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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
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RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1)
sur
l' avenir des télécommunications en Europe
(propositions d'actes communautaires E 467, E 508 et E 509)
Par M. René TRÉGOUËT,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : MM. Jacques Genton, président ; James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Philippe François, vice-présidents ; Nicolas About, Michel Caldaguès, Jacques Habert,. Emmanuel Hamel, François Lesein, Paul Loridant, Charles Metzinger, secrétaires ; Robert Badinter. Denis Badré, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, MM. Charles Descours, Ambroise Dupont, Jean François-Poncet, Yves Guéna, Christian de la Malène, Pierre Lagourgue, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Guy Penne, Mme Danièle Pourtaud, MM. Jacques Rocca Serra, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, André Rouvière. Jean-Pierre Tizon, René Trégouët, Marcel Vidal, Xavier de Villepin.
INTRODUCTION
La société de l'information est en cours de réalisation. Les bouleversements technologiques intervenus au cours des dernières décennies et appelés à se poursuivre modifient en profondeur l'ensemble des sociétés, faisant évoluer à la fois notre façon de travailler, de vivre, de s'organiser et d'entrer en relations. Dans un récent ouvrage, M. Nicholas NEGROPONTE, directeur du laboratoire des médias au MIT (Massachussets Institut of Technology) a pu écrire : « Au début du prochain millénaire, (...) votre téléphone ne sonnera plus sans réfléchir ; il recevra, triera, voire répondra à vos appels comme un valet de chambre anglais bien stylé. Les médias pourront être redéfinis par des systèmes émettant et recevant de l'information et des spectacles personnalisés. Les écoles ressembleront bientôt à des musées et à des terrains de jeux où les enfants iront glaner des idées et apprendre à vivre avec leurs congénères. La planète numérique va être grosse comme une tête d'épingle » ( ( * )2).
De fait, de nombreux bouleversements modifient d'ores et déjà la perception traditionnelle des télécommunications. Des supports tels que le câble, la voie hertzienne et les satellites peuvent désormais servir de manière de plus en plus indifférenciée à la transmission de la voix, de programmes de télévision et de radio ou de données informatiques. Progressivement vont s'effacer les frontières existant entre les télécommunications, l'audiovisuel et l'informatique.
*
Dans ce contexte, l'Union européenne a entrepris, à partir de 1989 une politique d'ouverture du marché des télécommunications accompagnée d'actions d'harmonisation afin de définir un cadre communautaire pour cette libéralisation. Plusieurs étapes ont marqué cette politique, qui trouvera son aboutissement dans l'ouverture complète du secteur au 1 er janvier 1998. Cette ouverture est indispensable, les télécommunications se caractérisant, on la vu, par un changement permanent et un progrès technologique rapide. Les entreprises ne peuvent réagir rapidement aux nouveaux développements et s'y adapter que dans un environnement libre et ouvert.
La Commission européenne a récemment présenté trois textes, qui constituent une nouvelle étape vers la libéralisation complète du secteur des télécommunications. Le Sénat ne pouvait rester silencieux sur ce sujet tout à fait fondamental pour l'avenir de notre économie et de notre société, l'ouverture à la concurrence ne pouvant se faire que dans le respect d'un certain nombre de principes auxquels la France est très attachée, en particulier l'aménagement du territoire.
I. UNE NOUVELLE ÉTAPE VERS L'OUVERTURE COMPLÈTE DU MARCHÉ DES TÉLÉCOMMUNICATIONS EN EUROPE
Les trois textes actuellement examinés par les institutions communautaires constituent un nouveau pas vers l'ouverture du marché des télécommunications en Europe, qui a débuté à la fin des années 1980.
A. UNE ÉVOLUTION RAPIDE
Le problème de l'ouverture des marchés de télécommunications s'est posé de manière plus tardive en Europe qu'aux États-Unis ou au Japon. Aux États-Unis, le monopole d'ATT a été démantelé en 1984, tandis qu'au Japon le secteur des télécommunications a été ouvert à la concurrence à partir de 1985. Seule en Europe, la Grande-Bretagne avait mis en oeuvre dès le début des années 1980 une politique de libéralisation qui a conduit à la privatisation de British Telecom.
La politique communautaire en cette matière ne s'est véritablement développée qu'avec la perspective de l'achèvement du marché intérieur.
1. L'ouverture partielle
En 1987, la Commission européenne a publié un livre vert sur le développement du marché commun des services et équipements des télécommunications ; elle envisageait à ce moment une ouverture limitée du marché des télécommunications, excluant en particulier les infrastructures. En décembre 1989, le Conseil des Ministres est parvenu à un accord sur cette question, consistant à mener de front ouverture à la concurrence et harmonisation des conditions d'accès aux réseaux.
De nombreuses mesures ont alors été adoptées pour mettre en oeuvre ces orientations.
Dès 1988, la Commission européenne avait adopté une directive relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunications ( ( * )3). La France avait, pour sa part, ouvert ce secteur avant même l'entrée en vigueur de la directive.
En 1990, la Commission a décidé l'ouverture à la concurrence de l'ensemble des services de télécommunications ( ( * )4) à l'exception des services par satellites, de la téléphonie mobile et des services de radiomessagerie, des services de radiodiffusion et de télédiffusion destinés au grand public, enfin des services de téléphonie vocale publique. La directive concernait ainsi notamment :
- les services ayant pour objet l'accès à des bases de données ;
- les services informatiques à distance ;
- les services d'enregistrement et de retransmission de messages, par exemple le courrier électronique ;
- les services de transaction, par exemple les transactions financières, le transfert électronique de données à usage commercial, le téléachat, la téléréservation.
Parallèlement à cette ouverture, les institutions communautaires ont adopté, en 1990 également, une directive fixant en termes généraux les conditions dans lesquelles un prestataire de services peut accéder au réseau de l'opérateur public ( ( * )5). Cette directive, dite ONP-cadre (open network provision ou fourniture d'un réseau ouvert) a permis de définir un certain nombre de caractéristiques communes à travers toute la Communauté pour l'accès au réseau. Sur la base de ce texte, le Conseil des ministres a adopté en juin 1992 une directive appliquant aux lignes louées le concept d'ONP ( ( * )6). Ainsi, des groupes fermés d'utilisateurs peuvent louer à l'organisme de télécommunications des lignes pour leur usage interne, tout en étant autorisés à revendre les capacités restantes à d'autres utilisateurs.
En 1992 également, la Commission européenne a présenté une nouvelle proposition de directive visant à étendre le principe d'ONP à la téléphonie vocale ( ( * )7) afin de permettre à des groupes fermés d'utilisateurs d'accéder au réseau de l'opérateur public pour fournir des prestations de téléphonie vocale à usage interne. Pour des raisons essentiellement institutionnelles, le Parlement européen a rejeté ce texte en juillet 1994, de sorte que la Commission a dû présenter une nouvelle proposition qui n'est pas encore définitivement adoptée.
* (2) Nicholas NEGROPONTE, L'homme numérique, Robert Laffont, 1995 .
* (3) Directive 88/301/CEE du 16 mai 1988.
* (4) Directive 90/388/CEE/ du 28 juin 1990
* (5) Directive 90/387/CEE du 28 juin 1990.
* (6) Directive 92/44/CEE du 5 juin 1992.
* (7) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'application à téléphonie vocale des principes de la fourniture d'un réseau ouvert (ONP), COM (93) 0182.