V. Mondialisation et progrès social
M. Bernard BARBIER, Président.-
Je voudrais
maintenant remercier particulièrement Mme Isabelle GRUNBERG qui est
venue spécialement de New-York où elle est économiste
principale au Bureau des Etudes sur le Développement au Programme des
Nations Unies pour le Développement et qui va nous livrer quelques
réflexions menées outre-Atlantique sur le thème
"Mondialisation et progrès social".
Madame, vous avez la parole.
·
Mme Isabelle GRUNBERG, Economiste au Bureau des Etudes sur le
Développement du Programme des Nations Unies pour le
Développement.-
C'est un honneur de participer aux travaux du Sénat, et je remercie les
organisateurs de leur invitation. Mes remarques s'appuient sur des travaux en
cours au Bureau des Etudes sur le Développement ; cependant, elles sont
formulées à titre personnel et ne représentent pas une
prise de position du Programme des Nations Unies pour le Développement.
Ces travaux en cours portent sur l'emploi dans une perspective mondiale, sur
les effets de la libéralisation financière, ainsi que sur les
conséquences de la mondialisation sur les équilibres
budgétaires des Etats.
Ce matin, les discussions sont allées au-delà d'une simple
description de la conjoncture; il semble qu'on ait abordé des
problèmes de fond, concernant les mécanismes qui régissent
l'économie mondiale, et d'éventuels changements structurels dans
ces mécanismes.
C'est sur ce plan que je voudrais me situer. Je voudrais également
définir la mondialisation, non comme une simple ouverture aux
échanges internationaux, mais comme la disjonction entre un secteur
privé qui est mondial et un secteur public qui reste fractionné
entre les Etats.
L'exposé de ce matin portera sur le progrès social, que nous
appelons plus volontiers, au PNUD "développement humain durable," -
cette dimension nous renvoie aux fins de l'économie, à savoir
l'être humain et l'amélioration de ses conditions d'existence.
Brièvement, je voudrais récapituler dans quelles conditions ce
"progrès social" est susceptible de se réaliser, et examiner si
ces conditions sont réunies actuellement dans le monde, en quoi la
mondialisation peut changer la donne dans ce domaine, et comment
remédier aux insuffisances possibles.
Introduction : Conditions du Progrès Social
Historiquement, on observe que le progrès social
bénéficie de la convergence de trois facteurs :
-
le progrès économique
dégage les
ressources nécessaires à l'amélioration de la condition
matérielle des être humains, et à leur
intégrité physique.
Le
Rapport sur le
Développement Humain
de 1996 du PNUD souligne
l'interdépendance entre la croissance et le développement humain
durable. La croissance en est une condition nécessaire, mais non
suffisante.
-
les droits sociaux
peuvent se diviser en deux
catégories :
-
les droits du travail
assurent une meilleure participation de tous
les maillons de la chaine de production, et réduisent la
vulnérabilité de ceux qui disposent d'un choix réduit
d'options sur le marché du travail.
-
les transferts de ressources
en faveur des catégories
vulnérables nécessitent un appareil de redistribution, souvent
organisé à l'échelle nationale. Les transferts de
ressources concernent également les subventions à ce qu'on
appelle couramment les "biens publics" - comme l'éducation, la
protection de l'environnement, la paix civile, les infrastructures, etc.
Cet exposé s'attache à comprendre ce que la mondialisation a
changé dans la capacité des Etats à assurer ces trois
types de mécanismes: croissance, droits du travail, et transferts de
ressources.
Le temps qui m'est imparti étant bref, je vais me contenter de survoler
les phénomènes les mieux connus, afin de pouvoir attirer
l'attention sur ceux qui le sont moins. Ainsi, je passerai rapidement sur
l'érosion des droits du travail que l'on constate à la suite de
la concurrence des pays ayant des conditions de travail moins avantageuses.
L'impératif de "flexibilité" du marché du travail est une
des conséquences de la libéralisation des échanges
mondiaux, même si elle n'est pas très efficace comme
stratégie individuelle de lutte contre le ch™mage.
Les deux aspects les moins connus de l'impact de la mondialisation sur le
progrès social concernent l'impact sur la croissance, et l'impact sur
les capacités budgétaires des Etats.