EXAMEN DU RAPPORT
La Délégation a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du 22 novembre 1995.
M. René Trégouët, rapporteur, a tout d'abord indiqué que, parmi les grands défis auxquels devrait faire face l'Europe dans les années à venir, figurait la libéralisation complète du secteur des télécommunications.
Il a rappelé que l'économie se trouvait bouleversée par l'émergence de la société de l'information. L'économie de demain reposera sur l'immatériel, sur le transport et la transformation du signal, sur le savoir. On assiste d'ores et déjà à la rencontre de trois mondes auparavant distincts : l'informatique, les télécommunications et l'image. Les années à venir se caractériseront par la transformation du savoir à une vitesse de plus en plus grande. Ainsi, aujourd'hui, pour transmettre un film standard en haute définition d'une durée d'une heure trente, 22 minutes sont nécessaires. Dans moins de cinq ans, ces images pourront être transférées en 10 secondes.
Dans ces conditions, le seul marché à dimension humaine sera celui de la téléphonie vocale, les bouleversements technologiques ne pouvant avoir sur ce marché qu'une influence moindre. De grandes batailles se préparent actuellement dans le monde des télécommunications, par l'intermédiaire des réseaux terrestres, mais aussi des réseaux satellitaires. Les accords se multiplient entre opérateurs de télécommunications, sociétés d'informatique et entreprises de l'audiovisuel.
M. René Trégouët, rapporteur, a ensuite indiqué que la politique communautaire en cette matière avait débuté en 1989 avec la mise en oeuvre d'une stratégie fondée à la fois sur la libéralisation et l'harmonisation. En 1993, le Conseil des ministres de l'Union a décidé la libéralisation de ensemble des services de télécommunications au 1 er janvier 1998. Enfin, en 1994, le Conseil a décidé l'ouverture complète des infrastructures, également au 1 er janvier 1998.
Le rapporteur, soulignant la proximité de la prochaine libéralisation, a indiqué que la Commission européenne avait proposé trois textes afin de préparer la libéralisation et le cadre réglementaire nécessaire à sa mise en oeuvre :
- un projet de directive sur les communications mobiles et personnelles (E-509), qui prévoit la levée de tous les obstacles à la fourniture de services de communications mobiles et permettra aux opérateurs d'établir leurs propres réseaux d'infrastructures et d'utiliser les infrastructures alternatives ;
- un projet de directive sur l'ouverture complète du marché des télécommunications à la concurrence (E-508), qui prévoit la libéralisation de tous les services et infrastructures de télécommunications, y compris la téléphonie vocale publique au 1 er janvier 1998 ;
- une proposition de directive relative à l'interconnexion dans le secteur des télécommunications (E-467), qui doit permettre d'assurer la liberté d'accès aux réseaux et services et de garantir les droits des acteurs présents sur le marché d'obtenir l'interconnexion avec les réseaux et services d'autres acteurs.
M. René Trégouët, rapporteur, a estimé nécessaire que le Sénat puisse faire entendre sa voix sur ce sujet, compte tenu de l'importance de ces textes. Il a fait valoir que ces projets posaient des problèmes tenant à la fois à la procédure et au fond.
- En ce qui concerne la procédure, deux des textes présentés par la Commission européenne sont basés sur l'article 90-3 du Traité de Rome, ce qui signifie que la Commission européenne les adoptera seule, le Parlement européen et le Conseil des ministres n'étant que consultés. Cette procédure est très critiquable, dans la mesure où il n'est pas normal que la Commission puisse adopter seule des textes très importants qui ouvrent à la concurrence des secteurs entiers de l'économie. La délégation et le Sénat lui-même ont déjà protesté contre l'utilisation de cette procédure et ont demandé que l'article 90-3 soit modifié à l'occasion de la Conférence intergouvemementale de 1996 en sorte que la Commission ne puisse plus prendre de telles initiatives sans intervention des institutions disposant d'une légitimité démocratique.
En outre, l'utilisation de cet article risque en l'occurrence de conduire à des incohérences. En effet, le texte sur la libéralisation complète, qui contient des dispositions sur l'interconnexion, risque d'être adopté avant la fin de l'année par la Commission européenne, alors que la proposition de directive spécifiquement consacrée à l'interconnexion fera l'objet de débats approfondis tout au long de l'année 1996.
- Sur le fond, le principal problème est celui du service universel, Pour des raisons sociales et des raisons tenant à l'aménagement du territoire, la France est très attachée aux missions de service public confiées à France Telecom. Compte tenu de la place de plus en plus importante de l'immatériel dans l'économie, la remise en cause de l'accès de tous les citoyens, quelle que soit leur localisation géographique, au service de base de télécommunication aurait des conséquences dramatiques. De plus, la définition du service universel proposée par la Commission européenne ne prend pas en compte certaines missions actuellement assurées par France Telecom comme la politique de recherche, qui a démontré son efficacité. De nouvelles solutions devront donc être trouvées.
Mais la difficulté principale posée par les projets de la Commission européenne est celle du calcul des coûts du service universel. La Commission propose que ces coûts n'intègrent pas les investissements qui ont été effectués pour la construction du réseau. Elle semble en outre attendre un rééquilibrage très rapide des tarifs en fonction des coûts. Or, actuellement, en France, les coûts fixes du réseau local ne sont pas totalement pris en charge par l'abonnement à France Telecom. L'entreprise a mis en oeuvre depuis 1994 une politique de rééquilibrage tarifaire qui doit se poursuivre, mais qui ne peut être que progressive. De plus, il serait normal que les nouveaux entrants sur le marché des télécommunications prennent en charge une partie des coûts fixes du réseau local.
On ne peut donc accepter certaines dispositions des textes présentés par la Commission européenne qui, non seulement n'envisagent pas de participation des nouveaux entrants aux coûts fixes, mais suggèrent même que ces nouveaux entrants soient exonérés de toute contribution au financement du service universel jusqu'à ce qu'ils aient atteint une part significative du marché. Ces dispositions ne peuvent être acceptées.
Par ailleurs, la perspective de la libéralisation complète des télécommunications conduit à la nécessité pour les opérateurs de mettre en oeuvre des alliances aux niveaux européen et mondial. Dans ce contexte, alliance entre France Telecom et Deutsche Telekom revêt une importance capitale. La Commission européenne a donné un accord provisoire et sous conditions à cette alliance ; il faut maintenant que cette alliance reçoive rapidement un accord définitif.
Ces alliances conduisent naturellement à s'interroger sur le statut des opérateurs. La plupart des opérateurs européens se sont engagés dans la voie d'une ouverture de leur capital. Ce problème fera l'objet d'études approfondies de la part de la commission des affaires économiques et du plan du Sénat, mais il paraît clair que la France ne pourra ignorer cette question.
Enfin, les textes présentés par la Commission européenne posent le problème de la réciprocité. L'ouverture du marché européen aux entreprises de pays tiers n'est possible que si les entreprises européennes obtiennent un accès comparable et effectif aux marchés des pays tiers. Or, les projets de 1a Commission européenne sont insuffisants sur ce sujet. Il est important que les opérateurs européens bénéficient des mêmes facilités que leurs concurrents américains ou asiatiques dans un environnement libéralisé.
Concluant son propos, M. René Trégouët, rapporteur, a souligné l'importance considérable de ces textes, qui définissent le futur cadre dans lequel s'exercera la concurrence. Il a. proposé à la délégation le dépôt d'une proposition de résolution dont il a présenté les différents éléments ; il a en outre souhaité que le président de la délégation demande un report de l'examen de ces textes par le Conseil des ministres, prévu pour le 27 novembre, afin que le Sénat puisse se prononcer, si possible en séance publique, sur ce sujet.
M. Jacques Genton, président, tout en approuvant les propos du rapporteur à propos de l'article 90-3 du Traité de Rome, a rappelé que la Cour de justice avait apporté son soutien à l'interprétation faite par la Commission européenne de cette procédure. Il a, de plus, exprimé le souhait que le Sénat puisse se prononcer en séance publique sur ce sujet très important.
Mme Danièle Pourtaud a tout d'abord estimé indispensable le report de l'examen de ces propositions par le Conseil afin de permettre au Parlement français de se prononcer utilement. Elle a fait valoir que l'utilisation par la Commission européenne de l'article 90-3 pour des enjeux de cette importance aboutissait à dénier la démocratie et conduisait à une accélération de la procédure qu'on a peine à comprendre. Elle a en outre observé que l'adoption prochaine de ces textes aurait pour effet d'anticiper le débat qui doit avoir lieu en France sur la future réglementation du secteur des télécommunications.
Évoquant ensuite le contenu du rapport d'information, Mme Danièle Pourtaud a déclaré partager les inquiétudes du rapporteur à propos du service universel. Elle a regretté que le seul moteur des propositions de la Commission européenne soit la suppression de toute entrave à la concurrence, les impératifs de service public se trouvant ainsi négligés. Elle a souhaité que soient intégrés dans la proposition de résolution du rapporteur les éléments qui caractérisent aujourd'hui le service public en France : principes d'universalité, d'égalité d'accès, d'adaptabilité, de péréquation tarifaire. Elle a en outre demandé qu'il soit fait allusion à la nécessité d'une période transitoire en ce qui concerne l'attribution des licences, afin d'éviter un afflux massif de nouveaux entrants dès l'ouverture du marché des télécommunications.
Évoquant la proposition d'acte communautaire E-508, Mme Danièle Pourtaud s'est interrogée sur la compatibilité avec le principe de subsidiarité des exigences formulées par la Commission sur la comptabilité analytique des opérateurs. Elle s'est enfin inquiété de la portée des conditions imposées par la Commission européenne pour l'acceptation de l'alliance entre France Telecom et Deutsche Telekom.
En réponse, M. René Trégouët, rapporteur, a tout d'abord insisté sur la nécessité pour la délégation de travailler dans un esprit de coopération avec la commission des affaires économiques et du plan sur ce sujet. Il a rappelé que cette commission serait appelée à examiner la proposition de résolution, dont le texte n'était donc pas définitif.
À propos du service universel, le rapporteur a regretté la multiplication de termes, dont il est difficile de percevoir ce qu'ils recouvrent exactement : service universel, service public, service minimum. Il a exprimé le souhait qu'un terme unique soit employé, ayant une signification claire et a estimé que le Sénat devait se prononcer sur ce sujet.
Il s'est déclaré en accord avec le souhait de Mme Danièle Pourtaud d'envisager la possibilité d'une période transitoire pour l'attribution des licences afin d'éviter un afflux massif d'actions sur le marché dès l'ouverture de ce dernier.
Pour répondre aux demandes de Mme Danièle Pourtaud, la délégation a ajouté à la proposition de résolution un considérant sur la définition des missions de service public et un alinéa relatif à l'attribution des licences.
Évoquant le principe de subsidiarité, le rapporteur a souligné que, dans le secteur des télécommunications, il était nécessaire qu'une réglementation assez détaillée soit définie, afin d'éviter que les États n'adoptent des règles trop différentes, ce qui pourrait conduire à des litiges et donc à la définition de la réglementation par la Cour de justice des communautés européennes et non plus par les autorités politiques.
À propos de l'alliance entre France Telecom et Deutsche Telekom, M. René Trégouët, rapporteur, a expliqué que la Commission européenne avait posé des conditions aux opérateurs, à savoir le report à 1998 de la fusion de leurs activités en matière de transmission de données et le retrait de France Telecom de sa filiale Info AG basée en Allemagne. Il a ajouté que la Commission avait en outre invité les régulateurs français et allemands à anticiper la libéralisation des infrastructures alternatives au 1 er juillet 1996, et a rappelé que la France avait déjà commencé cette libéralisation en ce qui concerne le réseau de la SNCF.
La délégation a alors adopté le présent rapport et a approuvé le dépôt, par M. René Trégouët, de sa proposition de résolution ainsi modifiée sur les propositions d'actes communautaires E-467, E-508, E-509.
La délégation a en outre chargé son président de demander au ministre de l'industrie, de la Poste et des Télécommunications d'intervenir afin que le débat prévu au Conseil des ministres le 27 novembre prochain soit reporté.