B. RENCONTRE AVEC UNE DELEGATION DE LA COMMISSION INSTITUTIONNELLE DU PARLEMENT EUROPEEN

Le mardi 15 avril 1997, la délégation a procédé à un échange de vues avec une délégation de la commission institutionnelle du Parlement européen.

M. Jacques Genton , président, se réjouit tout d'abord de cette rencontre prenant place trois mois avant la conclusion des travaux de la Conférence intergouvernementale. Il observe que l'Europe n'a, pendant longtemps, occupé qu'une place réduite dans le débat politique et que la ratification du Traité sur l'Union européenne a révélé une inquiétude diffuse de l'opinion publique face à l'augmentation des pouvoirs de la Communauté.

Le président indique alors que, depuis le référendum de 1992, cette situation a été modifiée et que la construction européenne a désormais une place centrale dans la vie politique nationale. Il fait valoir que la délégation du Sénat suit de très près les travaux de la Conférence intergouvernementale et qu'elle a publié plusieurs rapports et procédé à de nombreuses auditions sur ce sujet.

M. Jacques Genton, président, insiste enfin sur deux conclusions ressortant du suivi par la délégation des travaux de la Conférence intergouvernementale :

- tout d'abord, dans les deux Assemblées du Parlement français, se manifeste le souhait d'une meilleure association des Parlements nationaux aux activités de l'Union. Le protocole proposé par la présidence irlandaise lors du Conseil européen de Dublin paraît à cet égard être une bonne base ;

- ensuite, les négociations sur les questions institutionnelles proprement dites ne paraissent guère progresser, ce qui est inquiétant. L'enjeu essentiel de la CIG est d'adapter les institutions à la perspective de l'élargissement. Dans cette optique, il est indispensable de traiter des questions essentielles comme l'extension du vote à la majorité qualifiée, la pondération des votes au sein du Conseil, la réforme de la Commission européenne, le haut représentant pour la PESC, ou encore la mise en place des coopérations renforcées.

Concluant son propos, le Président souhaite qu'il y ait un sursaut dans la dernière phase des négociations, afin que les questions institutionnelles soient clairement abordées.

Mme Antoinette Spaak (Belgique, groupe du parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs), indique que la délégation de la commission institutionnelle du Parlement européen souhaite avant tout connaître les positions françaises à propos de la Conférence intergouvernementale et qu'à cette fin elle a rencontré le ministre chargé des affaires européennes, les délégations parlementaires, mais également des syndicalistes ainsi que le président du CNPF.

M. Christian de La Malène rappelle qu'à l'origine la Conférence intergouvernementale avait deux objectifs :

- d'une part, le renforcement de l'efficacité des institutions, afin d'en améliorer le fonctionnement et de permettre l'élargissement de l'Union européenne ;

- d'autre part, le renforcement de la démocratie, afin de remédier au manque de crédibilité et de légitimité des institutions communautaires.

Il estime qu'au stade actuel des négociations, les résultats des travaux de la Conférence intergouvernementale sont décevants. Les négociations n'ont guère avancé en ce qui concerne le renforcement de l'efficacité du Conseil de l'Union européenne, qui implique une repondération des voix si l'on veut étendre le champ d'application de la majorité qualifiée. De même, les discussions à propos de la Commission européenne paraissent difficiles ; l'efficacité de cette dernière passe par son renforcement et par une réduction du nombre de ses membres. Enfin, il n'existe que fort peu de propositions en vue d'améliorer le fonctionnement du Parlement européen.

M. Christian de La Malène observe alors que les coopérations renforcées semblent être un moyen de dépasser les difficultés de fonctionnement des institutions communautaires, mais que les projets formulés successivement par la présidence irlandaise et la présidence néerlandaise de l'Union européenne tendent à enfermer ces coopérations dans un corset d'obligations qui risque de les empêcher de fonctionner. Il estime que l'idée selon laquelle la mise en oeuvre des coopérations renforcées doit être décidée à l'unanimité au sein du Conseil condamne en fait ces coopérations.

M. Christian de La Malène se déclare enfin inquiet à propos de l'issue de la Conférence intergouvernementale. Il souligne que l'Union européenne s'élargira quoi qu'il arrive et que cet élargissement ira de pair avec un affaiblissement des institutions si la Conférence intergouvernementale devait aboutir à un résultat trop modeste.

M. Georges Berthu (groupe des indépendants pour l'Europe des Nations), se déclare en accord avec M. Christian de La Malène pour estimer que le futur élargissement de l'Union européenne risque de conduire à une dilution et à un affaiblissement des institutions. Il estime qu'il est indispensable de renforcer la légitimité des institutions européennes et que la seule voie possible est le renforcement du rôle des Parlements nationaux.

Il se déclare inquiet des propositions formulées successivement par les présidences irlandaise et néerlandaise de l'Union européenne. L'extension du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil limiterait davantage encore la compétence des Parlements nationaux. Ceux-ci sont en train de perdre la capacité de renverser leur Gouvernement de manière efficace. Si un Gouvernement est mis en minorité au sein du Conseil, son renversement par le Parlement national n'empêche pas l'entrée en vigueur de la décision prise par le Conseil. C'est pourquoi l'extension du vote à la majorité qualifiée nécessite une plus grande intervention des Parlements nationaux.

M. Georges Berthu évoque ensuite le troisième pilier et souligne que la communautarisation de certaines matières conduirait à priver les Parlements nationaux de certaines de leurs compétences dans des domaines concernant la liberté des personnes et relevant de la souveraineté nationale. Il estime que d'autres dispositions du projet de traité de la présidence irlandaise sont inquiétantes et cite l'élargissement de la compétence communautaire dans le domaine des relations commerciales. Il observe que, si cette compétence était étendue aux accords en matière de services et de propriété intellectuelle, les Parlements nationaux perdraient leur pouvoir de ratification de ces accords.

M. Georges Berthu souligne alors que les propositions françaises visant à renforcer le rôle des Parlements nationaux dans le domaine du troisième pilier et de la subsidiarité sont intéressantes, mais qu'elles doivent être précisées et sont insuffisantes. En conclusion, il s'inquiète de l'extension des pouvoirs de la Cour de justice des Communautés européennes et s'interroge sur la révision des compétences de cette dernière. Il estime que la Cour de justice n'est pas une Cour suprême nationale et que, de ce fait, son interprétation des compétences communautaires devrait être systématiquement restrictive et non extensive, comme c'est le cas aujourd'hui.

M. Jacques Oudin observe tout d'abord qu'à certaines occasions, le Parlement européen a donné le sentiment d'outrepasser les compétences qui lui ont été confiées par le Traité sur l'Union européenne. Il rappelle que la France souhaite une association collective des Parlements nationaux au processus communautaire de décision et que la COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires) peut être le lieu de cette association.

M. Jacques Oudin souligne ensuite que l'article 88-4 de la Constitution a incontestablement amélioré le contrôle du Parlement français sur la législation communautaire. Il souhaite que de nouveaux progrès soient accomplis à l'occasion de la Conférence intergouvernementale et observe que Parlement européen et Parlements nationaux doivent pouvoir faire cause commune dans ce domaine. Il remarque enfin que le Parlement français souhaite un renforcement du principe de subsidiarité et que cette revendication semble susciter des réticences au sein du Parlement européen.

M. Jens-Peter Bonde (Danemark, groupe des indépendants pour l'Europe des Nations) indique tout d'abord qu'au Danemark la commission du marché commun du Parlement danois donne un véritable mandat au Gouvernement en vue des négociations au sein du Conseil. Il souligne que les parlementaires ont accès à un grand nombre de documents et en particulier aux débats du COREPER (comité des représentants permanents). Il souhaite avoir des informations sur les documents auxquels la délégation pour l'Union européenne a accès, notamment en ce qui concerne les propositions législatives de la Commission européenne et les travaux de la Conférence intergouvernementale. Il précise à cet égard que le Parlement danois a accès aux débats de la Conférence intergouvernementale.

M. Xavier de Villepin souligne que l'Europe se trouve dans une phase importante de son histoire et que les grandes échéances auxquelles elle doit faire face ne sont pas sans incidence les unes sur les autres. Il remarque que la Conférence intergouvernementale semble n'avancer que lentement, voire difficilement, mais que l'influence de la présidence néerlandaise et les prochaines élections britanniques peuvent modifier cette situation.

A propos de la monnaie unique, M. Xavier de Villepin souligne que sa réalisation est de plus en plus probable et que son échec éventuel conduirait à une grave crise financière. Evoquant ensuite l'élargissement de l'Union européenne, il observe qu'il existe une très forte attente des pays de l'Europe centrale et orientale alors que l'Europe de l'ouest semble parfois faire preuve de scepticisme.

M. Xavier de Villepin souligne enfin que les discussions sur l'avenir de l'OTAN devraient également être prises en considération dans les discussions sur l'évolution de la construction européenne. A cet égard, il souligne que la France souhaite à la fois un rapprochement de l'OTAN et une réforme de cette organisation.

M. Konrad Schwaiger (Allemagne, groupe du parti populaire européen) présente les objectifs du Parlement européen dans le cadre de la conférence intergouvernementale. Il souligne que le Conseil doit davantage voter à la majorité qualifiée et que cela implique une pondération des voix un peu différente, dans la mesure où la multiplication du nombre de petits pays au sein de l'Union européenne risque de donner à ceux-ci une importance disproportionnée au sein du Conseil.

M. Konrad Schwaiger fait ensuite valoir qu'il convient de réduire le nombre de procédures de décision et de les limiter à trois. La co-décision devrait être étendue à l'ensemble des domaines dans lesquels le Conseil vote à la majorité qualifiée. La consultation du Parlement européen subsisterait pour les matières dans lesquelles le Conseil vote à l'unanimité ou les matières dans lesquelles les Etats membres gardent toute leur souveraineté comme l'attribution de nouvelles ressources financières. Enfin, dans le domaine des relations extérieures, le Parlement européen devrait pouvoir être entendu au moment de la fixation du mandat de négociation de la Commission européenne ; il devrait également donner un avis conforme sur tous les accords internationaux. D'une manière générale, le Parlement européen souhaite une démocratisation dans le domaine législatif, mais ne prétend pas intervenir dans l'exécution des normes.

M. Konrad Schwaiger souligne alors l'ouverture d'esprit du Parlement européen à l'égard de la coopération avec les Parlements nationaux et souhaite le développement des échanges d'informations.

M. Emmanuel Hamel se déclare convaincu de la nécessité d'une réconciliation définitive de la France et de l'Allemagne après les conflits meurtriers qui ont marqué le vingtième siècle. Il se déclare toutefois profondément inquiet de l'évolution actuelle de la construction européenne et estime qu'il existe dans les opinions publiques un rejet des institutions européennes. Soulignant que certains reproches formulés à l'encontre de l'Union européenne sont peut-être injustes, il fait valoir qu'il existe cependant un choc affectif profond, l'opinion ayant le sentiment que la France est en train de disparaître.

Mme Antoinette Spaak s'élève contre l'idée que la construction communautaire conduirait à la disparition des Etats. Elle souligne que de grands ensembles sont en train de se construire et que la France ne pourra assurer son rayonnement qu'à l'intérieur de l'Union européenne. A propos des institutions, elle souligne que la Commission européenne ne fait qu'appliquer les décisions du Conseil.

Mme Antoinette Spaak relève ensuite que les derniers jours de la Conférence intergouvernementale seront décisifs et estime qu'il y a une attente des opinions, en particulier dans le domaine de la politique étrangère, l'Union s'étant montrée impuissante lors du conflit dans l'ex-Yougoslavie. Elle remarque en outre que les élections britanniques ne changeront probablement pas les positions de ce pays au sein de la Conférence intergouvernementale, sauf peut-être en matière sociale. Elle souligne enfin que le Parlement européen souhaite renforcer les liens avec les Parlements nationaux et que les propositions formulées par la COSAC vont dans le bon sens.

M. Michel Caldaguès observe tout d'abord que l'élargissement de l'Union européenne constituerait un grand pas en avant pour celle-ci et estime qu'une réforme profonde des institutions au moment même où l'Union s'apprête à s'élargir paraît difficile. Il estime que la Conférence intergouvernementale doit s'efforcer de résoudre tant bien que mal les problèmes institutionnels posés par l'élargissement et qu'il n'est pas souhaitable de fixer un niveau trop élevé d'ambition. Il se déclare enfin réservé à l'égard des propositions qui impliqueraient que des puissances de premier plan ne soient pas représentées au sein de la Commission européenne.

M. Robert Badinter souligne que l'Union européenne doit faire face en peu de temps à plusieurs échéances capitales : l'Union économique et monétaire, qui aura des conséquences sur l'avenir institutionnel de l'Union européenne ; l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale ; l'extension de l'OTAN, qui fait l'objet d'une très forte demande de la part des pays de l'est de l'Europe. Il indique que le fonctionnement actuel des institutions communautaires est d'une grande complexité, ce qui rend difficile la démocratisation du processus de décision. Il souligne en outre la nécessité pour les Etats de déterminer clairement ce qu'ils souhaitent profondément en matière européenne car évoquer les procédures de décision et les techniques juridiques avant d'aborder la question des finalités ne peut conduire à aucun résultat.

M. Robert Badinter estime ensuite que le renforcement de l'intégration et l'élargissement de l'Union européenne ne peuvent être menés en même temps de manière satisfaisante. La volonté d'intégrer les pays de l'Est dans les meilleurs délais signifie que cette intégration se fera dans l'Union européenne telle qu'elle existe aujourd'hui et non dans une Union renforcée. Dans ces conditions, on pourrait voir apparaître trois ensembles au sein de l'Union européenne : les Etats participant à l'Union économique et monétaire ; les Etats d'ores et déjà membres de l'Union européenne et ne participant pas à l'Union économique et monétaire, enfin les nouveaux Etats membres.

M. Robert Badinter souligne alors que l'élargissement posera de redoutables problèmes et cite en particulier l'absence complète de culture juridique dans les pays d'Europe centrale et orientale. Il estime que le renforcement de l'intégration européenne est incompatible avec l'élargissement rapide de l'Union et en déduit que ce dernier constitue une erreur historique.

M. Jacques Genton , président, souhaite répondre à M. Jens-Peter Bonde à propos de l'information de la Délégation. Il indique que cette dernière reçoit, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, l'ensemble des propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative. Il observe que, dans la mise en oeuvre de cette procédure, la Délégation entretient des liens étroits avec le Gouvernement et que le contrôle du Gouvernement par le Parlement a beaucoup progressé au cours des dernières années. Il rappelle enfin que la Délégation est destinataire de l'ensemble des contributions des Etats à la Conférence intergouvernementale.

Mme Antoinette Spaak indique que le Parlement finlandais est très bien informé en matière européenne et que, dans ce pays, les ministres viennent régulièrement expliquer leurs positions devant le Parlement.

M. Georges Berthu estime que les coopérations renforcées peuvent limiter les conséquences de la contradiction entre approfondissement et élargissement, à condition d'être conçues de manière suffisamment souple. Il fait valoir qu'il conviendrait plutôt d'envisager des coopérations différenciées, qui permettraient à certains Etats d'aller plus loin dans l'intégration et à d'autres de renoncer à certaines politiques. Il souhaite enfin qu'en ce domaine, on se contente d'introduire une clause de procédure, plutôt que de fixer par avance des objectifs contraignants aux coopérations renforcées.

M. Georges Berthu remarque ensuite qu'il existe une idée répandue au Parlement européen selon laquelle les nations seraient une cause de guerre. Il s'élève contre cette affirmation et estime que c'est en fait l'humiliation des nations qui conduit à la guerre.

M. Michel Caldaguès revient sur la contradiction entre élargissement et approfondissement. Il estime qu'il est indispensable d'élargir l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale dans les meilleurs délais. Soulignant que ces pays se sont libérés seuls du joug soviétique et que l'occident ne les a guère aidés, il fait valoir que les pays membres de l'Union européenne ne peuvent aujourd'hui ignorer les appels des pays de l'est de l'Europe.

M. Konrad Schwaiger souligne que d'ores et déjà les pays de l'Union européenne ont une grande influence sur la société et l'économie des pays d'Europe centrale et orientale. Il estime que les exemples de la Finlande et de l'Autriche démontrent que certains élargissements peuvent être tout à fait bénéfiques pour l'Union européenne. Il remarque que certains des pays candidats, comme la Slovénie ou l'Estonie, réalisent avec beaucoup de sérieux les efforts nécessaires pour entrer dans l'Union européenne et qu'il serait difficile de décevoir leur attente.

Evoquant l'accès du Parlement allemand aux documents communautaires, il observe que le Bundesrat dispose de sources d'informations diversifiées, compte tenu de ses liens avec le comité des régions et de la présence d'un observateur à Bruxelles.

Mme Antoinette Spaak souhaite apporter des conclusions à propos de deux sujets :

- l'élargissement de l'Union européenne ne saurait intervenir en l'absence de renforcement des institutions. Faute d'un tel renforcement, les candidats à l'adhésion entreraient en fait dans une nébuleuse incapable de décider ;

- les coopérations renforcées ne sont pas la flexibilité ; elles ne doivent être envisagées que lorsqu'il existe une volonté politique d'aller plus loin, dans le cadre du traité, dans certains domaines particuliers.

M. Christian de La Malène rappelle alors qu'à la veille de chaque élargissement, il a entendu dire que l'élargissement devait être précédé d'un approfondissement. Il exprime la crainte qu'une nouvelle fois l'Union s'élargisse sans que les institutions soient au préalable renforcées.

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