C. AUDITION DE MM. BERNARD CAPDEVILLE, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES SYNDICATS PHARMACEUTIQUES DE FRANCE ET PIERRE BERAS, PRÉSIDENT DE L'UNION NATIONALE DES PHARMACIENS DE FRANCE
M. Pierre BERAS.- Dans le domaine de la pharmacie, nous
sommes
sur un sujet qui est assez bien " bordé " et où le
législateur ne devrait pas avoir à oeuvrer de façon lourde.
Il s'est intéressé à nous historiquement depuis une
vingtaine d'années, ce qui fait que nous sommes concernés dans la
veille sanitaire pour les médicaments ainsi que pour un certain nombre
de matériels.
S'agissant du médicament, une distinction doit être faite entre
deux types de médicaments, les spécialités pharmaceutiques
classiques et les médicaments issus du sang.
Nous avons des centres de pharmacovigilance régionaux auxquels nous
devons, de par la loi, transmettre les incidents dont nous avons connaissance.
Le sujet est bordé dans notre profession au même titre que chez
les médecins, et bien sûr que pour l'industrie.
Actuellement, la compétence du recueil de toutes ces informations a
été déférée à l'Agence du
médicament et nous pouvons dire que cela fonctionne bien, voire
même un peu trop bien.
Je vous citerai un exemple qui a été largement diffusé par
la presse, celui de la JOSACINE. Une confusion entre une affaire criminelle et
l'éventualité d'une faute pharmaceutique a vraiment, en
l'occurrence, complètement détruit un produit.
J'ai repris cet exemple, parce que je crois qu'il est bon de border les cas
où l'on doit intervenir de façon lourde au niveau du pays.
Toutes ces pratiques doivent être, selon moi, analysées au travers
d'un certain nombre de critères. Je crois qu'il y a le problème
de la maladie transmissible, qui est un critère qui concerne tout
particulièrement les produits sanguins, l'aspect " risques
environnementaux " que nous avons résolu entre l'industrie et
l'officine au travers de l'association CYCLAMED, (récupération de
tous les déchets liés à la consommation pharmaceutique).
Vous avez, enfin, les problèmes de toxicité intrinsèque
des produits qui concernent la toxicovigilance et les maladies
iatrogènes. J'évoque ce thème parce que la
conférence nationale de la santé l'a très largement
souligné.
Sur ces problèmes de toxicité interne, on arrive vraiment au
coeur de ce qui est soumis à votre appréciation en tant que
législateur. Les structures existent. Le gros problème, pour que
cela fonctionne mieux, est celui de l'information. Celle-ci ne circule pas bien
: certes, elle remonte, mais les professionnels n'ont, en général
pas d'information en retour, ce qui nuit au dynamisme de la structure.
Une autre chose perturbe également cette affaire : nous avons un
certain nombre de médicaments dont les effets indésirables sont
connus. Professionnellement parlant, les médecins ont le même
problème : quand nous savons qu'une molécule a tel ou tel
inconvénient, on n'y fait pas attention et on ne le signale pas
forcément. Ne passons-nous pas, justement, du fait de la connaissance,
à côté de choses qui devraient être suivies de
façon plus intense ?
Il y a un problème qu'il faut évoquer et qui rejoindrait
peut-être l'aspect des maladies iatrogènes.
Dès le moment où on parle d'information, je pense qu'il y a
quatre chapitres à étudier. Je m'inspire du rapport
déposé.
M. François AUTAIN.- Quel rapport ?
M. Pierre BERAS.- ... par M. Seron. C'est un rapport très bien fait et
très étoffé. Il traite très longuement de
l'information en disant qu'il y a, d'une part, l'obligation d'informer, le
problème de la validation de l'information, celui de la transmission des
informations et enfin pour les centres de pharmacovigilance, les mesures
d'enquête que l'on peut conduire.
Je vous signale que les conversations que nous avons avec le Gouvernement
concernant les ateliers d'officine et le remodelage de notre profession ont
évoqué ces problèmes de façon assez lourde puisque
l'informatisation des professionnels prévue dans les ordonnances
permettra, à terme, aux professionnels, de relever des incidents et de
mieux les cerner.
Nous pourrons ainsi faire un progrès en termes de qualité de
service auprès du public. Cela s'inscrit tout à fait dans votre
projet. Voilà tout ce que je voulais vous dire.
M. Charles DESCOURS, président.- Qu'en est-il des maladies
iatrogènes ?
M. Pierre BERAS.- Vous êtes médecin, vous connaissez comme moi la
difficulté que l'on a en cette matière. La plupart du temps, les
maladies iatrogènes sont découvertes de façon urgente et
souvent dramatique et il est très difficile de conduire une vigilance.
L'idéal serait de recueillir systématiquement les incidents
à propos de la consommation médicamenteuse. Au bout d'un certain
temps, on constatera que l'association de plusieurs principes actifs ou
l'utilisation systématique de produits actifs sur certaines maladies
conduit à des incidents iatrogènes. C'est un travail de fourmi
que nous n'avons pas effectué à ce jour. Je ne suis pas sûr
que les centres de pharmacovigilance aient les moyens suffisants pour
recueillir ces informations, mais ce sera la technique pour les maladies
iatrogènes sur lesquelles il a été dit beaucoup de
bêtises, de mon point de vue, par des gens qui, en réalité,
voudraient détruire l'industrie pharmaceutique.
M. Bernard CAPDEVILLE.- Je ferai un point sur la veille sanitaire à la
fin, mais je vais commencer par la vigilance. En fait, la vigilance appartient
au médecin. C'est lui qui se rend au chevet du malade et quand il y a un
problème, il est le premier à recueillir l'information sur un
problème de réactivité aux produits qui mériterait
d'être signalé.
Il arrive aussi que le pharmacien soit le destinataire de cette information en
provenance du patient. Deux choses à faire : la recueillir, l'analyser,
la confier au médecin prescripteur. Cela me semble être la bonne
solution. Quand on se mêle de faire de la pharmacovigilance à
l'officine, 80 % des informations -si j'en crois ce qui s'est passé
à Bordeaux au colloque sur la pharmacovigilance- qui sont issues des
pharmaciens, soit sont des artefacts, soit n'auraient pas dû arriver au
centre de pharmacovigilance en l'état et doivent être
retraitées. Il faut, pour le pharmacien, en amont, une formation
spécifique à la pharmacovigilance dès les études
initiales.
M. François AUTAIN.- Il n'y a pas de formation ?
M. Bernard CAPDEVILLE.- Non, pas en tant que telle. Pourquoi ? Non pas
pour leur apprendre les effets pervers des produits et les effets cumulatifs ou
contradictoires des molécules -ils les connaissent déjà-
mais pour les préparer à une méthodologie d'enquête
qui soit utile aux centres de pharmacovigilance et éviter de saturer les
centres de pharmacovigilance de quantités d'artefacts qui ne les
intéressent pas.
Cela fait partie de la formation initiale. L'effet rebond que l'on va avoir va
être le suivant : si on dit à mes collègues que 80 % des
informations sont destinées " à la poubelle ", ils vont
être démotivés. Il faut donc retenir une approche pratique
et psychologique.
Il faudrait dire à nos " chers professeurs " qu'il serait
bon
de s'intéresser à la détection de ce qu'est la vraie
vigilance, de ce qu'est un vrai problème, comment on communique,
à qui et sur quels documents. Cela semble primordial.
Qu'avons-nous pour l'avenir pour être bien vigilants ? Nous avons
d'abord une formation continue qui va devenir obligatoire, ce qui est normal.
Ce n'est peut-être pas un sujet primordial, mais il faudra bien remettre
tous mes confrères à niveau sur ce sujet.
Si votre rapport incite nos chers maîtres à
" aérer " un peu les études, ce serait parfait.
Ensuite, il faudra mettre ce sujet dans la formation continue.
Pour autant, comment optimiser, ensuite, les outils informatiques qui vont se
développer à l'officine ? Que peut faire le
pharmacien ? Il est aujourd'hui capable de se doter d'instruments qui vont
lui donner deux ans d'historique par patient, au minimum.
Cela signifie qu'il aura en mémoire, dans le cadre du secret
professionnel, les prescriptions concernant un patient sur deux ans. Cela ne
suffit pas. Le patient n'est pas uniquement forcément resté chez
ce pharmacien. Le disque dur du pharmacien et son fichier, augmenté du
carnet de santé, peuvent effectivement, s'il est vigilant, constituer
des instruments de recueil d'informations qui permettront d'intervenir, si
nécessaire, à juste titre et avec un historique du patient.
Pour les produits sanguins, le problème est que l'on compte sur nous
pour la traçabilité des produits sanguins sur trente ans.
Je veux bien ; j'ai chez moi de vieux grimoires qui datent de plus d'un
siècle ; pour autant, si des modifications des produits sanguins
faisaient que les volumes croissent, on ne pourra pas les traiter
" à la main " dans les pharmacies, mais de manière
informatique.
Or, nous ne savons pas, aujourd'hui, si nous sommes autorisés à
les stocker sur un support informatique. Lequel des supports informatiques
permet de rester valides pendant trente ans ? Aucun, même pas les
CD-ROM. Cela signifie qu'il va falloir stocker sur informatique, avoir un
fichier qu'il va falloir éditer sur papier et garder ce papier au
même titre que l'ordonnancier. Il faut une mesure réglementaire
pour y pourvoir.
On a eu une lourde réunion sur ce sujet, à l'Agence du
Médicament, il y a quelques semaines et on est arrivé à
cette conclusion.
Le pharmacien a des outils qui lui permettent de détecter les
problèmes, mais il n'est pas formé à ce métier. Il
est formé à dire : " j'ai un surdosage, une
incompatibilité, je me rapproche du prescripteur ", mais
après, il en fait trop ou pas assez.
La vigilance pharmaceutique ne sera que secondaire, éternellement, par
rapport à la vigilance primaire qui est celle du médecin, mais il
peut y avoir une vigilance complémentaire par le pharmacien,
fût-ce pour alerter le médecin, et cela ne pourra se faire que
lorsque l'on aura appris des centres de pharmacovigilance ce qu'ils attendent
vraiment de nous.
Pour ce qui est de la veille sanitaire, elle est avant tout médicale
avant d'être pharmaceutique. Il faut qu'il en soit ainsi.
Nous pouvons participer à la veille sanitaire, cela se fait au niveau du
réseau, c'est rampant. Lors de la dernière épidémie
de méningites cérébro-spinales qui a eu lieu dans mon
village, il y a dix ans, on a téléphoné à tous les
médecins, la puissance publique s'en est mêlée, on est
allé chercher des " coffres " entiers de produits et on en a
distribué dans toutes les écoles à tout le monde. Il
n'était pas utile, de mon point de vue et de celui des médecins,
d'agir ainsi.
Pour autant, la veille sanitaire est avant tout, pour nous, un problème
de médecin, le pharmacien pouvant intervenir en second rang et en
remontant immédiatement au médecin. Car c'est à lui que
revient la charge d'alerter les autorités sanitaires.
Le pharmacien peut, à travers le codage des prescriptions, leur
expédition aux caisses -si ces dernières ont des systèmes
qui leur permettent des analyses de flux des classes thérapeutiques-
détecter ici ou là des phénomènes
épidémiologiques curieux. Par le pilotage des prescriptions de
certaines classes thérapeutiques pour des populations données, il
sera peut-être capable de détecter, quelque part, la raison pour
laquelle il y a plus de diabétiques à tel endroit plutôt
qu'à tel autre, à partir de la thérapeutique et pas du
diagnostic. Le codage des actes permettrait, s'il était intelligemment
interprété au niveau des caisses, soit de détecter un
phénomène épidémiologique, soit d'en confirmer un,
en aval des prescripteurs, si ces derniers ne l'avaient pas eux-mêmes
perçu. Les médecins sont individualistes et ils communiquent
assez peu entre eux.
Ce recueil d'informations, grâce au codage des actes, à la
transmission des données et surtout à leur interprétation
va être un outil de suivi épidémiologique et de
détection. Au-delà de cela, je voudrais bien être ambitieux
pour ma profession, mais il faut être réaliste.
M. Charles DESCOURS, président.- Qui est à la tête des
centres de pharmacovigilance régionaux ?
M. Bernard CAPDEVILLE.- Les médecins, les polypharmacologues. Les
centres sont implantés au sein des CHU. En général, c'est
le pharmacologue du CHU qui construit son système de pharmacovigilance,
mais il est aussi sous l'autorité de la DRASS.
M. Charles DESCOURS, président.- CYCLAMED, cela fonctionne ?
M. Pierre BERAS.- Oui.
M. Bernard CAPDEVILLE.- Cela monte en puissance.
M. Charles DESCOURS, président.- Vous pensez qu'il n'y aura plus rien de
périmé dans les pharmacies des ménages ?
M. Bernard CAPDEVILLE.- Pas plus que je ne crois au tri sélectif dans ma
commune.
M. Pierre BERAS.- Nous récupérons aussi les déchets.
M. Bernard CAPDEVILLE.- Nous en avons récupéré 15 000
tonnes dont 90 % de poids d'emballage. Ce n'est pas mal.
M. François AUTAIN.- Le réflexe est-il d'envoyer en Afrique ?
M. Bernard CAPDEVILLE.- Simplement, les médecins africains nous disent :
"On en a assez de vos poubelles, ne pourriez-vous pas nous envoyer des
génériques, s'il vous plaît ? "
M. François AUTAIN.- Je crois qu'ils ont raison.
M. Bernard CAPDEVILLE.- Ils ont raison !
M. Pierre BERAS.- Pour en revenir à l'Afrique, il faut aussi se
méfier des génériques. On a failli mettre une pagaille
épouvantable au travers de l'aide humanitaire avec des
génériques qui n'en était pas. C'étaient de faux
médicaments. Il faut aussi se méfier de cela.
M. Bernard CAPDEVILLE.- CYCLAMED a pour but de vider les armoires et de faire
en sorte que l'automédication ne devienne pas n'importe quoi. On n'a pas
encore assez de recul pour juger des résultats, mais cela fonctionne.
M. Charles DESCOURS, président.- On voit bien une circulation de
l'information montante que vous faites en direction des centres
régionaux. Mais vous n'avez pas de retour ?
M. Bernard CAPDEVILLE.- De temps en temps. A Bordeaux, on a eu un retour. Il
est vrai que j'avais dit que l'on participait aux enquêtes, on a
aidé à les mener et on a eu des retours d'informations
impeccables.
M. Dominique LECLERC.- Je voudrais vous interroger sur la cohésion avec
l'Agence du médicament en cas d'anomalie. Comment cela se
passe-t-il ?
M. Pierre BERAS.- Cela se passe très rapidement. J'avais presque
l'impression d'un phénomène un peu " totalitaire ".
Tout d'un coup, arrive sur nos écrans, une note comminatoire de l'Agence
du médicament disant de retirer un produit, ce qui est une très
bonne chose et qui prouve que cela va très vite et que cela fonctionne.
Je pense que le gros problème que nous avons à l'Agence du
médicament est le suivant : il n'y a pas suffisamment de pharmaciens
d'officine dans l'Agence. Le lien avec l'officine est trop faible. L'Agence ne
connaît que l'industrie : c'est elle qui la paie.
M. Bernard CAPDEVILLE.- Je fais de mon mieux auprès du Conseil
d'Administration pour que cela change.
M. Pierre BERAS.- Il faut le répéter au législateur. Quand
on a fait l'Agence, personne n'avait pensé à cette situation,
à ce lien avec l'industrie. Nous devrions être présents
dans l'Agence, pour qu'elle fonctionne mieux.
M. Bernard CAPDEVILLE.- On n'est pas mal vu dans l'Agence, mais on n'est pas
présents dans l'institution. On ne peut pas continuer à avoir des
services de santé publique sans qu'il y ait de pharmacien. Cela me
semble évident. Pas pour qu'ils prennent le pouvoir, mais pour qu'ils
puissent devenir les interfaces intelligents entre une politique sanitaire et
des professionnels.
M. Pierre BERAS.- La disparition de la direction de la pharmacie n'est pas une
bonne chose. Il y avait une cohérence dans la direction de la pharmacie.
Une sous-direction n'est pas une direction. Le pouvoir de ses dirigeants n'est
pas le même.