ANNEXE II
AUDITION DE M. MARIO MONTI, COMMISSAIRE
EUROPÉEN
CHARGÉ DE LA FISCALITÉ
SÉANCE DU JEUDI 2
OCTOBRE 1997
M. Christian Poncelet, président, a salué
la volonté de dialogue du commissaire européen et souligné
le souci de la commission des finances de voir définies, dès
à présent, les conditions de la réussite de l'euro, parmi
lesquelles figure une approche cohérente des problèmes de
fiscalité dans l'Union européenne.
Après avoir rappelé que le marché unique constituait
l'axe central de l'intégration européenne que l'euro allait
encore renforcer, M. Mario Monti a indiqué que le rôle des
finances publiques comme instrument de politique économique sortirait
accru de l'unification monétaire. Toutefois, a-t-il estimé, se
produirait dans le même temps une intensification des tensions subies par
les systèmes fiscaux, les écarts entre Etats membres devenant
plus visibles et les tentations de faire jouer la concurrence fiscale
s'accentuant. Il en a conclu qu'il était impératif de
maîtriser la concurrence fiscale afin, en particulier, d'éviter
ses effets nocifs en termes de "déformation" des systèmes
fiscaux. Ayant estimé que la frontière entre une concurrence
fiscale saine et une concurrence fiscale dommageable était floue, il a
souligné que les phénomènes de délocalisations
indues et de surtaxation du travail qui, d'ores et déjà, en
étaient résultés, avaient exercé des effets
négatifs. Il a illustré son propos en précisant qu'entre
1981 et 1995, le taux implicite de prélèvement sur le facteur
immobile qu'est le travail avait crû de 34,9 à 42 %, tandis
que ce même taux était passé, pour les autres facteurs, de
45,5 à 35 % et que 4 points du taux de chômage
européen, qui s'élève à 10,6 %, pouvaient
s'expliquer par ce phénomène de distorsion fiscale.
M. Mario Monti a alors rappelé que les progrès
réalisés dans l'atténuation des distorsions fiscales au
sein de l'Union européenne, avaient été, jusqu'à
présent, très modestes, mais que le Conseil Ecofin du
13 septembre dernier, ainsi que la plus récente réunion du
groupe de politique fiscale, qui réunit des représentants
personnels des ministres des finances sur ce sujet, avaient permis des
avancées significatives. Il a énuméré les quatre
éléments principaux contenus dans la communication du groupe de
politique fiscale adoptée le 1er octobre, soit :
- l'instauration d'un code de bonne conduite visant à la
suppression de la concurrence fiscale dommageable en matière
d'imposition des entreprises via un système d'informations mutuelles sur
les régimes fiscaux dérogatoires, et l'instauration d'un gel de
ces régimes, prélude à leur
démantèlement ;
- le maintien d'un niveau minimum d'imposition de l'épargne des
non-résidents ;
- la suppression des retenues à la source sur les paiements
transfrontaliers d'intérêts et de redevances afin
d'éliminer les entraves au développement des échanges et
opérations transfrontaliers dans la perspective de l'achèvement
du marché unique ;
- l'aménagement de certaines mesures concernant les impôts
indirects à travers une réforme du statut du comité de la
TVA, des mesures dans le domaine de la fiscalité indirecte des
transports de passagers et de l'énergie et une amélioration du
programme FISCALIS.
Ayant jugé que la voie choisie permettait de concilier les contraintes
de la règle de vote à l'unanimité au sein du Conseil et la
volonté exprimée par les Etats membres d'améliorer la
coordination fiscale dans le respect du principe de subsidiarité, il
s'est alors attaché à présenter les initiatives prises par
la commission en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
A ce propos, M. Mario Monti a rappelé que le programme d'action
adopté en juillet 1996 visait à ce que soit introduit un
système commun de TVA fondé sur la taxation dans le pays
d'origine à l'horizon de la fin de l'année 1999. Puis, il a
énoncé les trois priorités retenues pour l'heure par la
commission européenne :
- l'amélioration des conditions d'application du système
actuel grâce à un renforcement de la coopération entre les
administrations fiscales nationales que devrait favoriser la modification du
statut du comité TVA, et le renforcement du programme FISCALIS ;
- la modernisation du système actuel lui-même avec, en
particulier, une meilleure taxation des services internationaux tels que les
télécommunications ou le commerce électronique et la mise
en oeuvre de dispositions permettant de contrer une évolution
jurisprudentielle inquiétante au terme de laquelle le champ
d'application de la taxe s'était trouvé excessivement
réduit.
Il a cependant tenu à rappeler qu'un changement de système
continuait de s'imposer, estimant que la logique même du système
en vigueur était à la base des problèmes de collecte,
alors que le système à venir devrait, grâce à
l'unicité du lieu de collecte et de dégrèvements,
autoriser un meilleur contrôle des opérations taxables.
Un large débat s'est alors instauré.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a tout d'abord
souligné les inquiétudes éprouvées par les
Etats-membres devant le phénomène d'érosion fiscale et
souhaité recueillir les explications apportées par la commission
européenne à ce phénomène. Puis, il s'est
demandé quels seraient les effets de l'euro sur la concurrence dans le
marché intérieur, s'interrogeant sur la compatibilité d'un
marché monétairement intégré avec le maintien
d'écarts fiscaux significatifs. Il a également souhaité
savoir quelles observations la commission formulait sur l'évolution
moyenne de la fiscalité sur les entreprises et l'épargne en
Europe, et si les projets de prélèvement à la source sur
l'épargne avaient évolué. Enfin, il s'est
inquiété des effets du nouveau régime de TVA sur la
fraude, et a souhaité que le commissaire européen donne à
la commission les grandes lignes de ce qui, à ses yeux, constituerait un
système fiscal favorable à l'emploi.
En réponse, M. Mario Monti a estimé que l'érosion
fiscale provenait partiellement du développement de l'économie
souterraine, lui-même issu pour beaucoup de l'intensité de la
pression fiscale, mais que la concurrence fiscale entre Etats-membres, jeu
à somme non nulle, et, dans les faits, négative, l'expliquait
également. Puis, il a considéré que l'achèvement du
marché intérieur par la mise en oeuvre d'une monnaie unique se
traduirait par une convergence fiscale, mais que des écarts
résiduels pourraient perdurer, les coûts de transaction subsistant
pour de nombreux biens. Il a observé que la tendance était en
Europe à une baisse de la fiscalité sur les entreprises qui
devenaient de plus en plus mobiles, indiquant malgré ce constat que la
commission n'avait pas actuellement pour projet de suggérer
l'instauration d'un taux minimum de l'impôt sur les
sociétés. En revanche, a-t-il précisé, la
commission est déterminée à éliminer les
régimes spéciaux préférentiels exorbitants. Il a
considéré que l'instauration d'un régime fiscal favorable
à l'emploi supposait qu'un certain degré de coordination fiscale
se manifeste pour aboutir à une répartition des
prélèvements moins pénalisante pour le travail. Il a
ajouté qu'à titre personnel, il entendait suggérer que les
Etats membres soient autorisés à mettre en oeuvre des
expérimentations comportant une taxation réduite d'un certain
nombre d'activités de services à fort contenu en main-d'oeuvre.
M. Denis Badré s'est demandé si, compte tenu de
l'importance de la part de la TVA dans les recettes des Etats, il ne convenait
pas de "sanctuariser" ces recettes jusqu'à ce que la convergence
réelle des Etats soit assurée.
Il a souhaité obtenir des précisions sur les mesures
envisagées pour améliorer le régime transitoire de TVA
sous l'angle de la réduction des distorsions de concurrence et des
fraudes. Enfin, il a interrogé le commissaire européen sur
l'appréciation qu'il portait sur la coopération entre les
administrations fiscales nationales.
M. Philippe Marini a jugé essentiel que soit précisé
le calendrier d'action de la commission en matière de coordination
fiscale et s'est interrogé sur le devenir du projet concernant la
société de droit européen.
Mme Maryse Bergé-Lavigne s'est demandé de quelles contraintes
serait assorti le code de bonne conduite évoqué par le
commissaire et quel serait l'avenir des zones franches dans le contexte du
processus d'harmonisation fiscale.
M. Emmanuel Hamel ayant estimé que les Etats avaient
successivement perdu leur souveraineté budgétaire et leur
souveraineté monétaire, a considéré que la
coordination fiscale allait réduire leur pouvoir fiscal.
M. Maurice Schumann a tout d'abord contesté que l'espace
économique européen ait eu des effets favorables sur l'emploi,
puis a mis en doute l'idée que l'adoption de l'euro renforcerait la
cohérence de cet espace, faisant valoir qu'à son terme celui-ci
se trouverait, de fait, scindé entre les pays participants à
l'euro et les autres. Il a enfin souligné les graves contradictions
entre la nécessaire réduction de la pression fiscale, reconnue
par la commission, et la condamnation par cette même commission du plan
textile français dont les effets favorables sur l'emploi étaient
manifestes.
M. Paul Loridant a voulu savoir quels étaient les fondements
théoriques du changement du lieu d'imposition à la TVA et quelles
mesures la commission entendait prendre pour traquer la fraude à la TVA
et au budget communautaire.
M. Michel Charasse a tout d'abord encouragé la commission
européenne à observer la plus grande prudence dans le domaine de
l'harmonisation fiscale afin que ce processus n'affecte pas la
souveraineté des Etats et, en particulier, les compétences des
Parlements en matière fiscale. Puis, il a interrogé le
commissaire européen sur le sort des impôts locaux et de la
fiscalité affectée à la sécurité sociale
dans le contexte de l'harmonisation fiscale en Europe. Il a, enfin, vivement
souhaité que des progrès sensibles soient réalisés
afin de lutter contre la fraude à la TVA.
M. Christian Poncelet, président, a souligné le
caractère non contraignant du code de bonne conduite proposé par
le groupe de politique fiscale et a rappelé l'exemple historique
constitué par l'introduction d'une retenue à la source en
Allemagne qui devrait inciter les pays membres de l'union européenne
à travailler avec le plus grand sérieux à l'harmonisation
fiscale en Europe.
En réponse, M. Mario Monti a d'abord admis que le code de bonne
conduite ne serait pas contraignant, la souveraineté des Etats
étant ainsi respectée, mais a fait observer qu'il serait
politiquement délicat pour un Etat l'ayant adopté de s'y
soustraire. Il a souhaité préciser qu'en la matière, la
coordination lui paraissait garante de l'autonomie des Etats, la concurrence
fiscale étant à terme destructrice de celle-ci.
Il a estimé que des domaines de la fiscalité relevant
exclusivement des souverainetés nationales subsisteront toujours tel,
par exemple, le degré de progressivité de l'impôt sur le
revenu des personnes.
M. Michel Charasse a observé que l'impôt sur le revenu
était aussi pour une large part un impôt sur les entreprises, dans
la mesure où il incluait des bénéfices industriels et
commerciaux.
S'agissant de l'euro, M. Mario Monti a considéré que sa
réalisation conduirait inévitablement à une plus grande
intégration fiscale entre Etats-membres.
M. Christian Poncelet, président, s'est alors inquiété
des relations entre les Etats participant à l'euro et les Etats-membres
demeurant en dehors de la monnaie unique, ces derniers lui apparaissant
susceptibles d'être tentés par des dévaluations
compétitives.
Le commissaire européen a relevé que les propositions faites par
M. Thibault de Silguy pour renforcer le système monétaire
européen (SME) avaient précisément pour objet d'obtenir un
accord de change entre l'euro et les monnaies des Etats-membres qui ne
participaient pas encore à l'euro.
S'agissant du plan textile, M. Mario Monti, après avoir
souligné qu'il n'avait pas de compétence particulière sur
ce sujet au sein de la commission européenne, a affirmé qu'il
partageait néanmoins la difficile décision de rejet que celle-ci
avait prise, se déclarant convaincu que les emplois créés
par ce type d'aides étaient le plus souvent illusoires et
entraînaient des destructions d'emplois dans d'autres secteurs de
l'économie.
S'agissant des zones franches, le commissaire européen a
confirmé que le code de bonne conduite s'appliquerait à celles
qui auraient pour effet d'encourager la délocalisation
d'activités particulièrement mobiles, tels les services
financiers.
Evoquant les questions de calendrier, M. Mario Monti a
préconisé l'intervention d'un accord politique sur les mesures de
coordination fiscale et le code de bonne conduite avant la fin de 1997, ainsi
que l'élaboration d'une directive sur la fiscalité de
l'épargne dans les délais utiles, c'est-à-dire avant la
réalisation de l'euro.
S'agissant du droit des sociétés, il s'est
félicité que la présidence luxembourgeoise soit
très attentive à cette question traitée au sein du conseil
du marché intérieur et du conseil des affaires sociales, et a
estimé que des progrès rapides étaient à
espérer.
S'agissant de la TVA, M. Mario Monti a reconnu qu'il s'agissait d'une
ressource si importante pour beaucoup d'Etats-membres qu'il convenait de
laisser du temps et de ne pas forcer la convergence. Il a souligné que,
pour cette raison, le programme de travail de la commission était
très graduel, mais remarqué que certaines étapes
intermédiaires pourraient être franchies sans nécessiter un
accord sur le but final : simplifications et allégements des
obligations dans le cadre des programmes SLIM et FISCALIS, changement de statut
du comité TVA, renforcement de la coopération entre les
administrations nationales.
Concernant l'importance de la TVA dans la structure des impôts, il a
estimé que le principe de subsidiarité s'imposait sur ce point
à la commission. Il a toutefois constaté la tendance commune
à plusieurs Etats membres d'accroître les impôts indirects
pour diminuer les impôts directs et les cotisations sociales, la France
étant dans une situation très spécifique à cet
égard.
S'agissant du fondement théorique du principe d'imposition à la
TVA dans le pays d'origine, le commissaire européen a
considéré que cette proposition de la commission reposait sur une
vision simple du fonctionnement d'un marché unique et relevé que
l'obligation faite actuellement aux entreprises de distinguer entre leurs
ventes nationales et leurs ventes dans chacun des autres Etats-membres
était facteur de coûts de gestion et de difficultés de
contrôle.
S'agissant de la fraude à la TVA intracommunautaire, M. Mario
Monti a affirmé que la commission agissait dans le cadre du programme
FISCALIS. Il s'est déclaré convaincu que le système
définitif de TVA offrirait moins de possibilités de fraudes que
le système en vigueur.
M. Michel Charasse a objecté que le budget communautaire était
déjà actuellement victime de fraudes portant sur les recettes
assises sur une base TVA et que, tant que la commission n'aurait pas
uniformisé les possibilités de contrôle et de
vérification de manière à assurer une
égalité de traitement entre les Etats-membres, le système
de compensation inhérent au régime définitif de TVA ne
serait pas fiable.
M. Mario Monti est convenu que l'exigence d'égalité de
traitement entre les Etats-membres était très forte et valait
bien au-delà des seules questions de TVA. Il a ainsi relevé que
la fiabilité des statistiques nationales était également
essentielle pour déterminer la qualification des Etats-membres à
la monnaie unique ou le montant des contributions nationales au budget
communautaire. Il a toutefois estimé que, la principale cause de fraude
à la TVA intracommunautaire résidait dans la circulation de biens
en exonération de taxes et que cette cause disparaîtrait avec le
système définitif.
Enfin, en réponse à M. Christian Poncelet,
président, et tout en avouant ne pas très bien connaître
les particularités de la fiscalité locale française, le
commissaire européen, a supposé que les mesures proposées
concernant l'impôt sur les sociétés et la fiscalité
de l'épargne ne concernaient pas, a priori, les collectivités
locales.