III. Y-A-T-IL UNE PLACE POUR LA SNCF DANS L'EUROPE FERROVIAIRE ?

Comme nous l'avons vu, l'émergence de la dimension communautaire est en train de modifier en profondeur les perspectives du transport ferroviaire. Les institutions communautaires sont très favorables au développement de ce mode de transport et ont entrepris de faciliter les échanges entre pays européens. Plusieurs Etats membres ont entrepris des réformes importantes afin de favoriser la compétitivité de leurs chemins de fer.

Dans ce contexte, on peut se demander s'il y a une place pour la SNCF dans l'Europe ferroviaire. La situation dramatique de l'entreprise et l'échec de la préparation du contrat de plan conduisent en effet à s'interroger sur la survie même de la SNCF.

Compte tenu des multiples rapports publiés sur le sujet (7 ( * )) , votre rapporteur ne souhaite pas revenir de manière exhaustive sur la situation de la SNCF, ses origines ou ses conséquences (quelques éléments chiffrés relatifs à la situation de la SNCF figurent en annexe du présent rapport). Il semble en revanche utile d'examiner à quelles conditions la SNCF pourra retrouver le chemin qui lui permettra d'être compétitive dans l'Europe de demain. Ces conditions résident pour l'essentiel dans une clarification des relations de l'entreprise avec l'Etat, dans un renforcement des compétences des autorités régionales et dans la reconnaissance à l'entreprise d'une très large autonomie.

A. CLARIFIER LES RESPONSABILITES

La question la plus importante qui se pose aujourd'hui est celle de la clarification des rapports entre l'Etat et la SNCF. La situation actuelle est caractérisée par une confusion totale dont chacun des acteurs s'est accommodé. Il est presque impossible aujourd'hui d'identifier les principaux responsables des déficits et de l'endettement de la SNCF, impossible également de distinguer clairement les activités compétitives de celles qui ne le sont pas. Comme a pu l'écrire M. Claude Martinand, dans le rapport introductif au débat national sur l'avenir du transport ferroviaire qu'il a récemment présenté : « (...) il faudrait que les pouvoirs publics et l'ensemble des acteurs cessent de demander à la SNCF de remplir des objectifs contradictoires ou de lui formuler des demandes non financées, ce qui l'accule au grand écart permanent et tend à l'exonérer de ses responsabilités budgétaires et financières ».

Ce comportement est tellement ancré dans les esprits qu'on entend encore aujourd'hui des discours selon lesquels l'Etat devrait définir les missions de la SNCF et les financer. Ce type de raisonnement ne peut plus être tenu : la SNCF est une entreprise qui a vocation, pour l'essentiel, à se comporter comme une entreprise. C'est pourquoi il est nécessaire de remettre à plat les relations entre l'Etat et la SNCF.

1. Les infrastructures : des choix stratégiques

Conformément à la loi d'orientation des transports intérieurs de 1982, l'Etat est responsable de la consistance du réseau ferré national. Dans ce cadre, c'est à lui qu'il revient de décider de la construction de nouvelles infrastructures. Il paraît aujourd'hui souhaitable que toutes les conséquences soient tirées de cette réalité et que l'Etat prenne en charge la construction de ces infrastructures. Cela serait en conformité avec la directive 91/440, qui dispose que les Etats membres « prennent les mesures nécessaires au développement de l'infrastructure ferroviaire nationale en prenant, le cas échéant, en compte les besoins globaux de la Communauté ».

Cette clarification s'impose d'autant plus aujourd'hui que les nouvelles lignes de TGV projetées auront une rentabilité très inférieure à celle des précédentes. Ces lignes seront donc le fruit d'une volonté politique qui doit être assumée par celui qui décide. Votre rapporteur, compte tenu du contexte budgétaire actuel, s'interroge sur la nécessité de mettre en chantier rapidement plusieurs lignes de TGV. Dans son avis sur le budget des transports terrestres pour 1996, la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat a qualifié en novembre 1995 les TGV de « vitrine vouée à la remise en cause » (7 ( * )) .

Ne faut-il pas aujourd'hui, dans certains cas, envisager des formules techniques d'accroissement de la vitesse moins coûteuses que la construction d'infrastructures spécifiques ? En tout état de cause, ces projets ne peuvent être supportés par la SNCF.

En ce qui concerne la gestion des infrastructures, l'action communautaire a conduit à une réflexion salutaire en invitant à une séparation entre infrastructures et exploitation. La France a retenu le principe d'une simple séparation comptable plutôt que de mettre en place des entités -voire des entreprises- distinctes. Dans le décret du 9 mai 1995 portant transposition de la directive 91/440, l'article 3 précise que « la SNCF est le gestionnaire de l'infrastructure du réseau ferré national ». Le décret précise également que « compte tenu des concours versés par l'Etat et les collectivités territoriales au titre de la gestion de l'infrastructure, les redevances d'utilisation et les produits divers liés à cette gestion permettent de couvrir l'ensemble des charges de gestion de l'infrastructure ».

Le principe d'une séparation comptable paraît être un bon choix dans la mesure où de puissantes raisons technico-économiques plaident contre une séparation organique entre infrastructures et exploitation. Naturellement, la solution retenue en France n'est viable que si elle se concrétise réellement. Les récentes modifications apportées à l'organigramme de la SNCF par son nouveau président semblent démontrer l'existence d'une volonté de clarifier ce qui relève des infrastructures et ce qui relève de l'exploitation. Sur ce point précis, la directive 91/440 laisse aux Etats la liberté de choisir les modalités de la séparation entre infrastructure et exploitation. Il n'est pas souhaitable que cette situation évolue à l'avenir.

Une fois ces principes affirmés, le plus difficile reste cependant à faire, à savoir de fixer le montant des redevances d'accès à l'infrastructure qui constituera un élément important dans l'équilibre du compte d'infrastructures.

Le décret du 9 mai 1995 fixe un certain nombre de principes pour la fixation du montant des redevances. Ainsi, le calcul des redevances d'utilisation de l'infrastructure devra tenir compte :

« - de la situation du marché des transports et des caractéristiques de l'offre et de la demande, des impératifs de l'utilisation optimale du réseau ferré national et de l'harmonisation des conditions de la concurrence intermodale ;

- de la fréquence d'utilisation, du nombre de sillons demandés et de la durée pour laquelle il sont alloués ;

- des caractéristiques du sillon demandé, du type de ligne et de son coût d'exploitation, de la composition du train, de sa vitesse, de sa charge à l'essieu ».

La manière dont se réglera cette question est très importante. Différentes considérations entrent en effet en jeu. Comment trouver un équilibre pour la SNCF, sachant que la tarification appliquée à d'éventuels nouveaux entrants lui sera également appliquée ? Ne faut-il pas appliquer une tarification différenciée selon que l'axe concerné est saturé ou au contraire peu fréquenté ? Quelle doit être la responsabilité de l'Etat et celle de la SNCF dans l'équilibre du compte d'infrastructure ?

Toutes les solutions ne sont pas possibles, comme l'a relevé M. Claude Martinand, car on ne peut par exemple demander une responsabilité complète de l'Etat sur l'équilibre du compte d'infrastructures et la fixation de la tarification d'usage de l'infrastructure tout en laissant « l'entreprise telle qu'elle est avec son autonomie de gestion ». Dans la mesure où la SNCF est désignée comme gestionnaire de l'infrastructure, il ne paraît pas anormal qu'elle ait une part de responsabilité dans la réalisation de l'équilibre du compte d'infrastructures. Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat aux transports, a récemment estimé qu'il revenait à la SNCF de financer l'entretien de l'infrastructure. Une autre solution consisterait en une prise en charge intégrale par l'Etat de tout ce qui relève des infrastructures, les décisions dans ce domaine relevant alors également exclusivement de l'Etat.

Il convient en outre de souligner que les décisions en ce domaine doivent maintenant intervenir très vite. Qu'adviendra-t-il en effet si des entreprises manifestent leur volonté d'accéder au réseau français dans le cadre de la directive 91/440 ? Quelle tarification d'usage des infrastructures leur sera appliquée ? Ce problème des infrastructures est hautement symbolique des difficultés que pose la clarification des responsabilités respectives de l'Etat et de l'opérateur.

2. Le service public : une définition à préciser

Là encore, une clarification est désormais nécessaire. La SNCF n'est pas un service public, le transport ferroviaire n'est plus aujourd'hui un service public dont l'accès doit être offert à chacun, quelle que soit sa situation sur le territoire. Le service public à prendre en considération aujourd'hui est celui du transport collectif de voyageurs, qui peut prendre des formes très diverses. La SNCF est appelée à exercer des missions de service public, mais celles-ci doivent être désormais plus clairement définies.

Dans un règlement communautaire de 1969, on peut lire une définition assez pertinente de ce que sont les obligations de service public : « par obligation de service public, il faut entendre les obligations que, si elle considérait son propre intérêt commercial, l'entreprise de transport n'assurerait pas ou n'assurerait pas dans les mêmes conditions » (7 ( * )) .

Les missions de service public aujourd'hui concernent essentiellement les tarifs sociaux et les lignes d'intérêt régional ou les trains de banlieue parisienne ; certaines grandes lignes participent également de la politique d'aménagement du territoire. Ces missions de service public sont appelées à faire l'objet de conventions ou de contrats avec les autorités publiques, qui définissent alors, de manière explicite, les objectifs à atteindre, la politique tarifaire et les contributions publiques éventuellement nécessaires.

A propos des services nationaux des voyageurs, l'article 7 du projet de contrat de plan abandonné après les grèves de décembre dernier prévoyait notamment la possibilité de contrats de service public entre la SNCF d'une part, l'Etat ou les collectivités territoriales concernées, pour l'aménagement de services ou de dessertes. Cet article prévoyait également qu' « en tout état de cause, la SNCF poursuivra l'exploitation des services nationaux assurés sur les axes structurant le réseau national tout en prenant les mesures nécessaires pour réduire leur déficit éventuel ».

Il est tout à fait clair que l'exercice de missions de service public par la SNCF doit faire l'objet de compensations adéquates. Si l'on veut que la SNCF se comporte comme une entreprise, on ne saurait lui faire porter des charges qu'aucune entreprise libre de ses décisions n'accepterait.

Dans ce contexte, on perçoit l'intérêt d'un transfert aux régions des décisions relatives aux transports régionaux. Les conseils régionaux sont les instances les plus aptes à effecteur les choix qui s'imposent sur les lignes placées sous leur responsabilité. Il leur reviendra de mettre en balance l'intérêt d'une ligne et les coûts qu'elle entraîne afin de déterminer la meilleure solution possible pour assurer le service public. Ce n'est pas en effet parce qu'une ligne relève du service public qu'aucun progrès n'est envisageable en termes d'efficacité et de rentabilité.

En tout état de cause, la clarification des missions de service public et la clarification de leurs coûts ne signifie aucunement la remise en cause du service public. Ce qui doit être pris en considération, ce sont les missions de service public beaucoup plus que les moyens mis en oeuvre pour exercer ces missions.

3. La dette : un assainissement indispensable

Il est très difficile d'imaginer que la SNCF pourra prendre un nouveau départ si sa situation n'est pas assainie. La directive 91/440 invite explicitement les Etats membres à assainir la situation de leurs entreprises ferroviaires dans son article 9.

Le projet de contrat de plan abandonné en décembre dernier prévoyait un mécanisme de désendettement progressif de la SNCF, dépendant pour une part des efforts accomplis par l'entreprise en termes de compétitivité. Cette méthode dite du « donnant-donnant » a suscité l'incompréhension des cheminots et fait partie des raisons pour lesquelles le projet de contrat de plan n'a pu aboutir.

Dans ces conditions, quelles solutions peut-on imaginer aujourd'hui ? Un désendettement complet de l'entreprise présenterait un avantage psychologique certain, l'entreprise pouvant prendre un nouveau départ sans souffrir d'un quelconque handicap du passé. Naturellement, cela demande une réflexion sur les modalités de cette reprise de la dette, compte tenu de l'état actuel des finances publiques. Pendant la préparation du projet de contrat de plan, l'idée d'une structure de cantonnement de la dette avait été évoquée ; elle pourrait être examinée à nouveau. Quoiqu'il en soit, cette reprise serait un élément supplémentaire de clarification, les agences de notation considérant d'ores et déjà la dette de l'entreprise comme une dette de l'Etat.

Il reste que la reprise de la dette n'est possible qu'à condition que cette dette ne se reconstitue pas dans les prochaines années. Qu'on appelle cela « donnant-donnant » ou pas, il est indispensable que l'Etat soit assuré de n'avoir pas à renouveler cette opération. D'une manière ou d'une autre, il devra être clair que le désendettement intervient une fois pour toutes.

Il faut souligner que le contexte européen incite à un assainissement rapide de l'entreprise. La directive 91/440 appelle un tel assainissement. Mais dans l'avenir, il n'est pas certain que des aides massives des Etats aux entreprises ferroviaires continueront à être acceptées dans un contexte plus concurrentiel.

* (11) Voir notamment :

- le rapport de la commission d'enquête du Sénat présidée par M. Hubert HAENEL, n° 335 (seconde session ordinaire de 1992-1993) ;

- le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale présidée par M. Henri CUQ, n° 1381 (15 juin 1994).

* (12) Georges Berchet, avis de la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat sur le budget des transports terrestres pour 1996, tome XVIII, n° 79 (1995-1996).

* (7) Règlement 1191/69 du 26 juin 1969.

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