III. Point de vue sur le potentiel de croissance de l'économie française
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M. Guy LAROQUE, Directeur des Etudes et
Synthèses économiques à l'INSEE .-
Je vais peut-être changer de point de vue par rapport à ce qui
vient d'être dit. Je prendrai moins la vision mondiale, la vision
européenne et géopolitique que vient de discuter Michel DIDIER et
je vais me rapprocher de problèmes plus français pour essayer de
décrire ce que je pense être la croissance potentielle en France,
et comment ce sentier de croissance potentielle peut se situer par rapport
à la perspective tracée par Henri STERDYNIAK et Laurence BOONE.
Si, pour aborder ce problème : quelle est la croissance potentielle en
France ?, je restreins la perspective sur le plan géographique, je
vais l'étendre sur le plan de l'horizon et me placer dans un horizon
lointain, pas trop défini, par exemple vingt ans.
Il y a toujours des problèmes sémantiques autour du mot
"potentiel", je vais donc essayer de décrire ce que pourrait être
la croissance de notre pays si l'on maintenait le plein emploi des facteurs ou
en tout cas, si l'on se maintenait à un taux de chômage constant.
Je ne vais pas m'intéresser au problème essentiel qui demeure
derrière les questions soulevées dans les projections et qui est
: comment résorber le chômage ? Je vais laisser cette
question de côté et regarder le sentier que l'on peut tenir
à long terme. Bien sûr, s'il y a en plus des réserves
à faire travailler, on pourra imaginer, pour rattraper ce sentier, une
croissance de transition qui sera beaucoup plus élevée que cette
croissance de long terme.
Il est intéressant, me semble-t-il, pour juger des projections qui nous
ont été données, de voir quel est le sentier que l'on peut
tenir à taux de chômage constant, car si l'on est en-dessous de ce
sentier, cela signifie probablement que le chômage monte et inversement,
si l'on est au-dessus, on résorbe un peu les capacités de travail
mal employées aujourd'hui.
Comment procéder pour cet exercice, toujours périlleux ?
Vingt ans, certes, c'est moins périlleux que cinq, parce que nous ne
serons peut-être pas tous là pour confronter les prévisions
et les réalisations, mais d'un autre côté, c'est un horizon
beaucoup plus lointain avec des aléas beaucoup plus forts que même
cet aléa européen qui a été mentionné.
Je vais recourir à une méthode d'analyse qui vous est
peut-être familière, c'est celle qu'avaient utilisée
MM. DUBOIS, CARRÉ et MALINVAUD, pour analyser la croissance
française au moment des Trente Glorieuses et qui consiste à
postuler une sorte de fonction de production technique macro-économique
dont les arguments sont le travail, le capital et le progrès technique.
C'est bien sûr autour du progrès technique ou de la
productivité globale des facteurs que réside l'essentiel de
l'incertitude dans ce genre d'exercice. Il s'agit ensuite de voir, à
partir de cette fonction de production macro-économique, ce que l'on
peut dire de l'évolution de la productivité dans le passé
et en déduire une idée de l'évolution à moyen
terme, l'évolution de la productivité mais aussi de tous les
autres facteurs que l'on a à projeter pour deviner la croissance
potentielle.
Voilà les deux parties de mon exposé :
- regarder ce que donne cette fonction de production macro-économique
sur le passé pour en tirer des éléments de
prévision de productivité
- projeter ensuite les divers facteurs de production : travail disponible,
capital et productivité, et en déduire un sentier de croissance
potentielle pour l'économie française.
Pour l'explication de la croissance passée, je vous propose de vous
reporter au tableau ci-dessous, qui est construit à partir de cette
fonction de production macro-économique. Il rappelle en fait les grands
moments de la croissance française sur les cinquante dernières
années, en séparant évidemment la période avant le
choc pétrolier, avant 1973-1974, de la période qui a suivi le
choc pétrolier.
Calcul des contributions à la croissance du produit
intérieur brut marchand
|
1951-1973 |
1974-1995 |
||
|
Moyenne (annuelle) |
Ecart-type trimestriel |
Moyenne (annuelle) |
Ecart-type trimestriel |
Croissance du PIB
|
5,4
|
0,82
|
2,0
|
0,94
|
On observe que la croissance du PIB - c'était le bon
temps - a été de 5,4 % en moyenne annuelle sur la
période 51-73 et qu'elle n'est plus, depuis 1974, que de 2 % en
moyenne annuelle.
Quelles sont les contributions à cette croissance, des divers
facteurs ?
Quand on compare les deux périodes, 51-73, 74-95, on constate qu'il y a
des écarts qui viennent, d'une part, de l'emploi salarié - qui
croissait au rythme d'un peu plus de 1 % par an pendant les Trente
Glorieuses et qui finalement, avec le développement du chômage n'a
plus crû en moyenne depuis 1974 -, d'autre part, du capital, mais ce ne
sont pas des mouvements essentiels, et enfin de la différence entre le
taux de croissance de la productivité entre 51 et 73 et le taux
observé entre 74 et 95, puisque sur la période des Trente
Glorieuses, on avait 2,8 % de croissance par an qui nous tombaient du ciel
grâce au progrès technique et qui sont devenus 1 ou 1,1 %
depuis 1974.
C'est cette base, correspondant aux observations, que nous allons essayer de
projeter. Nous allons essayer de projeter une contribution de l'emploi
salarié, une contribution du capital et une contribution de la
productivité, à tour de rôle.
Comment faire pour projeter ces divers facteurs ?
Le problème est plus ou moins compliqué selon chacune des
composantes auxquelles on s'intéresse.
1. Le travail
L'INSEE vient de faire une étude très
fouillée - publiée dans le numéro d'octobre d'"Economie et
statistique" - sur les projections de la population active à horizon
lointain, horizon qui s'étend même au-delà de celui que je
me suis fixé, avec divers scénarios sur l'âge de la
retraite, l'immigration, etc.
Le scénario central qui n'est pas celui que j'ai retenu pour ma
projection, prévoit une croissance de la population active encore
positive jusqu'à l'horizon 2005 et, au moment où les
générations nombreuses de l'après-guerre commencent
à arriver à la retraite, un début de décroissance
de la population active.
Le scénario que j'ai retenu est celui qui correspond à un recul
progressif de l'âge de la retraite à cette année cruciale,
autour de 2005, qui reculerait de cinq ans sur la période 2005-2020 et
qui donc remettrait au travail des personnes qui, si l'on maintenait la
législation actuelle, auraient quitté le marché du travail
sur cette période.
Dans ce scénario, on voit que la population active aurait un
accroissement annuel moyen, sur la période, de 1995 à 2015, de
0,7 % par an. C'est sur la base de cet accroissement moyen que je
travaillerai.
Si vous vouliez prendre - vous auriez peut-être raison - le
scénario central de l'INSEE, il faudrait mettre 0,2 % au lieu de
0,7 % par an, de contribution de la croissance de la population active.
Je rappelle qu'il s'agit de la population "
potentielle"
active, dont la
croissance ne suppose pas de changement dans le taux de chômage si l'on
part de ma situation initiale.