IV. LES TRAVAUX DE LA DELEGATION
1. Séance du mardi 29 octobre 1996
La délégation du Sénat pour l'Union
européenne a tenu une première réunion au sujet des
propositions d'actes communautaires E 719 et E 720.
M. Jacques Genton
a souligné que la réunion de la
délégation portait en réalité sur sept textes
communautaires : trois communications de la Commission, trois propositions de
règlement qui devraient être adoptées prochainement par le
Conseil ainsi qu'une dernière proposition de règlement, qui ne
pourra être adoptée formellement par le Conseil qu'en 1998, mais
devrait néanmoins faire prochainement l'objet d'un accord politique. Ces
textes visent tous à permettre la mise en place de la monnaie unique.
Six d'entre eux sont regroupés en deux documents déposés
sur le Bureau du Sénat, en application de l'article 88-4, sous les
numéros E 719 et E 720. Ces deux documents ont été
enregistrés le 23 octobre 1996. D'après la circulaire du Premier
ministre de juillet 1994, la délégation et le Sénat ont
donc jusqu'au 22 novembre 1996 pour faire savoir au Gouvernement s'ils
souhaitent s'exprimer à leur sujet.
M. Jacques Genton a ajouté que M. de Villepin, qui est depuis longtemps
le spécialiste de la délégation du Sénat sur les
questions monétaires, avait en conséquence souhaité que,
sans tarder, la délégation soit le plus complètement
possible informée sur le contenu de ces textes et sur leurs implications.
M. Xavier de Villepin
a alors commenté un tableau mentionnant,
pour chacun des Etats membres, sa situation au regard du respect des
critères de convergence établis par le Traité de
Maastricht. Il a souligné que la France poursuivait son objectif
d'abaissement du déficit budgétaire selon le calendrier qu'elle
s'est fixé, à savoir 5 % du produit intérieur brut (PIB)
en 1995, 4 % en 1996 et 3 % en 1997.
Les propositions en cours d'examen résultent de l'accord intervenu au
cours du Conseil européen de Madrid de décembre 1995 et du
Conseil des ministres de l'économie et des finances qui s'est
déroulé les 20 et 21 septembre 1996 à Dublin. Elles
portent sur :
- le statut juridique de l'Euro ;
- le pacte de stabilité budgétaire auquel devront souscrire les
pays de l'Union européenne qui adopteront une monnaie unique au
1
er
janvier 1999 ;
- le fonctionnement du nouveau système monétaire européen
(SME-bis).
Le pacte de stabilité budgétaire fait l'objet de deux
propositions. La première est un règlement du Conseil relatif au
renforcement de la surveillance et de la coordination des situations
budgétaires ; il est fondé sur l'article 103, paragraphe 5,
du Traité. La seconde est un règlement du Conseil relatif
à l'accélération et à la clarification du
déroulement de la procédure des déficits excessifs ;
il est fondé sur l'article 104 C, paragraphe 14, du Traité.
Le premier règlement définit ce qu'est un " programme de
stabilité ". Il comprend comme objectif l'excédent ou
l'équilibre des finances publiques des Etats membres, les variations
conjoncturelles annuelles du déficit budgétaire ne pouvant
excéder 3 % du PIB. Le second règlement porte sur les sanctions
applicables aux Etats qui ne respectent pas le critère
d'équilibre des finances publiques. Il fixe un délai de dix mois
à chaque pays pour le rétablissement de ses comptes publics,
faute de quoi le Conseil pourra, à la majorité
pondérée des deux tiers des Etats participant à l'Euro -
la voix de l'Etat concerné n'étant pas prise en compte -,
infliger des sanctions à ce pays. La sanction comprendra un montant fixe
égal à 0,2 % du PIB plus un cinquième de
l'écart entre le déficit réel et la valeur de
référence maximale de 3 % fixée par le traité. La
sanction sera néanmoins plafonnée à 0,5 % du PIB.
L'ensemble des quinze Etats membres de l'Union européenne participent
aux négociations et à l'adoption, avant la fin de 1996, du pacte
de stabilité budgétaire. Toutefois les dispositions du
traité précisées par ces deux règlements ne
s'appliqueront qu'aux Etats participant à la monnaie unique :
- à compter du 1
er
juillet 1998 pour les procédures de
surveillance renforcées des déficits publics ;
- à compter du 1
er
janvier 1999 pour l'application des
sanctions de la procédure des déficits excessifs.
M. Xavier de Villepin
a indiqué que le cadre juridique de
l'utilisation de l'Euro s'appuyait sur deux propositions de règlements
du Conseil. La première proposition de règlement, qui est
relative à l'introduction de l'Euro, porte sur la confirmation du nom de
l'Euro à la place du terme générique
d'" écu " employé dans le traité, sur la date
d'introduction des billets et pièces libellées en Euro
(1
er
janvier 2002 au plus tard), sur la continuité des
contrats libellés en écus ou en monnaies nationales et sur
l'équivalence entre l'Ecu panier et l'Euro au taux de un pour un.
Ce règlement, qui est basé sur l'article 109 L du traité,
ne pourra s'appliquer qu'à compter de 1998, lorsque la liste des pays
participant à la monnaie unique sera connue. Or il semble
nécessaire, dès maintenant, d'établir la
sécurité juridique pour les opérateurs du marché.
C'est pourquoi un second règlement, qui fixe certaines dispositions
relatives à l'introduction de l'Euro, est proposé sur la base de
l'article 235 du traité. Il a le même objet que le premier. Le
rapporteur a souligné que le recours à l'article 235 du
traité pourrait présenter un risque juridique dans la mesure
où la Cour de justice des Communautés, dans son avis 2/94 du 28
mars 1996, avait marqué les limites de l'utilisation de cet article en
déclarant qu'il ne peut ouvrir la voie à une modification du
Traité.
M. Xavier de Villepin
a encore indiqué que la mise en place d'un
nouveau SME, demandée notamment par la France - d'abord au Conseil
européen de Madrid de décembre 1995, puis au Conseil des
ministres de l'économie et des finances de Vérone des 12 et 13
avril 1995 - était possible sur la base de l'article 103 § 5 du
traité. A l'heure actuelle, la Commission n'a présenté
qu'une communication, non assortie de propositions de législation
formelle. Cette communication n'a pas été transmise au Parlement
français dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution au motif
qu'elle n'est pas accompagnée de propositions législatives
formelles.
Le nouveau mécanisme de change incitera les Etats membres qui n'auront
pas adopté la monnaie unique à des efforts de convergence et de
discipline ; en ce sens, il devrait régir :
- les relations bilatérales entre l'Euro et les monnaies des Etats
membres non participants, l'Euro étant le point d'ancrage du SME bis ;
- la fixation des taux pivots et des marges de fluctuations dans le cadre d'une
procédure commune associant le Conseil, les gouverneurs de la Banque
centrale européenne et des banques centrales des Etats membres non
participants, ainsi que la Commission.
Les marges de fluctuations seraient larges et l'intervention aux marges serait
automatique, sauf mise en péril de la stabilité des prix. Le
rapporteur a souligné la réticence de la Grande-Bretagne sur ce
dernier point. Il a encore indiqué que l'accord de la Grande-Bretagne
était nécessaire pour l'adoption du règlement sur
l'introduction de l'Euro avant la troisième phase de l'UEM ainsi que
pour celle du règlement sur le pacte de stabilité, puisque ces
textes doivent être pris à l'unanimité des Quinze.
M. Xavier de Villepin
a expliqué que ces textes devraient faire
l'objet d'un accord politique lors du Conseil européen des Chefs d'Etat
et de Gouvernement qui se réunira à Dublin les 13 et 14
décembre prochain. Pour préparer les travaux du Conseil
européen, le Conseil des ministres de l'économie et des finances
examinera le 11 novembre prochain la communication de la Commission sur le
nouveau système de change. Le Conseil des ministres des finances
examinera le 2 décembre les propositions de règlement sur le
statut de l'Euro et sur le pacte de stabilité financière,
étant entendu qu'un des deux règlements concernant l'Euro (celui
basé sur l'article 109 L § 4) ne pourra être formellement
adopté par les Etats qu'à partir du moment où sera connue,
en 1998, la liste des Etats faisant partie de la monnaie unique.
Compte tenu de ce calendrier, M. Xavier de Villepin a conclu que la
délégation et le Sénat ne pouvaient intervenir
efficacement qu'avant la réunion du Conseil européen et du
Conseil des ministres des finances, c'est-à-dire avant le 2
décembre 1996. Devant l'importance de ces textes, il lui a semblé
nécessaire d'ouvrir un débat, d'abord en
délégation, puis ultérieurement en séance publique,
après avoir entendu le ministre de l'économie et des finances le
14 novembre 1996.
M. Christian de La Malène
s'est étonné du recours
à des propositions de règlement du Conseil pour la mise en place
d'un pacte de stabilité budgétaire en Europe. Il s'est
demandé si un engagement d'une telle importance en matière de
finances publiques - qui n'est pas sans implications constitutionnelles pour la
France - pouvait résulter d'un acte communautaire ou s'il
nécessitait un traité international. Il a rappelé que les
parlements nationaux s'étaient constitués dans le passé
pour consentir l'impôt et a souhaité que l'on examine si la
Constitution française permettait de limiter ainsi le pouvoir
budgétaire du Parlement.
M. Paul Loridant
, exprimant son accord avec les propos de
M. Christian de La Malène, a craint que l'entrée
dans l'Union monétaire ne ressemble à l'entrée dans la vie
monacale et que les Etats ne soient enserrés par des règles de
plus en plus contraignantes. Notant que le nouveau mécanisme de change
résultait d'une initiative de la Commission et du Conseil et qu'il
n'était pas prévu par le Traité, il a estimé que le
Parlement devait en être saisi. Le pouvoir exécutif s'est
démuni du pouvoir monétaire en le remettant aux Banques
centrales ; il est en train de s'amputer du pouvoir budgétaire ; il
est temps, a poursuivi M. Paul Loridant, que l'on consulte les
Français soit par la voix de leurs représentants au Parlement,
soit par celle du référendum.
M. Gérard Delfau
a déclaré que les questions
formulées par M. Christian de La Malène lui paraissaient
d'une grande importance. Tout en réservant en l'état ses
conclusions, il a craint que le Gouvernement ne se soit imprudemment
avancé et a estimé que le Parlement ne pouvait être
dessaisi. Aussi la délégation du Sénat pour l'Union
européenne doit-elle se saisir de ces propositions et provoquer un
débat en séance publique, sanctionné par un vote. D'ici
là, il convient de s'informer le plus complètement possible. Il
s'est dit choqué de la prise de position récente d'un ministre
allemand mettant en cause les déclarations d'un député
français, ancien Premier ministre, M. Laurent Fabius. Le
débat qui se noue actuellement et qui inquiète certains, a-t-il
conclu, est essentiel et ne saurait être étouffé.
M. Jacques Genton
, président, a souligné que la mise en
place d'un nouveau système monétaire européen avait
été demandée par les Français, et répondait
à une préoccupation exprimée par des groupes
parlementaires du Sénat et des membres de la délégation.
M. Xavier de Villepin
a répondu aux différents
intervenants. De son point de vue, les propositions d'actes proposées
par la Commission européenne s'inscrivent parfaitement dans le cadre
juridique du Traité de Maastricht : elles ne constituent pas une
surprise et s'inspirent directement de l'esprit du traité. Le nouveau
mécanisme de change européen est indispensable pour éviter
de nouvelles dévaluations compétitives comme celles qu'on a
connues en 1992. Le pacte de stabilité est également souhaitable
pour une meilleure efficacité des finances publiques des Etats. Il
convient néanmoins d'examiner les éventuelles difficultés
juridiques qui pourraient se poser et suivre les développements de ces
questions dans les autres Etats membres de l'Union européenne.
Au cours de la même séance
, la délégation a
entendu successivement, au sujet de la mise en place de l'euro (cadre
juridique, pacte de stabilité, nouveau mécanisme de
change) :
- M. Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire
Français de conjonctures économiques (OFCE). Un compte tendu de
cette audition figure
supra
., p. 23-26 ;
- M. Hervé Hannoun, sous-gouverneur de la Banque de France, qui a
souhaité que son audition ne fasse pas l'objet d'un compte rendu.