RAPPORT D'INFORMATION N° 102 6 ELARGISSEMENT A L'EST : QUELLE STRATEGIE POUR L'UNION
M. Nicolas ABOUT, Sénateur
Délégation du Sénat pour l'Union Européenne - Rapport n° 102 - 1997/1998
Table des matières
- INTRODUCTION
- CONCLUSION
- EXAMEN EN DELEGATION
N° 102
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès verbal de la séance du 21 novembre 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne (1),
sur
les avis de la Commission européenne relatifs aux différentes
demandes d'adhésion à l'Union européenne
Par M. Nicolas ABOUT,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : MM. Jacques Genton, président ; James Bordas, Michel Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon, vice-présidents ; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Denis Badré, Michel Barnier, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Gérard Delfau, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre Lagourgue, Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jacques Rocca Serra, André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal, Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le choix politique de l'élargissement
La décision de principe concernant l'élargissement de l'Union aux
pays associés d'Europe centrale et orientale (PAECO) a été
prise par le Conseil européen de Copenhague en juin 1993. Tout en
adoptant le principe de l'adhésion de ces pays, le Conseil
européen a précisé que ceux-ci devraient répondre
à certains critères et que "
la capacité de
l'Union à accueillir de nouveaux membres
" devrait
également être prise en compte. Sur ces points, les conclusions de
Copenhague étaient les suivantes :
" Le Conseil européen est convenu aujourd'hui que les pays
associés de l'Europe centrale et orientale qui le désirent
pourront devenir membres de l'Union européenne. L'adhésion aura
lieu dès que le pays membre associé sera en mesure de remplir les
obligations qui en découlent, en remplissant les conditions
économiques et politiques requises.
" L'adhésion requiert de la part du pays candidat qu'il ait des
institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du
droit, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur
protection, l'existence d'une économie de marché viable ainsi que
la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux
forces du marché à l'intérieur de l'Union.
L'adhésion présuppose la capacité du pays candidat
à en assumer les obligations, et notamment de souscrire aux objectifs de
l'Union politique, économique et monétaire.
" La capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres
tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne
constitue également un élément important répondant
à l'intérêt général aussi bien de l'Union que
des pays candidats. "
Le Conseil européen de Madrid a confirmé et précisé
ces orientations en retenant l'objectif d'un début des
négociations d'adhésion six mois après la conclusion de la
Conférence intergouvernementale (CIG) de 1996 :
" L'élargissement est à la fois une
nécessité politique et une chance historique pour l'Europe. En
assurant la stabilité et la sécurité du continent, il
offrira non seulement aux Etats candidats, mais également aux membres
actuels de l'Union, des perspectives nouvelles de croissance économique
et de bien-être général. L'élargissement doit servir
à renforcer la construction européenne dans le respect de
l'acquis communautaire, y compris des politiques communes (...)
" Le Conseil européen répète que les
négociations en vue de l'adhésion de Malte et de Chypre à
l'Union commenceront, sur la base des propositions de la Commission, six mois
après la conclusion de la Conférence intergouvernementale de
1996, en tenant compte de ses résultats (...)
" Il confirme, par ailleurs, la nécessité de bien
préparer l'élargissement sur la base des critères
fixés à Copenhague et dans le cadre de la stratégie de
pré-adhésion définie à Essen pour les PECO ; cette
stratégie devra être intensifiée afin de créer les
conditions d'une intégration progressive et harmonieuse de ces Etats
grâce notamment au développement de l'économie de
marché, à l'adaptation de leurs structures administratives et
à la création d'un environnement économique et
monétaire stable (...)
" Après la conclusion de la Conférence intergouvernementale
et à la lumière de ses résultats et des avis et rapports
précités de la Commission, le Conseil prendra dans les meilleurs
délais les décisions nécessaires au lancement des
négociations d'adhésion.
" Le Conseil européen aspire à ce que la phase initiale des
négociations coïncide avec le commencement des négociations
avec Chypre et Malte ".
Le Conseil européen de Florence (juin 1996) a repris, d'une
manière plus claire, l'objectif de commencer les négociations
avec les PAECO six mois après la conclusion de la CIG :
" Le Conseil européen prend note du rapport du Conseil sur les
relations avec les pays associés d'Europe centrale et orientale au cours
du premier semestre de 1996 et souligne l'importance de la stratégie de
préparation à l'adhésion, qui englobe désormais la
Slovénie.
" Rappelant ses conclusions de Madrid, il réaffirme que les avis et
rapports de la Commission sur l'élargissement qui ont été
demandés à Madrid doivent être disponibles dès que
possible après l'achèvement de la Conférence
intergouvernementale de sorte que la phase initiale des négociations
avec les pays d'Europe centrale et orientale puisse coïncider avec le
début des négociations avec Chypre et Malte six mois après
la conclusion de la CIG, compte tenu de ses résultats. "
Le choix politique de l'élargissement à l'Est a donc
été effectué sans la moindre équivoque par le
Conseil européen, que le traité sur l'Union européenne
(article D) habilite à
" donner à l'Union les impulsions
nécessaires à son développement ",
et à
" en définir les orientations politiques
générales. "
Les pays candidats
La liste des pays concernés par le processus d'élargissement a
quelque peu évolué depuis 1993, dans la mesure où Malte a
retiré sa candidature tandis que la Slovénie a
déposé la sienne. De ce fait, outre la Turquie, dont la
candidature est très ancienne, et Chypre, dix pays d'Europe centrale et
orientale sont candidats à l'adhésion : la Bulgarie, l'Estonie,
la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République
tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie. Ces dix pays
sont tous signataires d'" accords européens " avec l'Union,
qui prévoient principalement une libéralisation progressive des
échanges, notamment dans le domaine industriel (l'ouverture des
marchés devant en outre s'effectuer plus rapidement pour l'Union que
pour les PAECO) et une aide financière centrée sur la
restructuration économique (programme PHARE).
Les premiers accords européens ont été conclus dès
décembre 1991 avec la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie.
En février 1992 s'y sont ajoutés les accords avec la Bulgarie, la
Roumanie, la République tchèque et la Slovaquie. Des accords ont
été signés avec l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, en
juin 1995, et avec la Slovénie en juin 1996.
Le déroulement de la procédure
L'élargissement de l'Union est régi par l'article 0 du
traité sur l'Union européenne :
Article 0
Tout Etat européen peut demander à devenir
membre de l'Union. Il adresse sa demande au Conseil, lequel se prononce
à l'unanimité après avoir consulté la Commission et
après avis conforme du Parlement européen, qui se prononce
à la majorité absolue des membres qui le composent.
|
Dans le respect du calendrier retenu par le Conseil
européen, prévoyant l'ouverture des négociations
d'élargissement six mois après les conclusions de la CIG, la
Commission européenne a présenté en juillet dernier, soit
un mois après la conclusion de la CIG, ses avis sur les
différentes demandes d'adhésion des PAECO.
Il convient de rappeler que, par ailleurs, la Commission européenne a
déjà rendu en juillet 1993 un avis sur la demande
d'adhésion de Chypre. Cet avis conclut qu'"
une
intégration de Chypre à la Communauté suppose
qu'intervienne un règlement pacifique équilibré et durable
du problème chypriote, règlement qui rendra possible la
réconciliation et le rétablissement de la confiance entre les
deux communautés et la coopération entre leurs dirigeants. Les
dispositions institutionnelles d'un tel règlement devraient, tout en
sauvegardant les nécessaires équilibres entre les deux
communautés et le droit pour chacune de préserver ses
intérêts fondamentaux, être compatibles avec une
participation normale de Chypre aux processus de décision de la
Communauté européenne et à la bonne application du droit
communautaire sur tout le territoire de l'île. Compte tenu de l'ensemble
des éléments qui précèdent, et dans l'espoir de
progrès décisifs dans les négociations actuellement
conduites sous les auspices du Secrétaire Général des
Nations Unies, la Commission est convaincue qu'un message positif doit
être envoyé aux autorités et au peuple chypriotes
confirmant que la Communauté considère Chypre comme
éligible à l'adhésion et que dès que les
perspectives d'un règlement seront plus assurées, la
Communauté se tient prête à engager avec Chypre le
processus devant finalement conduire à cette adhésion. "
Concernant la demande d'adhésion de la Turquie, la Commission
européenne a rendu un avis en décembre 1989. Elle a alors
estimé que "
le
contexte économique et politique
de la Turquie
" faisait qu'"
il ne serait pas utile
de
procéder dès maintenant à l'ouverture de
négociations d'adhésion avec ce pays
".
Le Conseil européen dispose donc de tous les avis nécessaires
pour se prononcer en décembre prochain sur l'ouverture des
négociations avec les différents pays candidats.
Conformément à l'article 0 du traité sur l'Union
européenne, les négociations ne peuvent être conclues
qu'avec l'accord de tous les Etats membres. Le résultat des
négociations est soumis à l'avis conforme du Parlement
européen et sa ratification doit être autorisée par chaque
Parlement national.
La position de la Commission europeenne
Les avis de la Commission européenne sur les différentes demandes
d'adhésion, synthétisées dans le document intitulé
" Agenda 2000 ", aboutissent aux conclusions suivantes :
- la Commission propose d'ouvrir des négociations avec cinq PAECO sur
dix : l'Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et
la Slovénie ; elle précise que la situation des autres PAECO sera
réexaminée chaque année ;
- la Commission rappelle que la décision de principe d'ouvrir des
négociations avec Chypre six mois après la conclusion de la CIG a
déjà été prise par le Conseil européen ;
- tout en réaffirmant l'" éligibilité " de la
Turquie à l'adhésion à l'Union européenne, la
Commission ne propose pas d'ouvrir des négociations d'adhésion
avec ce pays ;
- enfin, la Commission propose la mise en place d'une " Conférence
européenne " réunissant les Etats membres de l'Union et tous
les pays européens ayant vocation à adhérer à
l'Union et liés à elle par un accord d'association, dans le but
de "
procéder à des consultations sur un large
éventail de questions qui se posent dans les domaines de la PESC et de
la coopération judiciaire et policière.
"
Votre rapporteur estime que, quelle que soit la valeur des justifications
avancées par la Commission, ces choix comportent des risques sur
lesquels il juge souhaitable que la délégation du Sénat
attire l'attention du Gouvernement dans la perspective du Conseil
européen de Luxembourg.
I. LA DIFFERENCIATION : UNE DEMARCHE CONTESTABLE
A. UN CHOIX INCOMPLETEMENT FONDE
La Commission s'est efforcée, dans ses avis, d'évaluer les différentes demandes d'adhésion en fonction des " critères de Copenhague " mentionnés plus haut.
1. Les critères politiques
En ce qui concerne les critères politiques
("
des institutions stables garantissant la démocratie, la
primauté du droit, les droits de l'homme, le respect des
minorités et leur protection
"), la Commission indique qu'elle
a pris en compte les "
évaluations effectuées par les
Etats membres
", les "
rapports et résolutions du
Parlement européen
" ainsi que "
les travaux de
diverses organisations internationales, organisations non gouvernementales et
autres organismes
".
On peut regretter que le Conseil de l'Europe, principale organisation
européenne dans le domaine des droits de l'homme, n'ait pas
été plus étroitement associé à la
réflexion sur le respect de ces critères politiques ; de
même, aucun des forums interparlementaires européens ne semble
avoir été consulté, ce qui peut étonner compte tenu
de la nature du problème en cause.
Toujours est-il que l'analyse de la Commission dans ce domaine conduit à
écarter un seul pays candidat, la Slovaquie, au motif que
"
l'Etat de droit et la démocratie n'y sont pas suffisamment
enracinés
" et que la protection des minorités y
paraît insuffisante.
Cette conclusion appelle quelques remarques :
- tout d'abord, l'idée que l'évolution démocratique
rencontre des difficultés particulières dans le cas de la
Slovaquie est peu contestée. Il convient à cet égard de
tenir compte de la situation particulière de ce pays dont
l'indépendance est très récente. Sans
méconnaître les insuffisances de sa démocratisation, qui
doivent susciter la plus grande vigilance, il est nécessaire de ne pas
susciter un sentiment d'exclusion, qui pourrait encourager des dérives
nationalistes et finalement freiner la démocratisation. Par ailleurs,
l'évolution économique relativement favorable de la Slovaquie,
qui constitue indirectement un facteur favorable à la
démocratisation, ne doit pas être contrariée par la
perspective d'une mise à l'écart durable du processus
d'élargissement.
- en jugeant que neuf Etats candidats sur dix remplissaient les critères
politiques de Copenhague, la Commission européenne n'a pas ignoré
certaines faiblesses qui différencient encore ces Etats de la plupart
des actuels Etats membres ; elle souligne ainsi que "
les
régimes de droit de tous les pays candidats ont des défauts
auxquels il faut remédier. Il y a pénurie de juges
qualifiés, et leur indépendance n'est pas suffisamment garantie.
Les forces de police sont mal rémunérées et
nécessitent des améliorations en matière de formation et
de discipline. L'autonomie des collectivités locales requiert
également une base juridique plus solide dans divers cas
". La
Commission européenne a donc jugé " en tendance " la
démocratisation des pays candidats. Le succès global de ce
processus, alors même que les pays en cause traversaient une phase
difficile de restructuration économique incite, il est vrai, à
considérer avec optimisme la possibilité pour les
ex-" démocraties populaires " de se doter d'un
fonctionnement
de plus en plus comparable aux démocraties occidentales.
- enfin, il convient de souligner que le traité d'Amsterdam a introduit
dans le traité sur l'Union européenne un nouvel article F1
permettant de prendre des sanctions contre un Etat membre qui ne respecterait
pas les principes de la démocratie et les droits de l'homme. Ainsi est
établie une protection contre tout retour en arrière dans ce
domaine.
Au total, on peut approuver la conclusion de la Commission identifiant pour une
seule candidature de véritables obstacles politiques à
l'adhésion ; encore doit-on souligner que, même dans ce cas, une
démarche constructive paraît bien plus recommandable qu'une
attitude pouvant être interprétée comme une mise à
l'écart durable.
2. Les critères économiques
Pour ce qui est des critères économiques
(l'"
existence d'une économie de marché viable
"
et la "
capacité de faire face à la pression
concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de
l'Union
"), la Commission indique que son avis a eu pour point de
départ les réponses aux questionnaires adressés à
chaque pays candidat en avril 1996, en précisant que les pays candidats
ont eu la faculté de compléter ces informations lors d'une
série de rencontres bilatérales en mai 1997 ; elle souligne
qu'elle s'est également fondée sur les informations obtenues dans
le cadre de la gestion des accords d'association. Toutefois, certains pays
candidats font valoir que les données sur lesquelles s'est
appuyée la Commission sont déjà en partie
dépassées compte tenu de l'évolution rapide de leurs
situations économiques.
La Commission considère qu'aucun des pays candidats ne remplit
aujourd'hui entièrement les deux critères économiques de
Copenhague ; elle souligne cependant que les pays candidats "
ont
accompli des progrès considérables dans la transition vers une
économie de marché, y compris en matière de privatisation
et de libéralisation
", même si "
les
réformes structurelles nécessiteront encore de grands efforts,
notamment en ce qui concerne les systèmes bancaires et financiers ainsi
que la sécurité sociale
".
Au total, la Commission estime que cinq pays candidats peuvent être
considérés comme des "
économies de marché
viables
" : l'Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République
tchèque et la Slovénie, et qu'un sixième pays, la
Slovaquie, en est très proche. Son avis est plus restrictif en ce qui
concerne la "
capacité de faire face à la pression
concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de
l'Union
" : elle estime que seuls deux pays, la Pologne et la
Hongrie,
paraissent pouvoir répondre à ce critère ; elle note
toutefois que la République tchèque, la Slovaquie et la
Slovénie devraient pouvoir les rejoindre à condition
d'intensifier leurs efforts de restructuration ; enfin, elle considère
que l'Estonie n'est guère éloignée de ce deuxième
groupe. La Commission observe enfin que les quatre autres pays ont
récemment accompli de grands progrès qui pourraient leur
permettre de rattraper le niveau des autres pays candidats "
au
cours
de la prochaine décennie
".
Finalement, à partir de la combinaison des deux critères
économiques, la Commission est amenée à distinguer quatre
catégories de pays : la Hongrie et la Pologne, tout d'abord, sont les
mieux placées pour remplir ces critères, en raison de
l'ancienneté et de l'intensité de leur effort de restructuration
; la République tchèque et la Slovénie appartiennent
à une seconde catégorie, où l'effort de restructuration
paraît moins avancé ; l'Estonie et la Slovaquie ne remplissent
véritablement qu'un des deux critères, mais leur évolution
globale paraît encourageante ; enfin, les quatre autres pays restent
éloignés du respect des critères.
Les critères économiques ont manifestement été
déterminants dans le choix final de la Commission, puisque la liste des
pays retenus est celle qui résulte de l'application de ces
critères, sous réserve du cas de la Slovaquie,
écartée en fonction de critères politiques.
Or l'analyse de la Commission ne paraît pas entièrement
convaincante dans ce domaine.
Il existe certes d'importantes différences dans le degré de
restructuration des économies des pays candidats. Mais, même en
reprenant les évaluations effectuées par la Commission, il est
difficile de conclure que l'on est en présence de deux groupes bien
distincts de pays, justifiant de deux traitements bien différents.
Il y a assurément un fossé entre, par exemple, la Hongrie et la
Bulgarie, pays de taille comparable qui se situent aux deux
extrémités du spectre ; mais en est-il de même entre, par
exemple, l'Estonie et la Lituanie ? En réalité, au regard des
critères économiques, les différentes candidatures forment
plus un continuum que deux ensembles clairement identifiables. Il semble
dès lors qu'il y ait quelque arbitraire à placer la barre
à tel endroit plutôt qu'à tel autre.
A partir du moment où, de l'aveu même de la Commission, aucun pays
candidat ne remplit pleinement les critères économiques de
Copenhague, et où tous sont en pleine évolution sous ce rapport,
on peut légitimement se demander s'il y a une réelle
justification économique à séparer les pays candidats en
deux groupes, et à engager les négociations avec certains d'entre
eux seulement, plutôt que d'ouvrir les négociations avec
l'ensemble des pays candidats tout en prévoyant que la durée des
négociations et celle des périodes de transition
post-adhésion seront différentes selon les pays.
Cette interrogation paraît d'autant plus légitime que la
séparation des pays candidats en deux groupes risque d'avoir des
conséquences économiques négatives : le processus de
restructuration pourrait se trouver freiné, faute de perspective
mobilisatrice, dans les pays du deuxième groupe, et les investissements
directs étrangers risquent de se concentrer plus encore qu'aujourd'hui
sur un petit nombre de pays candidats. On peut même se demander si
l'incitation à la réforme économique restera aussi forte
dans le cas des pays retenus pour l'ouverture de négociations
d'adhésion : ne seront-ils pas tentés de considérer que le
but principal de leurs efforts est désormais en passe d'être
atteint, et qu'ils ont intérêt à reporter certaines
restructurations douloureuses jusqu'au moment où, devenus membres de
l'Union, ils pourront bénéficier d'importantes aides
structurelles ?
Ainsi, les différences de situation que met en évidence l'analyse
de la Commission européenne ne paraît pas justifier une
différenciation aussi nette que celle qui est proposée entre les
différentes candidatures.
3. La capacité à assumer les obligations de l'Union
Le troisième grand critère retenu par le Conseil
européen de Copenhague est "
la capacité du pays candidat
à assumer les obligations
[de
l'adhésion]
, et
notamment de souscrire aux objectifs de l'Union politique, économique et
monétaire
".
La Commission européenne observe avec justesse que tous les pays
candidats sont en mesure de participer à la politique
étrangère et de sécurité commune. Il est vrai que
celle-ci ne demande aux pays membres qu'un engagement fort limité, et
qu'il est peu probable que cette situation évolue radicalement dans les
prochaines années, compte tenu de la prudence du traité
d'Amsterdam dans ce domaine.
La Commission souligne également qu'aucun des pays candidats ne peut
envisager de participer à l'Union monétaire dans un futur proche.
L'entrée dans la monnaie unique, cela est clair, suppose un degré
de convergence que les pays candidats n'atteindront pas avant longtemps :
dans ces conditions, elle ne serait dans l'intérêt ni des pays qui
s'apprêtent à réaliser l'union monétaire, ni des
pays candidats eux-mêmes (
1(
*
)
). Mais cette
situation n'interdit nullement aux pays candidats de souscrire à
l'"
objectif
" de l'union monétaire ; de plus, comme
certains membres actuels ne participeront pas, du moins dans un futur proche,
à l'union monétaire, on ne peut faire de la participation
effective à celle-ci une condition d'entrée dans l'Union.
C'est donc finalement sur la capacité à reprendre et à
mettre en oeuvre l'acquis communautaire que se concentrent les interrogations
de la Commission. Celle-ci souligne à juste titre que l'acquis
communautaire est plus important que lors des précédents
élargissements, que tout nouveau membre doit le reprendre
intégralement, et que la reprise de l'acquis et sa mise en oeuvre
représenteront pour les pays candidats, compte tenu de leur histoire,
une tâche incomparablement plus lourde que lors des
précédents élargissements.
Concernant la
reprise de l'acquis
, la Commission européenne
distingue entre :
- les pays qui "
ne devraient pas être en mesure de satisfaire aux
obligations de l'acquis à moyen terme
", à savoir la
Bulgarie et la Roumanie ;
- les pays qui ne pourront être en mesure de "
reprendre
l'essentiel de l'acquis à moyen terme
" qu'à condition
d'accomplir
" des efforts considérables
", à
savoir les trois Etats baltes et la Slovénie ;
- les pays qui "
devraient être en mesure de reprendre
l'essentiel de l'acquis à moyen terme
", sous réserve de
progrès dans des secteurs précis, à savoir la Hongrie, la
Pologne, la République tchèque et la Slovaquie.
Concernant la
capacité administrative et judiciaire à
appliquer l'acquis
, la Commission souligne à juste titre
l'"
importance cruciale
" de cette question et les
"
très grandes inquiétudes
" que suscite la
" situation générale
" des pays candidats
à cet égard. On peut regretter que, dans ses relations avec les
PAECO depuis 1990, l'Union n'ait pas davantage mis l'accent sur ce type de
problème, que ce soit dans la présentation des principales
conditions d'une adhésion à l'Union, ou dans l'orientation
donnée à l'assistance technique financée par le programme
PHARE. La Commission propose d'ailleurs une réorientation en ce sens de
ce programme dans le cadre de la " stratégie de
pré-adhésion " : il est à souhaiter que l'ampleur de
cette réorientation soit à la mesure du retard qui a
été pris à faire de ce domaine une priorité.
Toujours est-il que la Commission européenne estime, au total, que trois
pays candidats seulement paraissent en mesure de reprendre l'essentiel de
l'acquis communautaire et de le mettre en oeuvre : la Hongrie, la Pologne
et la République tchèque ; elle estime que cinq pays candidats
(les Etats baltes, la Slovénie et la Slovaquie) ne pourraient
acquérir cette capacité qu'"
au prix d'un renforcement
considérable et durable de leurs efforts
" ; enfin, elle
considère que la Bulgarie et la Roumanie ne sont pas en mesure à
moyen terme de reprendre et d'appliquer l'acquis communautaire.
Là encore, on peut se demander si les analyses de la Commission, quelle
que soit leur pertinence, constituent un fondement convaincant pour la
différenciation proposée. Tout en soulignant le caractère
"
crucial
" de ce critère, la Commission
européenne semble douter de la capacité à appliquer
l'acquis communautaire de certains des pays avec lesquels elle recommande
néanmoins d'ouvrir des négociations d'adhésion ; une
fois de plus, on ne voit pas apparaître de ligne de démarcation
nette entre certains des pays pour lesquels l'ouverture de négociations
d'adhésion est proposée, et certains des pays pour lesquels il
est suggéré de différer ces négociations.
B. DE GRAVES INCONVENIENTS
Si le choix d'ouvrir des négociations d'adhésion avec certains pays candidats seulement ne paraît pas pleinement justifié par les différences dans le respect des " critères de Copenhague ", en revanche, les inconvénients de ce choix paraissent difficilement contestables.
1. De nouvelles lignes de partage en Europe ?
La Commission européenne s'est certes
démarquée de l'OTAN en retenant les candidatures de l'Estonie et
de la Slovénie, et pas seulement celles de la Pologne, de la Hongrie et
de la République tchèque. Mais sa logique reste celle d'une
sélectivité conduisant à la formation de nouveaux clivages
en Europe.
Or ces clivages pourraient avoir des effets pervers. Dans les pays du
" deuxième groupe ", les populations qui ont subi
d'importants
sacrifices en raison du processus de restructuration économique risquent
de considérer que ces efforts ont été consentis en vain,
ce qui pourrait entraîner des conséquences politiques
négatives. Du point de vue économique, l'écart risque de
se creuser, au lieu de se réduire, entre les deux groupes de pays, les
pays engagés dans les négociations d'adhésion ayant des
chances bien plus grandes d'attirer les investissements directs
étrangers et étant appelés en pratique à
bénéficier d'aides plus importantes de la part de l'Union, tandis
que le processus de restructuration risque de se trouver freiné dans les
pays du " deuxième groupe ".
On peut craindre dès lors que l'approche sélective de la
Commission ne conduise à la séparation durable des pays candidats
en deux groupes
. Or, l'Union ne devrait-elle pas avoir pour première
ambition, dans la situation actuelle, d'étendre au Centre et à
l'Est de l'Europe le processus de regroupement et de réconciliation qui
caractérise l'Europe occidentale ? L'attitude de la Commission ne
paraît pas à la mesure de l'enjeu historique de la
réunification d'un continent trop longtemps déchiré.
Est-il opportun de susciter un clivage au sein des Etats baltes, malgré
leur histoire commune et leurs efforts pour mettre en place une zone de libre
échange ? Doit-on susciter un nouveau motif de division entre la
Hongrie et la Roumanie ? Est-il souhaitable de séparer durablement
la Slovaquie de la République tchèque, et des autres Etats qui
ont longtemps appartenu avec elle à l'Empire austro-hongrois ?
Ne doit-on pas, au demeurant, considérer que les PAECO, qui -à
l'exception de la Slovénie- ont subi une même oppression pendant
près d'un demi-siècle, forment un ensemble appelant une
même approche ? L'approche de la Commission européenne semble
sous-estimer la portée proprement politique de l'élargissement
à l'Est.
Deux prises de position sont à signaler sous cet angle :
-
· la Conférence des présidents des commissions des affaires
étrangères des parlements nationaux de l'Union, du Parlement
européen et des pays candidats a donné lieu, le
1
er
octobre dernier, au communiqué suivant :
"
A la fin du débat sur l'" Agenda 2000 " et
notamment
sur la stratégie d'adhésion, la présidence luxembourgeoise
a pu résumer les interventions dans un sens favorable à
l'ouverture simultanée des négociations avec tous les pays de
l'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion ainsi
qu'avec Chypre, et ceci pour des raisons tant d'ordre politique que
psychologique. Ceci étant, tous les intervenants étaient d'accord
pour souligner qu'une telle démarche devrait se faire dans le total
respect de l'acquis communautaire et que la fin des négociations ne
saurait être déterminée que par les mérites propres
de chaque pays candidat
" ;
· le projet de résolution adopté par la commission des affaires étrangères du parlement européen (10 octobre 1997) recommande que tous les PAECO " commencent les négociations en même temps, étant entendu que le rythme de ces dernières pourra être différent en fonction de la capacité de chaque pays d'accepter l'acquis communautaire et d'assurer le plein respect des critères établis à l'occasion du Conseil européen de Copenhague " ; une exception est faite dans le seul cas de la Slovaquie " qui ne remplit pas pour l'instant les critères politiques ".
Il existe donc un fort courant pour souligner les inconvénients politiques de la différenciation et pour suggérer en conséquence que des négociations d'adhésion s'ouvrent avec tous les pays remplissant les critères politiques, l'aboutissement des négociations devant dépendre ensuite, au cas par cas, du plein respect des critères de Copenhague.
2. La réforme institutionnelle compromise ?
L'approche retenue par la Commission européenne
présente également l'inconvénient de ne pas favoriser la
réforme institutionnelle qui reste à accomplir dans la
perspective de l'élargissement compte tenu de la carence du
traité d'Amsterdam dans ce domaine.
Il est utile à cet égard de rappeler les termes du protocole sur
les institutions annexé à ce traité :
Protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne
LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES,
Article 1 A la date d'entrée en vigueur du premier élargissement de l'Union, nonobstant l'article 157, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, l'article 9, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier et l'article 126, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique, la Commission se compose d'un national de chacun des Etats membres, à condition qu'à cette date la pondération des voix au sein du Conseil ait été modifiée, soit par une nouvelle pondération des voix, soit par une double majorité, d'une manière acceptable pour tous les Etats membres, compte tenu de tous les éléments pertinents, notamment d'une compensation pour les Etats membres qui renoncent à la possibilité de désigner un deuxième membre de la Commission. Article 2
Un an au moins avant que l'Union européenne ne compte
plus de vingt Etats membres, une conférence des représentants des
gouvernements des Etats membres est convoquée pour procéder
à un réexamen complet des dispositions des traités
relatives à la composition et au fonctionnement des institutions.
|
On peut tout d'abord observer que, bien qu'ayant en principe la même valeur juridique que le traité, le protocole n'a qu'une portée contraignante très réduite :
-
- la réforme prévue à l'article 1,
c'est-à-dire la suppression du second commissaire des
" grands " Etats, est subordonnée à une modification
"
acceptable par tous
" de la pondération des
voix ;
- l'article 2 ne donne aucune indication sur les objectifs du " réexamen complet " qu'il prévoit, et ne subordonne pas clairement le passage de l'Union à plus de vingt membres à une révision institutionnelle.
-
- l'Union pourrait, dans un premier temps, accepter cinq nouveaux membres avec
une révision institutionnelle minimale : chaque pays aurait un
commissaire européen, et, par exemple, un système de
" double majorité " serait parallèlement introduit
(dans ce système, une décision doit obtenir la majorité
qualifiée avec la pondération actuelle, mais les Etats favorables
à la décision doivent en même temps représenter une
certaine proportion -par exemple 60 %- de la population de l'Union).
Aucune extension du champ des décisions à la majorité
qualifiée ne paraît devoir intervenir à ce stade, puisque
le protocole ne la mentionne pas ;
- lorsque l'Union s'apprêterait à compter plus de vingt membres, serait examinée la possibilité que (conformément aux souhaits de la France) le nombre des membres de la Commission européenne soit inférieur à celui des Etats membres, dans le cadre d'une éventuelle réforme de plus grande ampleur.
Or, la proposition de la Commission européenne d'engager, dans un premier temps, les négociations d'élargissement avec cinq Etats membres seulement semble s'inscrire dans ce schéma : l'Union n'étant pas appelée à avoir à moyen terme plus de vingt membres, l'élargissement pourrait s'accompagner d'une réforme institutionnelle minimale.
On pourrait objecter que la Commission européenne envisage en réalité des négociations avec six pays, puisqu'aux cinq PAECO retenus il convient d'ajouter Chypre. Mais, compte tenu des contraintes politiques auxquelles est soumis le processus d'adhésion de ce pays, la candidature chypriote ne paraît pas susceptible d'obliger les Etats membres à se placer d'emblée dans la perspective d'une Union de plus de vingt membres, et donc à envisager la réforme d'ensemble mentionnée par le traité d'Amsterdam.
A l'inverse, l'ouverture de négociations d'adhésion avec tous les pays candidats -ce qui, répétons-le, n'impliquerait pas de conclure ces négociations à la hâte et au même moment pour tous les pays- mettrait au premier plan l'exigence de réforme institutionnelle.
Le risque est grand que l'Union s'élargisse avec une réforme minimale de son fonctionnement, se condamnant ainsi à terme à l'impuissance. Se placer dans l'optique d'une Union de vingt-cinq membres rend, au contraire, évidente la nécessité d'un fonctionnement plus efficace, qui suppose à la fois une extension du champ des décisions à la majorité qualifiée et une pondération plus juste des voix au sein du Conseil (1( * )) .
II. LA CONFERENCE EUROPEENNE : UNE SOLUTION DE REPLI ?
Au terme de la partie du document " Agenda 2000 " consacrée au " défi de l'élargissement ", la Commission européenne souligne que " l'élargissement est un processus à long terme qui intéresse toute l'Europe " et propose de " rassembler, dans une même enceinte, les Etats membres de l'Union européenne et tous les pays européens ayant vocation à adhérer à l'Union et liés à celle-ci par un accord d'association ".
A. LA SIGNIFICATION DU PROJET
Ce projet de "
Conférence
européenne
" a été à l'origine
suggéré par le Gouvernement français. Celui-ci a
précisé sa position de la manière suivante :
" Sans faire double emploi avec d'autres organisations (Conseil de
l'Europe, OSCE, OTAN, UEO) la Conférence européenne pourrait
devenir un cadre de dialogue et de coopération entre pays
européens membres et non membres de l'Union. Elle permettrait ainsi
d'évoquer, au niveau de l'ensemble européen, les questions
transversales ainsi que les aspects relatifs à la coopération
régionale ou sub-régionale.
" La Conférence constituerait, dans ces domaines, un cadre de
dialogue et de coopération visant à encourager la synergie entre
les différents intervenants et instruments (Union européenne,
organisations multilatérales, coopérations bilatérales)
ainsi que l'échange de bonnes pratiques. Elle pourrait comporter,
à ce titre,
quatre principaux domaines d'activité
.
"
1. Les questions de politique étrangère et de
sécurité intéressant l'ensemble européen
" La Conférence permettrait d'évoquer les questions
relatives
à la stabilité et à la sécurité
du continent européen
:
" - en offrant un cadre de consultation et de dialogue sur les
principales
questions d'intérêt commun (par exemple les relations avec la
Russie ou l'architecture européenne de sécurité) ;
" - en approfondissant les dispositions actuelles sur le renforcement
du
dialogue politique, notamment en recherchant les modalités d'une plus
large association des pays non membres de l'Union à certaines actions
menées au titre de la Politique Etrangère et de
Sécurité Commune, tout en préservant son
efficacité ;
" - en encourageant les relations de bon voisinage, y compris pour les
questions relatives aux frontières et aux minorités.
" 2. La lutte contre le trafic de stupéfiants et les autres
formes de grande criminalité et l'immigration clandestine
" La lutte contre la criminalité organisée, notamment le
trafic de stupéfiants, et les filières d'immigration clandestine
figure parmi les
enjeux fondamentaux pour la stabilité de l'Europe de
demain.
Sur ces sujets, la Conférence européenne pourrait, en
cohérence avec les programmes communautaires de coopération :
" - soutenir l'amélioration du dispositif judiciaire et policier
dans les pays candidats ;
" - développer le cadre multilatéral de dialogue et de
coopération existant ;
" - favoriser les actions de lutte contre la criminalité
organisée, notamment le trafic de stupéfiants, et les
filières d'immigration clandestine ;
" 3. Le développement institutionnel et l'affirmation de l'Etat
de droit
"
En liaison avec les institutions qui concourent au
développement de l'Etat de droit
(parmi lesquelles le Conseil de
l'Europe), la Conférence européenne pourrait utilement contribuer
à :
" - la promotion d'un corps de valeurs communes, fondées sur le
renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit ;
" - l'amélioration de la capacité administrative et de
l'efficacité institutionnelle des pays candidats ;
" - l'encouragement à des échanges bilatéraux et
à des actions multilatérales menées à ce titre.
" 4. La coopération économique et les projets
d'intérêt commun
" S'agissant enfin de
l'organisation de l'espace européen
,
la Conférence européenne pourrait être un cadre pour :
" - développer la coopération dans les secteurs
transversaux: réseaux (transports, énergie), environnement,
sûreté nucléaire ;
" - harmoniser les politiques commerciales et favoriser les approches
communes à l'OMC ;
" - favoriser le développement de la coopération
économique transfrontalière mais aussi régionale ou
sub-régionale (CEFTA, Baltique, Mer Noire) ;
" - encourager les échanges en matière culturelle et
audiovisuelle ;
" - favoriser la participation à des programmes communautaires de
coopération.
"
La Conférence européenne ne serait pas une nouvelle
institution
. Il n'est nul besoin d'un nouveau traité pour fonder le
cadre d'un dialogue politique, ni d'une nouvelle structure pour lui permettre
de se tenir.
" 1. Participants
" Comme le suggère la Commission, la Conférence
européenne rassemblerait les quinze Etats-membres ainsi que tous les
pays européens ayant vocation à adhérer à l'Union
et liés à celle-ci par un accord d'association.
" 2. Calendrier
" La Conférence serait ouverte, au niveau des Chefs d'Etat et de
Gouvernement, au premier semestre 1998, immédiatement avant le lancement
des négociations d'adhésion.
" 3. Structures
" La Conférence serait organisée autour de rencontres
à plusieurs niveaux :
" - chaque année une réunion des Chefs d'Etat et de
Gouvernement et une réunion des Ministres des Affaires
étrangères et des Ministres des Affaires européennes ;
" - des réunions ministérielles spécialisées
convoquées, en tant que de besoin sur des sujets précis.
" La présidence de la Conférence pourrait être
exercée par la présidence de l'Union et assurée
conjointement par l'un des pays candidats, désigné chaque
semestre par les pays concernés. Les travaux pourraient être
préparés par un comité mixte, dont la composition serait
variable, et qui associerait tous les participants à la
Conférence. Ce comité se réunirait
régulièrement à Bruxelles. Enfin, il serait important que
la coordination des travaux de la Conférence soit légère
et associe la Présidence conjointe et la Commission. "
B. LES INCERTITUDES
Les débats du Conseil sur le projet de
Conférence européenne ont révélé certains
clivages. L'Allemagne et la Grèce ont exprimé de fortes
réticences à l'égard d'une participation de la Turquie,
craignant qu'elle ne renforce d'une certaine manière la perspective
d'une adhésion de ce pays à l'Union. Certains Etats membres et
certains pays candidats, ont, quant à eux, exprimé la crainte que
la Conférence européenne n'apparaisse comme une compensation
accordée aux pays provisoirement exclus des négociations
d'adhésion, et par là comme un encouragement et une caution
à l'approche sélective de la Commission.
On peut par ailleurs s'interroger sur l'articulation des activités de la
Conférence avec celles de l'Union européenne. Centrée sur
les domaines qui correspondent aux deuxième et troisième piliers
de l'Union, la Conférence reviendrait en effet, d'une certaine
manière, à réintroduire des mécanismes
intergouvernementaux dans les domaines où le traité d'Amsterdam
prévoit, dans un but d'efficacité, de remplacer au moins en
partie l'approche intergouvernementale par de nouveaux modes de décision
(selon le cas, " communautarisation " ou
" intergouvernementalité renforcée "). Il est vrai que
la Conférence européenne serait une enceinte plus vaste que
l'Union, mais elle comprendrait tous les membres de celle-ci. Des risques
d'interférences ne seraient donc pas à écarter si la
Conférence avait tendance à se structurer, propension
inhérente à ce genre d'organismes quelles que soient les
assurances contraires qui sont généralement prodiguées au
départ.
Par ailleurs, aucun " pendant " parlementaire à la
Conférence européenne ne semble avoir été
envisagé, alors que celle-ci couvrirait des domaines constituant des
centres d'intérêts essentiels pour les parlements. On pourrait
suggérer à cet égard qu'une association des parlements
s'effectue par le biais de la COSAC, organisme souple où sont
représentés le Parlement européen et toutes les
assemblées parlementaires des Etats membres, et où est possible
une participation appropriée des assemblées des pays candidats.
Au total, il semble que la Conférence européenne puisse certes
constituer un forum utile, favorisant un dialogue politique sur des sujets
d'intérêt commun, mais qu'elle ne peut ni ne doit apparaître
comme une " solution de repli ", rendant acceptable
l'approche
différenciatrice de la Commission en fournissant aux pays du
" deuxième groupe " un substitut à l'ouverture de
négociations d'adhésion.
III. LES TRAVAUX DU CONSEIL
Les travaux du Conseil de l'Union européenne à
partir des propositions de la Commission ont été
présentés par la présidence luxembourgeoise lors de la
COSAC des 13-14 novembre.
On trouvera ci-dessous de larges extraits du discours de M. Jean MISCHO,
Ambassadeur du Grand-Duché, qui a fait de manière
détaillée le point sur les débats du Conseil :
" (...) La préparation des décisions sur l'ouverture des
négociations d'élargissement est entrée dans sa phase
décisive. D'ici un mois, à l'occasion du Conseil européen
de Luxembourg, des 12 et 13 décembre, les chefs d'Etat et de
Gouvernement devront prendre une série de décisions dont la
complexité est à la mesure du caractère historique des
événements.
" L'élargissement signifie la formidable victoire de
l'idée européenne
. L'idée européenne a
d'abord constitué, pour les pays fondateurs des Communautés, une
réponse aux déchirements terribles qu'a connus notre continent
pendant ce siècle. Elle représente également aujourd'hui
la meilleure perspective d'avenir pour les pays d'Europe centrale après
la guerre froide qui a si cruellement divisé l'Europe.
" Nous avons aujourd'hui une tâche difficile mais
enthousiasmante : réconcilier définitivement les peuples du
continent européen dans la paix, la solidarité, la
démocratie et le progrès économique et social.
" L'élargissement représente une chance unique, non
seulement pour consolider la paix et la démocratie, mais aussi pour
fournir à l'économie européenne ce potentiel d'expansion
dont elle a besoin pour retrouver une croissance durable et pour nous
rapprocher du plein emploi.
" La Présidence luxembourgeoise est fermement engagée
à mettre en route ce grand projet.
" L'Europe a en effet un rendez-vous historique avec elle-même.
" Le processus d'élargissement est désormais
irréversible.
" Sur la base des conclusions des Conseils européens de Copenhague,
de Essen, de Madrid et de Florence le
plan de route
menant à
l'élargissement futur a été tracé : les pays
ont été déterminés (ceux ayant signé un
accord d'association avec l'UE), les conditions politiques et
économiques fixées, le cadre de pré-adhésion
défini et un calendrier esquissé (six mois après la
clôture de la CIG) (...)
" Le Conseil européen d'Amsterdam a chargé le Conseil
"Affaires générales"
d'examiner en détail les avis
de la Commission ainsi que l'Agenda 2000 et de présenter un rapport
détaillé au Conseil européen de Luxembourg. Ce rapport
devrait lui permettre d'adopter certaines orientations générales
sur l'ensemble du processus d'élargissement, mais surtout de prendre les
décisions nécessaires en ce qui concerne les modalités
pratiques de la phase initiale des négociations et le renforcement de la
stratégie de pré-adhésion de l'Union.
" Vous comprenez, Mesdames, Messieurs, que
je ne veux pas
préjuger le résultat
même du Conseil européen.
Mais je souhaite néanmoins rappeler un certain nombre de
principes
qui marqueront sans aucun doute cette décision. Les
débats d'orientation générale que le Conseil a tenus le
15 septembre, le 6 octobre, le 25 octobre ainsi que le
10 novembre, sur l'ensemble du processus d'élargissement lui ont
permis d'identifier les éléments politiques essentiels qui
nécessitent encore un examen plus approfondi dans la perspective du
rapport que le Conseil est appelé à présenter au Conseil
européen.
" A ces occasions le Conseil a encore une fois souligné la nature
globale et inclusive que devrait revêtir ce processus
d'élargissement qui concerne tous les candidats. Je le
répète, chacun des onze pays candidats fera partie du processus
qui s'ouvrira au début de l'année prochaine.
" Tous les gouvernements des Etats membres sont en faveur d'un
scénario inclusif, évolutif, objectivisé et
personnalisé.
" Les ministres ont clairement exprimé leur attachement au
principe de l'égalité
des pays candidats.
L'égalité des chances
sera à la base de tout le
processus d'élargissement ; le seul critère
déterminant pour l'accession devra être le
progrès
accompli
par le pays candidat.
" La question de savoir de quelle façon débuteront les
négociations est encore ouverte et appartient en définitive au
Conseil européen. Comme vous le savez, la Commission a proposé de
commencer des négociations proprement dites avec
certains
candidats dans un
premier temps
. Mais la Commission se propose
également de
revoir sur une base annuelle l'état
d'avancement
des préparations à l'adhésion dans chaque
pays candidat et de proposer, le cas échéant, l'ouverture des
négociations.
"
Cela n'est
qu'une des possibilités
que nous
examinons à l'heure actuelle. L'autre branche de l'alternative serait de
commencer
les négociations
avec tous les candidats
à l'adhésion en même temps. C'est le modèle de la
"common starting line".
" Je ne vous révèle rien de nouveau en disant qu'au sein du
Conseil il y a des partisans pour chaque modèle. Le débat doit
encore être approfondi
car
la décision que les chefs d'Etat
et de gouvernement auront à prendre à Luxembourg ne sera pas
facile.
" Il demeure en tout état de cause, et quelle que soit la
décision finalement prise à Luxembourg en décembre, que la
stratégie de l'élargissement de l'Union doit être et sera
un
processus d'inclusion et non d'exclusion.
L'égalité de traitement
est assurée moyennant
l'application de
critères objectifs
, valables pour tous.
" La rapidité du processus de négociation sera fonction des
particularités de la situation de chaque pays et des
efforts
supplémentaires qu'il sera disposé à fournir
pour se
mettre en position d'adhérer à l'Union européenne. (...)
Je tiens à souligner ici que, même si nous en venions à
décider de commencer les négociations avec seulement certains des
candidats, cela ne veut pas dire que ces pays seront automatiquement les
premiers à adhérer. La logique d'un processus personnalisé
et objectivisé implique qu'un pays qui aura atteint un certain niveau
d'intégration sera invité à négocier et que la date
d'adhésion dépend avant tout de critères objectifs. Il
n'est dès lors pas exclu que tel pays avec lequel les
négociations ont commencé plus tard puisse néanmoins
adhérer plus rapidement que tel autre.
Il serait donc absolument faux de parler du premier groupe et d'un
deuxième groupe de pays. Il
n'y a pas de groupe
;
chaque
candidature est examinée en fonction de ses
mérites propres
.
" Avant que les premières adhésions n'aient lieu il reste
beaucoup de travail à faire.
" Les avis de la Commission relèvent que tous les pays ont
déployé des efforts considérables pour remplir les
critères économiques et ceux tenant à la transposition de
l'acquis communautaire. Cependant, la Commission indique également que
pour l'instant,
aucun des candidats n'est véritablement prêt
à mettre en oeuvre cet acquis.
Chacun
doit donc encore
faire des efforts
. La liste minimale des actes législatifs
indispensables pour participer au marché intérieur est de 892.
Encore ne suffit-il pas de voter ces lois, mais il faut aussi les mettre en
oeuvre sur le plan pratique.
" De plus, l'acquis communautaire n'est pas un concept statique. J'en
veux
pour preuve le nouveau Plan d'Action en faveur du marché unique
présenté par la Commission lors du Conseil européen
d'Amsterdam. L'achèvement du marché unique est en effet un
processus dynamique qui demande de la part des Etats membres des efforts
continus. L'acquis évolue rapidement dans des domaines tels que
l'environnement ou la société de l'information.
" A cet égard l'idée de la Commission de faire des
fiches
individuelles
pour guider chaque pays candidat dans ses
efforts
de
reprise de l'acquis communautaire dans le domaine du marché
intérieur est très intéressante. Une telle fiche, ou "road
map" dans le vocabulaire de la Commission, décrirait la situation
actuelle dans le pays et fixerait les
priorités
. Elle
établirait aussi un calendrier global pour la transposition des
règles du Marché Intérieur. Ainsi chaque pays candidat
saura exactement ce qui lui reste à faire.
" La
date d'ouverture
des négociations ne sera en effet
qu'une des modalités
du processus d'adhésion. A
côté de cela il y a d'autres éléments comme en
particulier la
stratégie de pré-adhésion
renforcée
, qui impliquera un effort d'assistance important de
l'Union afin de mettre tous les pays candidats en position d'adhérer
à terme à l'Union européenne.
" Vous savez que depuis le Conseil Européen d'Essen en
décembre 1994 l'Union a mis en oeuvre une
stratégie de
pré-adhésion
ayant pour objet de
rapprocher
davantage
les pays ayant signé un accord d'association avec l'Union
Européenne. Je n'ai pas besoin de vous en rappeler les
éléments constitutifs.
" Mais maintenant, comme le Ministre des Affaires étrangères
du Luxembourg, Monsieur Jacques POOS, a pu le déclarer devant le
Parlement européen, le Conseil devra porter une attention toute
particulière à la définition d'une stratégie de
pré-adhésion
renforcée
dont l'objectif est
l'adhésion à terme de tous les pays candidats faisant l'objet des
avis de la Commission. Nous veillerons à ce que les pays candidats
sentent que leur
vocation à l'adhésion
est
fermement
acquise
et que la discussion porte uniquement sur le moment auquel cette
vocation pourra se concrétiser (...).
" Lors de sa réunion de
lundi dernier
, 10 novembre
1997, le Conseil, sur la base d'un rapport de la présidence, a
marqué son
accord
sur les
éléments
constitutifs
de cette stratégie renforcée, étant
entendu que les
aspects financiers
pour la période 2000-2006
restent ouverts et seront précisés dans le contexte plus
général des discussions sur le nouveau cadre financier de l'Union
proposé dans l'Agenda 2000.
" Quels sont ces éléments constitutifs ?
" Ensemble avec les "
accords européens
" qui
demeurent la
base des relations de l'Union avec les pays candidats, la stratégie
renforcée s'articule autour des trois éléments
suivants :
" - de l'aide pré-adhésion;
" - des partenariats pour l'adhésion;
" - de la participation aux programmes communautaires et aux
mécanismes de mise en oeuvre de l'acquis communautaire.
" En ce qui concerne l
'aide
à la pré-adhésion,
outre le programme PHARE
, celle-ci comporterait, selon la Commission,
deux éléments supplémentaires à partir de l'an
2000 :
" - une aide au développement agricole;
" - une
aide structurelle
dont l'objectif premier sera d'aider
les
pays candidats à se rapprocher des normes communautaires en
matière
d'infrastructures, notamment
et par analogie avec les
interventions actuelles du Fonds de Cohésion, dans les domaines des
transports et de l'environnement
.
" Summa summarum, entre l'an 2000 et l'an 2006, la Commission a
prévu un véritable Plan Marshall pour les PECO, d'un montant de
75 milliards d'ECU
en tant qu'aides pré-adhésion et
en vue de l'intégration des nouveaux Etats membres dans les politiques
communautaires.
" Cette aide restera d'ailleurs constante tout au long de la
période sous considération.
" La Commission propose d'autre part des partenariats pour
l'adhésion. Ce
nouvel
instrument constituerait l'axe essentiel de
la stratégie
renforcée
en
mobilisant toutes les formes
d'assistance
aux pays candidats d'Europe centrale et orientale, dans un
cadre unique, pour la mise en ouvre de programmes nationaux de
préparation à leur statut de membre de l'Union. (...)
" Il est acquis que le partenariat pour l'adhésion s'articulera
autour :
" - d'engagements précis de la part de l'Etat candidat, en
particulier sur la démocratie, la stabilisation macro-économique,
la sûreté nucléaire et un programme national de reprise de
l'acquis communautaire, soumis à un calendrier précis et
axé sur les domaines prioritaires constatés dans chaque
avis ;
" - d'une mobilisation de tous les moyens disponibles de la
Communauté pour la préparation des Etats candidats à
l'adhésion. Il s'agirait tout d'abord du
programme PHARE
, mais
aussi des
nouvelles formes d'aide
que pourrait dégager la
Communauté dans le cadre des futures perspectives financières.
" Il me paraît important de consacrer, comme le propose la
Commission une part substantielle de moyens au financement des investissements
dans des domaines tels que l'environnement et les transports. La
sûreté nucléaire
mérite une attention
particulière, car l'Union a le devoir de protéger la vie et la
santé de ses citoyens, présents et futurs en coordination,
également avec les institutions financières internationales.
" Le programme d'adoption de l'acquis communautaire sera défini
avec la Commission dans le cadre d'une relation de partenariat avec chaque pays
candidat. Les priorités retenues devraient dans un premier temps
correspondre aux secteurs recensés comme déficients dans les
avis. La poursuite des objectifs fera l'objet d'un calendrier
prévisionnel. L'octroi de l'assistance -sur la base de conventions de
financement annuelles- sera subordonné à la réalisation de
ces objectifs et à l'état d'avancement des programmes en cours.
L'exécution du programme sera ainsi soumise à une stricte
"conditionnalité de l'adhésion" reposant sur des
mécanismes adaptés d'évaluation et un dialogue permanent
avec la Commission.
" La Commission fera rapport annuellement au Conseil européen sur
les progrès constatés. Le premier rapport sera soumis à la
fin de 1998. Le rapport sera établi sur la base des progrès
accomplis par les pays candidats dans la réalisation des objectifs
fixés par chacun des partenariats pour l'adhésion. Lorsqu'un pays
candidat sera considéré comme remplissant les conditions requises
pour que des négociations d'adhésion soient ouvertes mais que
celles-ci ne l'ont pas encore été, la Commission adressera une
recommandation au Conseil en vue de l'ouverture de négociations.
(...).
CONCLUSION
L'effort de réflexion mené par la Commission
européenne dans le document " Agenda 2000 " est remarquable
par son ampleur et son souci prospectif. Mais les conclusions concernant
l'ouverture de négociations d'adhésion avec les PAECO paraissent
critiquables. On comprend certes le souci de la Commission d'adopter une
approche réaliste, offrant davantage de chances de réaliser
l'élargissement sans obérer les finances de l'Union et en
préservant l'essentiel des politiques communes. Cette approche
gestionnaire est-elle cependant à la hauteur de l'enjeu historique que
constitue l'élargissement à l'Est ? Il y a quelques
années encore, la division de l'Europe en deux blocs entraînait,
outre un risque toujours présent de conflits, des coûts
considérables de tous ordres. De nouvelles lignes de partage ne seraient
vraisemblablement pas non plus sans conséquences négatives. On
doit garder à l'esprit de telles données lorsqu'il s'agit de
mesurer le " coût de l'élargissement ".
L'approche sélective préconisée par la Commission
présente de lourds inconvénients politiques et psychologiques.
Par ses conséquences économiques et financières, elle
pourrait susciter un clivage durable et en partie artificiel entre les pays
candidats. En même temps, elle risque de conduire à une situation
où l'élargissement s'accompagnerait d'une réforme
institutionnelle minimale, n'assurant pas le surcroît d'efficacité
nécessaire pour éviter la paralysie et la dilution.
Les débats qui se sont déroulés dans différentes
enceintes parlementaires et interparlementaires ont permis aux critiques de
l'approche différenciatrice de trouver un large écho.
Au sein du Conseil des ministres, si une majorité semble approuver la
démarche de la Commission, la conscience des risques politiques qu'elle
comporte semble s'être renforcée au fil des réunions.
Pour votre rapporteur, une ouverture simultanée des négociations
avec tous les PAECO serait la solution comportant au total le moins de
conséquences négatives, et en même temps la plus favorable
à la réalisation d'une réforme institutionnelle permettant
à une Union élargie de conserver son efficacité. Une telle
approche n'impliquerait nullement que les négociations se
déroulent dans la précipitation et se concluent à la
même date pour tous les candidats. Donner un même point de
départ à tous est au contraire la meilleure formule pour traiter
de manière personnalisée chaque candidature. Il ne doit pas y
avoir un élargissement " à deux vitesses ", mais au
contraire avec autant de vitesses que de pays candidats.
EXAMEN EN DELEGATION
La délégation s'est réunie le 20 novembre
1997, sous la présidence de
M. Jacques Genton
, pour l'examen du
présent rapport.
M. Nicolas About
a rappelé que la décision de principe
concernant l'élargissement de l'Union aux pays associés d'Europe
centrale et orientale (PAECO) avait été prise à
Copenhague, en juin 1993, par le Conseil européen qui avait en
même temps décidé que les pays candidats devraient
répondre à certains critères : des institutions
démocratiques stables, l'existence d'une économie de
marché viable, la capacité de faire face à la pression
concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de
l'Union, la capacité à assumer les obligations de l'Union, et
notamment de souscrire aux objectifs de l'union politique, économique et
monétaire.
Le Conseil européen, a-t-il ajouté, a ultérieurement
décidé que les négociations d'adhésion
s'ouvriraient six mois après la conclusion de la Conférence
intergouvernementale. Les pays candidats sont tout d'abord les dix pays
associés d'Europe centrale et orientale : la Bulgarie, l'Estonie, la
Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République
tchèque, la Roumanie, la Slovaquie. la Slovénie. Ces dix pays
sont tous signataires d'" accords européens " avec l'Union,
qui prévoient une libéralisation progressive des échanges
et une aide financière dans le cadre du programme PHARE. La
onzième candidature est celle de Chypre ; des négociations vont
s'ouvrir avec ce pays, mais son adhésion suppose de trouver une solution
au problème politique de la division de l'île en deux zones, dont
l'une est occupée par la Turquie. Enfin, la douzième candidature
est celle de la Turquie : très ancienne, elle n'est cependant
toujours pas d'actualité pour des raisons politiques, économiques
et démographiques.
Après avoir indiqué que toute adhésion à l'Union
supposait l'unanimité des Etats membres, l'avis conforme du Parlement
européen et l'approbation de chaque parlement national, M. Nicolas About
a rappelé que la Commission européenne avait rendu dès cet
été son avis sur les différentes demandes
d'adhésion. Ses conclusions, a-t-il précisé, sont les
suivantes :
- la Commission propose d'ouvrir des négociations avec cinq PAECO sur
dix : l'Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et
la Slovénie ; elle précise que la situation des autres PAECO sera
réexaminée chaque année ;
- la Commission rappelle que la décision d'ouvrir des
négociations avec Chypre a déjà été prise
par le Conseil européen ;
- tout en réaffirmant l'" éligibilité " de la
Turquie à l'adhésion à l'Union européenne, la
Commission ne propose pas d'ouvrir des négociations d'adhésion
avec ce pays ;
- enfin, la Commission propose la mise en place d'une " Conférence
européenne " réunissant les Etats membres de l'Union et tous
les pays européens ayant vocation à adhérer à
l'Union et liés à elle par un accord d'association, dans le but
de " procéder à des consultations sur un large
éventail de questions qui se posent dans les domaines de la PESC et de
la coopération judiciaire et policière. "
M. Nicolas About
a estimé que la Commission avait certes
sélectionné les cinq pays les plus aptes à adhérer,
mais que le choix de la différenciation ne paraissait pas parfaitement
étayé. La Commission elle-même, a-t-il poursuivi,
reconnaît qu'aucun des pays ne remplit véritablement les
critères économiques d'une adhésion. Si elle retient
cependant certaines candidatures, c'est qu'elle se place " en
tendance ". Or, si l'on adopte une attitude de type prospectif, il est
difficile de tracer une frontière nette entre certains des pays
acceptés et certains des pays refusés.
Par ailleurs, a-t-il ajouté, le choix de retenir cinq pays seulement
parmi les dix pays de l'Est candidats présente de graves
inconvénients. Certes, la Commission européenne s'est
démarquée de l'OTAN en retenant les candidatures de l'Estonie et
de la Slovénie, et pas seulement celles de la Pologne, de la Hongrie et
de la République tchèque. Mais sa logique reste celle d'une
sélectivité pouvant conduire à la formation de nouveaux
clivages en Europe. Une telle approche risque d'avoir des effets
négatifs. Dans les pays du " deuxième groupe ", les
populations qui ont subi d'importants sacrifices en raison du processus de
restructuration économique risquent de considérer que ces efforts
ont été consentis en vain, ce qui pourrait entraîner des
conséquences politiques dommageables. Du point de vue économique,
l'écart risque de se creuser, au lieu de se réduire, entre les
deux groupes de pays, car les pays engagés dans les négociations
d'adhésion auront des chances bien plus grandes d'attirer les
investissements directs étrangers et seront appelés en pratique
à bénéficier d'aides plus importantes de la part de
l'Union, tandis que le processus de restructuration risque de se trouver
freiné dans les pays du " deuxième groupe ". On peut
craindre dès lors que l'approche sélective de la Commission ne
conduise à la séparation durable des pays candidats en deux
ensemble distincts. Or, la raison d'être de l'élargissement
à l'Est est principalement politique : une démarche qui
crée de nouvelles lignes de partage paraît donc inadaptée.
Mieux vaudrait, a-t-il conclu sur ce point, ouvrir des négociations avec
tous les PAECO, étant entendu qu'elle dureraient beaucoup plus longtemps
avec certains pays qu'avec d'autres : de cette manière, serait
évitée l'apparition d'une coupure politique entre les pays
candidats. L'aboutissement des négociations dépendrait ensuite,
au cas par cas, du plein respect des critères de Copenhague.
Puis
M. Nicolas About
a estimé que l'approche retenue par la
Commission européenne présentait également
l'inconvénient de ne pas favoriser la réforme institutionnelle
qui reste à accomplir dans la perspective de l'élargissement,
compte tenu de la carence du traité d'Amsterdam dans ce domaine. Le
protocole sur les institutions annexé à ce traité permet,
a-t-il souligné, d'élargir l'Union jusqu'à ce qu'elle
compte vingt membres tout en ne procédant qu'à une
révision institutionnelle minimale. Or, la proposition de la Commission
européenne d'engager, dans un premier temps, les négociations
d'élargissement avec cinq PAECO seulement semble s'inscrire dans un tel
schéma. Mais comment une Union de vingt membres, où le poids
des " petits " pays serait plus grand qu'aujourd'hui,
pourrait-elle
réussir la réforme qui n'a pu être mebée à
bien à Amsterdam ? A l'inverse, a-t-il ajouté, l'ouverture de
négociations d'adhésion avec tous les pays candidats -ce qui
n'impliquerait pas de conclure ces négociations à la hâte
et au même moment pour tous les pays- mettrait au premier plan l'exigence
de réforme institutionnelle.
Concluant son propos,
M. Nicolas About
a estimé qu'une ouverture
simultanée des négociations avec tous les PAECO serait la
solution comportant au total le moins de conséquences négatives,
et en même temps la plus favorable à la réalisation d'une
réforme institutionnelle permettant à une Union élargie de
conserver son efficacité.
M. Denis Badré
, après avoir exprimé son
intérêt pour la démarche du rapporteur, a formulé la
crainte que, après avoir longtemps affirmé que
l'élargissement supposait une réforme institutionnelle et que
tous les pays candidats devaient figurer sur la ligne de départ, la
France n'accepte insidieusement de s'engager dans un schéma
opposé. Puis il a évoqué les principaux dossiers de
l'élargissement. Celui-ci, a-t-il souligné, doit s'effectuer sans
aggravation de la charge budgétaire, qui a atteint le " seuil de
tolérance " dans le cas de certains pays contributeurs. La
réforme de la PAC, a-t-il poursuivi, est présentée dans un
contexte favorable de cours mondiaux élevés ;
l'intégration des agricultures des PAECO ne pose pas de problème
économique et financier insurmontable, puisque les prix agricoles, dans
ces pays, se trouvent en-dessous des cours mondiaux ; le problème
principal semble être plutôt le respect des normes sanitaires. La
réforme de la politique de cohésion, a-t-il ajouté,
constitue un enjeu plus lourd ; elle impose une réflexion sur ce qui
peut être renationalisé et ce qui doit continuer à relever
de l'Union au titre de l'effort de cohésion.
M. Michel Barnier
a souhaité compléter les observations du
rapporteur sur le degré de préparation de certains pays : la
Pologne, a-t-il souligné, dont le poids dans l'Union élargie sera
important, a encore d'importantes adaptations à accomplir dans certains
domaines ; en revanche, la Hongrie et surtout la Slovénie sont
très proches de la capacité à s'intégrer à
l'Union. Puis il a estimé nécessaire que le Parlement
français manifeste clairement sa volonté, dès le
débat de ratification du traité d'Amsterdam, de ne pas accepter
de nouvelle adhésion sans une réforme institutionnelle
préalable. Il ne s'agit pas, a-t-il ajouté, de bloquer les
négociations d'adhésion ; celle-ci seront longues et
laissent un délai suffisant pour procéder à une
réforme dont les termes sont bien connus : une Commission
resserrée, une extension du vote à la majorité
qualifiée, une nouvelle pondération des votes. En
réalité, il existe une large majorité parmi les Etats
membres en faveur de l'élargissement, tandis que seule une
minorité d'entre eux veut une révision institutionnelle. Il
convient donc de placer les Etats membres favorables à
l'élargissement devant leurs responsablités, en leur indiquant
clairement qu'il ne peut y avoir d'élargissement sans réforme.
M. Nicolas About
demandant comment il serait possible de formuler cette
conditionnalité sans pour autant sembler méconnaître les
aspirations légitimes des PAECO à adhérer à
l'Union,
M. Michel Barnier
a estimé qu'une solution pourrait
être trouvée à l'occasion du débat de ratification
du traité d'Amsterdam. Puis il a exprimé son attachement au
projet de " Conférence européenne ", d'origine
française.
M. Christian de La Malène
a mis l'accent sur le lien entre les
différents problèmes que sont l'élargissement, la
révision institutionnelle, la réforme du financement de l'Union,
les réformes de la PAC et des fonds structurels. Des négociations
concernant ce groupe de problèmes ne pourront être bien conduites
qu'en dégageant des priorités : chercher à gagner sur tout
serait se condamner à ne gagner sur rien. La révision
institutionnelle doit-elle être la priorité de la France ? Cela
aurait nécessairement un coût dans les autres domaines de la
négociation.
Puis, il a souligné la portée historique du processus
d'élargissement, face à laquelle la demande de
réforme institutionnelle risque de ne pas peser lourd. Il s'est
demandé dans quelle mesure la menace de bloquer l'élargissement
au nom de l'approfondissement pouvait être crédible. Concluant son
propos, il a à son tour regretté que des négociations
d'élargissement ne s'ouvrent pas avec tous les pays candidats : la
Commission européenne, a-t-il estimé, a
préféré pouvoir mettre en avant un groupe de pays, pour
s'en servir comme d'un levier dans son entreprise de réforme de la PAC
et des fonds structurels.
M. Michel Barnier
est intervenu pour réaffirmer l'importance
centrale des questions institutionnelles, qui conditionnent le fonctionnement
de toutes les politiques communes.
M. Michel Caldaguès
a estimé que les institutions
communautaires avaient considérablement tardé à prendre la
mesure des conséquences de la fin de la guerre froide, et que l'approche
sélective adoptée par la Commission européenne
témoignait de la persistance de cette myopie. Distinguer deux groupes
dans les pays candidats, a-t-il estimé, est une erreur politique. La
France commettrait une erreur du même ordre, a-t-il poursuivi, en
prétendant subordonner à une réforme institutionnelle la
mise en oeuvre de l'élargissement : on ne peut dire à des pays
émergeant de quarante années de domination soviétique que
leur candidature ne peut être acceptée parce que les tentatives de
réformer les institutions de l'Union n'aboutissent pas. Mieux vaut,
a-t-il conclu, aborder la question de la réforme institutionnelle avec
plus de prudence et de souplesse.
M. James Bordas
a regretté que l'approche de la Commission
européenne conduise à reporter les difficultés et
finalement à entretenir une incertitude préjudiciable aux pays
candidats. Il a souligné la nécessité d'adresser aux pays
candidats un message clair, de nature à leur redonner confiance, et a
souhaité que la délégation prenne position en ce sens.
M. Robert Badinter
a estimé que l'élargissement
était déjà fait dans les esprits. Son principe
étant acquis, il paraît peu réaliste de vouloir faire de la
révision des institutions une condition stricte de toute nouvelle
adhésion. Le choix de la Commission européenne de ne retenir que
certains pays, a-t-il poursuivi, peut sans doute paraître discutable : il
en est ainsi pour tout examen de passage ; mais, là également, on
a le sentiment que, dans les esprits, les jeux sont déjà faits.
L'Union, a-t-il conclu, dispose d'un délai pour réaliser la
réforme institutionnelle : la France doit chercher à le mettre
à profit, en présentant cette réforme non comme un
préalable pouvant compromettre l'élargissement, mais plutôt
comme une exigence de raison.
M. Denis Badré
, évoquant un entretien récent avec
le président du parlement lituanien, a souligné que la
séparation des pays candidats en deux groupes aurait des
conséquences économiques négatives sur les pays du
" deuxième groupe ", qui seraient délaissés par
les investisseurs étrangers. Puis, reconnaissant que le processus
d'élargissement était irréversible, il a estimé
qu'il n'en était que plus nécessaire de réfléchir
sur les moyens d'empêcher qu'il ne se traduise par une dilution de
l'Union. Il a souhaité que la délégation organise un
débat à ce sujet.
M. Nicolas About
a, à son tour, souligné le
caractère historique du processus d'élargissement et a
estimé qu'il rendait d'autant plus discutable l'approche
sélective de la Commission, la ligne de partage introduite au sein des
Etats baltes paraissant à cet égard particulièrement
critiquable.
M. Jacques Genton
a souhaité qu'une question orale
européenne avec débat sur l'élargissement soit inscrite au
début de l'année prochaine à l'ordre du jour du
Sénat. Puis, la délégation a décidé
d'autoriser la publication du rapport d'information.
(1) Voir le rapport ( n°228, 1996) de M. Denis
Badré, au nom de la délégation du Sénat pour
l'Union européenne, sur " Les conséquences
économiques et budgétaires de l'élargissement à
l'Est "
(1) Voir le rapport n° 348 (1996-1997) de M. James BORDAS, au
nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne, sur " la réforme des institutions
européennes : champ des décisions à la
majorité qualifiée et pondération des votes ".