées, qui, je vous le confirme, peuvent conserver leurs propriétés mécaniques et être réutilisés à certaines conditions.

M. Serge Mérillou, rapporteur. - Il y a un véritable besoin de formation, non seulement pour l'exploitation de la forêt, mais également pour la transformation du bois, en lien avec ce matériau et avec les équipements qui permettent sa transformation. Je pense notamment aux techniciens, aux électromécaniciens et même aux ingénieurs.

Concernant la communication, il est vrai que la forêt est devenue un enjeu sociétal. Les gens ont un fort attachement à la dimension paysagère de la forêt et en parlent parfois comme s'ils en étaient propriétaires !

Je crois aussi que les incendies sont l'un des principaux risques qui menacent la forêt, outre les scolytes. Il arrive que des milliers d'hectares disparaissent d'un coup, même si, comme l'a dit Anne-Catherine, une partie du bois peut être récupérée.

Concernant la recommandation n° 21, nous avons considéré que rien n'empêcherait les préfets de région de faire le point avec leurs préfets de département.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous propose de voter les recommandations.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

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